Notes
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[1]
A ce jour, il existe des documents de correspondance avec la Global Reporting Initiative (GRI), le Pacte mondial, les objectifs de développement durable (ODD), l’Integrated Reporting (IR) et les principes directeurs de l’OCDE.
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[2]
Par extension, nous entendons aussi les partenariats entreprises-fondations et entreprises-ONG.
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[3]
Le RAMEAU (Regroupement des associations par le mécénat d’entreprises, d’administrations et d’universités) est un laboratoire de recherche appliquée multi parties prenantes. Le RAMEAU fait office d’observatoire national dont les travaux, comme la typologie sur les partenariats, sont partagés et réutilisés par les structures locales dans différentes régions.
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[4]
Les 7 questions centrales de l’ISO 26000 sont déclinées en 46 domaines d’action, qui sont eux-mêmes déclinés en plus de 300 attentes et actions associées. Par contre, seules les questions centrales sont indissociables et incontournables dans les démarches de RSE selon la norme.
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[5]
Le Labo régional des partenariats, créé en Alsace en 2008, est une structure qui favorise la rencontre entre entreprises et associations et qui fait de l’essaimage des bonnes pratiques partenariales au niveau régional, voire national.
-
[6]
Société coopérative d’intérêt collectif.
-
[7]
Les partenariats peuvent être simples à monter, mais néanmoins intrinsèquement complexes au sens de Simon (1962).
1 Depuis sa publication en 2010, la norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale a connu une diffusion significative au niveau international. La norme a été transposée comme norme nationale dans 75 pays et traduite dans 27 langues. Celle-ci est également reconnue institutionnellement (Union européenne, Nations unies) et d’autres outils incontestés se sont adaptés ou associés [1] à elle. Du côté des utilisateurs, de nombreuses entreprises font référence à la norme dans leur communication, l’utilisent dans leurs démarches de responsabilité sociale d’entreprise (RSE), voire ont recours à une validation externe (évaluation) de leur cohérence avec la norme. Ces signaux forts montrent que la pratique de la RSE s’institutionnalise autour de cette norme, qui tend à s’imposer comme une référence en matière de définition et d’opérationnalisation de la RSE.
2 Malgré ce contexte et ces synergies potentielles, il reste difficile pour une entreprise d’aborder la RSE selon les préconisations de la norme ISO 26000, car elles sont très centrées sur l’ouverture immédiate aux parties prenantes et sur d’autres concepts complexes à opérationnaliser. Beaucoup d’entreprises peuvent rester à l’écart de cette dynamique, comme le souligne l’enquête de l’observatoire d’ISO 26000 (AFNOR 2013) qui fait état des difficultés des utilisateurs pour décrypter et appliquer les préconisations de la norme ISO 26000. Certains concepts de la norme, comme le dialogue avec les parties prenantes, et son caractère holistique seraient difficilement abordables. Ainsi, la complexité du texte nécessite souvent un accompagnement pour les utilisateurs et implique un processus d’appropriation assez long, qui constitue un coût d’entrée fort, notamment pour les plus petites structures. Doit-on en conclure que la norme ISO 26000, ses préconisations et in fine la RSE resteront inaccessibles à un grand nombre d’entreprises ? Cela est peu probable, car la plupart des entreprises se trouvent dans la sphère d’influence de plus grandes structures, qui peuvent les inciter à formaliser une démarche de RSE, en application de leur devoir de vigilance envers elles (cf. ISO 26000).
3 Cet article propose de faire un focus sur un moyen original de lever cette difficulté de mise en œuvre, en abordant la RSE à travers les pratiques de partenariats entreprises-associations [2]. Il s’agira de traiter la problématique suivante : Par quels mécanismes les partenariats entreprises-associations permettent-ils d’aborder la complexité de la RSE ? La notion « aborder » permet d’insister sur le fait que les partenariats ne sont pas suffisants pour constituer une démarche de RSE au sens de l’ISO 26000, mais peuvent aider à la structurer en rendant concrets certains de ses aspects. De plus, ce dispositif ne constitue pas l’unique moyen de concrétisation de la RSE.
4 Sur le plan théorique, nous mobilisons le cadre des systèmes complexes (Simon, 1962) et plus précisément ses développements en management sur l’approche modulaire des systèmes sociotechniques complexes (Cohendet et al., 2005 ; Langlois, 2002), afin de décrire les opérations cognitives (création et transfert de connaissances) et opérationnelles (modalités et réalisations), qui permettent la modularisation de la complexité des partenariats et de la RSE. Nous mobilisons aussi ce cadre théorique pour expliquer comment construire le passage d’un partenariat à une démarche de RSE cohérente avec ISO 26000.
MÉTHODOLOGIE
Nous étudions une série de 7 mini-cas de partenariats entreprises-associations, afin d’illustrer la contribution possible de ces pratiques aux 7 questions centrales de la norme ISO 26000. Nous les qualifions au prisme d’une grille constituée à partir de la typologie du RAMEAU (qualification opérationnelle) et des 7 questions centrales de l’ISO 26000 (qualification thématique). Nous abordons de façon plus détaillée le cas du groupe Suez, car il permet d’illustrer l’articulation entre ses partenariats au niveau micro (focus régional, filiales, activités) et sa démarche globale de RSE. Ces deux étapes (7 mini-cas et cas Suez) sont complémentaires pour traiter la problématique de cette recherche (comprendre l’articulation des partenariats et établir les liens partenariats/RSE).
L’ensemble des cas étudiés ont été suivis, voire déployés, avec la participation d’un des auteurs, dans le cadre de ses fonctions de tiers accompagnant de partenariats (incubateur de partenariats), favorisant un accès privilégié aux terrains. Il a eu accès aux données primaires des cas (contextes, évolutions, etc.). Les autres auteurs avaient une posture de chercheurs observateurs non participants et ont pu réutiliser ces données, collectées dans le contexte d’intervention. Cette posture est similaire aux recommandations méthodologiques de Chabaud et Germain (2006, p. 205).
