Couverture de RFG_272

Article de revue

Activisme des fonds de couverture et stratégie de défense des entreprises

Le cas de la société canadienne Agrium Inc.

Pages 51 à 67

Notes

  • [1]
    Au Canada, le terme hedge funds se traduit par fonds d’arbitrage ou bien encore fonds de couverture (Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières. Analyse de la réglementation des fonds de couverture, 18 mai 2005).
  • [2]
    Par exemple Section 143 du Canada Business Corporations Act (CBCA) donne le droit aux actionnaires détenant au moins 5 % des droits de convoquer une assemblée d’actionnaires. Cette autorisation n’a pas d’équivalent aux États-Unis.
  • [3]
    Potash Corporation of Saskatchewan est le principal concurrent d’Agrium Inc au Canada.
  • [4]
    Ce classement porte sur le niveau de gouvernance établi selon plusieurs critères (composition du CA, droits des actionnaires, qualité de l’information divulguée, et rémunérations des membres).

1 En raison de la promotion des pratiques de la gouvernance, le contrôle des entreprises par les actionnaires s’est globalement renforcé. La pression exercée par des actionnaires-activistes est un moyen de contrôle, souvent utilisé par les investisseurs institutionnels. Parmi ces investisseurs, les hedge funds se caractérisent par un activisme « agressif » à l’encontre du management. En 2012, Agrium Inc., une entreprise cotée à la Bourse de Toronto a été la cible du fonds d’arbitrage [1] américain JANA Partners LLC. Cet article propose une étude clinique détaillant les démarches déployées par ce hedge funds, ainsi que les résistances des dirigeants et de leur conseil d’administration (CA par la suite). Agrium Inc. est l’une des rares entreprises canadiennes à s’être défendue efficacement. L’agressivité des hedge funds est de plus en plus controversée, cette analyse montre comment une entreprise peut riposter à une telle attaque. Peu de hedge funds sont des activistes réellement offensifs mais leurs pratiques sont très médiatisées. Ce sont alors des investisseurs minoritaires qui cherchent à influencer les décisions managériales pour accroître leur valeur actionnariale. L’univers des fonds d’arbitrage au Canada est limité et ce sont essentiellement des hedge funds américains qui attaquent les entreprises canadiennes, le plus souvent avec succès (Canadian Pacific Rail, Tim Hortons, Talisman, etc.). Au Canada, le nombre de cas d’activisme était de 27 en 2000 pour atteindre 320 en 2014 (Allaire, 2014). Ces actionnaires n’hésitent pas à déclencher une course aux procurations officielles (proxy fight). Ces batailles de procurations sont considérées comme l’activisme le plus hostile à l’entreprise (Fos, 2016). Une telle bataille est un processus par lequel les activistes tentent d’obtenir des autres actionnaires, le plus grand nombre de procurations possibles afin d’avoir le plus de voix leur permettant alors de faire adopter leurs exigences par la direction (Albouy et Schatt, 2009). Cet article contribue également à mieux comprendre cet outil.

2 Depuis une décennie, les études quantitatives sur les hedge funds ont été nombreuses, en particulier sur le marché américain, (Brav et al., 2015a, 2015b, etc.) contrairement aux approches qualitatives (Albouy et Schatt, 2004 ; Arfa et Labaronnne, 2016 ; Bessière et al., 2011 ; Buchanan et al., 2014). Afin de compléter ces travaux, nous proposons l’analyse d’un cas, très médiatisé, qui oppose l’entreprise canadienne Agrium Inc. et le fonds américain JANA Partners LLC. Ce contexte institutionnel (Adams, 2003) peu étudié est intéressant en raison d’une réglementation au Canada encore plus favorable [2] aux activistes qu’aux États-Unis (Cheffins, 2014 ; Margoc, 2016). En premier lieu, nous dressons un état des connaissances portant sur l’activisme des hedge funds. Nous analysons ensuite les faits entourant d’une part, les démarches menées par JANA Partners LLC pour faire valoir ses exigences auprès d’Agrium Inc. et, d’autre part, les actions de résistance de l’entreprise.

I – L’ACTIVISME ACTIONNARIAL DES HEDGE FUNDS

3 Nous présentons le cadre conceptuel de l’activisme et les travaux empiriques sur les hedge funds.

1. Cadre théorique de l’activisme des hedge funds

4 L’actionnaire-activiste vise à instaurer des changements sans modifier le contrôle de l’entreprise, et afin de favoriser son enrichissement. L’exigence de création de valeur se fonde sur la séparation des fonctions de propriété et de direction des entreprises. Cette dichotomie rendrait alors les sociétés de capitaux moins performantes, en raison de l’absence de motivation patrimoniale des dirigeants non-propriétaires, généralement associée à un actionnariat dispersé et passif (Shleifer et Vishny, 1997). De plus, lorsqu’il existe au moins un actionnaire détenteur d’un bloc de contrôle dans le capital, le conflit d’agence se déplace entre les actionnaires majoritaires d’un côté, et les actionnaires minoritaires de l’autre. Quelle que soit la structure actionnariale, les minoritaires sont les plus exposés à l’appropriation des bénéfices, par les dirigeants ou par les détenteurs de bloc de contrôle. Ce constat les amène parfois à interpeller le management.

