Notes
-
[*]
Manuel Cerveza-Marzal est doctorant allocataire en science politique à l’Université Libre de Bruxelles et à l’Université Paris-Diderot.
-
[1]
Bien qu’Abensour ne cite nommément aucun des « détracteurs », nous pouvons sans trop de risque avancer qu’il a à l’esprit des penseurs comme Alain Badiou ou Jacques Rancière, qui critiquent tous deux vivement l’ordre établi et dénoncent toute forme de philosophie politique.
-
[2]
La seconde théorie lefortienne du totalitarisme convoque ainsi plusieurs sources, parmi lesquelles la psychanalyse (à travers les notions de refoulement, de symbolique) et les « deux corps du roi » de Ernst Kantorowicz.
-
[3]
Selon l’expression employée par l’ambassadeur britannique Neville Henderson pour nommer l’effet visuel produit par le gigantesque Palais des congrès du Parti national-socialiste construit en 1933 à Nuremberg. Le Reichsparteitagsgelände (en allemand « Terrain du Congrès du parti du Reich ») était en effet orné de 150 projecteurs. Sa surface, quatre fois supérieure à celle de la ville de Nuremberg, permettait d’accueillir un million de personnes.
-
[4]
Documentaire d’Alain Resnais sorti en 1955 et connu pour sa description saisissante de la déportation et des camps de concentration nazis.
-
[5]
Pour un examen plus approfondi de ce problème nous nous permettons de renvoyer à l’introduction de notre ouvrage (Cervera-Marzal, 2013).
1Avez-vous lu Miguel Abensour ? Sa figure est discrète, volontairement effacée derrière celles de ceux qu’il cherche à faire connaître, soucieux de leur rendre justice. Plutôt que de se faire l’auteur d’une théorie singulière, Miguel Abensour a choisi d’endosser le costume de passeur. Son projet philosophique revient moins à promouvoir sa propre pensée qu’à diffuser celle de ceux qui restent à ses yeux sous-étudiés. Ainsi, la plupart de son travail consiste non à écrire mais à enseigner (à l’Université Paris-Diderot, où plusieurs années après son départ en retraite sa trace est encore bien présente) et à éditer (chez Payot, à travers la collection « Critique de la politique », qu’il dirige depuis 1973). À ce titre, on ne soulignera jamais assez combien Theodor Adorno, Walter Benjamin, Pierre Clastres, Maximilien Rubel, E.P. Thompson et, plus anciens, Pierre Leroux et Étienne de la Boétie sont redevables à Miguel Abensour. Sans les efforts laborieux d’Abensour pour traduire, introduire, commenter, publier, diffuser, renouveler et populariser leurs idées, ces penseurs n’auraient probablement pas acquis dans le monde francophone le statut de premier plan qui est aujourd’hui le leur. Plutôt que des tribunes dans les pages Débats des grands quotidiens nationaux, plutôt que des sommes philosophico-politiques aux titres ronflants et aux thèses ravageuses, Abensour a consacré la majeure partie de son temps à rendre accessibles ces pensées à ses collègues et élèves. Pour ce faire, en parallèle de son métier d’enseignant et d’éditeur, il rédigea de nombreux articles scientifiques toujours composés sous la forme de commentaires d’autres penseurs.
2Mais Abensour n’est-il qu’un passeur d’idées, qui se contenterait de transmettre mécaniquement ce que d’autres ont écrit avant lui ? Certainement pas. Abensour nous invite à lire, et lit avec nous (via ses nombreux articles d’exégèse), les textes de ses plus illustres prédécesseurs. Mais la lecture opérée par Abensour n’est jamais neutre. Il ne s’agit pas d’une pure restitution de la pensée commentée. Lorsqu’il lit, par exemple, Pierre Leroux ou Claude Lefort, Abensour entreprend de sauver le texte de lui-même. Autrement dit, Abensour lit des auteurs pour séparer dans leurs textes le bon grain de l’ivraie. Dans l’immense majorité des articles d’Abensour se dégage ainsi une même éthique lectorale, un même objectif de lecture : sauver le texte en le critiquant ; dénoncer ce qui doit l’être pour préserver les intuitions fécondes situées ailleurs dans le texte. Ce type de lecture critique, loin d’être unilatéralement péjorative, doit se comprendre comme une critique bienveillante. Il ne s’agit pas de discréditer une pensée mais d’en extraire les plus pertinentes hypothèses pour les révéler ensuite au grand jour. Soucieux de respecter ces textes jusqu’au bout, Abensour prend soin de les soumettre à une critique interne. Autrement dit, les éléments du texte qui sont critiqués et rejetés ne le sont pas au nom d’un point de vue extérieur au texte mais, justement, au nom de ce texte lui-même, de ce qu’il renferme de plus précieux. L’intervention salvatrice d’Abensour n’est donc pas surplombante. Il ne s’agit pas de venir juger un texte de l’extérieur. Abensour se contente de faire jouer le texte contre lui-même. À l’instar de l’analysant qui, sur le divan, est à lui-même le propre auteur de sa cure psychanalytique, les textes qu’Abensour commente dans ses articles sont à eux-mêmes leurs propres thérapeutes. Nous nommons lecture critico-salvatrice ce travail herméneutique, qui vise à sauver un texte en lui appliquant la méthode critique.
3Déplaçons quelque peu la question initiale : pourquoi lire Abensour ? À la lumière des paragraphes précédents, une première réponse apparaît : pour commencer à lire, ou pour relire autrement, des penseurs méconnus ou mal connus, et pourtant fondamentaux. Mais fondamentaux pour quoi ? Ici vient, selon nous, la seconde raison de lire Abensour : fondamentaux pour penser l’émancipation. Quels points communs entre des auteurs aussi divers que Rubel, Lefort, E.P. Thompson, Adorno, Clastres, Arendt, William Morris et Lévinas ? Une certaine sensibilité libertaire, une inclination à penser la politique du côté des dominés, de ceux d’en bas. Une préoccupation récurrente traverse l’œuvre d’Abensour : « pourquoi la majorité des dominés ne se révolte-t-elle pas ? » Et les auteurs qu’il commente apportent autant de lumières à l’exploration de cette énigme initialement formulée par le jeune La Boétie.
4L’intelligibilité de la domination, de ses formes contemporaines et de ses racines théoriques, se fait ici indissociable d’une pensée de l’émancipation qui, fidèle à l’adage « ni Dieu ni Maître », tente d’abolir la division entre dirigeants et exécutants. Dans cette perspective, le premier écueil serait de réduire la domination au phénomène de l’exploitation, comme s’y adonna un certain marxisme bas de plafond. Une fois écartée cette dérive économiciste, il faut encore éviter les philosophies de l’histoire qui, par déterminisme, en concluent à l’inéluctabilité d’une fin heureuse ou à l’impossibilité de s’extraire du règne de la violence. Optimistes ou pessimistes, ces approches font fi de l’inhérente contingence de l’histoire et prétendent ainsi détenir un savoir sur sa destination finale. Enfin, Miguel Abensour se tient à l’écart des pensées substitutistes qui, se fondant sur une vision misérabiliste des dominés (« ces pauvres ignorants ! »), consacrent la gloire du penseur éclairé, élevé au statut de sauveur des masses aliénées.