L’intervention sur le terrain (mise en relation des acteurs et suivi de leurs activités) a conduit à l’élaboration de fiches signalétiques de plusieurs partenariats ainsi qu’un accès à plusieurs autres fiches constituées au niveau national. De cette base, nous avons fait une sélection des 7 mini-cas selon notre grille, afin d’identifier un cas pertinent par question centrale de la norme ISO 26000. L’objectif était d’être exhaustif au niveau des questions centrales et donc des sujets indissociables de la RSE selon ISO 26000. La sélection du cas principal (Suez), repose sur ses propriétés spécifiques (groupe international engagé dans une démarche de développement durable et de reporting) à caractère extrême (Siggelkow, 2007).
5 Cette réflexion doit permettre à des structures engagées dans ce type de pratiques de les valoriser comme éléments de base d’une démarche de RSE, mais aussi à des structures engagées en RSE d’élargir leurs actions vers ces pratiques.
6 La première partie de l’article présente les partenariats et leurs liens potentiels avec la RSE. Cette présentation est basée sur 7 mini-cas de partenariats, afin d’établir les liens thématiques avec la RSE et un cas plus détaillé présentant l’articulation possible entre le local (partenariat) et le global (démarche RSE d’un groupe). Dans une seconde partie, nous mobilisons notre cadre théorique sur la complexité, afin d’analyser les mécanismes à l’œuvre et d’apporter des éléments de réponse à notre problématique.
I – Les liens entre partenariats entreprises-associations et démarche de RSE
7 Dans cette partie, nous présentons les principes de base des partenariats ainsi que leurs apports à une démarche de RSE, à partir de 7 mini-cas de partenariats et du cas Suez, illustrant l’articulation entre partenariat local et démarche globale.
1. Les partenariats entreprises-associations et leur typologie
8 Les partenariats entreprises-associations sont définis par le RAMEAU [3] comme des « modes de coopération qui permettent aux partenaires de répondre à leurs enjeux respectifs ainsi qu’à des enjeux partagés qui relèvent du bien commun » (RAMEAU, 2014, p. 22). Afin de favoriser leur émergence, le RAMEAU a proposé une typologie des partenariats, qui résulte d’une étude approfondie des pratiques au niveau national. Cette typologie distingue quatre catégories de partenariats, déclinées en neuf modèles (cf. figure 1). Elle est construite en fonction des objectifs des partenariats et propose une double lecture (logique associative et logique entreprise). Les quatre catégories proposées traduisent aussi des niveaux différents d’implication et de complexité organisationnelle. L’évolution de cette complexité représente différents niveaux de maturités partenariales. Par exemple, le mécénat (à gauche de la figure 1) et les pratiques responsables (à droite) sont les catégories les plus simples à mettre en œuvre car elles sont unilatérales (don financier, temps accordé, expertise offerte). Les autres pratiques (au centre de la figure) nécessitent davantage d’interactions et de co-construction (co-innovation, projet de joint-venture).
9 D’après les études du RAMEAU, les différents partenariats identifiés peuvent avoir des effets positifs pour les deux parties (entreprises et associations). Les entreprises reconnaissent l’apport des associations, fondations, ONG, pour fédérer les collaborateurs, aider à innover, favoriser l’ancrage territorial, etc. Pour ces organisations, les entreprises peuvent apporter des compétences et des ressources matérielles, faciliter la réalisation du projet associatif, etc. (RAMEAU, 2014, p. 17). Dans les faits, une entreprise peut mener différents types de partenariats et évoluer dans la maturité des relations partenariales avec le temps et les projets.
Les 4 catégories et 9 modèles de partenariat
Les 4 catégories et 9 modèles de partenariat
2. Les apports des partenariats à la RSE
10 Dans cet article, nous mobilisons la norme ISO 26000 comme référentiel de qualification d’une démarche de RSE crédible. En effet, la norme ISO 26000 cristallise une base internationale pour définir la RSE, ses principes, et son opérationnalisation. Elle constitue une véritable norme diapason (Helfrich, 2010) ayant pour objectif de créer un savoir commun sur ce sujet. La norme énonce notamment 7 principes de responsabilité sociétale, qui constituent le cœur des valeurs de la RSE et elle décrit les actions à mener autour de 7 questions centrales [4] (QC). De plus, elle insiste fortement sur la prise en compte des parties prenantes dans toute la démarche. En effet, ce sujet de l’identification des parties prenantes et du dialogue avec elles, est un véritable fil rouge de la norme. Il constitue un des sept principes transversaux de la norme (chapitre 4), il est présenté comme une pratique fondamentale de la RSE (chapitre 5), il est au cœur de plusieurs questions centrales (chapitre 6) et il est récurrent dans le processus d’intégration de la RSE (chapitre 7). Depuis sa publication en 2010, de nombreuses entreprises utilisent cette norme avec plus ou moins de rigueur. Cela est d’ailleurs une des conséquences de sa nature spécifique (un guide plus qu’une norme). Certaines entreprises l’utilisent aussi pour construire ou consolider leur stratégie RSE.
11 Dans ce contexte, l’approche partenariale peut cristalliser une action réaliste, qui permet d’aborder la RSE d’une manière innovante et pragmatique, en cohérence avec les recommandations de l’ISO 26000. En effet, un partenariat matérialise souvent à lui seul une concrétisation d’implications dans plusieurs domaines d’action (DA) de la norme (ex : volets environnemental, social et territorial). Il concrétise et stabilise aussi, comme le recommande la norme, une ouverture vers des parties prenantes au-delà de la chaîne de valeur de l’entreprise.
