Notes
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[1]
David Lévystone est titulaire d'un DEA d'histoire de la philosophie.
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[2]
Philostrate, Vies des sophistes, I, 16 = Critias, 88A1 DK (DK = Die Fragmente der Vorsokratiker von H. Diels, hrsg. von W. Kranz, Berlin, 61952). Sauf indication contraire, les traductions françaises des fragments de Critias sont celles de J.-L. Poirier dans Les Présocratiques, édition établie par J.-P. Dumont avec la collaboration de D. Delattre et de J.-L. Poirier, Paris, 1988 (Bibliothèque de la Pléiade, 345).
-
[3]
Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XXXV, 4 ; Eschine, Sur la fausse ambassade, II, 77, Contre Ctésiphon, III, 235 ; Diogène Laërce, VII, 5.
-
[4]
Xénophon, Helléniques, II, 3, 14 ; Isocrate, Aréopagitique, VII, 6 ; Aristote, Constitution d'Athènes, XXXVII, 2.
-
[5]
Son influence s'étend alors sur la plupart des îles de la mer Égée, sur les côtes d'Asie Mineure et jusque dans certaines cités d'Italie du Sud et de Sicile. Dans Thucydide, Périclès met en avant les ressources financières et militaires d'Athènes (I, 141-144 ; II, 13), sa maîtrise des mers (I, 142, 3-8 ; II, 62, 2) et l'étendue de l'empire (II, 64, 3). Les adversaires d'Athènes, les Spartiates, sont conscients de l'avantage athénien (I, 80-81). Les textes de Thucydide sont cités dans la traduction de J. de Romilly et al., Paris, 1953-1975 (Collection des Universités de France).
-
[6]
En politique extérieure Thucydide, I, 69, 3 et I, 75, 3 ; I, 97 et 118 ; III, 10, 4 ; III, 11, 2-3 ; comparer II, 63, 2 (Périclès) et III, 37, 2 (Cléon) ; ainsi que les crises de Mytilène (III, 25-51) et de Mélos (V, 116, 4) où les Athéniens « mirent à mort tous les Méliens qu'ils prirent en âge de porter les armes » , comme en politique intérieure (après la mort de Périclès, les grands démagogues s'emparent du pouvoir), la situation évolue considérablement : démocratie et impérialisme se radicalisent, en se renforçant l'un l'autre, menant à une politique de plus en plus cynique et cruelle qui se justifie par des arguments de la sophistique. Voir l'étude de « l'idéologie de la puissance » par E. Lévy, Athènes devant la défaite de 404 : histoire d'une crise idéologique, Paris, Athènes, 1976, p. 144 : « On est passé dans un cas d'une puissance rayonnante qui assurait la gloire future d'Athènes à un empire brutal qui ne se soucie que de conquêtes, et, dans l'autre, d'une autorité fondée sur le mérite et le prestige à une tyrannie sanglante ». Notons que dans son analyse, le régime des Trente n'est pas en rupture avec l'idéologie de la puissance mais en est la prolongation et, pourrait-on dire, l'aboutissement.
-
[7]
La mutilation des Hermès sacrés (piliers de pierre surmontés d'une tête d'Hermès ou parfois d'un autre dieu, et pourvus d'un phallus en leur milieu, censés protéger la cité du mal) provoqua une grave instabilité à Athènes. L'affaire entraîna une folie de « primes à la délation » et de jugements sommaires, la cité, « croyant à un complot visant à faire une révolution et à renverser la démocratie », « rapportait tout à une conjuration oligarchique ou tyrannique ». Elle eut aussi pour conséquence le rappel d'Alcibiade qui dirigeait alors l'expédition de Sicile et n'y était probablement pour rien afin d'être jugé. Cf. Thucydide, VI, 27-29 ; VI, 53 et VI, 60-61.
-
[8]
Sur cette crise, voir notamment Thucydide, VIII, 66-76. Notons que Thucydide qui prend rarement parti est favorable au gouvernement des Cinq Mille (VIII, 97) qui est, selon lui, une sage combinaison de démocratie et d'oligarchie « un gouvernement tout à fait bon ».
-
[9]
On ne peut avoir de date précise car c'est à ce moment que s'arrête le récit de Thucydide.
-
[10]
Cf. Xénophon, Helléniques, II, 3, 16-17, où Critias affirme face à Théramène : « Mais si, parce que nous sommes trente et non un seul, tu vois là une raison qui doit nous empêcher d'user de ce pouvoir comme d'une tyrannie, tu es bien naïf ». Pour ce dernier, « si on ne prenait pas des gens en nombre suffisant pour participer aux affaires, le régime oligarchique ne pourrait se maintenir ». C'est en raison de cette divergence que Théramène sera exécuté par Critias (Xénophon, Helléniques, II, 3, 15 = Critias, 88A10 DK et Xénophon, Helléniques, II, 3, 34). Cet oligarque modéré estimait que les gens avec lesquels il faut gouverner sont « ceux qui sont capables de servir l'État, soit avec leur cheval, soit avec leur bouclier » (Xénophon, Helléniques, II, 3, 48).
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[11]
Aristote, Politique, V, 9, 1310a8-10. Je traduis.
-
[12]
Scholie à Eschine, I, 39 = Critias, 88A13 DK. Je traduis. Pour Poirier, il faudrait comprendre : « Ci-gisent des héros qui pour un bref moment / Tinrent les malheureux Athéniens sous le joug ». Mais il paraît assez évident, d'après le début de la phrase, que kataraton prend ici le sens de « maudit », et non de « malheureux ».
-
[13]
Un peu plus de trois mille cent mots en grec (une douzaine de feuillets dans la traduction française).
-
[14]
L. Canfora, La démocratie comme violence, traduit de l'italien par D. Fourgous, Paris, 1989.
-
[15]
À partir des textes de ses disciples (Platon, Xénophon, Antisthène) et de ses adversaires (Polycrate d'après Libanios) mais aussi selon Aristophane, en 414 (le texte ne peut donc viser ni Platon ni Xénophon) : « Tous les hommes souffraient de lacomanie, étaient chevelus, affamés, crasseux, faisaient les Socrate et portaient des bâtons » (Aristophane, Les Oiseaux, 1281-1282).
-
[16]
Il n'y a, à ma connaissance, qu'une seule exception avérée : Chéréphon, qui partit en exil avec les démocrates en 404 et revint avec Thrasybule, leader de l'opposition aux Trente. K. Popper, The Open Society and its Enemies, vol. I : The Spell of Plato, London, 1999 (11945), quant à lui, oppose un Socrate « bon démocrate », à un Platon « totalitaire ». Son argument central est qu'Antisthène, dont il fait (p. 92, 152 et 276) étrangement un démocrate convaincu, fut le seul disciple fidèle de Socrate ! Or Antisthène a manifestement été un détracteur de la démocratie athénienne. L'autre position extrême sur Socrate est représentée par l'ouvrage d'A.D. Winspear et T. Silverberg, Who was Socrates ?, New York, 1939, qui présente le philosophe comme un conspirateur à l'origine du coup d'État des Trente. La vérité est certainement entre ces deux positions.
-
[17]
Il est en tout cas probable que Platon et Xénophon connaissaient ce pamphlet : ils appartenaient tous deux aux cercles d'intellectuels aristrocratiques dans lesquels le texte devait circuler.
-
[18]
J'entends par là les thèses générales qui se dégagent de la comparaison des textes de Platon (particulièrement ceux de la première période), des ouvrages de Xénophon et des fragments des « petits socratiques ». Je ne désire pas ouvrir ici le débat sur ce qui appartient proprement à Socrate ou non, même si je suis, pour ma part, persuadé de la possibilité de reconstituer, au moins en partie, cette pensée par une étude comparée des différents disciples. Pour Antisthène, on donnera les références dans l'édition de G. Giannantoni, Socratis et Socraticorum reliquiae, Napoli, 1990 (cité dans la suite SSR), vol. II, p. 137-225. Pour Xénophon, je retraduis à partir de E.C. Marchant (ed.), Xenophon in seven volumes, IV : Memorabilia and Oeconomicus, Cambridge, Mass., 1923. Enfin, on adoptera généralement, pour Platon, la traduction L. Robin, Platon, œuvres Complètes, vol. I et II, Paris, 1950 (Bibliothèque de la Pléiade).
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[19]
Et la recherche des inspirations de l'auteur. L'œuvre majeure reste le commentaire de H. Frisch, The Constitution of the Athenians. À philological-historical analysis of Pseudo-Xenofon's treatise De re publica Atheniensium, København, 1942 (Classica et Mediaevalia. Dissertationes, 2).
-
[20]
Littéraires, c'est-à-dire non épigraphiques.
-
[21]
Selon les passages invoqués, le texte se situe dans une fourchette allant généralement de 450 à 413. Par exemple : G.W. Bowersock, Pseudo-Xenophon. Constitution of the Athenians (= Xenophon in seven volumes, VII. Scripta Minora), Cambridge, Mass., 1968 (Loeb Classical Library), p. 465 : vers 440 av. J.-C. ; G.E.M. De Ste Croix, The class struggle in the Ancient Greek World : from Archaic Age to the Arab conquests, Ithaca, London, 1981, p. 307-310 : après 431 av. J.-C., peut-être 424 ; B. Hemmerdinger, « L'Émigré (Pseudo-Xénophon), ATHENAION POLITEIA », Revue des études grecques, 88, 1975, p. 71-80 : 426-424 av. J.-C. ; W. Forrest, « The date of the Pseudo-Xenophontic Athenaion Politeia », Klio, 52, 1970, p. 107-116 : 425-424 av. J.-C. ; A.W. Gomme, « The Old Oligarch », Harvard Studies in Classical Philology, Suppl. 1, 1940, p. 245 = More essays in Greek History and Literature, 1962, p. 68 : 420-415 av. J.-C. ; C. Leduc, La Constitution d'Athènes attribuée à Xénophon, Paris, 1976, p. 198-199 : 421-418 av. J.-C. On notera, parmi les études les plus récentes, la position originale de S. Hornblower, « The Old Oligarch (Pseudo-Xenophon's Athenaion Politeia) and Thucydides. À Fourth-Century Date for the Old Oligarch », in P. Flensted-Jensen, T.H. Nielsen, L. Rubinstein (éds.), Polis and Politics : Studies in Ancient Greek History presented to Mogens Herman Hansen on his sixtieth Birthday, Copenhague, 2000, p. 363-384. Il ne s'agit le plus souvent que de suppositions sans fondement certain : Gomme montre parfaitement que chaque passage appelé par les différents commentateurs peut être utilisé aussi bien pour que contre l'hypothèse que ceux-là mêmes défendent. En réalité, bien des philologues, à trop considérer le détail du texte pour y trouver quelques informations historiques, ont perdu de vue que le Pseudo-Xénophon n'est pas, disons, Thucydide : l'histoire n'est pas son objet et la vérité n'est pas sa fin. Il s'agit d'un pamphlet politique : l'oligarque affirme des généralités historiques le plus souvent vraies ou proches de la vérité , pas des impossibilités logiques. Sur les silences et mensonges évidents du Pseudo-Xénophon, voir Gomme, op. cit., et C. Leduc, op. cit.
-
[22]
Il est d'ailleurs étonnant que, si le texte date bien des premières années de la guerre, le Pseudo-Xénophon ne fasse aucune allusion à la peste qui est une des plus grandes crises qu'ait connues Athènes.
-
[23]
II, 14. Ce thème est présent chez Platon, par exemple, comme on le verra. Plus généralement, cf. G. Mathieu, « Survivances des luttes politiques du ve siècle chez les orateurs attiques du ive siècle », Revue de philologie, de littérature et d'histoire ancienne, 42, 1914, p. 182-205.
-
[24]
Pour avoir dit beaucoup moins, et de façon allusive, Aristophane fut l'objet d'une attaque par le plus grand démagogue qui ait succédé à Périclès : Cléon.
-
[25]
Cf. Diogène Laërce, II, 57 : « Une Constitution des Athéniens et des Lacédémoniens, dont Démétrios de Magnésie dit qu'elle n'est pas de Xénophon ». Il s'agit en réalité de deux ouvrages distincts, le second étant véritablement de Xénophon.
-
[26]
Déjà au xixe siècle. Sur l'argumentation utilisée, voir, par exemple, M. Gigante, La Costituzione degli Ateniesi. Studi sullo Pseudo-Senofonte, Napoli, 1953, p. 82. Le style du texte ne concorde pas avec celui de Xénophon. De plus, la datation généralement acceptée ne permet pas qu'il en soit l'auteur. On notera l'exception, chez les commentateurs les plus récents, de M.J. Fontana, L'Athenaion politeia del v secolo A.C., Palermo, 1968, pour qui il s'agit d'une œuvre de l'extrême jeunesse de Xénophon (410-406 av. J. C.), ce qui lui permet d'expliquer les imperfections de l'écriture et les divergences de style avec les ouvrages plus tardifs du même auteur. Sur l'écriture du Pseudo-Xénophon, voir les études de J.A. Caballero López : « Aproximaciones al estudio lingüístico de la República de los Atenienses », Revista latinoamericana de Filosofía 8, 1982, p. 277-281 ; « Una cuestión de crítica textual : [X.] Ath. II, 7 », Revista latinoamericana de Filosofía 11, 1985, p. 1-6 ; « La República de los Atenienses del Viejo Oligarca como'ensayo' », Actas del IX Congreso Español de Estudios Clásicos. Lingüística Griega, Madrid, 1998, p. 87-93 ; La lengua y el estilo de la República de los Atenienses del pseudo-Jenofonte, Amsterdam, 1997.
-
[27]
I, 12 et II, 12.
-
[28]
II, 20. Cf. infra n. 81.
-
[29]
Frisch, op. cit., p. 103, le compare même à un Russe blanc qui, en 1930, à Paris, aurait essayé de faire comprendre la puissance du bolchévisme. Certains, mais ils sont peu nombreux, ont, au contraire, supposé que l'auteur est en réalité un « démocrate camouflé ».
-
[30]
Les anglo-saxons l'ont surnommé Old Oligarch. Personne ne semble savoir d'où provient ce nom et quelle en est l'origine (G.W. Bowersock, op. cit., p. 463 n. 1). W.K.C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, vol. III, Part I, The Sophists, Cambridge, 1969, explique, de façon amusante, que ce surnom proviendrait du style de l'auteur : lent et répétitif, comme un vieillard qui « radote ».
-
[31]
Le général mentionné par Thucydide en II, 70, 1 et II, 79, 1.
-
[32]
Frisch, op. cit., p. 113.
-
[33]
Cf. notamment L. Stecchini, The Constitution of the Athenians by the Old Oligarch and by Aristotle. À new interpretation, Glencoe, 1950. Pour ce commentateur, la Constitution des Athéniens est plus une attaque contre Périclès que contre la démocratie. Cette thèse est vigoureusement critiquée par Gigante, op. cit., p. 80.
-
[34]
W. Nestle, « Zum Rätsel der Ath. Pol., Ein Versuch », Hermes, 78, 1943, cité par J. de Romilly, « Le Pseudo-Xénophon et Thucydide, étude sur quelques divergences de vue », Revue de philologie, 36, 1962, p. 225-241.
-
[35]
G. Norwood, « The earliest prose work of Athens », Classical Journal of Philology, 25, 1929-1930, p. 372-392. Voir aussi A. Fuks, « The Old Oligarch », Scripta Hierosolymitana, 1, 1954, p. 21-35 et The Athenaion Politeia ascribed to Xenophon and its historical background, Jerusalem, 1942.
-
[36]
Op. cit.
-
[37]
88A1 DK.
-
[38]
Ibid.
-
[39]
Par ailleurs, Philostrate parle de dialogue, ce qui pourrait fort bien être la forme originelle du texte.
-
[40]
88B31 DK.
-
[41]
88B30 DK.
-
[42]
« Non bastano gli "atimoi" per abbattere la democrazia », Quaderni di Storia, 22, 1985, p. 5-8. Cette datation assez basse est peu communément acceptée mais paraît mieux adaptée au contexte historique : la violence du pamphlet correspond plus à la fin de la guerre qu'à la période suivant immédiatement la mort de Périclès (sur l'évolution des mentalités athéniennes, cf. E. Lévy, op. cit.). L'allusion aux aristoi qui acceptent le régime démocratique (II, 19-20) peut fort bien viser Alcibiade : celui-ci fut, au moins vers 411-410 av. J.-C., un ami personnel de Critias. En 407 av. J.-C., il revint en triomphateur à Athènes, et, au lieu de profiter du pouvoir absolu qui lui était offert (Xénophon, Helléniques, I, 4, 19-20 ; Plutarque, Alcibiade, XXXIII-XXXV ; Diodore, XIII, 68), il respecta les institutions démocratiques et servit le peuple plutôt qu'il ne l'écrasa. Cf. J. de Romilly, Alcibiade, Paris, 1995, et J. Hatzfeld, Alcibiade, Paris, 1946.
-
[43]
A. Boeckh, Staatshaushaltung der Athener, I, Berlin, 1850, cité par L. Canfora, « Non bastano... », p. 8 n. 1.
-
[44]
III, 6.
-
[45]
Cf. l'introduction de Bowersock, op. cit., p. 463. Plus récemment : J. Ober, Political Dissent in Democratic Athens : intellectual critics of popular rule, Princeton, 1998, chapitre 1.
-
[46]
Rhétorique, II, 15 = Critias, frgt. 88B46 DK.
-
[47]
Le régime des Quatre Cents et, surtout, celui des Cinq Mille (en 411) en sont de bons exemples. La participation de Critias aux Quatre Cents, attestée par Démosthène (Contre Théocrinès, 58, 67), est peu probable. H. C. Avery (« Critias and the four hundred », Classical Philology, 58, 1967, p. 165-167) va jusqu'à affirmer qu'il faut considérer que Critias fut un démocrate « plus ou moins mécontent selon que les conditions changeaient ». Il est vrai qu'il est bien placé dans le régime qui suit celui des Quatre Cents, et est à l'origine, à cette époque, du retour d'Alcibiade dont on sait qu'il était l'ami et l'admirateur (88B4 et 5 DK). Mais, malgré tout, Platon le fait apparaître, dès son jeune âge, comme un anti-démocrate décidé.
-
[48]
II, 1 ; voir l'analyse de Fuks, « The Old Oligarch », art. cit. (supra n. 34). Chronologiquement, on pourrait aussi penser qu'il s'agit d'une remarque postérieure à l'échec de l'oligarchie des Quatre Cents et de la constitution des Cinq Mille qui la suivit.
-
[49]
Les liens historiques entre Socrate et Critias sont bien attestés. En dépit de ses crimes, Critias est présenté par Platon (dans le Timée et dans le Critias) comme un membre intime du cercle socratique. Platon est étonnamment complaisant avec Critias, qui était le cousin de son père. Sur le fait de savoir si le personnage de Platon, notamment dans le Timée, est le tyran ou son grand-père, voir Thomas G. Rosenmeyer, « The family of Critias », American Journal of Philology, 70, 1949, p. 404-410, qui résume les différents arguments et tranche pour l'oligarque. Plus généralement : L. Brisson, « Critias », in R. Goulet (éd.), Dictionnaire des philosophes antiques, t. II, Paris, 1994, p. 512-520. Xénophon, au contraire, marque son mépris pour le personnage. Dans les Mémorables (I, 2, 12), il essaye, tant bien que mal, de défendre la mémoire de Socrate en minimisant son influence sur le futur tyran. Socrate lui-même serait entré en conflit avec Critias, sous le régime des Trente. (Platon, Apologie de Socrate, 32b ; Xénophon, Helléniques, I, 7, 5 ; Mémorables, I, 1, 18 ; IV, 4, 2 ; Diogène Laërce, II, 24). Dans les fragments des « petits » socratiques, on ne trouve aucune mention de Critias. Mais, dans l'Antiquité, il semble avoir été couramment considéré comme un disciple de Socrate, et son nom apparaît aux côtés de ceux de Platon, d'Antisthène et de Xénophon (SSR, IC 110, ID 2, VA 49).
-
[50]
Xenophon in seven volumes, VII, Scripta Minora by E.C. Marchant ; Pseudo-Xenophon, Constitution of the Athenians by G.W. Bowersock, Cambridge, Mass., 1968. Le texte est le même que celui donné dans G.W. Bowersock, « Pseudo-Xenophon », Harvard Studies in Classical Philology, 71, 1966, p. 47-55.
-
[51]
L'hypothèse du dialogue avait été formulée au xixe siècle par C.G. Cobet (Novae lectiones, quibus continentur observationes criticae in scriptores graecos, Leiden, 1858), reprise par W. Forrest (« An Athenian generation gap », Yale Classical Studies, 24, 1975, p. 37-52, cit. p. 44), avant d'être mise en forme par L. Canfora, La démocratie... (voir aussi « Ipotesi sull'Athenaion Politeia Anonima », Quaderni di Storia, 5, 1979, p. 315-318), dont le travail fut conforté par l'analyse de M.G. Bonanno (« Nota sull'Athenaion Politeia Anonima », Quaderni di Storia, 8, 1982, p. 277-281). L. Canfora modifie, en partie, l'ordre et la construction du texte des éditions courantes (celle de G.W. Bowersock notamment), et ne suit pas toujours la numérotation habituelle. Mais le texte est suffisamment court pour y retrouver facilement les idées ici développées. Sauf précision, c'est la traduction de Canfora qui est utilisée et les références données sont celles de l'édition Bowersock. On se reportera aussi avec intérêt aux éditions et traductions suivantes : P. Chambry, Xénophon. œuvres complètes, II, Paris, 1933 ; C. Leduc, op. cit., p. 15-24 ; E. Belot, La République d'Athènes. Lettre sur le gouvernement des Athéniens adressée en 378 par Xénophon au roi de Sparte Agésilas, Paris, 1880 ; M. Gigante, op. cit., p. 8-26 ; M.F. Galiano, Pseudo-Jenofonte. La Republica de los Atenienses, 1951 ; G. Serra, La costituzione degli Ateniesi dello Pseudo-Senofonte, testo e traduzione, Roma, 1979 (= Bollettino dell'Istituto di Filologia Greca, Suppl. 4) ; Frisch, op. cit., p. 12-37. On consultera enfin à titre documentaire la traduction de César-Henri de la Luzerne (1793) reproduite ci-dessous p. 139 à 166.
-
[52]
Op. cit., p. 106-129.
-
[53]
« Zeit und Zweck der Pseudoxenophontischen "Athenaion politeia" », Classical Philology, 45, 1950, cité par J. de Romilly, « Le Pseudo-Xénophon et Thucydide », art. cit., p. 225 n. 5.
-
[54]
Par exemple, I, 8-9.
-
[55]
E. Kalinka, Die Pseudoxenophontische Athenaiôn Politeia, Einleitung, ??bersetzung, Erklärung, Leipzig, Berlin, 1913, p. 45-59, cité par C. Leduc, op. cit., p. 52. Cette hypothèse est, en partie, reprise par S. Hornblower, art. cit., p. 377.
-
[56]
I, 5.
-
[57]
I, 1.
-
[58]
I, 5.
-
[59]
Op. cit., p. 120 sqq.
-
[60]
À deux reprises : I, 2 et II, 19. Trois fois si on refuse la correction, généralement admise, en I, 2 de politai en hoplitai. E. Will, « Un nouvel essai d'interprétation de l'Athenaion Politeia pseudoxénophontique », Revue des études grecques, 91, 1978, p. 77-95, fait cependant remarquer, à juste titre, que, étant donné la brièveté du texte, ce faible nombre d'occurences n'est pas significatif en soi.
-
[61]
Au contraire, « selon l'idéal d'isonomie, il n'y a, à l'intérieur du corps politique, si réduit soit-il, ni "bons", ni "méchants", il n'y a que des égaux » (P. Vidal-Naquet et P. Lévêque, Clisthène l'Athénien, Paris, 1964, p. 31).
-
[62]
I, 2 ; I, 6 ; I, 9 ; II, 19 ; II, 20. Sur l'histoire de ce terme : W. Donlan, « Changes and Shifts in the Meaning of Demos in the Literature of the Archaic Period », La Parola del Passato, 135, 1970, p. 381-395.
-
[63]
II, 10.
-
[64]
I, 2.
-
[65]
Ibid.
-
[66]
I, 3.
-
[67]
I, 6.
-
[68]
I, 2.
-
[69]
II, 1.
-
[70]
I, 13.
-
[71]
Il ne s'agit pas ici de relancer la polémique qui a opposé E. Will, art. cit., à C. Leduc sur l'utilisation du concept de classe. On renverra à l'article par lequel C. Leduc a fort justement répondu aux critiques de Will : « En marge de l'Athenaion Politeia attribuée à Xénophon », Quaderni di Storia, 7, 1980, p. 281-334. Cette querelle est d'ailleurs de peu d'intérêt. Ce n'est pas, en effet, pour le plaquer mécaniquement sur la réalité historique de la société athénienne qu'on utilise le concept de classe mais bien à propos de la façon dont le Pseudo-Xénophon lui-même la comprend et l'analyse, c'est-à-dire comment il perçoit (peut-être, déforme) et exprime les antagonismes sociaux dont personne ne niera l'existence.
-
[72]
II, 10.
-
[73]
II, 14.
-
[74]
K. Marx, « Formen, die der kapitalistischen Produktion vorhergehen », Grundrisse der Kritik der politischen ??konomie, Berlin, 1953, cité par J.-P. Vernant, « La lutte des classes », dans J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Travail et esclavage en Grèce ancienne, 1988 (1985), p. 68. Cf. aussi L'idéologie allemande, in K. Marx, œuvres, III, Philosophie, édition établie, présentée et annotée par M. Rubel, Paris, 1982 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 1086.