5Miguel Abensour attire notre attention sur ces possibles dérives, dont il dresse une généalogie sans concession. Il pointe les angles morts qui risquent de ruiner les efforts d’une pensée de l’émancipation. Et il invite ses lecteurs à poursuivre cette traque, pour débusquer les foyers d’inversion qui ne manquent jamais de ressurgir.
6Les influences d’Abensour sont nombreuses. Parmi les plus importantes, il faut mentionner l’historien de la classe ouvrière anglaise E.P. Thompson, l’éditeur des œuvres de Marx chez La Pléiade Maximilien Rubel, l’ethnologue Pierre Clastres, les philosophes Walter Benjamin et Claude Lefort et l’utopiste marxiste William Morris. À cette liste non exhaustive, il faut ajouter la figure de Karl Marx, auquel est consacré l’ouvrage le plus lu de Miguel Abensour (2004). Ces quelques éléments indiquent suffisamment que notre auteur s’inscrit dans une constellation intellectuelle fort empreinte de marxisme. Mais la pensée d’Abensour, mâtinée d’un parfum libertaire, est radicalement anti-stalinienne et, tout autant, anti-trotskiste. Ces éléments compliquent, voire interdisent, d’accoler d’emblée l’étiquette « marxiste » à la philosophie abensourienne. Cet article se donne pour ambition d’éclaircir la nature des rapports qu’Abensour entretient à la pensée de Marx. Nous verrons ainsi comment le philosophe français permet de s’extraire des trop nombreuses lectures « cohérentistes » qui confèrent à l’œuvre de Marx – pour la dénoncer ou la célébrer – une unité qui lui fait en réalité défaut, gommant ainsi les contradictions et les incohérences qui la traversent. Nous examinerons les conséquences de cette lecture innovante de la pensée de Marx sur la compréhension du phénomène totalitaire et la pensée de l’École de Francfort.
7Au regard des « mille marxismes » du siècle passé et des foisonnants « marxismes du XXIe siècle », Abensour se singularise par son rejet farouche de tout dogmatisme et de toute idolâtrie du compagnon d’Engels. Il n’hésite pas à écorcher Marx, et à s’en éloigner là où la raison l’impose. Une philosophie politique authentique ne passe ni par un rejet de Marx, ni par un simple retour à ses thèses. En 1955, Maurice Merleau-Ponty écrivait dans Les aventures de la dialectique : « L’a-communisme, condition stricte de la connaissance de l’URSS parce qu’il confronte avec son idéologie ce que nous savons de sa réalité, est, du même coup, et sans paradoxe, condition d’une critique moderne du capitalisme parce qu’il repose en termes modernes les problèmes de Marx ». Ni communiste, ni anti-communiste, l’a-communisme était alors conçu comme la condition d’une critique du stalinisme qui n’abandonnerait pas pour autant la perspective anticapitaliste. De manière analogue, le qualificatif « a-marxiste » est celui qui convient le mieux au projet philosophique de Miguel Abensour : ni célébration aveugle de Marx, ni dénigrement virulent.
8Pour s’en convaincre, nous verrons qu’Abensour met à jour l’existence de deux topiques contradictoires de la pensée de Marx (1.). Partant, il prend appui sur la Théorie critique de l’École de Francfort pour tenter de faire fructifier la première de ces topiques, celle émancipatrice (2.), et il n’hésite pas à dénoncer la seconde topique, autoritaire, qu’il place aux origines théoriques de la domination totalitaire (3.).
1 – Les deux topiques contradictoires de la pensée de Marx
9« Tout ce que je sais, c’est que moi je ne suis pas marxiste », fit un jour remarquer l’auteur du Capital. Quel statut faut-il accorder à cette anecdote si souvent citée ? Simple boutade, signe d’embarras face à une célébrité mal assumée, ou indice d’une vérité théorique plus profonde ? Maximilien Rubel, éditeur des œuvres complètes de Marx aux éditions La Pléiade, opta pour la troisième solution. Il faut selon lui voir en Marx le premier et le meilleur « critique du marxisme », entendu comme perversion de la théorie de Marx, transformée à tort en idéologie de Parti par les églises maoïstes et staliniennes. Marx est aux yeux de Rubel un « théoricien de l’anarchisme ». Dès lors, son utilisation par les marxistes d’Etat (qu’ils soient révisionnistes ou bolchéviks) n’est que dévoiement des idées du maître. À l’instar de Michel Henry, Rubel conçoit le marxisme comme l’ensemble des contresens ayant été commis à propos de Marx. Les épigones de Marx sont en réalité ses premiers fossoyeurs.
10Miguel Abensour collabora avec Rubel, et fut fortement marqué par son interprétation hétérodoxe et libertaire de l’œuvre marxienne. Néanmoins, Abensour se refusa à suivre son aîné jusqu’au bout : la césure que Rubel avait cru déceler entre Marx et le marxisme devait être déplacée, pour être située à l’intérieur même de la pensée de Marx. Pour Abensour, le travail de Rubel avait, malgré tous ses mérites, le défaut de succomber à une vision unifiée de l’œuvre de Marx. Autrement dit, en voulant à tout prix sauver Marx, en l’érigeant en critique du marxisme, Rubel passait à côté des tensions et des contradictions inhérentes aux textes de Marx. Il attribuait ainsi à l’œuvre marxienne une cohérence qu’elle n’avait pas.
11Partant, Miguel Abensour adopte une vision plus nuancée de l’œuvre marxienne. Il opère, pour reprendre les mots de Philippe Corcuff, « une lecture de Marx orientée par une sympathie critique, valorisant les instruments les plus solides, repérant les tensions et les contradictions éclairantes, faisant son miel des écueils, des problèmes mal résolus, des arrogances ridicules et des limites inéluctables. Bref, réfléchir à partir de Marx, avec Marx, à côté de Marx, au-delà de Marx et contre Marx ! » (2012, p.13) D’aucuns furent tentés de faire de Marx le chantre du prolétariat ou, à l’inverse, du totalitarisme. Abensour en appelle à une vision plus complexe des choses. Ceux qui tracent une ligne droite de Marx au goulag attribuent bien trop d’importance au pouvoir d’un seul homme et de ses idées. Ceux qui, à l’inverse, voient en Marx un pilier obligé pour le salut des masses oublient que sa philosophie n’a pu se développer qu’en prenant appui sur les luttes ouvrières de la première moitié du Xe siècle. S’éloignant à la fois des conservateurs et des marxistes, Abensour aime à relativiser le rôle de Marx sur l’histoire du socialisme car, comme le rappelle Karl Korsch, « Marx n’est aujourd’hui qu’un parmi les nombreux précurseurs fondateurs et continuateurs du mouvement socialiste de la classe ouvrière » (1964, p. 185).