12 Le tableau 1 présente notre analyse d’une série de 7 cas de partenariats sur la base de la typologie du RAMEAU (qualification opérationnelle) et de la norme ISO 26000 (qualification thématique RSE). Ces cas ont été sélectionnés, afin d’illustrer la couverture potentielle des 7 questions centrales d’ISO 26000 par ces pratiques. Pour chaque cas étudié, le tableau 1 présente la question centrale et le domaine d’action d’ISO 26000 les plus représentatifs du contenu du cas. En réalité, ces partenariats peuvent être associés indirectement à d’autres domaines d’action d’ISO 26000, voire plusieurs questions centrales. En effet, chaque partenariat est déjà, par nature, au cœur de la question centrale communautés et développement local et la diversité de son contenu va permettre de le relier à d’autres. Ce tableau traite les questions centrales d’ISO 26000 de manière exhaustive et laisse entrevoir la variété des coopérations possibles entre entreprises et associations, la plupart du temps sur des actions très simples à mettre en œuvre, y compris dans une PME à faibles ressources dédiées.
13 La présentation des cas présentés dans le tableau 1 ouvre une perspective pour les entreprises qui souhaitent concevoir une politique partenariale complémentaire. Il est même envisageable de viser une couverture exhaustive des 7 questions centrales de la norme ISO 26000 selon les choix de partenariats. La typologie du RAMEAU nous permet de faire une qualification opérationnelle du partenariat. Selon cette typologie, le partenariat se concrétise par un apport de ressources (financière ou de compétences), la co-création ou de l’amélioration du produit ou du service, ou par l’apport de solutions d’économie circulaire. Il s’avère que cette qualification opérationnelle doit être variée pour couvrir plusieurs questions centrales de l’ISO 26000. Par exemple, le mécénat financier reste assez limité et donc insuffisant pour couvrir certains sujets, comme les relations et conditions de travail par exemple. Cela implique une certaine maturité dans la pratique partenariale pour atteindre les niveaux opérationnels les plus exigeants (ex : innovation sociétale).
14 Dans la plupart des cas présentés dans le tableau 1, le partenariat conduit l’association à renforcer son objet social par l’amélioration d’une fonction (production, supply chain, RH, etc.) ou du service de l’entreprise partenaire. Seuls les cas 1 et 2 sont davantage axés sur une amélioration de l’objet social de l’association : création d’un SI pour l’association (cas 1) et soutien financier et technique au projet de l’association (cas 2). La constitution de ces partenariats a été favorisée par des « tiers accompagnants » comme le RAMEAU et le Labo régional des partenariats [5].
15 Concrètement, le RAMEAU a œuvré au niveau national pour proposer une méthodologie de diagnostic des partenariats, afin d’aider les structures à élaborer des projets. Au niveau local, le Labo des partenariats s’est appuyé sur la méthodologie du RAMEAU pour cibler les besoins des entreprises, mettre en relations les associations du territoire avec ces dernières et pour aider au lancement des projets (cas 1, 6 et 7 notamment).
Les liens entre les partenariats et ISO 26000
Cas (partenaires) | Objet(s) du partenariat | Qualification opérationnelle (cf. figure 1) | Qualification thématique (ISO 26000) |
Cas 1 : IBM (informatique) / La Banque alimentaire (collecte et distribution de denrées alimentaires pour les populations en difficulté) | Le réseau des banques alimentaires a été soumis à un nouveau décret l’obligeant à a une traçabilité complète des produits distribués. Le réseau a équipé ses structures d’un progiciel de gestion des stocks (VIF). Dans le cadre d’un partenariat, des salariés d’IBM ont équipé 70 épiceries solidaires du Bas-Rhin d’un logiciel qui fait l’interface avec le progiciel VIF. Ils ont accompagné les membres de ces structures dans la phase de changement en les formant. L’objectif est d’aujourd’hui d’essaimer au niveau national. |
Mécénat Constitution du SI de la Banque alimentaire par du mécénat de compétence d’IBM |
QC7 : Communautés et
développement local DA4 : Développement des technologies et accès à la technologie |
Cas 2 : Crédit foncier (institution financière) / SNL (Solidarité nouvelles pour le logement : aide à l’accès au logement aux personnes en situation de précarité) |
Le Crédit foncier aide SNL à développer
son projet sur l’Ile-de-France grâce à des
actions de soutien : aide financière,
accompagnement stratégique, groupes de
travail impliquant des salariés et aide à
l’évaluation du projet de SNL. Il s’agit d’un partenariat dans la durée dans le domaine de l’habitat solidaire durable. |
Mécénat Soutiens financier et de compétences à SNL |
QC5 : Loyauté des pratiques DA 4 : Promotion de la responsabilité sociétale dans la chaîne de valeur |
Cas 3 : La Banque postale financement – LBPF (institution financière) / Chambre régionale de surendettement sociale (CRESUS) (Accompagnement | LBPF a placé la gestion responsable du crédit à la consommation au cœur de son approche. La société a mis en place un partenariat avec l’association CRESUS portant sur 2 dimensions : anticiper, détecter les difficultés des clients et proposer un accompagnement budgétaire personnalisé. Dans le cas de difficultés |
Innovation sociétale amélioration du service de LBPF par l’expertise de CRESUS |
QC6 : Questions relatives aux
consommateurs DA1 : Pratiques loyales en matière de commercialisation, d’informations et de contrats |
Cas (partenaires) | Objet(s) du partenariat | Qualification opérationnelle (cf. figure 1) | Qualification thématique (ISO 26000) |
budgétaire des publics en difficulté dont des clients en risque de surendettement) | trop importantes ou spécifiques (ex. sociales), le pôle accompagnement propose un suivi par CRESUS, qui intervient également dans la formation des membres du pôle accompagnement de LBPF. | ||
