Couverture de RFG_276

Article de revue

Légitimité et reconquête des sociétaires par les banques coopératives

Une analyse des sites internet des Banques populaires

Pages 143 à 161

Notes

  • [2]
    Les individus sont les banques représentées par des petits carrés. Dans un souci de clarté, sont reportées les formes réduites qui expliquent le plus chaque classe.
Considéré comme un handicap durant les années de financiarisation, le “sociétariat” est de retour dans les banques mutualistes et coopératives depuis que la crise financière a miné la confiance dans le système bancaire, et en particulier dans la gouvernance des établissements.
P.Y. Gomez, Le Monde, 2013

1 Depuis la crise financière, l’image des banques a été ternie auprès du public et du citoyen (Barbot, 2010) au point que la remise en cause de leur légitimité peut être posée. Alors qu’elles étaient moins concernées par ce besoin de légitimation que d’autres organisations issues de secteurs d’activité plus sensibles aux enjeux environnementaux et sociaux, les banques doivent désormais maintenir et renforcer leur légitimité auprès de leurs parties prenantes en démontrant que leurs activités sont en adéquation avec les attentes de ces dernières (Reynaud et Walas, 2015).

2 Les banques coopératives n’échappent pas non plus à ce besoin de légitimation auprès de leurs parties prenantes et plus particulièrement de leurs sociétaires. Le rôle de ces derniers est reconnu comme central dans la gouvernance des banques coopératives puisqu’ils participent au processus démocratique de la banque, mais aussi à son développement local (Gianfaldoni et al., 2011). Pourtant plusieurs études empiriques (e.g. Caire et Nivoix, 2012) montrent la désaffection des sociétaires envers le fonctionnement institutionnel de leur banque ; en témoignent les taux de participation extrêmement bas aux assemblées générales (Regnard, 2015). Par ailleurs, les degrés et la nature de leur engagement sont à géométrie variable (Girard et Sobczak, 2010). Les sociétaires ne sont pas toujours guidés par des valeurs éthiques et de responsabilité sociale, mais plutôt par des considérations financières dans leur décision d’achat de parts sociales (Egarus et Roger, 2016). L’enjeu pour les banques coopératives est donc de reconquérir leur sociétariat, devenu de plus en plus dilué, et de remobiliser l’affectio mutualis. Elles ont déjà entrepris d’importants chantiers de valorisation et des plans de relance (Richez-Battesti, 2008). Elles présentent dans les spots publicitaires diffusés dans les médias le sociétaire comme la figure centrale du modèle mutualiste.

3 La théorie de la légitimité (Suchman, 1995 ; Deephouse et al., 2017) paraît pertinente pour comprendre les leviers permettant aux banques de reconquérir leurs sociétaires. Les travaux empiriques sur la légitimité dans le secteur bancaire sont relativement peu nombreux comparativement à ceux portant sur d’autres secteurs d’activité. Ils sont abordés dans deux perspectives. La première, pour la majorité des travaux (e.g. Menassa et Brodhäcker, 2017 ; Reynaud et Walas, 2015), porte sur la divulgation d’informations sociales et sociétales des banques. Les discours sur leurs stratégies et politiques RSE permettent aux banques de légitimer leurs activités auprès de leurs parties prenantes. La deuxième s’intéresse aux valeurs et principes mutualistes des banques coopératives comme moyen de légitimer leur rôle par rapport aux autres banques. Les travaux de Cadiou et al. (2008) et de Lapoutte et Cadiou (2014) en particulier explorent la légitimité mutualiste en s’appuyant sur les principes mutualistes auprès de plusieurs parties prenantes.

4 Notre recherche se différencie des travaux précédents sur deux points. Nous nous intéressons, non pas à la légitimité mutualiste, mais à la légitimité organisationnelle des banques coopératives et focalisons notre attention sur les sociétaires, une partie prenante spécifique de leur gouvernance, par son caractère ubiquiste. L’ubiquité du sociétaire réside dans le principe de double qualité par lequel le sociétaire est à la fois détenteur de droits de propriété et client de sa banque (Collette et Pigé, 2008).

5 Nous nous interrogeons dans cet article sur la façon dont les banques coopératives gèrent leur légitimité auprès de cette partie prenante essentielle. Nous nous intéressons en particulier aux modalités de renforcement de la légitimité choisies par ces banques dans leur discours pour reconquérir leurs sociétaires. Pour ce faire, nous mobilisons la littérature sur la théorie de la légitimité en lien avec la littérature sur les parties prenantes et l’appliquons aux spécificités de la gouvernance des banques coopératives.

6 Notre étude empirique exploratoire porte sur le cas des Banques populaires, quatrième réseau bancaire en France regroupant treize banques régionales sous cette enseigne, chacune autonome dans sa gestion, disposant ainsi de sa propre politique générale, instance de gouvernance et moyens de développement. Elle a affiché, dès 2001, sa volonté de relancer le sociétariat. Nous nous appuyons sur les sites internet, un support de communication médiatée pertinent pour étudier les stratégies de communication des entreprises (Esrock et Leichty, 2000), et centrons la collecte et l’analyse des données sur les sites institutionnels dédiés aux sociétaires.

7 L’intérêt théorique de notre recherche est triple. Premièrement, elle étudie pour la première fois à notre connaissance la légitimité organisationnelle d’une banque coopérative. Deuxièmement, elle participe à renforcer le lien entre la théorie de la légitimité et la théorie des parties prenantes de deux façons : en considérant les représentations des attentes des parties prenantes comme un moyen d’opérationnaliser le concept de légitimité et en montrant que différentes modalités de légitimité peuvent être utilisées pour répondre aux attentes diverses d’une seule et même partie prenante. Troisièmement, elle contribue à enrichir les travaux sur la gouvernance des banques coopératives en confirmant le caractère ubiquiste du sociétaire et le caractère décentralisé de la gouvernance des banques coopératives.