12« La pensée de Marx est suffisamment complexe, voire frisant la contradiction, pour qu’on se garde d’une réponse univoque », écrit Abensour (2004, p. 126). Elle appartient, selon lui, aux grandes pensées de la modernité. Mais, ajoute-t-il aussitôt, « lui accorder ce statut n’implique nullement de la transformer en dogme, mais invite à l’envisager telle une œuvre de pensée, avec ses tensions internes, ses contradictions, et à l’accueillir sans occulter sa complexité ni ses difficultés » (2008a, p. 59). Plutôt que de forcer cette œuvre en lui imposant des cohérences plaquées par l’interprète, il convient d’en reconnaître le caractère polyphonique, d’en saisir les hétérogénéités multiples et les tensions fondatrices. Abensour décèle chez Marx la présence de deux topiques contradictoires, de deux matrices inconciliables qui traversent son œuvre de part en part (2004, p. 38). La première topique peut être qualifiée d’« autoritaire », au sens où cet adjectif a pu servir à distinguer au sein de la Iere Internationale le communisme libertaire du communisme autoritaire. La seconde topique, que nous nommerons « libertaire », correspond aux thèses les plus fécondes de Marx, qui concernent principalement la définition de la démocratie comme insurrection contre l’État, et l’insistance sur l’auto-émancipation des opprimés.
13La topique autoritaire de Marx s’articule autour de trois composantes : le déterminisme historique, l’unitéisme et l’économisme. Le déterminisme historique provient de l’idée hégélienne d’une Raison dans l’histoire. Selon Marx, cette dernière aurait un sens qui, suivant une évolution dialectique, conduirait l’humanité du communisme primitif au communisme de la fin des temps, en passant par l’esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme. Or, d’après Abensour, penser l’histoire « sous le signe d’une raison en marche vers une société raisonnable ne peut que rendre aveugle aux phénomènes irrationnels dans l’histoire, au point d’en nier l’existence ou de prétendre les dialectiser. Seule une raison élargie qui sait faire sa part à l’irraison peut concevoir l’inconcevable, sans pour autant renoncer à l’émancipation, mais décidée à reprendre la question en la compliquant, en y introduisant une ou des dimensions jusque-là négligées » (2008a, p. 61). La pensée marxienne de l’histoire se situe trop souvent sous l’emprise de la certitude, comme si une prévision scientifique de l’avenir était atteignable. Aussi, pour y introduire davantage de problématicité et rendre à l’histoire son caractère indéterminé, Abensour convoque la pensée d’Adorno. Le philosophe de Francfort, en formulant dans Dialectique négative (1978) l’hypothèse d’un antagonisme contingent, rompt du même coup avec une approche téléologique et choisit d’affronter l’histoire sans en nier sa part d’incertitude passée et future.
14Par ailleurs, Marx fait preuve d’un unitéisme qui rend inconsistantes les notions de conflit et d’altérité. Il survalorise l’unité qu’il voit comme tout uniment positive, sans soupçonner qu’il puisse exister « un rapport entre certaines formes d’unité et le despotisme et, inversement, des liens entre la division sociale, la mise en œuvre du conflit, et la liberté ». En associant la vérité de la démocratie à la disparition de la division sociale il semble ignorer que, comme l’enseigne Machiavel dans les Discours, c’est du conflit politique et de son expression que naît la liberté. Où Marx verse-t-il dans le refus de l’altérité et dans une pensée irénique de la démocratie ? Serait-ce dans son concept de « prolétariat » qui, en donnant un visage et une identité au sujet révolutionnaire, le soustrait à l’indétermination ? Non, car, comme l’écrit Marx : « Peu importe ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, imagine momentanément comme but. Seul importe ce qu’il est et ce qu’il sera historiquement contraint de faire en conformité avec cet être » (1982, p. 460). Autrement dit, le prolétariat a une identité paradoxale, énigmatique. Cette classe déborde toute localisation et toute tentative d’assignation sociologique. Le prolétariat apparaît chez Marx comme la classe pour laquelle le social – son être social – est indissociable du politique – de son être politique. Ainsi, le concept marxien de « prolétariat » ne peut être accusé de nier l’altérité, source de liberté. On ne peut en dire autant, en revanche, du concept de « démos total » qu’il développe dans la Critique du droit politique hégélien (1843), où apparaît pourtant pour la première fois la topique libertaire de « la démocratie contre l’État ». D’après Abensour, le concept marxien de démos semble incapable de prendre en charge la pluralité d’individus singuliers, l’altérité et l’incertitude quant à son être même. Aussi est-il préférable, pour échapper à cette vision métaphysique du peuple, d’affecter au peuple une identité problématique, car toujours différée. Le peuple n’est jamais présent à soi mais toujours au-dessus (dans l’expérience de la liberté) ou en dessous (dans la servitude) de lui-même. Quoi qu’il en soit, le peuple n’est jamais égal à lui-même (Abensour, 2004, p. 127). Ce concept différencié et instable évite d’assigner au peuple une unité prédéfinie dans laquelle on tenterait de le faire entrer de force.
15La topique autoritaire se caractérise, enfin, par le réductionnisme économique qui conduit à rabattre le concept de domination sur celui d’exploitation, la politique perdant du même coup son autonomie et sa consistance propre. Il s’agit ici pour Abensour de reprendre la dénonciation classique de la théorie de l’infrastructure économique selon laquelle les phénomènes politiques (mais aussi religieux, juridiques, artistiques, etc.) ne seraient que la résultante des rapports de production qui les sous-tendent. Le politique est autonome du théologique (Machiavel), de l’étatique (topique libertaire de Marx) et il serait bien dommage de lui retirer cette autonomie chèrement acquise en le faisant dériver de l’économique (topique autoritaire de Marx).
16Si la pensée marxienne se résumait tout entière à la topique autoritaire qui vient d’être présentée, nul doute qu’Abensour opterait pour son rejet immédiat. Mais tel n’est pas le cas. Qui accepte d’aborder cette œuvre en faisant abstraction des couches sédimentaires sous lesquelles l’histoire l’a recouverte saura y percevoir des éléments précieux et profondément actuels. En s’adonnant à cette tâche, Miguel Abensour met en évidence la présence d’une seconde topique, dite libertaire, dans la pensée marxienne.
17En quoi cette pensée contribue-t-elle à une politique de l’émancipation ? Pour répondre, il faut d’abord comprendre ce à quoi elle permet de résister. Selon Abensour, les « idéologies du consensus » constituent le principal adversaire philosophique et politique. Ces idéologies banalisent l’idée de conflit. Elles font de la recherche du compromis (ou du consensus rationnel) le but ultime de l’activité politique, et condamnent ainsi les tumultes et autres révoltes populaires, perçus comme des actes criminels visant à saper la stabilité démocratique. Les agissements des masses se trouvent dès lors systématiquement délégitimés, puisque renvoyés du côté des folies populaires. Par ailleurs, ces idéologies postulent l’existence d’un consensus entre l’Etat et la démocratie, comme si la forme accomplie de celle-ci ne pouvait résider que dans celui-là. Face à ces approches consensualistes du politique, l’enjeu, pour Abensour, est de restituer à l’idée de conflit sa charge maximale, et de révéler la dimension insurgeante de la démocratie. En tant qu’insurrection permanente contre toutes formes d’oppression, la démocratie est de facto incompatible avec le cadre figé de l’État de droit. Dans cette entreprise, la pensée de Marx est d’une aide inestimable, puisque c’est à lui que revient le mérite d’avoir mis en évidence l’opposition fondamentale entre démocratie et État. Marx fut le premier à révéler le caractère aporétique de l’expression « État démocratique ». Dans la Critique du droit politique hégélien (1843), puis dans des textes plus tardifs (La guerre civile en France, l’Adresse à la Commune de Paris), Marx affirme que la démocratie ne peut exister que pour autant qu’elle se dresse contre l’État.
