Couverture de RFG_263

Article de revue

À quelles conditions un discours stratégique peut-il produire un changement ?

Analyses et apports d’Austin, Searle, Butler et Callon

Pages 71 à 96

Notes

  • [1]
    Les auteurs remercient sincèrement les relecteurs, Jean-Philippe Denis et Chahrazad Abdallah pour leurs encouragements et suggestions. Leurs remerciements vont également aux participants de la XXIVe Conférence de l’AIMS, au cours de laquelle une version antérieure de l’article a été présentée.

1 Depuis le début des années 1990, de nombreux chercheurs envisagent les discours dans les organisations, et en particulier le discours stratégique, comme participant pleinement de l’organizing : en ce qu’ils permettent de donner du sens à l’environnement, aux actions entreprises (Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Balogun et Johnson, 2004 ; 2005), aux outils et techniques déployés dans l’organisation (Ezzamel et Willmott, 2008 ; Jarzabkowski, Spee et Smets, 2013) ; en ce qu’ils révèlent, dans leur pluralité et contradictions, les tensions, conflits, luttes de pouvoir à l’œuvre entre les membres de l’organisation (Laine et Vaara, 2007 ; Boje, 1995 ; 1991) ; en ce qu’ils participent, au travers des conversations quotidiennes, de la fabrique du changement stratégique (Rouleau, 2005 ; Samra-Fredericks, 2003 ; 2005).

2 Si l’on souligne bien souvent le rôle clé des discours stratégiques dans la mise en œuvre d’un changement (cf. Gioia et Chittippeddi, 1991 ; Kornberger et Clegg, 2011), et, plus largement, l’importance de la communication, les recherches récentes montrent que ces discours sont loin de produire les effets attendus. Parce qu’ils s’appuient sur des métaphores creuses, ils suscitent certes un engouement initial (Eisenberg, 1984), mais supposent que les acteurs soient ensuite capables de faire sens de ces discours en vue de les mettre en acte (voir Lüscher et Lewis, 2008 ; Balogun et Johnson, 2004 ; 2005 ; McCabe, 2010), ouvrant la voie à des interprétations contradictoires voire à la paralysie (Abdallah et Langley, 2014). D’autres travaux montrent que ces discours stratégiques de changement suscitent souvent des contre-discours dénotant d’attitudes de résistance (Laine et Vaara, 2007 ; McCabe, 2010), de désengagement, de retrait (McCabe, 2010) voire de cynisme (Fleming et Spicer, 2003).

3 Quoique ces travaux remettent en cause l’idée selon laquelle la communication autour du changement constituerait un élément fondamental de sa réussite, il paraît difficile de s’en dispenser. À l’heure où le discours sur le changement est omniprésent dans les sphères économiques, sociétales et organisationnelles, à quelles conditions un discours stratégique est-il à même de produire un changement ?

4 Au travers d’une revue de la littérature revenant aux auteurs sources, l’objectif de cet article est de déterminer les différentes conditions donnant au discours stratégique sa performativité, autrement dit sa capacité à produire un effet. Il s’agit ainsi de mettre en lumière ce qui permet à un discours stratégique d’induire le changement qu’il décrit, renvoyant par-là à la dimension délibérée de la stratégie, mais également des changements inattendus, renvoyant alors à sa dimension émergente. En effet, si de nombreuses recherches s’intéressent aux caractéristiques des discours stratégiques (Vaara, Sorsa et Pälli, 2010 ; Pälli, Vaara, Sorsa, 2009) et à leurs effets sur la subjectivité des acteurs (voir Laine et Vaara, 2007 ; Kornberger et Clegg, 2011 ; Knights et Morgan, 1995) ou sur les relations de pouvoir au sein de l’organisation (voir Samra-Fredericks, 2003 ; 2005), peu s’attachent à analyser ce qui crée, favorise ou inhibe la performativité d’un discours stratégique.

5 Or si elles sont fréquemment critiquées pour leur définition pour le moins flottante de ce qu’il convient d’entendre par discours (voir Iedema, 2007 ; Alvesson et Kärreman, 2000 ; 2011 ; Phillips et Oswick, 2012), les recherches menées sur les discours stratégiques montrent que si discours stratégique et discours de changement ne sont pas synonymes (Oswick et al., 2010), les discours stratégiques portent toujours l’idée d’un changement à opérer (voir Knights et Morgan, 1991 ; 1995). Ces recherches permettent en outre de distinguer, derrière cette notion, trois facettes renvoyant à trois niveaux d’analyse et objets d’étude (Vaara, 2010 ; Phillips et Oswick, 2012), qui, tous à leur manière, relèvent cette notion de changement :

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  • Un niveau macroscopique, tout d’abord, dans lequel le discours désigne, suivant là Foucault (1991), « un domaine(s) pratique (s) limité(s) qui a [ont] ses [leurs] frontière (s), ses [leurs] règles de formation, ses [leurs] conditions d’existence » et qui définit, à une époque donnée, « ce qui peut être dit » (p. 63). S’appuyant sur cette conception du discours comme un savoir disciplinaire, Knights et Morgan (1991, p. 252) définiront le discours stratégique comme « un ensemble d’idées et de pratiques qui conditionnent nos manières de nous lier à et d’agir sur un phénomène particulier ». Si l’archéologie du discours stratégique – c’est-à-dire la définition des règles que doivent respecter les énoncés pour participer du savoir stratégique - est encore à mener, les travaux de recherches s’inscrivant dans cette perspective (voir Allard-Poesi, 2015a pour une revue) soulignent que le discours stratégique est orienté à la fois vers l’intérieur de l’organisation mais également vers l’extérieur (Knights et Morgan, 1995, p. 198-206 ; Vaara, Kleymann et Seristö, 2004, p. 25), environnement qui est conçu comme hostile et changeant, rendant le changement de l’organisation elle-même nécessaire (Knights et Morgan, 1995 : 206 ; Oakes, Townley et Cooper, 1998, p. 276).
  • Un niveau mésoscopique ensuite, dans lequel le discours renvoie aux textes et paroles véhiculés au nom de l’organisation pour une audience interne ou externe. Les travaux portant sur les projets stratégiques (Laine et Vaara, 2007 ; Abdallah et Langley, 2014), l’histoire officielle de l’organisation (Barry et Elmes, 1997 ; Boje, 1991), ou encore les rapports d’activités, s’inscrivent dans cette conception du discours. Le discours à ce niveau est fragile, flexible et ré-interprétable, en ce que la version officielle est souvent contestée par des récits ou projets concurrents (voir Boje, 1995 ; Abdallah et Langley, 2014 ; Hardy et Thomas, 2014). Qu’il soit orienté vers le passé (Boje, 1991) ou le futur de l’organisation, le discours met également l’accent sur la capacité de l’organisation à s’adapter voire à anticiper ou participer du changement de son environnement par l’élaboration de nouveaux produits (voir Boje, 1991 sur Disney), ou de la transformation de l’organisation et des rôles des acteurs en son sein (voir Abdallah et Langley, 2014 ; Gioia et Chittippeddi, 1991 ; Hardy et Thomas, 2014 ; Laine et Vaara, 2007).
  • Un niveau microscopique enfin, pour lequel le discours est avant tout l’ensemble des paroles échangées par les acteurs dans leurs conversations quotidiennes, au travers desquelles ils peuvent convoquer la discipline stratégique (voir Samra-Fredericks, 2003 ; 2005), les projets stratégiques de l’organisation (voir Whittle et al., 2014 ; Patriotta et Spedale, 2009), son fonctionnement ou son environnement (Allard-Poesi, 2015b), pour faire sens des problèmes à résoudre, et faire valoir leur point de vue.

