Couverture de RFG_257

Article de revue

Comment vaincre l’anxiété en situation extrême ?

Les secrets du GIGN, unité d’élite de la gendarmerie nationale

Pages 129 à 147

Notes

  • [1]
    Le taux d’accord inter-codeur est de 94 % (Miles et Huberman, 1994) sur les 40 événements critiques collectés.

1 Feu Peter Drucker, le célèbre théoricien américain, écrivait dans l’un de ses best sellers la chose suivante : « l’entreprise est une forêt vierge, et vous devez apporter votre machette » (Drucker, 1993). En une phrase seulement, il avait résumé la mue organisationnelle qui s’opérait à la fin du siècle dernier. Une mue vers des contextes changeants, des socles organisationnels plus mouvants, plus incertains, voire plus dangereux que des chercheurs ont commencé dès lors à décrypter et analyser en profondeur (Berry, 2005 ; Melkonian et Picq, 2014). La terminologie de « contexte extrême » s’est alors imposée dans les écrits académiques. Elle désigne toute situation simultanément marquée par l’incertitude, le risque et le changement (Aubry et al., 2010 ; Bouty et al., 2012).

2 Dans ce type de situation, il est monnaie courante que les individus expérimentent des émotions intenses qui peuvent avoir un impact immédiat et significatif sur leurs actions, leurs prises de décision et la dynamique d’équipe (Ashkanasy et al., 2000 ; Putman et Mumby, 1993). Des travaux récents se sont intéressés à la régulation de ces émotions fortes, souvent négatives en situations extrêmes, telles la colère et la peur (Coge et al., 2011 ; Sinaceur et al., 2011). Parmi la liste des émotions intenses souvent associées à des contextes extrêmes, on retrouve l’anxiété (Loewenstein et al., 2001) dont le rapport au contrôle de soi (Smith et Ellsworth, 1985) et à la prise de risque (Yip et Côté, 2013) ont fait l’objet de plusieurs investigations de « terrain » et « en laboratoire ».

3 L’anxiété est une émotion importante car elle peut avoir un impact à la fois positif et négatif sur la performance et la motivation. La loi de Yerkes-Dodson (1908) illustre cette relation en U inversé, et marque une distinction entre une anxiété « bénéfique » et une anxiété « nuisible ». Un niveau d’anxiété très bas peut être tout aussi néfaste qu’un niveau d’anxiété élevé. Dans ces deux cas de figures, l’anxiété peut être associée tantôt à la perte de la mémoire (Schmeichel et al., 2008), la perte de motivation, la perte d’autonomie (voir Bandura, 1997), et la baisse de confiance en soi ce qui influence notre capacité à prendre de bonnes décisions (Brooks, 2014). Il semble néanmoins qu’un niveau d’anxiété « optimum » existe (Goleman, 1995) et peut avoir un effet positif sur la motivation (Eysenck et al., 2007) ou encore sur la capacité des individus à penser de manière créative (Goleman, 2000). C’est pourquoi, la plupart des individus cherchent à mettre en place des stratégies de régulation pour amener l’anxiété à des niveaux d’intensité modérée. Comment y parviennent-ils ? Brooks (2014) invite les chercheurs à se pencher sur la question jugeant la contribution académique jusqu’alors « limitée ». Dans cette veine, notre article se propose d’étudier les stratégies émotionnelles employées par les gendarmes de la force « intervention » (FI) du GIGN dans des situations de forte tension pour réguler leur niveau d’anxiété.

4 Étudier des univers « non business » et qui plus est, spécifiquement militaire ou policier, pour comprendre les mécanismes comportementaux dans des organisations plus classiques est une tradition de longue date qui perdure tant la transposition entre les deux univers est naturelle (Lane et al., 2012 ; Melkonian et Picq, 2010). En outre, la capacité de régulation de l’anxiété dans le milieu militaire est d’autant plus importante qu’elle peut réduire l’éventualité d’un stress post-traumatique dans les cas les plus extrêmes (Halperin et Gross, 2011). À l’aide une approche qualitative reposant sur l’analyse d’entretiens menés avec des membres du GIGN, croisée aux résultats d’un questionnaire spécifique (Emotion Regulation Questionnaire), nous décrivons comment ces individus soumis à de fortes pressions parviennent à transformer l’anxiété en une émotion motivante (plutôt qu’un frein à l’action).