5 En tant qu’actionnaires minoritaires, les investisseurs institutionnels en particulier, sont incités à se transformer en activistes. Tout d’abord, ils détiennent des positions significatives sur les marchés d’actions et préfèrent éviter de sortir du capital de l’entreprise, ce qui provoquerait une baisse des valeurs cédées. De plus, chaque investisseur institutionnel, en tant que professionnel de la gestion d’actifs interprète facilement l’information disponible, réduisant alors le coût d’une contestation (Rose et Sharfman, 2015). Enfin, les activistes peuvent s’engager dans des campagnes en concertation avec d’autres investisseurs partageant les mêmes revendications. Ces coalitions d’actionnaires mécontents permettent de réduire le poids du passager clandestin (Black, 1990). Lorsqu’elles sont initiées par les hedge funds, elles sont qualifiées de wolf pack tactics (Prince, 2014), une terminologie qui stigmatise leur caractère agressif et controversé.

2. La controverse au sujet de l’influence des hedge funds

6 Les hedge funds pratiquant l’activisme, sont plus offensifs que des activistes traditionnels (fonds d’investissement classiques, associations d’actionnaires minoritaires, etc.). Aux États-Unis, ils représentent un acteur majeur de la gouvernance depuis les années 2000 (Krishnan et al., 2016, Partnoy, 2015). Chaque année, entre 150 et 200 hedge funds prennent pour cible jusqu’à 300 entreprises américaines (Brav et al., 2015a). Ce phénomène s’est propagé à d’autres économies (Albouy et al., 2017 ; Bessler et al., 2015 ; Becht et al., 2014, 2015 ; Buchanan et al., 2014, etc.). L’encadré ci-après présente les caractéristiques des hedge funds.

7 Quelle est l’impact de l’activisme des hedge funds ? Pour répondre à cette question, la littérature étudie les objectifs poursuivis, les cibles privilégiées et les résultats obtenus selon les stratégies engagées par ces actionnaires. L’agressivité constatée de ces fonds, est liée à leur appartenance à la catégorie value investor, dont la politique d’investissement sélectionne des entreprises sous-évaluées. Ils œuvreront ensuite, en faveur d’une correction positive des valorisations boursières (Armour et Cheffins, 2012). Les cibles des hedge funds sont économiquement rentables, en revanche elles ont un ratio capitalisation boursière sur valeur comptable des fonds propres généralement faibles ainsi qu’un taux de distribution des bénéfices insuffisant. Une entreprise a plus de chance d’être attaquée par des activistes lorsque sa valeur de marché est faible (Brav et al., 2015a, 2015b ; Mietzner et Schweizer, 2014, etc.). Les cibles des activistes possèdent souvent des dispositifs contre les prises de contrôle. Leurs systèmes de rémunération des hauts dirigeants sont faiblement corrélés à la performance. En raison de ces problèmes de gouvernance, les activistes contestent les membres du CA (indépendance, compétence des administrateurs, etc.) de ces entreprises.

CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES HEDGE FUNDS

Le hedge funds est un véhicule d’investissement réservé à un petit nombre de souscripteurs fortunés ou d’investisseurs institutionnels. La réglementation leur interdit de solliciter le public en raison de leurs stratégies plus risquées que la moyenne de celles des autres fonds de gestion d’actifs. Les hedge funds pratiquent la gestion à rendement absolu contrairement à la gestion traditionnelle relative à la performance d’un indice boursier. Ils peuvent prendre des positions à découvert dans leurs stratégies d’investissement, flexibles selon les évolutions des conditions des marchés financiers. Sur le plan juridique, ce sont des sociétés en commandite par actions (partnerships) domiciliées dans des places financières offshore. Enfin, les gérants sont des associés, qui en tant que tels, investissent leurs capitaux avec ceux des commanditaires, afin de favoriser l’alignement des intérêts entre les parties.

8 Plusieurs techniques sont déployées par les activistes allant de la simple interpellation à des tactiques plus hostiles. Le hedge funds commence par négocier avec le management. En général, ces échanges ne sont pas publics. Ils peuvent alors demander la nomination d’un administrateur représentant leurs intérêts. Une autre approche pour les activistes consiste à formaliser des résolutions à l’encontre du management. Celles-ci pourront être votées lors de l’assemblée générale annuelle par les actionnaires. L’activiste peut également menacer le CA de lancer une bataille de procurations pour obtenir des sièges d’administrateurs. Si la menace est insuffisante, la bataille est déclenchée. La dernière tactique plus rare est la prise de contrôle. Elle suppose une participation dans le capital de l’entreprise au-dessus de la médiane. En pratique, pour une période allant de 1994 à 2011 comprenant 2 624 évènements activistes, cette médiane est de 6,4 % (Brav et al., 2015a).

9 De nombreux auteurs considèrent que ces hedge funds participent à la création de valeur. Leur action permet de renforcer le contrôle, d’apporter un regard nouveau sur la stratégie, de faciliter la démocratie actionnariale (Aslan et Kumar, 2016). On observe un effet modérateur sur les salaires versés aux dirigeants en raison d’un taux de remplacement plus élevé (Fos, 2016). L’activisme réduit également le nombre de mandats détenus par les administrateurs des cibles (Fos et Tsoutsoura, 2014). Plusieurs travaux empiriques concluent que l’activisme des hedge funds crée de la valeur à court terme (Betch et al., 2009 ; Brav et al., 2015a, 2015b), à moyen et à long terme (Albouy et al., 2017 ; Bebchuk et al., 2015).