18En dévoilant le caractère antiétatique de la démocratie, Marx échappe à l’alternative mortifère entre ceux qui, comme les libéraux, défendent la démocratie à condition qu’elle soit pratiquée avec modération (c’est-à-dire sous la forme d’un État de droit) et ceux qui, comme les staliniens, rejettent définitivement la démocratie sous prétexte qu’elle ne serait qu’une illusion, qu’un instrument de la bourgeoisie (les appareils idéologiques et coercitifs d’État) pour imposer sa domination au reste de la population. Dans un cas comme dans l’autre, et malgré des points de vue normatifs foncièrement opposés, libéraux et staliniens commettent une même erreur, en confondant la démocratie et l’État.
19Le marxisme est un phénomène historique d’une ampleur incommensurable. De par son influence sur l’histoire politique et intellectuelle du XXe siècle, il dépasse de loin la personne et les écrits de celui à qui il doit son nom. Abensour, à qui ce fait n’a pas échappé, s’intéresse tout particulièrement à deux manifestations du marxisme au XXe siècle : l’expérience du totalitarisme communiste et la Théorie critique de l’École de Francfort. Il est remarquable que ces deux éléments, qui sont au cœur de ses travaux, correspondent aux deux topiques mises en évidence dans la pensée de Marx. En effet, le stalinisme pousse à son apogée la topique autoritaire alors que la Théorie critique, pour sa part, s’inspire de la topique libertaire et tente de la prolonger.
2 – L’École de Francfort
20La rencontre de l’École de Francfort eut un impact décisif sur la trajectoire intellectuelle de Miguel Abensour. Au cours des années 1960, l’althussérisme domine la scène philosophique française. Le climat est alors peu propice à une redécouverte de l’utopie, qui « est renvoyée du côté de l’idéologie » ou de l’immaturité (Abensour, 2009a, p. 15). C’est du côté de l’autre côté du Rhin qu’Abensour va trouver les ressources nécessaires à une réévaluation de la valeur d’utopie. Entre l’été 1968 et l’été 1970, Abensour séjourne aux États-Unis, où ont alors émigré les principaux représentants de la Théorie critique. À la bibliothèque de Columbia, il découvre les ouvrages de Franz Neumann, Max Horkheimer, T.W. Adorno et Herbert Marcuse. Ces lectures viennent confirmer l’intuition centrale de la thèse de science politique sur laquelle il travaille à l’époque : l’existence d’une dimension utopique au sein de l’œuvre de Marx. Cette confirmation est d’autant plus précieuse qu’elle est fournie par des auteurs appartenant eux-mêmes à la tradition marxiste. Ainsi, dans « La philosophie et la théorie critique » (1949, pp. 149 et ss), Herbert Marcuse expliquait que les « concepts économiques de Marx, loin d’être de simples concepts économiques tels ceux de l’économie politique classique, sont des concepts constructifs qui visent non seulement la réalité existante mais simultanément son abolition, et portent en eux la nouvelle réalité à venir » (Abensour, 2008 b, p. 51).
21En outre, Abensour trouve dans la Théorie critique une philosophie en prise avec les enjeux du temps présent, où le souci du politique prime sur la quête d’érudition. Fasciné par cette pensée, où se côtoient rigueur conceptuelle, désir de subversion et puissance de l’imagination, Abensour projette, à son retour en France, de publier un contre-manuel de philosophie politique. C’est ainsi qu’en 1973, les éditions Payot lui confient, avec l’approbation de Max Horkheimer, la direction d’une nouvelle collection, intitulée Critique de la politique. L’objectif premier est de traduire et faire connaître en France la Théorie critique. Dans le petit manifeste de la collection, qui se trouve au début de chaque livre, Abensour explique que celle-ci se donne pour objectif de contribuer à l’élaboration d’une critique sociale de la domination qui, « dans le sillage de l’École de Francfort, prend pour hypothèse de départ l’existence d’une tendance à la domination totale dans le monde contemporain » (2009 b, p. 50). Cette critique ne se limitera pas à celle pourtant fondamentale de l’État. Elle s’attachera à dévoiler les nouvelles formes de domination et enquêtera sur leur généalogie.
22Aux yeux d’Abensour, les philosophes de Francfort ont poussé au plus loin l’analyse des formes d’oppression contemporaines. Ils distinguent ainsi trois niveaux qui s’enchevêtrent. Le premier et principal niveau est celui de la domination de la nature. La raison occidentale considère la nature comme une proie. Et la technique moderne se fait alors instrument d’arraisonnement du vivant. Puisque l’homme fait lui-même partie de la nature, cette domination implique automatiquement, à un second niveau, la domination de l’homme sur l’homme. Le travail humain incarne simultanément ces deux formes de domination. « Activité de transformation de la nature, le travail s’exerce au sein de la division entre travail intellectuel et travail manuel, entre fonction de direction et fonction d’exécution » (Ibid., p. 296). Enfin, la domination étend son emprise jusqu’à la nature intérieure du sujet. Chaque individu intériorise jusqu’au désir de sa propre sujétion.
23Outre cette fine typologie des formes de domination, la Théorie critique a pour mérite d’avoir mis en évidence deux des trois composantes de la topique autoritaire de la pensée marxienne. En effet, bien que fondamentalement ancrée dans la tradition marxiste, la Théorie critique n’a pu se constituer que grâce à une double prise de distance théorique à l’égard de Marx. D’abord parce qu’elle refuse de dériver la politique de l’économique, posé comme instance déterminante. Les fondateurs de l’École de Francfort refusent la confusion qu’opère Marx lorsque, dans une lettre de 1843, il écrit à Ruge que « domination et exploitation sont un seul et même concept ». Il faut se défaire de cette identification pour comprendre que la transformation des rapports de production puisse laisser inchangé le règne de la domination. Les privilèges bureaucratiques de la nomenklatura stalinienne en fournissent l’exemple le plus magistral. Pour Max Horkheimer et ses collègues, la division centrale n’est pas entre capitalistes et prolétaires, mais entre dominants et dominés, entre dirigeants et exécutants (Horkheimer, 1974, p. 228). Deuxièmement, la Théorie critique s’écarte du marxisme en raison du quiétisme qui anime ce dernier. Refusant la fable marxienne d’une histoire marchant inéluctablement vers le communisme, la Théorie critique préfère envisager l’histoire dans son irréductible incertitude. « Posant ainsi la possibilité d’une catastrophe contingente à l’origine de l’histoire, T.W. Adorno ruine l’idée d’une « Raison dans l’histoire », d’une nécessité historique pensée dans les termes de Hegel ou dans ceux de Marx » (Abensour, 2009a, p. 19).
