Notes
-
[1]
Patrick Clastres est agrégé d'histoire, chercheur au Centre d'histoire de Sciences-po.
-
[2]
Pour un bilan critique de l'historiographie des Jeux olympiques rénovés, et une analyse des façons nationales d'écrire cette histoire, se reporter à Christina Koulouri, « Rewriting the history of the Olympic Games », in Christina Koulouri (ed.), Athens, Olympic city, 1896-1906, Athens, International Olympic Academy, 2004, p. 13-53. La synthèse de Yves-Pierre Boulongne reste toujours utile : « Les présidences de Demetrius Vikelas (1894-1896) et de Pierre de Coubertin (1896-1925) », in Raymond Gafner (dir.). 1894-1994. Un siècle du Comité international olympique. L'Idée, les Présidents, l'œuvre. Lausanne, C.I.O., 1994, vol. 1, p. 13-204.
-
[3]
Norbert Müller (avec la collaboration d'Otto Schantz), Bibliographie des œuvres de Pierre de Coubertin, Lausanne, Comité International Pierre de Coubertin, 1991. Sont recensés 30 livres, 54 brochures, 72 tracts et 1 281 articles, pour un total désormais estimé à 15 000 pages imprimées. En guise d'anthologie, Norbert Müller (dir.), Pierre de Coubertin. Textes choisis. Zürich-Hildesheim-New York, éd. Weidmann, 3 tomes, 1986.
-
[4]
Christophe Charle, Les élites de la République, 1880-1900, Fayard, 1987, plus particulièrement le paragraphe « les loisirs et les goûts », p. 399- 405. Voir également Marc Fumaroli, Gabriel de Broglie, Jean-Pierre Chaline, Élites et sociabilité en France, Perrin, 2003.
-
[5]
En guise d'exception, on ne manquera pas de signaler les travaux de l'anthropologue et historien Georges Vigarello qui arpente la destinée du corps moderne, qu'il soit redressé, lavé, soigné, violé, sportivisé, et embelli. En tout dernier lieu une Histoire de la beauté. Le corps et l'art d'embellir de la Renaissance à nos jours, Seuil, 2004, et la magistrale co-direction avec Alain Corbin et Jean-Jacques Courtine des trois volumes de l'Histoire du corps, Seuil, 2005.
-
[6]
Léon Poliakov, Le mythe aryen. Essai sur les sources du racisme et des nationalismes, éd. Calmann-Lévy, 1971, éd. révisée Complexe, 1987, 1994, p. 294.
-
[7]
Bernard Kalaora et Antoine Savoye, Les Inventeurs oubliés. Le Play et ses continuateurs aux origines des sciences sociales, Seyssel, éd. Champ Vallon, 1989.
-
[8]
Jean-Marie Brohm, Sociologie politique du sport, éditions universitaires, 1976, nouv. éd., Presses universitaires de Nancy, 1992. Du même auteur, « Pierre de Coubertin et l'avènement du sport bourgeois » in Pierre Arnaud (dir.), Les athlètes de la République, éd. Privat, 1986, p. 283-300 et « Les idées réactionnaires du baron Pierre de Coubertin », Le mythe olympique, éd. Christian Bourgois, 1981, chapitre III.
-
[9]
Ginette Berthaud, Jean-Marie Brohm et alii, « Sport, culture et répression », Partisans, no43, juillet-septembre 1968, rééd. Maspéro, 1972, 1976.
-
[10]
Yves-Pierre Boulongne, La vie et l'œuvre pédagogique de Pierre de Coubertin, 1863-1937, Université de Caen, 1974, Ottawa, éd. Léméac, 1975.
-
[11]
John J. MacAloon, This Great Symbol. Pierre de Coubertin and The Origins of the Modern Olympic Games, The University of Chicago Press, Chicago and London, 1981.
-
[12]
Stephan Wassong, Pierre de Coubertin's American Studies and Their Importance for the Analysis of His Early Educational Campaign, Université du sport de Cologne, 2000, Würzburg, éd. Ergon Verlag, 2002, traduction anglaise de l'auteur, 2004.
-
[13]
Eugen Weber, « Pierre de Coubertin and the Introduction of Organized Sport in France », Journal of Contemporary History, vol. 5, no 2, 1970 et « Gymnastics and Sport in Fin-de-siècle France : opium of the Classes ? », American Historical Review, vol. 76, février 1971.
-
[14]
Jean-Pierre Rioux, « Les idées fixes de monsieur de Coubertin », L'Histoire, no 24, juin 1980, p. 17-19.
-
[15]
Françoise Mayeur, Histoire générale de l'enseignement et de l'éducation en France. De la Révolution à l'École républicaine (1789-1930), tome III, Nouvelle Librairie de France, 1981, éd. Perrin, 2004, p. 661.
-
[16]
Christophe Prochasson, « De la culture des foules à la culture des masses », in André Burguière et Jacques Revel, Histoire de la France. Choix culturels et mémoire, vol. dirigé par André Burguière, Seuil, 1993, 2000, p. 220.
-
[17]
Jean-Pierre Rioux, in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire culturelle de la France. Le temps des masses : le vingtième siècle, éd. du Seuil, 1998, tome 4, p. 89. Du même auteur, le chapitre intitulé « La chaise longue de Pierre de Coubertin » dans Au bonheur la France. Des Impressionnistes à de Gaulle, éd. Perrin, 2004.
-
[18]
François Caron, La France des patriotes, Fayard, 1985, Le Livre de poche, 1996, p. 357.
-
[19]
Georges Vigarello, « Les faux Jeux olympiques de 1900. L'origine du sport entre deux cultures », Du jeu ancien au show sportif. La naissance d'un mythe, Troisième partie, chapitre 1, éd. du Seuil, 2002, p. 109.
-
[20]
Pierre de Coubertin, Une Campagne de vingt et un ans (1887-1908), éd. Librairie de l'éducation physique, 1909.
-
[21]
François Dosse, La marche des idées. Histoire des intellectuels, histoire intellectuelle, éd. La Découverte, 2003.
-
[22]
Pierre de Coubertin, « L'éducation athlétique. Conférence faite le 26 janvier 1889 à l'Association Française pour l'Avancement des Sciences », AFAS, compte rendu de la 18e session, Paris, Masson, p. 15-25, tirage à part, Paris, imp. Chaix, 1889, 23 pages.
-
[23]
L'USFSA est la matrice des fédérations uni-sport actuelles, notamment de la Fédération française d'athlétisme. Elle réunit depuis 1887/1892 les premiers clubs de sport de la capitale, dont le Racing Club (1882) et le Stade français (1883), ainsi que les clubs scolaires.
-
[24]
Pierre de Coubertin, « La France coloniale », L'Évolution française sous la IIIe République, éd. Plon-Nourrit, 1896, chapitre VII, p. 163-200. À la suite de son professeur à l'École libre Paul Leroy-Beaulieu, il considère que la politique d'expansion coloniale entreprise par Jules Ferry et ses successeurs poursuit heureusement « l' œuvre des rois ».
-
[25]
Pierre de Coubertin, « L'Urgente Réforme », La Nouvelle Revue, 1er avril 1899, p. 385-401.
-
[26]
Pierre de Coubertin, « Rapport du Secrétaire général de l'USFSA », La Revue Athlétique, 1re année, 25 juillet 1890, p. 387-393. Ce texte est reproduit ci-dessous p. 385 à 390.
-
[27]
Georges Vigarello, « Le corps travaillé. Gymnastes et sportifs au xixe siècle », in Alain Corbin (dir.), Histoire du corps. De la révolution à la Grande Guerre, éd. du Seuil, 2005, vol. 2, p. 373.
-
[28]
En tant que pratique et institution, le sport contribuerait au processus de « civilization » en favorisant ce que le sociologue anglais dénomme la « libération contrôlée des émotions » (controlled decontrolling of emotions). Cf. Norbert Élias et Éric Dunning, Quest for Excitement. Sport and Leisure in the Civilizing Process, Basil Blackwell Ltd, 1986, tr. fr., Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Fayard, 1994, avec un avant-propos de Roger Chartier.
-
[29]
Les « autorités sociales » se reconnaissent, selon Frédéric Le Play, « au respect unanime de ceux qui sont soumis à leur influence ». Cf. Bernard Kalaora et Antoine Savoye, op. cit., p. 98.
-
[30]
Sur les Unions de la paix sociale, Antoine Savoye et Bernard Kalaora, op. cit., p. 111-114.
-
[31]
Mémoires d'un éclaireur, inédit, Archives de Monsieur Geoffroy de Navacelle.
-
[32]
Patrick Clastres, « Pierre de Coubertin et L'Éducation en Angleterre (1888). De la monographie des public schools à la réforme des lycées français », Les Études sociales, 1er semestre 2001, no 133, p. 47-68.
-
[33]
Jean El Gammal, « Un pré-ralliement : Raoul Duval et la droite républicaine, 1885-1887 », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1982, p. 599-621.
-
[34]
Pour une analyse pédagogique autant que politique des débats scolaires jusqu'à la Grande Guerre, se reporter à Daniel Denis et Pierre Kahn, L'école républicaine et la question des savoirs. Enquête au c ur du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, éd. du CNRS, avec une préface de Pierre Nora, 2003.
-
[35]
D'après le titre de l'ouvrage qu'il consacre au premier quart de siècle d'existence de la IIIe République, par lequel il veut démontrer que la République des progressistes n'a pas d'autre ambition que de servir la France éternelle : Pierre de Coubertin, L'Évolution française sous la IIIe République, éd. Plon-Nourrit, 1896.
-
[36]
Patrick Clastres, « Pensée sportive, pensée politique. Pierre de Coubertin et l'invention de la neutralité politique du sport », contribution à « Méthodes en histoire de la pensée politique », Colloque de l'Association Française de Science Politique, organisé par Lucien Jaume, 23-24 septembre 2004, à paraître en 2005 dans European Journal of Political Theory.
-
[37]
Verdiana Grossi, Le Pacifisme européen (1889-1914), Bruxelles, Bruylant, 1994.
-
[38]
Maurice Vaïsse, « Les idées de paix au début du xxe siècle », La Paix au xxe siècle, éd. Belin, 2004, chapitre 2, p. 17-31.
-
[39]
Concernant les liens de Pierre de Coubertin avec les animateurs des Congrès de la Paix, voir Dietrich R. Quanz, « Civic Pacifism and Sports-Based Internationalism Framework for the Founding of the International Olympic Committee », Olympika. The international Journal of Olympic studies, 1993, vol. II, p. 1-23. Également, Patrick Clastres, « La refondation des Jeux olympiques au Congrès de Paris (1894) : initiative privée, transnationalisme sportif, diplomatie des États », Relations internationales, no 111, automne 2002, p. 327-345.