10 Certains auteurs (Allaire et Dauphin, 2016 ; Coffee et Palia, 2015 ; Lipton et Savitt, 2007 ; Prince, 2014) considèrent à l’inverse que cet activisme est délétère pour le système économique dans son ensemble. Si l’intervention de ces fonds a pour effet une augmentation de la productivité (7,3 % en trois ans) dans le secteur industriel, elle entraîne des licenciements, ainsi qu’une pression à la baisse des salaires pour l’ensemble des employés (Brav et al., 2015b). Par ailleurs, ces activistes auraient un impact négatif sur la valeur de la dette de l’entreprise (Klein et Zur, 2011, Sunder et al., 2014). Allaire et Dauphin (2016) analysent 259 cas survenus entre 2010 et 2011 aux États-Unis. Les objectifs déclarés de ces fonds sont de diviser l’entreprise en entités distinctes ou de supprimer les actifs les moins rentables, dans un tiers des cas environ. Parmi les autres objectifs, il s’agit de modifier une politique de rachats d’actions, d’augmenter le dividende versé, c’est-à-dire de redistribuer des liquidités aux actionnaires. Les hedge funds souhaitent des changements de la structure de gouvernance et notamment le renouvellement du CA. En pratique, ces changements sont un prétexte pour démanteler ensuite l’entreprise. Les conséquences sont en général une réduction du nombre des employés, la stagnation des actifs, la réduction des dépenses de recherche et développement et la disparition d’une entreprise ciblée sur trois. En dernier lieu, ces actionnaires se retirent du capital social dès que les conditions économiques se dégradent (Allaire, 2014). Pour se défendre contre ces attaques, les CA des entreprises sont en première ligne comme dans l’exemple traité dans la seconde partie.

II – L’ATTAQUE DE JANA PARTNERS LLC. CONTRE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE AGRIUM INC.

11 Nous retraçons les faits saillants qui opposent les deux protagonistes au centre de cette étude.

1. Description de l’entreprise ciblée par le fonds JANA Partners LLC

12 Agrium Inc. est un chef de file mondial des produits et services agricoles. En 2001, il est un détaillant de produits et de services agricoles aux États-Unis, au Canada, en Argentine, au Chili, en Uruguay et en Australie (secteur d’exploitation « Commerce de détail »). Il est aussi un producteur et négociant en gros de nutriments pour les marchés agricoles et industriels (secteur d’exploitation « Commerce de gros ») à l’échelle internationale. Avec un chiffre d’affaires de plus de 16,6 milliards de dollars américains et des actifs de près de 16 milliards de dollars américains, ce secteur représentait en 2011, près de 29 % de ses bénéfices nets. De plus, Agrium Inc. est aussi un important producteur mondial de nutriments culturaux azotés, potassiques et phosphatés, trois nutriments incontournables pour l’agriculture. Il existe peu de producteurs de potasse sur la scène mondiale [3]. Cette unité d’exploitation représentait en 2011, 70 % de ses bénéfices nets. Enfin, grâce à son unité d’exploitation de technologies de pointes, Agrium Inc. est aussi le premier dans la production d’engrais à rendement amélioré, notamment en matière de nutriments culturaux à libération contrôlée et des produits professionnels de fertilisants spécialisés en Amérique du Nord. Cette unité représentait, en 2011, environ 1 % des bénéfices nets.

MÉTHODOLOGIE ET COLLECTE DE DONNÉES

Pour analyser l’attaque d’Agrium Inc., nous privilégions une étude de cas complémentaire des approches économétriques, et reconnue comme une stratégie de recherche (Hlady-Rispal, 2015). Elle est focalisée sur l’analyse en profondeur des processus décisionnels et la mise en œuvre d’actions organisationnelles dans leur contexte propre. Elle assure une forte validité interne car elle étudie « des représentations authentiques de la réalité étudiée » (Gagnon, 2011). Il s’agit d’une étude de type intrinsèque (Stake, 1984) en raison du comportement exceptionnellement défensif du CA d’Agrium Inc.
La forte médiatisation de cet évènement a facilité l’accès aux données. Plusieurs sources sont utilisées afin de traiter le sujet sous des angles différents. Les données ont été recueillies à partir du site www.sedar.com. Il s’agit du site officiel qui fournit un accès à la majorité des documents publics (rapports annuels, communiqués de presse officiels, circulaire de la direction, etc.) exigés par les autorités canadiennes en valeurs mobilières. Les données ont été analysées chronologiquement de façon à présenter d’une manière structurée les démarches réalisées par JANA Partners LLC et Agrium Inc. entre le 31 mai 2012 et le 9 avril 2013, intervalle de temps durant lequel le fonds d’arbitrage a tenté d’influencer la stratégie d’Agrium Inc. Enfin, l’un des auteurs de cet article était un actionnaire minoritaire d’Agrium Inc au moment des faits. Il s’est rangé du côté de l’entreprise lors de la bataille de procuration après avoir été contacté par les deux parties en opposition (observation participante). Les données sur les CA des entreprises du CSSBI 100 (Canada) dont fait partie Agrium Inc., et les entreprises du S & P500 (États-Unis) sont issues des rapports Spencer Stuart.