-
[75]
Selon J.-P. Vernant, op. cit., p. 71, on peut relever trois grands changements de la structure de la polis à la fin du ve siècle : a. perte de valeur de la propriété foncière : dévastation des terres de l'Attique par les Spartiates ; accès à la propriété de non-citoyens alors qu'elle était auparavant réservée aux membres du corps civique ; apparition d'un commerce développé ; b. disparition de la fonction de citoyen-soldat : développement de la marine et surtout apparition de mercenaires et de stratèges professionels ; c. apparition d'un demos urbain au mode de vie, aux activités professionnelles, aux mentalités contrastant avec les anciennes traditions des ruraux.
-
[76]
Op. cit., p. 71-72.
-
[77]
Les deux grands chefs du parti démocrate après la mort de Périclès.
-
[78]
La qualité d'hoplite était soumise à un système censitaire celui-ci devait payer son équipement , alors que n'importe qui pouvait être marin. Selon l'idéal aristocratique défendu par le Pseudo-Xénophon, il ne peut donc s'agir que du propriétaire terrien, et non des « nouveaux riches », commerçants ou artisans, de la fin du ve siècle. D'un point de vue historique, voir, à cet égard, P. Vidal-Naquet, « La tradition de l'hoplite athénien », in J.-P. Vernant (éd.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, Paris-La Haye, 1968, p. 161-181 : les hoplites sont inscrits sur le lexiarchikon grammateion qui, comme son nom l'indique, n'est ouvert qu'« à ceux qui commandent une lexis, c'est-à-dire un bien patrimonial, un kleros » (p. 164). Voir cependant la rétractation de P. Vidal-Naquet dans la réédition du même article, Le Chasseur noir. Formes de pensée et formes de société dans le monde grec, Paris, 1983 (p. 125-149), p. 129, n. 18. Plus récemment, sur l'évolution du statut d'hoplite : M.R. Christ, « Conscription of Hoplites in Classical Athens », Classical Quarterly, 51, 2001, p. 398-422.
-
[79]
I, 2.
-
[80]
Le lien entre force au combat et autorité politique est constant depuis Homère. Chez le poète (Iliade, XXIV, 728-730), les aristees, en général, sont explicitement définis comme « défenseurs de leur ville ». De même, plus tardivement, sont « citoyens » ceux qui combattent pour la cité : à Sparte, les hoplites, à Athènes, les marins.
-
[81]
II, 19. C'est le second personnage qui fait une objection au premier. Je traduis ici d'après le texte de Bowersock.
-
[82]
Le verbe oikein peut ici avoir deux significations : son sens classique de « demeurer » (Bowersock : « to live ») alors tous les aristoi qui vivent à Athènes sont visés ou celui plus précis de « gérer les affaires », « participer » (Canfora : « faire de la politique ») alors sont visés ceux qui coopèrent volontairement avec le demos comme cela est manifeste dans l'Oraison Funèbre de Périclès (Thucydide, II, 37, 1). Sur ce sens, cf. aussi Thucydide, III, 37, 3 ; VI, 82, 3 et VIII, 67, 1.
-
[83]
I, 6-8.
-
[84]
I, 7.
-
[85]
I, 3.
-
[86]
Xénophon, Mémorables, I, 2, 9. L'accusateur en question est probablement Polycrate.
-
[87]
Diogène Laërce, VI, 8 = SSR VA 72. Voir aussi Diogène Laërce, VI, 6 = SSR VA 73 : « C'est idiot, disait-il : on enlève l'ivraie du bon grain, on écarte du combat les bras inutiles, mais on ne sait même pas écarter les mécréants de la chose publique ».
-
[88]
Platon, Apologie de Socrate, 24e-25c.
-
[89]
Platon, Lachès, 184c-e.
-
[90]
Platon, Criton, 47a-48b.
-
[91]
Platon, Protagoras, 319a-328d : le mythe de Prométhée. Cf. aussi Ménon, 92d-94e et Alcibiade, 110d-111d, contre cette même thèse qui affirme que « tout le monde » est un bon maître.
-
[92]
Platon, Apologie de Socrate, 31e-32a ; Criton, 48c : la foule qui « met à mort sans réfléchir et désire faire revivre par la suite » et 49c-d. La foule est aussi facilement manipulable. C'est pourquoi, chez Platon, le blâme de la démocratie va de pair avec les attaques contre les démagogues et la rhétorique : face à « une assemblée d'enfants », comme l'est l'Assemblée du Peuple, mieux vaut être cuisinier que médecin, c'est-à-dire servir au malade des mets qui flattent son palais plutôt que des remèdes désagréables à avaler (Gorgias, 521e-522a).
-
[93]
G. Romeyer Dherbey, « Socrate et la politique », in id., La parole archaïque, Paris, 1999, p. 59-80.
-
[94]
I, 2.
-
[95]
Notons qu'une des conséquences possibles de ce principe, c'est que ceux qui savent doivent diriger la cité pour le bien de tous sans l'accord des gouvernés, puisque ces derniers sont ignorants de ce qui est véritablement bon. Cf. n. 209.
-
[96]
Entretiens, I, 28.
-
[97]
Je reprends ici le titre de l'ouvrage de L. Canfora, op. cit.
-
[98]
Xénophon, Banquet, IV, 29-33 (trad. F. Ollier, Paris, 1961 [CUF]).
-
[99]
Aristote, Politique, IV, 1291b17-29.
-
[100]
Par exemple, Thucydide, VI, 39, 1.
-
[101]
I, 14.
-
[102]
Platon, République, VIII, 557a.
-
[103]
Cité par Andocide, Sur les Mystères, 97-98 (trad. G. Dalmeyda, Paris, 1930, [CUF]).
-
[104]
Par exemple, Aristote, Politique, IV, 1292a5. Le Pseudo-Xénophon n'imagine pas même l'existence d'une « bonne démocratie ». Il semble d'ailleurs que cette dernière soit une invention spécifiquement aristotélicienne (on ne la trouve pas non plus chez Platon ou Xénophon). Cf. J. de Romilly, « Le classement des constitutions d'Hérodote à Aristote », Revue des études grecques, 72, 1959, p. 81-99.
-
[105]
Selon l'analyse du Stagirite, cette forme de gouvernement en soi ne trouve d'ailleurs aucune légitimation dans le concept de majorité : le demos pourrait être une minorité (Aristote, Politique, IV, 1290a38-40).
-
[106]
I, 8 : « Naturellement, une cité où l'on vit ainsi n'est pas la cité idéale ! Pourtant, c'est bien le meilleur moyen de défendre la démocratie ».
-
[107]
Sur l'histoire générale de ce concept : A. Andrewes, « Eunomia », Classical Quarterly, 32, 1938, p. 89-102.
-
[108]
I, 8-9.
-
[109]
II, 2 ; II, 3 ; II, 4 ; II, 5 ; II, 6 ; II, 7 ; II, 11.
-
[110]
C'est-à-dire Sparte. Cf. II, 4 ; II, 5 ; II, 11 ; II, 13 ; II, 14. La réflexion sur la puissance navale s'est probablement développée à la suite de la victoire de Salamine : les premiers témoignages apparaissent dans les Perses d'Eschyle (en 472 av. J.-C., v. 728) et chez Hérodote (VII, 139). Elle devient centrale dans l'œuvre de Thucydide.
-
[111]
Sur la place de l'impérialisme dans Thucydide : J. de Romilly, Thucydide et l'impérialisme athénien, Paris, 1947. Des tableaux de comparaison apparaissent dans H. Frisch, op. cit., p. 79-85 ; M. Gigante, op.cit., p. 187-191 et C. Leduc, op. cit., p. 106. Voir aussi : J. de Romilly, « Le Pseudo-Xénophon et Thucydide », art. cit. Sur le problème de la puissance maritime, P. Ceccarelli, « Sans thalassocratie, pas de démocratie ? Le rapport entre thalassocratie et démocratie à Athènes dans la discussion du ve au ive siècle av. J.-C. », Historia, 42, 1993, p. 444-470.
-
[112]
Sur terre, Athènes est certaine de perdre. En effet, le courage et la force des hoplites spartiates sont légendaires au moins depuis la bataille des Thermopyles : en 480, Léonidas avec trois cents soldats s'opposa à l'immense armée de Xerxès ; ils tinrent plusieurs jours, avant de périr plutôt que de battre en retraite (Hérodote, VII, 198-233). L'armée spartiate paraîtra invincible, au moins jusqu'à la défaite de Leuctres contre les Thébains, en 371 av. J.-C.
-
[113]
Thucydide, I, 143, 5.
-
[114]
Ibid. II, 62, 3.
-
[115]
Plus généralement, au ve siècle, la discussion porte toujours sur les aspects stratégiques, et parfois économiques, de la puissance maritime, « jamais sur ses conséquences morales ou politiques » (P. Ceccarelli, art. cit., p. 444). L'analyse de la puissance navale par le Pseudo-Xénophon est donc particulièrement originale.
-
[116]
Thucydide fait explicitement de la flotte la condition de toute véritable puissance impériale. Ainsi, les premiers chapitres de La Guerre du Péloponnèse (l'« Archéologie ») sont tout autant une histoire de l'impérialisme qu'une histoire de la maîtrise de la mer (to tes thalasses kratos) : Minos (I, 4), Agamemnon (I, 9, 3-4), les tyrans de Corinthe (I, 12, 2-5), Polycratès de Samos (I, 13, 6), Cyrus, Darius... Il ne s'agit pas d'une particularité athénienne mais, au contraire, d'une « loi » de l'impérialisme. Cf. J. de Romilly, Thucydide et l'impérialisme athénien, op. cit.
-
[117]
I, 2.
-
[118]
II, 3.
-
[119]
I, 15. Il est évident que la puissance d'Athènes repose sur l'argent des alliés : Thucydide, I, 122, 1 (Corinthiens) ; II, 13, 2 (Périclès) ; III, 13, 5-6 (Mytiléniens) ; III, 46, 3 (Diodote) ; Aristophane, Cavaliers, 313, Guêpes, 671, Paix, 621 ; Isocrate, Panathénaïque, XII, 63 ; Paix, VIII, 82 ; Aréopagitique, VII, 2.
-
[120]
II, 16.
-
[121]
II, 14.
-
[122]
On peut faire remonter la polémique à l'époque même de la construction des Longs Murs, cf. Thucydide, I, 107, 4 : « Ils [scil. les Lacédémoniens] tenaient compte, aussi, de l'attitude de certains Athéniens qui les appelaient en secret, dans l'espoir de mettre fin au régime démocratique et à la construction des Longs Murs ».
-
[123]
Au ve siècle, presque toutes les cités possèdent des murs d'enceinte. Seuls les Spartiates rejettent par principe les fortifications et soutiennent qu'une cité n'est véritablement fortifiée que si elle est tenue par des hommes braves (Plutarque, Lycurgue, XIX, 12 ; Plutarque, Apophthegmes laconiens, 228e) : ce sont eux, les murs, et la vertu des habitants fournit une fortification suffisante. Ibid., 210e : « On demandait à Agésilas pour quelle raison Sparte n'avait pas de murailles. Il répondit : "Ce n'est pas avec des pierres et des planches que l'on entoure une ville de remparts, mais plutôt à même les vertus de ses habitants" ». Pour eux, les cités fortifiées sont des places où se cachent les femmes (Plutarque, Apophthegmes de rois et de généraux, 190a ; Apophthegmes laconiens, 212e, 215d, 221e, 230c).
-
[124]
II, 15 (trad. Canfora). Le texte grec de l'édition Bowersock dit seulement pulas « portes des fortifications ».
-
[125]
I, 16-18. Cf. Isocrate, Panégyrique, IV, 113 ; Panathénaïque, XII, 63.
-
[126]
II, 11-12. Particulièrement le bois, qui sert à la construction des navires, et le blé. Cf. aussi II, 3.
-
[127]
Par exemple III, 3 : « avec de l'argent on fait beaucoup de choses à Athènes, et on en ferait encore davantage si on en donnait davantage ».
-
[128]
Platon, Gorgias, 515d. Cimon, Thémistocle et Militiade ne valent pas mieux : « Cette cité, la nôtre, n'a eu, à notre connaissance, aucun homme d'État qui eût de la valeur » (Platon, Gorgias, 517a). Cf. aussi Ménon, 92d-94e. Un seul homme d'État échappe à la critique de Socrate : Aristide le Juste, aristocrate conservateur (Gorgias, 526a-b). L'Alcibiade d'Eschine de Sphettos (SSR VI A 41-54, cf. SSR vol. IV, nota 56, traduction anglaise partielle dans G.C. Field, Plato and his contemporaries, London, 1930, p. 146-152) offre, sur ce thème, des analogies frappantes avec les dialogues de Platon. On apprend, également, dans les fragments d'Aspasie (SSR VI A 59-72), que pour le Socrate d'Eschine, les succès de Périclès étaient entièrement dus au savoir et à l'amour de sa femme, la philosophe Aspasie. La critique contre les hommes politiques éminents d'Athènes semble, là, avoir été moins virulente que chez Platon, mais elle va finalement dans le même sens : jamais ils n'ont possédé l'arete et ils n'ont donc pu former correctement les citoyens dont ils avaient la charge.
-
[129]
Un passage des Mémorables (II, 6, 13) montre l'ironie socratique à l'œuvre à propos des deux plus éminents représentants de la démocratie athénienne. Socrate y parle avec Critobule de la rhétorique, qu'il compare au chant des sirènes : « [Critobule :] Connais-tu d'autres sortilèges ? [Socrate :] Non, mais j'ai entendu dire que Périclès en connaissait beaucoup, et les avait jetés sur la cité, pour qu'ainsi elle l'aime. [Critobule :] Et comment Thémistocle a-t-il réussi à se faire aimer de la cité ? [Socrate :] Non pas par des sorts, non, mais en l'entourant d'une bonne amulette ». Les sorts, c'est la rhétorique et les beaux discours qui charment les foules ; l'amulette qui protège la cité, ce sont, comme le fait remarquer E.C. Marchant, op. cit. (supra n. 17), note ad loc. les fortifications et la flotte.
-
[130]
Sur l'importance de la problématique des remparts chez divers disciples de Socrate : A.J. Malherbe, « Antisthenes and Odysseus, and Paul at War », Harvard Theological Review, 76, 1983, p. 143-176 ; G. Romeyer Dherbey, « Aristote et la poliorcétique (Politique, VII, 11, 1330b32-1331a18) », dans La parole archaïque, Paris, 1999 (p. 360-374), p. 360-365. Cf. Platon, Alcibiade I, 134b ; Gorgias, 455d-e et 503c ; Xénophon, Mémorables, II, 6, 13.
-
[131]
SSR V A 107 : « Alors que les remparts d'une ville ne sauraient la protéger contre le traître qui vit en son sein, les murailles de l'âme sont inébranlables et infrangibles » ; SSR V A 134 : « La prudence est le plus sûr des remparts : il ne saurait ni s'écrouler ni être livré par trahison. Il faut édifier des remparts avec nos raisonnements inexpugnables ».
-
[132]
En effet, ni la richesse, ni la puissance militaire que donne la flotte, n'apportent la vertu et le bonheur : « Ce n'est donc pas de murs ni de chantiers navals que les cités ont besoin, Alcibiade, si elles veulent être heureuses, ni d'une nombreuse population ni d'un vaste territoire, quand c'est la vertu qui fait défaut » (Platon, Alcibiade I, 134b). On note à quel point la critique d'Athènes est liée à l'admiration de Sparte : murs, flotte, population nombreuse, vaste territoire, c'est le portrait inversé de la cité lacédémonienne.
-
[133]
Plutarque, Lysandre, XIV, 9-10 (trad. A.-M. Ozanam, Plutarque. Vies parallèles, Paris, 2001 [Quarto]).
-
[134]
Cf. Platon, Lois, 706c sqq. ; Plutarque, Thémistocle, IV, 4-5 : « De ces hoplites solides au poste, il [scil. Thémistocle] fit, comme dit Platon, des navigateurs et des marins, ce qui lui valut l'accusation suivante : "Thémistocle, disait-on, a dépouillé les citoyens de la lance et du bouclier ; il a réduit le peuple athénien au banc et à la rame". [...] Porta-t-il atteinte ou non, par ce changement, à l'intégrité et à la pureté de la cité ? Laissons aux philosophes le soin d'en décider ».
-
[135]
Xénophon, Mémorables, IV, 6, 12.
-
[136]
La convoitise, le désir de posséder plus, est la cause de tous les conflits (Platon, Lois, 678e-679e). L'argent n'est pas un bien : Xénophon, Économique, I, 13-14. Plus généralement sur le mépris de Socrate pour les choses matérielles : Diogène Laërce, II, 25. L'argent et le commerce sont considérés comme des facteurs de dégradation morale de la cité. Ils sont liés, à travers la marine, au système démocratique. Les Lois interdisent explicitement aux citoyens le commerce (VIII, 846d-847b ; X, 911d-920d). Cf. aussi Xénophon, Constitution des Lacédémoniens. La monnaie doit être un moyen d'échange sans valeur intrinsèque (Platon, République, II, 371b). On trouve aussi une critique des kapeloi, « marchands au détail », qui sera reprise par Aristote : voir, par exemple, Xénophon, Mémorables, III, 7, 6 ; Platon, République, II, 371a-c. Cf. aussi Lois, XI, 918-920. Sur la distinction de l'art en soi et du commerce auquel il peut donner lieu : Platon, République, I, 342. Pour Platon, voir A. Espinas, « L'art économique dans Platon », Revue des études grecques, 27, 1913, p. 105-129 et 236-265.
-
[137]
Par exemple, 88B6 DK.
-
[138]
Importation des langues et coutumes étrangères.
-
[139]
Et dirigent les chorégies, les gymnasiarchies, les triérarchies, car le peuple sait qu'il en est lui-même incapable.
-
[140]
I, 13.
-
[141]
Ibid.
-
[142]
II, 18. Cf. G. Mastromarco, « Teatro comico e potere politico nell'Atene del v secolo (Pseudo-Senofonte, "Costituzione degli Ateniesi", II, 18) », in U. Albini, G. Arrighetti, D. Del Corno et al. (a cura di), Storia, poesia e pensiero nel mondo antico. Studi in onore di Marcello Gigante, Napoli, 1994, p. 451-458.
-
[143]
II, 7-8. Sur le langage : Gigante, op. cit., p. 132-138, qui montre que le dialecte de Sparte passait, au contraire, pour être le plus « pur » de ceux du monde grec.
-
[144]
Thucydide, I, 18, 1.
-
[145]
On pourrait comparer à Tocqueville, De la Démocratie en Amérique : « la liberté donne, de temps en temps, à un certain nombre de citoyens de sublimes plaisirs ; l'égalité fournit chaque jour une multitude de petites jouissances à chaque homme ».
-
[146]
II, 9. Sur les difficultés de ce passage : R. Brock et M. Health, « Two passages in pseudo-Xenophon », Classical Quarterly, 45, 1995, p. 564-566 ; J.A. Caballero López, « [X.] Ath. II, 9 : hístasthai o ktâsthai », Actas del VII Congreso Español de Estudios Clásicos, 20-24 de Abril de 1987, Madrid, 1989, vol. II, p. 101-106. La politique de grands travaux, mise en œuvre par Périclès, et qui est certainement visée ici, fut immédiatement attaquée par le parti oligarchique et son leader Thucydide, fils de Mélèsias (Plutarque, Périclès, XI-XIV).
-
[147]
II, 10.
-
[148]
III, 2.
-
[149]
II, 17.
-
[150]
I, 10.
-
[151]
Platon, République, VIII, 562e-563c. Platon ajoute : « il y naît chevaux et ânes qui se sont accoutumés à cheminer avec une complète liberté et dignité, bousculant sur les rues tout passant qu'ils rencontrent, faute à lui de s'écarter de leur route ! Et c'est ainsi que, par ailleurs, en toutes choses, règne la plénitude de la liberté ». Cf. aussi 555b-562a.
-
[152]
I, 11-12.
-
[153]
I, 11. Sur ce passage particulièrement difficile : M. Gigante, « A Pseudo-Senofonte, Ath. Pol. I 11 », La Parola del Passato, 9, 1954, p. 300-302 ; J. Marr, « Making sense of the Old Oligarch », Hermathena, 160, 1996, p. 37-43 ; G. Bechtle, « A note on Pseudo-Xenophon, The Constitution of the Athenians, 1.11 », Classical Quarterly, 46, 1996, p. 564-566.
-
[154]
88B37 DK.
-
[155]
I, 2 et I, 9, par exemple. À l'origine, les termes d'isonomia et d'isokratia « pouvoir égal » ont probablement servi à définir, dans les cercles aristocratiques, un régime oligarchique où l'arche est réservée à un petit nombre, mais où elle est partagée de façon égale entre tous les membres de cette élite (par opposition au pouvoir absolu d'un seul). La démocratie tend à s'approprier le concept, mais, encore au ive siècle, Isocrate (À Nicoclès, III, 15) peut écrire : « Or, les oligarchies et les démocraties recherchent l'égalité entre tous ceux qui participent à la vie politique [...] La monarchie, au contraire... ».
-
[156]
Euripide, Suppliantes, v. 440 ; Thucydide, II, 37.
-
[157]
Euripide, Suppliantes, v. 448-450.
-
[158]
I, 13. Vingt-quatre siècles plus tard, les juristes soviétiques développeront une théorie du « droit à finalité socialiste »...
-
[159]
Platon, République, VIII, 558c. La critique du principe démocratique d'égalité arithmétique est constante chez Platon : Ménexène, 239a. Cf. aussi Lois, VI, 756e sqq. Il est à la fois ridiculisé et réfuté au nom de la justice dans les fragments d'Antisthène : SSR VA 68 = Aristote, Politique, III, 13, 1284a11-17.
-
[160]
Cf. A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, Liège, 1922. Déjà Simonide définissait le juste comme to opheilomenon, ce qui est dû à chacun (Platon, République, I, 332c). On trouve chez Solon une approche plus précise du principe d'égalité géométrique que chez Simonide. Cf. D.E. Gerber, Greek Elegiac Poetry, from the seventh to the fifth centuries BC, Cambridge, Mass., 1999 (The Loeb Classical Library, 258), Solon, frgt. 5 = Aristote, Constitution d'Athènes, XI, 2-XII, 1 et surtout frgt. 34 = Aristote, op. cit., XII, 3 ; voir J.-P. Vernant, Les origines de la pensée grecque, Paris, 2000 (1962).
-
[161]
On peut supposer que le Vieil Oligarque n'est pas familiarisé avec les théories pythagoriciennes. Mais il aurait fort bien pu mentionner la version non mathématisée, non philosophique, qu'on trouve par exemple chez Simonide : « à chacun ce qu'il mérite », et qu'il ne pouvait ignorer.
-
[162]
Platon, Gorgias, 482e.
-
[163]
C'est là ce que Socrate reproche à Calliclès (Platon, Gorgias, 508a) : « Toi, c'est à avoir davantage que l'on doit, penses-tu, travailler, et tu es indifférent à la géométrie ». Il ne lui reproche pas de ne pas être égalitariste, comme le pense K. Popper, op. cit., p. 117, mais d'être disproportionné, d'être dans la démesure, de vouloir plus que sa part selon la géométrie.
-
[164]
Platon, République, 332b. Cette interprétation est réfutée par Socrate.
-
[165]
III, 1.
-
[166]
I, 8.
-
[167]
Alcibiade dans son discours aux Spartiates, Thucydide, VI, 89, 6.
-
[168]
III, 8.
-
[169]
III, 9.
-
[170]
I, 18.
-
[171]
En 406 avant J.-C. Lorsque les généraux vainqueurs aux Arginuses furent poursuivis devant le Conseil des Cinq-Cents pour n'avoir pas recueilli les morts tombés à la mer pendant la bataille, la présidence était, au moment du procès, exercée par Socrate (Xénophon, Mémorables, I, 1, 18). Le peuple et les accusateurs voulaient poursuivre tous les généraux dans une même formule d'accusation et les faire condamner par un seul et unique arrêt. C'était une procédure contraire à la loi, car celle-ci exigeait que le jugement fût individuel, et qu'il y eût autant de verdicts qu'il y avait de prévenus. Socrate, obéissant au serment qu'il avait prêté de juger suivant les lois établies, résista seul contre tous et recueillit les suffrages suivant les règles ordinaires, ce qui n'empêcha pas, d'ailleurs, la condamnation à mort des généraux. Selon Platon, Apologie de Socrate, 32b, repris par Diogène Laërce, II, 24, il y avait dix stratèges ; selon Xénophon, Helléniques, I, 7, 15, sur les dix stratèges, huit prirent part effectivement à la bataille et six seulement revinrent à Athènes où ils furent jugés et exécutés. Cf. aussi Platon, Gorgias, 474a ; Diodore de Sicile, XIII, 101-102 ; Élien, Histoire variée, III, 17.
-
[172]
Hypéride, Contre Athénogène, 22.
-
[173]
Andocide, Sur les Mystères, 87 (trad. G. Dalmeyda, Paris, 1930 [CUF]). Cf. aussi Démosthène, Contre Timocrate, XXIV, 30 ; Contre Aristocrate, XXIII, 86-87.
-
[174]
L. Gernet, Recherches sur le développement de la pensée juridique et morale en Grèce, Paris, 2001 (11917), p. 115-116.
-
[175]
Xénophon, Helléniques, I, 7, 12. Toujours selon Gernet : « Théoriquement, le peuple ne vote que des psephismata, des "décrets" : mais ces "décrets" peuvent avoir un objet général et permanent et, en particulier, définir le droit en matière criminelle (par exemple, le décret de Cannonos, Xénophon, Helléniques, I, 7, 20) ».
-
[176]
Cette idéologie démocratique est caractérisée par le discours de Cléon (Thucydide, III, 37, 3-5) auquel Platon fait sans doute allusion en Politique, 299c.
-
[177]
Ce qui est manifeste, par exemple, dans l'idéal démocratique exprimé par Périclès dans Thucydide.
-
[178]
I, 5.
-
[179]
I, 6 ; III, 10.