I – REVUE DE LA LITTÉRATURE SUR L’ANXIÉTÉ ET POPULATION ÉTUDIÉE

1. Définition de l’anxiété

5 L’anxiété peut être définie comme une sensation de danger imminent et d’origine indéterminée. Cette émotion est caractérisée par une stimulation forte, une valence négative, de l’incertitude et un faible sentiment de contrôle sur la situation (Brooks, 2014 ; Raghunathan et Pham, 1999 ; Smith et Ellsworth, 1985). L’incertitude se traduit par l’éventualité d’un changement inopiné nécessitant une adaptation rapide de la part des individus (Bouty et al., 2012).

6 Il est important de distinguer ici deux formes d’anxiété : l’anxiété comme un trait de personnalité (trait anxiety) et l’anxiété comme état émotionnel (state anxiety) lié à une situation spécifique (Bruchon-Schweitzer et Paulhan, 1993). L’anxiété-trait correspond à un type de personnalité. C’est un état psychique ressenti de manière récurrente par la personne qui peut mener à des troubles de l’anxiété (Spielberger, 1985). Cette forme d’anxiété est jusqu’à présent la plus étudiée (Brooks, 2014), notamment dans de la littérature sur le stress et le coping (Lazarus, 1966).

7 Cependant, la forme d’anxiété que nous étudions ici est l’anxiété en tant qu’état émotionnel survenant à un moment précis. Cette forme d’anxiété est une réaction émotionnelle, physiologique, et peut être ressentie par tout un chacun (Gino et al., 2012). Elle provient de notre perception de l’ici et du maintenant. Dans la suite de notre propos, nous utilisons le terme « anxiété » pour désigner l’anxiété en tant qu’état émotionnel défini comme « un état de détresse et/ou de stimulation physiologique en réaction à un stimulus comme une situation inédite accompagné d’un potentiel effet indésirable » (Brooks et Schweitzer, 2011, p. 44). L’anxiété est donc une réponse émotionnelle à une menace potentielle, qu’elle soit mineure – comme un mauvais souvenir – ou majeure – comme la mise en danger de l’intégrité physique ou de l’honneur d’une personne (Brooks, 2014). Dans notre étude, les menaces potentielles constituent un danger majeur pour les gendarmes du GIGN qui peuvent être confrontés à la violence sous toutes ses formes : verbale, morale ou physique.

2. La régulation de l’anxiété

8 Ces dernières décennies, des travaux de recherche se sont penchés sur la régulation de l’anxiété. Les experts ont pu identifier deux stratégies de régulation émotionnelle utilisées pour réduire l’impact négatif de l’anxiété : la suppression expressive et la réévaluation cognitive (Christophe et al., 2009).

9 La suppression expressive permet de masquer l’émotion ressentie en bloquant consciemment le message émotionnel (réponse physiologique, expérientielle et comportementale à une situation donnée ; Gross, 1998). Cette stratégie de régulation peut être utilisée dans un contexte où une émotion n’a pas sa place : par exemple pour empêcher d’exprimer une émotion positive comme la joie lors d’un enterrement, ou pour se retenir d’exprimer de l’amusement lorsqu’une personne fait un lapsus embarrassant lors d’une conversation sérieuse. La suppression expressive est donc une modification de notre comportement vis-à-vis d’une émotion pour en masquer la présence à l’observateur (Gross, 1999). Néanmoins, cette stratégie ne fait pas « disparaître » notre ressenti, pas plus que l’activation physiologique, bien au contraire (Gross et Levenson, 1997). En effet, des études ont montré que la suppression expressive peut même amplifier l’expérience émotionnelle que l’on cherche à « supprimer » (Brooks, 2014) et ternir à terme nos relations sociales, les tentatives de feindre ou masquer des émotions étant généralement facilement détectables par autrui (Butler et al., 2003). Dans le cas de l’anxiété, la suppression expressive s’est révélée inefficace pour réguler et atténuer l’impact négatif sur la performance (Brooks, 2014).

10 La réévaluation cognitive fait partie d’un processus cognitif visant à réguler une émotion en augmentant ou en diminuant son intensité émotionnelle (Gross et John, 2003 ; Lazarus et Alfert, 1964). Cette stratégie se base sur la capacité d’un individu à pouvoir réinterpréter une situation pour ainsi moduler sa réponse émotionnelle. Par exemple, à la vue d’un documentaire TV sur les urgences pouvant heurter la sensibilité, plutôt que de se focaliser sur les images choquantes de sang et la souffrance des patients, l’individu peut choisir de regarder le film de manière détachée en adoptant le point de vue d’un membre de l’équipe médicale. Cela aura pour effet principal de réduire l’expérience subjective des émotions négatives (Richards et Gross, 2000 ; Butler et al., 2003). Il est à noter que la réévaluation cognitive intervient à un stade précoce du processus émotionnel puisqu’elle permet de prévenir une réaction et de modifier ainsi notre réponse émotionnelle (Christophe et al., 2009).