13 L’encadré ci-dessus décrit la position méthodologique et la collecte des données de ce cas. La double cotation n’est pas systématique pour les entreprises canadiennes, cependant Agrium Inc. est cotée simultanément à la Bourse de Toronto et à celle de New York. Le 31 décembre 2012, le prix de l’action clôturait à la Bourse de New York à 99,87 $ US. Agrium Inc. se caractérise par une structure d’actionnariat diffuse (aucun actionnaire identifié ne possède plus de 10 % du capital action). En 2010, le rendement total de ses actions (total share return) est de 57,05 % mais il chute en 2011 (-8,88 %) en raison d’une baisse importante des prix des engrais et de la potasse en particulier.

14 De 2003 à 2010, la société a versé des dividendes par action de 0,11 $ US chaque année et, en 2011, le dividende par action est passé à 0,28 $ US, ce qui représente entre 1 % et 5 % des bénéfices nets de l’entreprise. Michael Wilson, directeur général (DG) d’Agrium Inc. depuis 2003, travaille dans l’entreprise depuis 2000. Il est diplômé en génie chimique de l’université de Waterloo et totalise plus de 30 ans d’expérience dans le secteur chimique à l’échelle internationale. Sous sa direction de 2003 à 2010, la capitalisation boursière d’Agrium Inc. est passée de 1,6 milliard $ CAN à 10,6 milliards de $ CAN en 2011. Sa rémunération totale entre 2008 et 2011 varie entre 6 471 359 $ (2009) CAN et 9 154 765 $ CAN (2011). En décembre 2011, il possède l’équivalent de près de 19 millions de dollars US d’option d’achat d’actions et d’unités d’actions différées.

2. Le processus de contestation jusqu’à la déclaration de la bataille de procuration

15 En mai 2012, les dirigeants d’Agrium Inc. constatent que JANA Partners LLC, un hedge funds gérant plus de 11 milliards de dollars américains et dont le siège social est situé à New York, a acquis plus de 5 % du capital-actions, soit un montant de 700 millions $ CAN. Il demande à la direction d’Agrium Inc de céder son unité d’exploitation « Commerce de détail ». JANA Partners LLC déclare identifier des sociétés sous-évaluées. Ce fonds a déjà remporté plusieurs succès en employant des méthodes similaires (Muhtaseb et Grover, 2012).

16 Le 7 juin 2012, Agrium annonce qu’elle doublera son dividende par action semi-annuel (payable le 12 juillet 2012) qui passera à 0,50 $ l’action. Pour répondre à la demande de JANA Partners LLC, le CA d’Agrium Inc. a créé un comité composé d’administrateurs, et appuyé des services d’un conseiller financier indépendant et réputé, Morgan Stanley & Co. LLC. Les conclusions de leurs analyses considèrent que céder l’unité d’exploitation « Commerce de détail » n’est pas dans l’intérêt des actionnaires. En conséquence, le CA d’Agrium Inc a unanimement conclu que l’unité d’exploitation « Commerce de détail » restera dans la structure actuelle de la société. JANA Partners LLC en a été informé le 15 août 2012. Par ailleurs, Agrium a annoncé le 2 août 2012, un programme de rachat d’actions prévu de septembre à octobre 2012 d’un montant de 900 millions de $ CAN résultant de la vente de sa participation ne donnant pas le contrôle dans Viterra Medecine Hat Nitrogen. Elle prévoit de racheter et d’annuler 9 473 684 les actions à des prix se situant entre 95 $ et 107 $ l’action. Le 24 septembre, Agrium Inc. annonce qu’elle émettra pour 500 millions de $ CAN des dettes au taux de 3,15 %.

3. Le déroulement de la bataille de procuration entre Agrium Inc. et JANA Partners LLC

17 Face à ce revers, JANA Partners LLC déclare officiellement la guerre au CA d’Agrium Inc. en novembre 2012. Le 19 novembre 2012, JANA présente cinq candidats indépendants à la prochaine élection des administrateurs. Ces cinq candidats sont : David Bullock, Stephen Clark, Mitchell Jacobson, Lyle Vanclief et finalement Barry Rosenstein, l’associé directeur de JANA Partners LLC. En 2012, le CA d’Agrium est composé de 11 administrateurs dont 10 sont indépendants. Leurs profils sont présentés dans l’encadré ci-dessous.

18 Dans le tableau 1, nous comparons la composition du CA d’Agrium Inc. aux données moyennes du CA des entreprises canadiennes et américaines en 2012.

19 Dans l’ensemble, les caractéristiques du CA d’Agrium Inc. sont conformes aux normes nord-américaines et la fonction de DG et celle de président du conseil sont séparées. Le fonds d’arbitrage va tenter de discréditer les compétences des administrateurs. Pour compléter ce tableau, le classement de référence [4] établit en 2012 par The Globe and Mail positionne favorablement Agrium à la 25e place sur 244 entreprises de l’indice boursier de Toronto.