7 Les compétences rhétoriques des acteurs (Samra-Fredericks, 2003), les techniques discursives déployées par les participants (Whittle et al., 2014 ; 2015), les effets de pouvoir associés (Allard-Poesi, 2015b ; Patriotta et Spedale, 2009 ; Thomas et al., 2011 ; Kwon et al., 2014), sont ici particulièrement étudiés en ce qu’ils favorisent ou inhibent le développement d’un projet de changement.

8 Qu’ils renvoient à l’un ou l’autre de ces niveaux et objets, les travaux de recherche portant sur les discours stratégiques, supposent ainsi souvent qu’ils ont un effet sur la réalité sociale, autrement dit qu’ils induisent, bon an mal an, un changement, qu’il soit envisagé comme le fait d’actions délibérées, en rupture avec les pratiques antérieures (Gioia et Chittipeddi, 1991) et/ou comme l’assemblage des pratiques et interprétations des acteurs au fil du temps (Tsoukas et Chia, 2002).

9 Alvesson et Kärreman (2011) nous mettent cependant en gardent contre ce postulat, y voyant le risque d’une conception toute puissante du discours qui rabattrait l’organisation elle-même à un tout discursif. S’inscrivant dans cette interrogation, nous convoquons et analysons les conceptions de la performativité portées tour à tour par Austin (1970) et Searle (1972), puis Butler (1990 ; 1997) et enfin Callon (1998). Si d’autres auteurs (Lyotard, 1979 ; Derrida, 1972) ont également mobilisé la notion de performativité, nous consacrons notre étude aux auteurs fondateurs ayant placé la performativité des discours au cœur de leurs travaux. Nous illustrons ensuite leurs conceptions au travers des travaux récents, qui, sans nécessairement revendiquer celles-ci, portent sur les caractéristiques et effets des discours stratégiques. En s’attachant à la performativité des discours stratégiques, notre objet se distingue de ceux travaillés par Diedrich et al. (2013), Gond et Cabantous (2016), Gond et al. (2015) ou Guérard et al. (2013), qui conçoivent la performativité non seulement des discours, mais également des artefacts, objets, techniques voire des pratiques organisationnelles.

10 Cette analyse contribue aux travaux de recherche sur le discours stratégique et la performativité sous trois angles principalement. Elle met tout d’abord à jour des différences significatives dans les définitions et conditions de performativité du discours, différences souvent occultées dans les travaux antérieurs (voir Diedrich et al., 2013 ; Gond et al., 2015 ; Gond et Cabantous, 2016). En soulignant l’importance des conditions requises pour qu’un discours produise un effet, cette recherche relève en second lieu la relative fragilité du discours stratégique. L’analyse des travaux récents portant sur le discours stratégique révèle enfin que si certains aspects de la performativité sont bien étudiés, en particulier les dimensions illocutoires et/ou perlocutoires des discours, ces notions (de même que les travaux portant sur la performativité) ne sont que peu ou pas mobilisés, ouvrant par-là la voie à de nouvelles recherches.

I – À L’ORIGINE DE LA NOTION DE PERFORMATIVITÉ : D’AUSTIN À SEARLE

11 La notion de performativité a été introduite par les philosophes du langage (Austin, 1970 ; Searle, 1972). Pour Austin (1970), elle désigne le fait pour un élément linguistique de constituer lui-même l’action qu’il décrit lors de son énonciation (p. 40) : dire que l’on promet quelque chose, crée une promesse ; communiquer le prénom de son nouveau-né à la mairie attribue à l’enfant un nouveau statut et une nouvelle appellation. Ces énoncés dits performatifs ont pour caractéristique principale la production d’effets sur la réalité du monde. L’énoncé performatif est la réalisation de quelque chose qui n’était pas là avant son énonciation. Après un énoncé performatif, le réel n’est plus tout à fait ce qu’il était auparavant.

1. Austin : premières distinctions

12 À l’origine de cette approche pragmatique, Austin (1970) s’appuie dans un premier temps sur une distinction parmi les énoncés entre ceux qui décrivent le monde et ceux qui accomplissent une action. Les premiers sont dits constatifs, alors que les seconds sont performatifs. Austin met ainsi en avant l’idée que les affirmations ne sont pas uniquement des constats d’une réalité, mais qu’elles peuvent également la modifier.

13 Alors que des affirmations descriptives peuvent être vraies ou fausses, les énoncés dits performatifs ne peuvent répondre à ces critères de vérité. En effet, on ne peut dire que la phrase « je vous promets de venir vous voir demain » est vraie ou fausse au regard du monde réel. En revanche, Austin introduit le terme d’échecs et de ratés pour caractériser ces énoncés, selon qu’ils répondent à des conditions non pas de vérité mais de « félicité ». Un énoncé tel que « je vous déclare mari et femme » peut être considéré comme un performatif raté si celui qui prononce cette phrase n’a pas la légitimité pour le faire. On dit que l’énoncé « échoue » dans son accomplissement puisqu’il ne réussit pas à modifier l’état du monde.

14 Pour qualifier les performatifs de réussis, Austin distingue tout d’abord deux caractéristiques primaires devant être respectées : le locuteur doit s’adresser à quelqu’un et son interlocuteur doit avoir compris ce qui lui a été dit dans l’énoncé correspondant à l’acte de parole. Cette définition de la performativité privilégie le langage naturel (par opposition au discours scientifique ou au langage formel, voir les propos de Searle, in Lash, 2015), celui qui s’exprime dans les interactions entre deux ou plusieurs personnes dans un contexte donné, s’inscrivant ainsi dans une conception microscopique du discours.

15 Austin (1970) énonce ensuite plusieurs conditions de félicité à savoir 1) l’existence de procédures conventionnelles voire institutionnelles (dans le cadre du mariage) et leur application correcte et complète ; 2) la reconnaissance d’une légitimé de celui qui énonce un performatif (de son autorité dans le cadre d’un ordre par exemple) ; 3) les pensées et volontés du locuteur (ses intentions et sa sincérité à réaliser l’acte énoncé) ; enfin, 4) la conformité de la conduite ultérieure du locuteur et de l’interlocuteur avec les prescriptions liées à l’acte de langage accompli.

16 Austin (1970) distingue les énoncés constatifs des énoncés performatifs lors de ses sept premières conférences, mais finit par pointer les limites de cette distinction. À partir de sa huitième conférence, il met en avant trois catégories d’actes dans les discours :

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  1. l’acte locutoire, qui est l’acte de dire quelque chose selon un certain nombre de règles linguistiques. L’acte locutoire est la production d’une phrase dotée d’un sens et d’une référence, ces deux éléments constituant la signification.
  2. l’acte illocutoire, qui est effectué en disant quelque chose, une promesse, une affirmation, une déclaration, une suggestion par exemple. L’énonciation a une valeur conventionnelle qui lui permet de créer un effet, dès lors que la convention est respectée et reconnue. En disant « je promets de venir demain », je crée une promesse ; en criant « viens ici tout de suite », je crée un ordre.
  3. l’acte perlocutoire, qui renvoie à la production de certains effets par le fait de dire quelque chose. Par exemple : convaincre, persuader, empêcher, surprendre, induire en erreur, blesser, faire rire, faire fuir. Contrairement à l’acte illocutoire, l’acte perlocutoire n’est pas conventionnel. Il arrive qu’en disant quelque chose, on produise des effets inattendus sur les pensées ou les actes d’autres personnes.

18 Pour Austin (1970), la différence entre acte illocutoire et perlocutoire, entre « en » et « par le fait de », est essentielle. Il est ainsi nécessaire de bien distinguer « en disant cela, je l’avertissais » et donc l’acte illocutoire effectuée par l’énonciation, et « par le fait de dire cela, je le convainquis, le surpris, le retins », l’acte perlocutoire, conséquence de l’énonciation.