8 Notre recherche permet, sur le plan managérial, d’éclairer les dirigeants des banques sur les leviers sur lesquels ils peuvent agir pour maintenir la légitimité de leur banque auprès de leurs sociétaires. Cette recherche peut enfin servir les réflexions actuellement en cours de la Fédération nationale des Banques populaires sur la reconquête des sociétaires.

9 L’article est organisé comme suit. Dans une première partie, nous présentons notre cadre théorique en identifiant les différentes modalités de renforcement de la légitimité organisationnelle ainsi que les attentes diverses du sociétaire. Après une description de la méthodologie de collecte et d’analyse des données, nous exposons dans une deuxième partie les résultats de notre étude exploratoire. La troisième partie est enfin consacrée à la discussion et aux contributions théoriques et managériales.

I – GÉRER LES RELATIONS AVEC LES PARTIES PRENANTES PAR LA COMMUNICATION POUR RENFORCER LA LÉGITIMITÉ

1. Légitimité organisationnelle et parties prenantes

10 La théorie des parties prenantes est conçue comme une aide apportée aux dirigeants pour gérer leur entreprise, de façon stratégique (dans une perspective descriptive et instrumentale) ou éthique (dans une approche normative). Dans la première perspective, prendre en compte et satisfaire les attentes des parties prenantes, et adapter les décisions de l’entreprise en fonction de ces attentes, peut être créateur de valeur et d’avantage concurrentiel. Dans la seconde perspective, l’entreprise a un devoir moral de satisfaire les attentes de ses différentes parties prenantes.

11 L’engouement autour des questions sociales, environnementales et sociétales, le pouvoir et l’influence accrue de certaines parties prenantes, et par là même l’élargissement du champ de responsabilité des organisations, conduisent les organisations à devoir maintenir voire renforcer leur légitimité auprès de leurs parties prenantes (Buisson, 2008). La légitimité est définie comme une perception ou supposition généralisée selon laquelle les actions d’une entité sont souhaitables ou appropriées, au sein d’un système socialement construit de normes, valeurs et croyances (Suchman, 1995). Le besoin pour l’organisation de légitimer ses activités peut s’expliquer par la multiplicité des attentes des parties prenantes parfois potentiellement contradictoires (Ashforth et Gibbs, 1990). Les travaux qui ont étudié les stratégies de légitimation des organisations trouvent aussi leur pertinence dans des contextes de crise où la survie de ces organisations peut être remise en cause (Michel, 2015).

12 Le concept de légitimité est appréhendé dans la littérature en sciences de gestion selon deux perspectives : un courant néo-institutionnel (e.g. Meyer et Scott, 1983) qui suggère que la légitimité résulte de la conformité de l’organisation avec les normes sociales générales et les lois formelles de son environnement et se réfère au degré de soutien culturel qu’une organisation reçoit des acteurs sociaux face aux pressions externes ; une perspective stratégique (e.g. Suchman, 1995 ; Ashforth et Gibbs, 1990) qui conçoit la légitimité organisationnelle comme une ressource qu’une organisation peut gérer pour s’assurer le soutien (ou éviter une sanction) de groupes d’acteurs. La légitimité reflète ainsi une adéquation entre les comportements de l’entité légitimée et les croyances d’un certain groupe social. Elle recouvre non seulement la perception des acteurs envers une organisation, leur jugement mais aussi la réponse comportementale de l’organisation fondée sur ces jugements (Bitektine, 2011).

13 Plusieurs modalités de renforcement de la légitimité ont été définies dans la littérature ; elles sont reprises de façon détaillée par Bitektine (2011). La plupart des études empiriques s’appuient sur la typologie de Suchman (1995) qui identifie trois formes de légitimité. La légitimité pragmatique repose sur la capacité de l’organisation à satisfaire les intérêts des acteurs qui jugent l’organisation en la soumettant à une évaluation basée sur ce que leur apporte l’organisation à un niveau individuel. La légitimité morale repose sur une évaluation des acteurs fondée sur le fait que l’organisation par ses activités contribue au bien-être social. Enfin, la légitimité cognitive repose sur la cohérence entre les comportements de l’organisation et les représentations de ce qui est considéré comme acquis par les acteurs. Si la légitimité pragmatique s’appuie sur les intérêts propres de chaque partie prenante (permettant ainsi à l’organisation de l’acquérir en orientant des récompenses tangibles vers des attentes spécifiques), les légitimités morale et cognitive impliquent, elles, des règles culturelles plus larges (Suchman, 1995). Les trois formes de légitimité suivent un continuum. En se déplaçant de la dimension pragmatique, vers celle moral, puis cognitive, « la légitimité devient de plus en plus insaisissable et plus difficile à manipuler ; mais elle devient aussi plus subtile et plus profonde, une fois établie » (Suchman, 1995, p. 585). Plusieurs travaux ont étudié les différentes stratégies permettant à l’organisation d’acquérir, de maintenir et de renforcer sa légitimité. Deephouse et al. (2017) soulignent à cet effet la nécessaire prise en compte de la multiplicité des parties prenantes et des spécificités de chaque type de légitimité organisationnelle recherchée. Ainsi la performance sera à privilégier pour une légitimité pragmatique, les valeurs pour une légitimité morale et le sens (« meanings ») pour une légitimité cognitive. Les organisations peuvent influencer l’évaluation de leur légitimité (Buisson, 2008) en communiquant avec leurs parties prenantes. La communication devient ainsi un outil de légitimation (Reynaud et Walas, 2015) permettant de réduire les écarts de légitimité entre les attentes des parties prenantes et le comportement des organisations.