LES MEMBRES DU CA D’AGRIUM INC EN 2012

Ralph S. Cunningham, 70 ans, Ph. D. en chimie, administrateur indépendant depuis 1996. Membre du comité des ressources humaines et de la rémunération et du comité de gouvernance et des candidatures.
Expertise : secteur de l’énergie
Susan A. Henry, 64 ans, B. Sc. (zoologie), Ph. D. (génétique), administratrice indépendante depuis 2001.
Membre du comité de l’environnement, de la santé et de la sécurité et du comité de gouvernance et des candidatures.
Expertise : agriculture et chimie, recherche et développement, environnement, santé et sécurité.
David J. Lesar, 57 ans, B. Sc., M.B.A., C.P.A., administrateur indépendant depuis 2010. Membre du comité d’audit et du comité de l’environnement, de la santé et de la sécurité. Expertise : secteur de l’énergie, distribution, secteur industriel, fusion et acquisition, international, environnement, santé et sécurité, recherche et développement.
Anne McLellan, 60 ans, B.A., LL. B., LL. M. (avocate), administratrice indépendante depuis 2006.
Membre du comité d’audit et du comité de l’environnement, de la santé et de la sécurité. Expertise : relations gouvernementales, international, environnement, santé et sécurité.
Frank W. Proto, 68 ans, B.A. (économie), administrateur indépendant depuis 1993. Président (sortant) du CA, membre du comité de gouvernance et des candidatures. Expertise : vente au détail, distribution, agriculture et produits chimiques, énergie et mines, secteur industriel, international, fusion et acquisition.
Victor J. Zaleschuk, 67 ans, B. Com., CPA, administrateur indépendant depuis 2002. Président du comité d’audit, membre du comité des ressources humaines et de la rémunération. Expertise : secteur industriel, fusion et acquisition, international, finance.
Russell K. Girling, 48 ans, M.B.A. (finance), administrateur indépendant depuis 2006. Membre du comité d’audit, membre du comité des ressources humaines et de la rémunération et des candidatures.
Expertise : distribution, énergie, international, fusion et acquisition.
Russell J. Horner, 61 ans, B. Sc. (chimie), administrateur indépendant depuis 2004. Président du comité de gouvernance et des candidatures. Membre du comité des ressources humaines et de la rémunération et du comité de l’environnent, de la santé et de la sécurité. Expertise : secteur industriel, distribution, fusion et acquisition, international.
John E. Lowe, 52 ans, B.Sc. (finances et comptabilité), administrateur indépendant depuis 2010.
Membre du comité d’audit et du comité de gouvernance et des candidatures.
Expertise : secteur de l’énergie, secteur industriel, distribution, international, fusion et acquisition.
Derek G. Pannell, 64 ans, B. Sc. (génie) (ingénieur), administrateur indépendant depuis 2008. Président du comité des ressources humaines et de la rémunération, membre du comité de l’environnement, de la santé et de la sécurité.
Expertise : Distribution, secteur industriel, secteur minier, fusion et acquisition, international.
Michael M. Wilson, 59 ans, B. Sc. (chimie), administrateur interne depuis 2003. Directeur général de l’entreprise depuis le 1er octobre 2003.
Expertise : agriculture et produits chimiques, vente au détail, distribution, secteur industriel, international, fusion et acquisition.
Tableau 1

Le CA d’Agrium Inc. en 2012 comparée aux moyennes nord-américaines

Administrateurs (nb.) Âge moyen Adm. indép. % femmes
CA Agrium 11 61 ans 10 19 %
CA Canada 11 63 ans 10 17 %
CA US 10,7 62,6 ans 8,4 17 %
figure im1

Le CA d’Agrium Inc. en 2012 comparée aux moyennes nord-américaines

Source : Spencer Stuart Board Index.

20 L’encadré ci-après (p. 61) résume les biographies présentées par JANA Partners LLC le 19 novembre 2012. JANA Partners LLC qui indique que « … grâce à leurs compétences et à leurs expériences collectives, [ces candidats] pourront aider le conseil à résoudre les sérieuses difficultés auxquelles l’entreprise est confrontée, plutôt qu’éluder ces difficultés, à savoir : stimulation de la performance organisationnelle…, amélioration de l’affectation des capitaux…, remise en état de la structure d’Agrium… » (tiré du document 212-455-0900 déposé auprès des autorités en valeurs mobilières du Canada). Dans les semaines qui suivent, les acteurs émettent des communiqués dans la presse. JANA Partners LLC met en avant une mauvaise gestion du secteur d’exploitation « Commerce de détail » et doute de la valeur ajoutée du conglomérat. Aucune entente ne semble possible. Le 15 février 2013, Agrium Inc. annonce qu’elle devancera son assemblée générale annuelle d’un mois et que celle-ci aura lieu le 9 avril 2013, en vue de mettre fin à la tentative de démantèlement par JANA Partners LLC. Entre le 8 février et le 11 février, les deux parties négocient pour la nomination des administrateurs, mais les pourparlers échouent une fois de plus. Le 22 février 2013, Agrium inc. déclare un dividende de 0,50 $ US par action payable le 18 avril 2013 aux actionnaires inscrits le 28 mars 2013. Le 4 mars 2013, Agrium Inc. publie son préavis d’assemblée et son formulaire de procurations blanc pour solliciter les votes des actionnaires en vue de la réélection de la plupart de ses administrateurs tout en proposant deux nouveaux membres, David Everitt et Mayo Schmidt, dont les profils sont détaillés ci-après (cf. encadré p. 62).