19 Au travers de cette nouvelle classification des actes de discours, Austin (1970, p. 181) définit les performatifs comme des « énonciations qui, abstraction faite de ce qu’elles sont vraies ou fausses, font quelque chose (et ne se contentent pas de la dire). Ce qui est ainsi produit est effectué en disant cette même chose (l’énonciation est alors une illocution), ou par le fait de la dire (l’énonciation, dans ce cas, est une perlocution), ou des deux façons à la fois. »

20 Néanmoins, dans ses dernières conférences, Austin ne reviendra pas sur les conditions de félicité définies précédemment et se concentrera principalement sur les actes illocutoires et leur classification.

2. Searle, le rôle des conventions et des intentions

21 Poursuivant les travaux d’Austin sur les actes de langage, Searle (1972) met également en avant l’aspect conventionnel de l’acte illocutoire et introduit dans ce cadre les termes de règles constitutives et de principe d’exprimabilité.

22 Selon Searle, le langage est gouverné à la fois par des règles normatives de comportements mais également par des règles constitutives, caractéristiques des actes de langage. Il serait ainsi impossible de produire des actes de langage sans respecter ces règles. De plus, pour garantir une équivalence entre le sens de l’énoncé et la production d’un acte de langage, Searle introduit le principe d’exprimabilité, principe selon lequel le locuteur a toujours à sa disposition une expression correspondant à ce qu’il souhaite exprimer. Dans cette conception, l’intention du locuteur est ainsi, aux côtés de sa connaissance des règles constitutives, primordiale dans la réussite de l’acte illocutoire.

23 Searle revient également sur la notion d’uptake (compréhension) utilisée par Austin et indique que l’effet illocutoire réside dans la reconnaissance/compréhension de l’interlocuteur de ce que l’interlocuteur essaie de faire/dire. L’effet illocutoire sur l’auditeur n’est pas une croyance ou une réponse mais simplement la compréhension de l’énoncé du locuteur : ce dernier reconnaît que l’ordre donné est un ordre, que l’assertion émise est une assertion. L’exécution d’un acte illocutoire suppose donc d’avoir été bien compris par le destinataire.

24 L’effet illocutoire chez Searle peut ainsi se concevoir comme la compréhension par l’interlocuteur de l’intention du locuteur exprimée au travers d’énoncés linguistiques conventionnels. Searle (1972) distingue ensuite plusieurs conditions essentielles à la performativité des différents actes illocutoires et montre l’importance du contenu propositionnel, de l’intention et de la sincérité du locuteur et de son autorité lors de l’énonciation d’un ordre par exemple. Pour Austin et Searle ainsi, la performativité illocutoire d’un énoncé dépend du respect de conventions, des intentions et de l’autorité du locuteur, ainsi que de la compréhension de l’énoncé par l’interlocuteur – condition derrière laquelle Cooren (2001) voit une tautologie, la compréhension de l’acte étant la définition même de la performativité illocutoire d’un acte.

3. La performativité illocutoire des discours stratégiques

25 Sans nécessairement s’inscrire dans la lignée des travaux d’Austin ou Searle, certaines recherches soulignent qu’un discours stratégique, pour produire un effet, doit respecter certaines conventions d’écriture, être émis par une personne bénéficiant d’une légitimité et/ou être compris par le destinataire du discours stratégique.

26 Considérant que les mots seuls peuvent faire agir, Vaara et al. (2010) étudient l’effet de pouvoir (power effect) d’un plan stratégique, effet qu’ils attribuent au respect de certaines conventions d’écriture du texte stratégique. Ils considèrent ainsi que les textes stratégiques ne sont pas uniquement des documents présentant des idées mais qu’ils ont une force potentielle (force potential, Fairclough, 1992) et une agentivité textuelle (Cooren, 2004), c’est-à-dire, la possibilité de faire agir. Analysant le document officiel du plan stratégique 2005 d’une ville finlandaise, Vaara et al. (2010) identifient plusieurs traits discursifs qu’ils considèrent comme caractéristiques des discours stratégiques : une présentation des idées comme étant impératives et obligatoires pour l’action future, l’innovation et la rupture au travers de la définition de nouvelles priorités ou bien encore la mise en avant du consensus et de l’unanimité au cours du travail stratégique. Pour les auteurs, ces différentes caractéristiques ne relèvent pas de caractéristiques triviales ; au contraire, elles ont des implications importantes pour l’agentivité textuelle des plans stratégiques, leurs effets performatifs et leurs implications idéologiques. Si l’on peut souscrire à l’idée que, pour être reconnu comme tel, un plan stratégique doit présenter ces caractéristiques et respecter des conventions (voir, pour des résultats proches, Kornberger et Clegg, 2011 ; Knights et Morgan, 1991 ; 1995), les auteurs n’étudient pas à proprement parler les effets des textes étudiés en dehors d’eux-mêmes. En ce sens, l’analyse s’intéresse bien à une performativité illocutoire au sens d’Austin et Searle.

27 Cherchant à apprécier la portée de certaines règles discursives, d’autres travaux montrent la précarité des effets produits, autrement dit que certaines règles, si elle relèvent bien des conventions stratégiques, n’ont pas d’effets perlocutoires. Certains auteurs, à la suite d’Eisenberg (1984), suggèrent ainsi que le recours à l’ambiguïté dans les textes stratégiques constitue un moyen efficace d’accommoder les différences et de promouvoir l’engagement des membres de l’organisation autour des orientations stratégiques (Sonenshein, 2010). Abdallah et Langley (2014) étudient plus précisément les effets dans le temps de l’ambiguïté du discours sur la mise en œuvre de la stratégie. Elles montrent ainsi que si l’ambiguïté (e. g. l’usage d’un critère d’évaluation flou, d’objectifs ou de valeurs difficilement compatibles) permet, dans un premier temps, de générer la mobilisation des collaborateurs, une stratégie formulée de façon ambigüe conduit dans un second temps à des paradoxes et contradictions internes affaiblissant le discours stratégique initial, impliquant d’incessantes redéfinitions et réorientations. Cette recherche montre ainsi que le respect de conditions – des conventions ici – de performativité illocutoire – i.e. permettant la reconnaissance d’un texte comme étant un discours stratégique –, peut contrecarrer la performativité perlocutoire du même texte – i.e. la mobilisation des acteurs autour du projet dans ce cas.

28 Par-delà le respect de conventions ou règles discursives, d’autres travaux relèvent le rôle de la légitimité ou de l’autorité du locuteur dans la performativité du discours stratégique. Dans une étude des discours des dirigeants, Kahane (2005) analyse le succès du discours de Steve Jobs, lorsque ce dernier entreprend de réorienter Apple du secteur informatique vers celui de la distribution de musique en ligne. À l’origine d’Apple et de son renouveau, Steve Jobs, également dirigeant et principal actionnaire de Pixar, entreprise renommée dans le secteur du contenu créatif, est légitime, non seulement par les ressources et le réseau dont il dispose, mais également par le respect de la « promesse d’avant la promesse » (Ricœur, 1985) sur laquelle s’appuie la nouvelle promesse de son nouveau discours (Kahane, 2005).

29 Dans une perspective différente, Hardy et al. (2000) soulignent la nécessité pour un dirigeant souhaitant convaincre les parties prenantes de son organisation de la pertinence du changement stratégique souhaité, non seulement d’inscrire son discours dans le contexte des discours circulants, autrement dit de respecter certaines règles ou normes discursives en vigueur, de mobiliser des symboles et notions susceptibles d’être compris par ces parties prenantes, mais également d’être en position pour être entendu – autrement dit d’être considéré comme légitime pour parler.