11 Par ailleurs, la réévaluation cognitive est généralement reconnue comme étant la méthode la plus performante pour réguler les émotions négatives (voir Brooks, 2014 ; Gross et Levenson, 1993). Enfin, d’après les travaux de Brooks (2014), la réévaluation cognitive peut être réalisée à un faible coût physiologique (processus qui ne mobilise pas beaucoup de ressources de l’organisme), cognitif (ex. concentration maintenue dans une situation stressante) et interpersonnel (ex. réussir à garder son calme dans une situation de conflit avec une ou plusieurs personnes).

12 Notre article cherche à observer si les membres du GIGN utilisent, comme le suggère la littérature théorique, préférentiellement des stratégies de réévaluation cognitive pour réguler leur anxiété en situation extrême et si ce type de stratégies est bel et bien efficace. Si tel est le cas, cela doit profiter également au collectif (Barsade et Gibson, 1998). Et si tel n’est pas le cas, nous voulons comprendre si des différences de spécialisation au sein du GIGN, de personnalité et d’expérience ont un impact sur le type et la qualité de stratégie de régulation adoptée par ces gendarmes.

3. Population investiguée

13 Avant de donner le détail démographique de notre échantillon cible, présentons rapidement notre population, le GIGN.

Fondements du GIGN

14 Le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, plus connu sous l’abréviation GIGN, est une unité d’intervention de la gendarmerie nationale spécialisée dans le contre-terrorisme, les situations de prise d’otage et, plus globalement, dans les opérations à forts enjeux.

15 Le GIGN a été créé en 1974 suite aux événements dramatiques des Jeux olympiques de Munich durant lesquels les athlètes de l’équipe israélienne ont été pris en otage puis exécutés. Le GIGN s’est aussi illustré dans le sauvetage des otages du vol Air France 8969 en décembre 1994. Plus récemment, le GIGN s’est illustré dans la neutralisation des deux terroristes responsables des attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015.

Périmètre d’action

16 Leur domaine d’intervention n’est pas limité au territoire français : certains gendarmes ont effectué des missions en Afghanistan ou ailleurs. Le GIGN collabore avec d’autres unités de l’Armée française mais aussi avec le RAID (Recherche assistance intervention dissuasion). À l’étranger, le GIGN peut être amené à côtoyer des unités des forces armées européennes, canadiennes ou encore le FBI (Federal Bureau of Investigation) aux États-Unis. Ces collaborations ont généralement un but défini et précis : coopération stratégique, entraide grâce à un entraînement ou acquisition d’une compétence spécifique. Le GIGN est d’ailleurs mondialement reconnu pour ses compétences en matière de négociation dans des situations critiques et plus généralement pour ses entraînements intensifs. Leur devise est : « s’engager pour la vie », ce qui rappelle bien l’abnégation et le courage dont font preuve ces hommes dans le cadre de leurs missions.

Les missions du GIGN

17 Les missions du GIGN ont toutes un enjeu majeur. Néanmoins, il existe une classification formelle de leurs missions :

18

  • Les entraînements quotidiens : ils sont essentiels à la bonne préparation des missions de terrain. Leur caractère « réaliste » (tirs à balle réelle, reconstitution fidèle de scène d’intervention, etc.) les rendent aussi anxiogènes que les interventions réelles.
  • les crises domestiques qui concernent les cas suivants à gérer : un forcené armé (personne retranchée armée pouvant être une menace), une rétention familiale (une personne retient un ou plusieurs de ses proches contre son (leur) gré et menace de porter atteinte à son (leur) intégrité physique), ou encore les extorsions de fonds.
  • les prises d’otage qui incluent : les actes criminels et les actes terroristes.

19 Les objectifs pour cette unité d’élite sont notamment de prendre contact avec le ou les auteur(s) potentiel(s), à des fins multiples (prise de renseignement, diversion, etc.) ; également, d’obtenir la libération des otages et, si possible, la reddition de la ou des personne(s) responsable(s) en utilisant diverses techniques et tactiques de négociation intégrées au sein d’un dispositif de crise global.

