Notes
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[1]
Marie Jahoda, Paul Lazarsfeld, Hans Zeisel, Die Arbeitslosen von Marienthal. Ein soziographischer Versuch über die Wirkungen langandauernder Arbeitslosigkeit, Leipzig, Hirzel, 1933.
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[2]
Serge Paugam, La disqualification sociale : essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, PUF, 2013.
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[3]
Thomas J. Cottle, Hardest Times : The Trauma of Long Term Unemployment, Westport, Praeger, 2001.
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[4]
Commission européenne / Emploi, affaires sociales et inclusion, Employment and Social Developments in Europe 2012, Bruxelles, 2013.
Angelo Inzoli, Gerolamo Spreafico, Lavorare ancora. La rigenerazione professionale degli over 50 in Italia, Trento, Erickson, 2016, 203 p.
1La politique économique est-elle la seule arme contre le chômage ? Ce livre entend démontrer que non. Il aborde le problème du chômage sous l’angle sociologique et psychologique. Il se focalise sur une catégorie qui y est particulièrement exposée, les travailleurs de plus de cinquante ans. Les auteurs unissent à la réflexion théorique une vision pragmatique grâce aux témoignages d’acteurs de terrain (des sociologues, des formateurs d’adultes, une ouvrière licenciée, un président de coopérative, un député européen). Ils partent d’un constat : sous la pression d’un marché du travail de plus en plus compétitif, la tranche d’âge des plus de cinquante ans est en train de basculer en Europe dans une zone aux frontières indécises, qui commence avec l’emploi précaire, continue avec le chômage de longue durée et finit avec la renonciation à chercher du travail. Si l’on comptabilisait dans les statistiques les personnes encore en âge de travailler mais découragées de chercher un emploi, on ajouterait dix points de pourcentage au taux de chômage d’un pays comme l’Italie.
2Une thèse est affirmée avec force dès le premier chapitre : en dehors de toute approche économique, le travail est un bien en soi. Il structure la vie quotidienne, favorise les contacts sociaux, contribue à donner une identité, voire une raison d’être, et maintient une activité qui renforce les capacités physiques et mentales [1]. Le travail est un facteur de réalisation personnelle et c’est à ce titre qu’il est garanti par la constitution italienne, lorsqu’elle proclame le droit au travail. La perte de l’emploi ne pose donc pas seulement un problème de niveau de vie. Les mécanismes d’assurance et d’assistance ne peuvent pas compenser chez le chômeur le sentiment de déclassement, la conscience d’une déchéance visible aux yeux de tous et l’isolement. Victime de ce que le sociologue Serge Paugam appelle la «disqualification sociale» [2], il finit par glisser dans un état dépressif et autodestructeur. Après six mois sans travail, certains chômeurs de plus de cinquante ans présentent des symptômes pathologiques semblables à ceux de malades en fin de vie [3]. Les plus de cinquante ans sont particulièrement exposés, car, peu qualifiés, ayant longtemps bénéficié d’un emploi stable, ils n’ont pas été préparés à la perspective d’une reconversion. Ils sont paralysés par l’angoisse de perdre les acquis de longues années de vie professionnelle et hésitent à prendre une nouvelle voie. Cette peur leur ôte la légèreté qui serait nécessaire pour orienter leur énergie personnelle vers la création de nouvelles opportunités de travail. L’Europe est le théâtre d’une lente érosion d’un vaste capital humain dans cette tranche d’âge. Remettre cette population au travail correspond à une exigence de solidarité et permet d’éviter l’appauvrissement de territoires entiers, notamment en Europe du Sud.
3L’accompagnement des personnes en recherche d’emploi a deux objectifs, la protection sociale et le renforcement de la personne. Refusant de s’en tenir à une perspective d’assistance, les auteurs s’intéressent exclusivement à la seconde option. Ils proposent un ensemble d’actions régénératives visant à faire du chômeur l’acteur de sa propre reconversion. La méthode préconisée vise à débloquer l’énergie vitale qui est en chacun de nous. Elle rejoint le mode de relation qui lie, en Afrique, le patient au guérisseur traditionnel : il est d’usage que le patient lui prenne le remède des mains et s’éloigne sans le remercier. Cette impolitesse rituelle vise à réveiller son potentiel personnel et à affirmer son autonomie retrouvée. En fait, la formation destinée aux chômeurs doit être de même nature que celle qui est destinée aux managers. Elle comporte un bilan de compétence, des conseils pour des actions nouvelles et une action pour détourner le regard d’échecs passés vers de nouvelles opportunités. Le maintien de la socialisation est assuré par la constitution de groupes d’entraînement et la constance de l’effort est contrôlée par un tuteur.
4Le processus régénératif prôné par les Angelo Inzoli et Gerolamo Spreafico comporte quatre étapes : la première fait émerger le sujet hors du silence douloureux dans lequel il a tendance à s’isoler et lui fait prendre conscience de son propre potentiel; la deuxième consiste en la conclusion d’un pacte, par lequel il s’engage à compléter ses compétences pour aller vers une nouvelle activité et à restituer à l’institution ce qu’il aura reçu; la troisième est celle d’une recherche active, qui fait taire en lui le sentiment auto-destructeur et débouche sur un emploi ; la quatrième est la dissolution du pacte, avec la reconnaissance du travail de régénération effectué et le versement d’une somme à l’institution qui a pris en charge le sujet.
5Le lancement d’une politique active en faveur des plus de cinquante ans serait un investissement judicieux à long terme. Elle freinerait un processus d’appauvrissement qui fait peser des charges d’assistance de plus en plus lourdes à supporter pour les réseaux familiaux et les organismes sociaux. Une meilleure mise en valeur du capital humain serait, comme le préconise la Commission européenne dans un rapport de 2013 [4], le moyen de redonner compétitivité et vitalité à de nombreux territoires fragilisés par la compétition économique entre régions.
6Au total, en mettant l’accent sur les aspects psychologiques du chômage dans une catégorie particulièrement vulnérable, celle des plus de cinquante ans, ce livre nous en dit beaucoup sur les fragilités qui touchent aujourd’hui à des degrés divers selon les régions, les population des démocraties occidentales. Il ne se contente pas de constater les faits, mais il suggère des actions à mener pour faire face à ce nouveau défi.
Notes
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[1]
Marie Jahoda, Paul Lazarsfeld, Hans Zeisel, Die Arbeitslosen von Marienthal. Ein soziographischer Versuch über die Wirkungen langandauernder Arbeitslosigkeit, Leipzig, Hirzel, 1933.
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[2]
Serge Paugam, La disqualification sociale : essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, PUF, 2013.
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[3]
Thomas J. Cottle, Hardest Times : The Trauma of Long Term Unemployment, Westport, Praeger, 2001.
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[4]
Commission européenne / Emploi, affaires sociales et inclusion, Employment and Social Developments in Europe 2012, Bruxelles, 2013.