-
[40]
John Hoberman, « Toward a theory of olympic internationalism », Journal of Sport History, 22/1, spring 1995, p. 5, dont l'interprétation, que nous suivons, est aussi reprise par Christina Koulouri, « Rewriting the history of the Olympic Games », op. cit., p. 35-36.
-
[41]
Charles Maurras, « Lettres des Jeux olympiques (publiées par La Gazette de France du 15 au 22 avril 1896), éd. Flammarion, 2004, avec une présentation de Axel Tisserand.
-
[42]
Présence du socialiste Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau de juin 1898, socialistes absents du cabinet Combes mais actifs dans la majorité du Bloc (1901-1905), montée des voix socialistes lors des législatives de 1906 et de 1910.
-
[43]
Pierre de Coubertin, « Une nouvelle formule d'éducation physique », Revue mensuelle du Touring Club de France, 20 mars 1902, p. 146-151. Elle sera amplement développée dans L'Éducation des Adolescents au xxe siècle. I : L'Éducation physique : La gymnastique utilitaire. Sauvetage-Défense-Locomotion. Paris, Alcan, 1905.
-
[44]
Le célèbre auteur du Livre de la jungle n'a-t-il pas, dans le Times du 2 janvier 1902, attribué les difficultés de la guerre des Boers aux élites sportives des public schools qu'il traite de « crétins souillés de boue » et d'« idiots en flanelle ». Cité par Daniel Denis, « Le sport et le scoutisme, ruses de l'Histoire », in Nicolas Bancel et alii (dir.), De l'Indochine à l'Algérie. La jeunesse en mouvements des deux côtés du miroir colonial, 1940-1962, éd. La Découverte, 2003, p. 198-199.
-
[45]
Pierre de Coubertin, « La croisade des partageux », L'Éducation physique, 1910, no 5.
-
[46]
Pierre de Coubertin, « Vers le gymnase antique. Discours de remise de la Coupe olympique », Le Gymnaste, 23 novembre 1912 et Revue olympique, décembre 1912.
-
[47]
Pierre de Coubertin est contacté semble-t-il par un officier de renseignements le capitaine Royet pour copier le système anglais des « scouts » (i.e. éclaireurs). Cf. capitaine Royet, Les Éclaireurs de France et le rôle social du scoutisme français, Paris, Bibliothèque Larousse, 1913, aux origines d'un « scoutisme à la française » : la « Ligue d'éducation nationale », née en décembre 1911, ne connaîtra que quelques mois d'existence. Les autres scoutismes se développent en France surtout après la Grande Guerre.
-
[48]
Pierre de Coubertin, « De quelques détails et précisions nécessaires », Excelsior, 6e année, 11 janvier 1915.
-
[49]
D'abord publié le 4 janvier 1915 dans le journal Excelsior, puis le 25 janvier dans le journal suisse Le Gymnaste Vaudois, ce décalogue est diffusé sous la forme d'une affiche dans les lycées de métropole, et semble-t-il du Maroc. On en trouvera une reproduction dans Boulongne Yves-Pierre. La vie et l' œuvre pédagogique de Pierre de Coubertin (1863-1937), Ottawa, éd. Léméac, 1975, p. 454.
-
[50]
Afin de protéger l'olympisme du choc des nationalismes, Pierre de Coubertin décide, d'une part, d'installer le siège de l'olympisme à Lausanne par contrat avec la municipalité en date du 10 avril 1915, d'autre part, de confier les fonctions de président du comité international olympique par intérim au baron suisse Godefroy de Blonay.
-
[51]
Sous le nom d'Institut Olympique de Lausanne, Pierre de Coubertin a tenté de rétablir « le gymnase antique » municipal. Lancée en avril 1915, cette initiative prit la forme de trois sessions en mars-juillet 1917, janvier-avril 1918, et automne 1918-printemps 1919. Du fait de la conjoncture internationale et du soutien incertain des édiles lausannois, Pierre de Coubertin modifie en urgence son projet et réserve la première session à des internés militaires français et belges qui viendront se former comme moniteurs d'exercice physique ou « simplement goûter à de sains loisirs ». Sur toutes ces questions, voir l'excellente mise au point de Christian Gilliéron. Les relations de Lausanne et du mouvement olympique à l'époque de Pierre de Coubertin (1894-1939), Lausanne, éd. du C.I.O., 1993, et tout particulièrement le chapitre « L'Institut Olympique de Lausanne ».
-
[52]
Ernest Seillière, Un artisan d'énergie française. Pierre de Coubertin, éd. Henri Didier, 1917.
-
[53]
Henri Massis et Alfred de Tarde (Agathon), Les jeunes gens d'aujourd'hui, 1913, éd. Imprimerie nationale, 1995, avec une présentation de Jean-Jacques Becker.
-
[54]
Pierre de Coubertin, Le sport est roi, brochure spéciale, Anvers, 1920.
-
[55]
Alain Corbin, « Industrie du divertissement et morale du plaisir », L'Avènement des loisirs, 1850-1960, Aubier, 1995, Flammarion, 2001, p. 10-13.
-
[56]
Pierre de Coubertin, « Une campagne contre l'athlète spécialisé », Revue olympique, juillet 1913.
-
[57]
Arno Mayer, La Persistance de l'Ancien Régime. L'Europe de 1848 à la Grande Guerre, 1981, Flammarion, 1983, 1990, p. 16-20.
-
[58]
Éric Hobsbawm, Terence Ranger (eds), The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 1, notre traduction.
-
[59]
Robert Paxton, « Racines intellectuelles, culturelles et affectives », Le fascisme en action, éd. du Seuil, 2004, p. 60-77.
-
[60]
Robert Paxton, ibidem.
-
[61]
Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'affaire Dreyfus à nos jours, A. Colin, 1992.
« Si un monde semble séparer l'élégant gentleman britannique et le brave garçon américain du S.S. idéal, ils sont au fond façonnés dans le même moule réunissant en lui des qualités de force et de séduction esthétique, de réserve et de violence, de dispositions à la générosité et à la compassion ou au combat acharné et impitoyable. Le fascisme et le national-socialisme ont démontré les effrayantes possibilités de la virilité moderne, une fois celle-ci réduite à ses fonctions guerrières.
Cela aurait pu ne pas se produire. On peut imaginer un idéal masculin qui eût été poussé du côté du fair-play et des vertus chevaleresques. »
1 Cet idéal sportif masculin dont a pu rêver l'historien de la « brutalization », c'est celui que Pierre de Coubertin (1863-1937) a tenté de forger durant un demi-siècle, de la prime campagne qu'il lance en 1886 pour l'introduction du sport dans les établissements français d'enseignement secondaire, jusqu'à sa mort, survenue un an après la XIe olympiade, celle de Berlin. Connu de par le monde pour son éminente contribution à la « rénovation » des Jeux olympiques en 1896 à Athènes [2], Pierre de Coubertin n'est que très rarement identifié comme un théoricien des élites.
2 Or, sa trentaine d'ouvrages, son millier et plus d'articles publiés dans nombre de périodiques français et étrangers [3], ses multiples associations et initiatives pédagogiques, n'ont eu qu'un seul but : produire grâce au sport de nouvelles élites dirigeantes, davantage viriles et conquérantes, mais aussi plus morales et vertueuses. Pour reprendre des expressions qui lui sont chères : « rebronzer » la jeunesse, forger une « chevalerie sportive ». De telles élites ne se réduisent pas dans son esprit à une sociabilité mondaine ; elles sont l'élite parce qu'elles pratiquent le sport [4].
3 Comment comprendre alors que sa réflexion sur les élites fin-de-siècle ne soit référencée dans aucun manuel de philosophie, de sociologie, ou de science politique ? Cette damnatio historiae s'accompagne au revers d'une opinio communis qui véhicule une acception morale du sport traversant les barrières de classe comme les frontières nationales. Quant au déni scientifique, on voudra y lire, malgré Foucault, une paresse et une prévention tout intellectuelles pour les choses du corps, plus particulièrement pour les exercices corporels et le sport. De Pindare à Montherlant, sans oublier Rabelais, on aurait pourtant beau jeu d'aligner les noms de ceux qui, en d'autres temps, ont placé le corps en mouvement au centre de leur art et de leur pensée [5].
I. De la nécessité d'historiciser Pierre de Coubertin et sa pensée
4 Pierre de Coubertin est en outre victime de la sulfureuse réputation des deux maîtres à penser dont il se plaît à honorer la mémoire : Thomas Arnold, le headmaster du college de Rugby que Léon Poliakov classe parmi les penseurs qui ont fait de « la race le moteur de l'histoire » [6], et Frédéric Le Play, le sociologue et conseiller de Napoléon III, dont les théories corporatistes et paternalistes seront expérimentées à Vichy et dans le Portugal de Salazar [7]. Cet héritage intellectuel revendiqué jusqu'au seuil des années 1930 est au c ur de la critique radicale de la pensée sportive produite par Jean-Marie Brohm au mitan des années soixante [8]. En ce moment 1968 de libération freudienne des corps et de contestation althussérienne des « appareils idéologiques d'État », ce sociologue dénonce « l'aliénation sportive » et « la chloroformisation des masses » [9]. Contre les disciples, les apologistes, et les hagiographes de Pierre de Coubertin, particulièrement bien représentés dans et autour du Comité international olympique, ainsi que dans les fédérations sportives nationales et internationales, il pointe son « missile théorique » sur la figure iconique de Pierre de Coubertin, présenté comme le « grand prêtre de la religion sportive ». Une telle dénonciation de l'idéologie sportive aura eu pour principal mérite d'attirer l'attention sur la charge conceptuelle du sport, d'une part, sur le rôle de premier théoricien de la pensée sportive joué par Pierre de Coubertin, d'autre part.
5 Des multiples travaux consacrés au rénovateur des Jeux olympiques par les sociologues et historiens du sport, on retiendra trois thèses soutenues respectivement en France, aux États-Unis et en Allemagne, en sciences de l'éducation, en sciences sociales, et en sciences du sport. Yves-Pierre Boulongne insiste sur la dimension pédagogique du projet de Pierre de Coubertin qu'il qualifie de « bourgeois libéral » et d'« humaniste » [10]. John J. MacAloon focalise sa réflexion sur la dimension spectaculaire de la rénovation olympique et livre une psycho-biographie articulée, en revanche, autour des concepts aristocratiques de « prouesse » et de « patronage » [11]. Tout récemment, Stephan Wassong a attiré l'attention sur les personnalités politiques, pédagogiques et sportives que Pierre de Coubertin a rencontrées lors de ses deux voyages de 1889 et 1893 aux États-Unis, notamment pour démontrer qu'il y puise deux idées-force, à savoir la nécessité de consolider le républicanisme et de développer l'internationalisme [12].