24La Théorie critique suffit-elle à produire une authentique pensée de l’émancipation ? Fournit-elle à elle seule l’ensemble des ressources requises pour la philosophie politique critique qu’ambitionne de former Miguel Abensour ? La réponse est négative, car si personne n’est allé aussi loin que Francfort dans l’analyse des formes contemporaines de domination, les théoriciens de cette école pêchent en revanche en raison d’une conceptualisation insuffisante de la liberté. Cette notion ne fait chez eux l’objet d’aucune théorisation spécifique. Comme si, finalement, ils considéraient l’émancipation comme le simple contraire de la domination, de sorte qu’en analysant la seconde, on aurait déjà tout dit de la première. Mais la réalité est plus complexe. La liberté est davantage qu’un état de non-servitude. Les relations entre domination et émancipation ne se réduisent par au seul rapport d’opposition. Ainsi, faute d’une théorie consistante de l’émancipation, la Théorie critique se révèle inachevée. Obnubilée par les phénomènes de domination – qu’elle analyse, certes, avec une minutie sans pareille –, la Théorie critique, notamment Max Horkheimer, finit par confondre politique et domination. Bien que critiquée et vivement dénoncée, cette dernière en vient, contre le gré des auteurs, à être conçue comme inéluctable. En effet, aucune société n’étant possible sans vie politique, et la politique étant inextricablement liée à la domination, aucune société ne saurait s’extraire du règne de la domination. Aux yeux d’Abensour, l’École de Francfort pêche ainsi par fatalisme. Sa conception domino-centrée des phénomènes politiques l’empêche de percevoir la leçon de Hannah Arendt qui, au même moment aux États-Unis, énonce pourtant l’existence d’un lien consubstantiel entre politique et liberté (Arendt, 1995, p. 59).
25Ceci étant, la pensée d’Arendt pose autant de problèmes qu’elle n’en résout et, par conséquent, elle n’est pas plus satisfaisante que celle des Francfortois. En effet, bien qu’Arendt ait su percevoir la liberté comme raison d’être de la politique – ce que n’avait pas vu la Théorie critique en raison de son assimilation précipitée entre politique et domination –, elle a en revanche eu tendance à occulter le fait de la domination que, pour sa part, la Théorie critique n’a jamais perdu de vue. Est-ce à dire qu’entre deux maux il faudrait choisir, qu’il faudrait nous résoudre à choisir entre l’irénisme d’Arendt et le catastrophisme de Francfort ? Miguel Abensour récuse une telle alternative. La solution est à ses yeux du côté d’une articulation entre la pensée d’Arendt et la Théorie critique, entre le « paradigme politique » (Arendt ayant su saisir la liberté comme essence de la politique) et la « critique de la domination ».
26L’alternative ne peut être acceptée, car elle reviendrait à privilégier l’un des deux paradigmes au détriment de l’autre, alors même qu’il n’existe aucune raison solide pour fonder cette préférence. En effet, la Théorie critique pêche par catastrophisme. En pensant l’histoire sous le signe de la répétition de la domination, elle s’interdit d’y voir les brèches de liberté qui, dans la démocratie athénienne ou les grandes révolutions modernes, furent ouvertes par l’activité autonome des masses. Hannah Arendt commet l’erreur inverse. Elle sous-estime la place des phénomènes de domination, au point de penser parfois la question politique dans un espace lisse, homogène et consensuel.
27Que signifie une telle articulation ? Précisons avant tout qu’il ne s’agit pas tant d’une synthèse théorique entre deux paradigmes antithétiques, que de d’opérer une conversion du regard telle que la scène politique nous apparaisse à présent comme le théâtre d’une lutte sans relâche entre l’institution politique et son contraire, le fait de la domination. Si la politique se situe donc originairement du côté de la liberté (selon la leçon d’Arendt), il ne faut pas pour autant absolutiser ce lien puisqu’il convient (selon la leçon de Francfort) de garder à l’esprit la dégénérescence toujours possible des formes politiques. La démocratie est exposée à se corrompre et à se transformer, par exemple, en Etat autoritaire. Les choses politiques ont une consistance propre, définie par leur lien à la liberté, qui interdit de les confondre avec les phénomènes de domination. Mais la distinction conceptuelle entre politique et domination n’a pas pour effet « de faire s’évanouir magiquement l’enchevêtrement, au plan social-historique, de la question politique et du fait de la domination » (Abensour, 2009 b, p. 311).
28L’articulation de ces deux paradigmes n’est pas une simple question d’histoire des idées. Il en va de l’existence même de la philosophie politique, au sujet de laquelle Abensour identifie, aujourd’hui en France, l’existence d’une querelle qui voit s’opposer les restaurateurs de cette discipline et ses détracteurs qui la rejettent, entre autres, en raison de son projet de restauration. Les restaurateurs, qui s’inspirent du paradigme politique d’Arendt dans son versant le plus irénique et consensualiste, restent attachés à la philosophie politique mais la réduisent à une discipline académique conservatrice (la philosophie dominante, libérale, néokantienne) qui passe à côté de la véritable question, celle de la souffrance de la classe la plus nombreuse et des moyens d’en sortir. Les détracteurs se revendiquent davantage de la Théorie critique et entreprennent d’élaborer une politique d’émancipation pour notre temps [1]. Ce faisant, ils rejettent la philosophie politique, conçue comme l’apanage des intellectuels libéraux, des restaurateurs.
29Abensour ne se retrouve pas plus dans la catégorie des restaurateurs que dans celle des détracteurs. Aux premiers, il reproche d’avoir détourné la philosophie politique des enjeux essentiels : la critique de la domination et la visée de l’émancipation. La philosophie libérale actuelle est en effet tournée vers la recherche d’un accord rationnel entre acteurs raisonnables. Aux seconds, Abensour reproche d’avoir opté pour un rejet pur et simple de la philosophie politique, la laissant ainsi aux mains des restaurateurs, qui peuvent alors la dévoyer en toute tranquillité. En critiquant la philosophie politique classique, les détracteurs ont ouvert une voie salutaire. Malheureusement, ils se sont perdus en chemin. Le rejet dogmatique de toute philosophie politique les fait passer à côté de l’enjeu central : transformer la critique de la philosophie politique en une philosophie politique critique.
30Nous retrouvons ici l’École de Francfort puisque, d’après Abensour, cette nouvelle philosophie politique ne peut s’élaborer qu’à travers l’articulation du « paradigme politique » arendtien et de la critique francfortienne de la domination. Cette articulation, conclut notre auteur, a « l’avantage de nous permettre de dépasser la Querelle de la philosophie politique – ni restauration, ni rejet – et d’ouvrir une autre voie qui serait celle d’une philosophie politique critique » (Abensour, 2009a, p. 23). Dans cette perspective, il s’agit de penser ensemble la consistance des choses politiques (expérience de liberté et d’égalité, sortie de la servitude, institution du social) et la critique de la domination, sans jamais confondre cette dernière avec la politique.