MÉTHODOLOGIE

Nous avons choisi une stratégie de recherche de type qualitatif de manière à pouvoir recueillir directement des informations (Mintzberg, 1979) sur le terrain susceptibles de nourrir et construire des propositions (Taylor et Bogdan, 1984) permettant de mieux comprendre la régulation de l’anxiété en situation extrême.
Neuf membres de la force « intervention » ont été interviewés : un chuteur opérationnel, un tireur d’élite, un plongeur d’intervention, un instructeur de la force formation, le responsable de la communication, trois négociateurs et un équipier. 80 % des participants ont plus de 8 ans de service au GIGN (séniors) et les 20 % restant ont entre 1 et 3 ans de services (junior). Les gendarmes du GIGN ont entre 34 ans et 46 ans, leur âge exact ne peut être divulgué. Enfin, il faut noter que la population étudiée est masculine ; à ce jour, la force intervention ne compte pas de personnel féminin.
Nous avons conduit 13 entretiens semi-directifs (certaines personnes ont été interrogées plusieurs fois pour approfondir les premiers entretiens) de 1 h 30 en moyenne. Ces entretiens se sont déroulés au quartier général du GIGN à Satory, Versailles. Les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits afin d’être analysés. Ces récits nous ont permis d’identifier 40 « événements critiques » (Flanagan, 1954) durant lesquels sont utilisées des stratégies de régulation émotionnelle. Il a été émis l’hypothèse selon laquelle les événements critiques qui mènent à des émotions fortes créent des « marqueurs somatiques » dans la mémoire d’une personne qui en garde un souvenir vivace (Damasio, 1998).
Les participants ont également passé l’Emotion Regulation Questionnaire (Gross et John, 2003) en version française (taux de retour : 90 %) pour que l’on puisse déterminer leur « tendance naturelle » à utiliser tel ou tel type de stratégies de régulation émotionnelle.

20 Il est important de souligner ici que la classification ci-dessus est purement formelle et ne révèle en rien la dangerosité de la mission. Ainsi, une mission avec un forcené en milieu rural peut se révéler bien plus périlleuse qu’une prise d’otage où des ravisseurs, même « endurcis », restent ouverts à la négociation. Par conséquent, le niveau d’anxiété n’est pas nécessairement corrélé à la nature de la mission.

La composition du GIGN

21 L’unité d’élite se compose aujourd’hui d’environ 400 personnels répartis en six forces opérationnelles : la force intervention (FI), la force observation et recherche (FOR), la force sécurité et protection (FSP), le détachement du groupe de sécurité de la Présidence de la République (GSPR), la force « appui opérationnel » (FAO) et la force formation.

II – RÉSULTATS

22 Les données recueillies (entretiens semi-directifs et résultats de l’ERQ) ont été analysées dans le but de déterminer quel type de stratégie est utilisé préférentiellement (suppression ou réévaluation) dans une situation extrême par les membres de la force intervention et à quel degré d’efficacité ces stratégies fonctionnent. Plus finement, nous avons codé les événements critiques en les caractérisant par type d’expertise du répondant (spécialisation dans la force intervention), type de mission (entraînement, crise domestique, prise d’otage), niveau d’anxiété subjectivement ressenti par le répondant (sur une échelle de 1 à 7), stratégie de régulation utilisée face à l’événement (suppression ou réévaluation), moment où la régulation opère (avant – pendant – ou après l’événement critique) et enfin efficacité perçue de la stratégie utilisée pour réguler l’anxiété selon le participant [1]. À titre d’illustration, prenons cette situation qui nous a été racontée par un chuteur opérationnel du GIGN. Un forcené s’était enfermé dans un ancien bunker désaffecté, avec plusieurs kilos d’explosifs puissants. Il menaçait de se faire sauter, ainsi que tout son environnement immédiat compte tenu de la charge. La colonne d’intervention s’était positionnée devant la porte du bunker en attendant l’ordre éventuel d’intervention. Cette équipe savait que si le forcené mettait sa menace à exécution à ce moment, ils seraient immédiatement tués par l’explosion. Il s’est alors écoulé plusieurs minutes durant lesquelles le forcené et l’équipe de négociation se sont parlé. Ce temps, qui paraissait être une éternité pour l’équipe d’intervention, était très anxiogène : dans l’esprit des gendarmes défilaient alors une succession d’images, comme celles de leurs proches, de leur famille. Ces visions peuvent être extraordinairement déstabilisantes pour le succès de la mission. Ce fameux film de la vie qui défile rapidement lorsque la probabilité « d’y rester » est grande. Pour réguler cela, le chuteur opérationnel interrogé a mis en place une stratégie de suppression expressive (en tentant d’adopter une expression neutre du visage) pour éviter de transmettre son anxiété aux autres membres du groupe. Cela a eu pour effet de masquer son ressenti, sans alarmer ses coéquipiers. Malgré tout, la stratégie de suppression expressive n’a pas fait baisser le niveau d’anxiété du chuteur opérationnel pendant l’opération. Ce n’est qu’après la reddition du forcené que cette tension est tombée.