6 Il faut attendre les années 1970 pour que Pierre de Coubertin entre à proprement parler dans l'histoire écrite par les historiens qui ne retiennent pas le sport comme objet central d'étude. De ce point de vue, il faut reconnaître que les historiens français de la société et de la culture tertio-républicaine sont peu diserts. Réagissant à la doctrine radicale anti-sportive, l'historien américain Eugen Weber resitue le jeune de Coubertin dans le Tout-Paris des années Barrès et le dépeint comme « un aristocrate fin-de-siècle, à l'élitisme romantique, fasciné par Darwin, Taine, et plus encore par le Docteur Arnold... assurément réactionnaire quoique gagné aux Lumières » [13]. Son élitisme, il le définit comme « flambant neuf, mieux approprié à l'ère nouvelle, fondé sur l'action, plus compétitif, et aussi, du moins apparemment, davantage ouvert et accessible ». Jean-Pierre Rioux entrevoit chez « l'éducateur Coubertin » l'apôtre du calme collectif et de la force réfléchie, « celui qui s'est trompé de siècle », celui qui a tendu à ses contemporains « une fleur trop exotique pour résister au souffle des masses, du pouvoir, de l'argent, des idéologies et des guerres, ces seules vertus d'un siècle de fer » [14]. Françoise Mayeur évoque furtivement ses écrits, qui « exaltent les jeux et la morale du sport », et les interprète comme une contribution au mouvement de « réaction libérale » des années 1887-1902 contre le surmenage scolaire et contre « la militarisation à outrance de la gymnastique scolaire » [15]. Tandis que Christophe Prochasson voit en Pierre de Coubertin « un grand lecteur de Taine qui aspirait, en homme de son temps hanté par l'angoisse du déclin, à la régénération de la race française » [16], Jean-Pierre Rioux revient sur le cas de ce baron, qui « vomissait la lèpre ploutocratique », pour le camper en moraliste et tuteur, optimiste et pacifiste, de la jeunesse française [17]. Au détour des pages qu'il consacre aux « nouveaux loisirs » de l'ère républicaine, François Caron oppose la « conception élitiste du sport » du restaurateur des Jeux olympiques à la vision plus populaire du sport promue au même moment par les milieux du cyclisme [18]. Quant à Georges Vigarello, s'il distingue également entre « les vieux sportsmen nobles et fortunés, ceux des loisirs hautement privilégiés du xixe siècle » et « les sportifs plus populaires de la fin du siècle », il veille en revanche à ne pas « figer Pierre de Coubertin dans ce qu'il n'est pas, lui qui proposait d'ouvrir les plus aristocratiques demeures de la vieille France à la jeunesse sportive, à l'occasion de la plus démocratique des manifestations internationales » [19].
7 Où l'on comprendra dès à présent que Pierre de Coubertin développe certes des « idées fixes », mais qu'il sait aussi les remodeler, les renommer, en fonction de l'air du temps intellectuel. Aussi, pour prendre la mesure de son projet élitaire en 1900, dans un contexte de popularisation et de démocratisation du sport, il n'est d'autre solution que de rouvrir le dossier de sa « campagne de vingt-et-un ans » [20], de parcourir son quart de siècle de prosélytisme sportif et olympique. Autrement dit de saisir l'idée chevaleresque et olympique dans sa marche [21], aux côtés de l'oppressante question sociale.
II. L'éducation athlétique : « une science dont l'objet est de faire des hommes »
8 Pierre de Coubertin n'a pas encore atteint sa vingt-cinquième année qu'il se targue de promouvoir « l'éducation athlétique » auprès de tout ce que le pays compte de responsables politiques, de savants et de pédagogues. Avec ses amis du « Comité pour la propagation des exercices physiques dans l'éducation » (CPEPE), il se lance en effet, à compter de 1888, dans une campagne de promotion des nouvelles activités physiques en vogue en Angleterre : les sports. Le lobbying de la CPEPE, et des autres courants réformateurs concurrents, aboutira en janvier 1890 à la publication par le « solidariste » ministre Léon Bourgeois d'un décret qui autorise les jeunes gens à s'affilier dans le cadre scolaire.
9 Mais il prend bien soin de ne pas utiliser le vocable « sport » tant celui-ci est alors connoté comme anti-national et réactionnaire, car d'origine anglaise et d'essence aristocratique. Et cette éducation athlétique, il n'hésite pas à la présenter devant les membres de la très positiviste, patriotique et réformatrice « Association Française pour l'Avancement des sciences » (AFAS) comme « une science dont l'objet est de faire des hommes » [22]. Recourir au vocabulaire antique tout en sacrifiant à la mode positiviste, voilà qui permet au jeune de Coubertin de neutraliser les défenseurs des humanités classiques, plutôt portés à dénoncer la modernité sportive, et de rallier quelques médecins et hommes de science sensibles à son patriotisme pédagogique. Pour éviter toute confusion, Pierre de Coubertin prévient d'ailleurs son auditoire qu'il distingue nettement entre les « exercices anodins... des exercices qui reposent », comme le tir au pigeon ou la promenade à cheval, et les épreuves d'effort, comme la course à pied ou le rowing (aviron) qui favorisent, selon lui, « la culture musculaire du corps et du caractère » et, au final, « la victoire de la volonté ». Le jeune secrétaire général de l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) sait en effet combien, aux yeux de l'opinion publique, l'homme de sport passe alors pour « un dés uvré et un gommeux » [23].
10 Avec un certain nombre d'autres réformateurs de la pédagogie française comme son mentor l'ancien président du Conseil Jules Simon, il souhaite insuffler « de la hardiesse, de l'énergie, de l'initiative » aux fils de l'élite, à cette jeunesse française qu'il accusera plus tard d'être « veule et affinée ». Il estime qu'en matière d'éducation les lycées d'État et les pensionnats religieux devraient se conformer à la devise pédagogique anglaise : « liberté et indépendance ». À la lumière des usages pédagogiques qu'il a étudiés dans les public schools à compter de 1883, il vante la bonne humeur sociale des jeunes Anglais qu'il oppose à la misère morale des élèves français : « nous ne fouettons pas la chair mais l'esprit ; et l'esprit, nous le fouettons jusqu'à ce qu'il soit dompté... il saigne à l'intérieur ». Ses préférences éducatives vont alors vers le Dr Thring, directeur de l'école d'Uppingham, qui définit l'éducation comme « une œuvre d'observation, de travail et d'amour », plutôt que vers l'évêque d'Orléans Mgr Dupanloup, auquel il reproche d'avoir conçu son système d'éducation sur « l'autorité et le respect ». Par-dessus tout, il vénère le Dr Thomas Arnold, le headmaster protestant du college de Rugby School, adepte du muscular Christianism, qui entreprit vers 1840 de moraliser les internats de garçons en réglementant la pratique sauvage des jeux de ballon et en déléguant une partie de l'autorité à des captains choisis parmi les plus méritants des élèves de dernière année. Transformer les jeunes garçons en hommes d'action, capables de prouesses industrielles, commerciales et coloniales ne relève pas de l'obsession de la Revanche, mais ressortit bien plutôt de l'ambition des élites économiques de tenir tête au rival historique. En imaginant de retourner contre l'Angleterre son arme éducative, Pierre de Coubertin signale son adhésion aux projets d'expansion outre-mer défendus par le parti colonial [24]. Les jeunes sportsmen sont censés devenir les futurs grands explorateurs, les alpinistes et les aviateurs dont la France a besoin pour se projeter au bout de la Terre. L'« urgente réforme » que Pierre de Coubertin, avec des accents leplaysiens, réclamera encore en 1899, c'est à l'enseignement libre laïque qu'il souhaite la confier, le seul capable selon lui « d'émanciper les maîtres en même temps que les élèves » [25]. En faisant le choix dès 1887 de soutenir et d'accompagner les initiatives sportives de l'école Monge et de l'école Alsacienne, il prend appui sur les deux plus fameux « établissements libéraux » de la capitale, réputés pour leurs stratégies pédagogiques innovantes. Par là-même, il montre sa défiance pour les pensionnats religieux et les lycées, qu'il juge incapables de se réformer les premiers à cause de leur centralisme et de leur dogmatisme.
11 Une telle virilisation de la jeunesse ne vise pourtant pas à abattre la tradition universitaire. Pierre de Coubertin répond par avance à ceux qui voudraient l'accuser de produire des butors : « ne perdez pas de vue que si nous voulons vous donner des corps robustes, c'est pour en faire les serviteurs dévoués et obéissants de ce qu'il y a de plus grand et de plus précieux dans l'homme : l'intelligence ». Il est un ardent défenseur des humanités et n'a jamais fait sien le combat de Raoul Frary contre le latin. Il vise plutôt à atteindre un point d'équilibre entre les compétences intellectuelles et les compétences corporelles. Le modèle dont il rêve : l'étudiant d'Oxford féru d'hellénisme et champion de rowing, capable de traverser les déserts et les forêts d'Afrique. Aussi, même s'il vise comme idéal humain « la victoire de la volonté », il n'a pas pour projet de donner naissance à des sur-hommes : « Jamais nous ne consentirons à transformer vos concours en spectacles publics. Ce serait vous rendre à tous un très mauvais service. Le souci de la partie théâtrale de la fête irait à l'encontre des exigences du Sport ; le véritable but serait perdu de vue et les vainqueurs se croiraient des demi-dieux » [26].
12 Il va de soi qu'un tel enseignement ne saurait être offert aux ouvriers, pas plus qu'aux jeunes filles de la bonne société. À ces dernières le loisir de renforcer, par la gymnastique d'intérieur, la sangle abdominale sollicitée lors des grossesses, et l'honneur de pouvoir couronner les vainqueurs. Au moment où Camille Sée propose de détourner les demoiselles de l'emprise de l'Église en créant les premiers lycées féminins, Pierre de Coubertin invoque la morale traditionnelle pour ne pas autoriser leur exhibition sportive en public. Quant aux ouvriers, ils sont tenus en lisière, non pas à la manière de l'Amateur Rowing Association de Londres qui exclut explicitement les workers, mais par les droits élevés versés à l'entrée des clubs et par la pratique du parrainage. Pour Pierre de Coubertin et les amateuristes de l'USFSA, « le grand corrupteur » et « l'éternel ennemi », c'est fondamentalement l'argent. L'argent de ceux qui font du sport un métier, notamment chez les cyclistes et les rameurs, l'argent des entrepreneurs de spectacles sportifs, l'argent des paris sportifs déjà si populaires outre-Manche (gambling). Son premier élitisme sportif est ainsi viscéralement anti-ploutocratique.