31De sa rencontre avec la Théorie critique, Abensour tire un autre enseignement précieux. Dans l’œuvre de T.W. Adorno, en particulier dans Minima Moralia, Abensour décèle la présence d’un style philosophique jusqu’alors inconnu, qu’il résume sous l’appellation de « choix du petit ». Cette micrologie s’oppose aux grandes frasques de la métaphysique classique. À une philosophie qui fonctionne à coups de marteau, portée par l’élaboration de grands systèmes conceptuels et d’Éthique universelle, Adorno substitue une philosophie à coups d’épingle, soucieuse avant tout du singulier, des individus, de la fragilité des corps humains. En renouant le lien entre philosophie et non-philosophie, ce choix du petit s’engage contre le déploiement d’un système déductif qui, par l’enchaînement de propositions logiques, aboutit à la production d’une vérité unique et universelle. Adorno se méfie de la forme logique qui nie l’expérience individuelle. Il tient en aversion les philosophies de la totalité et des systèmes, et initie de la sorte une nouvelle pensée de l’individu qui, à l’écart de ses acceptions bourgeoises et stirnériennes, sait y déceler le petit, la fragilité, l’ouverture à l’autre. Ce choix du petit invite à séjourner auprès du particulier sans cependant s’y fixer, au moyen d’un séjour qui ne soit pas un arrêt. Cette constellation laisse ainsi apparaître ses lignes de force : « haine de la domination, haine de la mort et de tout mouvement destructeur qui y conduit, aversion pour les instances supérieures, les totalités intégratrices, les destins qui nient la singularité de l’individu » (Abensour, 1982, pp. 66-67).
32Il existe, écrit Abensour, « un rapport consubstantiel entre la systématicité philosophique et la structure de l’État » (1985, p. 12). Choisir de philosopher sous le signe du « petit » plutôt que sous la forme systémique, c’est donc en même temps s’opposer à toute forme de totalité organique et d’intégration étatique du non-identique. En ce sens, la Théorie critique résiste à l’étatisation de la pensée, source, parmi d’autres, de la domination totalitaire.
3 – Critique de la domination totalitaire
33Par complaisance envers l’URSS et les crimes de Staline, nombreux furent les marxistes qui refusèrent d’employer le concept de totalitarisme, coupable selon eux d’associer sous la même étiquette le régime soviétique et le IIIe Reich. Abensour ne partage pas leur réticence. Ce néologisme revêt à ses yeux une forte valeur heuristique puisqu’en distinguant le totalitarisme des formes de domination traditionnelle – tyrannie, dictature –, il en pointe le caractère absolument inédit. Les régimes totalitaires constituent un phénomène « sans précédent », qu’on ne saurait appréhender comme une résurgence de l’archaïsme féodal ou de l’organicisme médiéval.
34En outre, on aurait tort de considérer que le totalitarisme appartient désormais à notre passé, ou qu’il ne fut qu’une horrible parenthèse dans la glorieuse marche en avant de la Raison moderne. Hannah Arendt écrivait que « les solutions totalitaires peuvent fort bien survivre à la chute des régimes totalitaires » (1972, p. 201). Emboîtant le pas de la philosophe allemande, Abensour évoque la présence de « survivances » totalitaires dans notre « société post-totalitaire » (2009 b, p. 169). De sorte que la barbarie n’est peut-être pas entièrement derrière nous et qu’il reste salutaire d’en examiner les ressorts pour en prévenir un nouvel essor. Il n’est d’ailleurs pas certain que nous disposions actuellement d’une compréhension adéquate du totalitarisme car l’interprétation dominante, qui y voit une « politisation à outrance », pêche par ses effets dépolitisants.
35On associe aujourd’hui trop souvent l’antitotalitarisme au libéralisme, comme si seuls les penseurs libéraux avaient fait l’effort d’élaborer une critique de ce type de régimes. C’est oublier l’existence d’une critique républicaine et d’une critique libertaire qui, chronologiquement, ont d’ailleurs toutes deux précédé les premiers pas de l’antitotalitarisme libéral. Ce dernier trouve sa plus fameuse présentation dans les travaux du politologue américain Carl Friedrich, pour qui le totalitarisme se caractérise par le monopole du pouvoir sur l’économie, les instruments de violence, les moyens de communication, la police et l’idéologie (1954). De manière similaire, Raymond Aron définit le totalitarisme par la « politisation » de toutes les activités sociales et individuelles (1965). De sorte que, constate Abensour, la critique libérale classique, en dénonçant la soumission du privé au public et la confusion de ces sphères, amène à penser le totalitarisme comme excès de politique et nous incite, de ce fait, à nous désinvestir du politique.
36Si le totalitarisme est pensé comme une sur-politisation du social, on ne peut logiquement y résister qu’en s’orientant vers une sortie du politique qui paraîtra d’autant plus justifiée que « le politique est tenu pour responsable du mal totalitaire » (Abensour, 2009 b, p. 168). Si, à l’inverse, comme y invite Abensour à la suite d’Arendt, le phénomène totalitaire est conçu comme destruction du politique, alors l’antitotalitarisme invite à redécouvrir le politique en affirmant sa dignité et son impérieuse nécessité. « Redécouverte des choses politiques donc, puisque c’est la tentative de les détruire qui est jugée responsable ici de l’expérience totalitaire » (Loc. cit.).
37La mésinterprétation du totalitarisme repose ainsi sur un ensemble de confusions, entre domination et politique, entre violence et pouvoir, entre mouvement et action. Ces préjugés produisent des effets ravageurs puisque l’expérience totalitaire, qui aurait dû nous inciter à nous tourner vers la politique pour y retrouver notre liberté, tend au contraire à nous en détourner. Le fantasme d’une disparition de la politique vient ainsi habiter nos esprits, alors même que cette dramatique ambition alimente les fondements théoriques de l’entreprise totalitaire, comme en témoigne le projet marxien de substituer l’administration des choses au gouvernement des hommes.
38Au lieu de susciter notre désir, la politique se voit dès lors érigée en objet de notre haine. Associée aux manœuvres, aux intrigues de cour, à la corruption et au règne des puissants, nul ne s’étonnera que la politique provoque aujourd’hui un tel dégoût. La haine de la politique gagne du terrain, comme le prouvent les taux records d’abstention électorale. À quelques exceptions près, la jeunesse n’éprouve que dégoût pour le pouvoir, préférant l’engagement humanitaire ou associatif à celui politique. La philosophie libérale a subordonné la politique au droit et en a fait un outil au service de l’économie. Du côté de la galaxie altermondialiste se manifeste une même méfiance envers le pouvoir. John Holloway n’appelle-t-il pas à « changer le monde sans prendre le pouvoir » (2008) ? Dans un tel climat antipolitique, dont la thèse du totalitarisme comme « politisation à outrance » est à la fois une source et une manifestation, Miguel Abensour tente péniblement de raviver la thèse arendtienne : le totalitarisme n’a pu s’ériger que sur les ruines de la politique. Il en incarne la tentative de destruction absolue.
39Ce n’est qu’après avoir déconstruit cette assimilation entre totalitarisme et politisation à outrance qu’Abensour est en mesure de nous livrer son interprétation du phénomène totalitaire qui, nous l’avons dit, englobe à ses yeux aussi bien le stalinisme que le nazisme. Sans pouvoir être identifiés l’un à l’autre, ces deux régimes doivent néanmoins être rapprochés sur un point essentiel : ils procèdent à une incorporation du social. Que signifie cette expression à première vue énigmatique ? Pour le comprendre, il faut préciser qu’Abensour reprend ici la théorie du totalitarisme de Claude Lefort, en la complexifiant par endroits.