30 Ambroise (2009) rappelle cependant ici que l’efficacité illocutoire dépend toujours de la reconnaissance obtenue par le locuteur lorsqu’il prononce certains mots, et non pas des mots eux-mêmes ou de la position détenue par le locuteur. La réussite de l’énoncé performatif du dirigeant dépend ainsi pour beaucoup des destinataires du discours, de leur compréhension et de l’autorité et légitimité qu’ils attribuent aux locuteurs lorsqu’ils parlent (voir également Cooren, 2001).

31 La compréhension et l’interprétation de l’interlocuteur constituent d’ailleurs des aspects qui ont été largement étudiés par les recherches portant sur le discours et le changement stratégique, au travers notamment de la notion de sensemaking (Weick, 1995). Abdallah et Langley (2014) utilisent le terme de consommation pour décrire la façon dont les destinataires du discours vont interpréter et l’enacter. S’appuyant sur de Certeau (1988), elles considèrent que les consommateurs du discours stratégique ne sont jamais ni entièrement passifs ni dociles, mais libres de l’interpréter de multiples manières. Analysant un cas de planification stratégique dans une organisation culturelle, les auteurs montrent que le discours ambigu est interprété différemment par les acteurs, conduisant à des effets et mises en œuvre multiples et variés. Dans une perspective proche, Suominen et Mantere (2010) identifient trois tactiques de « consommation » d’un même discours stratégique par des managers : « instrumentale » lorsque l’individu s’approprie le discours pour parvenir aux fins souhaitées ; « espiègle » s’il s’appuie sur l’ironie, le ridicule et le cynisme pour discréditer la stratégie ; « intime » enfin s’il voit dans la stratégie une source d’amélioration potentielle ou au contraire une menace pour son identité. Plus largement, ces travaux soulignent que les discours stratégiques, quoique compris comme tels, peuvent être rejetés (voir Laine et Vaara, 2007 ; McCabe, 2010) – autrement dit conduire à des effets perlocutoires non désirés.

32 Si la compréhension des destinataires du discours stratégique ne semble pas facilitée par les formulations ambiguës, ces derniers peuvent finalement interpréter et utiliser le discours de multiples façons, montrant ainsi un discours dont les effets performatifs sont variables. Par effet performatif, les recherches dépassent ici la dimension illocutoire du discours stratégique pour s’intéresser à sa performativité perlocutoire – autrement dit les conséquences en termes d’adhésion, de mobilisation et de sens des destinataires des discours-, sans nécessairement, on l’a vu, mobiliser cette notion.

4. Les effets illocutoires, perlocutoires et la rhétorique : le rappel de Cooren (2001)

33 La conception de la performativité issue des philosophes du langage met ainsi fortement l’accent non seulement sur les conventions que doivent respecter les actes de langage, la compréhension du destinataire, mais aussi sur les intentions et le statut du locuteur. Cooren (2001), s’appuyant notamment sur les travaux de Derrida, critique le rôle prépondérant accordé dans cette conception à l’intention du locuteur dans la réussite de l’énoncé. Pour lui, tout énoncé prend une forme d’autonomie et il n’est pas nécessaire que le locuteur ait l’autorité nécessaire pour pouvoir réaliser un ordre. L’enfant qui prononce un ordre à l’intention de ses parents, n’a sans doute pas l’autorité suffisante pour le faire et pourtant l’acte illocutoire est réussi, une nouvelle réalité a bien été créée, un ordre a été donné. En utilisant la convention relative à l’ordre, l’enfant réussit son acte de langage (donner un ordre) quand bien même il n’a pas l’autorité pour le faire. En revanche, on peut prévoir que l’ordre ne sera pas suivi des conséquences attendues par l’enfant. L’acte illocutoire réussit mais l’acte perlocutoire attendu échoue. D’autres effets perlocutoires pourront néanmoins être produits et la réponse des parents à cet ordre pourrait être un autre ordre, ou encore le rire.

34 Il convient donc toujours, on l’a vu, de distinguer dans l’analyse de la performativité d’un énoncé, les effets et conditions liés à la performativité illocutoire et ceux liés à la performativité perlocutoire, aspects à notre connaissance le plus souvent occultés dans les travaux portant sur le discours stratégique. À cette confusion s’ajoute celle du niveau de discours le plus souvent étudié par les recherches en management. Si Austin et Searle s’intéressent à des énoncés prononcés entre des personnes, autrement dit au langage naturel, les travaux portant sur les effets des discours traitent le plus souvent de plans stratégiques, de projets, de discours officiels, renvoyant donc à un niveau mésoscopique et à un langage que Searle apparenterait peut-être au discours formel (voir Lash, 2015).

35 Revenant largement sur la distinction entre aspect perlocutoire et illocutoire et replaçant le débat au niveau microscopique, Cooren (2001) souligne qu’un effet perlocutoire ne peut être obtenu sans recours à la rhétorique, art de la persuasion au travers duquel le locuteur tentera de lier le contenu de son discours aux valeurs et désirs de l’interlocuteur. Étudiant la stratégie de communication du groupe Lafarge, Chanal et Tannery (2005) montrent ainsi que l’art de persuasion du dirigeant réside dans cette capacité à adapter sa rhétorique face à ses différents interlocuteurs, aspects aujourd’- hui largement étudiés par les travaux portant sur les conversations stratégiques. Au travers d’une analyse des pratiques discursives de managers durant une conversation stratégique, Samra-Fredericks (2003) met ainsi à jour les compétences rhétoriques d’un des participants lui permettant de faire valoir son point de vue. Quoique les participants soient de même niveau hiérarchique, et qu’aucun ne peut donc a priori faire valoir son point de vue, il est capable de redéfinir les orientations stratégiques, les statuts et rôles dans ce processus des autres participants, en opérant des micromouvements durant la conversation (e. g. recours aux nuances, démonstrations d’émotions appropriées, questions et requêtes). Whittle et al. (2014 ; 2015), de leurs côtés, étudient les pratiques discursives d’un responsable de projet dans un groupe de managers et montrent comment, par l’utilisation adaptative de la notion de « politique » comme catégorie et procédure d’interprétation, ce dernier est capable de convaincre les managers de prendre la responsabilité du changement stratégique, plutôt que de la laisser aux mains des dirigeants.

36 Si toutes les pratiques discursives sont loin de conduire à l’adhésion (voir Thomas et al., 2011 ; Patriotta et Spedale, 2009), ces travaux montrent combien l’adaptation des pratiques discursives du locuteur à celles des autres participants, et la capacité à montrer que l’on comprend ce que l’autre dit par ces mêmes pratiques discursives, sont essentielles à la production d’un effet perlocutoire désirable (adhésion des participants, construction d’une position commune).

37 Si Austin et Searle – avec la plupart des chercheurs étudiant les discours stratégiques – n’en analysent que les effets ponctuels, et que les analyses portant sur les conversations stratégiques portent rarement sur plus d’une réunion, ces travaux empiriques montrent que le sens d’un acte discursif est toujours lié à l’ensemble des actes de langage qui le précèdent et ceux qui le suivent. L’acte de langage n’est plus isolé mais prend place au sein de contextes plus larges, les actes de langage se répondent les uns aux autres, renforçant ou atténuant leurs effets performatifs : si je réponds par une promesse à un ordre qui m’a été donné, l’ordre gagne en force performative et le risque d’échec s’amoindrit.