III. La chevalerie sportive :une démocratie entre « amateurs »
13 Dressant le bilan de la première année d'existence des clubs sportifs scolaires, Pierre de Coubertin précise plus avant sa conception des nouvelles élites que le sport devrait donner à la France. Il s'agit de multiplier le nombre des jeunes sportifs amateurs.
14 Être « amateur », ce n'est pas seulement refuser la condition dégradante du sportif professionnel venu des classes populaires, c'est se distinguer également des « hommes de loisir... qui jouent au sport... [mais] qui n'en font point ». Pierre de Coubertin revendique ici un droit à « suer » et à « rougir », un droit à mettre sportivement son corps au travail, un droit à ne pas déroger pour qui aura « un corps énergétique » [27]. Cette double distinction entre sport et otium mondain, d'une part, entre sport des amateurs et sport des professionnels, d'autre part, lui permet de donner des gages de ralliement bourgeois aux républicains qui doutent alors de la fidélité des sportsmen au régime et à la France. La devise de l'USFSA ludus pro patria : des jeux pour la patrie , ne suffisait assurément pas à convaincre les radicaux de la capacité du sport à recruter en France ses adeptes hors de l'aristocratie anglomane. Mais cet embourgeoisement du sport par sa transformation d'otium en labor n'est qu'illusion.
15 Pierre de Coubertin tente en effet d'inventer une catégorie sociologique d'un nouveau genre qui transcenderait les hiérarchies sociales propres à la société bourgeoise de l'ère industrielle : la « chevalerie sportive ». Cette chevalerie se recruterait en dehors de toute considération de naissance ou de revenus, pour peu que l'impétrant se comporte en gentleman, en homme « bien élevé », et qu'il fasse preuve « de loyauté, de distinction et de politesse ». Toutes qualités qui ne sont pas innées, qui requièrent un apprentissage, une éducation. Contrairement à la gymnastique bonne à redresser les corps des enfants du peuple, les sports pratiqués dans les établissements d'enseignement secondaire joueraient le rôle de « savonnettes à jeunes bourgeois ». C'est-à-dire qu'ils auraient la faculté d'enseigner les codes sociaux et la morale de la première noblesse, pré-absolutiste, celle des guerriers tous égaux dans la mêlée furieuse de la bataille. Ce n'est d'ailleurs pas seulement la pratique sportive que réclame Pierre de Coubertin, mais la gestion de l'association athlétique scolaire par les élèves eux-mêmes aux fins d'initier les jeunes gens au self-government. La « chevalerie sportive » est ainsi présentée comme éminemment « démocratique ». Mais il s'agit d'une expérience démocratique entre soi, entre jeunes gens issus des élites. Les sociétés sportives scolaires auraient donc pour fonction de préparer les jeunes messieurs à la conduite des affaires, à leurs futures responsabilités publiques comme privées. Bien avant Norbert Élias et son procès de « sportization », le jeune Pierre de Coubertin a ainsi pensé le sport comme « civilisateur », comme un simulacre permettant la maîtrise des violences juvéniles [28]. Le sport permettrait d'alimenter la République en hommes vertueux et talentueux, et aussi en « autorités sociales ». Ces hommes nouveaux que réclamaient en leur temps Alexis de Tocqueville dans l'avant-propos à L'Ancien Régime et la Révolution (1856) et Frédéric Le Play dans la Réforme sociale (1862).
16 Le projet sportif de Pierre de Coubertin doit en effet être rapporté à la quête tocquevillienne et leplaysienne d'une troisième voie entre l'aristocratisme anglais et le révolutionnarisme français. Parce qu'il nécessite le respect de l'adversaire et de la règle, parce qu'il libère les énergies individuelles et stimule l'initiative privée, parce qu'il réclame la soumission aux objectifs fixés pour le groupe par le capitaine, le sport est censé réconcilier les tendances excessivement individualistes du premier et les aspirations collectivistes du second. Il pourrait jouer en direction des jeunes élites de la naissante démocratie française le même rôle que la religion ou les libertés locales dans la démocratie américaine. La société sportive, scolaire, puis civile, serait ainsi une société sans cesse recommencée, qui enseignerait l'égalité et la liberté. Cet espace de pédagogie politique et morale aurait pour autre vertu d'apporter une solution à la question sociale. D'abord en apaisant les jeunes gens, en les détournant du vice qu'engendrent la promiscuité et la misère sentimentale des dortoirs, et aussi en canalisant l'agressivité juvénile qui se manifeste sinon lors des chahuts lycéens. Puis, en favorisant l'émergence d'« autorités sociales » inédites, capables de faire la démonstration sportive de leurs vertus viriles et morales [29]. Une fois pacifiés, les jeunes sportsmen deviendraient des pacificateurs, des agents sportifs de la paix sociale. Ces individus exemplaires exerceraient leur patronage sportif, d'abord sur leurs camarades d'équipe et de classe, ensuite sur leur entourage familial et professionnel. Marqué tout autant par la Commune que par Sedan, Pierre de Coubertin a une sainte horreur de la division nationale et de l'anarchie. Ainsi, dès lors que la gueuse se fait menaçante, il est capable de remiser ses convictions monarchistes pour passer alliance avec les républicains modérés. Sa campagne pour l'introduction du sport scolaire est de ce point de vue tout à fait cuménique et neutre. Ne parvient-il pas à faire cohabiter dans la même USFSA des associations scolaires venues des établissements publics, libres, comme confessionnels (école Albert-le-Grand d'Arcueil dirigée par le père dominicain Didon). Dans quel autre lieu de la République les « deux jeunesses », les « trois jeunesses » devrait-on dire, sont-elles amenées à se rencontrer, au double sens de l'échange et de l'affrontement ?
17 Il s'agit donc, pour Coubertin, de forger de nouvelles élites politiques, coloniales et commerciales, par un apprentissage précoce du débat démocratique et par l'effort sportif, par une appropriation des valeurs de la noblesse d'épée (fougue et bravoure, abnégation, respect de l'adversaire). Opérant un compromis sportif entre l'ancien régime et la révolution, cet élitisme appartient à la famille du traditionalisme libéral.
IV. La matrice élitaire du jeune de Coubertin
18 Mais quelle est donc la matrice de ce jeune aristocrate qui prétend moraliser les futures élites de la République ? Né un premier janvier 1863 dans un hôtel du quartier Saint-Germain, Pierre de Coubertin allie les deux traditions monarchistes françaises, légitimiste du côté de sa mère issue d'une vieille noblesse normande, et orléaniste par son père Charles possessionné en vallée de Chevreuse. Ennoblis en 1477, les seigneurs de Coubertin ont été au service des dynasties capétiennes tantôt comme guerriers du roi tantôt comme robins. L'érection de leur fief en baronnie en 1822 signale l'attachement des Coubertin à la couronne et leur participation à la Restauration. Après un temps d'éducation familiale, c'est-à-dire maternelle, le jeune Pierre est confié à l'âge de onze ans aux Jésuites de la rue de Vaugirard, puis placé dans le tout nouvel Externat Saint-Ignace de la rue de Madrid. Formé aux humanités classiques et modernes, il envisage tour à tour la prêtrise et le service des armes. Après avoir échoué aux épreuves d'admission à l'école militaire de Saint-Cyr, il s'inscrit par défaut en droit à l'Université catholique de Paris. Il n'a pas vingt et un ans qu'il adhère au groupe parisien des Unions de la paix sociale, où il découvre la sociologie empirique et traditionaliste de Frédéric Le Play. Il s'initie alors à un réformisme social qui prend la forme d'« opérations de génie sociologique » (aménagement des villes, logement ouvrier...) [30]. Il complète enfin sa formation par la fréquentation de la Conférence Molé, le « parlement » des étudiants parisiens, et par un auditorat à l'École libre des sciences politiques. C'est dans cette dernière institution, créée par Taine et Boutmy pour « refaire une tête au peuple » après Sedan, qu'il nous dit avoir reçu « la lumière libérale » [31]. Il est alors intellectuellement armé pour se lancer dans une carrière politique, mais l'espace politique ne cesse de rétrécir depuis 1879 pour les représentants des vieilles élites. Sous l'influence des « continuateurs » de Le Play et des professeurs de l'École libre, il tourne alors son regard vers le monde anglo-saxon et débute au printemps 1886 une série d'enquêtes sociologiques dans les public schools anglaises [32]. C'est à Rugby notamment, dans l'école du feu docteur Thomas Arnold, qu'il croit découvrir le secret de la puissance anglaise : l'éducation athlétique. Dans ce contexte studieux, il opère en mars-avril 1887 un ralliement à la République « sur le terrain constitutionnel », précoce et opportun, dans le sillage du fondateur de la première droite républicaine Raoul Duval [33].
19 Armé de ses monographies scolaires et emporté par sa foi sportive, il fait figure de trouble-fête dans la classe politique, un peu moins dans les milieux pédagogiques. Alors que l'école primaire et l'université ont été reprises en mains par les républicains, l'équilibre institutionnel construit au milieu du siècle entre les lycées d'État, les pensionnats religieux et les écoles libres n'est pas remis en cause. L'« empire du milieu » fait alors consensus. Si débat il y a, il ne porte pas tant sur le contrôle politique des matrices scolaires des élites, mais plutôt sur les formes d'éducation à adopter. Avec cette particularité que les clivages pédagogiques ne recoupent pas nécessairement les fractures partisanes [34]. En effet, deux mêmes camps s'opposent au sein du parti républicain comme du parti monarchiste : celui des conservateurs du lycée napoléonien qui concèdent quelques aménagements à l'internat et à sa discipline militaire, et celui des réformateurs qui misent sur l'apprentissage des realia et des langues vivantes, sur les voyages scolaires, et sur les exercices physiques et sportifs. La chance du jeune de Coubertin aura été de croiser de grandes figures réformatrices, tel l'ancien président du conseil Jules Simon, républicain incontestable et partisan de la concentration modérée, et surtout persuadé de longue date de la nécessité de « moderniser » les lycées. Même s'il donne à penser dans ses divers Mémoires qu'il agit seul, Pierre de Coubertin n'est alors, à la vérité, qu'un pion dans une partie qui se joue au plus haut sommet, entre deux lobbies pédagogiques.