Cas 4 : SANOFI (industrie pharmaceutique) / DNDi Fondation (Drugs for Neglected Diseases initiative ; Fondation recherches médicales) | DNDI et Sanofi ont développé et mis à disposition un nouveau traitement antipaludique destiné principalement au marché africain. Les 2 acteurs partagent leur savoir-faire (scientifique, réglementaire, industriel…) pour commercialiser le médicament à un prix accessible aux locaux et sans brevet de protection ni clause d’exclusivité. Ce partenariat repose sur l’ouverture aux autre parties prenantes, l’implication et la co-construction de celles-ci, le partage des expertises de chacun des 2 acteurs qui leur permettent de créer une offre commune de médicaments à destination d’un nouveau marché, celui des populations défavorisées africaines touchées par le paludisme. |
Coopération économique Mise en commun de compétences techniques, réglementaire et industrielles |
QC1 : Gouvernance de
l’organisation DA 2 : Relation avec les parties prenantes (NB. Ce DA est issu du guide Afnor NF 30-031 car ISO 26000 ne propose pas de DA en gouvernance.) |
Cas 5 : Carrefour (grande distribution) / FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) | Le partenariat (1997) vise à garantir le respect des droits fondamentaux au travail dans la chaîne d’approvisionnement du groupe Carrefour. La FIDH accompagne l’entreprise dans l’évolution de ses pratiques. Ce partenariat s’effectue dans le |
Pratique responsable Amélioration du devoir de vigilance sur la chaîne de valeur de Carrefour |
QC2 : Droits de l’homme DA8 : Principes fondamentaux et droits au travail |
Cas (partenaires) | Objet(s) du partenariat | Qualification opérationnelle (cf. figure 1) | Qualification thématique (ISO 26000) |
cadre de l’association INFANS qui a été créée pour cela par les 2 partenaires. | |||
Cas 6 : Cafés Sati (torréfacteur, PME de 47 personnes, créée en 1926) / Les Jardins de la Montagne Verte (JMV) (association d’insertion par l’activité de maraîchage) |
Le partenariat repose sur la récupération
d’un déchet de torréfaction (exoderme),
excellent complément au compost. L’entreprise économise ainsi le coût de destruction en le mettant à disposition de l’association, qui elle a pu créer un nouveau poste grâce aux économies réalisées sur les achats d’engrais. Ce partenariat constitue un exemple d’économie circulaire, le déchet de l’un est revalorisé et devient la matière 1ère de l’autre. |
Coopération économique et
pratiques responsables Amélioration de la chaîne de valeur de Sati par une approche circulaire |
QC4 : Environnement DA 1 : Prévention de la pollution |
Cas 7 : SEW-Usocome (industrie, filiale française du groupe SEW-Eurodrive, leader mondial des systèmes d’entraînement) / Siel Bleu (groupe associatif proposant des activités physiques adaptées aux personnes physiquement fragilisées) |
SEW Usocome souhaitant travailler sur la
thématique du bien-être au travail est
entré en relation avec le groupe associatif Siel Bleu pour organiser des ateliers d’échauffement collectif et d’étirements d’avant et après prise de poste, de renforcement musculaire du dos et de relaxation pour les postes administratifs ou les manœuvres. Siel Bleu a organisé aussi l’axe « agir sur les activités manuelles » par la mise en place de son programme de prévention et de sensibilisation aux TMS et aux accidents du travail. |
Pratique responsable Renforcement des dispositifs QVT de SEW Usocome par des actions sur site (prévention et gestes) |
QC3 : Relations et conditions de
travail DA 4 : Santé et sécurité au travail |
Les liens entre les partenariats et ISO 26000
3. L’articulation entre partenariat local et démarche de RSE globale : le cas Suez
16 Au-delà de la constitution des partenariats à une échelle locale (ex : un service d’une entreprise, une filiale d’un groupe), il reste la question de leur intégration dans une approche plus globale, dès lors qu’ils ne peuvent être suffisants pour matérialiser une démarche de RSE. Dans cette section nous proposons d’illustrer comment une entreprise peut alimenter sa démarche globale de RSE, par le biais d’actions menées localement dans ses partenariats. Nous nous basons sur le cas de Suez, pour ses activités Eau en France (anciennement Lyonnaise des Eaux) et les partenariats de sa structure régionale Grand Est. Dans ce cas, les initiatives locales nourrissent la politique nationale sur les activités Eau en France et donc contribuent à la stratégie développement durable du groupe au niveau international.
17 En 2013, la Lyonnaise des Eaux Grand-Est a conclu un partenariat dans le Haut-Rhin avec une structure d’insertion : l’Association départementale d’entraide et d’insertion sociale (ADEIS). Ce partenariat s’inscrit dans la dynamique plus générale de Suez, qui vise à agir sur le territoire qu’il dessert, et dans ce cadre de considérer les solutions qui peuvent être apportées par le monde associatif. Ce partenariat relève des pratiques responsables (cf. figure 1) et a été ici décliné sous la forme de recyclage de l’enrobé (revêtement extérieur), lors des travaux de terrassement. Dans ce cas, l’association propose une prestation de service à l’entreprise, qui répond à une exigence financière, tout en ayant un impact social. Cette intervention a en effet été déterminante pour l’entreprise, lui permettant de diminuer ses charges, d’avoir un impact environnemental avec le recyclage sur les chantiers des enrobés et d’avoir un impact social par l’embauche de personnes en insertion sur le bassin d’emploi des travaux concernés. Pour l’association, cette coopération a diversifié son activité, lui permettant de répondre à un enjeu de consolidation de son action.