2. Légitimité et gouvernance des banques coopératives

14 Les banques sont particulièrement concernées par les questions de légitimité, de façon accrue depuis que la crise de 2008 a terni leur image auprès du public et des citoyens (Barbot, 2010). Elles tentent de restaurer leur légitimité (Reynaud et Walas, 2008). Les banques coopératives n’échappent pas à cette problématique.

De possibles conflits de légitimité entre parties prenantes

15 Les banques coopératives revendiquent leur légitimité autour des principes et valeurs mutualistes (Malherbe, 2008 ; Cadiou et al., 2008). Leur engagement dans des actions d’utilité collective au service de leurs sociétaires et leurs pratiques de gouvernance fondées sur des valeurs démocratiques et de solidarité (Malherbe, 2008) correspondent à des représentations identitaires historiques empreintes au mutualisme. Mais avec l’hybridation de leur structure de gouvernance et la banalisation de leurs activités (Ory et al., 2006), ces représentations peuvent entrer en conflit avec d’autres autour d’enjeux de performance (Richez-Battesti, 2008). Les dilemmes de rationalité entre la logique actionnariale et la logique sociétariale (Ory et al., 2006 ; Gurtner et al., 2008) peuvent conduire à des risques de gouvernance démocratique. À la suite de Cadiou et al. (2008), Lapoutte et Cadiou (2014) ont exploré le concept de légitimité mutualiste en le déclinant dans les trois dimensions de Suchman (1995), auprès de quatre catégories de parties prenantes d’organisations mutualistes. L’intérêt de leur étude est de faire apparaître des écarts de légitimité entre ces différentes parties prenantes. En particulier, un clivage est identifié sur le thème de la pertinence du projet socio-économique de la coopérative entre les légitimités construites par le noyau stratégique de l’organisation (les dirigeants et les administrateurs) et les légitimités perçues par la base (les salariés et les sociétaires).

16 Si la spécificité démocratique du mode de gouvernance des banques coopératives peut générer des controverses de légitimité entre différentes parties prenantes, l’effort de légitimation que doivent réaliser les banques coopératives auprès de leurs sociétaires est délicat puisqu’elles font face à une partie prenante ubiquiste pour laquelle elles doivent satisfaire des attentes variées.

Les attentes diverses du sociétaire en tant que partie prenante ubiquiste

17 La littérature sur la gouvernance des banques coopératives (Caire, 2010 ; Caire et Nivoix, 2012) considère les sociétaires comme une partie prenante essentielle, le noyau central de la gouvernance. Ubiquiste de par le principe de double qualité où le sociétaire est à la fois détenteur des droits de propriété et client de sa banque (Collette et Pigé, 2008), cette partie prenante endosse d’autres rôles induits par le lien social qu’elle établit avec sa banque (Ben Slimane et al., 2017).

18 Les enjeux des sociétaires dans la banque sont variés. En tant que co-propriétaires tout d’abord, les sociétaires s’attendent à pouvoir bénéficier comme des investisseurs d’un placement rémunéré, rentable à moindre risque (Caire et Nivoix, 2012) et à participer aux échanges et débats lors de l’assemblée générale concernant le fonctionnement et l’organisation de leur banque (Caire, 2010) pour décider (Gianfaldoni et al., 2012), sanctionner (Allemand et Brullebaut, 2010) et contrôler (Marsal, 2012) sa bonne gestion. Par ailleurs, en tant que clients, les sociétaires s’attendent à bénéficier de services avantageux qui leur sont dédiés (Gurtner et al., 2008). Enfin, le sociétaire est décrit comme un « acteur local », un « habitant du territoire », « un acteur de proximité » (Richez-Battesti et Gianfaldoni, 2006 ; Caire, 2010). Il peut exercer un rôle de citoyen engagé, pouvant l’amener à être apporteur d’affaires, voire ambassadeur de sa banque et être intégré dans une communauté professionnelle (Ben Slimane et al., 2017). Mieux renseigné que les banques des réalités et des besoins du terrain (Richez-Battesti et Gianfaldoni, 2006), il peut contribuer au développement de la communauté locale (EACB, 2007), au soutien des projets de développement économique locaux, sociaux et sociétaux répondant à un besoin collectif utile à la société (Cadiou et al., 2008), et au développement futur de sa banque et de ses projets (e.g. Caire, 2010 ; Gianfaldoni et al., 2012). À travers ces rôles, il représente une partie prenante influente pour juger si la banque à laquelle il appartient se comporte comme une entreprise citoyenne.

19 Nous nous interrogeons sur les formes de légitimité utilisées par les banques coopératives dans leur discours pour reconquérir leurs sociétaires. En particulier, quelles sont les attentes des sociétaires telles que se les représentent ces banques ? Quelles sont les modalités de renforcement de la légitimité associées ? Telles sont les questions qui guident notre étude empirique.