38 Nous incitant à toujours replacer les actes de langage dans la temporalité de leur énonciation et à considérer des séquences temporelles plus longues, Ford et Ford (1995), s’appuient sur la classification des actes de langage de Searle (1972) et proposent de considérer l’enchaînement dans le temps des conversations dans la construction d’un changement intentionnel. Les auteurs expliquent ainsi que réussir un changement intentionnel nécessiterait de recourir à plusieurs types de conversations : celles initiant le changement (caractérisées par des actes assertifs, directifs ou promissifs), celles permettant la compréhension et la création de sens (caractérisées par des actes assertifs et expressifs), celles visant la réalisation d’actions (caractérisées par des actes directifs et promissifs) et enfin celles clôturant le changement (caractérisées par des actes assertifs, expressifs et déclaratifs). Cette analyse souligne toute la difficulté de la conduite du changement, en ce que chaque conversation est susceptible de ne pas produire les effets perlocutoires attendus.

39 Ces aspects temporels et perlocutoires de la performativité du discours, négligés par les conceptions premières, ont été plus particulièrement mis en avant par Judith Butler.

II – BUTLER : TEMPORALITÉ ET SUBVERSION DE LA PERFORMATIVITÉ

40 Philosophe américaine, Judith Butler (1990 ; 1997) se réapproprie dans un premier temps le concept de performativité d’Austin (1970) pour étudier les questions de construction du genre dans son ouvrage Gender Trouble.

1. La répétition au fondement de la performativité

41 Distinguant le sexe biologique du genre, Judith Butler (1990) met en avant l’idée que le genre se construit socialement au travers de pratiques. À l’opposé d’une conception considérant le genre comme préexistant aux actes, Butler défend que ce sont les actes qui construisent l’identité, créant une sorte d’illusion convaincante qui devient un objet de croyance. Dans cette perspective, ce qui est appelé identité du genre est en réalité une performance, contrainte par les tabous et conventions sociales. Considérer que le genre est une construction sociale permet d’imaginer que ce genre peut être construit différemment, autrement dit qu’il réside dans cette construction performative une possibilité de subversion.

42 Quelques années après ce premier ouvrage, Butler (1997) étudie la performativité du discours injurieux. Elle s’interroge plus particulièrement sur le pouvoir de blesser du discours et met en avant une conception également subversive de la performativité. Les discours, souligne-t-elle, peuvent être réutilisés à d’autres fins que leurs finalités premières, atténuant ou renforçant leurs effets. Ainsi, les discours injurieux peuvent être objet de réinterprétations, de re-significations et revêtir des significations nouvelles, positives. Le détournement par les communautés gays et lesbiennes du mot queer à l’origine insultant, la réappropriation par les groupes de rap noirs américains du qualificatif nigger, laissent ainsi penser que le discours peut être ré-adressé à son auteur dans d’une forme différente, provoquant un renversement de ses effets. À l’inverse, Hodgson (2005) montre qu’un discours à valeur positive, relevant le caractère professionnel du métier de chef de projet, peut être détourné par ces derniers, devenant source de parodies et de moqueries. Dans une perspective proche, Taylor et Bain (2003) mettent en lumière la façon dont les salariés au sein des call centers utilisent, en le détournant, le langage de l’organisation pour dénoncer certaines de ces pratiques (le recours systématique aux réunions, la surveillance des employés par exemple).

43 La performativité au sens de Butler diffère donc largement de celle d’Austin en lui attribuant un caractère aléatoire où la possibilité de subversion du discours est toujours présente, qu’elle soit intentionnelle ou non. Elle met ainsi en avant la notion d’itérabilité du discours chère à Derrida (1972), indiquant qu’il existe toujours une différence, une altération plus ou moins importante du discours initial lors de la répétition. Dès lors, le discours a un pouvoir variable et précaire, indiquant une performativité de nature discursive et normative qui ne se réduit pas à une série d’actes de discours isolés, mais qui, au contraire s’articulent au sein d’une chaîne de re-significations dont l’origine et les effets sont toujours incertains. Dans son analyse de la construction du genre, Butler (1990) avance ainsi l’idée que c’est la répétition d’actes en correspondance avec le genre socialement acceptable (une norme) qui permet à ce dernier de perdurer. C’est en se comportant comme une femme telle qu’imaginée et construite socialement que cette identité du genre femme continue d’exister et de performer.

44 De la même façon, en étudiant le discours raciste et injurieux, Butler (1997) montre que ce discours tire toute sa force de ses répétitions et de son inscription dans d’autres discours. En effet, le discours injurieux a d’autant plus de poids et de force qu’il fait suite à d’autres discours de même nature et qu’il renvoie à d’autres expériences injurieuses (Allard-Poesi et Huault, 2012). Dans une perspective proche, Fauré (2010) souligne que si les textes et paroles s’ancrent dans des conversations, ils s’inscrivent dans une méta-textualité qui vient par-là hanter les conversations (Cooren, 2004).

45 Cette mise en lumière de la temporalité et de la répétition chez Butler distingue sa conception de la performativité de celle d’Austin ou de Searle, dans laquelle l’énoncé n’est performatif qu’au regard du respect d’une procédure conventionnellement établie à un moment donné. Dans la conception butlerienne, la force de la répétition du discours supplante les intentions et le statut du locuteur. Le locuteur est secondaire, ne pouvant garder la maîtrise de l’énonciation puisque le langage (son historicité, ses conventions) excède toujours celui qui l’utilise. Au travers de son discours, le locuteur répète un ensemble d’histoires, de normes et d’agencements du discours qu’il ne maîtrise pas forcément. Butler s’oppose donc à la thèse d’Austin qui présente le caractère offensant d’un acte de discours comme lié nécessairement aux intentions du locuteur et à son statut. Pour Butler, la situation du discours n’est pas le contexte immédiat, qui pourrait être défini par des frontières spatiales et temporelles précises. La force du discours injurieux réside dans son caractère au contraire non anticipé et dans la chaîne de répétitions dans laquelle il s’inscrit. C’est d’ailleurs grâce et au travers de la reconnaissance de cette inscription dans une chaîne de répétitions que l’audience identifie et attribue une intention au locuteur.

46 La possibilité de subversion et la force de la répétition constituent donc deux caractéristiques centrales de cette conception de la performativité défendue par Judith Butler. Et si la répétition est une condition nécessaire à la performativité du discours c’est également au travers de la répétition qu’il est possible de subvertir le discours. Le contexte et les conventions qui y sont attachées perdent leur caractère immanent qu’ils avaient dans les conceptions antérieures pour dépendre et émerger de la répétition elle-même et de sa reconnaissance par le locuteur, si bien que l’acte de langage situé (le niveau microscopique du discours) renvoie et comprend toujours des aspects institutionnels et macroscopiques.

2. L’inscription temporelle du discours stratégique

47 Sans revendiquer cette conception du discours, plusieurs travaux de recherche portant sur le discours stratégique soulignent le rôle de la répétition dans le temps et par différents acteurs du discours stratégique.

48 Dans le cadre du changement stratégique, le rôle des managers, de par leur position intermédiaire au sein de l’organisation, a ainsi été largement souligné. Les recherches leur attribuent ainsi un rôle essentiel dans la reprise du discours stratégique puisqu’ils sont, dans bien des cas, chargés de transmettre et de traduire le discours de manière opérationnelle pour les destinataires finaux du changement (Balogun et Johnson, 2004 ; 2005). Et si, pour Rouleau (2005), le succès et la réussite d’un changement stratégique dépend de la capacité des managers à faire sens de la nouvelle orientation auprès de leurs collaborateurs, la reprise du discours par les managers lors de leurs conversations et interactions joue également un rôle important dans cette réussite de la stratégie. Ce rôle particulier de traduction entre le discours de la direction et la réalité opérationnelle des collaborateurs accroît très probablement la possibilité pour les managers intermédiaires de subvertir de façon volontaire ou involontaire le discours initial.