18 Sur le même territoire, la structure locale de Suez a mis en place un autre partenariat avec le centre de contact Taktim, Terre d’appels. Il s’agissait de gérer les appels sortants pour les changements de compteurs. Taktim, Terre d’appels est une entreprise adaptée qui grâce à ce type d’activité permet à des personnes en situation de handicap de développer des compétences et de s’orienter ensuite vers des entreprises classiques.
19 Ces deux partenariats ont été constitués avec l’aide du Labo régional des partenariats (identification des enjeux de Suez, ciblage des deux associations, mise en relation), toujours à l’aide de la méthodologie construite par le RAMEAU au niveau national. Ces partenariats permettent au groupe Suez de répondre localement à des besoins concrets avec l’aide de structures associatives ou apparentées. De plus, ils permettent à l’entreprise d’améliorer ses connaissances sur ces structures et leurs potentiels :
20 « Au cours d’un brainstorming nous nous sommes rendu compte que nous connaissions finalement très peu le monde associatif qui nous entoure et toutes les possibilités qui nous sont offertes […] Le monde associatif peut nous apporter de vraies solutions dans notre recherche constante d’innovations. » (chef d’agence Support & Performance lyonnaise des Eaux Grand-Est).
21 Suez a pu aller plus loin dans ces coopérations en travaillant au niveau local avec la SCIC [6] Solivers, qui rassemble plusieurs expertises en lien avec l’environnement. Suez envisage avec cet acteur des solutions innovantes en matière de revalorisation de ses boues d’épuration. Il s’agirait de les intégrer dans des buchettes de chauffage à base de débris de maïs. Cette expérimentation permettrait à Suez d’améliorer son impact environnemental, d’innover, de développer des emplois pour des personnes en situation de handicap, etc.
22 Sur la base de ces projets opérationnels à l’échelle locale, Suez a souhaité essaimer ces pratiques partenariales pour son activité Eau en France. L’entreprise œuvre auprès du Labo régional des partenariats pour diffuser ces pratiques au sein de ses composantes régionales. On retrouve encore sur ce point le rôle important de ces « tiers accompagnants » des partenariats.
23 Ainsi, les partenariats locaux permettent de concrétiser une partie de la stratégie RSE du groupe à un niveau global. En effet, dès 2012, dans sa feuille de route RSE 2012- 2016, Suez indiquait que : « les partenariats entre différents secteurs industriels, les partenariats public/privé et les collaborations entre les entreprises et les associations doivent être encouragés et développés » (2012, p. 7). De plus, une des trois priorités de cette feuille de route s’intitulait : « faire de nos métiers des contributeurs à l’attractivité des territoires et co-construire les solutions avec nos parties prenantes » (Suez, 2012, p. 21-26). Le groupe attribuait une large place à ces actions partenariales dans sa communication nationale.
24 Dans le rapport développement durable 2014 du groupe Suez, de nombreux témoignages internes et externes défendaient également cette approche. Par exemple, Frédérique Raoult, directeur de la communication et du développement durable, rappelait : « la contribution de nos métiers au développement des territoires est un axe très important de notre politique de développement durable. Nous montons des partenariats avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire pour faciliter l’insertion » (Suez, 2014, p. 7). Jean-Marc Borello, président du directoire du groupe SOS et administrateur du fonds Suez Environnement Initiatives, indiquait enfin : la « coopération entre l’économie dite classique et l’économie sociale et solidaire permet une fertilisation croisée de ce que les uns et les autres savent faire le mieux » (Suez, 2014, p. 49).
25 L’engagement n° 9 de la démarche RSE de Suez sur le développement local cristallise donc la stratégie partenariale de l’entreprise avec son territoire : « Contribuer à un développement durable et équilibré des territoires implique de travailler avec des acteurs essentiels à leur vitalité : les PME, mais aussi les structures de l’insertion, du secteur protégé et adapté, qui œuvrent à une économie sociale et solidaire. » (Suez, 2014, p. 56). Le rapport intégré de Suez, adopté depuis 2016, dit vouloir contribuer au développement local, à l’attractivité des territoires et recourir à des fournisseurs issus de l’économie sociale et solidaire (ESS) (Suez, 2016, p. 68).
26 On voit ici comment, au sein d’un grand groupe tel que Suez, des initiatives locales, portées par certaines filiales ou business units, peuvent alimenter et concrétiser une stratégie RSE globale pour le groupe.
27 L’analyse des 7 mini-cas du tableau 1 permet d’identifier une contribution thématique potentiellement exhaustive sur les questions centrales de la norme ISO 26000. Ce résultat nous autorise à soutenir qu’une politique partenariale bien construite peut potentiellement contribuer à l’ensemble des grands enjeux de la RSE. Par contre, ces contributions ne seront jamais suffisantes et il n’est pas envisageable d’axer uniquement une démarche de RSE sur ce type d’activité. En effet, une démarche de RSE couvre des problématiques stratégiques internes à l’entreprise (volet gouvernance, volet RH) ou à sa chaîne de valeur (loyauté des pratiques), que l’entreprise devra traiter seule. L’analyse du cas Suez, aide à comprendre comment les partenariats peuvent contribuer à une concrétisation locale des grands axes d’une politique RSE globale. Ce cas apporte donc un résultat complémentaire sur les perspectives structurantes des partenariats dans la mise en cohérence des enjeux opérationnels et stratégiques d’une démarche de RSE.
28 Pour autant, afin de répondre pleinement à notre problématique, des points d’ombre restent à analyser autour de ces pratiques. Quels mécanismes cognitifs et organisationnels contribuent à la formation et à la pérennisation des partenariats ? Quels mécanismes permettent le glissement vers une démarche de RSE ? Afin de qualifier plus précisément les partenariats et comprendre leurs mécanismes, nous proposons de mobiliser la littérature sur les systèmes complexes dans la partie suivante.