-
[180]
La guerre du Péloponnèse, telle que la décrit Thucydide, en s'étendant à tout le monde grec, tend, en effet, à devenir une guerre entre oligarchies soutenues par Sparte et démocraties soutenues par Athènes.
-
[181]
Ma conclusion est radicalement différente de celles, par exemple, de Gigante, op. cit., p. 45-46, qui estime qu'il ne s'agit pas « d'un appel à la révolution mais d'une invitation à la méditation et à la résignation », ou de C. Leduc, op. cit., p. 149, pour qui « le programme politique du Pseudo-Xénophon est très modéré » ; mais elle s'accorde avec celle de Fuks, « The Old Oligarch... », p. 22 : « Il entend démontrer que la démocratie athénienne n'est pas, comme les modérés le croient, un système avec des imperfections majeures auxquelles on peut remédier mais un tout cohérent, admirablement adapté [...]. Par conséquent, il n'y a que deux possibilités, soit la démocratie telle qu'elle est, soit une révolution oligarchique. Il n'y a pas de voie médiane ». Pour Fuks, le Vieil Oligarque cherche à convaincre les oligarques modérés. La preuve en est qu'il refuse la possibilité d'une « République des hoplites », telle que la désira un Théramène, et la propagande de la patrios politeia (la constitution des ancêtres). Sur ce dernier point : A. Fuks, The ancestral constitution : Four studies in Athenian party politics at the end of the v century B.C., London, 1953.
-
[182]
Tel est bien le but des deux oligarques, I, 9 : « Si c'est le bon gouvernement que tu cherches, tu verras d'abord les plus habiles établir les lois... à la suite de ces sages mesures, le peuple ne tarderait pas à tomber dans la servitude ».
-
[183]
II, 15 : « Et ils seraient délivrés aussi d'une autre crainte, s'ils habitaient une île : jamais la cité ne pourrait être livrée par les oligarques ni les portes ouvertes et les ennemis introduits dans les murs ».
-
[184]
III, 12. Cf. L. Canfora, « Non bastano... », pour qui il s'agirait d'une référence au décret de Patrokleidès, peu après 405, qui, à la suite de la catastrophique défaite d'Aigos-Potamoi, aurait rendu leurs droits à un grand nombre d'exilés, pour rétablir l'union nationale et renforcer la cité (Andocide, Sur les Mystères, 73-75). Sur ce passage (12-13) plus généralement : H. Fränkel, « Note on the closing sections of Pseudo-Xenophon's Constitution of the Athenians », American Journal of Philology, 68, 1947, p. 309-312, et M.F. Galiano, « Ps. Xen. Ath. Resp. III 13 », Aegyptus, 32, 1952, p. 382-388.
-
[185]
J. Ober, op. cit., p. 23-27.
-
[186]
G.W. Bowersock, op. cit., p. 463 : « La phrase sur laquelle s'ouvre le traité fait penser à un extrait d'un ouvrage plus ample, et il semble ne pas y avoir de conclusion ».
-
[187]
I, 2.
-
[188]
Par exemple, Y. Nakategawa, « Athenian democracy and the concept of justice in Pseudo-Xenophon », Hermes, 123, 1995, p. 28-46.
-
[189]
Platon, République, I, 338c (trad. E. Chambry, Paris, 1932 [CUF]).
-
[190]
Ibid., I, 338e.
-
[191]
Xénophon, Mémorables, I, 2, 45.
-
[192]
Platon, République, I, 348c-d.
-
[193]
Trad. L. Robin. Mais ni « bon » ni « sagesse » n'ont ici de sens moral. Les Anglais traduisent « good policy ».
-
[194]
De même, « a noble simplicity », ce qui est plus proche du texte original : panu gennaian euetheian. Nombreux devaient être ceux qui partageaient ce constat amer : « la justice ne paie pas ». Un passage de Thucydide (III, 83, 1) fait, de manière surprenante, écho à cette pensée de Thrasymaque : « ... et la simplicité (euethes), où la noblesse (gennaion) a tant de part, disparut sous les railleries, tandis que l'affrontement d'esprits défiants passa au premier plan ». Voir aussi Aristophane, L'Assemblée des femmes, v. 767 : « Est-ce l'homme sophron sage qui fait ce que les lois disent ? Oui, plus encore que tout autre. Non, seulement un imbécile ».
-
[195]
Aristote, Politique, IV, 7, 1293b5-10.
-
[196]
Hobbes, Leviathan, I, 11 (trad. G. Mairet). Mais c'est aussi la conception athénienne dans Thucydide que Hobbes, rappelons-le, traduisit en anglais. Cf. E. Lévy, op. cit., et surtout A.G. Woodhead, Thucydide on the nature of power, Cambridge, 1970 (Martin classical lectures, 24).
-
[197]
Cf. W. Jaeger, Paideia, I : La Grèce archaïque : le génie d'Athènes, Paris, 1964, p. 32 (trad. A. et S. Devyver) : « Les Grecs ont toujours pensé qu'une force et une bravoure exceptionnelles formaient la base naturelle du droit au commandement ».
-
[198]
Quand vient le règne de Zeus, rares sont les anciennes divinités qui échappent à la colère du Cronide. Mais les quatre enfants de Styx et de Pallas gardent une place prépondérante auprès de lui (Théogonie, v. 383-388, traduction P. Brunet, Paris, 1999 [Le livre de poche] modifiée) : « L'Océanide Styx, unie à Pallas, mit au monde, dans sa demeure, Zélus (Audace) et Niké (Victoire) aux belles chevilles. Puis elle enfanta Kratos (Pouvoir) et Bia (Force), race merveilleuse. Nulle demeure, nul séjour de Zeus ne les ignore, il n'est pas de chemin où le dieu ne s'en fasse une escorte, ils siègent toujours auprès du Cronide qui tonne ». Presque seuls rescapés de la prise du pouvoir par Zeus, ils deviennent les compagnons fidèles du roi des dieux : ils « habitèrent à jamais à ses côtés ».
-
[199]
Solon, frgt. 36 Gerber, v. 15-17.
-
[200]
Thucydide, III, 36, 6.
-
[201]
Op. cit., p. 111-146.
-
[202]
Thucydide, V, 89.
-
[203]
Voir G. Serra, La forza e il valore : capitoli sulla Costituzione degli Ateniesi dello Pseudo-Senofonte = Bollettino dell'istituto di filologia greca, Suppl. 3, Roma, 1979.
-
[204]
88B25 DK. Le Sysiphe, drame perdu dont ce fragment est extrait, est aussi attribué à Euripide.
-
[205]
Platon, Gorgias, 483e-484b.
-
[206]
Sur ce thème, voir E. Lévy, op. cit., notamment p. 37-39.
-
[207]
Cf. E. Lévy, op. cit., p. 209-222 et J. de Romilly, « Vocabulaire et Propagande ou les premiers emplois du mot homonoia », Mélanges de linguistique et de philologie grecques offerts à P. Chantraine, Paris, 1972, p. 199-209.
-
[208]
Platon, Alcibiade I, 126c-127d ; République, I, 351d-352a, IV, 432a, V, 464d ; Politique, 311b-c ; Banquet, 186e et 187c. Dans le schéma de la République, Platon montre que les décadences successives des régimes adviennent à la suite d'affrontements qui accentuent les antagonismes : l'altération progressive de l'union entre les citoyens est l'aune à laquelle se mesure la dégénérescence politique. Xénophon n'a pas une pensée du développement historique comme Platon mais il loue aussi l'homonoia : Mémorables, III, 5, 16 ; IV, 4, 15-18 ; IV, 6, 14. Pour Antisthène : SSR VA 108 ; VA 125 ; voir aussi Xénophon, Banquet, II, 5. Généralement, la Sparte idéalisée de Lycurgue apparaît comme un modèle d'homonoia.
-
[209]
K. Popper, op. cit., p. 86. Voir aussi p. 21 et 37.
-
[210]
On notera cependant deux points : (1) Il faut tout d'abord relever que Platon et Xénophon n'ont pas caché leur attirance, non seulement pour la cité lacédémonienne, mais aussi pour divers régimes autoritaires. D'un point de vue pratique, dans la volonté de voir s'appliquer les solutions qu'ils ont imaginées aux problèmes de la cité, tous deux choisissent « la voie la plus courte », en favorisant le despotisme : « il n'y avait qu'un seul homme à convaincre » (Lettre VII, 328c), dit Platon pour justifier sa démarche auprès de Denys, le tyran de Syracuse, et le Hiéron comme la Cyropédie témoignent de l'espoir que met Xénophon dans le « despotisme éclairé ». Du point de vue théorique, il faut noter qu'en partant de prémisses radicalement différentes de celles du Pseudo-Xénophon, Platon aboutit à un régime tout aussi contraignant du point de vue de la liberté individuelle. « Nul ne fait le mal volontairement », il n'y a que de l'erreur ; le bien peut être déterminé rationnellement et, puisque la vertu et le bonheur sont sciences, lorsque la contrainte est exercée par celui qui sait, imposer aux autres la solution n'est pas œuvre de tyrannie, mais de libération et de justice. Cf. le problème de la « liberté positive » dans Isaiah Berlin, Éloge de la liberté, Paris, 1988. Pour le Pseudo-Xénophon, au contraire, chaque groupe agit selon son intérêt véritable et cela est juste/normal : il faut écraser son adversaire ou accepter d'être son esclave. Le refus absolu de l'existence d'intérêts divergents soutenu par l'idée qu'il n'existe qu'Une Vérité, Un Bien, que tous poursuivraient s'ils le connaissaient , comme la conscience exacerbée du conflit et l'interprétation de la totalité du réel à travers ces antagonismes, mènent tous deux au refus, à l'asservissement de l'opinion autre. (2) Certes, on connaît l'importance que Socrate donnait aux lois (Criton). Mais, à supposer un dirigeant idéal, les lois sont-elles toujours nécessaires ? La question se pose avec d'autant plus d'acuité lorsqu'on compare les thèses, plus ou moins proches sur ce point, des divers disciples de Socrate. Antisthène : SSR VA 58 = Diogène Laërce, VI, 11 et SSR VA 68 = Aristote, Politique, III, 1284a15. Xénophon : le Hiéron dans son ensemble (IX, 5, 8 par exemple) ; Mémorables, III, 2 ; Constitution des Lacédémoniens, I, 2 ; Cyropédie, VIII, 1, 22. Platon : Politique, 292d, 293c, 299c-301e. Tous ces passages impliquent la possibilité du bon régime sans la loi. La parfaite correspondance entre ces divers disciples est d'ailleurs déconcertante : le sage ou le bon dirigeant est « lui-même une loi » pour Antisthène (SSR VA 68), une « loi vivante » pour Platon (Politique, 292d) et une « loi qui voit » pour Xénophon (Cyropédie, VIII, 1, 22). Peut-être une telle thèse était-elle en germe chez Socrate, mais elle ne devait pas être développée. Pour lui, en effet, la possibilité même de l'existence du sage est douteuse : Socrate ne trouve personne digne de ce nom, et lui-même ne l'est pas.
-
[211]
Pour la liberté des Rhodiens, XV, 33. Cf. Sur les affaires de la Chersonèse, VIII, 61 ; Troisième Philippique, IX, 61.
-
[212]
Scholie à Eschine, I, 39 = Critias, 88A13 DK (cité supra).
-
[213]
C. Maurras, Mes idées politiques, Paris, 1968 (11937), p. 207.
-
[214]
III, 3.
-
[215]
Du 19 août 1941, cité par M.-O. Baruch, Servir l'État français, Paris, 1997, p. 310.
-
[216]
J.-J. Rousseau, Contrat Social, Livre III, chap. 14.
-
[217]
C. Maurras, op. cit., p. 209.
-
[218]
L'aspect nationaliste, si fortement ancré dans la tradition fasciste, est totalement absent de la Constitution des Athéniens, à part, bien sûr, dans la critique des influences étrangères sur la langue de la cité.
Introduction
Le sophiste Critias a sans doute contribué à la chute de la démocratie athénienne, mais cela ne suffit pas à en faire un criminel [...] ; seulement, du fait qu'il collabora ouvertement avec Sparte, qu'il livra les sanctuaires, qu'il fit abattre les remparts par Lysandre, qu'il supprima la possibilité de séjourner en Grèce aux citoyens qu'il bannissait d'Athènes en annonçant que Sparte ferait la guerre à quiconque donnerait refuge à un exilé athénien, du fait que, par sa cruauté et son goût du sang, il laissa les Trente loin derrière lui et qu'il collabora à l'inimaginable plan des Lacédémoniens, en sorte que l'Attique, vidée du troupeau de son peuple, ne fut plus qu'un désert abandonné aux brebis, il est, à mon sens, le pire des criminels parmi tous ceux qui se sont fait un nom dans le crime [2].
2 En 404 av. J.-C., à la fin de la guerre du Péloponnèse, Athènes perd son empire, ses murs et sa flotte. Elle est également privée de son régime traditionnel : la démocratie. Avec l'oligarchie des Trente, dirigée par Critias, se révèle alors un pouvoir absolu qui ne cherche d'autre légitimité que celle de la seule force : elle se maintient par le recours à une répression féroce [3] et avec l'appui d'une garnison étrangère [4].
3 Pourtant, trente ans plus tôt, au début de la guerre, Athènes se trouve au sommet de sa puissance et paraît très supérieure à Sparte [5]. C'est la démocratie impérialiste triomphante de Périclès qui n'a plus même d'adversaire à l'intérieur de la cité : le parti oligarchique est alors impuissant, à la suite de l'ostracisme de son chef (Thucydide, fils de Mélésias).
4 Mais tandis que la démocratie devient extrême [6] et s'enfonce dans une guerre qu'elle paraît de moins en moins certaine d'emporter, le mouvement oligarchique se raffermit à nouveau. L'affaire de la mutilation des Hermès en témoigne [7] ainsi, bien sûr, que le coup d'État de 411 (de mai à septembre), favorisé par les défaites militaires successives que connaît alors la cité. Suite à une série d'assassinats, cette petite oligarchie réussit à faire voter par l'Assemblée l'abandon des institutions démocratiques. La mission d'instaurer une nouvelle organisation des pouvoirs est confiée à un Conseil de quatre cents citoyens. Mais ceux-ci (les « Quatre Cents ») se les arrogent tous et retardent l'établissement de la liste des cinq mille citoyens appelés à participer à la vie politique. Le pouvoir revient finalement aux Cinq Mille, après une nouvelle défaite militaire et grâce à l'intervention des marins de la flotte basée à Samos et d'Alcibiade pourtant soupçonné d'avoir à l'origine comploté pour le compte de l'oligarchie [8]. Ce régime ne dure que quelques mois [9] et le retour aux pratiques démocratiques se fait sans heurt. Cette première crise aura certes des conséquences importantes, dont le retour triomphal d'Alcibiade, jusque-là exilé, mais elle n'est rien au regard du second coup de force oligarchique, quelques années plus tard : celui des Trente.
5 Ce fut sans aucun doute le pire régime qu'ait connu Athènes. Ce fut, en tout cas, celui qui marqua le plus les mémoires : le gouvernement des Quatre Cents, quoique fondé lui aussi sur la force, n'était que rarement considéré comme une « tyrannie ». En effet, ses promoteurs pouvaient s'assurer l'adhésion d'un secteur assez large de la population et ils ne commirent pas de crimes comparables à ceux de leurs successeurs. Il s'agissait, en somme, d'une « véritable » oligarchie ; en 404, au contraire, Critias fait éliminer Théramène et ses partisans oligarques « modérés » , qui voulaient s'appuyer sur les riches citoyens pour gouverner : pour lui, le pouvoir des Trente ne pouvait être qu'une tyrannie fonctionnant au profit de ses seuls membres [10].
6 La haine du peuple qui l'anime se signale par une répression impitoyable : en seulement quelques mois, huit à dix pour cent des citoyens athéniens seront massacrés par Critias et ses complices !
7 Ce comportement criminel correspond bien à l'attitude de certains milieux oligarchiques athéniens. Comme le rapporte Aristote dans la Politique [11] :
8 Dans certaines oligarchies, ils [les oligarques] prêtent ce serment : je serai hostile au peuple et chercherai à lui faire tout le mal que je pourrai.
9 On connaît, par ailleurs, cette épigraphe inscrite sur le monument funéraire de Critias (représentant l'oligarchie qui, avec un flambeau, met le feu à la démocratie) :
10 En souvenir des hommes valeureux qui, pour un temps, continrent l'insolence (hubrios) du maudit peuple (kataraton demon) des Athéniens [12].
11 Cette haine radicale de la démocratie s'exprime avec force dans le pamphlet intitulé Constitution des Athéniens. On suppose qu'un certain nombre d'ouvrages du même type ont circulé dans les cercles oligarchiques athéniens, dans la seconde moitié du ve siècle. Il est le seul à être parvenu jusqu'à nous, mais est suffisant pour donner une idée de la vigueur de l'argumentaire de ces hétairies et de la virulence de leurs critiques.
12 De façon remarquable, eu égard à sa brièveté [13], l'opuscule introduit les arguments majeurs contre la démocratie qui seront débattus dans les cités grecques et trouveront des correspondances jusqu'à l'époque contemporaine.
13 Premier texte connu de la philosophie politique occidentale, la Constitution des Athéniens constitue pourtant une exception dans la littérature ancienne : ainsi que l'a noté Luciano Canfora [14], jamais, dans l'Antiquité, la capacité de tout analyser dans une optique politique comparable à une certaine vulgate marxiste du xxe siècle n'a été aussi forte.
14 Quelle est l'origine de ce texte ? Qui en est l'auteur ? On ne peut éluder ces questions lorsqu'il s'agit d'un écrit aussi énigmatique que celui du Pseudo-Xénophon. Dans la mesure où une telle recherche éclaire les conditions historiques et le contexte dans lesquels il fut élaboré, elle est nécessaire à sa compréhension.
15 Il convient ensuite d'en analyser le contenu : une critique violente et totale de la démocratie ; politique intérieure, extérieure et finalement la totalité des phénomènes sociaux sont rapportés à la domination du peuple (demos). Il ne s'agira pas tant de juger de la validité des arguments ou de la véracité historique des exemples du Pseudo-Xénophon, que de mettre en lumière le caractère systématique de ses attaques et la finesse de ses analyses, obscurcies par une écriture parfois ambiguë. Il faudra donc reconstituer les thèmes centraux qui se dégagent de la Constitution des Athéniens.
16 Même si l'attaque du Pseudo-Xénophon contre la démocratie tranche par son ampleur et sa vigueur, certains de ses thèmes constituent des lieux communs de la critique aristocratique et sont, comme on le verra, largement évoqués par les disciples de Socrate. Il n'y a là rien de surprenant : le laconisme de Socrate est connu [15] ; les affinités oligarchiques de la quasi-totalité de ses disciples également : Alcibiade, Critias, Charmide, Platon, Xénophon, Antisthène [16]. L'auteur anonyme est d'ailleurs contemporain du philosophe et peut-être est-il lui-même un de ses « élèves » [17]. Une mise en parallèle des thèses du Pseudo-Xénophon avec certaines des thèses socratiques [18] n'est donc pas dénuée d'intérêt : elle permettra non seulement d'éclairer certaines allusions à des problématiques propres aux milieux conservateurs dans les œuvres d'un Platon ou d'un Xénophon, mais surtout de souligner l'admirable singularité des instruments d'analyses du Pseudo-Xénophon.
17 Il sera, dès lors, loisible de comprendre le but de ce texte et de dégager le type de compréhension du politique qu'il suppose.
I. Problèmes philologiques
18 La Constitution des Athéniens a généralement plus intrigué les commentateurs par l'obscurité qui entoure ses origines et son histoire qu'elle n'a attiré leur attention sur son contenu politique. Une grande partie des études qui lui ont été consacrées cherche, en effet, à répondre à trois interrogations : la date, l'attribution, la composition [19]. Aucun de ces trois problèmes n'a pu encore être définitivement résolu.
Datation
19 Presque tous les spécialistes s'accordent pour affirmer qu'il s'agit d'une des plus anciennes proses attiques subsistantes [20]. Mais les divergences apparaissent rapidement dès qu'on cherche à être plus précis.
20 Différents passages du texte ont été utilisés pour proposer une datation [21] mais très peu d'éléments afférents à des faits historiques précis peuvent être considérés comme certains pour dater le pamphlet.
21 On considère généralement que le texte aurait été écrit entre 429 et 424 av. J.-C., voire 414 av. J.-C., mais une datation plus tardive encore n'est pas à écarter [22]. En effet, l'auteur ne fait pas nécessairement référence à des événements immédiatement contemporains : les allusions à la dévastation des terres de l'Attique, par exemple, se retrouveront même chez des écrivains du ive siècle, particulièrement chez ceux proches des milieux oligarchiques [23].
Auteur
22 Le caractère polémique et provocateur de la Constitution des Athéniens suggère que le manuscrit a circulé sous forme anonyme dès sa parution [24].
23 Au ier siècle av. J.-C., l'opuscule était déjà attribué à Xénophon mais Démétrios de Magnésie lui en refusait la paternité [25]. Pollux, au IIe siècle apr. J.-C., et Stobée, au ve, citaient aussi Xénophon comme auteur du texte, et c'est sous ce nom qu'il parvint jusqu'à nous. Mais la critique moderne s'accorde, sauf exception, pour considérer qu'il n'est pas de Xénophon [26].
24 Le texte lui-même offre quelques indices qui permettent de tracer le « portrait-robot » de l'auteur. Son dialecte est manifestement attique. Malgré la distance qu'il établit entre lui et les Athéniens, il utilise occasionnellement la première personne du pluriel [27]. Son mépris patent pour ceux des aristoi (« les meilleurs ») qui acceptent de demeurer à Athènes et, plus encore, de « collaborer » au régime démocratique [28], ainsi que sa connaissance de la situation des « atimoi » ceux qui ont été chassés par ce régime laissent supposer qu'il s'agit d'un oligarque athénien déchu de ses droits et exilé, d'un « émigré » pour reprendre le terme désignant les aristocrates fuyant la Révolution française [29].
25 Les commentateurs ont essayé d'identifier le « Vieil Oligarque » [30] : on a pu penser à un autre Xénophon [31], à des disciples de Protagoras [32], à Antiphon, à Thucydide l'homme politique et adversaire de Périclès [33] ou même à l'historien du même nom [34]. Ces hypothèses ont, pour la plupart, été réfutées et la quête de l'identité de l'auteur a été presque entièrement abandonnée. Notons cependant que A. Boeckh, puis G. Norwood [35], et plus récemment L. Canfora [36], se sont prononcés pour l'attribution de ce texte à Critias. Cette hypothèse est de toutes la plus probable, car le pamphlet est caractéristique d'un milieu oligarchique violemment anti-démocrate, et nul homme mieux que Critias, chef politique et « cerveau » des Trente Tyrans, ne représente cette faction.
26 Des arguments (a) historiques, (b) stylistiques et (c) politiques viennent renforcer cette hypothèse :
-
(a) Certaines œuvres de l'oligarque ont échoué parmi les pièces d'Euripide : ce ne serait donc pas la première fois qu'un de ses ouvrages aura été attribué à un autre auteur.
De plus, on sait que Critias fut exilé entre 408 et 404. Il aurait séjourné en Thessalie [37] où « il contribuait à rendre les oligarchies plus pesantes en dialoguant (dialegomenos) avec les puissants de là-bas, en dénigrant toutes les formes de démocratie et en calomniant les Athéniens comme les hommes les plus installés dans l'erreur » [38]. La Constitution des Athéniens commence justement par cette attaque : les Athéniens « font à dessein l'erreur que tous les autres désapprouvent », et s'achève sur l'impossibilité de réforme de toutes les démocraties [39].
Durant son séjour forcé en Thessalie, Critias aurait composé au moins une Politeia [40], qu'on nomme généralement « Constitution des Thessaliens ». Une autre source nous apprend que parmi les œuvres de Critias figurait une Constitution des Athéniens [41]. Il ne subsite aucun fragment de ces deux œuvres. À supposer que la seconde corresponde au texte du Pseudo-Xénophon, il faut nécessairement adopter une datation plus tardive que celles précédemment proposées. Mais L. Canfora a montré que certains passages pouvaient faire référence à des événements de 406-405 av. J.-C. [42].
-
(b) Julius Pollux rapporte que Critias, dans sa Constitution des Athéniens, utilisait le verbe diadikazo dans le sens de « être juge pour une année ». Selon A. Boeckh [43], le texte évoqué par Pollux est précisément celui du Vieil Oligarque [44], ce qui prouverait l'identité des deux auteurs.
De plus, le pamphlet débute par « D'autre part (de), à propos de la constitution des Athéniens... ». De nombreux commentateurs en ont déduit que le texte était incomplet [45], car on attend, en grec, qu'une telle phrase s'intègre dans une argumentation commençant par « d'une part » (men). Mais, c'est là, également, selon Aristide [46], une particularité du style de Critias que de commencer ainsi ses ouvrages.
On sait enfin que Critias s'intéressait dans sa Constitution des Thessaliens à la « manière de se nourrir et de s'habiller » de ces derniers, ce qui est une préoccupation peu courante dans l'étude des Constitutions, et qu'on trouve dans le texte du Pseudo-Xénophon.
-
(c) Critias et le Pseudo-Xénophon récusent tous deux la possibilité de la « République des hoplites », désirée par les oligarques « modérés » [47]. Pour lui, le corps des hoplites, à Athènes, a été affaibli par le pouvoir démocratique : c'est bien là la thèse d'un extrémiste comme Critias [48].
Rappelons, enfin que Critias appartenait au cercle socratique et était un parent de Platon [49]. La forme du texte, ainsi que sa fin aporétique, pourraient d'ailleurs suggérer un lien avec Socrate.
Forme du texte
30 L'étude qui suit se réfère au texte de l'édition Bowersock [50] et à sa reconstitution et traduction sous forme de dialogue par L. Canfora [51]. C'est, en effet, sous cette présentation que le document est le plus compréhensible, même si des études importantes se sont opposées à l'hypothèse selon laquelle il s'agirait là de la forme originelle du texte.