23 Nous ne nous intéressons dans ce papier qu’aux événements critiques avec des niveaux d’anxiété perçus de fort à très fort (scores ≥ 4/7, soit 73 % des situations étudiées) puisque notre objectif est d’investiguer des situations « extrêmes ». L’analyse des données montre que la stratégie de réévaluation cognitive est majoritairement préférée, lors d’un entraînement, par la population étudiée. Elle est utilisée avant et pendant l’événement et est perçue comme plus efficace que la suppression expressive. Par ailleurs, nos résultats confirment que la réévaluation l’emporte en fréquence d’utilisation dans les situations de crise domestique, avec une efficacité perçue encore plus élevée. Le contraste entre les deux stratégies est donc plus marqué sur ce type d’intervention. La stratégie de réévaluation est également utilisée à différents moments (avant, pendant ou après l’événement critique) sans que cela semble diminuer son efficacité.

24 Lors d’une prise d’otage, la réévaluation est préférée dans 70 % des cas, ce qui est équivalent aux deux autres catégories. En revanche, dans les cas où la stratégie de suppression est préférée, l’efficacité perçue de celle-ci est élevée, bien supérieure à la perception d’efficacité dans les situations d’entraînement ou de crise domestique. Il faut cependant souligner que même si la personne parvient effectivement à masquer son émotion durant la prise d’otage, cet effet n’est que de courte durée. L’anxiété « supprimée » refait rapidement surface et nécessite une réévaluation efficace après l’événement pour pouvoir être contrôlée.

III – ANALYSE DES RÉSULTATS

1. La réévaluation : clé de la performance en situation extrême

25 En premier lieu, nous avons constaté que pour une mission donnée (entraînement, crise domestique, prise d’otage), deux interventions pouvaient être perçues avec un niveau d’anxiété significativement différent. Par exemple, un premier entraînement à un saut de parachute pouvait être perçu comme beaucoup plus anxiogène que l’arrestation d’un forcené. Cette observation confirme bien que la nature de la mission ne détermine pas la dangerosité perçue par l’opérationnel. De façon plus surprenante, nous avons remarqué que les entraînements peuvent être autant générateurs d’anxiété qu’une intervention réelle. Ceci s’explique par le caractère éprouvant des entraînements et du travail d’automatisation des réflexes. Les exigences sont extrêmement élevées pour refléter au mieux l’expérience réelle de la mission et préparer ces gendarmes d’élites aux situations les plus périlleuses. L’excellence de l’entraînement permet à chaque personnel d’avoir une meilleure appréhension des effets de l’anxiété sur son comportement, de pouvoir anticiper ces réactions et donc, d’apprendre à les contrôler.

26 La réévaluation est de très loin la stratégie la plus utilisée dans les faits par notre échantillon, surtout avant (ex : durant la période de transport jusqu’au lieu de l’intervention) et après la mission (ex : pendant la phase de débriefing où l’on évalue sa performance). Nous remarquons néanmoins, lors des crises domestiques, que les gendarmes éprouvent le besoin de réguler leurs émotions aussi « pendant » l’intervention. Cela peut être dû à la nature du contexte, dans le cas de prise d’otage familiale par exemple, qui pousse les gendarmes à un effort mental constant pour ne pas faire le lien entre ce qu’ils perçoivent et vivent lors de l’intervention et leurs proches ou leur propre situation familiale (maritale, parentale, etc.). La stratégie de réévaluation est également la plus efficace pour réguler l’anxiété avec un niveau d’efficacité moyen de 6 sur 7 (voir figure 1) quel que soit le moment de la mission (avant, pendant, après).