II – L’analyse des partenariats par l’approche modulaire des systèmes complexes
29 Dans cette seconde partie, nous décrivons le lien que l’on peut établir entre les partenariats et la RSE à l’aide de la littérature sur les systèmes complexes. Ce champ théorique permet d’illustrer les opérations cognitives et organisationnelles à l’œuvre et de restituer la constitution des partenariats (niveau micro) et le passage à la RSE cohérente avec ISO 26000 (niveau macro).
1. Les partenariats comme systèmes complexes modulaires
30 Selon sa construction thématique et opérationnelle, un partenariat [7] conjugue les trois propriétés des systèmes complexes au sens de Simon (1962). En effet, il rassemble des acteurs hétérogènes (1) autour de sujets multiples et variés (2) dans des interactions non simples (3). De plus, sa structuration est également compatible avec l’approche d’Edgard Morin d’un système complexe où : « le ‘tout’ est qualitativement différent de la somme des parties avec des forces et faiblesses propres que les parties n’ont pas » (Héraud et al., 2019, p. 10). L’usage des théories des systèmes complexes peut se justifier par le fait que cette littérature, fondée sur la complexité technique, s’est élargie ces dernières années à l’analyse de la complexité cognitive et organisationnelle (Ancori, 2008 ; Héraud et al., 2019 ; Langlois, 2002 ; Cohendet et al., 2005). Nous pouvons donc tirer des conjectures théoriques de ce lien pour expliquer la formation d’un partenariat entreprise-association et en déduire des implications pour en favoriser d’autres sur le terrain.
31 Nous mobilisons notamment les développements de cette littérature sur l’approche de la modularité organisationnelle et cognitive des systèmes complexes (Langlois, 2002 ; Cohendet et al., 2005). Ces développements théoriques reposent sur trois axes et nous apprennent qu’un système complexe peut plus facilement être appréhendé et donc géré, sur le plan cognitif et organisationnel, par son séquençage en modules de connaissances encapsulées (1), liés entre eux par des connaissances partagées (interdépendance cognitive) (2). De plus, son caractère adaptatif (Héraud et al., 2019) favorise sa reconfiguration à travers la création de nouvelles connaissances pour tout le réseau (3).
32 Les partenariats étudiés précédemment peuvent être qualifiés de systèmes complexes pour leurs acteurs et leurs contenus. En effet, ils rassemblent des acteurs hétérogènes sur le plan cognitif et institutionnel, qui appartiennent à des groupes distincts (acteurs de l’entreprise, acteurs associatifs et tiers accompagnants). Cette hétérogénéité implique que les acteurs associatifs et de l’entreprise peuvent avoir des perceptions et des formalisations très différentes de leurs missions et de leurs compétences (ex : cas 4 sur l’objet de la recherche médicale ou cas 3 sur la finalité de la finance). Ils peuvent aussi avoir des modes d’interactions spécifiques avec leur territoire (ex : cas 2 sur l’immobilier).
33 Le contenu des partenariats (thèmes et opérationnalisation) peut aussi matérialiser des interactions non simples d’un système complexe. Il peut appeler à des innovations techniques (ex : cas Suez sur les techniques de revalorisation des boues) ou organisationnelles (ex : cas 5 sur la gestion de la chaîne d’approvisionnement). Certains éléments du système peuvent instaurer une certaine incommensurabilité des pratiques, voire même une incompréhension a priori entre les acteurs. C’est pour ces raisons qu’ils caractérisent des acteurs hétérogènes et que leurs interactions potentielles constitueront un réseau sociocognitif complexe (Ancori, 2008) d’interactions non simples, selon cette littérature.
34 D’après les observations faites sur nos cas, la gestion de la complexité de ces partenariats, semble reposer sur le mécanisme présent dans le concept de modularité organisationnelle et cognitive des systèmes complexes (Langlois, 2002 ; Cohendet et al., 2005). En effet, les trois axes de cette théorie sont observables sur nos terrains :
- Les « modules » constitués (acteurs de l’association, acteurs de l’entreprise, tiers accompagnants) assurent la gestion auto-organisée d’une partie des connaissances (connaissances encapsulées). Par exemple, les connaissances nécessaires aux actions des membres de la structure associative, des services de l’entreprise impliqués ou des activités des tiers accompagnants ne sont pas totalement transférées aux autres parties. Seules les connaissances nécessaires à la réalisation des partenariats seront transférées.
- Des acteurs cognitivement proches de chaque module favorisent le transfert des connaissances nécessaires à la gestion du système complexes (connaissances partagées). L’entreprise peut transférer des connaissances à l’association (ex : mécénat de compétences du cas 1), l’association peut en faire autant (ex : partage d’expertise du cas 7) et les tiers accompagnants, comme le Labo régional des partenariats, peuvent transmettre leur savoir-faire sur l’ingénierie de partenariats, tout en l’améliorant au contact des entreprises et des associations (processus d’apprentissage inter-cas).
36 Nous retenons également que les structures d’accompagnement des cas étudiés (le RAMEAU/acteur national, le Labo régional des partenariats /acteur territorial) sont les acteurs clés de cette proximité cognitive avec les différents modules du réseau matérialisée par une connaissance du monde associatif et des entreprises, ainsi que de leurs attentes respectives. Cette proximité peut être entendue comme une « ressemblance cognitive entre acteurs individuels » (Ancori, 2008, p. 124) et favoriser la circulation des connaissances partagées et la constitution des partenariats. Cela peut consister à traduire les missions et compétences de l’association en contributions concrètes pour l’entreprise. Ce transfert de connaissances repose sur l’association indissociable entre l’action de ces institutions, des acteurs et leurs outils (ex : l’action du RAMEAU et sa typologie des partenariats pour en construire de nouveaux). Ces derniers contribuent également, en sens inverse, à une traduction des enjeux économiques et de RSE de l’entreprise dans le langage associatif. Leur rôle est donc majeur dans la mise en relation des deux mondes. D’ailleurs, la majorité des cas étudiés ont été impulsés par des structures de ce type (ex : speed dating de partenariats).