MÉTHODOLOGIE

La plupart des recherches qui ont étudié la légitimité organisationnelle ont analysé les textes produits par les organisations à destination de leurs parties prenantes, montrant ainsi que les discours organisationnels représentent un vecteur important de gestion de la légitimité. Diverses approches méthodologiques sont utilisées, incluant l’analyse narrative (e.g. Golant et Sillince, 2007) et la rhétorique (e.g. Sillince et Brown, 2009). Notre étude s’appuie sur une analyse textuelle. L’étude porte sur le cas du réseau des Banques populaires à partir de données secondaires (Yin, 2014). Nous avons d’abord collecté, le 25 juillet 2017, le contenu des pages de tous les sites institutionnels actifs dédiés aux sociétaires des banques régionales [1]. Le corpus de 220 pages de texte (97 427 mots) ainsi obtenu a fait l’objet d’une première analyse textuelle avec le logiciel Alceste pour repérer les différents types de discours (vus comme un exercice de communication) véhiculés par la banque et faire émerger leur hétérogénéité entre les banques régionales. La constitution de ce corpus a tout d’abord nécessité de réaliser un pré-retraitement du texte pour détecter toute éventuelle erreur pouvant biaiser nos résultats. Nous avons ainsi supprimé les images, tableaux, schémas, etc. ainsi que les dates et noms propres. Ensuite, nous avons distingué les 7 sites des Banques populaires de l’échantillon, considérant chacun d’eux comme un individu. Enfin, des traitements du texte brut ont été réalisés pour pallier les faiblesses du lemmatiseur. Une fois le texte traité, nous l’avons soumis au logiciel Alceste pour identifier le type de vocabulaire le plus souvent utilisé, la co-occurrence et la fréquence des mots, le regroupement des mots dans des classes distinctes ainsi que les relations entre ces différentes classes. Pour nous aider dans l’interprétation des résultats et tenir compte du contexte spécifique de notre cas, nous nous sommes entretenues avec la responsable de projets sociétariat et RSE de la Fédération nationale des Banques populaires (FNBP), le responsable sociétariat et développement durable de la BRED ainsi qu’avec la directrice de la communication de la FNBP.

II – LES RÉSULTATS

20 Sont présentés, tout d’abord, les différents mondes lexicaux du corpus qui reflètent les attentes variées des sociétaires telles que se les représentent les banques régionales. Ces résultats sont complétés par une analyse factorielle qui permet non seulement d’identifier les modalités de renforcement de la légitimité associées aux différentes attentes des sociétaires, mais aussi de repérer leur hétérogénéité selon les banques régionales.

1. Des discours variés représentatifs des attentes diverses des sociétaires

21 L’analyse textuelle du corpus permet d’identifier quatre types de discours que la banque utilise pour s’adresser à ses sociétaires sur les sites internet qui leur sont dédiés, chacun de ces discours correspondant à une classe (cf. figure 1). Ces quatre classes reflètent les représentations qu’ont les Banques populaires des attentes des sociétaires.
Figure 1

Dendogramme des quatre classes obtenues [*]

figure im1

Dendogramme des quatre classes obtenues [*]

Classe 1 : Nos sociétaires peuvent rentabiliser leur investissement et participer à la gouvernance de la banque

22 Les formes lexicales les plus caractéristiques de cette classe font référence aux avantages fiscaux et financiers liés au statut de sociétaire (part sociale, capital, taux, fiscal, revenu, impôt, rémunération, intérêt, prélèvement, contribuable, placement, investir, etc.). Ainsi, pour devenir sociétaire, il faut être client de la banque et souscrire des parts sociales, devenant ainsi propriétaire d’une partie de son capital. Le discours va dans le sens du statut de double qualité du sociétaire (Collette et Pigé, 2008).

23 L’acquisition de ces parts peut être considérée comme un placement de moyen/long terme offrant un taux de rémunération décidé et fixé annuellement lors de l’assemblée générale. Cet intérêt est versé à toute part sociale détenue au 31 décembre et il a le même régime fiscal que l’action. En plus de la dimension financière, certains mots dans cette classe font référence à la gouvernance, tels que contrôler, examiner, résolution, administrateur, vote (r), propriétaire, décider, ou encore exercer. Si ces mots sont relativement moins présents que ceux en lien avec l’aspect financier, ils sont significativement représentatifs de la classe 1.

24 Cette première classe du discours reflète ainsi les attentes du sociétaire vues par la banque dans son statut d’associé, en tant qu’investisseur (Caire et Nivoix, 2012) et membre de la gouvernance (Gianfaldoni et al., 2012 ; Marsal, 2012).

Classe 2 : Nous sommes une banque engagée auprès des associations régionales

25 Cette classe revendique un positionnement associatif et culturel de la banque dans la société avec un univers lexical autour de manifestations associatives, culturelles et artistiques. L’accent est ainsi mis sur les différentes festivités culturelles (art, théâtre, festival, film, musique, etc.) organisées parfois conjointement avec des associations locales et durant lesquelles des prix sont souvent proposés pour récompenser les lauréats pour leur créativité, leur savoir-faire, etc. Ces activités peuvent également être soutenues par la Fondation d’entreprise Banques populaires qui intervient aussi dans les domaines de l’humanitaire et du social. Cette classe répond ainsi aux enjeux des sociétaires à contribuer au développement de la communauté locale (EACB, 2007) en soutenant des projets associatifs et culturels de leur région.

Classe 3 : Nous sommes une banque qui soutient l’entrepreneuriat et l’innovation et contribue à financer l’économie

26 Les formes réduites les plus caractéristiques de cette classe sont liées aux projets d’accompagnement à l’entrepreneuriat et à l’innovation. L’accent est mis sur les projets de création d’entreprise et d’innovation. La banque souligne aussi ses efforts pour accompagner les jeunes à développer des start-up innovantes. Par ces actions, les banques populaires aident à la création d’emplois et à l’insertion professionnelle. L’unité textuelle suivante reflète bien cette classe : « Ce pôle étudiant pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat accompagne les « entrepreneurs-étudiants. » La banque parie sur l’innovation et les start-up. Les agiles et inventives start-up régionales ne sont pas des jeunes entreprises tout à fait comme les autres… Afin d’apporter les réponses les plus adaptées, la banque leur dédie une équipe ». (u.c.e n°1402, khi-2 = 30).