20 Il aura également compris très tôt, dès l'année 1888, qu'une carrière politique lui sera impossible. Dénoncé par le camp monarchiste, puis nationaliste, comme renégat, soupçonné de ralliement opportuniste par les radicaux, il ne lui reste dès lors que la voie étroite de l'ultra-modération et du lobbying à titre privé. Rejeté dans une sorte d'extrême centre, il ne parvient que très rarement à mobiliser les milieux gouvernementaux sur son projet d'éducation par le sport. Sa « campagne sportive » ne rencontre guère la sollicitude républicaine, sauf lors des rares intermèdes unitaires et apaisés des trois décennies 1887-1917 : politique d'ouverture de Rouvier (1887) suivie de la « concentration républicaine » anti-boulangiste, « esprit nouveau » des Dupuy-Ribot-Bourgeois-Méline (1893-1898), union sacrée du temps de guerre. Ainsi, son projet de créer des clubs scolaires rencontre les préoccupations du solidariste ministre de l'Instruction publique Léon Bourgeois lequel, par un décret de janvier 1890, autorise les lycéens à s'organiser en sociétés culturelles et athlétiques sous la tutelle d'un adulte. Huit ans plus tard, lorsque la commission Ribot réouvre le dossier de la réforme de l'enseignement secondaire, Pierre de Coubertin ne sera pas oublié. Auditionné par son ancien professeur d'histoire constitutionnelle de la rue Saint-Guillaume, il réclame davantage de libertés pour les proviseurs et les élèves, et dénonce les tutelles rectorale et ministérielle comme responsables de l'immobilisme de l'éducation lycéenne. Enfin, il effectue un dernier retour en grâce en 1915, recevant pour mission des ministres de la Guerre et de l'Instruction publique de former athlétiquement la classe 1916.
21 Pierre de Coubertin n'est donc ni un révolutionnaire ni un réactionnaire. Il est réformiste et conservateur, « évolutionnaire » pourrions-nous proposer [35]. Les grilles de lecture politique classiques ne sauraient en effet rendre compte aisément de son orientation doctrinale. Il est incontestablement un défenseur de la liberté et de la propriété, et revendique à ce titre l'héritage de 1789, et bien plus encore celui de l'édit de Nantes. Mais il présente cette particularité toute le playsienne d'accorder davantage de capacité réformatrice à l'action sociale qu'à l'action politique, la question du régime politique lui paraissant une question secondaire. C'est là une des raisons pour lesquelles il veillera jalousement à l'indépendance des sociétés sportives comme de l'institution olympique. On comprend mieux dès lors que les historiens du politique ne le croisent guère : Pierre de Coubertin se réfugie aux confins de la droite constitutionnelle et de la gauche progressiste, auprès des modérés ultra, dans une sorte d'extrême centre qui lui assure une forme d'indépendance, mais qui lui vaut aussi d'être aisément récupéré [36]. Son militantisme élitaire l'entraîne ainsi du côté de l'initiative privée et de l'action sociale plutôt que de l'engagement politique et partisan.
22 Parce qu'il est très tôt victime d'un refoulement politique et idéologique, le jeune Pierre de Coubertin va explorer, par tâtonnements successifs, une autre voie capable de faire aboutir son projet de pacification sociale : celle de l'internationalisme sportif. C'est en novembre 1892 qu'il lance devant ses amis de l'USFSA, qui ne l'écoutent guère, son projet de rétablissement des Jeux olympiques. Désormais, le chevalier sportif cheminera avec l'athlète de l'agonistique grecque.
V. Les élites du néo-olympisme : Entre pacifisme patriotique et prouesse libérale
23 À l'instar des sociétés sportives scolaires destinées à produire les élites de la moderne République, les Jeux olympiques sont conçus par Pierre de Coubertin comme la matrice sportive des futures élites occidentales. Ce n'est donc pas seulement la référence aux tournois de la chevalerie médiévale que Pierre de Coubertin va instrumentaliser, mais la référence aux « Jeux olympiques » de la Grèce classique. Une fois de plus, il donne une nouvelle jeunesse à un vocable ancien, avec pour avantage essentiel de neutraliser le projet de réforme sportive en croisant tradition éducative classique et modernité sportive. Il est clair dans son esprit qu'il ne s'agit pas de rétablir les jeux à l'antique. Il faut au contraire promouvoir les sports modernes, ceux pratiqués par les anglo-saxons : l'athlétisme, le rugby et le lawn-tennis, le rowing et la vélocipédie. L'habileté de Coubertin a été d'utiliser un concept emprunté à l'antiquité, ce qui lui a permis de jouer à la fois du philhellénisme des élites occidentales sans être victime des différents nationalismes sportifs. Au-delà des rivalités nationales, tous pouvaient en effet se reconnaître dans un tel projet issu d'un passé commun à la civilisation occidentale. La référence à l'antiquité grecque est, de plus, productrice de consensus dans la mesure où le philhellénisme, ranimé par la reconstitution politique de la Grèce en 1831 et par les fouilles grecques menées à Olympie par l'archéologue allemand Ernst Curtius (1852-1871), est très largement diffusé au sein des élites occidentales.
24 La réinvention des JO à l'initiative de Pierre de Courbertin correspond en effet à un air du temps olympique. Déjà, sous le Directoire, se déroulaient à Paris des « courses olympiques ». Puis, de nouvelles initiatives ont vu le jour en France, en Grèce, et en Grande-Bretagne, chacune avec son enjeu propre : « promenades olympiques » pour les élèves du petit séminaire du Rondeau près de Grenoble (1832-1906), « Jeux olympiques » entre les citoyens de Much Wenlock dans le nord de l'Angleterre à compter de 1850, rassemblement nationaliste des sportifs de la diaspora hellène à Athènes (sept manifestations entre 1859 et 1893)... Rien là cependant qui, de près ou de loin, ressemble aux projets futurs de Pierre de Coubertin. Il s'agissait alors d'initiatives locales, que les historiens, grecs, allemands et anglais ne se sont d'ailleurs pas privés d'exploiter pour minimiser le rôle du baron français dans la réinvention des jeux. De façon décisive et singulière, Pierre de Coubertin refuse toute forme de « revival », c'est-à-dire de reproduction à l'identique des concours anciens. Surtout, il attribue à ces rencontres de la modernité sportive entre jeunes gens du monde occidental une ambition pacifiste, sans pour autant renier la légitimité des fiertés patriotiques.
25 Pierre de Coubertin est désormais convaincu que des « forces profondes », nées de la modernité industrielle, concurrencent les diplomaties des États, et qu'une action internationale est possible mue par l'initiative privée. Ainsi, le sport n'aurait pas seulement vocation à résoudre la question sociale mais la question internationale. Pour Pierre de Coubertin, les rencontres sportives des jeunesses du monde sont un moment de trêve durant lequel les jeunes gens, appelés un jour à prendre les commandes des États, doivent apprendre à se respecter mutuellement. Ce « mutual respect » d'origine anglo-saxonne et protestante, Pierre de Coubertin le préfère de loin à la tolérance qu'il juge condescendante. À vrai dire, il récupère une idée déjà émise en 1892 par deux membres du Bureau international permanent de la Paix, Hodgson Pratt et Frédéric Passy, qui proposaient d'organiser des rencontres athlétiques et pacifiques entre étudiants étrangers [37]. En plus du « droit cosmopolitique » qui régirait les rapports entre les États, dont rêvait déjà en 1795 Emmanuel Kant dans son Projet de paix perpétuelle, les pères des Congrès de la paix, avant le jeune Pierre de Coubertin, ont imaginé des rencontres culturelles et aussi athlétiques entre étudiants du monde occidental qui développeraient une culture partagée des droits de l'homme et de l'idéal pacifiste libéral. Une forme d'éducation à la paix [38]. Sa conversion au liberal pacifism et aux principes d'arbitrage entre nations ne date que du Congrès parisien de la Paix de 1889 et de la mission officielle d'études dans les universités américaines qui a suivi [39]. Son projet de Jeux olympiques énoncé en novembre 1892 ne prend véritablement sens que réinscrit entre la naissance de la Croix-Rouge à Genève en 1863 et les testaments Nobel de 1895, c'est-à-dire au c ur de la première vague de création d'organisations non-gouvernementales pacifistes. Il conviendrait également de rapprocher les Jeux olympiques rénovés d'autres entreprises pédagogiques d'échelle transnationale comme la Young Men Christian Association (YMCA) et la chevalerie scoute vantée par Baden Powell en 1908 dans Scouting for boys. Tous ces internationalismes et transnationalismes, qu'ils soient inventés et portés par des médecins ou des savants, par des militaires ou par des pédagogues, ont en commun de promouvoir une citoyenneté universelle et de se définir comme politiquement neutres [40]. Tous sont nés d'un choc infligé par les nouvelles formes de la guerre industrielle : bataille de Solférino, invention de la dynamite, guerre des Boers, et traumatisme de Sedan dans le cas de Pierre de Coubertin.
26 Reste le débat engagé avec Charles Maurras qui écrit rageusement dans La Gazette de France du 20 juin 1894 : « Les Jeux olympiques modernisés seront internationaux. Voilà la sottise patente. Internationaux, vous m'entendez bien. Cela veut dire anglais, en bonne langue française. Tout internationalisme, tout cosmopolitisme déguise presque à coup sûr de l'anglomanie. Qu'est-ce donc, je vous prie, que la vie cosmopolite si ce n'est la vie anglaise ? [...] Monsieur Pierre de Coubertin avait, en vérité, une belle carrière à courir. J'espérais qu'il y entrerait. Il lui aurait suffi d'aller un peu contre ce snobisme moderne dont il a mieux aimé se faire l'allié ». Un tel débat, les deux hommes le poursuivront tout au long de la première olympiade qui se déroule à la Pâque 1896 dans la capitale hellène [41]. L'enthousiasme du peuple grec pour le pâtre Spiridon Louïs, vainqueur dans l'épreuve du marathon, ainsi que le patriotisme bon enfant et bruyant des yankees auront rassuré Charles Maurras qui craignait une dilution des nations dans le cosmopolitisme sportif. Les élites internationales dont rêve Pierre de Coubertin ne sauraient être « cosmopolites », au sens d'apatrides. Bien au contraire, les olympiades devraient favoriser la naissance d'élites d'un nouveau genre, à la fois patriotes et internationalistes. Plus encore, en « spectacularisant » et en esthétisant la confrontation euphémisée de ces champions-modèles venus de toute la planète, il s'agirait de pacifier les peuples déjà nationalisées par les États et massifiés par les échanges.