37 3) In fine, les reconfigurations du système permettent la création de nouvelles connaissances pour tout le réseau (connaissances créées) et peuvent conduire à des reconfigurations organisationnelles pour ses parties. On peut l’observer lorsque le partenariat aboutit à des innovations (produits, services ou processus : cas 1, 3 et 4) ou constitue une innovation partenariale (élargissement de la grille du RAMEAU et de l’action du Labo régional des partenariats). Dès lors que le partenariat fait évoluer les pratiques d’un module ou de plusieurs modules sur des configurations inédites pour l’ensemble du réseau, nous sommes dans cette création de nouvelles connaissances, typique des systèmes complexes adaptatifs (Héraud et al., 2019)
38 Cette analyse des partenariats à un niveau micro, par le prisme des systèmes complexes, peut permettre de faire d’autres conjectures sur le lien entre ces derniers et la RSE selon ISO 26000, comme un passage à un système complexe de niveau macro.
2. Le lien entre les partenariats et la RSE selon ISO 26000
39 À un niveau macro, la modularité évoquée précédemment peut aussi favoriser la construction d’un lien entre les enjeux des partenariats et le contexte global de la RSE par ces mêmes opérations. Par contre, dans ce contexte macro, les modules constitués d’acteurs plus ou moins proches (proximité cognitive et organisationnelle) peuvent être redistribués différemment que dans le système complexe micro (partenariat). Dans le système complexe RSE (macro), les connaissances encapsulées peuvent porter sur une large part du partenariat et les connaissances transférées seront celles qui sont nécessaires à l’intégration de la politique partenariale dans la démarche de RSE globale. De même pour les nouvelles connaissances (connaissances créées), qui peuvent correspondre au partenariat lui-même ou à ses propriétés organisationnelles dans le contexte macro.
40 On observe cela, lorsque les entreprises engagées dans des partenariats vont traduire et codifier le contenu de ces derniers en enjeux de RSE. Dans le cas Suez, cela s’observe par l’intégration des partenariats conclus au niveau du Grand-Est dans la démarche globale de RSE du groupe. Dans ce cas, la communication RSE du groupe ne va pas détailler le contenu des partenariats, mais va simplement associer les projets comme des contributions à ses engagements territoriaux. C’est en ce sens qu’une large partie des connaissances d’un partenariat, y compris des connaissances transférées au niveau micro (partenariat), resteront encapsulées au niveau marco (RSE). Les cohérences établies dans le tableau 1 entre les partenariats des 7 mini-cas et les questions centrales de la norme ISO 26000 participent de la même mécanique.
41 Au niveau macro, les trois axes de l’approche modulaire de la complexité sont également présents :
- La complexité du système macro (RSE) sera réduite par cette approche modulaire et par l’encapsulation de certaines connaissances. Concrètement, une direction RSE n’a pas besoin de partager l’intégralité de sa méthodologie ou du contenu d’ISO 26000 avec les services, filiales ou acteurs qui ont construit un partenariat avec une association, pour intégrer cette bonne pratique dans un plan d’action de la démarche RSE. Par symétrie, l’association n’a pas besoin de maîtriser toute la démarche RSE de son entreprise partenaire pour construire sa relation avec elle et améliorer sa propre contribution à son objet social. C’est aussi pour cela que la politique partenariale ne peut constituer à elle seule la démarche de RSE, car une partie des connaissances nécessaires à la démarche RSE lui échappe.
- Par contre, un minimum de connaissances doit circuler entre ces acteurs pour que le partenariat puisse être identifié comme une contribution élémentaire de la démarche de RSE. L’association explicite du partenariat à la démarche RSE, ou le passage d’actions partenariales à une démarche de RSE, permettent un transfert de connaissances entre les acteurs (découverte réciproque de l’autre monde, bonnes pratiques pour la RSE).
- La création de nouvelles connaissances est issue d’un processus d’apprentissage croisé autour du partenariat. Il permet de stimuler la créativité des parties, pour co-construire de nouvelles solutions à leurs problématiques respectives ou de nouvelles approches de la RSE. De fait, cette approche partenariale constitue un moyen pragmatique pour une PME de concrétiser et de s’approprier les enjeux de la RSE identifiés par l’ISO 26000 comme l’influence territoriale, l’ouverture aux parties prenantes, l’activation d’une sphère d’influence, etc.
Conclusion
43 Cette recherche montre que l’approche partenariale peut constituer une porte d’entrée originale et pragmatique pour les entreprises souhaitant aller vers des démarches RSE. Le partenariat, par son approche modulaire, peut démystifier les grands sujets de la RSE pour les acteurs du terrain. Il peut favoriser le transfert et la création de connaissances entre acteurs hétérogènes. De plus, le partenariat peut aussi constituer une base empirique pour des plans d’action construits au niveau stratégique dans une démarche de RSE plus mature.
44 Nos résultats indiquent que les partenariats entreprises-associations peuvent absorber leur complexité intrinsèque par une approche modulaire. Ainsi, les connaissances nécessaires au fonctionnement du partenariat seront transférées entre les modules alors que les connaissances spécifiques à un module resteront encapsulées dans une forme d’auto-organisation. Ce système complexe modulaire permettra in fine de créer de nouvelles connaissances pour tout le réseau par le biais des résultats du partenariat. À un niveau macro, nos résultats impliquent l’identification d’un autre système complexe modulaire qui se met en place, avec une reconfiguration des connaissances encapsulées et partagées et d’autres acteurs. Dans ce dernier, le partenariat (système complexe micro) va constituer un module du système complexe macro (la démarche de RSE). L’étude des 7 mini-cas illustre l’apport possible de chaque partenariat à une partie de la démarche de RSE et le cas Suez montre la possibilité d’une mise en cohérence entre la politique partenariale d’une filiale en local et la démarche RSE du groupe au global.