27 Ce discours rejoint les enjeux du sociétaire à participer au développement économique de sa région (Richez-Battesti et Gianfaldoni, 2006 ; Cadiou et al., 2008).

Classe 4 : Nous sommes une banque proche de ses sociétaires avec une relation privilégiée

28 Cette classe est la plus petite. Elle rassemble un vocabulaire varié révélant quatre groupes de mots : la structure (banque, agence, club des sociétaires), le statut (client, sociétaire), les actions menées (rôle, ambassadeur, échanger, écouter, réunion) et les valeurs (coopérative, satisfaction, proximité). Une relation privilégiée est décrite en renforçant les liens de proximité et d’échange avec les sociétaires. La banque souligne également les actions des clubs des sociétaires qui organisent des réunions régulières où les sociétaires échangent entre eux et avec la banque. Afin de favoriser plus de collaboration et d’améliorer la satisfaction des sociétaires, la banque met aussi en avant le rôle actif attendu des administrateurs dans les assemblées générales annuelles et au sein des clubs des sociétaires.

29 Les deux unités de contexte suivantes illustrent le discours de cette classe : « Ils [les administrateurs] entretiennent une relation d’écoute, de dialogue et de confiance avec la banque. Ils ont une proximité renforcée avec les collaborateurs des agences et jouent un rôle de facilitateur avec les clients et les non clients de la banque. » (u.c. e n°376, khi-2 = 44) ou encore « Ces deux sujets d’actualité ont été propices à des échanges fructueux au sein des nombreux ateliers. Ainsi, entre les visites du siège et les participations aux ateliers, une centaine d’ambassadeurs a pu échanger au sein des clubs sociétaires ». (u.c.e n°562, khi- 2 = 28).

30 Ce discours reflète les enjeux du sociétaire à faire partie de la banque en tant que membre à part entière, et à contribuer en tant que client aux projets de développement de la banque (Caire, 2010 ; Gianfaldoni et al., 2012).

31 Pour résumer, le réseau des Banques populaires se représente les attentes de ses sociétaires en termes financier et fiscal (investisseur et membre de la gouvernance - classe 1), social et culturel (contribuer au développement de la communauté locale - classe 2) et économique en participant à la fois au développement économique de sa région (classe 3) et aux projets de développement de la banque (classe 4).

32 L’analyse factorielle du corpus complète ce premier résultat en identifiant les modalités de légitimité mobilisées par la banque pour répondre aux différentes attentes des sociétaires.

2. Des modalités différentes de renforcement de la légitimité véhiculées dans les discours

33 La figure 2 est une représentation graphique dans un plan factoriel à deux axes de la position relative des classes, obtenue à partir de l’analyse du corpus. On y retrouve également les principales formes lexicales réduites ainsi que les individus [2].

34 Cette représentation explique 75 % de l’inertie totale du corpus. À l’extrémité droite de l’axe horizontal (qui représente 47 % de l’inertie), figurent les mots de la classe 1 qui soulignent les attentes du sociétaire, en tant qu’investisseur et membre de la gouvernance, par les avantages qu’il peut en retirer. Plus loin vers la gauche, les communiqués de la classe 2 mettent en évidence les attentes sociales et culturelles du sociétaire, par la contribution de la banque au développement local.

35 Cette analyse permet de suggérer que l’axe horizontal reflète deux modalités de la légitimité en opposition : la légitimité pragmatique et la légitimité morale. Pour ce qui est de l’axe vertical (expliquant 28 % de l’inertie totale), il représente la troisième forme de légitimité cognitive. Les communiqués de la classe 4 suivis de très près de ceux de la classe 3, reflétant les attentes économiques du sociétaire, se trouvent ainsi vers l’extrémité inférieure de l’axe.
Figure 2

Analyse factorielle

figure im2

Analyse factorielle

36 Ainsi, le réseau des Banques populaires mobilise dans son discours les trois formes de légitimité : pragmatique, morale et cognitive (Suchman, 1995).

37 La légitimité pragmatique repose sur l’intérêt que peuvent retirer les parties prenantes évaluatrices des activités réalisées par l’organisation. Elle se traduit dans le discours des Banques populaires par l’affichage des avantages et bénéfices personnels directs que vont s’approprier les sociétaires de par leur statut. Le réseau des Banques populaires montre clairement aux sociétaires que décider de détenir des parts sociales du capital de la banque est non seulement rémunérateur mais que cela leur offre aussi la possibilité de participer à sa gestion (classe 1 relative aux attentes d’ordre financier et fiscal du sociétaire-investisseur et membre de la gouvernance). Le deuxième avantage que les Banques populaires soulignent dans leur discours est la relation privilégiée qu’elles entretiennent avec leurs sociétaires leur permettant d’accéder à des services et des offres avantageuses et spécifiques (classe 4 relative aux attentes d’ordre économique du sociétaire- participation aux projets de développement de la banque).

38 La légitimité morale repose sur le fait que les parties prenantes évaluatrices jugent ce que l’organisation fait de bien ou de mal au regard du bien-être de la société. Elle se manifeste dans les classes 2 et 3 (relatives respectivement aux attentes d’ordre social, culturel et économique du sociétaire) du discours du réseau des Banques populaires. La banque affiche en effet sa contribution au développement de la communauté locale, qui correspond à un des enjeux des sociétaires, en mettant en avant certaines valeurs que la banque incarne comme la proximité avec les acteurs de la région (associations, entrepreneurs), la solidarité dans le soutien aux associations culturelles et humanitaires, l’objectif affiché étant de « remettre l’humain au cœur des relations », et enfin, la responsabilité sociale, notamment dans la sensibilisation et l’insertion des jeunes dans l’entrepreneuriat. « Nous sommes toujours restés fidèles à nos origines et cet ADN nous anime toujours aujourd’hui car il repose sur des valeurs fortes de solidarité et de responsabilité et tout simplement sur des valeurs humaines », témoigne le président.