27 A contrario, la stratégie de suppression n’est utilisée que pendant la mission. Cette stratégie se solde par un très faible niveau d’efficacité en moyenne (3,6 sur 7, voir figure 1). Néanmoins, il est important de souligner que la suppression est utilisée dans les cas où l’anxiété est très élevée (5,9 sur 7 en moyenne, voir figure 1). La réévaluation cognitive, certes plus efficace, est utilisée dans des situations en général un peu moins anxiogène (4,2 sur 7 en moyenne). Un « seuil d’intensité » (à 5,9/7) marque donc le risque d’un passage d’une stratégie de réévaluation à une stratégie de suppression moins efficace (voir figure 2).

Figure 1

Niveau d’anxiété et efficacité des stratégies de régulation émotionnelle

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Niveau d’anxiété et efficacité des stratégies de régulation émotionnelle

28 La raison principale fournie par les membres du GIGN pour l’utilisation de la stratégie de suppression est d’éviter le phénomène de contagion émotionnelle (transfert des émotions d’un individu à un autre par simple mimétisme comportemental, Barsade, 2002). En effet, afin de garder le moral de l’équipe, aucun gendarme du GIGN ne montrera son anxiété pendant la mission pour ne pas contaminer ses collègues, d’autant plus que la recherche montre que les émotions négatives sont plus contagieuses que les émotions positives, notamment dans un contexte « groupe » (Barsade, 2002 ; Joiner, 1994).

29 Comment expliquer le choix de la suppression expressive dans une situation très anxiogène ? Dans ce type de situation, le cerveau tend sans doute à privilégier un mécanisme de régulation plus simple, rapide, primaire, « en surface », pour parer au danger (tel est le cas de la suppression qui agit par exemple sur des modifications « basiques » d’expressions faciales, universelles et pré-codées ; Ekman, 1999) quand la réévaluation cognitive, elle, semble plus difficile à mettre en place. En effet, la réévaluation repose avant tout sur un travail de préparation et d’anticipation en amont de l’opération. Avant de devenir un comportement-réflexe, l’utilisation de la stratégie de réévaluation doit être éprouvée. Cela nécessite des années d’entraînement, donc une expérience certaine. Cela vient corroborer l’observation suivante. Lorsque l’on compare les scores obtenus pour l’ERQ, on remarque une différence significative entre les séniors et les juniors (voir figure 3). Effectivement, si la réévaluation semble faire l’unanimité auprès des séniors, ce n’est pas le cas pour les juniors qui ont une préférence moins marquée pour la stratégie de réévaluation.

Figure 2

Choix de la stratégie de régulation émotionnelle selon le niveau d’anxiété perçu

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Choix de la stratégie de régulation émotionnelle selon le niveau d’anxiété perçu

Figure 3

Préference de stratégie de régulation par séniorité

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Préference de stratégie de régulation par séniorité

30 Cette variation s’explique par la différence d’expérience entre ces deux sous-populations et semble nous indiquer qu’il y a une période d’apprentissage pour utiliser la réévaluation cognitive volontaire qui est un mécanisme sans doute plus élaboré (que la suppression), une machinerie mentale plus lourde à mettre en place, qui agit en profondeur et exige donc plus de temps et d’efforts du cerveau qui activeraient des échanges sophistiqués entre plusieurs zones cérébrales (Banks et al., 2007).

31 Même s’il existe des différences entre les juniors et les seniors, la tendance générale est à l’utilisation de la réévaluation cognitive, stratégie la plus efficace, dans les situations anxiogènes (avec une préférence, plus par facilité que par soucis d’efficacité, du cerveau humain pour la stratégie de suppression passé un certain seuil d’intensité de l’anxiété). Une question reste néanmoins en suspens : Comment ces gendarmes réévaluent-ils concrètement leur anxiété ?

2. Quatre étapes à maîtriser pour une réévaluation efficace

32 Suite à l’analyse de nos entretiens, nous avons pu identifier un mode de comportement récurrent dans la mise en place de stratégie de régulation de l’anxiété par les gendarmes du GIGN. Ce processus pour réévaluer l’anxiété comporte quatre étapes : préparation – confiance – concentration – partage. Ces étapes proviennent directement de l’analyse de l’expérience acquise par ces hommes de terrain et reflètent donc une réalité pratique et non théorique. Tous les témoignages obtenus convergent : les étapes suivent un seul et même ordre, défini comme étant le plus efficient par ces hommes de terrain (en premier la préparation, en deuxième la confiance, etc.).