49 Étudiant les relations entre stratégie, discours et pratiques, Hardy et Thomas (2014) rendent compte de la dimension temporelle dans la mise en œuvre du discours stratégique. S’ils n’utilisent pas à proprement parler le terme de performativité, les auteurs se réfèrent à l’agentivité textuelle définie par Cooren (2004) et utilisent les termes de « pratiques d’intensification » du discours pour rendre compte des pratiques permettant au discours d’accroître ses effets. Dans une recherche portant sur un changement stratégique dans une entreprise de télécommunications européenne, les auteurs étudient deux volets principaux du discours stratégique de changement : un premier traitant de la volonté d’« être rentable » et un second, celle d’être « les premiers, les meilleurs ». Leur analyse rend compte de six pratiques d’intensification du discours stratégique dont l’une consiste à rattacher les actions mises en œuvre au discours stratégique initial, opérant ainsi un chaînage entre discours, une forme de répétition, qui contribue à la normalisation du discours. Les auteurs rendent également compte d’une différence de performativité entre les deux discours. Le discours « être rentable » est intensifié par davantage de pratiques différentes, relayé par davantage d’acteurs, s’inscrit plus durablement dans le temps que le second discours qui est peu repris et souvent contredit par les acteurs de l’organisation.

50 Hardy et Thomas (2014) analysent ainsi également les discours de résistance des employés, des syndicats et de la presse. Dans le cadre du discours stratégique « être rentable », les auteurs montrent un discours alternatif, celui des syndicats et du gouvernement, qui met en avant des valeurs nationalistes et égalitaristes. Ces derniers présentent les réductions de coûts non pas comme inévitables et bénéfiques mais comme étant des mesures inacceptables pour des raisons nationales d’éthique et d’équité. Ce discours alternatif ne trouve pas écho au sein de l’organisation et n’est pas repris par les salariés, renforçant alors la performativité du discours initial. À l’inverse, le discours « être les premiers, les meilleurs » est questionné par les médias qui soulignent le manque d’innovation technologique de l’entreprise par rapport à son premier concurrent. Ce discours initié par les médias est repris de manière diffuse au sein de l’entreprise de télécommunications par des acteurs divers (et notamment les managers intermédiaires). Cette subversion non intentionnelle du discours affaiblit la force du discours stratégique initial, qui perd en pertinence pour de nombreux acteurs. Ces résultats montrent l’effet tout relatif des discours subversifs, qui, lorsqu’ils relèvent d’initiatives délibérées, conduisent ironiquement à un renforcement du pouvoir du discours, au contraire de ceux qui sont simplement repris et répétés par les acteurs sans intention particulière. La subversion semble ainsi d’autant plus effective qu’elle est non intentionnelle, discrète plutôt qu’organisée et délibérée.

51 Ces travaux, avec d’autres (voir Abdallah et Langley, 2014 ; McCabe, 2010 ; Laine et Vaara, 2007) soulignent ainsi la variété des effets perlocutoires du discours stratégique et invitent à appréhender ses effets dans le temps : Le discours est-il repris, incarné, abandonné, subverti, dénigré ? Entre-t-il en concurrence avec d’autre discours ? Cette dimension, aux côtés des aspects matériels de la performativité, sont tout particulièrement pointés par les travaux s’inscrivant dans une approche sociotechnique de la performativité.

III – CALLON : UNE PERFORMATIVITÉ SOCIOTECHNIQUE

52 Le concept de performativité a également été largement mobilisé dans le cadre des science studies, centrées sur l’incidence des connaissances et méthodes scientifiques sur la réalité sociale (Muniesa et Callon, 2009). S’inscrivant plus particulièrement dans le champ de la sociologie économique, Callon (1998) est l’un des premiers à porter un intérêt particulier à la performativité des sciences économiques à laquelle il va consacrer plusieurs ouvrages : The Laws of the Markets (1998), Market Devices – en collaboration avec Millo et Muniesa (Callon et al., 2007), et Do Economists Make Markets ? – en collaboration avec MacKenzie, Muniesa et Siu (MacKenzie et al., 2007).

1. Des discours économiques aux pratiques

53 Alors qu’Austin et Searle envisagent le discours à un niveau microscopique et ponctuel, et Butler dans sa dimension historique, Callon (1998) inscrit sa conception du discours à un niveau macroscopique, s’intéressant aux effets des théories et discours scientifiques sur le fonctionnement économique. Pour lui, les sciences économiques ne décrivent pas une économie préexistante mais font naître cette économie. Elles performent l’économie en créant les phénomènes qu’elles décrivent (voir Muniesa (2014) pour une analyse approfondie et actualisée de la notion de performativité au sein des sciences économiques). Dans cette conception, nous sommes ainsi face à une performativité principalement perlocutoire, où les effets produits par les discours peuvent être à la fois attendus ou inattendus.

54 Pour Denis (2006), MacKenzie et Callon voient dans la lente stabilisation des énoncés mis à l’épreuve des situations réelles, l’essence même de la performativité et c’est lorsqu’ils arrivent à durer, c’est-à-dire à s’inscrire dans le monde (par l’intermédiaire d’objets, de textes, de dispositifs techniques complexes) que leur performativité s’accomplit. Callon (1998) s’extrait ainsi d’une définition purement langagière de la performativité pour y adjoindre une dimension matérielle, modifiant dès lors profondément le sens que lui accordent traditionnellement les philosophes du langage.

55 Parmi les études traitant de la performativité des sciences économiques, Muniesa et Callon (2009) vont ainsi distinguer deux types d’études selon leur intérêt pour les aspects principalement discursifs ou matériels de la performativité. D’un côté, il y aurait les recherches relevant d’une conception austinienne de la performativité (qualificatif emprunté à MacKenzie, 2007), celles qui s’intéresseraient principalement au langage, ce qui est dit par la science économique, les théories, les idées et leurs effets attendus – le perlocutoire attendu ; de l’autre, il y aurait les recherches envisageant les sciences économiques sous l’angle des pratiques, du faire et dont l’objectif serait d’étudier les agencements sociotechniques sous-tendant la construction des mondes économiques.

56 Dans cette conception dite générique de la performativité (MacKenzie, 2007), la performativité est associée à l’effectivité d’éléments de théorie économique (un modèle, un concept, une hypothèse), c’est-à-dire leurs incidences sur les pratiques des agents économiques.

57 Il y a donc, pour Muniesa et Callon (2009), deux types de performativité : celle qui, au travers de son énoncé, produit une nouvelle réalité en accord avec le contenu de cet énoncé, et celle qui au travers de cet énoncé, a des conséquences non prévisibles sur les pratiques, dispositifs et agencement du monde économique. Pour distinguer ce deuxième type de performativité, Muniesa et Callon (2009) utilisent le terme de performation pour insister sur le fait que « performer est une action, un travail », collectif le plus souvent. La performation renvoie ainsi à un ensemble d’activités et d’évènements qui instaurent ou modifient un agencement.

58 D’un point de vue théorique, ce type d’orientation vers les arrangements sociotechniques doit beaucoup à la théorie de l’acteur-réseau. En effet, la sociologie de l’acteur-réseau ou sociologie de la traduction (Callon, 1986 ; Latour, 2005) considère avec autant d’intérêt les entités humaines et non humaines dans la construction du monde qui nous entoure. Qu’il s’agisse de facteurs organisationnels, techniques ou discursifs, tous sont considérés dans cette conception comme d’importance équivalente dans l’analyse de la construction de la réalité.