21 Victor Zaleschuk, président du CA, adresse une lettre aux actionnaires dans laquelle il présente sa vision stratégique. Il souligne que la stratégie intégrée d’Agrium Inc. a permis de générer un rendement aux actionnaires de 467 % depuis 2005 et de multiplier par 18 les dividendes versés depuis 2010. Enfin, il soulève que la position du fonds est l’abandon de cette vision pour aboutir à un démantèlement en trois entreprises. Victor Zaleschuk rappelle que le CA d’Agrium a analysé les propositions de JANA Partners LLC par l’entremise d’un conseillé indépendant. Il ajoute de plus qu’il ne croit pas au manque d’expérience des administrateurs d’Agrium Inc. tel que le souligne JANA Partners. Enfin, Victor Zaleschuk soulève la problématique de la rémunération offerte par JANA Partners LLC aux cinq administrateurs proposés par celui-ci. Il qualifie cette rémunération de « laisse en or » (golden leash, Cain et al., 2015 ; Iacobucci, 2014 ; Shill, 2017). Il mentionne que ce genre d’arrangement est inédit au Canada et il soulève la question de la véritable indépendance de ces administrateurs. Il conclut sur une accusation d’intention de démantèlement de la part du fonds : « JANA’s campaign isn’t about corporate governance, operating performance or board experience. It is a Trojan Horse tactic aimed at securing board seats that JANA can then use to further its agenda of breaking up Agrium » (Agrium Inc., communiqué, 4 mars 2013). Le 7 mars 2013, JANA Partners LLC s’adresse à son tour aux actionnaires d’Agrium afin de solliciter leurs votes sur son formulaire de procurations « bleu ». JANA Partners LLC commence par énoncer quatre préoccupations qui sont : 1) la division de vente au détail d’Agrium inc. qui n’a pas réalisé tout son potentiel ; 2) le rendement du cours de l’action d’Agrium Inc. qui n’est pas attribuable aux efforts du CA d’Agrium Inc., mais à des facteurs favorables et aux interventions de JANA Partners LLC ; 3) Agrium Inc. aurait recours à des tactiques d’enracinement, à des manœuvres de diversion et à des mensonges ; et 4) Agrium Inc. tente de s’attaquer aux candidats proposés par JANA Partners LLC. JANA Partners LLC poursuit en identifiant cinq administrateurs du CA d’Agrium Inc. qu’il souhaite remplacer en raison de leur « manque d’expérience » (leur parcours est présenté dans l’encadré pages 58-59). Il s’agit de Frank W. Proto, Susan A. Henry, Derek G. Pannell, Russel J. Horner et Mayo M. Schmidt. JANA Partners LLC prétend également que les administrateurs détiennent peu d’actions ordinaires, cette absence de motivation patrimoniale pouvant nuire à la création de valeur actionnariale. Le jour même, Agrium Inc. riposte dans un communiqué de presse précisant que ses administrateurs détiennent conjointement 23,7 M$ de capital-actions soit une somme moyenne par administrateurs de 2,6 M$.

LES CANDIDATS PROPOSÉS PAR JANA PARTNERS LLC

David Bullock a été le directeur financier de Graham Packaging Inc. (Graham Packaging), fournisseur mondial d’emballages plastiques, de 2009 à 2011. Il a ainsi dirigé l’introduction en Bourse de Graham Packaging, appartenant à Blackstone ainsi que sa vente à Reynolds Group à un prix représentant une prime considérable par rapport au prix d’offre de son premier appel public à l’épargne. Auparavant, il a occupé le poste de chef des finances de 2003 à 2007, et celui de chef de l’exploitation de 2007 à 2008, au sein de United Agri Products, Inc. (UAP), qui, avant son acquisition par Agrium Inc, était le plus important distributeur indépendant d’intrants pour l’agriculture aux États-Unis et au Canada.
Stephen Clark est membre du conseil de surveillance de Brenntag AG. Il a été DG de 2006 à 2011, et président du conseil de 1990 à 2006, de Brenntag North America. Il dirigeait Brenntag lorsqu’elle était une société fermée, puis lors de la réalisation d’un appel public à l’épargne en 2010. Brenntag AG est le chef de file mondial de la distribution de produits chimiques industriels ; son chiffre d’affaires global et la valeur de l’entreprise s’établissent respectivement à plus de 12 milliards $ et à plus de 8 milliards $. S. Clark est diplômé de la Pennsylvania State University.
Mitchell Jacobson est président du conseil et l’un des principaux actionnaires de MSC Industrial Direct Co., Inc. Il a été DG de MSC depuis sa constitution en société ouverte, en octobre 1995, jusqu’en novembre 2005. MSC est l’un des plus importants distributeurs de produits pour la transformation des métaux, l’entretien, la réparation et l’exploitation. M. Jacobson est diplômé de la Brandeis University et de la New York University School of Law. Lyle Vanclief a été ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada de 1997 à 2003, et député à la Chambre des communes de 1988 à 2004. Il a été pendant 22 ans entrepreneur dans le secteur agricole et a fondé Willowlee Farms Limited, une entreprise diversifiée de production de fruits, de légumes, de grains, d’oléagineux et de bétail en Ontario. Il est diplômé du programme de formation des administrateurs proposé par l’université de Toronto. Il a été nommé au Temple canadien de la renommée agricole en 2010.
Barry Rosenstein a fondé JANA Partners LLC en 2001. Avant, Barry Rosenstein il a été fondateur de Sagaponack Partners, un fonds de capital-investissement. Il a commencé sa carrière à titre de spécialiste de fusions et d’acquisitions au sein de Merrill Lynch, à New York, et il a également occupé le poste de directeur responsable des prises de contrôle au sein de la Asher Edelman Plaza Securities Corporation. Il est diplômé Phi Beta Kappa de la Lehigh University (1981) et titulaire d’une maîtrise en administration des affaires de la Wharton School of Business de la University of Pennsylvania (1984).
Source : Extrait du document 212-455-0900 déposé auprès des autorités en valeurs mobilières du Canada.