31 Pour Frisch [52], par exemple, le pamphlet serait une forme primitive de dissoi logoi (« doubles dits ») d'influence protagoréenne, en raison des contradictions qui s'y trouvent. Il pense ainsi que l'auteur serait un « disciple fidèle » de Protagoras. Mais la forme du texte paraît fort éloignée des « doubles dits » conservés, et son contenu ne saurait en aucun cas s'accorder avec ce que nous savons de la pensée politique du vieux sophiste, héraut de la démocratie athénienne. L'influence sophistique sur le dialogue est certes manifeste, mais elle l'est tout autant dans les discours que présente Thucydide ou dans certaines tragédies d'Euripide, et elle ne suffit pas à prouver une telle identité.
32 Pour E. Hohl [53] et E. Belot, il s'agit d'une lettre, en raison des tutoiements qui apparaissent dans le texte [54].
33 D'autres commentateurs [55] y voient plutôt un discours, prononcé à un banquet et pris en note sur le moment, ce qui expliquerait les imperfections du style.
34 Mais si l'on considère qu'il s'agit effectivement d'un dialogue, tous ces problèmes sont résolus : les tutoiements, le style « oral », les contradictions apparentes..., car le texte met en scène deux personnages aux avis différents. Et l'édition de Canfora le rend tellement plus intelligible qu'il est difficile de douter de la véracité de cette hypothèse.
35 L. Canfora distingue ainsi un « oligarque intelligent », qui exprimerait les vues de l'auteur, et un détracteur « traditionaliste » de la démocratie. Tous deux sont d'accord pour affirmer que
36 partout sur terre, les meilleurs sont les ennemis de la démocratie : car c'est chez les meilleurs qu'il y a le moins de licence et d'injustice et le plus d'inclination au bien ; mais c'est chez le peuple qu'on trouve le plus d'ignorance, de désordre, de méchanceté : la pauvreté les pousse à l'ignominie, ainsi que le manque d'éducation et l'ignorance qui, chez certains, naît de l'indigence [56].
37 Mais, s'il est bien évidemment hostile à la démocratie, le premier personnage affirme :
38 Puisqu'ils l'ont choisi, je veux montrer qu'ils défendent bien leur système politique [57].
39 Pour lui, le peuple est cohérent dans ses choix ; il lui reconnaît ce mérite, là où son interlocuteur garde la vision simpliste du peuple « bestial et stupide ». Ainsi, il condamne les valeurs démocratiques qui sont celles des « méchants », mais, en simulant une défense des institutions du régime athénien, il montre qu'elles sont en concordance avec ces valeurs. Il y a indiscutablement un ton sarcastique dans cette « défense », un mélange de mépris et d'éloge ironique que la plupart des spécialistes trouvent unique dans l'Antiquité.
II. La cité démocratique
Les « classes » sociales
40 En s'adressant à son interlocuteur, l'« oligarque intelligent » reprend tout d'abord à son compte l'image traditionnelle : le petit nombre, les membres de l'élite sont beltistoi (« meilleurs »), le peuple est ignorant, bestial [58]. Tempérants, justes et prudents, les « meilleurs » s'opposent au grand nombre qui se caractérise par son iniquité, son ignorance et son comportement intempérant.
41 Mais là ne réside pas l'essentiel, ni l'originalité du texte du Vieil Oligarque : comme l'a relevé C. Leduc [59], dans la Constitution des Athéniens, « la communauté civique n'existe pas ». Le Pseudo-Xénophon n'emploie presque jamais le terme de polites [60] (« citoyen ») et, à deux exceptions près, le texte omet « les citoyens » : il n'y a que des Bons (to beltiston) et des Méchants (to kakiston) [61].
42 Demos (« peuple »), est le mot qu'il emploie le plus souvent pour désigner la classe inférieure, bien qu'on trouve aussi les termes de poneroi (« les pauvres / vils ») [62] ou d'ochlos (« la populace ») [63]. Dans le peuple règne l'ataxia (« désordre »), l'akolasia (« dérèglement »), la poneria (« méchanceté »), l'adikia (« injustice »). Une multitude de termes désignent « les meilleurs » : chrestoi (« honnêtes ») [64] le plus courant , gennaioi (« bien nés ») [65], dunatotatoi (« puissants ») [66], beltistoi (« meilleurs ») [67], hoplitai (« hoplites ») [68], oligoi (« peu nombreux ») [69], plousioi (« riches ») [70]. Cette diversité de vocables met en évidence tous les aspects de l'opposition entre les deux « classes » : bon mauvais, riche pauvre, hoplite marin, petit nombre multitude, de bonne naissance du peuple...
43 Le terme de « classe » n'est pas pris ici au sens strictement marxiste : les « classes » dans l'Antiquité ne se caractérisent pas seulement par le rapport au mode de production. Le statut politique est un élément déterminant : un métèque, maître d'une manufacture quelconque et de plusieurs esclaves, ne peut être considéré comme appartenant à la même « classe » que l'homme libre dans la même situation [71].
44 On peut dégager essentiellement quatre critères de distinction des deux groupes sociaux antagonistes chez le Pseudo-Xénophon :
- la naissance ;
- l'éducation ;
- la richesse ;
- la fonction militaire.
46 Généralement, l'auteur insiste plus sur l'éducation et la formation que sur la naissance. Ces deux premiers critères ne posent d'ailleurs pas véritablement problème : ils sont dans la droite ligne de l'idéal archaïque aristocratique du kalos kagathos, « bel et bon ».
47 Il est, en revanche, nécessaire d'expliciter le troisième pour comprendre le texte. Plus que sur « la richesse », le Pseudo-Xénophon insiste sur la possession des terres et la division entre propriétaires et non-propriétaires. Le premier groupe comprend donc les riches familles qui possèdent des domaines imposants [72] mais aussi les simples paysans [73]. L'auteur mentionne certes la fortune mobilière, issue du commerce, mais n'en fait pas un critère fondamental de la classification sociale. Au contraire, il la lie au demos : alors que le petit propriétaire est un honnête homme, le commerçant, quelle que soit sa fortune, est membre de la « populace ».
48 À cet égard, K. Marx observait :
49 Chez les anciens, la manufacture apparaît déjà comme une corruption (c'est l'affaire des Libertini, des clients, des étrangers). Ce développement du travail productif (détaché de la subordination à l'agriculture, à la guerre, au service divin, au service de la communauté, comme la construction des maisons, des rues, de temples) donc ce développement du travail productif qui naît nécessairement du commerce avec des étrangers, des esclaves, de l'envie d'échanger le surproduit dissout le mode de production sur lequel repose la communauté et sur lequel repose par conséquent l'individu objectif, c'est-à-dire l'individu déterminé comme romain, grec, etc. [74]
50 À l'époque archaïque, la division principale oppose des grands propriétaires fonciers, assumant la direction politique, aux cultivateurs villageois, le demos rural. À la fin du ve siècle, des oppositions nouvelles, conséquences des transformations de l'économie et de la société, apparaissent [75].
51 Le Pseudo-Xénophon est conscient de l'évolution d'une société fondée sur la propriété foncière vers une économie monétaire. Ainsi que l'écrit J.-P. Vernant : « Au quatrième siècle, tout se comptera désormais en argent » [76]. Prenant parti contre ce changement, le Vieil Oligarque défend les intérêts des propriétaires terriens contre ceux d'un demos, constitué certes essentiellement par les membres les plus pauvres de la cité, mais aussi par de riches marchands, comme Cléon ou Hyperbolos [77].
52 Le quatrième critère, militaire, correspond en fait au troisième : l'hoplite est généralement un propriétaire foncier [78] alors que les marins étaient le plus souvent originaires des couches les plus pauvres de la société. Mais ce facteur a un rôle particulièrement important dans l'analyse du système démocratique. À Athènes, la démocratie est normale « car c'est le peuple qui fait marcher les navires et donne à la cité sa puissance » [79]. On retrouve le lien traditionnel dans la Grèce antique entre capacités militaire et politique : c'est celui qui défend la cité qui doit la diriger et, pour cette raison, le peuple « compte plus que les bons » [80].
53 Enfin, le pseudo-Xénophon dénonce l'existence de traîtres à leur classe. Pires que le demos sont les aristocrates qui acceptent le système démocratique :
54 Il y a des gens qui sont véritablement du côté du peuple, bien qu'ils ne soient pas démocrates par nature (ten phusin ou demotikoi) [81].
55 Il explique :
56 Personnellement, j'excuse le peuple d'être démocrate ! Chacun est excusable de rechercher son propre intérêt. Mais celui qui, n'étant pas d'origine populaire, préfère faire de la politique (oikein) [82] dans une cité démocratique plutôt que dans une cité oligarchique, a dessein de faire le mal et sait qu'il lui sera plus facile de cacher ses vices dans une cité démocratique que dans une cité oligarchique.
57 Le pouvoir de la démocratie est tel qu'il peut corrompre même les hommes bien nés. C'est un système fort et parfaitement viable, capable d'intégrer ses adversaires naturels.
La politique de classe du demos
58 Pour le Pseudo-Xénophon, il s'agit de montrer que tout ce qui dans le comportement du peuple athénien suscite l'étonnement de la part des autres cités ou des aristoi est en réalité parfaitement cohérent et que toutes les valeurs démocratiques qui sont évidemment, à ses yeux, condamnables en elles-mêmes, font la force même du régime.
59 Ainsi, lorsque le second personnage s'étonne que l'on permette à n'importe qui de parler à l'Assemblée, le premier lui répond que c'est précisément l'ignorance de ces orateurs qui est tout à l'avantage du peuple. Les masses athéniennes bloquent délibérément l'émergence et l'influence d'une élite, aux valeurs opposées aux leurs et qui se retournerait nécessairement contre elles [83] :
60 Les Athéniens savent bien que son ignorance (scil. celle du dirigeant démocratique), sa bassesse, sa bienveillance leur sont plus utiles que la vertu, la sagesse et l'hostilité des honnêtes gens [84].
61 Connaissant son intérêt, c'est à dessein que le peuple choisit « la mauvaise politique ».
62 À Athènes, la règle est le tirage au sort, qui est considéré comme un élément essentiel du système démocratique. Les élections « aristocratiques », puisqu'il s'agit de choisir les « meilleurs » (aristoi) n'y sont organisées que pour la désignation des stratèges, car leurs fonctions exigent des compétences spéciales. Pour le Pseudo-Xénophon, le peuple sait que ces charges sont difficiles à exercer et comportent des risques : « il cherche, au contraire, à exercer toutes celles qui offrent une solde et un profit immédiat » [85].
63 Le mode de désignation des dirigeants est un thème de critique récurrent des milieux aristocratiques. Selon un de ses détracteurs, Socrate lui-même aurait affirmé que « c'est folie de choisir avec une fève les magistrats d'une république, tandis que personne ne voudrait employer un pilote désigné par une fève, ni un architecte, ni un joueur de flûte... » [86]. On trouve dans le Gorgias, comme dans presque tous les dialogues de Platon, les célèbres exemples de Socrate, qui corroborent ce point. Il suffit ici d'en citer un : c'est le capitaine du navire et non le passager qui, en mer, doit commander, car c'est lui qui maîtrise « l'art de la navigation ». De même, c'est à celui (ou à ceux) qui possède(nt) la « science » politique qu'il faut donner la direction des affaires de la cité.
64 Même le choix par le suffrage des citoyens n'est pas épargné par les disciples de Socrate. Antisthène a, mieux que tous les autres, et par un de ses traits perçants et pleins d'humour qui annoncent le « franc parler » cynique, exprimé le rejet du principe de l'élection, en proposant aux Athéniens d'« élever par leur vote les ânes au rang des chevaux », puisqu'ils élisent bien stratèges « ceux qui n'y connaissent rien » [87].
65 La foule, la multitude, est ignorante : comment saurait-elle choisir ? Chez Platon, comme chez Xénophon, Socrate dénonce l'ignorance du peuple [88] et l'absurdité du principe de la prise de décision selon l'avis de la majorité [89] : il oppose alors clairement « le grand nombre », la « foule », et le « petit nombre » qui sait [90]. Il rejette ainsi l'idéologie démocratique, que défend Protagoras, pour qui tous possèdent une part plus ou moins importante de l'« art politique », thèse qui implique que l'opinion de chacun doit être écoutée [91]. Enfin, il souligne les actions immorales et inconstantes de cette multitude [92]. La position de Socrate et de ses disciples peut donc se définir comme un « aristocratisme du savoir » [93].
66 Mais si la vigueur de la critique socratique rejoint parfois la violence de celle du Pseudo-Xénophon, il faut relever une différence majeure : pour les socratiques, le caractère délétère de la démocratie tient au fait que le peuple est ignorant. Pour le Vieil Oligarque, il ne l'est pas sur un point fondamental : il connaît son intérêt. Non seulement le système athénien est parfaitement organisé pour assurer sa pérennité, mais il accroît chaque jour sa puissance, grâce à l'activité des classes inférieures [94]. Pour Socrate et ceux qui se réclament de son enseignement , le demos se trompe en agissant ainsi [95] : s'il n'était pas ignorant, ses choix politiques seraient autres, car « nul ne fait le mal volontairement ». Comme le dira Épictète, en cela disciple lointain mais fidèle de Socrate, à propos de Médée [96] : « Montre-lui clairement qu'elle s'est trompée et elle ne le fera pas ».
« La démocratie comme violence » [97]
67 Pour le Pseudo-Xénophon, les élites subissent une véritable oppression de la part du demos, à tel point qu'il paraît préférable d'être membre de celui-ci. On peut comparer cette idée à un passage ironique du véritable Xénophon, qui fait parler ainsi Charmide, autre « disciple » de Socrate et principal complice de Critias pendant la tyrannie des Trente :
68 À ton tour, Charmide, dit-il [scil. Callias], d'expliquer pourquoi tu es fier de ta pauvreté. Eh bien, répondit Charmide, tout le monde s'accorde à le dire, mieux vaut se sentir de l'assurance que de la crainte, et il est préférable d'être libre que d'être esclave, d'être l'objet de soins que d'en rendre à autrui, de jouir de la confiance de notre patrie que d'être en butte à sa défiance. Or, voici ce qu'il en était de moi dans notre cité au temps où j'étais riche : d'abord je craignais qu'un perceur de muraille ne s'emparât de mon argent et ne me maltraitât ; ensuite, je faisais la cour aux sycophantes, car je me savais plus en état de devenir leur victime que de leur faire du mal. C'est que la cité m'imposait sans cesse de nouvelles dépenses, et que je n'étais pas libre de m'en aller ailleurs. Mais maintenant que je suis privé des biens que je possédais à l'étranger, que je n'ai plus les récoltes de mes propriétés d'Attique et que mon mobilier a été vendu, je goûte, bien allongé sur ma couche, un délicieux sommeil ; j'ai gagné la confiance de la cité ; loin d'être en butte aux menaces c'est moi désormais qui menace les autres ; enfin, je puis en homme libre aussi bien aller vivre à l'étranger que demeurer à Athènes. Les riches maintenant se lèvent devant moi de leurs sièges ou s'écartent devant mes pas. Me voilà devenu semblable à un despote, moi qui naguère étais visiblement esclave. Naguère aussi je payais tribut au peuple, maintenant c'est la cité qui me paye tribut et qui m'entretient. En outre, quand j'étais riche, on me blâmait fort de fréquenter Socrate... [98]
69 Comme Xénophon s'en est fait l'écho, nombreux devaient être les membres de l'ancienne aristocratie athénienne à s'estimer victimes du régime populaire : être membre du demos, c'est être « despote », et honnête homme, « esclave ». On retrouve cette même inversion dans la Constitution des Athéniens, mais elle y est plus systématique : il s'agit d'une véritable analyse et non d'une simple moquerie de banquet.
70 Dès lors, le mot demokratia exprime la supériorité, la domination ouverte et consciente d'une « classe » dans son propre intérêt et non la participation égale de tous à la vie publique. Il faut préciser qu'ici, demos signifie, selon une définition du véritable Xénophon, « les pauvres parmi les citoyens » ou plus précisément, selon Aristote, « les marins, les artisans, les manœuvres, les commerçants » [99], et non, comme le prétendent les défenseurs de la démocratie, « l'ensemble de la cité » [100]. Pour le Vieil Oligarque, celle-ci naît d'un acte de violence d'une partie de la population : « ils [scil. les Athéniens] privent les honnêtes gens de leurs droits civiques : ils les dépouillent de leurs richesses, les exilent, les tuent » [101]. C'est, comme l'écrit Platon dans sa République,
71 quand les pauvres victorieux mettent à mort ceux du parti opposé, en bannissent d'autres [102].
72 Et de fait, les Athéniens prêtaient le serment suivant :
73 Je ferai périr, par parole, par action, par vote, et de ma main, si je le puis, quiconque renversera la démocratie athénienne, ou, le régime une fois renversé, exercera par la suite une magistrature, quiconque se lèvera pour s'emparer de la tyrannie ou aidera le tyran à s'établir. Et si c'est un autre qui le tue, je l'estimerai pur devant les dieux et les puissances divines, comme ayant tué un ennemi public ; je ferai vendre tous ses biens, et j'en donnerai la moitié au meurtrier sans le frustrer de rien. Et si un citoyen périt en tuant un de ces traîtres, ou en essayant de le tuer, je lui témoignerai ma reconnaissance, ainsi qu'à ses enfants, comme on l'a fait à Harmodios et à Aristogiton et à leur postérité. Et tous les serments qui ont été prêtés à Athènes, à l'armée ou ailleurs, pour la ruine du peuple des Athéniens, je les annule et j'en romps les liens [103].
74 Pour l'auteur anonyme de la Constitution des Athéniens, la démocratie ne peut donc être que la mauvaise demo-kratia que critique Aristote [104] : non pas celle qui est le pouvoir de tous, mais celle qui représente l'hégémonie d'une classe : le demos [105].
75 De cette façon, il peut opposer ce qui est bon pour la démocratie (pour le peuple) et ce qui l'est pour la polis dans son ensemble [106] ou, ce qui revient au même, pour les aristoi, car ceux-ci savent naturellement ce qui est bon :
- A : Le peuple ne veut pas être esclave dans une cité bien gouvernée (eunomoumenes), mais être libre et commander ; peu lui importe le mauvais gouvernement (kakonomias).
- B : C'est justement ce que, toi, tu considères comme un « mauvais gouvernement » qui procure au peuple sa force et sa liberté. Certes, si c'est le bon gouvernement (eunomian [107]) que tu cherches, tu verras d'abord les plus habiles établir les lois ; puis les honnêtes gens (chrestoi) châtieront les méchants (ponerous), et les honnêtes gens prendront les décisions pour la cité et ne permettront pas que des fous siègent au Conseil ou prennent la parole à l'Assemblée [108].
III. L'impérialisme athénien
77 Le Pseudo-Xénophon consacre un tiers de l'opuscule à exposer les avantages de l'arche (« domination, empire ») et les profits tirés de l'empire par le régime athénien.
L'impérialisme, prolongement naturel de la démocratie
78 Ceux-ci reposent avant tout sur le fait que « les maîtres de la mer » [109] ont des possibilités d'intervention et la faculté de mettre en œuvre des stratégies, dont sont dépourvus ceux qui ont la suprématie sur terre [110].
79 On a souvent noté le parallèle entre l'argumentation du Pseudo-Xénophon et celle de Thucydide [111]. Chez ce dernier, ce sont les discours de Périclès où l'homme d'État présente et justifie la stratégie de la cité qui expriment avec le plus de netteté l'importance de la flotte et la confiance qui lui est accordée par les Athéniens. Pour lui, Athènes doit même s'efforcer d'atteindre la condition insulaire : situation parfaite sur le plan stratégique, car ses habitants n'auraient pas à se préoccuper de la défense d'un vaste territoire. Périclès insiste ainsi sur la nécessité de protéger la ville et de conserver la maîtrise sur mer, en évitant tout combat pour la défense des terres [112] : il faut « se désintéresser de la terre et des maisons pour ne veiller que sur la mer et la ville », les laisser piller et même, si on le pouvait, « les mettre [soi-même] au pillage » [113]. Ce n'est là, en effet, qu'« un jardin d'agrément et un luxe de riche dont on se désintéressera » [114] par rapport à la vraie puissance qu'est la suprématie sur les mers.
80 Des expressions similaires se retrouvent dans la Constitution des Athéniens. Mais le Vieil Oligarque dépasse de loin l'analyse de l'historien qui se limite aux aspects stratégiques [115] : Thucydide ne fait jamais clairement le lien entre le régime politique d'une cité et son organisation militaire. Pour lui, la puissance navale est, par essence, liée à l'impérialisme [116] ; chez le Pseudo-Xénophon, la thalassocratie est la forme naturelle de la puissance militaire, non pour tout empire, mais pour toute démocratie (car « c'est le peuple qui fait marcher les navires » [117]) et l'impérialisme n'en est qu'une des caractéristiques nécessaires.
81 Le Vieil Oligarque voit parfaitement les intérêts économiques en jeu dans la possession de l'empire et de la flotte.
82 Le tribut demandé aux alliés dont la cité tire ses ressources extraordinaires, et donc sa puissance militaire est décrit comme un véritable pillage des cités soumises et « gouvernées par la terreur » [118] :
- B : On pourrait objecter pourtant que la force d'Athènes dépend de la capacité des alliés de payer le tribut.
- A : Mais il paraît plus avantageux au peuple que chaque Athénien, individuellement, s'empare des biens des alliés, et qu'il ne leur reste que le strict nécessaire pour vivre et travailler afin de les mettre dans l'impossibilité de comploter [119].
84 Plus encore, il lie ces intérêts à ceux d'une classe en particulier. Ainsi, il se fait l'écho de la stratégie péricléenne pour la dénoncer. Pour lui, qui défend les propriétaires terriens, elle constitue une véritable catastrophe :
85 Puisqu'ils n'ont donc pas eu la chance, au départ, d'habiter une île, voici ce qu'ils font à l'heure actuelle : ils mettent en dépôt leurs biens dans des îles, confiants dans leur supériorité maritime, et ils laissent ravager l'Attique sans ciller, sachant bien que, s'ils en ont pitié, ils seront privés d'autres biens plus importants [120].
86 C'est l'aristocratie qui possède les terres ; la ville, elle, est aux mains des démocrates. Et, en fait, l'Attique sera pillée dès les premières années de la guerre. L'ancienne aristocratie est donc la grande perdante des choix stratégiques d'Athènes ; le peuple, lui, n'a que faire de perdre des terres qui ne lui appartiennent pas :
87 Maintenant, les paysans et les riches Athéniens tentent de se concilier les bonnes grâces des ennemis ; le peuple, en revanche, sachant bien que ceux-ci ne brûleront ni ne dévasteront rien de ce qu'il possède, vit tranquillement et ne cherche pas à se les concilier [121].
88 En ce sens, les murs sont un des éléments fondamentaux de la thalassocratie. En effet, les remparts d'Athènes ne sont pas seulement une enceinte : ils sont aussi constitués par les Longs Murs qui la relient à son port, le Pirée. Ils sont donc un des aspects essentiels de la stratégie adoptée par les grands dirigeants démocrates afin d'approcher la condition insulaire.
89 Le discours sur les remparts semble avoir été d'une importance considérable dans l'Athènes de la fin du ve siècle [122]. Il est à la fois d'ordre éthique (il est « lâche » de se cacher derrière des murs) et d'ordre politique : c'est le demos urbain seul qui est favorisé par les murs. Sensibles à la propagande spartiate [123], les oligarques athéniens refusent les murailles : la destruction des Longs Murs sera entreprise par le gouvernement oligarchique des Trente dès l'instauration de leur régime. À la suite de la restauration démocratique, ils seront reconstruits. C'est à partir de ce contexte qu'il faut comprendre l'allusion du Pseudo-Xénophon : même si les Athéniens font tout pour que leur cité ressemble à une île, elle n'en est pas une et les portes pourraient être « ouvertes et les ennemis introduits dans les murs » [124]. Ces derniers ne sont pas militairement efficaces ; leur seule utilité est de protéger les intérêts du demos.
90 Paradoxalement, la volonté de reproduire autant que possible la condition insulaire ne mène pas à l'autarcie. Au contraire, comme on le verra, le commerce et la marine ouvrent la ville aux influences étrangères et les valeurs archaïques traditionnelles sont, de ce fait, remises en cause.
91 D'autre part, le Vieil Oligarque souligne que la politique impérialiste contraint les membres des cités « alliées » à faire juger leurs différends à Athènes [125]. Il s'agit tout d'abord, pour le demos, d'avantager ceux qui lui sont favorables et de faire condamner, partout, autant qu'il le peut, les aristoi. Ensuite, la foule trouve un plaisir certain à se faire flatter et même « supplier ». Mais la principale raison est tout autre :
92 D'abord, toute l'année, ils reçoivent leur salaire de juges grâce aux dépôts des parties en litiges [...]. Et voici encore les profits que le peuple athénien tire de la tenue à Athènes des procès des alliés : d'abord, la taxe au centième, levée au Pirée, rapporte davantage à la cité ; ensuite, si quelqu'un a une maison à louer, ou bien un attelage, ou bien un esclave, il en retire un plus gros profit ; enfin les hérauts font mieux leurs affaires grâce au séjour des alliés en ville.
93 L'empire et la thalassocratie donnent donc à Athènes une puissance économique incomparable. Les marins, comme les commerçants et les artisans, sont favorables à ce système qui permet le développement du commerce par les voies maritimes et, donc, de la richesse mobilière.
94 Le Vieil Oligarque décrie cette évolution. Il dénonce la situation monopolistique d'Athènes sur les voies commerciales, et particulièrement sur celles qui donnent accès aux principales ressources en matières premières [126], ainsi que l'accumulation du « capital » (les chremata), qui renforcent son hégémonie.