33 La phase de préparation comporte plusieurs éléments : la préparation physique, mentale et émotionnelle. À ce propos, un formateur du GIGN nous a affirmé que la préparation physique va permettre à l’opérationnel « d’absorber » une partie de l’anxiété ressentie. En effet, les personnels du GIGN sont souvent confrontés à la violence physique et doivent pouvoir y faire face à tout moment. La préparation mentale et émotionnelle est un travail d’anticipation permanent : il faut pouvoir identifier les menaces potentielles et imaginer différents scénarios en amont pour pouvoir y réagir efficacement le cas échéant lorsque le « top action » est donné. Cela s’exprimait, par exemple, dans des phrases telles que : « j’étais suffisamment préparé » ou « je savais à quoi m’attendre grâce à mes entraînements ». Ce travail de préparation est particulièrement important en début de carrière des hommes du GIGN et va de pair avec l’étape suivante : la confiance.

34 La notion de confiance est capitale pour les hommes de la force intervention : confiance en soi, dans l’équipe, mais aussi dans l’équipement et le matériel. En effet, le GIGN utilise un matériel de pointe qui demande un soin particulier, mais également une bonne connaissance de son fonctionnement. L’un des symboles de cette confiance est le « tir de confiance » qui conclut la formation au GIGN : les futurs opérationnels ont pour objectif de tirer sur une cible en argile placée sur le gilet pare-balle d’un de leur frère d’arme. La confiance agit, dans une telle situation à haut risque, comme un catalyseur d’émotions positives, et donc par voie de conséquence, comme un inhibiteur d’anxiété. Cette tradition est une démonstration forte des compétences de ces gendarmes d’élite tant d’un point de vue « technique » que mental. Des phrases telles que : « je sais que mes camarades sont derrière moi », « j’ai conscience de mes capacités et je sais quand je sais faire ou quand je ne sais pas faire », ou encore « j’ai utilisé ce matériel une centaine de fois donc au bout d’un certain temps on le connaît bien, comme on se connaît soi ». Ces deux premières étapes constituent le « socle » de la séquence sur laquelle les opérationnels s’appuient pour réévaluer leur anxiété. En d’autres termes, leur préparation et la confiance dont ils font preuve (dans leur capacité à réussir la mission, avec le reste du groupe) leur permettent de relayer l’anxiété au second plan et de passer à l’étape suivante : la concentration.

35 Pour que la concentration de ces hommes d’action soit optimale, il est nécessaire de pouvoir faire abstraction de toutes distractions potentielles. Au GIGN, que ce soit en intervention ou durant une négociation, les émotions sont considérées comme un facteur possiblement « polluant » pour l’action et il faut donc savoir les contrôler. Pour rester complètement concentrés, les négociateurs du GIGN poussent parfois la maîtrise de leurs émotions jusqu’à pouvoir en tirer profit lors d’une mission : par exemple, le négociateur, pour calmer un interlocuteur violent, peut lui transmettre une émotion contraire par une phrase du type : « quand j’entends votre colère, je me sens agressé ». Les personnels du GIGN expriment la nécessité d’une concentration extrême en ces termes : « à ce moment là, il n’y a que la mission qui compte », « je me concentre sur l’objectif et je fais abstraction de tout ce qui pourrait gêner mon jugement et mes actions ». Cette étape de concentration permet aux opérationnels du GIGN de tester en situation l’efficacité de leur régulation de l’anxiété et d’évaluer leur préparation et leur confiance. En d’autres termes, si l’anxiété a pu être un frein à l’action à un moment donné, alors la maîtrise d’une des étapes précédentes n’était pas encore parfaite. Cependant, même dans le cas où la concentration est portée à son maximum pendant l’action et que l’anxiété semble avoir été « apprivoisée » à ce stade, il faut souligner l’importance de la dernière étape qui boucle la séquence de la réévaluation : le partage.

36 Le partage se traduit de différentes manières : il est notamment très important lors des RETEX (RETour d’EXpérience) pour pouvoir prendre du recul et avoir l’avis des autres membres de l’équipe sur la performance réalisée après la mission. La dimension collective de l’intervention est également ce qui pousse les opérationnels à se dépasser sur le terrain. La formation de la colonne d’assaut en est un bon exemple : les opérationnels les moins expérimentés sont placés à l’avant et sont toujours accompagné d’un binôme plus expérimenté. Par conséquent, les plus jeunes apprennent très vite à appréhender des situations inédites (puisqu’ils sont en « première ligne ») mais peuvent toujours compter sur l’expérience de leurs aînés.