LES CANDIDATS PROPOSÉS PAR AGRIUM INC.

David C. Everitt, 60 ans, ingénieur, administrateur indépendant, a agi au titre de président, Division d’équipement agricole et d’entretien des gazons, Amérique du Nord, Asie, Australie, Afrique du Sud et subsaharienne et produits tracteurs et pelouses à l’échelle mondiale de Deere & Company. Il a également été président, division agricole, de Deere de 2001 jusqu’à sa retraite. D. Everitt compte plus de 36 ans d’une vaste expertise de l’industrie dans laquelle Agrium Inc. exerce ses activités ; il a notamment dirigé le plus important fabricant et distributeur de machinerie agricole au monde. Sa compréhension de l’approvisionnement, de la commercialisation et de la distribution sur les marchés mondiaux de l’agriculture représente un atout au sein du CA.
Mayo M. Schmidt, 55 ans, administrateur indépendant, a été PDG de Viterra Inc. de 2000 à 2012. Il participe de façon active à plusieurs organisations professionnelles commerciales et sectorielles. En tant qu’administrateur, M. Schmidt possède plus de 32 ans d’expérience dans le secteur de l’agriculture à l’échelle mondiale. Au cours de son mandat il a élaboré la stratégie qui a permis à la société de passer d’une coopérative régionale à une société d’envergure mondiale de 7,5 milliards $ possédant des bureaux dans 14 pays et qui approvisionne plus de 50 pays. M. Schmidt a reçu en 2009 le Chief Executive of the year par le magazine Canadian Business.

22 Le 26 mars 2013, Agrium Inc. publie un communiqué de presse annonçant que l’agence de conseil Glass Lewis, recommande aux actionnaires de voter en faveur d’Agrium Inc. Glass Lewis est une organisation internationale indépendante d’analyse en matière de gouvernance d’entreprise. L’argument avancé par cet organisme externe à l’entreprise, est la réputation d’impartialité des administrateurs d’Agrium Inc. Le lendemain, Institutional Shareholder Services (ISS) publie un rapport opposé dans lequel il appuie les candidatures de Barry Rosenstein et David Bullcok avancées par JANA Partners LLC. ISS indique qu’Agrium Inc. pourrait ainsi bénéficier d’administrateurs plus expérimentés, et que l’objectif du fonds n’est pas de démanteler.

23 Le 1er avril 2013, JANA Partners LLC accuse Agrium Inc. de payer des courtiers en placements. Ceux-ci solliciteraient les votes des actionnaires en faveur d’Agrium. JANA Partners LLC demande alors d’arrêter cette « mauvaise » pratique. Les deux parties continuent pourtant à solliciter des votes jusqu’à la date limite de dépôt des votes, fixée au 5 avril 2013.

24 Le 9 avril, Agrium Inc. déclare un autre dividende de 0,50 $ US par action payable le 18 juillet 2013 aux actionnaires inscrits le 28 juin 2013. Elle communique ensuite les résultats des votes selon lesquels les administrateurs proposés par Agrium Inc. sont tous élus. Le président du CA, déclare : « approximately 80 % of our top 50 actively managed institutional shareholders voted for Agrium’s nominees ».

25 JANA Partners LLC émet un long communiqué revendicatif :

26 « You are a Board that condamned :

27 Lying about the shareholder support, you had, Switching comparable that you came up with yourselves,

28 Hiring a mercenary banker who previously argued against your corporate structure and then argued for it when paid by you,

29 Buying back stock at an inflated price when you knew that earnings miss was coming, Permitting your management team to threaten shareholders that they would all quit if we got on the Board, which is a violation of Canadian securities law regarding selective disclosure,

30 Attacking me personally as “lucky”, a “pain in the ass” and “a New York hedge fund billionaire”, whatever that was meant to imply,

31 Changing your proxy materials to falsly claim distribution experience on the board for members, who never claimed it before ? Surreptitiously moving up the voting date by a month and then, when you didn’t like the result, lobbying shareholders to change their votes after Friday’s voting deadline passed, and

32 Bribing brokers and financial advisers for favorable votes.

33 In an era of improved corporate governance, this is the worst example of entrenched, power-hungry at any cost behavior I have ever witnessed. They say it takes a lifetime to build a reputation and just an instant to destroy it. I will leave it to you to decide what your reputation in the market is now. The good news is that this tainted vote isn’t the end of the story. » (JANA Partners LLC, communiqué du 9 avril 2013).