45 Les préconisations managériales que nous pouvons apporter sur la base de notre étude portent sur deux points. À destination des tiers accompagnants des partenariats, nous insistons sur l’importance du rôle qu’ils peuvent avoir dans la stratégie modulaire de constitution des partenariats et le passage à la RSE. En effet, ces acteurs institutionnels et leurs outils vont jouer un rôle majeur, en favorisant l’interaction entre acteurs hétérogènes, sur le plan cognitif et organisationnel. Sur la base de leur expérience cumulative, ils peuvent assurer et faciliter la rencontre des parties et le choix des thèmes et modalités opérationnelles des partenariats.
46 Une autre recommandation, à destination des entreprises, porte sur la stratégie de politique partenariale qu’une entreprise devrait élaborer pour couvrir efficacement les enjeux de la RSE, en favorisant la variété thématique et la variété opérationnelle des partenariats afin de couvrir plusieurs questions centrales de la norme ISO 26000 avec ces activités et favoriser l’innovation dans l’activation de sa sphère d’influence. Cela peut notamment permettre à de petites structures de construire une amorce de démarche RSE et à de plus grandes, d’étoffer le contenu de leurs démarches globales.
47 L’apport théorique principal de cette recherche repose sur la superposition ou l’imbrication de systèmes complexes de niveaux différents, qui permet d’observer une perméabilité des trois types de connaissances que ces systèmes peuvent moduler. Les connaissances transférées du système micro peuvent constituer les connaissances encapsulées du système macro. De même, l’intégralité du système micro peut constituer un seul module du système macro. Cette mise en perspective peut permettre de compléter les recherches actuelles sur les systèmes complexes adaptatifs.
- Albarello L. (2011). Choisir l’étude de cas comme méthode de recherche, De Boeck, Méthodes en sciences humaines, Bruxelles.
- Afnor (2013). Deuxième rapport d’enquête sur l’utilisation de la norme ISO 26000, document interne non publié de la commission Afnor/DDRS, La Plaine Saint-Denis.
- Ancori B. (2008). « Espace-temps d’un réseau sociocognitif complexe. Jalons pour une épistémologie naturalisée et évolutionnaire. I. Propension à communiquer et présent spécieux », Revue internationale d’analyse complexe et d’études relationnelles, vol. 3, n° 2, p. 113-181.
- Chabaud D. et Germain O. (2006). « La réutilisation de données qualitatives en sciences de gestion : un second choix ? », M@n@gement, vol. 9, n° 3, p. 191-213.
- Cohendet P., Diani M., Lerch C. (2005). « Stratégie modulaire dans la conception. Une interprétation en termes de communautés », Revue française de gestion, vol. 31, n° 158, p. 121-143.
- Helfrich V. (2010). « Peut-on normaliser efficacement la RSE et ses pratiques ? Etude du cas de la norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale », Revue de l’organisation responsable, vol. 5, n° 1, p. 51-60.
- Héraud J.-A., Kerr F., Burger-Helmchen T. (2019). Management créatif des systèmes complexes, Editions ISTE.
- Langlois R.N. (2002). “Modularity in technology and organization”, Journal of economic behavior & organization, vol. 49, p. 19-37.
- RAMEAU (2014). Construire ensemble - Guide Entreprises & Associations, Rapport RAMEAU, http://www.lerameau.fr/publications-telechargeables/.
- Siggelkow N. (2007). “Persuasion with case studies”, Academy of Management Journal, vol. 50, n° 1, p. 20-24.
- Simon H. (1962). “The architecture of complexity”, Proceedings of the American Philosophy Society, vol. 106, p. 467-482.
- Suez (2012). Feuille de route de développement durable et de responsabilité sociétale de l’entreprise, direction du Développement durable et direction de la Communication de Suez.
- Suez (2014). Rapport de contribution environnementale, sociale et sociétale 2014, direction du Développement durable et direction de la Communication de Suez.
- Suez (2016). Rapport intégré 2016 : agir pour la révolution de la ressource, direction du Développement durable et direction de la Communication de Suez.
Notes
-
[1]
A ce jour, il existe des documents de correspondance avec la Global Reporting Initiative (GRI), le Pacte mondial, les objectifs de développement durable (ODD), l’Integrated Reporting (IR) et les principes directeurs de l’OCDE.
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[2]
Par extension, nous entendons aussi les partenariats entreprises-fondations et entreprises-ONG.
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[3]
Le RAMEAU (Regroupement des associations par le mécénat d’entreprises, d’administrations et d’universités) est un laboratoire de recherche appliquée multi parties prenantes. Le RAMEAU fait office d’observatoire national dont les travaux, comme la typologie sur les partenariats, sont partagés et réutilisés par les structures locales dans différentes régions.
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[4]
Les 7 questions centrales de l’ISO 26000 sont déclinées en 46 domaines d’action, qui sont eux-mêmes déclinés en plus de 300 attentes et actions associées. Par contre, seules les questions centrales sont indissociables et incontournables dans les démarches de RSE selon la norme.
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[5]
Le Labo régional des partenariats, créé en Alsace en 2008, est une structure qui favorise la rencontre entre entreprises et associations et qui fait de l’essaimage des bonnes pratiques partenariales au niveau régional, voire national.
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[6]
Société coopérative d’intérêt collectif.
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[7]
Les partenariats peuvent être simples à monter, mais néanmoins intrinsèquement complexes au sens de Simon (1962).