27 Mais, Pierre de Coubertin va devoir tenir compte au même moment d'une mutation majeure du sport français : sa popularisation. Un phénomène qui n'est pas seulement réductible à un processus spontané et volontaire d'imitation des pratiques élitaires comme le prouvent la reconquête catholique de la jeunesse par le biais des clubs de patronage (sport pourpre), le paternalisme sportif des entrepreneurs et des patrons (sport jaune), et le militantisme gymnastique et athlétique des socialistes français (sport rouge). De fait, le sport des sportsmen n'est plus le sport des sportifs, d'autant que cette irruption de nouveaux pratiquants s'accompagne du développement du professionnalisme sportif. En maintenant au plus loin possible la réglementation élitaire de l'amateurisme, les dirigeants de la neutre et laïque USFSA auront laissé le champ libre aux promoteurs des trois sports pourpre, jaune et rouge, qui visent au contrôle social des nouvelles jeunesses pratiquantes. Mais l'engouement sportif est surtout favorisé par la hausse du niveau de vie, l'abaissement de la durée de travail, le moindre coût du matériel sportif, sans oublier l'essor du sport-spectacle et le développement d'une presse spécialisée.
28 Dès les lendemains des Jeux olympiques de Paris 1900, Pierre de Coubertin va tenter de relever le défi de la popularisation du sport. Non qu'il considère comme légitime le désir populaire de sport, mais plutôt parce qu'il veut freiner la progression dans le pays de la gauche extrême, dont témoignent la poussée syndicaliste révolutionnaire et les victoires électorales consécutives à l'affaire Dreyfus [42]. Et son ardeur moralisatrice redoublera après guerre du fait de la victoire des bolchéviks en Russie. Son nouveau défi : non pas adouber sportivement de jeunes bourgeois, mais conduire les fils du peuple vers le « gymnase antique rénové », c'est-à-dire les élever virilement et culturellement.
VI. Le sport des élites à l'épreuve de la vague démocratique et de la guerre
29 À compter de 1902, Pierre de Coubertin ne va cesser d'infléchir ses positions sportives élitaires jusqu'à accepter, au final, le principe du « sport pour tous ». Mais une telle concession démocratique ne lui aura pas demandé moins d'une décennie d'inflexions doctrinales. Toutefois, s'il abaisse sa garde devant le flot démocratique, il n'abandonne pas pour autant tout idéal de patronage.
30 Pour les lycéens de plus de 14 ans qui ne seraient pas déjà sportifs, mais également pour les rejetons des classes inférieures dorénavant scolarisés dans le primaire supérieur ou dans les écoles techniques, il invente une culture physique, intermédiaire entre les jeux populaires et le sport, qu'il dénomme « gymnastique utilitaire » [43]. Il s'agit de transformer ces nouveaux jeunes, physiquement faibles ou bien soupçonnés d'être moins policés, sinon en sportifs, du moins en « débrouillards », capables de s'adapter à la modernité fin de siècle, à « ces changements de lieu, de métier, de situation, d'habitudes et d'idées que rend nécessaire la féconde instabilité des sociétés modernes ». Au programme de cette « nouvelle formule d'éducation physique » qu'il lance en 1902 dans les locaux de la Société de géographie : sauvetage (courir, sauter, grimper, lancer, nager), défense (boxes anglaise et française, fleuret et épée, canne et sabre, lutte, tir), locomotion animale (marche et hippisme) et mécanique (bicyclette, bateau, automobile, patinage), travaux manuels, hygiène. Un peu influent Comité de gymnastique utilitaire est même créé en 1903 à des fins de lobbying, puis, en 1906, une « Société des sports populaires », rapidement moribonde, qui propose aux fils du peuple, dans le hors-temps scolaire, non pas le sport libéral des Anglais, mais « le bref apprentissage » de chacun des exercices de la « gymnastique utilitaire ». C'est que Pierre de Coubertin n'imagine pas encore que le peuple puisse accéder au sport pratiqué par l'élite. Le « sport populaire » coubertinien n'est pas le sport, mais un ersatz de sport, soit des combinaisons de gestes athlétiques dont la fonction essentielle est de développer « la mémoire des muscles » et d'améliorer les performances corporelles à l'heure de la seconde industrialisation française. Peut-être l'utilitarisme gymnastico-sportif vise-t-il également à mieux préparer les conscrits à l'éventualité du combat et à fournir l'armée en sous-officiers plus athlétiques. Il est vrai que des voix s'élèvent alors en Angleterre pour dénoncer l'impéritie des officiers passés par les terrains de rugby des public schools et des colleges, notamment celle de Rudyard Kipling qui intente un procès d'impuissance virile à la formation sportive [44]. Pierre de Coubertin ne pouvait rester indifférent face au risque d'une reprise de ces accusations d'inefficacité de ce côté-ci de la Manche. La gymnastique utilitaire et le sport dit « populaire » s'intercalent donc entre l'alphabet gymnastique des écoles primaires et le sport que nous dirons « libéral », réservé aux plus virils des lycéens, pour achever l'encadrement athlétique des jeunesses françaises.
31 Avec l'année 1910, Pierre de Coubertin se résout à franchir le pas du « sport pour tous ». Dans la revue de l'Union des Sociétés de Gymnastique de France (USGF), il déclare que « les jeunes qui n'ont rien » ne peuvent plus rester « les déshérités du sport » : « l'heure a sonné pour vous aussi de goûter la joie musculaire » [45]. Encore faut-il qu'un certain nombre de conditions soient réunies pour que les fils du peuple puissent accéder aux vrais sports. Aussi Pierre de Coubertin réclame-t-il le rétablissement du « gymnase antique », seul capable de favoriser un « sage éclectisme » intellectuel et corporel. La « recette de la puissance française » résiderait désormais dans une gymnastique devenue attrayante, la pratique de tous les sports (notamment militaires), l'hydrothérapie permise par les bains-douches devenus bon marché, sans oublier un programme culturel comportant conférences, représentations dramatiques et chant choral. Un tel patronage sportif de la jeunesse populaire n'aurait d'autre but que de favoriser « le progrès constant, la discipline et la bonne camaraderie » [46]. Entre-temps, Pierre de Coubertin aura recyclé son idée du « débrouillard » dans une version française, neutre et laïque, du boy-scoutisme : son éphémère « Ligue d'éducation nationale » de décembre 1911 aura pour avatar les « Éclaireurs de France » [47].
32 Le temps de la guerre venu, il tente de reprendre le contrôle du sport lycéen en mettant en place, avec la bénédiction lointaine du gouvernement de Bordeaux, un Comité central d'Éducation physique et des Comités régionaux chargés de « créer et de distribuer un enseignement sportif approprié notamment à ceux [qui] ont échappé jusqu'ici à cette bienfaisante influence » [48]. Dans le cadre de sa mission, il entreprend en outre un tour de France des lycées et diffuse un appel aux jeunes Français intitulé « Le Décalogue de 1915 » [49]. Ce « relevé des « devoirs qui s'imposent à la jeunesse française » a vocation à « organiser le lendemain de la Victoire », c'est-à-dire à assurer « le triomphe de la civilisation française » (loi I). Pour préparer la « bienfaisante invasion du commerce, de l'industrie, de la science, des lettres, de l'art français », il convient de transformer le jeune Français en un être « plus sain, plus digne, plus moral ». Devaient y concourir certes le développement des facultés physiques (lois II à VII), mais également l'apprentissage de l'histoire de France et des autres peuples envisagée comme le reflet d'une « saine émulation internationale » (loi VIII), l'intégration du patriotisme comme valeur supérieure (loi IX), la promotion de l'initiative individuelle stimulée par le jeu des concurrences (loi X). Pacificateurs et patriotiques, tout entier parcourus par la référence darwinienne du struggleforlife, ces dix commandements des jeunes sportifs croisés de la patrie illustrent le combat que doit livrer la culture française, à la fois cocardière et universaliste, contre la prétendue barbarie des Germains. Ne trouvant aucune solution à l'indépendantisme des fédérations sportives françaises et à la « folie des méthodes », ne bénéficiant pas non plus d'un soutien suffisant de la part du gouvernement français ou des recteurs, c'est vers la neutre République helvétique que Pierre de Coubertin dirige ses pas à compter de la fin 1915 [50]. Non seulement il transfère en catimini le siège du Comité international olympique à Lausanne, mais encore il obtient de la municipalité lémanique qu'elle institue un « gymnase moderne ». Baptisé Institut, il est affecté dans un premier temps à l'entretien athlétique et culturel des prisonniers de guerre. Mais, le projet originel consistait à créer « des foyers de vie municipale basés sur la coopération de l'art, de la culture intellectuelle, de l'hygiène générale et de l'activité musculaire et groupant autour de ce programme tous les citoyens d'une commune, adultes aussi bien qu'adolescents », autrement dit de populariser le sport et de répandre la culture afin de construire la paix sociale à l'échelon municipal [51]. Si la France ignore alors jusqu'à son nom, il est des compatriotes qui lui sont reconnaissants d'avoir redonné vigueur à la jeunesse hexagonale. Ainsi, le baron et académicien des sciences morales et politiques Ernest Seillière le décore dans un ouvrage promotionnel du titre d'« artisan d'énergie française » [52]. L'allusion ne renvoie pas seulement au célèbre ouvrage de l'ancien ministre des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux, mais à l'enquête d'Agathon sur « les jeunes gens d'aujourd'hui ». Nés peu après 1890, ces derniers représentent aux yeux des nationalistes proches de l'Action française la jeunesse idéale, « le type nouveau de la jeune élite intellectuelle » qui justement se méfie des « Intellectuels », et clame haut et fort son goût de l'action, sa foi patriotique, son plaisir des sports [53]. Une élite rebronzée que Pierre de Coubertin peinait encore à imaginer en 1888, mais une élite probablement trop maurrassienne à son goût car faiblement internationaliste.
33 Après-guerre, il s'essaye à greffer son projet de « sport pour tous » sur le mouvement olympique et sportif ainsi que sur la Société des Nations. À l'occasion des Jeux d'Anvers 1920, il lance un appel auprès des fédérations et des sociétés sportives pour qu'elles ouvrent « des cours gratuits ou presque gratuits de tous les sports pour la jeunesse prolétarienne » [54]. S'il pressent que les politiques publiques du sport concurrenceront bientôt les initiatives privées, il continue à accorder sa confiance toute libérale aux institutions sportives, clubs et fédérations. Il reprend là sa thématique initiale du sport pacificateur social, mais il l'adapte cette fois au nouveau contexte socio-politique : « l'heure de la revanche du prolétariat a sonné (...) qui submerge une élite qui n'a pas toujours su rester digne de ses privilèges ». Au sport qui possède « une puissance d'apaisement immense », il attribue la faculté de « servir d'amortisseur aux poussées sociales trop brutales ». Au cours des années 1920, il tentera même un rapprochement avec le Bureau international du travail et son directeur, le socialiste français Albert Thomas, que préoccupe la question des loisirs ouvriers. On le situera alors dans le camp des idéologues continentaux du loisir rationnel et éducatif, et non du côté des pragmatiques du play movement apparu aux États-Unis en 1907 qui considèrent le temps libre « comme un temps gagné, [...] comme la voie d'un certain bonheur » [55].