DISCUSSION

34 Bien qu’Agrium Inc. soit rentable, comme le montre son taux de rendement des capitaux propres de 26 %, et son taux de rendement des actifs totaux de 11,6 % en 2011, elle verse peu de dividendes à ses actionnaires et le taux de rendement total de ses actions a brusquement chuté (2010 : 57,05 % 2011 : -8,88 %) en raison de la baisse des prix des engrais et de la potasse en particulier. C’est aussi une entreprise à structure d’actionnariat diffuse, visible par sa taille et sa double cotation. Ces caractéristiques intrinsèques en font une cible privilégiée par les activistes, conformément aux enseignements de la littérature (Brav et al., 2015a, 2015b ; Cheffins, 2014). Le déroulement des évènements exposés concorde également avec les tactiques relevées dans la littérature. Les protagonistes s’affrontent en ramassant des droits de vote tout en s’appuyant sur l’ensemble des médias, et notamment les agences de conseil de vote américaines. JANA Partners LLC se présente comme un actionnaire soucieux d’améliorer la valorisation. Il critique publiquement les membres du CA, et demande le remplacement de la moitié des administrateurs dont il met en doute les compétences en dépit de leurs cursus (cf. encadré p. 58-59). Ces revendications échouent. Il s’engage alors dans une bataille de procurations qu’il perd, ce qui est exceptionnel et coûteux pour le fonds.

35 Les raisons de l’échec de ce fonds sont partiellement dues aux actions spécifiquement menées par Agrium Inc. En effet, l’entreprise canadienne prend en compte une partie des revendications du fonds et argumente sur la qualité de ses performances financières. Au départ, le CA d’Agrium Inc. a évalué les propositions du fonds spéculatif. Cette évaluation a été réalisée avec l’aide d’un conseillé réputé indépendant, Morgan Stanley, concluant qu’il n’est pas pertinent de céder l’unité d’exploitation « commerce de détail ». L’entreprise montre qu’elle est à l’écoute de l’intérêt de ses actionnaires. Ainsi, elle augmente ses dividendes d’une manière très importante pour fidéliser ses actionnaires. Ceux-ci sont passés de 0,11 $ US par action en 2010, à 0,28 $ US par action en 2011, à 1 $ US par action en 2012 et à 3,03 $ US par action en 2013. Elle obtient également l’appui de Glass Lewis, l’agence américaine de conseil de vote tout autant reconnue qu’ISS, l’autre agence du marché américain soutenant le fonds. Dans l’ensemble, Agrium Inc. est très réactive dans ses communiqués de presse, ce qui appuie sa crédibilité aux yeux d’autres actionnaires que JANA Partners LLC. Dans un cas similaire en 2011 opposant l’entreprise canadienne CP Rail et le fonds américain Pershing Square, la victoire totale du fonds est expliquée par des effets de coalition entre les actionnaires. Ce type de coalition ne semble pas avoir eu lieu pour Agrium Inc.

36 Cette étude s’est focalisée sur les actions prises par les dirigeants et les administrateurs d’une société ayant été la cible d’un fonds d’arbitrage, et ayant réussi à maintenir ses orientations stratégiques en repoussant les demandes de ce dernier. Les actions conduites par Agrium Inc. pourront servir d’exemples aux entreprises attaquées de la sorte. Cette étude n’est pas sans comporter des limites. Les données recueillies proviennent de l’information publiquement disponible. Il est probable que certains échanges entre les deux parties soient restés confidentiels. Par ailleurs, nos résultats ne sont pas généralisables dans une approche positiviste reposant sur des échantillons probabilistes. Toutefois, l’étude de cas vise une généralisation analytique qui enrichit la théorie existante. En s’inspirant de la contre-offensive du CA d’Agrium, les conséquences observées sont transférables à d’autres entreprises potentiellement attaquées. Nos conclusions seraient alors plus représentatives pour accroître la validité externe. Pour atteindre cet objectif, il nous faudra également proposer une analyse comparant plusieurs cas.

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Date de mise en ligne : 14/09/2018

https://doi.org/10.3166/rfg.2018.00235

Notes

  • [1]
    Au Canada, le terme hedge funds se traduit par fonds d’arbitrage ou bien encore fonds de couverture (Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières. Analyse de la réglementation des fonds de couverture, 18 mai 2005).
  • [2]
    Par exemple Section 143 du Canada Business Corporations Act (CBCA) donne le droit aux actionnaires détenant au moins 5 % des droits de convoquer une assemblée d’actionnaires. Cette autorisation n’a pas d’équivalent aux États-Unis.
  • [3]
    Potash Corporation of Saskatchewan est le principal concurrent d’Agrium Inc au Canada.
  • [4]
    Ce classement porte sur le niveau de gouvernance établi selon plusieurs critères (composition du CA, droits des actionnaires, qualité de l’information divulguée, et rémunérations des membres).

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