95 Ainsi, sa description et son analyse du phénomène impérialiste peuvent paraître plus proches de celles de Lénine que de celle de son contemporain Thucydide. En effet, dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine détermine trois caractéristiques de l'impérialisme : monopole (mainmise sur les principales sources de matières premières), concentration du capital et politique coloniale. Certes le système économique athénien n'a rien à voir avec le stade développé du capitalisme visé par Lénine, mais le parallèle est frappant.
96 Aux yeux du Vieil Oligarque, il est inévitable que l'accumulation des richesses et le commerce entraînent la dégradation morale de la cité dans son ensemble. Celle-ci est l'œuvre des « méchants », qui sont « intempérants » : l'appât du gain s'impose comme le principe même du fonctionnement de l'État [127]. L'influence spartiate est, ici, manifeste : la cité lacédémonienne interdisait, pour des raisons morales, toute activité commerciale à ses citoyens.
97 La concordance de ces critiques avec celles développées par les socratiques est patente.
Parallèles avec la critique socratique
98 Comme le Pseudo-Xénophon, les disciples de Socrate semblent défendre les intérêts et les valeurs de l'ancienne aristocratie, propriétaire des terres, face au développement du commerce et de l'économie monétaire. Mais toutes leurs attaques ont avant tout un fondement éthique : il s'agit de montrer que les murailles, la flotte, le commerce et les pratiques de la démocratie athénienne sont un obstacle au développement de la vertu des citoyens, au « bien » de la cité dans son ensemble.
99 Ainsi, pour Platon, les grands hommes politiques d'Athènes n'ont fait que « gorger » la cité « de ports, d'arsenaux, de remparts et de tributs » mais ils n'ont pas réussi à améliorer les citoyens. Au contraire, les murs qu'ils ont fait ériger et la flotte qu'ils ont développée ont affaibli ces derniers. Périclès lui-même a rendu ses concitoyens « paresseux et bavards », en les encourageant à participer aux décisions politiques à l'assemblée ils parlent et ne travaillent pas , « lâches », par la stratégie qu'il a fait adopter durant la guerre, et « cupides », en instituant une allocation versée par l'État à tout citoyen siégeant à l'assemblée [128].
100 Chez Platon, dans le Gorgias notamment, mais aussi dans l'œuvre de Xénophon [129], les attaques contre les réalisations des dirigeants démocrates portent de manière récurrente sur ces quelques points : les remparts [130], la flotte et le commerce. Tous trois sont liés.
101 Antisthène, lui, adopte pleinement le point de vue spartiate sur la problématique des murailles : c'est la valeur éthique qui assure la meilleure protection, les remparts ne sauraient protéger une cité des traîtres qu'elle aurait en son sein [131]. On peut en déduire, a contrario, que leur édification est le fait de dirigeants qui ne comptent pas sur la vertu des citoyens.
102 Et c'est ce que Socrate laisse entendre dans le Gorgias ou dans l'Alcibiade [132] : ce n'est pas avec des murs qu'on éduque les citoyens, ou qu'on parvient à réaliser le but de la cité : le bonheur. Cela correspond parfaitement à la propagande oligarchique : lorsque la destruction des Longs Murs est entreprise par le gouvernement des Trente, Théramène (un « modéré » parmi eux) affirme à celui qui l'accuse de trahir sa cité :
103 O jeune homme, je ne fais rien de contraire à ce qu'a fait Thémistocle ; car il a construit ces murs pour la sauvegarde des citoyens, et nous les détruisons pour la même raison. De plus, si les murs étaient la cause du bonheur d'une cité, alors Sparte devrait être la plus malheureuse, puisqu'elle n'en a pas [133].
104 Le lien avec la flotte est aussi manifeste. « C'est le peuple qui fait marcher les navires », note le Pseudo-Xénophon, et Platon ne semble pas connaître d'engeance pire que celle des marins [134].
105 Enfin, les socratiques ne peuvent accepter une cité fondée sur l'appât du gain, que le Socrate de Xénophon nomme ploutocratie [135]. Ils expriment, de manière générale, un refus de la monnaie et du commerce, en rapport avec leur admiration de la cité lacédémonienne [136].
106 Mais si l'éthique est au fondement même des choix politiques des socratiques, elle n'est au mieux que secondaire chez le Pseudo-Xénophon.
IV. Des m urs démocratiques
107 Alors que la Constitution d'Athènes attribuée à Aristote étudie l'histoire et la structure du système politique d'Athènes, le Pseudo-Xénophon ne s'intéresse qu'incidemment et pour les stricts besoins de ses démonstrations à ce type d'examen : il dévoile surtout les mécanismes souterrains, les rapports de forces entre groupes socio-économiques et leurs répercussions sur les statuts respectifs des citoyens, des métèques et des esclaves ; il souligne les effets politiques pervers des valeurs démocratiques, les attitudes cyniques que ce régime induit ou permet dans les rapports avec les autres cités. Le titre pourrait certes avoir été tiré a posteriori des premiers mots du texte : Peri de tes Athenaion politeias. Mais il faut aussi noter que le mot politeia ne signifie pas nécessairement, à cette époque en tout cas, « système politique ». Critias, par exemple, qui, rappelons-le, pourrait fort bien être l'auteur du texte, lui donnait manifestement le sens de « mode de vie caractéristique d'un pays » [137].
Culture et plaisirs populaires
108 Dans le pamphlet du Pseudo-Xénophon, tous les phénomènes sociaux de la cité sont expliqués par le régime politique qu'il s'agisse de l'abâtardissement de la langue [138], de la diversité des mets, des travaux entrepris dans la cité, de la multiplication des fêtes, tout est ramené à la dictature du demos.
109 La culture athénienne est ainsi décrite comme fondée sur les intérêts économiques du peuple. Le système athénien impose, en effet, le financement des fêtes, des gymnases, des trirèmes aux citoyens les plus riches. Les plousioi payent [139] et les membres les plus pauvres se font « payer » pour participer à ces diverses activités : servir dans les ch urs ou être marin [140], par exemple. Ce régime n'est mû ni par l'amour de la culture, ni par le goût de l'art, ni même par la volonté de défendre la cité. Ce qui lui importe, c'est la « redistribution des richesses ». La preuve en est que
110 ceux qui pratiquent la gymnastique et cultivent la musique, le peuple les a éliminés : il ne croit pas que ce soient de belles choses, et il sait qu'il est incapable de les pratiquer [141].
111 Pour ce qui est de la comédie, le peuple impose sa censure et refuse d'être brocardé ; en revanche, il encourage les poètes à railler ceux qui sont riches, bien nés ou puissants [142].
112 Plus généralement, le Vieil Oligarque attaque le mode de vie ouvert, éclectique et cosmopolite d'Athènes :
113 C'est toujours grâce à la maîtrise de la mer, qui les met en rapport avec d'autres peuples, que les Athéniens ont découvert de quoi varier leurs banquets. Tout ce qu'il y a de délicieux en Sicile, en Italie, à Chypre, en Égypte, en Lydie, dans le Pont, dans le Péloponnèse ou ailleurs, tout cela est rassemblé chez eux grâce à la maîtrise de la mer. Et comme ils entendent parler toutes sortes de langues, ils ont emprunté à celle-ci tel mot, à celle-là tel autre. Les autres Grecs, dans leur langage, dans leur mode de vie, dans leur habillement, sont plus attachés à leurs particularismes, les Athéniens, au contraire, dans leur langage et leurs coutumes, utilisent un mélange d'éléments empruntés à tous les Grecs et à tous les Barbares [143].
114 Ce tableau de la vie athénienne est à mettre en parallèle avec l'idéal oligarchique de la cité lacédémonienne : une ville fermée, austère, interdisant le commerce, méfiante envers les étrangers, profondément réfractaire à tout changement. Thucydide laisse, à cet égard, entendre que les Lacédémoniens auraient conservé le même régime et le même mode de vie depuis plus de quatre cents ans [144] !
115 Ainsi, le maintien d'un empire par la thalassocratie permet au demos athénien de profiter de plaisirs qui sont, ailleurs, privés et réservés aux riches [145]. Le peuple sait bien qu'il est impossible « à chacun des pauvres pris individuellement » d'offrir de grands sacrifices aux dieux, de donner de grands banquets, d'élever des temples, et ainsi d'« habiter en somme une cité belle et grande » [146]. Plutôt que de laisser ces activités dans la seule sphère privée, il les collectivise et les rend publiques, c'est-à-dire payées par le trésor public (financé par le tribut des cités « alliées » et par les impôts des riches Athéniens), afin de pouvoir, lui aussi, en bénéficier. Et ainsi :
116 c'est la masse qui en profite plus que l'aristocratie et les riches [147].
117 La conséquence la plus visible d'un tel système est qu'Athènes a « plus de fêtes à célébrer qu'aucune autre cité grecque » [148].
Irresponsabilité politique
118 Une autre conséquence perverse du système où règne la foule sans visage est la dilution des responsabilités : les traités signés par Athènes n'engagent pas vraiment celle-ci. En effet, le peuple anonyme et versatile de l'Assemblée peut désavouer ses représentants et dénoncer les engagements pris en son nom [149].
119 Au contraire, les cités oligarchiques respectent et maintiennent les traités et alliances, car leurs dirigeants s'engagent personnellement et gardent un sens profond de leurs responsabilités.
120 Le régime démocratique est donc intrinsèquement immoral. La dissolution des responsabilités politiques ainsi que la démocratisation et la multiplication des plaisirs (les classes inférieures sont « intempérantes ») participent d'un même phénomène : une licence sans bornes.
La liberté et l'égalité comme « idéologies »
121 En démocratie, la liberté associée à l'égalité s'étend à toutes les couches de la société, comme le manifeste le comportement inadmissible des esclaves et des métèques : ils ne s'écartent pas du chemin des hommes libres et il n'est « pas même permis de les frapper » [150], s'étonne un des deux interlocuteurs. Mais, lui explique l'autre, si un homme de bonne naissance se permettait d'en corriger un, il pourrait fort bien frapper un citoyen athénien, car, à Athènes, il n'est pas possible de distinguer le citoyen de l'esclave ! C'est donc pour assurer sa propre sécurité que le peuple a interdit de maltraiter les esclaves. Cette raillerie peut être mise en parallèle avec l'affirmation du Socrate de Platon dans la République :
122 N'est-il pas fatal que tout, dans un tel État, soit atteint par l'action de la liberté ? [...] Fatal, oui, mon cher, qu'elle s'insinue secrètement au sein des maisons particulières et que finalement elle fasse prendre racine, jusque chez les bêtes, au refus de se laisser commander. En quel sens, demanda-t-il, entendons-nous pareilles choses ? Voici, dis-je : le père prend l'habitude de se rendre semblable à l'enfant et d'avoir peur de ses fils ; le fils, de son côté, de se rendre semblable au père et de ne respecter ni craindre ses parents, et cela pour être libre ; l'étranger domicilié, de se mettre à égalité avec le bourgeois, et le bourgeois, avec l'étranger domicilié, et pareillement, l'étranger proprement dit. C'est en effet, dit-il, comme cela que les choses se passent. [...] Mais, poursuivis-je, ce qui en vérité, mon cher, porte à son comble la somme de liberté qu'il y a dans un tel État, c'est évidemment quand les hommes qu'on a achetés, les femmes qu'on a achetées ne sont nullement moins libres que ceux qui se les sont payés [151] !
123 L'originalité du Pseudo-Xénophon est d'expliquer l'étonnante liberté des esclaves par l'importance qu'ils ont dans le système économique athénien. La domination des mers exige le maintien d'une flotte puissante. Celle-ci ne peut prospérer que grâce aux taxes prélevées par la cité. Le régime populaire encourage l'esclave et le métèque à s'enrichir pour qu'ils soient à même de contribuer aux dépenses de l'État. Or, pour que l'esclave ou le métèque participe à la vie économique, il faut qu'il soit assuré de sa sécurité [152] : il faut qu'il jouisse de l'égalité avec les citoyens.
124 La liberté que proclame le régime démocratique conduit, en fait, à rendre libres les esclaves et esclaves les hommes libres : avec le développement du commerce et de la puissance maritime, « il est inévitable d'être esclave des esclaves » [153]. Pour le Pseudo-Xénophon, comme pour Critias, « c'est à Lacédémone qu'on est le plus homme libre ou esclave » [154].
125 Le texte offre, par ailleurs, une vigoureuse critique de l'isonomia démocratique [155] et de l'isegoria, « liberté de parler égale pour tous ». À Athènes, non seulement tous sont égaux devant la loi [156] mais, sous le régime populaire, tous peuvent obtenir une magistrature et, surtout, ont le droit de participer directement, à l'Assemblée, aux grandes orientations politiques de la cité :
126 La parole est à qui veut, s'il a à proposer à la communauté pour le bien de l'État un avis réfléchi [157].
127 Or, selon le Pseudo-Xénophon, en laissant n'importe qui participer au pouvoir, le régime athénien fonctionne dans l'intérêt exclusif du demos. L'auteur dévoile ainsi la contradiction qui affecte la démocratie dans son principe même et peut, dès lors, lui dénier toute valeur éthique : elle n'est pas, comme le soutiennent ses défenseurs, le régime où le pouvoir est exercé par la totalité du corps civique et dont l'idéal est la dike justice . Elle est dénoncée comme un régime inégalitaire : même les tribunaux, précise le Pseudo-Xénophon, ne jugent pas en vue de la dike mais en fonction du seul intérêt du peuple [158].
128 L'égalité démocratique est donc le paravent idéologique d'une inégalité réelle. On pourrait attendre ici que le Pseudo-Xénophon définisse, à l'opposé, une « véritable » égalité qui serait plus conforme à la justice.
129 C'est ce qu'ont fait ou tenté de faire les philosophes socratiques : ainsi, Platon attaque le principe d'égalité qui préside au régime démocratique au livre VIII de la République :
130 Voici, repris-je, [...] les caractères de la démocratie : un régime plein d'agrément, dépourvu d'autorité, non de bariolage, distribuant aux égaux aussi bien qu'aux inégaux une manière d'égalité [159].
131 Et, pour dénoncer cette « manière d'égalité », les penseurs proches des milieux aristocratiques, comme Platon, se réfèrent à la théorie de l'« égalité géométrique ». L'application des notions d'égalité géométrique et arithmétique à la justice sera plus particulièrement développée par Aristote au livre V de l'Éthique à Nicomaque, mais elle est en réalité bien plus ancienne : les pythagoriciens, grands mathématiciens, qui avaient différencié l'égalité simple de l'égalité de proportion, avaient déjà transposé cette distinction à la sphère politique [160]. À chacune de ces égalités, en effet, correspond un type de régime : l'égalité arithmétique est celle revendiquée par les démocrates ; l'égalité géométrique est l'idéal aristocratique dans lequel les droits politiques du citoyen doivent être proportionnels à sa valeur, à son mérite. C'est évidemment dans cette dernière que se manifesterait la justice : non pas a = c, mais a/b = c/d, où a et c représentent les droits de chacun et b et d leur valeur respective.
132 Cette théorie, qui légitimerait un régime aristocratique, n'a cependant pas sa place dans la Constitution des Athéniens [161].
133 En effet, ce texte a une visée immédiatement politique et appelle à l'action : il ne tente pas même d'exposer une quelconque théorie de l'égalité. Par ailleurs, il s'adresse à un public a priori acquis à l'idée de la supériorité morale du régime aristocratique. Enfin, le Vieil Oligarque ne peut pas même accepter l'idée d'une « bonne égalité ». Car la théorie de l'égalité géométrique repose sur un modèle cosmologique de l'harmonie du monde. Or, en partant d'une vision d'une société déchirée, divisée en deux pôles ennemis, irréconciliables, le Pseudo-Xénophon ne peut partager une telle conception : pour lui, comme pour le Calliclès de Platon qui « n'a pas honte de dire ce qu'il pense » [162], il n'y a que de la domination, de la violence, de l'« inégalité » : il « néglige la géométrie » [163].
134 Son attitude rappelle aussi celle de Polémarque qui, dans la République de Platon, interprète le « rendre à chacun ce qu'il mérite » de Simonide [164] de la façon suivante : « faire du mal à ses ennemis, du bien à ses amis ».
V. Que faire ?
135 À nouveau, avant le développement final, le Vieil Oligarque répète :
136 Bref, je n'approuve pas du tout le système politique des Athéniens ; mais, puisqu'il leur a plu d'adopter un régime démocratique, je pense qu'ils le défendent fort bien, en se gouvernant selon le mode que j'ai indiqué [165].
137 Ce mode, on l'a vu, c'est l'action multiforme et opportuniste du demos qui n'a pour fin que son propre intérêt. L'auteur veut en faire prendre conscience à son lecteur oligarque et l'exhorter à agir de même.
La réforme impossible
138 Mais le système démocratique est parfaitement cohérent : c'est un régime fort car chaque décision, même la plus condamnable en apparence (comme le fait d'être gouverné par des « méchants »), « procure au peuple sa force et sa liberté » [166].
139 Cette aptitude à comprendre la force du régime démocratique, contrairement à ceux qui n'y voient qu'« une folie universellement reconnue pour telle » [167], le mène à la plus drastique des conclusions : il n'est pas de réforme possible du système athénien, il est impossible de l'amender « sans entamer l'essence même de la démocratie » [168] :
140 Il n'est pas facile de trouver un moyen qui, tout en maintenant la démocratie, permette aux Athéniens d'être mieux gouvernés [169].
141 Peut-être cette possibilité existerait-elle si le pouvoir du demos était limité par la loi. Mais à Athènes, rien, pas même la loi, ne saurait brider la souveraineté populaire car « le peuple est lui-même la loi » [170], écrit lucidement le Vieil Oligarque.
142 Le célèbre cas du procès des Arginuses où Socrate s'éleva seul contre la mise en accusation illégale pour non-respect des règles de procédure des généraux [171] est un bon exemple de ce que dénonce ici l'auteur du pamphlet. En théorie, la distinction entre loi et décret, ou ordre, était déjà connue des Anciens : Hypéride [172] fait même remonter le principe de la hiérarchie des sources du droit à Solon. Andocide rapporte que pendant la grande refonte des lois qui suivit la restauration de la démocratie, en 403, il fut écrit, sans doute en réaction aux abus passés :
143 Une loi non écrite ne doit être appliquée par les magistrats en aucun cas. Aucun décret, ni du conseil ni du peuple, ne prévaudra contre la loi [173].
144 Mais une telle distinction, même après avoir été officiellement proclamée, restait difficile à mettre en pratique, à cause de l'exercice direct de la souveraineté populaire. Selon L. Gernet [174], « l'idée que le souverain pouvoir du peuple n'est pas soumis au respect strict d'une légalité que d'ailleurs il promulgue et définit se manifeste par intermittences : la loi, non seulement le peuple est tout disposé à s'en attribuer l'institution, mais à certains moments de crise, il n'admet pas qu'on la lui oppose, et trouve scandaleux qu'on ne lui laisse pas faire ce qu'il veut en matière de justice pénale [175] ». À Athènes, particulièrement pendant la guerre, où la démocratie extrême se donne tous les pouvoirs, le peuple est effectivement la loi [176].
145 L'observation du Pseudo-Xénophon s'inscrit dans ce contexte historique ; l'influence de la sophistique n'est sans doute pas à négliger : en imposant l'idée de relativité, des sophistes comme Protagoras condamnaient, bien involontairement, la loi à n'être plus que l'œuvre et l'instrument de domination du groupe social le plus puissant. Cette idée sera développée par la seconde génération de sophistes, dont Thrasymaque par exemple, selon la République de Platon.
146 Dans une telle situation, tout espoir de réforme est illusoire.
Vers le coup d'État
147 Le Vieil Oligarque s'adresse à ceux qui partagent la même conception de l'eunomia, mais qui ne perçoivent pas la démocratie comme la domination rationnelle et intéressée des classes inférieures à ces aristoi qui, aveuglés par l'idéologie démocratique, s'imaginent que tous les Athéniens ont des intérêts semblables et partagent des valeurs communes qui les unissent face aux barbares ou aux autres cités grecques [177].
148 Il rejette catégoriquement cette illusion et prône la solidarité des aristocrates de toutes les cités, car
149 partout sur terre, les meilleurs sont les ennemis de la démocratie [178]
150 et, ajoute-t-il à plusieurs reprises, « le semblable aide son semblable » [179] ! Ce « manifeste du parti oligarchique » aurait pu avoir pour mot d'ordre : « Aristocrates de tous les pays, unissez-vous » ! Il est, en effet, évident aux yeux de l'auteur que la solidarité de classe s'étend par-delà les limites de la cité. Le Pseudo-Xénophon décrit Athènes comme une puissance impériale expansionniste et suggère que la démocratie est l'ennemie de toutes les oligarchies du monde grec [180].
151 Il veut donc convaincre ses « semblables » (homoioi) :
152 du caractère despotique du régime démocratique,
153 de l'impossibilité de le réformer,
154 de la convergence de leurs intérêts avec ceux des aristoi des autres cités,
155 et provoquer un sursaut. Le caractère injuste du régime doit susciter un sentiment de révolte, une volonté de résistance ; l'abandon de l'illusion réformiste ne laisse place qu'à l'emploi de la force et, pour être fort, il faut faire appel aux aristocrates des autres cités [181].
156 Enfin, le Vieil Oligarque cherche également à rallier à sa cause un groupe social qui ne serait pas naturellement porté à la soutenir : les paysans à qui il veut montrer qu'ils n'ont rien de commun avec le demos et qu'ils ont tout à gagner d'un régime oligarchique qui défendra la propriété foncière.
157 Si on veut instaurer l'eunomia [182], il faut donc abattre totalement le régime athénien et remplacer le despotisme populaire par un despotisme aristocratique.
158 Mais comment ? Le Vieil Oligarque perçoit parfaitement la faille de la puissance athénienne : Athènes, malgré les efforts de ses dirigeants, n'est pas une île. Si elle l'était, « tout coup de main contre la démocratie serait impossible ». Il laisse ainsi entendre que la cité pourrait être livrée par des oligarques qui ouvriraient les portes à leurs alliés de l'extérieur [183], c'est-à-dire Sparte, car « le semblable aide son semblable » et Sparte n'est l'ennemie que du peuple, et pas des « honnêtes gens ».
159 Il envisage ensuite le rôle possible des bannis, les atimoi, ceux qui ont été privés de leurs droits civiques par le régime démocratique. Mais, si décidés soient-ils, ils ne représentent aucune menace pour la cité car « ce n'est pas un petit nombre qu'il faut pour s'attaquer à la démocratie athénienne puisqu'elle est si bien organisée » [184].
160 C'est sur cette note apparemment pessimiste que se termine le dialogue. Certains commentateurs y ont vu une « aporie » [185] ou encore la preuve qu'il ne s'agit que d'un extrait d'une œuvre plus vaste [186]. Mais la possibilité de l'appel à Sparte n'est pas réfutée. En réalité, le Vieil Oligarque prévoit le scénario de 404 : Critias le banni revient et s'empare du pouvoir avec l'aide des troupes spartiates.
VI. Concepts et Analyses
161 Trois notions essentielles entrent en jeu dans l'analyse du Pseudo-Xénophon : l'intérêt, l'excellence, la force. Elles s'entrecroisent et mènent à des affirmations concurrentes, sinon paradoxales.
Intérêt et excellence
162 Au début du texte, le Vieil Oligarque affirme :
163 Je dirai d'abord qu'il est dikaios qu'à Athènes les pauvres et le peuple l'emportent sur les nobles et les riches [187].
164 Les spécialistes discutent aujourd'hui encore du sens à donner à dikaios [188] : faut-il considérer qu'il n'implique pas de jugement moral et qu'il faut le traduire par « il est normal que... » ou, au contraire, lui donner son sens habituel de « juste » ? La seconde interprétation semble ici plus adéquate : dans l'esprit du Pseudo-Xénophon, l'identification de la justice au droit du plus fort paraît, sous l'influence d'une certaine sophistique dont il est contemporain, naturelle.
165 La Constitution des Athéniens rejoint, en ce sens, la thèse défendue par Thrasymaque au livre I de la République de Platon :
166 Je soutiens, moi, que la justice n'est autre chose que l'intérêt du plus fort [189]
167 et :
168 Les lois établies par chaque gouvernement le sont en vérité par rapport à son profit, lois démocratiques par la démocratie, tyranniques par la tyrannie, et de même par les autres régimes [190].
169 C'est également la conception du jeune Alcibiade face à Périclès, dans les Mémorables de Xénophon :
170 [Alcibiade] : Et quand le petit nombre, au lieu de persuader la multitude, abuse de son pouvoir pour faire des décrets, dirons-nous ou ne dirons-nous pas que c'est de la violence ? [Périclès] : Mon avis, dit Périclès, c'est que, toutes les fois que l'on contraint quelqu'un à faire quelque chose, sans avoir obtenu son aveu, que l'ordre soit écrit ou qu'il ne le soit pas, c'est plutôt de la violence qu'une loi. [Alcibiade] : Dès là, tout ce que le peuple assemblé, abusant de son pouvoir sur les riches, décrète sans avoir obtenu leur aveu, c'est donc de la violence plutôt qu'une loi ? [191]
171 Le Vieil Oligarque en généralise la portée : ce ne sont plus seulement les lois, mais la totalité des rapports humains qui sont l'expression des rapports de groupes sociaux antagonistes et, en dernière analyse, des rapports de forces.
172 Mais, d'autre part, l'auteur souligne que le demos agit toujours exclusivement selon son intérêt : « Le peuple ne veut pas être esclave dans une cité bien gouvernée (eunomoumene), mais être libre et commander ; peu lui importe le mauvais gouvernement (kakonomia) ».
173 Là, se révèle une contradiction : parce que le peuple est fort, le régime qu'il impose, la démocratie, est dit « juste » ; pourtant, il s'agit du « mauvais gouvernement ». La raison de cette inconséquence est simple : le Pseudo-Xénophon superpose un raisonnement moral traditionnel, fondé sur l'opposition du bien et du mal (les meilleurs sont bons, et doivent diriger : cela est bon moralement), et un raisonnement matérialiste fondé sur la mise en évidence d'intérêts divergents (il est légitime que chaque classe défende ses propres intérêts).