59 De la même façon que Butler traite de chaînes de re-significations, les auteurs de la théorie de l’acteur-réseau considèrent que les relations au sein du réseau se réalisent au travers d’opérations de « traduction » ou des chaînes de transformations successives par lesquelles les acteurs individuels ou collectifs agissent en porte-parole et tentent d’enrôler de nouveaux acteurs. Les discours, sciences et théories circulent par traductions successives et continues, constituant une adaptation progressive des connaissances mais toujours susceptible d’être remise en cause au travers de controverses. De par sa nature déléguée et ses multiples traductions, ce qui est performé ne correspond jamais exactement au message prononcé (Cochoy, 2010). Si cette conception semble proche de celle de Butler, elle s’en démarque en mettant en avant l’importance du travail collectif dans la construction de nouvelles réalités, alors que Butler en privilégie la dimension temporelle, discursive et non intentionnelle. Pour que les faits ou théories accèdent à une certaine performativité, il leur est nécessaire de s’engager dans des chaînes de traduction, de consolider l’assemblage des éléments qui le composent, leur permettant ainsi d’acquérir le statut de matters of fact. Cette circulation nécessite un travail collectif sans lequel ce qui est performé se délite et finit par disparaître (Denis, 2006, p. 6). Ces performatifs nécessitent également un travail complexe impliquant des collectifs hétérogènes (humains et non humains). Ce qui compte dans ce travail, c’est d’altérer la composition du collectif en y intégrant de nouveaux objets, en négociant avec de nouveaux sujets, en enrôlant différents éléments qui vont chacun venir renforcer la performativité de l’énoncé. Il s’agit également d’un travail perpétuel, puisque ce qui est performé ne l’est jamais une fois pour toute, un travail est toujours nécessaire. Denis et Pontille (2010) utilisent le terme de travail de maintenance et montrent, au travers d’une analyse de la signalétique, la fragilité de la performativité si bien que des actions doivent être mises en œuvre pour la maintenir. S’appuyant sur les travaux de Callon (2007), les recherches plus récentes étudient la performativité de certaines théories organisationnelles sur les pratiques des organisations, en considérant qu’au travers des outils et techniques plusieurs théories sont susceptibles de cohabiter ou d’entrer en concurrence. D’Adderio et Pollock (2014) s’intéressent ainsi à la performativité de la théorie de la modularité dans la constitution des organisations tandis que Cabantous et Gond (2011) mettent en avant qu’un certain discours, celui de la théorie d’un choix rationnel, est enacté ou performé par les acteurs dans leurs prises de décision lorsque ce discours repose sur des outils (tels que les arbres de décisions ou des logiciels de planification budgétaire).

2. Du discours aux pratiques stratégiques

60 Si ces travaux mettent en avant la performativité de discours en tant que savoir sur les pratiques des organisations, ceux portant sur les discours stratégiques des organisations – et non pas le savoir ou les théories stratégiques – ont depuis longtemps souligné le rôle des pratiques matérielles dans le devenir des discours stratégiques. S’appuyant sur une conception foucaldienne du discours stratégique, perspective qui souligne le rôle des dispositifs matériels (en particulier des techniques dite de visibilité du réel) dans les effets d’un discours ou savoir, Ezzamel et Willmott (2008) montrent la façon dont un discours stratégique orienté sur la rentabilité est enacté au travers de nouvelles pratiques et technologies de comptabilité, d’une part, et une organisation orientée sur le travail en équipe, d’autre part. C’est en intensifiant le discours de pratiques et de technologies, en liant ces dernières au discours de rentabilité et de création de valeur, que le discours voit son effet performatif s’accomplir. Ces résultats font écho à ceux d’Hardy et Thomas (2014) qui montrent que les discours stratégiques ont d’autant plus de force qu’ils sont liés à certaines pratiques d’intensification impliquant leur reprise par de multiples acteurs, au cours ou en prévision de certaines actions (dans la planification stratégique par exemple).

61 Quoique ces travaux soulignent le rôle des pratiques techniques, et des artefacts matériels (par opposition à ce qui relèverait du « discours » uniquement) dans la performativité du discours, ils relèvent également que ces pratiques et objets ne suffisent jamais à cette performativité ; parce qu’ils n’impliquent pas, Hardy et Thomas (2014) le montrent, que le discours soit repris, parce qu’ils peuvent incarner un changement stratégique qui n’est pas souhaité et donc être liés à un contre-discours et rejetés. La recherche de Leclercq-Vandelannoitte (2011), s’inscrivant également dans une perspective foucaldienne, montre ainsi que l’introduction de tablettes auprès des conducteurs de chantiers dans une entreprise de bâtiment public, si elle est présentée comme une opportunité pour valoriser le travail de chef d’équipe en leur attribuant une plus grande autonomie de gestion, est également perçue comme un moyen d’accroître le contrôle sur les chantiers pour se substituer aux comptables et contrôleurs de gestion ; obligeant, quelque temps plus tard, à réintroduire des modalités de contrôle bureaucratiques plus classiques.

62 En ce sens, les objets et techniques ne peuvent être considérés comme participant de l’intensification d’un discours stratégique que s’ils sont accompagnés de discours congruents avec ce même discours (voir également Jarzabkowski et al., 2013).

CONCLUSION ET DISCUSSION

63 À travers ces différentes approches (voir tableau 1 de synthèse ci-après), il apparaît que la performativité est étudiée principalement sous deux aspects : illocutoire tout d’abord, où ce qui est dit crée une nouvelle réalité au moment et par le fait de son énonciation, et perlocutoire ensuite, où ce qui est dit crée une nouvelle réalité en conséquence de l’énonciation. Ces deux aspects, quoi que souvent confondus dans les recherches portant sur les discours stratégiques, mettent en avant des conditions de performativité bien distinctes. Nous revenons donc ici sur les points communs et différences des conceptions de la performativité des auteurs étudiés et soulignons, compte tenu de ces conditions, la fragilité des discours stratégiques. Nous discutons ensuite des dimensions illocutoires et perlocutoires du discours stratégique. Suivant ici le constat de Gond et al. (2015), ces éléments invitent à relever l’utilité mais également la faible mobilisation des travaux sur la performativité dans les recherches portant sur le discours stratégique, ouvrant la voie à de nouvelles questions de recherche.

Tableau 1

Synthèse des trois conceptions de la performativité

Auteurs Définition et conception de la performativité Conditions de la performativité Illustrations et prolongements
Austin -
Searle
La performativité est le fait pour un élément linguistique de constituer lui-même l’action qu’il décrit lors de son énonciation.
Performativité illocutoire, envisagé à un niveau microscopique – celui du langage naturel
– Respect et reconnaissance de certaines conventions et procédures
– Intentions et autorité du locuteur
– Compréhension et interprétation de l’interlocuteur
Rôle des conventions dans les effets illocutoires du discours stratégiques (Vaara et al., 2010 ; Kornberger et Clegg, 2011 ; Abdallah et Langley, 2014) Rôle de la légitimité du locuteur (Kahane, 2005 ; Hardy et al., 2000) Importance de la compréhension et de la réceptivité du locuteur via l’usage de symboles et de notions connues (Hardy et al., 2000 ; Abdallah et Langley, 2014).
Butler La performativité ne se réduit pas à une série d’actes de discours isolés mais s’inscrit au sein d’une chaîne de re-significations dont l’origine et les effets restent incertains.
Performativité illocutoire et perlocutoire, envisagée à un niveau microscopique et macroscopique au travers de la temporalité
Répétitions et re-significations du discours Rôle de l’enchaînement temporels des actes discursifs (Samra-Fredericks, 2003 ; Whittle et al., 2014) dans les et des conversations (Ford et Ford, 1995) stratégiques Rôle de la répétition et subversion du discours (Hardy et Thomas, 2014 ; Abdallah et Langley, 2014)
Callon La performativité s’accomplit lorsqu’un énoncé réussit à s’inscrire durablement dans le monde par l’intermédiaire d’objets, de textes, de dispositifs techniques complexes.
La performation est un ensemble d’activités et d’évènements qui instaurent ou modifient un agencement.
Performativité perlocutoire, envisagée à un niveau macroscopique, celui des discours scientifiques
– Inscriptions matérielles
– Travail collectif et continu
– Degré de concurrence entre discours
Rôle des dimensions discursives et matériels dans le changement stratégique (Ezzamel et Willmott, 2008) ; Leclercq-Vandelannoitte, 2011) ; Hardy et Thomas, 2014)
figure im1

Synthèse des trois conceptions de la performativité

64 Austin (1970) et Searle (1972) étudient principalement la force illocutoire des énoncés et indiquent alors comme conditions de performativité l’existence et le respect de conventions liées à l’acte, la compréhension du destinataire, les intentions et le statut du locuteur. Remettant en cause les intentions et le statut du locuteur comme conditions de performativité illocutoire, Cooren (2001) considère que les mots ont en eux-mêmes le pouvoir de faire agir, et ce indépendamment de celui qui prononce ou écrit l’acte de langage.