39 Alors que la légitimité pragmatique et morale reposent sur l’évaluation des moyens et des fins (Sillince et Brown, 2009), la légitimité cognitive s’établit à la fois sur une compréhension commune des actions de l’organisation dans un environnement instable et sur ce qui est considéré comme acquis et allant de soi. Elle se manifeste dans les classes 3 et 4 du discours du réseau des Banques populaires lié aux attentes d’ordre économique des sociétaires où l’accent est mis sur le modèle socio-économique de la banque coopérative (Lapoutte et Cadiou, 2014) : le financement de l’économie locale (classe 3) et le développement d’un projet économique commun en collaboration avec les sociétaires (classe 4). Le tableau 1 suivant résume les premiers résultats trouvés.

3. L’hétérogénéité des modalités de renforcement de la légitimité selon les banques régionales

40 L’analyse factorielle permet aussi de révéler une hétérogénéité dans les discours des banques régionales. Trois banques se démarquent en affichant chacune un discours spécifique faisant ainsi ressortir des formes de légitimité différenciées. La Banque populaire Auvergne, placée à droite de l’axe horizontal, semble adopter une stratégie de légitimité pragmatique ; son discours porte essentiellement (khi-2 = 135) sur des informations permettant de répondre aux attentes utilisatrices des sociétaires (obtenir des avantages fiscaux et financiers et pouvoir prendre des décisions sur la gestion de la banque). Nous constatons également une absence significative (khi-2 = -26) dans son discours des valeurs prônées pour le développement de la communauté locale, induisant ainsi qu’elle ne mobilise pas une stratégie de légitimité morale en s’adressant à ses sociétaires. De façon contrastée, la Banque populaire Aquitaine revendique une légitimité morale. Elle met fortement en avant dans son discours (khi-2 = 293) son engagement dans des associations régionales culturelles, artistiques et humanitaires. Nous notons par ailleurs dans son discours une absence significative de la classe 1 (khi-2 = -13) et de la classe 4 (khi- 2 = -18), témoignant ainsi qu’elle ne promeut pas les formes pragmatique et cognitive de la légitimité. Enfin, la Banque populaire Atlantique est située vers le bas de l’axe vertical avec une présence très significative de la classe 4 (Khi-2 = 289) adoptant ainsi une approche cognitive de la légitimité. L’accent est mis sur la relation privilégiée qu’elle entretient avec ses sociétaires et sur leur collaboration aux projets de développement de la banque. Ainsi en témoignent les éléments de texte suivant : « ils [les sociétaires] entretiennent une relation […], de dialogue […] avec la banque ». « une proximité renforcée avec les collaborateurs », « la poursuite et le renforcement de cette dynamique avec l’organisation de 120 ateliers d’échanges et de co-construction de la banque de demain ». Nous notons aussi une absence significative de la classe 1 dans son discours (khi-2 = -58) laissant suggérer qu’elle ne promeut pas la dimension pragmatique de la légitimité.
Tableau 1

Analyse des modalités de légitimité utilisées par la banque

Modalités de légitimité Attentes des sociétaires Classes concernées
Légitimité pragmatique : nous méritons d’être soutenus par nos sociétaires car :
– Nous leur permettons de bénéficier d’avantages fiscaux et financiers et de prendre part au développement de la banque en devenant co-propriétaires ; – Obtenir des avantages fiscaux et financiers (Caire et Nivoix, 2012)
– Pouvoir prendre des décisions sur la gestion de la banque (Gianfaldoni et al., 2012 ; Allemand et Brullebaut, 2010)
1
– Nous leur offrons une relation privilégiée – Bénéficier de services avantageux (Gurtner et al., 2008) 4
Légitimité morale : nous méritons d’être soutenus par nos sociétaires car :
– Nous servons la communauté locale et régionale à travers notre soutien aux associations de notre région ; – Contribuer au développement de la communauté locale dans une approche sociale et culturelle (Cadiou et al., 2008, etc.) 2
– Nous contribuons à la création d’emplois et en particulier à l’accompagnement des jeunes entrepreneurs – Contribuer au développement économique local et à l’entrepreneuriat (Richez-Battesti et
Gianfaldoni, 2006)
3
Légitimité cognitive : nous méritons d’être soutenus par nos sociétaires car :
– Nous contribuons au financement de l’économie locale – Contribuer au développement économique local et à l’entrepreneuriat (Richez-Battesti et Gianfaldoni, 2006) 3
– Nous collaborons ensemble pour un projet économique commun de la banque – Participer au développement et aux projets de la banque (Caire, 2010, etc.) 4
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Analyse des modalités de légitimité utilisées par la banque

III – DISCUSSION ET CONCLUSION

41 Face à l’enjeu de reconquête du sociétariat des banques coopératives, nous nous interrogions sur les modalités de renforcement de la légitimité utilisées par ces banques quand elles communiquent auprès de leurs sociétaires sur les sites web qui leur sont dédiés.

42 Notre recherche met en évidence deux apports théoriques principaux qui viennent enrichir les travaux sur la gouvernance des banques coopératives.