174 Le même genre d'ambiguïté peut être relevé dans le discours de Thrasymaque dans la République de Platon. Si le sophiste affirme que « le juste est l'intérêt du plus fort » ou « des gouvernants », il conserve un autre sens du mot « juste », le sens traditionnel, moral : quand Socrate lui demande s'il considère l'injustice comme une vertu et la justice comme un vice [192], Thrasymaque est visiblement surpris, voire choqué, par cette question. Pour lui, l'injustice est simplement « de bonne sagesse » (euboulian) [193], et la justice « une candeur pleine d'abnégation » [194].
175 Cette amphibologie est présente chez le Pseudo-Xénophon : d'une part, le juste est duperie et mystification un masque idéologique , puisqu'on appelle dikaios ce qu'impose le plus fort, le pouvoir en place (« argument de la sophistique ») ; de l'autre, il correspond à quelque chose de réel, à l'excellence (« morale traditionnelle »), quand « les meilleurs » dominent, quand le « bon citoyen » est « l'homme bon », pour reprendre l'analyse d'Aristote [195]. En effet, les chrestoi ne recherchent pas seulement leur intérêt personnel : ils sont en quête de l'eunomia qui est un bien pour toute la cité.
176 Le Vieil Oligarque affirme ainsi : « si c'est le bon gouvernement (eunomia) que tu cherches, tu verras d'abord les plus habiles établir les lois. [...] À la suite de ces sages mesures, le peuple ne tarderait pas à tomber dans la servitude ». Certes, l'eunomia est aussi le régime qui sert les intérêts des chrestoi : les « meilleurs » comme les « vils » se déterminent selon leur intérêt. La différence tient au fait que seuls les aristoi imposent le bon gouvernement.
177 Sur ce point d'une importance cruciale au moins sur le plan théorique , les socratiques échappent aux contradictions apparentes qui affectent le texte du Pseudo-Xénophon. Pour Socrate, il n'y a pas d'opposition entre bien et intérêt : l'utile et le juste s'identifient. Plus précisément, il n'y a qu'un Bien véritable, et l'intérêt de tout homme est de le poursuivre même si tous ne sont pas capables d'en découvrir la véritable nature.
Réappropriation de la force
178 L'intérêt de chaque classe est de lutter sans relâche pour s'emparer du pouvoir et le renforcer. Comme Hobbes, le Pseudo-Xénophon pourrait affirmer :
179 C'est pourquoi je place au premier rang, à titre de penchant universel de tout le genre humain, un désir inquiet d'acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu'à la mort. Et la cause de cela n'est pas toujours que l'on espère une jouissance plus grande que celle qu'on vient déjà d'atteindre, ou qu'on ne peut se contenter d'une faible puissance, mais qu'on ne peut garantir la puissance et les moyens de vivre bien dont on dispose dans le présent, sans en acquérir plus [196].
180 Et, s'il met en lumière la violence du peuple qui choisit sciemment le mauvais gouvernement, il est conscient que, pour établir le bon régime et le maintenir, les oligarques, actuellement faibles, doivent recourir à la force.
181 Mais le texte s'achève sur ce constat amer : les meilleurs ne sont pas les plus forts. Il tend donc à montrer que l'arete, l'excellence, n'a que peu de rapports avec la force (kratos). Celle-ci est associée au contraire de l'arete, à la bassesse et à l'ignorance du demos.
182 Or, c'est justement là qu'est, à ses yeux, la véritable contradiction : elle n'est pas théorique mais dans le réel, dans cette bizarrerie historique qu'est la démocratie, qui rend dikaios un pouvoir mauvais. Traditionnellement, en effet, le kratos était essentiellement lié à l'excellence (arete) et à la justice (dike), donc à l'autorité politique [197]. C'est même un des attributs principaux de Zeus chez Hésiode [198], et Solon lui-même se félicite d'avoir accompli son œuvre « par la force de la loi », kratei nomou, en « unissant ensemble la violence et la justice », bien kai diken [199]. Mais, peu à peu, la notion de force prend son indépendance. Ainsi, l'œuvre de Thucydide témoigne de quelle manière, après la disparition de Périclès, le lien entre l'arete et la domination politique (le kratos) se dissout. Seul le pouvoir compte et tous les moyens sont bons pour s'en emparer et s'y maintenir, comme le prouve l'exemple de Cléon, « le plus violent des citoyens » [200]. E. Lévy [201] a montré comment « l'idéologie de la puissance » s'est développée à la fin du ve siècle : si, au début de la guerre du Péloponnèse, elle se cache encore derrière de « beaux mots » [202], elle apparaît à la fin comme force brute et nue, abandonnant toute référence aux valeurs aristocratiques excellence (arete), honneur (time) ou à celle de justice (dike).
183 Il s'agit dès lors, pour le Vieil Oligarque, de restaurer le lien naturel entre excellence et pouvoir politique, de se réapproprier l'usage de la violence [203].
184 Critias écrivait :
185 En ce temps-là, jadis, l'homme traînait sa vie sans ordre, bestiale et soumise à la force, et jamais aucun prix ne revenait aux bons, ni jamais aux méchants aucune punition. Plus tard les hommes, je le crois, ont pour punir institué des lois, pour que régnât le droit (dike turannos), et que pareillement la démesure soit maintenue asservie. Alors on put châtier ceux qui avaient fauté. Mais, puisque par les lois ils étaient empêchés par la force, au grand jour, d'accomplir leurs forfaits... [204]
186 L'« état de nature » est violence. L'état social est encore violence, mais une violence allant de pair avec la justice : c'est par la force que les bons doivent s'imposer et asservir la démesure.
187 De même, pour le Pseudo-Xénophon, le règne du bien ne peut être que tyrannique : il faut instaurer l'eunomia par la force, par une « dictature de classe », pourrait-on dire.
188 C'est pourquoi le texte n'essaye pas de démontrer en quoi les aristoi sont bons, ni même en quoi le demos est mauvais il n'y a d'ailleurs personne à convaincre : pour l'auteur, pour les deux personnages du dialogue, et pour le public auquel l'opuscule est destiné, c'est une évidence. Il s'agit avant tout de comprendre et surtout de faire comprendre en quoi « ils » sont forts, en quoi « nous » sommes faibles. Autrement dit : comment devenir forts afin qu'à nouveau force, justice, intérêt et excellence s'identifient ?
189 Le Pseudo-Xénophon appelle donc à la destruction du régime démocratique et désire, avec ses pareils, redevenir le maître, à l'instar du Calliclès de Platon :
190 Modelés à façon, les meilleurs et les plus forts d'entre nous, pris en mains dès l'enfance, sont, tels des lions, réduits en servitude par nos incantations et nos sortilèges, apprenant de nous que le devoir est l'égalité, que c'est cela qui est beau et qui est juste ! Mais, que vienne à paraître, j'imagine, un homme ayant le naturel qu'il faut, voilà par lui tout cela secoué, mis en pièces : il s'échappe, il foule aux pieds nos formules, nos sorcelleries, nos incantations et ces lois qui, toutes sans exception, sont contraires à la nature ; notre esclave s'est insurgé et s'est révélé maître. C'est à cet instant que resplendit la justice selon la nature [205].
Conclusion
191 Malgré une analyse pénétrante des faits qui dévoile les mécanismes souterrains à l'œuvre dans les rapports entre groupes sociaux, le Pseudo-Xénophon ne parvient pas vraiment à dégager une théorie cohérente : on a souvent l'impression d'une rhapsodie d'arguments sans synthèse réelle.
192 Pourtant, cette pensée politique balbutiante, à objectif pratique et non théorique, sait mobiliser des outils d'analyse particulièrement puissants.
193 Dans la Contribution à la critique de l'économie politique, Marx soutient qu'il faut juger les sociétés d'après ce qu'elles sont et non pas d'après ce qu'elles pensent être. C'est ce principe qui sert de clef aux analyses du Pseudo-Xénophon. Dans la Constitution des Athéniens, tout rapport politique c'est-à-dire tous les rapports sociaux dans la polis, toutes les productions sociales, jusqu'à la nourriture et au langage est compris comme rapport de forces. Pour le Vieil Oligarque, l'intolérance, la violence et même la guerre civile (stasis) sont les formes mêmes du combat politique.
194 Le thème de la stasis devient central à la fin du ve siècle et au début du ive. Après 404, la défaite d'Athènes est généralement présentée comme le résultat de la désunion [206] et l'homonoia [207], l'harmonie dans la cité, apparaît, après l'empire, comme le nouvel idéal de la cité. Pour les socratiques, pour Platon particulièrement, éviter la stasis est un impératif absolu : il faut à tout prix faire advenir l'homonoia [208], solution que K. Popper caractérisera par le mot d'ordre : « Arrest all political change » [209]. Cet idéal, particulièrement chez Platon, s'oppose entièrement à l'analyse du Pseudo-Xénophon : il conduit à ignorer ou à éviter absolument la lutte des classes, à dissoudre l'antagonisme de classes dans la collectivité, sous une structure hiérarchisée, à nier les intérêts divergents (en soutenant qu'ils dérivent de l'ignorance), en mettant l'accent sur l'intérêt de la cité dans son ensemble. C'est bien pour cette raison, ainsi qu'à cause de l'obéissance quasi-absolue à la loi, prônée par Socrate lui-même, que n'est jamais avancée l'idée d'un changement de régime par la violence [210].
195 Mais l'idée que la politique est avant tout une guerre totale entre groupes sociaux reste encore profondément ancrée : Démosthène lui-même, longtemps après la guerre, demandera dans un de ses discours [211] que les citoyens de tendance oligarchique soient exclus de l'Assemblée.
196 Le Vieil Oligarque n'imagine pas d'autre conduite : lorsque l'eunomia sera installée, les bons « ne permettront pas que des fous siègent au conseil ou prennent la parole à l'assemblée » et « finalement le peuple tombera en servitude ». Il accepte pleinement le cadre de la stasis, de la lutte frontale des classes : il ne veut pas plus l'harmonie qu'il ne croit aux compromis.
197 Ce texte étonnant comporte l'essentiel des attaques portées contre la démocratie de l'Antiquité à nos jours. La critique du régime populaire est la règle dans les textes athéniens du ve et du ive siècle, à l'exception de ceux des orateurs, mais nul dans l'Antiquité ne dépassera l'analyse violente et systématique du Pseudo-Xénophon, qui ramène chaque aspect de la vie sociale au politique et à la domination du « maudit peuple » [212].
198 Il faudra attendre l'époque moderne pour retrouver des attaques d'une telle virulence contre la démocratie. Pour n'en citer qu'un exemple, Maurras écrit en 1937 :
199 Le mal, ce n'est pas le fait d'une élection, c'est le système électif étendu à tout, c'est la démocratie. La démocratie, c'est le mal, la démocratie, c'est la mort [213].
200 Plusieurs thèmes que les théoriciens conservateurs ou d'extrême droite développeront sont déjà présents dans le texte du Pseudo-Xénophon : la critique du système des élections, les attaques contre l'argent-roi et la corruption omniprésente [214], la défense des propriétaires et de la terre, etc. L'accusation d'avoir entraîné la cité dans une guerre aux conséquences catastrophiques peut aussi être mise en parallèle avec le discours pétainiste tel qu'il fut propagé, par exemple, dans Le Matin [215] : annonçant une « ère nouvelle », le journal applaudit (à propos de la troisième République) :
201 la fin d'un régime, tyrannique sous prétexte de liberté, qui s'est révélé fauteur de guerres et de désastres.
202 L'appel à l'aide étrangère, à la solidarité des régimes défendant les mêmes valeurs et les mêmes intérêts, est également une caractéristique qu'on retrouvera chez les « émigrés » français de la Révolution.
203 L'objectif de l'auteur ainsi que son analyse fondée sur la distinction de la morale traditionnelle archaïque entre « [naturellement] bon » et « [naturellement] mauvais » facilite la comparaison. Mais celle-ci doit être tempérée. Le Pseudo-Xénophon a des raisons d'attaquer ainsi le régime de sa cité et ses critiques bien que souvent excessives correspondent à des réalités historiques. La démocratie athénienne n'est pas la démocratie représentative constitutionnelle : c'est la démocratie directe, où le peuple seul est souverain il est au-dessus de la loi ; c'est, comme le note L. Canfora, l'idéal du dogmatisme jacobin adorateur de la volonté populaire et pour lequel la loi est seulement un instrument, non une valeur en soi , qu'on fait souvent remonter à Rousseau :
204 À l'instant que le peuple est légitimement assemblé en corps souverain, toute juridiction du gouvernement cesse, la puissance exécutive est suspendue [216].
205 Un autre parallèle s'impose plus immédiatement encore : le Pseudo-Xénophon, contrairement aux autres grands détracteurs de la démocratie de son époque les socratiques , a une vision des phénomènes sociaux que développera le marxisme : une analyse matérialiste des luttes politiques fondées sur les intérêts divergents des classes en présence. Plus que le « bien », le « mal », ou « l'ignorance », c'est l'intérêt bien compris qui détermine les choix politiques et les comportements humains. Et, contrairement aux thèses traditionnelles de l'extrême droite, le Vieil Oligarque considère la démocratie comme un régime parfaitement cohérent et fort, et non comme une absurdité affaiblissant la nation en la menant à l'anarchie. Autre divergence plus grande encore : ces thèses tendent à nier théoriquement l'importance de la lutte des classes et à la faire disparaître en pratique en favorisant le corporatisme et en donnant la priorité au nationalisme :
206 Sans nier les classes, nous les subordonnons aux corps de métier qui réunissent toutes les classes et rassemblent les membres de la nation, au lieu de les parquer et de les diviser [217].
207 Le Pseudo-Xénophon, lui, voit un monde entièrement dominé par les antagonismes sociaux. Il dénonce les principes démocratiques (comme l'égalité de tous) comme des draperies mystificatrices servant les intérêts de la classe dominante. Il est explicitement internationaliste : pour lui, la classe prime sur la patrie [218].
208 Cette juxtaposition de thèmes que redécouvriront et exploiteront révolutionnaires et contre-révolutionnaires des temps modernes font de cet opuscule non seulement la plus ancienne mais surtout une des plus originales critiques de la démocratie comme système dictatorial pervers mais d'une cohérence sans faille.
Notes
-
[1]
David Lévystone est titulaire d'un DEA d'histoire de la philosophie.
-
[2]
Philostrate, Vies des sophistes, I, 16 = Critias, 88A1 DK (DK = Die Fragmente der Vorsokratiker von H. Diels, hrsg. von W. Kranz, Berlin, 61952). Sauf indication contraire, les traductions françaises des fragments de Critias sont celles de J.-L. Poirier dans Les Présocratiques, édition établie par J.-P. Dumont avec la collaboration de D. Delattre et de J.-L. Poirier, Paris, 1988 (Bibliothèque de la Pléiade, 345).
-
[3]
Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XXXV, 4 ; Eschine, Sur la fausse ambassade, II, 77, Contre Ctésiphon, III, 235 ; Diogène Laërce, VII, 5.
-
[4]
Xénophon, Helléniques, II, 3, 14 ; Isocrate, Aréopagitique, VII, 6 ; Aristote, Constitution d'Athènes, XXXVII, 2.
-
[5]
Son influence s'étend alors sur la plupart des îles de la mer Égée, sur les côtes d'Asie Mineure et jusque dans certaines cités d'Italie du Sud et de Sicile. Dans Thucydide, Périclès met en avant les ressources financières et militaires d'Athènes (I, 141-144 ; II, 13), sa maîtrise des mers (I, 142, 3-8 ; II, 62, 2) et l'étendue de l'empire (II, 64, 3). Les adversaires d'Athènes, les Spartiates, sont conscients de l'avantage athénien (I, 80-81). Les textes de Thucydide sont cités dans la traduction de J. de Romilly et al., Paris, 1953-1975 (Collection des Universités de France).
-
[6]
En politique extérieure Thucydide, I, 69, 3 et I, 75, 3 ; I, 97 et 118 ; III, 10, 4 ; III, 11, 2-3 ; comparer II, 63, 2 (Périclès) et III, 37, 2 (Cléon) ; ainsi que les crises de Mytilène (III, 25-51) et de Mélos (V, 116, 4) où les Athéniens « mirent à mort tous les Méliens qu'ils prirent en âge de porter les armes » , comme en politique intérieure (après la mort de Périclès, les grands démagogues s'emparent du pouvoir), la situation évolue considérablement : démocratie et impérialisme se radicalisent, en se renforçant l'un l'autre, menant à une politique de plus en plus cynique et cruelle qui se justifie par des arguments de la sophistique. Voir l'étude de « l'idéologie de la puissance » par E. Lévy, Athènes devant la défaite de 404 : histoire d'une crise idéologique, Paris, Athènes, 1976, p. 144 : « On est passé dans un cas d'une puissance rayonnante qui assurait la gloire future d'Athènes à un empire brutal qui ne se soucie que de conquêtes, et, dans l'autre, d'une autorité fondée sur le mérite et le prestige à une tyrannie sanglante ». Notons que dans son analyse, le régime des Trente n'est pas en rupture avec l'idéologie de la puissance mais en est la prolongation et, pourrait-on dire, l'aboutissement.
-
[7]
La mutilation des Hermès sacrés (piliers de pierre surmontés d'une tête d'Hermès ou parfois d'un autre dieu, et pourvus d'un phallus en leur milieu, censés protéger la cité du mal) provoqua une grave instabilité à Athènes. L'affaire entraîna une folie de « primes à la délation » et de jugements sommaires, la cité, « croyant à un complot visant à faire une révolution et à renverser la démocratie », « rapportait tout à une conjuration oligarchique ou tyrannique ». Elle eut aussi pour conséquence le rappel d'Alcibiade qui dirigeait alors l'expédition de Sicile et n'y était probablement pour rien afin d'être jugé. Cf. Thucydide, VI, 27-29 ; VI, 53 et VI, 60-61.
-
[8]
Sur cette crise, voir notamment Thucydide, VIII, 66-76. Notons que Thucydide qui prend rarement parti est favorable au gouvernement des Cinq Mille (VIII, 97) qui est, selon lui, une sage combinaison de démocratie et d'oligarchie « un gouvernement tout à fait bon ».
-
[9]
On ne peut avoir de date précise car c'est à ce moment que s'arrête le récit de Thucydide.
-
[10]
Cf. Xénophon, Helléniques, II, 3, 16-17, où Critias affirme face à Théramène : « Mais si, parce que nous sommes trente et non un seul, tu vois là une raison qui doit nous empêcher d'user de ce pouvoir comme d'une tyrannie, tu es bien naïf ». Pour ce dernier, « si on ne prenait pas des gens en nombre suffisant pour participer aux affaires, le régime oligarchique ne pourrait se maintenir ». C'est en raison de cette divergence que Théramène sera exécuté par Critias (Xénophon, Helléniques, II, 3, 15 = Critias, 88A10 DK et Xénophon, Helléniques, II, 3, 34). Cet oligarque modéré estimait que les gens avec lesquels il faut gouverner sont « ceux qui sont capables de servir l'État, soit avec leur cheval, soit avec leur bouclier » (Xénophon, Helléniques, II, 3, 48).
-
[11]
Aristote, Politique, V, 9, 1310a8-10. Je traduis.
-
[12]
Scholie à Eschine, I, 39 = Critias, 88A13 DK. Je traduis. Pour Poirier, il faudrait comprendre : « Ci-gisent des héros qui pour un bref moment / Tinrent les malheureux Athéniens sous le joug ». Mais il paraît assez évident, d'après le début de la phrase, que kataraton prend ici le sens de « maudit », et non de « malheureux ».
-
[13]
Un peu plus de trois mille cent mots en grec (une douzaine de feuillets dans la traduction française).
-
[14]
L. Canfora, La démocratie comme violence, traduit de l'italien par D. Fourgous, Paris, 1989.
-
[15]
À partir des textes de ses disciples (Platon, Xénophon, Antisthène) et de ses adversaires (Polycrate d'après Libanios) mais aussi selon Aristophane, en 414 (le texte ne peut donc viser ni Platon ni Xénophon) : « Tous les hommes souffraient de lacomanie, étaient chevelus, affamés, crasseux, faisaient les Socrate et portaient des bâtons » (Aristophane, Les Oiseaux, 1281-1282).
-
[16]
Il n'y a, à ma connaissance, qu'une seule exception avérée : Chéréphon, qui partit en exil avec les démocrates en 404 et revint avec Thrasybule, leader de l'opposition aux Trente. K. Popper, The Open Society and its Enemies, vol. I : The Spell of Plato, London, 1999 (11945), quant à lui, oppose un Socrate « bon démocrate », à un Platon « totalitaire ». Son argument central est qu'Antisthène, dont il fait (p. 92, 152 et 276) étrangement un démocrate convaincu, fut le seul disciple fidèle de Socrate ! Or Antisthène a manifestement été un détracteur de la démocratie athénienne. L'autre position extrême sur Socrate est représentée par l'ouvrage d'A.D. Winspear et T. Silverberg, Who was Socrates ?, New York, 1939, qui présente le philosophe comme un conspirateur à l'origine du coup d'État des Trente. La vérité est certainement entre ces deux positions.
-
[17]
Il est en tout cas probable que Platon et Xénophon connaissaient ce pamphlet : ils appartenaient tous deux aux cercles d'intellectuels aristrocratiques dans lesquels le texte devait circuler.
-
[18]
J'entends par là les thèses générales qui se dégagent de la comparaison des textes de Platon (particulièrement ceux de la première période), des ouvrages de Xénophon et des fragments des « petits socratiques ». Je ne désire pas ouvrir ici le débat sur ce qui appartient proprement à Socrate ou non, même si je suis, pour ma part, persuadé de la possibilité de reconstituer, au moins en partie, cette pensée par une étude comparée des différents disciples. Pour Antisthène, on donnera les références dans l'édition de G. Giannantoni, Socratis et Socraticorum reliquiae, Napoli, 1990 (cité dans la suite SSR), vol. II, p. 137-225. Pour Xénophon, je retraduis à partir de E.C. Marchant (ed.), Xenophon in seven volumes, IV : Memorabilia and Oeconomicus, Cambridge, Mass., 1923. Enfin, on adoptera généralement, pour Platon, la traduction L. Robin, Platon, œuvres Complètes, vol. I et II, Paris, 1950 (Bibliothèque de la Pléiade).
-
[19]
Et la recherche des inspirations de l'auteur. L'œuvre majeure reste le commentaire de H. Frisch, The Constitution of the Athenians. À philological-historical analysis of Pseudo-Xenofon's treatise De re publica Atheniensium, København, 1942 (Classica et Mediaevalia. Dissertationes, 2).
-
[20]
Littéraires, c'est-à-dire non épigraphiques.
-
[21]
Selon les passages invoqués, le texte se situe dans une fourchette allant généralement de 450 à 413. Par exemple : G.W. Bowersock, Pseudo-Xenophon. Constitution of the Athenians (= Xenophon in seven volumes, VII. Scripta Minora), Cambridge, Mass., 1968 (Loeb Classical Library), p. 465 : vers 440 av. J.-C. ; G.E.M. De Ste Croix, The class struggle in the Ancient Greek World : from Archaic Age to the Arab conquests, Ithaca, London, 1981, p. 307-310 : après 431 av. J.-C., peut-être 424 ; B. Hemmerdinger, « L'Émigré (Pseudo-Xénophon), ATHENAION POLITEIA », Revue des études grecques, 88, 1975, p. 71-80 : 426-424 av. J.-C. ; W. Forrest, « The date of the Pseudo-Xenophontic Athenaion Politeia », Klio, 52, 1970, p. 107-116 : 425-424 av. J.-C. ; A.W. Gomme, « The Old Oligarch », Harvard Studies in Classical Philology, Suppl. 1, 1940, p. 245 = More essays in Greek History and Literature, 1962, p. 68 : 420-415 av. J.-C. ; C. Leduc, La Constitution d'Athènes attribuée à Xénophon, Paris, 1976, p. 198-199 : 421-418 av. J.-C. On notera, parmi les études les plus récentes, la position originale de S. Hornblower, « The Old Oligarch (Pseudo-Xenophon's Athenaion Politeia) and Thucydides. À Fourth-Century Date for the Old Oligarch », in P. Flensted-Jensen, T.H. Nielsen, L. Rubinstein (éds.), Polis and Politics : Studies in Ancient Greek History presented to Mogens Herman Hansen on his sixtieth Birthday, Copenhague, 2000, p. 363-384. Il ne s'agit le plus souvent que de suppositions sans fondement certain : Gomme montre parfaitement que chaque passage appelé par les différents commentateurs peut être utilisé aussi bien pour que contre l'hypothèse que ceux-là mêmes défendent. En réalité, bien des philologues, à trop considérer le détail du texte pour y trouver quelques informations historiques, ont perdu de vue que le Pseudo-Xénophon n'est pas, disons, Thucydide : l'histoire n'est pas son objet et la vérité n'est pas sa fin. Il s'agit d'un pamphlet politique : l'oligarque affirme des généralités historiques le plus souvent vraies ou proches de la vérité , pas des impossibilités logiques. Sur les silences et mensonges évidents du Pseudo-Xénophon, voir Gomme, op. cit., et C. Leduc, op. cit.
-
[22]
Il est d'ailleurs étonnant que, si le texte date bien des premières années de la guerre, le Pseudo-Xénophon ne fasse aucune allusion à la peste qui est une des plus grandes crises qu'ait connues Athènes.
-
[23]
II, 14. Ce thème est présent chez Platon, par exemple, comme on le verra. Plus généralement, cf. G. Mathieu, « Survivances des luttes politiques du ve siècle chez les orateurs attiques du ive siècle », Revue de philologie, de littérature et d'histoire ancienne, 42, 1914, p. 182-205.