VII. Une troisième voie élitaire ?
34 Alors qu'il avait rêvé dans les années 1880-1890 d'athlètes complets et d'un sport lycéen producteur d'élites dirigeantes, Pierre de Coubertin en arrive à la veille de la Grande Guerre à faire la promotion du « sport pour tous » et à prendre la défense des athlètes spécialisés, même si sa préférence va au sportif complet, au pentathlonien. Dans la Revue olympique de juillet 1913, il propose sa très sociologique formule de « pyramide sportive » largement répandue depuis : « pour que cent se livrent à la culture physique, il faut que cinquante fassent du sport ; pour que cinquante fassent du sport, il faut que vingt se spécialisent ; pour que vingt se spécialisent, il faut que cinq soient capables de prouesses étonnantes » [56]. Reprenant la distinction chère à Vilfredo Pareto entre prééminence et excellence, nous serions alors tentés de distinguer chez Pierre de Coubertin deux acceptions successives de l'élite sportive : les sportsmen qu'il voulait produire vers 1886-1892 dans les écoles libérales fonderaient leur prééminence sociale sur une éthique de l'affrontement empruntée à la culture aristocratique de la chevalerie alto-médiévale, tandis que l'élite des vainqueurs des compétitions sportives et olympiques, issus en nombre grandissant du petit peuple des pratiquants, se distinguerait démocratiquement par son « excellence sportive ».
35 Nous inspirant de la thèse d'Arno Mayer d'une « persistance de l'Ancien Régime » jusqu'à la Grande Guerre, nous pourrions voir également en Pierre de Coubertin un représentant de ces « vieilles élites qui excellaient à récupérer, à adapter et à assimiler les idées et les techniques nouvelles sans bouleverser leur situation, leur vision du monde et leur tempéraments traditionnels », un de ces « nobles post-féodaux » qui seraient parvenus à « perpétuer leur domination... grâce à leur capacité d'adaptation et de renouvellement » [57]. Un inventeur de tradition au sens où l'entend Éric Hobsbawm, à savoir « un ensemble de pratiques, ordinairement gouvernées par des règles évidentes pour tous ou acceptées tacitement car d'une nature symbolique ou rituelle, qui visent à inculquer des valeurs et des normes de comportement par des actes répétés, et qui, inconsciemment, installent une continuité forte avec le passé » [58]. Il y a bien chez Pierre de Coubertin un optimisme nostalgique et fécond qui le conduit à élaborer des projets chimériques retrempés dans les eaux des temps anciens et projetés dans l'océan des masses. Bien sûr aussi, son élitisme sportif et olympique fut mis en branle par ces peurs encore récemment recensées par l'historien américain Robert Paxton dans le long paragraphe qu'il consacre aux « racines intellectuelles, culturelles et affectives » des mouvements fascistes : peur d'un effondrement de la communauté du fait des influences corrosives de l'individualisme, peur de la décadence, peur des ennemis extérieurs et intérieurs [59]. Il reste que Pierre de Coubertin a accepté l'évolution libérale, même si sa conception de la démocratie n'est pas totalement dégagée d'un puissant désir de patronage. Plus encore, il a milité pour la paix internationale et n'a jamais souhaité la guerre qu'il n'a pas vu venir. Pierre de Coubertin voisinerait-il plutôt avec Thomas Carlyle qui se demandait avec inquiétude quelle force pourrait discipliner « les masses, pleines de bière et d'absurdités » et qui proposait l'instauration d'une dictature du bien-être militarisée, administrée non pas par les élites en place, mais par une autre, nouvelle, composée de capitaines d'industrie altruistes et autres héros naturels [60] ? Cette « force » serait alors le sport, ces « héros naturels » ou « altruistes », les sportsmen.
36 Au final, grâce au succès posthume des Jeux olympiques, Pierre de Coubertin sera parvenu à inoculer sa conception chevaleresque et vertueuse du sport à la planète sportive des pratiquants et des dirigeants, et au-delà de ce premier cercle de fidèles, à la société globale des non-sportifs. En lieu et place de l'hérédité et de la propriété, aux côtés du savoir, Pierre de Coubertin aura imaginé un nouveau principe de définition des élites, tout autant tocquevillien que darwinien : la prouesse sportive, génératrice de vertus. Sa conception élitaire du sport, du côté du labeur gratuit plutôt que de l'otium mondain et de la recreatio populaire, ambivalente et plastique, permettra tous les réinvestissements, totalitaires comme progressistes. Une revanche culturelle aristocratique déguisée en idéologie de troisième voie. L'espoir et le rêve d'une acculturation populaire de l'éthique chevaleresque, la régénération perpétuelle des élites, le match viril et courtois plutôt que l'abominable lutte des classes. Entre la fin des notables et l'avènement des nouvelles couches, à côté des intellectuels [61] et parfois contre eux, des hommes d'action élevés par le sport.
Notes
-
[1]
Patrick Clastres est agrégé d'histoire, chercheur au Centre d'histoire de Sciences-po.
-
[2]
Pour un bilan critique de l'historiographie des Jeux olympiques rénovés, et une analyse des façons nationales d'écrire cette histoire, se reporter à Christina Koulouri, « Rewriting the history of the Olympic Games », in Christina Koulouri (ed.), Athens, Olympic city, 1896-1906, Athens, International Olympic Academy, 2004, p. 13-53. La synthèse de Yves-Pierre Boulongne reste toujours utile : « Les présidences de Demetrius Vikelas (1894-1896) et de Pierre de Coubertin (1896-1925) », in Raymond Gafner (dir.). 1894-1994. Un siècle du Comité international olympique. L'Idée, les Présidents, l'œuvre. Lausanne, C.I.O., 1994, vol. 1, p. 13-204.
-
[3]
Norbert Müller (avec la collaboration d'Otto Schantz), Bibliographie des œuvres de Pierre de Coubertin, Lausanne, Comité International Pierre de Coubertin, 1991. Sont recensés 30 livres, 54 brochures, 72 tracts et 1 281 articles, pour un total désormais estimé à 15 000 pages imprimées. En guise d'anthologie, Norbert Müller (dir.), Pierre de Coubertin. Textes choisis. Zürich-Hildesheim-New York, éd. Weidmann, 3 tomes, 1986.
-
[4]
Christophe Charle, Les élites de la République, 1880-1900, Fayard, 1987, plus particulièrement le paragraphe « les loisirs et les goûts », p. 399- 405. Voir également Marc Fumaroli, Gabriel de Broglie, Jean-Pierre Chaline, Élites et sociabilité en France, Perrin, 2003.
-
[5]
En guise d'exception, on ne manquera pas de signaler les travaux de l'anthropologue et historien Georges Vigarello qui arpente la destinée du corps moderne, qu'il soit redressé, lavé, soigné, violé, sportivisé, et embelli. En tout dernier lieu une Histoire de la beauté. Le corps et l'art d'embellir de la Renaissance à nos jours, Seuil, 2004, et la magistrale co-direction avec Alain Corbin et Jean-Jacques Courtine des trois volumes de l'Histoire du corps, Seuil, 2005.
-
[6]
Léon Poliakov, Le mythe aryen. Essai sur les sources du racisme et des nationalismes, éd. Calmann-Lévy, 1971, éd. révisée Complexe, 1987, 1994, p. 294.
-
[7]
Bernard Kalaora et Antoine Savoye, Les Inventeurs oubliés. Le Play et ses continuateurs aux origines des sciences sociales, Seyssel, éd. Champ Vallon, 1989.
-
[8]
Jean-Marie Brohm, Sociologie politique du sport, éditions universitaires, 1976, nouv. éd., Presses universitaires de Nancy, 1992. Du même auteur, « Pierre de Coubertin et l'avènement du sport bourgeois » in Pierre Arnaud (dir.), Les athlètes de la République, éd. Privat, 1986, p. 283-300 et « Les idées réactionnaires du baron Pierre de Coubertin », Le mythe olympique, éd. Christian Bourgois, 1981, chapitre III.
-
[9]
Ginette Berthaud, Jean-Marie Brohm et alii, « Sport, culture et répression », Partisans, no43, juillet-septembre 1968, rééd. Maspéro, 1972, 1976.
-
[10]
Yves-Pierre Boulongne, La vie et l'œuvre pédagogique de Pierre de Coubertin, 1863-1937, Université de Caen, 1974, Ottawa, éd. Léméac, 1975.
-
[11]
John J. MacAloon, This Great Symbol. Pierre de Coubertin and The Origins of the Modern Olympic Games, The University of Chicago Press, Chicago and London, 1981.
-
[12]
Stephan Wassong, Pierre de Coubertin's American Studies and Their Importance for the Analysis of His Early Educational Campaign, Université du sport de Cologne, 2000, Würzburg, éd. Ergon Verlag, 2002, traduction anglaise de l'auteur, 2004.
-
[13]
Eugen Weber, « Pierre de Coubertin and the Introduction of Organized Sport in France », Journal of Contemporary History, vol. 5, no 2, 1970 et « Gymnastics and Sport in Fin-de-siècle France : opium of the Classes ? », American Historical Review, vol. 76, février 1971.
-
[14]
Jean-Pierre Rioux, « Les idées fixes de monsieur de Coubertin », L'Histoire, no 24, juin 1980, p. 17-19.
-
[15]
Françoise Mayeur, Histoire générale de l'enseignement et de l'éducation en France. De la Révolution à l'École républicaine (1789-1930), tome III, Nouvelle Librairie de France, 1981, éd. Perrin, 2004, p. 661.
-
[16]
Christophe Prochasson, « De la culture des foules à la culture des masses », in André Burguière et Jacques Revel, Histoire de la France. Choix culturels et mémoire, vol. dirigé par André Burguière, Seuil, 1993, 2000, p. 220.
-
[17]
Jean-Pierre Rioux, in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire culturelle de la France. Le temps des masses : le vingtième siècle, éd. du Seuil, 1998, tome 4, p. 89. Du même auteur, le chapitre intitulé « La chaise longue de Pierre de Coubertin » dans Au bonheur la France. Des Impressionnistes à de Gaulle, éd. Perrin, 2004.
-
[18]
François Caron, La France des patriotes, Fayard, 1985, Le Livre de poche, 1996, p. 357.
-
[19]
Georges Vigarello, « Les faux Jeux olympiques de 1900. L'origine du sport entre deux cultures », Du jeu ancien au show sportif. La naissance d'un mythe, Troisième partie, chapitre 1, éd. du Seuil, 2002, p. 109.
-
[20]
Pierre de Coubertin, Une Campagne de vingt et un ans (1887-1908), éd. Librairie de l'éducation physique, 1909.