43 Le premier apport réside dans le renforcement du lien entre la théorie de la légitimité organisationnelle et la théorie des parties prenantes, là où les travaux antérieurs sur les banques coopératives se sont focalisés sur la légitimité mutualiste (Cadiou et al., 2008 ; Lapoutte et Cadiou, 2014). Nous considérons que les représentations des attentes des parties prenantes sont un moyen d’opérationnaliser les différentes modalités de renforcement de la légitimité organisationnelle, concept considéré comme difficilement opérationnalisable (Deephouse et al., 2017). En particulier, notre étude confirme le caractère ubiquiste du sociétaire, au-delà de la seule double qualité (Ben Slimane et al., 2017). Elle révèle que le réseau des Banques populaires s’adresse à ses sociétaires en intégrant, conformément à la littérature, la diversité de leurs attentes en tant que client (Gurtner et al., 2008), investisseur (Caire et Nivoix, 2012), membre de la gouvernance (Gianfaldoni et al., 2012 ; Allemand et Brullebaut, 2010), contributeur à la communauté locale (Cadiou et al., 2008), citoyen engagé (Richez-Battesti et Gianfaldoni, 2006) et membre à part entière de la banque (Caire, 2010). Notre recherche montre par ailleurs qu’une même organisation (un réseau bancaire) peut mobiliser différentes modalités de renforcement de la légitimité pour répondre aux attentes diverses d’une seule et même partie prenante, contrairement à des travaux antérieurs, à l’instar de Debenedetti et Philippe (2011), qui ont conclu à une stratégie de légitimité propre à chaque type de parties prenantes. Pour ces auteurs, la dimension pragmatique de la légitimité s’adresse aux actionnaires et aux clients ; la dimension morale aux salariés et aux consommateurs, et enfin, la dimension cognitive à l’ensemble des parties prenantes. Deephouse et al. (2017, p. 23) vont aussi dans ce sens : « les challenges provenant de différentes parties prenantes prennent des formes uniques ». Nous pensons alors que c’est le caractère ubiquiste de la partie prenante sociétaire pour laquelle les attentes sont variées qui explique dans notre étude que les trois modalités de renforcement de la légitimité aient été mobilisées par le réseau bancaire pour s’adresser à une même et seule partie prenante, le sociétaire. Ce résultat est conforme à celui de Sillince et Brown (2009) qui, en analysant les sites internet de la police britannique, montrent que celle-ci mobilise les trois formes de légitimité pour répondre aux attentes variées des citoyens. Ce résultat similaire peut s’expliquer par le fait que nos deux études s’intéressent à une seule et même partie prenante qui ont des attentes variées mais pas nécessairement contradictoires.

44 Le deuxième apport de notre recherche réside dans l’illustration du modèle de gouvernance décentralisée des banques coopératives (Gianfaldoni et al., 2012 ; Gurtner et al., 2008) où chacune des banques régionales est autonome dans sa gestion, dans la définition de sa politique régionale, et en particulier à l’égard du sociétariat, même si les fédérations au niveau national se sont saisies depuis de nombreuses années du sujet de reconquête du sociétariat (Richez-Battesti, 2008) pour définir une politique globale du sociétariat. Notre étude montre que chaque banque régionale choisit de s’appuyer sur des modalités différentes de renforcement de la légitimité envers ses sociétaires car chacune se forge une représentation propre des attentes de cette partie prenante. En revendiquant une forme de légitimité de façon plus prononcée qu’une autre, chaque banque affiche son choix de concevoir le sociétaire selon certaines attentes plutôt que d’autres. Ainsi la Banque populaire Auvergne se représente le sociétaire comme un investisseur et un acteur de la gouvernance, comme l’ont montré Egarus et Roger (2016) dans leur étude où le critère financier l’emporte sur le critère éthique dans la décision d’achat des parts sociales. La Banque populaire Aquitaine conçoit plutôt le sociétaire comme un citoyen engagé, ce qui va dans le sens de l’étude de Girard et Sobczak (2010) où les sociétaires sont particulièrement sensibles aux valeurs sociales et sociétales. La Banque populaire Atlantique, quant à elle, considère dans son discours le sociétaire comme un client « coacteur et coopérateur » dans les activités de la banque (Gianfaldoni et al., 2012). On pourrait s’interroger sur les raisons de cette hétérogénéité des représentations des attentes des sociétaires par chacune des banques régionales. Cela est peut-être dû à des aspects conjoncturels, comme le changement de dirigeant de la banque qui apporte avec lui sa propre vision du sociétariat, ou comme la fusion récente avec une autre banque régionale. Plus généralement, il pourrait s’agir d’une volonté pour la banque d’attirer et/ou de fidéliser un type particulier de sociétaires au profil représentatif du public cible du territoire où elle opère. Dans quelles mesures les caractéristiques du territoire et les spécificités culturelles d’une région peuvent-elles affecter le choix des modalités de renforcement de la légitimité revendiquées par la banque régionale ? Ce questionnement, qui nécessiterait un recueil de données complémentaires auprès des acteurs de chaque banque régionale concernée, constitue une piste de recherche intéressante.