-
[24]
Pour avoir dit beaucoup moins, et de façon allusive, Aristophane fut l'objet d'une attaque par le plus grand démagogue qui ait succédé à Périclès : Cléon.
-
[25]
Cf. Diogène Laërce, II, 57 : « Une Constitution des Athéniens et des Lacédémoniens, dont Démétrios de Magnésie dit qu'elle n'est pas de Xénophon ». Il s'agit en réalité de deux ouvrages distincts, le second étant véritablement de Xénophon.
-
[26]
Déjà au xixe siècle. Sur l'argumentation utilisée, voir, par exemple, M. Gigante, La Costituzione degli Ateniesi. Studi sullo Pseudo-Senofonte, Napoli, 1953, p. 82. Le style du texte ne concorde pas avec celui de Xénophon. De plus, la datation généralement acceptée ne permet pas qu'il en soit l'auteur. On notera l'exception, chez les commentateurs les plus récents, de M.J. Fontana, L'Athenaion politeia del v secolo A.C., Palermo, 1968, pour qui il s'agit d'une œuvre de l'extrême jeunesse de Xénophon (410-406 av. J. C.), ce qui lui permet d'expliquer les imperfections de l'écriture et les divergences de style avec les ouvrages plus tardifs du même auteur. Sur l'écriture du Pseudo-Xénophon, voir les études de J.A. Caballero López : « Aproximaciones al estudio lingüístico de la República de los Atenienses », Revista latinoamericana de Filosofía 8, 1982, p. 277-281 ; « Una cuestión de crítica textual : [X.] Ath. II, 7 », Revista latinoamericana de Filosofía 11, 1985, p. 1-6 ; « La República de los Atenienses del Viejo Oligarca como'ensayo' », Actas del IX Congreso Español de Estudios Clásicos. Lingüística Griega, Madrid, 1998, p. 87-93 ; La lengua y el estilo de la República de los Atenienses del pseudo-Jenofonte, Amsterdam, 1997.
-
[27]
I, 12 et II, 12.
-
[28]
II, 20. Cf. infra n. 81.
-
[29]
Frisch, op. cit., p. 103, le compare même à un Russe blanc qui, en 1930, à Paris, aurait essayé de faire comprendre la puissance du bolchévisme. Certains, mais ils sont peu nombreux, ont, au contraire, supposé que l'auteur est en réalité un « démocrate camouflé ».
-
[30]
Les anglo-saxons l'ont surnommé Old Oligarch. Personne ne semble savoir d'où provient ce nom et quelle en est l'origine (G.W. Bowersock, op. cit., p. 463 n. 1). W.K.C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, vol. III, Part I, The Sophists, Cambridge, 1969, explique, de façon amusante, que ce surnom proviendrait du style de l'auteur : lent et répétitif, comme un vieillard qui « radote ».
-
[31]
Le général mentionné par Thucydide en II, 70, 1 et II, 79, 1.
-
[32]
Frisch, op. cit., p. 113.
-
[33]
Cf. notamment L. Stecchini, The Constitution of the Athenians by the Old Oligarch and by Aristotle. À new interpretation, Glencoe, 1950. Pour ce commentateur, la Constitution des Athéniens est plus une attaque contre Périclès que contre la démocratie. Cette thèse est vigoureusement critiquée par Gigante, op. cit., p. 80.
-
[34]
W. Nestle, « Zum Rätsel der Ath. Pol., Ein Versuch », Hermes, 78, 1943, cité par J. de Romilly, « Le Pseudo-Xénophon et Thucydide, étude sur quelques divergences de vue », Revue de philologie, 36, 1962, p. 225-241.
-
[35]
G. Norwood, « The earliest prose work of Athens », Classical Journal of Philology, 25, 1929-1930, p. 372-392. Voir aussi A. Fuks, « The Old Oligarch », Scripta Hierosolymitana, 1, 1954, p. 21-35 et The Athenaion Politeia ascribed to Xenophon and its historical background, Jerusalem, 1942.
-
[36]
Op. cit.
-
[37]
88A1 DK.
-
[38]
Ibid.
-
[39]
Par ailleurs, Philostrate parle de dialogue, ce qui pourrait fort bien être la forme originelle du texte.
-
[40]
88B31 DK.
-
[41]
88B30 DK.
-
[42]
« Non bastano gli "atimoi" per abbattere la democrazia », Quaderni di Storia, 22, 1985, p. 5-8. Cette datation assez basse est peu communément acceptée mais paraît mieux adaptée au contexte historique : la violence du pamphlet correspond plus à la fin de la guerre qu'à la période suivant immédiatement la mort de Périclès (sur l'évolution des mentalités athéniennes, cf. E. Lévy, op. cit.). L'allusion aux aristoi qui acceptent le régime démocratique (II, 19-20) peut fort bien viser Alcibiade : celui-ci fut, au moins vers 411-410 av. J.-C., un ami personnel de Critias. En 407 av. J.-C., il revint en triomphateur à Athènes, et, au lieu de profiter du pouvoir absolu qui lui était offert (Xénophon, Helléniques, I, 4, 19-20 ; Plutarque, Alcibiade, XXXIII-XXXV ; Diodore, XIII, 68), il respecta les institutions démocratiques et servit le peuple plutôt qu'il ne l'écrasa. Cf. J. de Romilly, Alcibiade, Paris, 1995, et J. Hatzfeld, Alcibiade, Paris, 1946.
-
[43]
A. Boeckh, Staatshaushaltung der Athener, I, Berlin, 1850, cité par L. Canfora, « Non bastano... », p. 8 n. 1.
-
[44]
III, 6.
-
[45]
Cf. l'introduction de Bowersock, op. cit., p. 463. Plus récemment : J. Ober, Political Dissent in Democratic Athens : intellectual critics of popular rule, Princeton, 1998, chapitre 1.
-
[46]
Rhétorique, II, 15 = Critias, frgt. 88B46 DK.
-
[47]
Le régime des Quatre Cents et, surtout, celui des Cinq Mille (en 411) en sont de bons exemples. La participation de Critias aux Quatre Cents, attestée par Démosthène (Contre Théocrinès, 58, 67), est peu probable. H. C. Avery (« Critias and the four hundred », Classical Philology, 58, 1967, p. 165-167) va jusqu'à affirmer qu'il faut considérer que Critias fut un démocrate « plus ou moins mécontent selon que les conditions changeaient ». Il est vrai qu'il est bien placé dans le régime qui suit celui des Quatre Cents, et est à l'origine, à cette époque, du retour d'Alcibiade dont on sait qu'il était l'ami et l'admirateur (88B4 et 5 DK). Mais, malgré tout, Platon le fait apparaître, dès son jeune âge, comme un anti-démocrate décidé.
-
[48]
II, 1 ; voir l'analyse de Fuks, « The Old Oligarch », art. cit. (supra n. 34). Chronologiquement, on pourrait aussi penser qu'il s'agit d'une remarque postérieure à l'échec de l'oligarchie des Quatre Cents et de la constitution des Cinq Mille qui la suivit.
-
[49]
Les liens historiques entre Socrate et Critias sont bien attestés. En dépit de ses crimes, Critias est présenté par Platon (dans le Timée et dans le Critias) comme un membre intime du cercle socratique. Platon est étonnamment complaisant avec Critias, qui était le cousin de son père. Sur le fait de savoir si le personnage de Platon, notamment dans le Timée, est le tyran ou son grand-père, voir Thomas G. Rosenmeyer, « The family of Critias », American Journal of Philology, 70, 1949, p. 404-410, qui résume les différents arguments et tranche pour l'oligarque. Plus généralement : L. Brisson, « Critias », in R. Goulet (éd.), Dictionnaire des philosophes antiques, t. II, Paris, 1994, p. 512-520. Xénophon, au contraire, marque son mépris pour le personnage. Dans les Mémorables (I, 2, 12), il essaye, tant bien que mal, de défendre la mémoire de Socrate en minimisant son influence sur le futur tyran. Socrate lui-même serait entré en conflit avec Critias, sous le régime des Trente. (Platon, Apologie de Socrate, 32b ; Xénophon, Helléniques, I, 7, 5 ; Mémorables, I, 1, 18 ; IV, 4, 2 ; Diogène Laërce, II, 24). Dans les fragments des « petits » socratiques, on ne trouve aucune mention de Critias. Mais, dans l'Antiquité, il semble avoir été couramment considéré comme un disciple de Socrate, et son nom apparaît aux côtés de ceux de Platon, d'Antisthène et de Xénophon (SSR, IC 110, ID 2, VA 49).
-
[50]
Xenophon in seven volumes, VII, Scripta Minora by E.C. Marchant ; Pseudo-Xenophon, Constitution of the Athenians by G.W. Bowersock, Cambridge, Mass., 1968. Le texte est le même que celui donné dans G.W. Bowersock, « Pseudo-Xenophon », Harvard Studies in Classical Philology, 71, 1966, p. 47-55.
-
[51]
L'hypothèse du dialogue avait été formulée au xixe siècle par C.G. Cobet (Novae lectiones, quibus continentur observationes criticae in scriptores graecos, Leiden, 1858), reprise par W. Forrest (« An Athenian generation gap », Yale Classical Studies, 24, 1975, p. 37-52, cit. p. 44), avant d'être mise en forme par L. Canfora, La démocratie... (voir aussi « Ipotesi sull'Athenaion Politeia Anonima », Quaderni di Storia, 5, 1979, p. 315-318), dont le travail fut conforté par l'analyse de M.G. Bonanno (« Nota sull'Athenaion Politeia Anonima », Quaderni di Storia, 8, 1982, p. 277-281). L. Canfora modifie, en partie, l'ordre et la construction du texte des éditions courantes (celle de G.W. Bowersock notamment), et ne suit pas toujours la numérotation habituelle. Mais le texte est suffisamment court pour y retrouver facilement les idées ici développées. Sauf précision, c'est la traduction de Canfora qui est utilisée et les références données sont celles de l'édition Bowersock. On se reportera aussi avec intérêt aux éditions et traductions suivantes : P. Chambry, Xénophon. œuvres complètes, II, Paris, 1933 ; C. Leduc, op. cit., p. 15-24 ; E. Belot, La République d'Athènes. Lettre sur le gouvernement des Athéniens adressée en 378 par Xénophon au roi de Sparte Agésilas, Paris, 1880 ; M. Gigante, op. cit., p. 8-26 ; M.F. Galiano, Pseudo-Jenofonte. La Republica de los Atenienses, 1951 ; G. Serra, La costituzione degli Ateniesi dello Pseudo-Senofonte, testo e traduzione, Roma, 1979 (= Bollettino dell'Istituto di Filologia Greca, Suppl. 4) ; Frisch, op. cit., p. 12-37. On consultera enfin à titre documentaire la traduction de César-Henri de la Luzerne (1793) reproduite ci-dessous p. 139 à 166.
-
[52]
Op. cit., p. 106-129.
-
[53]
« Zeit und Zweck der Pseudoxenophontischen "Athenaion politeia" », Classical Philology, 45, 1950, cité par J. de Romilly, « Le Pseudo-Xénophon et Thucydide », art. cit., p. 225 n. 5.
-
[54]
Par exemple, I, 8-9.
-
[55]
E. Kalinka, Die Pseudoxenophontische Athenaiôn Politeia, Einleitung, ??bersetzung, Erklärung, Leipzig, Berlin, 1913, p. 45-59, cité par C. Leduc, op. cit., p. 52. Cette hypothèse est, en partie, reprise par S. Hornblower, art. cit., p. 377.
-
[56]
I, 5.
-
[57]
I, 1.
-
[58]
I, 5.
-
[59]
Op. cit., p. 120 sqq.
-
[60]
À deux reprises : I, 2 et II, 19. Trois fois si on refuse la correction, généralement admise, en I, 2 de politai en hoplitai. E. Will, « Un nouvel essai d'interprétation de l'Athenaion Politeia pseudoxénophontique », Revue des études grecques, 91, 1978, p. 77-95, fait cependant remarquer, à juste titre, que, étant donné la brièveté du texte, ce faible nombre d'occurences n'est pas significatif en soi.
-
[61]
Au contraire, « selon l'idéal d'isonomie, il n'y a, à l'intérieur du corps politique, si réduit soit-il, ni "bons", ni "méchants", il n'y a que des égaux » (P. Vidal-Naquet et P. Lévêque, Clisthène l'Athénien, Paris, 1964, p. 31).
-
[62]
I, 2 ; I, 6 ; I, 9 ; II, 19 ; II, 20. Sur l'histoire de ce terme : W. Donlan, « Changes and Shifts in the Meaning of Demos in the Literature of the Archaic Period », La Parola del Passato, 135, 1970, p. 381-395.
-
[63]
II, 10.
-
[64]
I, 2.
-
[65]
Ibid.
-
[66]
I, 3.
-
[67]
I, 6.
-
[68]
I, 2.
-
[69]
II, 1.
-
[70]
I, 13.
-
[71]
Il ne s'agit pas ici de relancer la polémique qui a opposé E. Will, art. cit., à C. Leduc sur l'utilisation du concept de classe. On renverra à l'article par lequel C. Leduc a fort justement répondu aux critiques de Will : « En marge de l'Athenaion Politeia attribuée à Xénophon », Quaderni di Storia, 7, 1980, p. 281-334. Cette querelle est d'ailleurs de peu d'intérêt. Ce n'est pas, en effet, pour le plaquer mécaniquement sur la réalité historique de la société athénienne qu'on utilise le concept de classe mais bien à propos de la façon dont le Pseudo-Xénophon lui-même la comprend et l'analyse, c'est-à-dire comment il perçoit (peut-être, déforme) et exprime les antagonismes sociaux dont personne ne niera l'existence.
-
[72]
II, 10.
-
[73]
II, 14.
-
[74]
K. Marx, « Formen, die der kapitalistischen Produktion vorhergehen », Grundrisse der Kritik der politischen ??konomie, Berlin, 1953, cité par J.-P. Vernant, « La lutte des classes », dans J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Travail et esclavage en Grèce ancienne, 1988 (1985), p. 68. Cf. aussi L'idéologie allemande, in K. Marx, œuvres, III, Philosophie, édition établie, présentée et annotée par M. Rubel, Paris, 1982 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 1086.
-
[75]
Selon J.-P. Vernant, op. cit., p. 71, on peut relever trois grands changements de la structure de la polis à la fin du ve siècle : a. perte de valeur de la propriété foncière : dévastation des terres de l'Attique par les Spartiates ; accès à la propriété de non-citoyens alors qu'elle était auparavant réservée aux membres du corps civique ; apparition d'un commerce développé ; b. disparition de la fonction de citoyen-soldat : développement de la marine et surtout apparition de mercenaires et de stratèges professionels ; c. apparition d'un demos urbain au mode de vie, aux activités professionnelles, aux mentalités contrastant avec les anciennes traditions des ruraux.
-
[76]
Op. cit., p. 71-72.
-
[77]
Les deux grands chefs du parti démocrate après la mort de Périclès.
-
[78]
La qualité d'hoplite était soumise à un système censitaire celui-ci devait payer son équipement , alors que n'importe qui pouvait être marin. Selon l'idéal aristocratique défendu par le Pseudo-Xénophon, il ne peut donc s'agir que du propriétaire terrien, et non des « nouveaux riches », commerçants ou artisans, de la fin du ve siècle. D'un point de vue historique, voir, à cet égard, P. Vidal-Naquet, « La tradition de l'hoplite athénien », in J.-P. Vernant (éd.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, Paris-La Haye, 1968, p. 161-181 : les hoplites sont inscrits sur le lexiarchikon grammateion qui, comme son nom l'indique, n'est ouvert qu'« à ceux qui commandent une lexis, c'est-à-dire un bien patrimonial, un kleros » (p. 164). Voir cependant la rétractation de P. Vidal-Naquet dans la réédition du même article, Le Chasseur noir. Formes de pensée et formes de société dans le monde grec, Paris, 1983 (p. 125-149), p. 129, n. 18. Plus récemment, sur l'évolution du statut d'hoplite : M.R. Christ, « Conscription of Hoplites in Classical Athens », Classical Quarterly, 51, 2001, p. 398-422.
-
[79]
I, 2.
-
[80]
Le lien entre force au combat et autorité politique est constant depuis Homère. Chez le poète (Iliade, XXIV, 728-730), les aristees, en général, sont explicitement définis comme « défenseurs de leur ville ». De même, plus tardivement, sont « citoyens » ceux qui combattent pour la cité : à Sparte, les hoplites, à Athènes, les marins.
-
[81]
II, 19. C'est le second personnage qui fait une objection au premier. Je traduis ici d'après le texte de Bowersock.
-
[82]
Le verbe oikein peut ici avoir deux significations : son sens classique de « demeurer » (Bowersock : « to live ») alors tous les aristoi qui vivent à Athènes sont visés ou celui plus précis de « gérer les affaires », « participer » (Canfora : « faire de la politique ») alors sont visés ceux qui coopèrent volontairement avec le demos comme cela est manifeste dans l'Oraison Funèbre de Périclès (Thucydide, II, 37, 1). Sur ce sens, cf. aussi Thucydide, III, 37, 3 ; VI, 82, 3 et VIII, 67, 1.
-
[83]
I, 6-8.
-
[84]
I, 7.
-
[85]
I, 3.
-
[86]
Xénophon, Mémorables, I, 2, 9. L'accusateur en question est probablement Polycrate.
-
[87]
Diogène Laërce, VI, 8 = SSR VA 72. Voir aussi Diogène Laërce, VI, 6 = SSR VA 73 : « C'est idiot, disait-il : on enlève l'ivraie du bon grain, on écarte du combat les bras inutiles, mais on ne sait même pas écarter les mécréants de la chose publique ».
-
[88]
Platon, Apologie de Socrate, 24e-25c.
-
[89]
Platon, Lachès, 184c-e.
-
[90]
Platon, Criton, 47a-48b.
-
[91]
Platon, Protagoras, 319a-328d : le mythe de Prométhée. Cf. aussi Ménon, 92d-94e et Alcibiade, 110d-111d, contre cette même thèse qui affirme que « tout le monde » est un bon maître.
-
[92]
Platon, Apologie de Socrate, 31e-32a ; Criton, 48c : la foule qui « met à mort sans réfléchir et désire faire revivre par la suite » et 49c-d. La foule est aussi facilement manipulable. C'est pourquoi, chez Platon, le blâme de la démocratie va de pair avec les attaques contre les démagogues et la rhétorique : face à « une assemblée d'enfants », comme l'est l'Assemblée du Peuple, mieux vaut être cuisinier que médecin, c'est-à-dire servir au malade des mets qui flattent son palais plutôt que des remèdes désagréables à avaler (Gorgias, 521e-522a).
-
[93]
G. Romeyer Dherbey, « Socrate et la politique », in id., La parole archaïque, Paris, 1999, p. 59-80.
-
[94]
I, 2.
-
[95]
Notons qu'une des conséquences possibles de ce principe, c'est que ceux qui savent doivent diriger la cité pour le bien de tous sans l'accord des gouvernés, puisque ces derniers sont ignorants de ce qui est véritablement bon. Cf. n. 209.
-
[96]
Entretiens, I, 28.
-
[97]
Je reprends ici le titre de l'ouvrage de L. Canfora, op. cit.
-
[98]
Xénophon, Banquet, IV, 29-33 (trad. F. Ollier, Paris, 1961 [CUF]).
-
[99]
Aristote, Politique, IV, 1291b17-29.
-
[100]
Par exemple, Thucydide, VI, 39, 1.
-
[101]
I, 14.
-
[102]
Platon, République, VIII, 557a.
-
[103]
Cité par Andocide, Sur les Mystères, 97-98 (trad. G. Dalmeyda, Paris, 1930, [CUF]).
-
[104]
Par exemple, Aristote, Politique, IV, 1292a5. Le Pseudo-Xénophon n'imagine pas même l'existence d'une « bonne démocratie ». Il semble d'ailleurs que cette dernière soit une invention spécifiquement aristotélicienne (on ne la trouve pas non plus chez Platon ou Xénophon). Cf. J. de Romilly, « Le classement des constitutions d'Hérodote à Aristote », Revue des études grecques, 72, 1959, p. 81-99.
-
[105]
Selon l'analyse du Stagirite, cette forme de gouvernement en soi ne trouve d'ailleurs aucune légitimation dans le concept de majorité : le demos pourrait être une minorité (Aristote, Politique, IV, 1290a38-40).
-
[106]
I, 8 : « Naturellement, une cité où l'on vit ainsi n'est pas la cité idéale ! Pourtant, c'est bien le meilleur moyen de défendre la démocratie ».
-
[107]
Sur l'histoire générale de ce concept : A. Andrewes, « Eunomia », Classical Quarterly, 32, 1938, p. 89-102.
-
[108]
I, 8-9.
-
[109]
II, 2 ; II, 3 ; II, 4 ; II, 5 ; II, 6 ; II, 7 ; II, 11.
-
[110]
C'est-à-dire Sparte. Cf. II, 4 ; II, 5 ; II, 11 ; II, 13 ; II, 14. La réflexion sur la puissance navale s'est probablement développée à la suite de la victoire de Salamine : les premiers témoignages apparaissent dans les Perses d'Eschyle (en 472 av. J.-C., v. 728) et chez Hérodote (VII, 139). Elle devient centrale dans l'œuvre de Thucydide.
-
[111]
Sur la place de l'impérialisme dans Thucydide : J. de Romilly, Thucydide et l'impérialisme athénien, Paris, 1947. Des tableaux de comparaison apparaissent dans H. Frisch, op. cit., p. 79-85 ; M. Gigante, op.cit., p. 187-191 et C. Leduc, op. cit., p. 106. Voir aussi : J. de Romilly, « Le Pseudo-Xénophon et Thucydide », art. cit. Sur le problème de la puissance maritime, P. Ceccarelli, « Sans thalassocratie, pas de démocratie ? Le rapport entre thalassocratie et démocratie à Athènes dans la discussion du ve au ive siècle av. J.-C. », Historia, 42, 1993, p. 444-470.
-
[112]
Sur terre, Athènes est certaine de perdre. En effet, le courage et la force des hoplites spartiates sont légendaires au moins depuis la bataille des Thermopyles : en 480, Léonidas avec trois cents soldats s'opposa à l'immense armée de Xerxès ; ils tinrent plusieurs jours, avant de périr plutôt que de battre en retraite (Hérodote, VII, 198-233). L'armée spartiate paraîtra invincible, au moins jusqu'à la défaite de Leuctres contre les Thébains, en 371 av. J.-C.
-
[113]
Thucydide, I, 143, 5.
-
[114]
Ibid. II, 62, 3.
-
[115]
Plus généralement, au ve siècle, la discussion porte toujours sur les aspects stratégiques, et parfois économiques, de la puissance maritime, « jamais sur ses conséquences morales ou politiques » (P. Ceccarelli, art. cit., p. 444). L'analyse de la puissance navale par le Pseudo-Xénophon est donc particulièrement originale.
-
[116]
Thucydide fait explicitement de la flotte la condition de toute véritable puissance impériale. Ainsi, les premiers chapitres de La Guerre du Péloponnèse (l'« Archéologie ») sont tout autant une histoire de l'impérialisme qu'une histoire de la maîtrise de la mer (to tes thalasses kratos) : Minos (I, 4), Agamemnon (I, 9, 3-4), les tyrans de Corinthe (I, 12, 2-5), Polycratès de Samos (I, 13, 6), Cyrus, Darius... Il ne s'agit pas d'une particularité athénienne mais, au contraire, d'une « loi » de l'impérialisme. Cf. J. de Romilly, Thucydide et l'impérialisme athénien, op. cit.
-
[117]
I, 2.
-
[118]
II, 3.
-
[119]
I, 15. Il est évident que la puissance d'Athènes repose sur l'argent des alliés : Thucydide, I, 122, 1 (Corinthiens) ; II, 13, 2 (Périclès) ; III, 13, 5-6 (Mytiléniens) ; III, 46, 3 (Diodote) ; Aristophane, Cavaliers, 313, Guêpes, 671, Paix, 621 ; Isocrate, Panathénaïque, XII, 63 ; Paix, VIII, 82 ; Aréopagitique, VII, 2.
-
[120]
II, 16.
-
[121]
II, 14.
-
[122]
On peut faire remonter la polémique à l'époque même de la construction des Longs Murs, cf. Thucydide, I, 107, 4 : « Ils [scil. les Lacédémoniens] tenaient compte, aussi, de l'attitude de certains Athéniens qui les appelaient en secret, dans l'espoir de mettre fin au régime démocratique et à la construction des Longs Murs ».
-
[123]
Au ve siècle, presque toutes les cités possèdent des murs d'enceinte. Seuls les Spartiates rejettent par principe les fortifications et soutiennent qu'une cité n'est véritablement fortifiée que si elle est tenue par des hommes braves (Plutarque, Lycurgue, XIX, 12 ; Plutarque, Apophthegmes laconiens, 228e) : ce sont eux, les murs, et la vertu des habitants fournit une fortification suffisante. Ibid., 210e : « On demandait à Agésilas pour quelle raison Sparte n'avait pas de murailles. Il répondit : "Ce n'est pas avec des pierres et des planches que l'on entoure une ville de remparts, mais plutôt à même les vertus de ses habitants" ». Pour eux, les cités fortifiées sont des places où se cachent les femmes (Plutarque, Apophthegmes de rois et de généraux, 190a ; Apophthegmes laconiens, 212e, 215d, 221e, 230c).
-
[124]
II, 15 (trad. Canfora). Le texte grec de l'édition Bowersock dit seulement pulas « portes des fortifications ».
-
[125]
I, 16-18. Cf. Isocrate, Panégyrique, IV, 113 ; Panathénaïque, XII, 63.
-
[126]
II, 11-12. Particulièrement le bois, qui sert à la construction des navires, et le blé. Cf. aussi II, 3.
-
[127]
Par exemple III, 3 : « avec de l'argent on fait beaucoup de choses à Athènes, et on en ferait encore davantage si on en donnait davantage ».