40Plus précisément encore, c’est à la seconde théorisation du totalitarisme de Claude Lefort que renvoie l’idée d’incorporation du social. Car, fait remarquer Abensour, Lefort a sensiblement évolué sur la question du totalitarisme. Dans un premier temps, alors qu’il était encore membre du groupe Socialisme ou Barbarie, Lefort envisage le stalinisme comme un travestissement de l’idéal communiste. Puis, s’éloignant progressivement de ses camarades révolutionnaires au cours des années 1960, Lefort finira par rejeter la thèse du travestissement de l’idéal, jugeant que la responsabilité du mal totalitaire incombe à l’idée même de communisme. « Autant donc, en 1956, il s’agissait de mettre en question le mode d’effectuation du projet – l’exercice bureaucratique de la socialisation et sa confiscation au profit d’une nouvelle classe dominante – autant ultérieurement, c’est le projet même de socialisation qui est critiqué et rejeté, responsable qu’il serait de l’effacement des différences entre société civile et État et, au-delà, de toute division interne à la société » (Abensour, 2009 b, p. 97).
41La seconde interprétation du totalitarisme chez Claude Lefort s’élabore à partir de la notion « division originaire du social ». De sa lecture de Machiavel, Lefort tire l’idée que toute société est divisée entre deux forces sociales antagoniques : l’une, celle des Grands, correspondant à un désir de dominer et l’autre, celle du peuple, à un désir de liberté. Cette division originaire du social est un invariant de l’histoire humaine. Autrement dit, elle se retrouve dans toutes les sociétés. Partant de ce constat, Claude Lefort élabore une nouvelle typologie des régimes politiques, ou plutôt des formes de société, qu’il faut à présent séparer entre démocratie, qui assume la division sociale et l’autorise à s’exprimer publiquement à travers les conflits politiques, et régimes totalitaires qui, effrayés par le risque de dissolution du social, préfèrent nier la division, en la refoulant derrière l’image unifiée du corps de l’Egocrate [2]. L’incorporation du social désigne ainsi le processus symbolique par lequel la société tente d’occulter sa propre division en projetant son image dans celle du corps du Chef. Ce corps remplit une fonction unificatrice, puisqu’il renvoie à la société l’image qu’elle souhaite se donner d’elle-même : celle d’une totalité homogène.
42Le propre du totalitarisme réside dans son incapacité à assumer la division originaire du social. À propos de la dimension symbolique de la société totalitaire, Lefort écrit : « Tout un enchaînement de représentations se découvre ici […]. Identification du peuple au prolétariat, du prolétariat au parti, du parti à la direction, de la direction à l’Egocrate. À chaque fois un organe est à la fois le tout et la partie détachée qui fait le tout » (1983, pp. 174-175). Ainsi s’institue une chaîne d’identifications par laquelle le peuple se représente comme rigoureusement identique au corps de l’Egocrate. L’image du corps correspond à celle que la société totalitaire se fait d’elle-même. Évidemment, le peuple n’est pas réellement unifié, puisque la division originaire du social rend absolument impossible l’indivision. Mais cette unité symbolique, instituée via l’incorporation du social, est la visée idéale du totalitarisme. La société, commente Abensour, s’apparaît à elle-même dans une unité imaginaire à travers le corps du tyran qui lui renvoie comme un double spéculaire d’elle-même – « miroir parfait de l’Un ».
43Le corps de l’Egocrate exerce sur le peuple un attrait de l’ordre de l’envoûtement. La société se retrouve alors sous l’emprise irrésistible du charme du « nom d’Un ». Toute initiative sécessionniste ou contestataire s’en trouve immédiatement réprimée. Mais d’où provient cette surprenante force de séduction de l’Unité ? D’un désir de maîtrise non assouvi. En effet, si historiquement le totalitarisme a succédé à la démocratie, il n’y a dans cet enchaînement rien de fortuit. « Le système totalitaire, écrit Abensour, ne saurait être pensé comme une monstruosité complètement étrangère à l’univers de la démocratie, puisqu’il s’avère être une autre réponse aux questions que suscite la modernité politique à la sortie de l’Ancien Régime » (2009 b, p. 125). Le refus totalitaire de l’indétermination démocratique est en réalité le fruit d’une déception profonde face à la promesse non tenue de la démocratie. Cette dernière ouvre en effet une perspective qu’elle est incapable de réaliser et qu’elle restreint aussitôt : la maîtrise de l’homme sur son propre destin. La sortie de l’hétéronomie caractéristique des sociétés d’Ancien Régime – la norme est édictée d’en haut, par Dieu ou la nature – annonce la possibilité d’une société démocratique capable de se donner à elle-même ses propres normes : une société auto-nome. Or, en même temps qu’elle affirme la possibilité de l’autonomie, la démocratie insiste sur l’absence de maîtrise. Le caractère incertain de l’action politique (son résultat ne dépend pas que de nous), la « dissolution des repères de la certitude » et l’identité énigmatique du sujet démocratique rendent illusoire l’accès à une pleine maîtrise de la société sur elle-même, espérance pourtant ouverte par la démocratie elle-même dans sa lutte contre l’hétéronomie. L’autonomie a donc un « prix » : l’incertitude quant aux fins que doit viser la communauté et quant aux moyens d’atteindre ces fins. Partant, l’entreprise totalitaire naît de la tentative de réaliser cette alliance impossible entre autonomie et maîtrise (Poltier, 1998, pp. 269-274). Son sens est de vouloir passer outre le coût consubstantiel à l’autonomie, à savoir l’indétermination indépassable qui sous-tend toute forme de société démocratique.
44L’Egocrate confère à la société un corps imaginaire dans lequel elle peut dès lors se représenter comme Unité et dissimuler ses dissensions internes en fabriquant l’illusion d’une intégration organique réussie. La société totalitaire s’imagine alors transparente à elle-même, en pleine possession de sa destinée. Mais l’Egocrate n’est pas la seule instance d’intégration de la société totalitaire. Pour Miguel Abensour, l’architecture joue aussi un rôle crucial dans la volonté totalitaire d’abolir l’espace-entre-les-hommes qui, selon Arendt, conditionne la possibilité d’une action collective orientée vers une expérience de liberté.
45Dans Architecture et régimes totalitaires (1997), Miguel Abensour s’en prend à la thèse d’une neutralité politique de l’architecture. Selon lui, le caractère monumental des édifices du IIIe Reich participe pleinement à la mise en place de la domination totalitaire. L’architecture nazie a pour objectif de produire un sujet conforme aux attentes du pouvoir. Ce sujet à doit répondre deux principaux critères : être parfaitement homogène et être malléable à merci. Il s’agit de la masse. En compactant les individus les uns contre les autres, l’architecture national-socialiste efface tout intervalle entre eux et rend par conséquent impossible l’existence d’un lien entre les hommes, puisque ceux-ci ont fusionné en un seul et même ensemble : la masse. Un lien n’est possible qu’en présence d’une altérité. Par définition, il faut être plusieurs – au moins deux – pour se lier. Or l’architecture totalitaire comprime les hommes afin d’éviter que subsiste entre eux le moindre espace. Elle favorise l’extrême proximité, le contact le plus étroit. Elle travaille à compacter les hommes, afin qu’ils fusionnent tous dans une seule et même masse, sur laquelle la domination totalitaire pourra s’édifier et exercer sa violence.