-
[21]
François Dosse, La marche des idées. Histoire des intellectuels, histoire intellectuelle, éd. La Découverte, 2003.
-
[22]
Pierre de Coubertin, « L'éducation athlétique. Conférence faite le 26 janvier 1889 à l'Association Française pour l'Avancement des Sciences », AFAS, compte rendu de la 18e session, Paris, Masson, p. 15-25, tirage à part, Paris, imp. Chaix, 1889, 23 pages.
-
[23]
L'USFSA est la matrice des fédérations uni-sport actuelles, notamment de la Fédération française d'athlétisme. Elle réunit depuis 1887/1892 les premiers clubs de sport de la capitale, dont le Racing Club (1882) et le Stade français (1883), ainsi que les clubs scolaires.
-
[24]
Pierre de Coubertin, « La France coloniale », L'Évolution française sous la IIIe République, éd. Plon-Nourrit, 1896, chapitre VII, p. 163-200. À la suite de son professeur à l'École libre Paul Leroy-Beaulieu, il considère que la politique d'expansion coloniale entreprise par Jules Ferry et ses successeurs poursuit heureusement « l' œuvre des rois ».
-
[25]
Pierre de Coubertin, « L'Urgente Réforme », La Nouvelle Revue, 1er avril 1899, p. 385-401.
-
[26]
Pierre de Coubertin, « Rapport du Secrétaire général de l'USFSA », La Revue Athlétique, 1re année, 25 juillet 1890, p. 387-393. Ce texte est reproduit ci-dessous p. 385 à 390.
-
[27]
Georges Vigarello, « Le corps travaillé. Gymnastes et sportifs au xixe siècle », in Alain Corbin (dir.), Histoire du corps. De la révolution à la Grande Guerre, éd. du Seuil, 2005, vol. 2, p. 373.
-
[28]
En tant que pratique et institution, le sport contribuerait au processus de « civilization » en favorisant ce que le sociologue anglais dénomme la « libération contrôlée des émotions » (controlled decontrolling of emotions). Cf. Norbert Élias et Éric Dunning, Quest for Excitement. Sport and Leisure in the Civilizing Process, Basil Blackwell Ltd, 1986, tr. fr., Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Fayard, 1994, avec un avant-propos de Roger Chartier.
-
[29]
Les « autorités sociales » se reconnaissent, selon Frédéric Le Play, « au respect unanime de ceux qui sont soumis à leur influence ». Cf. Bernard Kalaora et Antoine Savoye, op. cit., p. 98.
-
[30]
Sur les Unions de la paix sociale, Antoine Savoye et Bernard Kalaora, op. cit., p. 111-114.
-
[31]
Mémoires d'un éclaireur, inédit, Archives de Monsieur Geoffroy de Navacelle.
-
[32]
Patrick Clastres, « Pierre de Coubertin et L'Éducation en Angleterre (1888). De la monographie des public schools à la réforme des lycées français », Les Études sociales, 1er semestre 2001, no 133, p. 47-68.
-
[33]
Jean El Gammal, « Un pré-ralliement : Raoul Duval et la droite républicaine, 1885-1887 », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1982, p. 599-621.
-
[34]
Pour une analyse pédagogique autant que politique des débats scolaires jusqu'à la Grande Guerre, se reporter à Daniel Denis et Pierre Kahn, L'école républicaine et la question des savoirs. Enquête au c ur du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, éd. du CNRS, avec une préface de Pierre Nora, 2003.
-
[35]
D'après le titre de l'ouvrage qu'il consacre au premier quart de siècle d'existence de la IIIe République, par lequel il veut démontrer que la République des progressistes n'a pas d'autre ambition que de servir la France éternelle : Pierre de Coubertin, L'Évolution française sous la IIIe République, éd. Plon-Nourrit, 1896.
-
[36]
Patrick Clastres, « Pensée sportive, pensée politique. Pierre de Coubertin et l'invention de la neutralité politique du sport », contribution à « Méthodes en histoire de la pensée politique », Colloque de l'Association Française de Science Politique, organisé par Lucien Jaume, 23-24 septembre 2004, à paraître en 2005 dans European Journal of Political Theory.
-
[37]
Verdiana Grossi, Le Pacifisme européen (1889-1914), Bruxelles, Bruylant, 1994.
-
[38]
Maurice Vaïsse, « Les idées de paix au début du xxe siècle », La Paix au xxe siècle, éd. Belin, 2004, chapitre 2, p. 17-31.
-
[39]
Concernant les liens de Pierre de Coubertin avec les animateurs des Congrès de la Paix, voir Dietrich R. Quanz, « Civic Pacifism and Sports-Based Internationalism Framework for the Founding of the International Olympic Committee », Olympika. The international Journal of Olympic studies, 1993, vol. II, p. 1-23. Également, Patrick Clastres, « La refondation des Jeux olympiques au Congrès de Paris (1894) : initiative privée, transnationalisme sportif, diplomatie des États », Relations internationales, no 111, automne 2002, p. 327-345.
-
[40]
John Hoberman, « Toward a theory of olympic internationalism », Journal of Sport History, 22/1, spring 1995, p. 5, dont l'interprétation, que nous suivons, est aussi reprise par Christina Koulouri, « Rewriting the history of the Olympic Games », op. cit., p. 35-36.
-
[41]
Charles Maurras, « Lettres des Jeux olympiques (publiées par La Gazette de France du 15 au 22 avril 1896), éd. Flammarion, 2004, avec une présentation de Axel Tisserand.
-
[42]
Présence du socialiste Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau de juin 1898, socialistes absents du cabinet Combes mais actifs dans la majorité du Bloc (1901-1905), montée des voix socialistes lors des législatives de 1906 et de 1910.
-
[43]
Pierre de Coubertin, « Une nouvelle formule d'éducation physique », Revue mensuelle du Touring Club de France, 20 mars 1902, p. 146-151. Elle sera amplement développée dans L'Éducation des Adolescents au xxe siècle. I : L'Éducation physique : La gymnastique utilitaire. Sauvetage-Défense-Locomotion. Paris, Alcan, 1905.
-
[44]
Le célèbre auteur du Livre de la jungle n'a-t-il pas, dans le Times du 2 janvier 1902, attribué les difficultés de la guerre des Boers aux élites sportives des public schools qu'il traite de « crétins souillés de boue » et d'« idiots en flanelle ». Cité par Daniel Denis, « Le sport et le scoutisme, ruses de l'Histoire », in Nicolas Bancel et alii (dir.), De l'Indochine à l'Algérie. La jeunesse en mouvements des deux côtés du miroir colonial, 1940-1962, éd. La Découverte, 2003, p. 198-199.
-
[45]
Pierre de Coubertin, « La croisade des partageux », L'Éducation physique, 1910, no 5.
-
[46]
Pierre de Coubertin, « Vers le gymnase antique. Discours de remise de la Coupe olympique », Le Gymnaste, 23 novembre 1912 et Revue olympique, décembre 1912.
-
[47]
Pierre de Coubertin est contacté semble-t-il par un officier de renseignements le capitaine Royet pour copier le système anglais des « scouts » (i.e. éclaireurs). Cf. capitaine Royet, Les Éclaireurs de France et le rôle social du scoutisme français, Paris, Bibliothèque Larousse, 1913, aux origines d'un « scoutisme à la française » : la « Ligue d'éducation nationale », née en décembre 1911, ne connaîtra que quelques mois d'existence. Les autres scoutismes se développent en France surtout après la Grande Guerre.
-
[48]
Pierre de Coubertin, « De quelques détails et précisions nécessaires », Excelsior, 6e année, 11 janvier 1915.
-
[49]
D'abord publié le 4 janvier 1915 dans le journal Excelsior, puis le 25 janvier dans le journal suisse Le Gymnaste Vaudois, ce décalogue est diffusé sous la forme d'une affiche dans les lycées de métropole, et semble-t-il du Maroc. On en trouvera une reproduction dans Boulongne Yves-Pierre. La vie et l' œuvre pédagogique de Pierre de Coubertin (1863-1937), Ottawa, éd. Léméac, 1975, p. 454.
-
[50]
Afin de protéger l'olympisme du choc des nationalismes, Pierre de Coubertin décide, d'une part, d'installer le siège de l'olympisme à Lausanne par contrat avec la municipalité en date du 10 avril 1915, d'autre part, de confier les fonctions de président du comité international olympique par intérim au baron suisse Godefroy de Blonay.
-
[51]
Sous le nom d'Institut Olympique de Lausanne, Pierre de Coubertin a tenté de rétablir « le gymnase antique » municipal. Lancée en avril 1915, cette initiative prit la forme de trois sessions en mars-juillet 1917, janvier-avril 1918, et automne 1918-printemps 1919. Du fait de la conjoncture internationale et du soutien incertain des édiles lausannois, Pierre de Coubertin modifie en urgence son projet et réserve la première session à des internés militaires français et belges qui viendront se former comme moniteurs d'exercice physique ou « simplement goûter à de sains loisirs ». Sur toutes ces questions, voir l'excellente mise au point de Christian Gilliéron. Les relations de Lausanne et du mouvement olympique à l'époque de Pierre de Coubertin (1894-1939), Lausanne, éd. du C.I.O., 1993, et tout particulièrement le chapitre « L'Institut Olympique de Lausanne ».
-
[52]
Ernest Seillière, Un artisan d'énergie française. Pierre de Coubertin, éd. Henri Didier, 1917.
-
[53]
Henri Massis et Alfred de Tarde (Agathon), Les jeunes gens d'aujourd'hui, 1913, éd. Imprimerie nationale, 1995, avec une présentation de Jean-Jacques Becker.
-
[54]
Pierre de Coubertin, Le sport est roi, brochure spéciale, Anvers, 1920.
-
[55]
Alain Corbin, « Industrie du divertissement et morale du plaisir », L'Avènement des loisirs, 1850-1960, Aubier, 1995, Flammarion, 2001, p. 10-13.
-
[56]
Pierre de Coubertin, « Une campagne contre l'athlète spécialisé », Revue olympique, juillet 1913.
-
[57]
Arno Mayer, La Persistance de l'Ancien Régime. L'Europe de 1848 à la Grande Guerre, 1981, Flammarion, 1983, 1990, p. 16-20.
-
[58]
Éric Hobsbawm, Terence Ranger (eds), The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 1, notre traduction.
-
[59]
Robert Paxton, « Racines intellectuelles, culturelles et affectives », Le fascisme en action, éd. du Seuil, 2004, p. 60-77.
-
[60]
Robert Paxton, ibidem.
-
[61]
Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'affaire Dreyfus à nos jours, A. Colin, 1992.