-
[128]
Platon, Gorgias, 515d. Cimon, Thémistocle et Militiade ne valent pas mieux : « Cette cité, la nôtre, n'a eu, à notre connaissance, aucun homme d'État qui eût de la valeur » (Platon, Gorgias, 517a). Cf. aussi Ménon, 92d-94e. Un seul homme d'État échappe à la critique de Socrate : Aristide le Juste, aristocrate conservateur (Gorgias, 526a-b). L'Alcibiade d'Eschine de Sphettos (SSR VI A 41-54, cf. SSR vol. IV, nota 56, traduction anglaise partielle dans G.C. Field, Plato and his contemporaries, London, 1930, p. 146-152) offre, sur ce thème, des analogies frappantes avec les dialogues de Platon. On apprend, également, dans les fragments d'Aspasie (SSR VI A 59-72), que pour le Socrate d'Eschine, les succès de Périclès étaient entièrement dus au savoir et à l'amour de sa femme, la philosophe Aspasie. La critique contre les hommes politiques éminents d'Athènes semble, là, avoir été moins virulente que chez Platon, mais elle va finalement dans le même sens : jamais ils n'ont possédé l'arete et ils n'ont donc pu former correctement les citoyens dont ils avaient la charge.
-
[129]
Un passage des Mémorables (II, 6, 13) montre l'ironie socratique à l'œuvre à propos des deux plus éminents représentants de la démocratie athénienne. Socrate y parle avec Critobule de la rhétorique, qu'il compare au chant des sirènes : « [Critobule :] Connais-tu d'autres sortilèges ? [Socrate :] Non, mais j'ai entendu dire que Périclès en connaissait beaucoup, et les avait jetés sur la cité, pour qu'ainsi elle l'aime. [Critobule :] Et comment Thémistocle a-t-il réussi à se faire aimer de la cité ? [Socrate :] Non pas par des sorts, non, mais en l'entourant d'une bonne amulette ». Les sorts, c'est la rhétorique et les beaux discours qui charment les foules ; l'amulette qui protège la cité, ce sont, comme le fait remarquer E.C. Marchant, op. cit. (supra n. 17), note ad loc. les fortifications et la flotte.
-
[130]
Sur l'importance de la problématique des remparts chez divers disciples de Socrate : A.J. Malherbe, « Antisthenes and Odysseus, and Paul at War », Harvard Theological Review, 76, 1983, p. 143-176 ; G. Romeyer Dherbey, « Aristote et la poliorcétique (Politique, VII, 11, 1330b32-1331a18) », dans La parole archaïque, Paris, 1999 (p. 360-374), p. 360-365. Cf. Platon, Alcibiade I, 134b ; Gorgias, 455d-e et 503c ; Xénophon, Mémorables, II, 6, 13.
-
[131]
SSR V A 107 : « Alors que les remparts d'une ville ne sauraient la protéger contre le traître qui vit en son sein, les murailles de l'âme sont inébranlables et infrangibles » ; SSR V A 134 : « La prudence est le plus sûr des remparts : il ne saurait ni s'écrouler ni être livré par trahison. Il faut édifier des remparts avec nos raisonnements inexpugnables ».
-
[132]
En effet, ni la richesse, ni la puissance militaire que donne la flotte, n'apportent la vertu et le bonheur : « Ce n'est donc pas de murs ni de chantiers navals que les cités ont besoin, Alcibiade, si elles veulent être heureuses, ni d'une nombreuse population ni d'un vaste territoire, quand c'est la vertu qui fait défaut » (Platon, Alcibiade I, 134b). On note à quel point la critique d'Athènes est liée à l'admiration de Sparte : murs, flotte, population nombreuse, vaste territoire, c'est le portrait inversé de la cité lacédémonienne.
-
[133]
Plutarque, Lysandre, XIV, 9-10 (trad. A.-M. Ozanam, Plutarque. Vies parallèles, Paris, 2001 [Quarto]).
-
[134]
Cf. Platon, Lois, 706c sqq. ; Plutarque, Thémistocle, IV, 4-5 : « De ces hoplites solides au poste, il [scil. Thémistocle] fit, comme dit Platon, des navigateurs et des marins, ce qui lui valut l'accusation suivante : "Thémistocle, disait-on, a dépouillé les citoyens de la lance et du bouclier ; il a réduit le peuple athénien au banc et à la rame". [...] Porta-t-il atteinte ou non, par ce changement, à l'intégrité et à la pureté de la cité ? Laissons aux philosophes le soin d'en décider ».
-
[135]
Xénophon, Mémorables, IV, 6, 12.
-
[136]
La convoitise, le désir de posséder plus, est la cause de tous les conflits (Platon, Lois, 678e-679e). L'argent n'est pas un bien : Xénophon, Économique, I, 13-14. Plus généralement sur le mépris de Socrate pour les choses matérielles : Diogène Laërce, II, 25. L'argent et le commerce sont considérés comme des facteurs de dégradation morale de la cité. Ils sont liés, à travers la marine, au système démocratique. Les Lois interdisent explicitement aux citoyens le commerce (VIII, 846d-847b ; X, 911d-920d). Cf. aussi Xénophon, Constitution des Lacédémoniens. La monnaie doit être un moyen d'échange sans valeur intrinsèque (Platon, République, II, 371b). On trouve aussi une critique des kapeloi, « marchands au détail », qui sera reprise par Aristote : voir, par exemple, Xénophon, Mémorables, III, 7, 6 ; Platon, République, II, 371a-c. Cf. aussi Lois, XI, 918-920. Sur la distinction de l'art en soi et du commerce auquel il peut donner lieu : Platon, République, I, 342. Pour Platon, voir A. Espinas, « L'art économique dans Platon », Revue des études grecques, 27, 1913, p. 105-129 et 236-265.
-
[137]
Par exemple, 88B6 DK.
-
[138]
Importation des langues et coutumes étrangères.
-
[139]
Et dirigent les chorégies, les gymnasiarchies, les triérarchies, car le peuple sait qu'il en est lui-même incapable.
-
[140]
I, 13.
-
[141]
Ibid.
-
[142]
II, 18. Cf. G. Mastromarco, « Teatro comico e potere politico nell'Atene del v secolo (Pseudo-Senofonte, "Costituzione degli Ateniesi", II, 18) », in U. Albini, G. Arrighetti, D. Del Corno et al. (a cura di), Storia, poesia e pensiero nel mondo antico. Studi in onore di Marcello Gigante, Napoli, 1994, p. 451-458.
-
[143]
II, 7-8. Sur le langage : Gigante, op. cit., p. 132-138, qui montre que le dialecte de Sparte passait, au contraire, pour être le plus « pur » de ceux du monde grec.
-
[144]
Thucydide, I, 18, 1.
-
[145]
On pourrait comparer à Tocqueville, De la Démocratie en Amérique : « la liberté donne, de temps en temps, à un certain nombre de citoyens de sublimes plaisirs ; l'égalité fournit chaque jour une multitude de petites jouissances à chaque homme ».
-
[146]
II, 9. Sur les difficultés de ce passage : R. Brock et M. Health, « Two passages in pseudo-Xenophon », Classical Quarterly, 45, 1995, p. 564-566 ; J.A. Caballero López, « [X.] Ath. II, 9 : hístasthai o ktâsthai », Actas del VII Congreso Español de Estudios Clásicos, 20-24 de Abril de 1987, Madrid, 1989, vol. II, p. 101-106. La politique de grands travaux, mise en œuvre par Périclès, et qui est certainement visée ici, fut immédiatement attaquée par le parti oligarchique et son leader Thucydide, fils de Mélèsias (Plutarque, Périclès, XI-XIV).
-
[147]
II, 10.
-
[148]
III, 2.
-
[149]
II, 17.
-
[150]
I, 10.
-
[151]
Platon, République, VIII, 562e-563c. Platon ajoute : « il y naît chevaux et ânes qui se sont accoutumés à cheminer avec une complète liberté et dignité, bousculant sur les rues tout passant qu'ils rencontrent, faute à lui de s'écarter de leur route ! Et c'est ainsi que, par ailleurs, en toutes choses, règne la plénitude de la liberté ». Cf. aussi 555b-562a.
-
[152]
I, 11-12.
-
[153]
I, 11. Sur ce passage particulièrement difficile : M. Gigante, « A Pseudo-Senofonte, Ath. Pol. I 11 », La Parola del Passato, 9, 1954, p. 300-302 ; J. Marr, « Making sense of the Old Oligarch », Hermathena, 160, 1996, p. 37-43 ; G. Bechtle, « A note on Pseudo-Xenophon, The Constitution of the Athenians, 1.11 », Classical Quarterly, 46, 1996, p. 564-566.
-
[154]
88B37 DK.
-
[155]
I, 2 et I, 9, par exemple. À l'origine, les termes d'isonomia et d'isokratia « pouvoir égal » ont probablement servi à définir, dans les cercles aristocratiques, un régime oligarchique où l'arche est réservée à un petit nombre, mais où elle est partagée de façon égale entre tous les membres de cette élite (par opposition au pouvoir absolu d'un seul). La démocratie tend à s'approprier le concept, mais, encore au ive siècle, Isocrate (À Nicoclès, III, 15) peut écrire : « Or, les oligarchies et les démocraties recherchent l'égalité entre tous ceux qui participent à la vie politique [...] La monarchie, au contraire... ».
-
[156]
Euripide, Suppliantes, v. 440 ; Thucydide, II, 37.
-
[157]
Euripide, Suppliantes, v. 448-450.
-
[158]
I, 13. Vingt-quatre siècles plus tard, les juristes soviétiques développeront une théorie du « droit à finalité socialiste »...
-
[159]
Platon, République, VIII, 558c. La critique du principe démocratique d'égalité arithmétique est constante chez Platon : Ménexène, 239a. Cf. aussi Lois, VI, 756e sqq. Il est à la fois ridiculisé et réfuté au nom de la justice dans les fragments d'Antisthène : SSR VA 68 = Aristote, Politique, III, 13, 1284a11-17.
-
[160]
Cf. A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, Liège, 1922. Déjà Simonide définissait le juste comme to opheilomenon, ce qui est dû à chacun (Platon, République, I, 332c). On trouve chez Solon une approche plus précise du principe d'égalité géométrique que chez Simonide. Cf. D.E. Gerber, Greek Elegiac Poetry, from the seventh to the fifth centuries BC, Cambridge, Mass., 1999 (The Loeb Classical Library, 258), Solon, frgt. 5 = Aristote, Constitution d'Athènes, XI, 2-XII, 1 et surtout frgt. 34 = Aristote, op. cit., XII, 3 ; voir J.-P. Vernant, Les origines de la pensée grecque, Paris, 2000 (1962).
-
[161]
On peut supposer que le Vieil Oligarque n'est pas familiarisé avec les théories pythagoriciennes. Mais il aurait fort bien pu mentionner la version non mathématisée, non philosophique, qu'on trouve par exemple chez Simonide : « à chacun ce qu'il mérite », et qu'il ne pouvait ignorer.
-
[162]
Platon, Gorgias, 482e.
-
[163]
C'est là ce que Socrate reproche à Calliclès (Platon, Gorgias, 508a) : « Toi, c'est à avoir davantage que l'on doit, penses-tu, travailler, et tu es indifférent à la géométrie ». Il ne lui reproche pas de ne pas être égalitariste, comme le pense K. Popper, op. cit., p. 117, mais d'être disproportionné, d'être dans la démesure, de vouloir plus que sa part selon la géométrie.
-
[164]
Platon, République, 332b. Cette interprétation est réfutée par Socrate.
-
[165]
III, 1.
-
[166]
I, 8.
-
[167]
Alcibiade dans son discours aux Spartiates, Thucydide, VI, 89, 6.
-
[168]
III, 8.
-
[169]
III, 9.
-
[170]
I, 18.
-
[171]
En 406 avant J.-C. Lorsque les généraux vainqueurs aux Arginuses furent poursuivis devant le Conseil des Cinq-Cents pour n'avoir pas recueilli les morts tombés à la mer pendant la bataille, la présidence était, au moment du procès, exercée par Socrate (Xénophon, Mémorables, I, 1, 18). Le peuple et les accusateurs voulaient poursuivre tous les généraux dans une même formule d'accusation et les faire condamner par un seul et unique arrêt. C'était une procédure contraire à la loi, car celle-ci exigeait que le jugement fût individuel, et qu'il y eût autant de verdicts qu'il y avait de prévenus. Socrate, obéissant au serment qu'il avait prêté de juger suivant les lois établies, résista seul contre tous et recueillit les suffrages suivant les règles ordinaires, ce qui n'empêcha pas, d'ailleurs, la condamnation à mort des généraux. Selon Platon, Apologie de Socrate, 32b, repris par Diogène Laërce, II, 24, il y avait dix stratèges ; selon Xénophon, Helléniques, I, 7, 15, sur les dix stratèges, huit prirent part effectivement à la bataille et six seulement revinrent à Athènes où ils furent jugés et exécutés. Cf. aussi Platon, Gorgias, 474a ; Diodore de Sicile, XIII, 101-102 ; Élien, Histoire variée, III, 17.
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[172]
Hypéride, Contre Athénogène, 22.
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[173]
Andocide, Sur les Mystères, 87 (trad. G. Dalmeyda, Paris, 1930 [CUF]). Cf. aussi Démosthène, Contre Timocrate, XXIV, 30 ; Contre Aristocrate, XXIII, 86-87.
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[174]
L. Gernet, Recherches sur le développement de la pensée juridique et morale en Grèce, Paris, 2001 (11917), p. 115-116.
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[175]
Xénophon, Helléniques, I, 7, 12. Toujours selon Gernet : « Théoriquement, le peuple ne vote que des psephismata, des "décrets" : mais ces "décrets" peuvent avoir un objet général et permanent et, en particulier, définir le droit en matière criminelle (par exemple, le décret de Cannonos, Xénophon, Helléniques, I, 7, 20) ».
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[176]
Cette idéologie démocratique est caractérisée par le discours de Cléon (Thucydide, III, 37, 3-5) auquel Platon fait sans doute allusion en Politique, 299c.
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[177]
Ce qui est manifeste, par exemple, dans l'idéal démocratique exprimé par Périclès dans Thucydide.
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[178]
I, 5.
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[179]
I, 6 ; III, 10.
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[180]
La guerre du Péloponnèse, telle que la décrit Thucydide, en s'étendant à tout le monde grec, tend, en effet, à devenir une guerre entre oligarchies soutenues par Sparte et démocraties soutenues par Athènes.
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[181]
Ma conclusion est radicalement différente de celles, par exemple, de Gigante, op. cit., p. 45-46, qui estime qu'il ne s'agit pas « d'un appel à la révolution mais d'une invitation à la méditation et à la résignation », ou de C. Leduc, op. cit., p. 149, pour qui « le programme politique du Pseudo-Xénophon est très modéré » ; mais elle s'accorde avec celle de Fuks, « The Old Oligarch... », p. 22 : « Il entend démontrer que la démocratie athénienne n'est pas, comme les modérés le croient, un système avec des imperfections majeures auxquelles on peut remédier mais un tout cohérent, admirablement adapté [...]. Par conséquent, il n'y a que deux possibilités, soit la démocratie telle qu'elle est, soit une révolution oligarchique. Il n'y a pas de voie médiane ». Pour Fuks, le Vieil Oligarque cherche à convaincre les oligarques modérés. La preuve en est qu'il refuse la possibilité d'une « République des hoplites », telle que la désira un Théramène, et la propagande de la patrios politeia (la constitution des ancêtres). Sur ce dernier point : A. Fuks, The ancestral constitution : Four studies in Athenian party politics at the end of the v century B.C., London, 1953.
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[182]
Tel est bien le but des deux oligarques, I, 9 : « Si c'est le bon gouvernement que tu cherches, tu verras d'abord les plus habiles établir les lois... à la suite de ces sages mesures, le peuple ne tarderait pas à tomber dans la servitude ».
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[183]
II, 15 : « Et ils seraient délivrés aussi d'une autre crainte, s'ils habitaient une île : jamais la cité ne pourrait être livrée par les oligarques ni les portes ouvertes et les ennemis introduits dans les murs ».
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[184]
III, 12. Cf. L. Canfora, « Non bastano... », pour qui il s'agirait d'une référence au décret de Patrokleidès, peu après 405, qui, à la suite de la catastrophique défaite d'Aigos-Potamoi, aurait rendu leurs droits à un grand nombre d'exilés, pour rétablir l'union nationale et renforcer la cité (Andocide, Sur les Mystères, 73-75). Sur ce passage (12-13) plus généralement : H. Fränkel, « Note on the closing sections of Pseudo-Xenophon's Constitution of the Athenians », American Journal of Philology, 68, 1947, p. 309-312, et M.F. Galiano, « Ps. Xen. Ath. Resp. III 13 », Aegyptus, 32, 1952, p. 382-388.
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[185]
J. Ober, op. cit., p. 23-27.
-
[186]
G.W. Bowersock, op. cit., p. 463 : « La phrase sur laquelle s'ouvre le traité fait penser à un extrait d'un ouvrage plus ample, et il semble ne pas y avoir de conclusion ».
-
[187]
I, 2.
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[188]
Par exemple, Y. Nakategawa, « Athenian democracy and the concept of justice in Pseudo-Xenophon », Hermes, 123, 1995, p. 28-46.
-
[189]
Platon, République, I, 338c (trad. E. Chambry, Paris, 1932 [CUF]).
-
[190]
Ibid., I, 338e.
-
[191]
Xénophon, Mémorables, I, 2, 45.
-
[192]
Platon, République, I, 348c-d.
-
[193]
Trad. L. Robin. Mais ni « bon » ni « sagesse » n'ont ici de sens moral. Les Anglais traduisent « good policy ».
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[194]
De même, « a noble simplicity », ce qui est plus proche du texte original : panu gennaian euetheian. Nombreux devaient être ceux qui partageaient ce constat amer : « la justice ne paie pas ». Un passage de Thucydide (III, 83, 1) fait, de manière surprenante, écho à cette pensée de Thrasymaque : « ... et la simplicité (euethes), où la noblesse (gennaion) a tant de part, disparut sous les railleries, tandis que l'affrontement d'esprits défiants passa au premier plan ». Voir aussi Aristophane, L'Assemblée des femmes, v. 767 : « Est-ce l'homme sophron sage qui fait ce que les lois disent ? Oui, plus encore que tout autre. Non, seulement un imbécile ».
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[195]
Aristote, Politique, IV, 7, 1293b5-10.
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[196]
Hobbes, Leviathan, I, 11 (trad. G. Mairet). Mais c'est aussi la conception athénienne dans Thucydide que Hobbes, rappelons-le, traduisit en anglais. Cf. E. Lévy, op. cit., et surtout A.G. Woodhead, Thucydide on the nature of power, Cambridge, 1970 (Martin classical lectures, 24).
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[197]
Cf. W. Jaeger, Paideia, I : La Grèce archaïque : le génie d'Athènes, Paris, 1964, p. 32 (trad. A. et S. Devyver) : « Les Grecs ont toujours pensé qu'une force et une bravoure exceptionnelles formaient la base naturelle du droit au commandement ».
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[198]
Quand vient le règne de Zeus, rares sont les anciennes divinités qui échappent à la colère du Cronide. Mais les quatre enfants de Styx et de Pallas gardent une place prépondérante auprès de lui (Théogonie, v. 383-388, traduction P. Brunet, Paris, 1999 [Le livre de poche] modifiée) : « L'Océanide Styx, unie à Pallas, mit au monde, dans sa demeure, Zélus (Audace) et Niké (Victoire) aux belles chevilles. Puis elle enfanta Kratos (Pouvoir) et Bia (Force), race merveilleuse. Nulle demeure, nul séjour de Zeus ne les ignore, il n'est pas de chemin où le dieu ne s'en fasse une escorte, ils siègent toujours auprès du Cronide qui tonne ». Presque seuls rescapés de la prise du pouvoir par Zeus, ils deviennent les compagnons fidèles du roi des dieux : ils « habitèrent à jamais à ses côtés ».
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[199]
Solon, frgt. 36 Gerber, v. 15-17.
-
[200]
Thucydide, III, 36, 6.
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[201]
Op. cit., p. 111-146.
-
[202]
Thucydide, V, 89.
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[203]
Voir G. Serra, La forza e il valore : capitoli sulla Costituzione degli Ateniesi dello Pseudo-Senofonte = Bollettino dell'istituto di filologia greca, Suppl. 3, Roma, 1979.
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[204]
88B25 DK. Le Sysiphe, drame perdu dont ce fragment est extrait, est aussi attribué à Euripide.
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[205]
Platon, Gorgias, 483e-484b.
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[206]
Sur ce thème, voir E. Lévy, op. cit., notamment p. 37-39.
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[207]
Cf. E. Lévy, op. cit., p. 209-222 et J. de Romilly, « Vocabulaire et Propagande ou les premiers emplois du mot homonoia », Mélanges de linguistique et de philologie grecques offerts à P. Chantraine, Paris, 1972, p. 199-209.
-
[208]
Platon, Alcibiade I, 126c-127d ; République, I, 351d-352a, IV, 432a, V, 464d ; Politique, 311b-c ; Banquet, 186e et 187c. Dans le schéma de la République, Platon montre que les décadences successives des régimes adviennent à la suite d'affrontements qui accentuent les antagonismes : l'altération progressive de l'union entre les citoyens est l'aune à laquelle se mesure la dégénérescence politique. Xénophon n'a pas une pensée du développement historique comme Platon mais il loue aussi l'homonoia : Mémorables, III, 5, 16 ; IV, 4, 15-18 ; IV, 6, 14. Pour Antisthène : SSR VA 108 ; VA 125 ; voir aussi Xénophon, Banquet, II, 5. Généralement, la Sparte idéalisée de Lycurgue apparaît comme un modèle d'homonoia.
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[209]
K. Popper, op. cit., p. 86. Voir aussi p. 21 et 37.
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[210]
On notera cependant deux points : (1) Il faut tout d'abord relever que Platon et Xénophon n'ont pas caché leur attirance, non seulement pour la cité lacédémonienne, mais aussi pour divers régimes autoritaires. D'un point de vue pratique, dans la volonté de voir s'appliquer les solutions qu'ils ont imaginées aux problèmes de la cité, tous deux choisissent « la voie la plus courte », en favorisant le despotisme : « il n'y avait qu'un seul homme à convaincre » (Lettre VII, 328c), dit Platon pour justifier sa démarche auprès de Denys, le tyran de Syracuse, et le Hiéron comme la Cyropédie témoignent de l'espoir que met Xénophon dans le « despotisme éclairé ». Du point de vue théorique, il faut noter qu'en partant de prémisses radicalement différentes de celles du Pseudo-Xénophon, Platon aboutit à un régime tout aussi contraignant du point de vue de la liberté individuelle. « Nul ne fait le mal volontairement », il n'y a que de l'erreur ; le bien peut être déterminé rationnellement et, puisque la vertu et le bonheur sont sciences, lorsque la contrainte est exercée par celui qui sait, imposer aux autres la solution n'est pas œuvre de tyrannie, mais de libération et de justice. Cf. le problème de la « liberté positive » dans Isaiah Berlin, Éloge de la liberté, Paris, 1988. Pour le Pseudo-Xénophon, au contraire, chaque groupe agit selon son intérêt véritable et cela est juste/normal : il faut écraser son adversaire ou accepter d'être son esclave. Le refus absolu de l'existence d'intérêts divergents soutenu par l'idée qu'il n'existe qu'Une Vérité, Un Bien, que tous poursuivraient s'ils le connaissaient , comme la conscience exacerbée du conflit et l'interprétation de la totalité du réel à travers ces antagonismes, mènent tous deux au refus, à l'asservissement de l'opinion autre. (2) Certes, on connaît l'importance que Socrate donnait aux lois (Criton). Mais, à supposer un dirigeant idéal, les lois sont-elles toujours nécessaires ? La question se pose avec d'autant plus d'acuité lorsqu'on compare les thèses, plus ou moins proches sur ce point, des divers disciples de Socrate. Antisthène : SSR VA 58 = Diogène Laërce, VI, 11 et SSR VA 68 = Aristote, Politique, III, 1284a15. Xénophon : le Hiéron dans son ensemble (IX, 5, 8 par exemple) ; Mémorables, III, 2 ; Constitution des Lacédémoniens, I, 2 ; Cyropédie, VIII, 1, 22. Platon : Politique, 292d, 293c, 299c-301e. Tous ces passages impliquent la possibilité du bon régime sans la loi. La parfaite correspondance entre ces divers disciples est d'ailleurs déconcertante : le sage ou le bon dirigeant est « lui-même une loi » pour Antisthène (SSR VA 68), une « loi vivante » pour Platon (Politique, 292d) et une « loi qui voit » pour Xénophon (Cyropédie, VIII, 1, 22). Peut-être une telle thèse était-elle en germe chez Socrate, mais elle ne devait pas être développée. Pour lui, en effet, la possibilité même de l'existence du sage est douteuse : Socrate ne trouve personne digne de ce nom, et lui-même ne l'est pas.
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[211]
Pour la liberté des Rhodiens, XV, 33. Cf. Sur les affaires de la Chersonèse, VIII, 61 ; Troisième Philippique, IX, 61.
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[212]
Scholie à Eschine, I, 39 = Critias, 88A13 DK (cité supra).
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[213]
C. Maurras, Mes idées politiques, Paris, 1968 (11937), p. 207.
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[214]
III, 3.
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[215]
Du 19 août 1941, cité par M.-O. Baruch, Servir l'État français, Paris, 1997, p. 310.
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[216]
J.-J. Rousseau, Contrat Social, Livre III, chap. 14.
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[217]
C. Maurras, op. cit., p. 209.
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[218]
L'aspect nationaliste, si fortement ancré dans la tradition fasciste, est totalement absent de la Constitution des Athéniens, à part, bien sûr, dans la critique des influences étrangères sur la langue de la cité.