65 Adoptant un point de vue proche, la conception de Butler (1990) de la performativité semble également difficilement compatible avec celle de Searle et d’Austin. Alors que ces derniers placent au centre de leur analyse le contexte, le locuteur et ses intentions, Butler met en avant une performativité illocutoire du discours indépendante du locuteur, dépendante de la chaîne de citation et de re-significations dans laquelle il s’inscrit.

66 S’intéressant plus particulièrement aux effets perlocutoires du discours, elle indique que la condition première de performativité du discours est sa répétition. C’est au travers de ses répétitions que le discours acquérait une certaine force. Elle voit également dans la performativité une possibilité de subversion. Il existerait, dans la répétition, une possibilité de subvertir le discours, de façon intentionnelle ou non. En reprenant la théorie des actes de langage d’Austin, et en particulier ses dimensions conventionnelles et normatives, Butler (1997) souligne donc l’inscription temporelle du discours. Il s’exprime avant tout au sein de chaînes de répétitions, de re-significations et il est par ailleurs toujours possible d’en atténuer ou d’en renforcer les effets. Certains mots ou expression sont conventionnellement des insultes, mais Butler s’intéresse davantage aux conséquences de cet acte illocutoire, autrement dit à sa force perlocutoire : dans quelle mesure la personne insultée se sent-elle blessée par ces propos ?

67 Alors que Butler étudie davantage les aspects perlocutoires et temporelles de la performativité du discours, Muniesa et Callon (2009) mettent en avant la dimension matérielle de la performativité. Pour eux, c’est au travers de son inscription dans des agencements sociotechniques que l’énoncé réussirait à devenir performatif. Callon (1998) s’extrait également d’une dimension illocutoire de la performativité en étudiant principalement les conséquences de l’énonciation de certaines théories économiques sur les marchés financiers. Rejoignant Butler, il considère qu’un travail est toujours nécessaire pour faire perdurer le performatif, celui-ci étant toujours en sursis. Mais alors que Butler envisage le discours comme un acte matériel (voir Butler, 1993), la conception de Muniesa et Callon donne à penser que ce dernier dispose d’une plus grande fragilité, rendant nécessaire son ancrage dans des agencements sociotechniques.

68 Dans le cadre du discours stratégique de changement, les deux dimensions de la performativité à savoir illocutoire et perlocutoire ont tout leur intérêt, cependant qu’elles sont rarement explicitées dans les travaux existants. Qu’en est-il de la force illocutoire du discours au moment de son énonciation ? Est-ce que ce qui est dit dans le discours stratégique est bien ce qui est compris comme tel par les destinataires de ce discours ? Cette condition semble être un préalable à la réussite du discours et à sa force perlocutoire. En effet, comment participer d’un processus de changement si je n’ai pas reconnu que le discours était porteur d’un tel changement ? La dimension perlocutoire, celle des effets produits par le discours, peut être déclinée sous deux angles : celui des effets attendus (j’exécute l’ordre qui m’a été donné, je m’implique dans le processus de changement) et celui des effets inattendus (je décide de répondre par un autre ordre à mon interlocuteur, de ne pas m’impliquer). Pour créer l’un ou l’autre de ces effets perlocutoires (attendus ou non attendus), les recherches portant sur les discours soulignent principalement les rôles de la rhétorique (Cooren, 2001), de la répétition du discours dans le temps et par divers acteurs (Butler, 1997), des pratiques discursives et leur adaptation au cours des conversations (Samra-Fredericks, 2003 ; Whittle et al., 2014) et de l’intensification du discours par le biais de dispositifs pratiques et matériels (Hardy et Thomas, 2014).

69 Il semble cependant important de considérer que le discours s’inscrit toujours dans un contexte où d’autres discours existent, qu’ils soient forts et audibles ou non (ce que Cooren, 2001, appelle la rhétorique silencieuse de l’organisation), rendant ces discours potentiellement concurrents. La performativité du nouveau discours est alors limitée par ces autres discours, l’empêchant de prendre au sein de cette organisation. Il s’agirait alors d’affaiblir ces autres discours pour voir se développer la performativité du nouveau discours stratégique. Néanmoins, comme nous le montre Hardy et Thomas (2014), la subversion d’un discours n’est ni évidente ni forcément volontaire, et les tentatives affichées de subversion du discours peuvent amener au contraire à le renforcer.

70 Enfin, alors que les recherches en management stratégique ont tendance à voir dans les discours un ressort essentiel de construction de la réalité sociale, il semble ici qu’un discours doive répondre à de nombreuses conditions pour produire certains effets performatifs. Ce point rejoint l’analyse d’Alvesson et Kärreman (2011), pour qui les discours ont des forces variables, loin d’être tout puissants. Ils peuvent certes construire de nouvelles réalités mais peuvent également n’avoir que des effets très limités, voire pas d’effets du tout.

71 L’analyse menée, en soulignant la nécessaire distinction entre effet illocutoire et effet perlocutoire, en montrant que les discours stratégiques ne sont pas considérés et envisagés au même niveau, appelle les chercheurs à clarifier leur conception de la performativité du discours et à préciser les contours de leurs études empiriques. Elle ouvre également sur de nouvelles questions de recherche. Si l’on s’inscrit dans l’une ou l’autre des conceptions du discours et de la performativité, y-a-t-il, parmi les conditions envisagées, des conditions nécessaires et suffisantes ? D’autres plus accessoires ? Certaines conditions induisent-elles des effets attendus ? D’autres des effets inattendus ?

72 On peut également se demander dans quelle mesure un discours porteur de changement, par nature en/de rupture peut avoir un effet, et ce alors que l’inscription temporelle de ce discours et la capacité à le relier à d’autres discours, constituent, pour Butler et Callon notamment, une condition de sa performativité ?

73 La question de la concurrence entre discours mériterait également une attention particulière. La plupart des travaux s’inscrivant dans une conception discursive s’accorde pour reconnaître l’existence d’une multiplicité de discours concurrents, cependant que rares sont les travaux, à notre connaissance, qui prennent acte de cette diversité lorsqu’ils étudient les effets d’un discours de changement – un peu comme si le nouveau discours stratégique intervenait dans une organisation muette, vierge de tout discours antérieur. Prendre en compte et étudier ces discours antérieurs ou la rhétorique silencieuse de l’organisation apparaît ainsi comme un préalable nécessaire à l’appréciation des effets perlocutoires du discours stratégique.

74 La réflexion autour des conditions de performativité du discours stratégique, si elle en révèle toute la fragilité, ouvre ainsi sur de nombreuses questions et pistes de réflexions susceptibles de nourrir les recherches futures.

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Les auteurs remercient sincèrement les relecteurs, Jean-Philippe Denis et Chahrazad Abdallah pour leurs encouragements et suggestions. Leurs remerciements vont également aux participants de la XXIVe Conférence de l’AIMS, au cours de laquelle une version antérieure de l’article a été présentée.
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