46Le gigantisme des édifices nazis et la taille démesurée des grandes places berlinoises rendent impensable et absurde la présence d’individus peu nombreux et dispersés (Breaugh, 2003). Ils commandent au contraire la présence d’une masse gigantesque et homogène, applaudissant au rythme des tambours, respirant et marchant en cadence. Du monumental surgit alors un nouveau « nous » qui s’exalte dans « une compulsion à la mégalomanie » (Abensour, 1997, p. 65). Il existe ainsi, soutient Abensour, un lien secret mais indéniable entre l’horreur des camps de la mort et la monumentalité majestueuse des édifices nazis. Les blocs de granit dont se servait Albert Speer, l’architecte d’Hitler, pour édifier le « grand Berlin », capitale d’un nouvel Empire mondial, n’étaient-ils pas polis dans les camps de concentration ? Malgré l’opposition apparente mais combien symptomatique, un « fil sinistre » relie la « cathédrale de lumières » [3] à l’univers de Nuit et Brouillard [4] – « comme les deux faces d’une médaille, la partie visible, lumineuse, numineuse, celle que l’on exhibe et la partie nocturne, celle que l’on occulte » (Abensour, 1997, p. 62). Loin de toute neutralité, l’architecture néo-classique vise à dominer et se révèle, comme le dit Adorno, « du même acabit que la musique d’accompagnement dont la S.S. aimait à couvrir le cri de ses victimes » (1978, p. 258).
47*
48Cet article était une double invite. Invitation d’Abensour à redécouvrir la pensée marxienne au-delà des lectures cohérentistes qui ont considérablement aplati le relief de cette pensée. C’est dans ses propres écarts, parfois dans ses incohérences, que Marx nous donne matière à penser. Gommer les contradictions qui traversent son œuvre peut servir à qui souhaite en faire une idole ou un épouvantail. S’attacher aux détails du texte est davantage conseillé pour qui cherche à penser. Au-delà de l’invitation abensourienne à (re) découvrir Marx, cet article contient une seconde invitation, formulée par nous-même, à découvrir la pensée d’Abensour. Le philosophe français est certes déjà traduit en plusieurs langues et son œuvre est lue, discutée voire enseignée dans plusieurs cercles. Néanmoins, elle reste aujourd’hui en grande partie confidentielle, encore loin de la notoriété qu’ont pu atteindre, pour ne citer qu’eux, Jacques Rancière ou Alain Badiou. En une phrase, Miguel Abensour n’est pas reconnu à sa juste valeur. Dans la riche constellation des nouvelles pensées critiques, celle d’Abensour renferme un potentiel heuristique à nos yeux sans commune mesure. Entre la double impasse, d’une part, des « critiques de la domination » qui analysent avec pertinence les formes actuelles de l’oppression mais peinent à envisager des voies de sortie et, d’autre part, des « pensées de l’émancipation » qui partent du postulat de l’égalité mais sous-estiment les contraintes que la domination fait peser sur les sujets, Abensour fraye un chemin, difficilement praticable mais ô combien salutaire, par lequel devient enfin possible de penser ensemble critique de la domination et projet d’émancipation [5].
Bibliographie
- ABENSOUR, Miguel, « Le choix du petit », in Passé présent, 1982, n° 1.
- ABENSOUR, Miguel, « Philosophie politique et socialisme, Pierre Leroux ou du “style barbare” en philosophie », Cahier du Collège international de philosophie, 1985, n° 1.
- ABENSOUR, Miguel, De la compacité. Architectures et régimes totalitaires, Paris, Sens et Tonka, 1997.
- ABENSOUR, Miguel, La démocratie contre l’État. Marx et le moment machiavélien, Paris, Éditions du Félin, 2004.
- ABENSOUR, « Comprendre ou provoquer l’histoire ? », in Le Magazine Littéraire, 10/2008a, n ° 479, pp. 59-62.
- ABENSOUR, Maximilien Rubel, Pour redécouvrir Marx, Paris, Sens et Tonka, 2008 b.
- ABENSOUR, Miguel, « Pourquoi la Théorie critique ? » in Le souci du droit, dir. BENTOUHAMI, Hourya et al., Paris, Sens et Tonka, 2009a.
- ABENSOUR, Miguel, Pour une philosophie politique critique, Paris, Sens et Tonka, 2009 b.
- ADORNO, Theodor W., Dialectique négative, Paris, Payot, 1978.
- ARENDT, Hannah, Les origines du totalitarisme, Paris, Seuil, 1972.
- ARENDT, Hannah, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 1995.
- ARON, Raymond, Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965.
- BREAUGH, Martin, « Critique de la domination, pensée de l’émancipation. Sur la philosophie politique de Miguel Abensour », in Politique et Sociétés, Vol. 22, n° 3, 2003.
- CERVERA-MARZAL, Manuel, Miguel Abensour, critique de la domination, pensée de l’émancipation, Paris, Sens et Tonka, 2013.
- CORCUFF, Philippe. Marx XXIe siècle, Paris, Textuel, 2012.
- FRIEDRICH, Carl, Totalitarianism : Proceedings of a Conference Held at the American Academy of Arts and Sciences, Cambridge, Harvard University Press, 1954.
- HOLLOWAY, John, Changer le monde sans prendre le pouvoir, Paris, Syllepse, 2008.
- HORKHEIMER, Max, Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, 1974.
- KORSCH, Karl, Marxisme et philosophie, Paris, Éditions de Minuit, 1964.
- LEFORT, Claude, L’invention démocratique, Paris, Livre de Poche, 1983.
- MARCUSE, Herbert, Culture et société, Paris, Minuit, 1970.
- MARX, Karl, La Sainte Famille, in Œuvres, III : Philosophie, Paris, Gallimard, 1982.
- POLTIER, Hugues, Passion du politique. La pensée de Claude Lefort, Genève, Labor et Fides, 1998.
Notes
-
[*]
Manuel Cerveza-Marzal est doctorant allocataire en science politique à l’Université Libre de Bruxelles et à l’Université Paris-Diderot.
-
[1]
Bien qu’Abensour ne cite nommément aucun des « détracteurs », nous pouvons sans trop de risque avancer qu’il a à l’esprit des penseurs comme Alain Badiou ou Jacques Rancière, qui critiquent tous deux vivement l’ordre établi et dénoncent toute forme de philosophie politique.
-
[2]
La seconde théorie lefortienne du totalitarisme convoque ainsi plusieurs sources, parmi lesquelles la psychanalyse (à travers les notions de refoulement, de symbolique) et les « deux corps du roi » de Ernst Kantorowicz.
-
[3]
Selon l’expression employée par l’ambassadeur britannique Neville Henderson pour nommer l’effet visuel produit par le gigantesque Palais des congrès du Parti national-socialiste construit en 1933 à Nuremberg. Le Reichsparteitagsgelände (en allemand « Terrain du Congrès du parti du Reich ») était en effet orné de 150 projecteurs. Sa surface, quatre fois supérieure à celle de la ville de Nuremberg, permettait d’accueillir un million de personnes.
-
[4]
Documentaire d’Alain Resnais sorti en 1955 et connu pour sa description saisissante de la déportation et des camps de concentration nazis.
-
[5]
Pour un examen plus approfondi de ce problème nous nous permettons de renvoyer à l’introduction de notre ouvrage (Cervera-Marzal, 2013).