45 Cette étude apporte plusieurs implications managériales.

46 Les banques sortent d’une période entachée de crise financière et de scandales qui les ont fragilisées et leur ont fait perdre la confiance d’un grand nombre de clients. L’enjeu est maintenant pour elles de maintenir et de renforcer leur légitimité auprès de leurs différentes parties prenantes. Dans un contexte, pour les banques coopératives, de reconquête nécessaire de leurs sociétaires, cette étude permet d’éclairer les dirigeants sur les leviers sur lesquels ils peuvent agir pour maintenir et renforcer la légitimité de l’entité. La légitimité est une ressource stratégique que ces banques ont intérêt à gérer pour s’assurer le soutien (ou éviter une sanction) et aussi l’implication de leurs parties prenantes essentielles. La gestion de la légitimité a des effets sur les échanges économiques et sociaux (Deephouse et al., 2017) et devrait conduire à la fidélisation des sociétaires : les sociétaires s’engageront dans les banques pour lesquelles ils perçoivent une légitimité dans la réponse à leurs attentes. Certaines banques régionales de notre étude ont choisi de ne retenir qu’une seule modalité de renforcement de la légitimité envers leurs sociétaires. Le risque serait alors de négliger le caractère ubiquiste du sociétaire, l’omission de la prise en compte de certaines attentes de cette partie prenante pouvant entraîner un risque de non fidélisation du sociétaire qui lui-même ne s’identifierait pas dans le message qui lui serait adressé. Ainsi par exemple, si le sociétaire se reconnaît comme un citoyen engagé et que la banque à laquelle il appartient ne s’adresse à lui qu’à travers la dimension pragmatique de la légitimité en revendiquant les avantages fiscaux et financiers auxquels il a droit par la détention de parts sociales, il pourrait être amené à se tourner vers une autre banque davantage en cohérence avec ses besoins d’identification, une banque qui incarne pour lui des valeurs éthiques fortes. Ces demandes insatisfaites pourraient même favoriser la création de « niches » par la concurrence.

47 Notons cependant que l’utilisation simultanée des trois formes de légitimité reste un exercice de communication difficile car elles peuvent parfois entrer en conflit. Une approche purement pragmatique pourrait ainsi affecter des actions morales louables, ou inversement une approche purement morale pourrait signaler une dégradation des avantages pragmatiques (Suchman, 1995). Il est donc essentiel que les banques identifient ces risques de conflit et arrivent à combiner ces trois formes de légitimité.

48 Si l’industrie bancaire n’est pas autant « challengée » que d’autres secteurs présents sur un marché mature, elle se doit d’adopter une stratégie de maintien de la légitimité de ses actions envers l’ensemble des parties prenantes, y compris ses sociétaires. Deux leviers sont possibles (Suchman, 1995) : la protection des acquis passés en garantissant une cohérence entre les actions et les discours ; l’anticipation des changements futurs, en réalisant une veille sur l’évolution des attentes des sociétaires. Les banques pourraient alors associer leurs sociétaires aux lieux de réflexion sur l’anticipation de leurs attentes en s’assurant d’une représentation significative de l’hétérogénéité de leurs profils.

49 Notre étude permet également d’éclairer l’organe central des Banques populaires sur l’hétérogénéité des modalités de renforcement de la légitimité pour mieux comprendre les enjeux de légitimité auxquels sont confrontées chacune des banques régionales. En effet, chaque banque régionale ne se trouve pas forcément au même stade de légitimation et n’est de fait pas challengée par ses sociétaires sur les mêmes aspects. Elle n’utilise donc pas les mêmes critères de légitimité (Deephouse et al., 2017) pour répondre aux attentes de ses sociétaires. À différents moments de la vie d’une organisation, correspondent différents types d’activité de légitimation (Deephouse et al., 2017). Alors que certaines banques se voient jugées par leurs sociétaires sur ce qu’elles leur apportent individuellement (légitimité pragmatique) ou collectivement pour la société (légitimité morale), une seule serait arrivée au stade de légitimation le plus haut (légitimité cognitive) et le plus difficile à manipuler (Suchman, 1995). Dans les deux premiers cas, les banques sont encore dans une phase où leur légitimité est questionnée, comme c’est plutôt le cas des organisations émergentes ou de celles dont l’activité est nouvelle (Golant et Sillince, 2007) et qui ont besoin de gagner en légitimité. Cette variété des phases de légitimation interroge alors sur la conception d’une politique de communication d’ensemble cohérente auprès des sociétaires au niveau national. Notre étude peut ainsi contribuer aux réflexions actuellement en cours de la Fédération nationale des Banques populaires sur la reconquête des sociétaires.

50 Les résultats de notre étude peuvent enfin intéresser d’autres banques coopératives qui cherchent depuis plusieurs années à remobiliser leur sociétariat et à renforcer leur légitimité auprès d’eux. Ainsi, elles pourraient orienter leurs discours envers leurs sociétaires en s’appuyant sur les représentations qu’elles se font de leurs attentes.

51 Cette étude n’est toutefois pas exempte de limites dont certaines constituent autant de perspectives de recherches futures. L’étude empirique porte sur une seule enseigne bancaire coopérative, n’autorisant pas de généralisation des résultats à l’ensemble des banques coopératives. Les banques coopératives françaises ayant chacune leur propre histoire, il conviendrait de dupliquer l’étude sur d’autres enseignes bancaires, comme la Caisse d’épargne, le Crédit agricole ou encore le Crédit coopératif. Par ailleurs, notre étude s’appuie sur des données secondaires produites à un instant précis, n’autorisant pas une analyse dynamique de la légitimité et de ses modalités. Il serait pertinent de reconduire la même étude sur le même périmètre quelques années après afin d’identifier les évolutions des discours sur les modalités de renforcement de la légitimité, à l’instar de Reynaud et Walas (2015), puisque la légitimité d’une organisation n’est pas totalement établie et qu’elle évolue face aux changements des attentes des parties prenantes. Enfin, en vue d’analyser en profondeur la légitimité organisationnelle, l’analyse textuelle des sites web que nous avons menée pourrait, comme le préconisent Deephouse et al. (2017), être complétée par d’autres méthodes d’analyse, notamment une analyse narrative (Golant et Sillince, 2007) ou rhétorique du discours (Sillince et Brown, 2009). Ceci constitue une voie supplémentaire de recherche future.

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Date de mise en ligne : 15/02/2019

https://doi.org/10.3166/rfg.2018.00278

Notes

  • [2]
    Les individus sont les banques représentées par des petits carrés. Dans un souci de clarté, sont reportées les formes réduites qui expliquent le plus chaque classe.

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