37 Cette étape montre la présence d’une valeur importante au GIGN : l’humilité. Le travail de partage permet à chaque membre du groupe de se « dévoiler » et d’identifier des axes d’amélioration à intégrer à leur prochaine préparation pour avoir une réévaluation plus efficiente la mission suivante. D’ailleurs, ces gendarmes soulignent l’importance de cette étape dans leur propos : « c’est dans le partage, par le RETEX par exemple, qu’on arrive à progresser, on ne se voit pas nous même dans l’action, c’est les autres qui peuvent t’apporter du feedback » ou « la force de la FI est dans le groupe, chez nous on apprend vite à se dire les choses parce que notre santé et parfois nos vies dépendent de nos camarades ». Enfin, le partage passe également par l’humour pour faciliter la prise de recul et renforcer le sentiment de camaraderie qui est un moteur de la performance au GIGN.

38 La séquence « Préparation – Confiance – Concentration – Partage » (voir figure 4) est répétée un nombre considérable de fois par les gendarmes du GIGN : tous les entraînements ainsi que toutes les missions auxquelles ils participent sont une occasion supplémentaire de tester ce processus jusqu’à ce qu’il devienne une « seconde nature ». En conséquence, après quelques années de pratique au sein du GIGN, il n’est pas surprenant de remarquer que ces opérationnels sont capables de réguler complètement leur anxiété quelle que soit la situation, mais aussi d’éprouver une forme d’excitation avant et pendant l’intervention. Cette situation peut sembler paradoxale mais elle pourrait expliquer une partie du haut niveau de performance sur des missions difficiles (négociation à forts enjeux, intervention directe contre des personnes reconnues comme dangereuses, etc.).

Figure 4

Quatre étapes pour réévaluer l’anxiété

figure im4

Quatre étapes pour réévaluer l’anxiété

IV – DISCUSSION

1. Apports théoriques

39 Cette étude tend à confirmer que, dans les situations difficiles, la réévaluation cognitive est la meilleure stratégie pour l’individu face à l’anxiété. De surcroît, l’anxiété dans les situations extrêmes devient même un moyen pour ces gendarmes d’élite de se surpasser ; l’anxiété est alors « transformée » en une émotion stimulante. Ce constat tend à confirmer les recherches récentes dans ce domaine (Brooks, 2014), étendu aux contextes extrêmes.

40 En ce qui concerne la suppression expressive, elle semble être choisie en dernier recours, lorsqu’un seuil d’anxiété est franchi – un niveau d’anxiété peut être bloquant ou paralysant pour qu’une stratégie de réévalution soit mise en place –, par les membres du GIGN et son utilisation mène souvent à un échec de la régulation.

41 Une observation intéressante dans cette étude est que la réévaluation semble être devenue un réflexe pour les opérationnels du GIGN : ils développent des automatismes mentaux et physiques qui leur permettent de s’adapter immédiatement à la situation, ce qui rejoint les études menées sur la capacité d’anticipation des joueurs aguerris de Shogi (jeu traditionnel japonais se rapprochant du jeu d’échecs, et opposant deux joueurs), qui, à force d’entraînement, activent naturellement en situation de jeu réelle et stressante, des zones cérébrales directement impliquées dans des processus intuitifs (Wan et al., 2011).

42 Enfin, il faut rappeler ici l’importance du collectif dans une organisation comme le GIGN. La maîtrise de l’anxiété par chaque membre d’une équipe opérationnelle est essentielle au succès d’une opération pour éviter une éventuelle contagion émotionnelle qui serait « toxique ». Le lien social qui unit ces individus, par la confiance et le partage, est donc primordial pour faire face aux situations auxquelles ils sont confrontés.

2. Limites et pistes de recherches futures

43 Nous avons interrogé neuf membres du GIGN ce qui reste un échantillon faible d’un point de vue statistique et qui pose la question de la généralisation de nos résultats. Aussi, les sujets interrogés sont tous des hommes, plutôt virils dans ce type de profession. Quand on sait que le taux de testostérone joue un rôle dans la régulation de l’anxiété (Aikey et al., 2002) et que les femmes ont un rapport différent à l’anxiété (Felmingham et al., 2012), il serait intéressant de pouvoir comparer les résultats de la présente étude avec un groupe de femmes (ou un groupe mixte) impliqué dans des situations similaires ou à forts enjeux. Il faut également souligner que nous nous sommes principalement penchés sur des interventions de courtes durées effectuées dans l’urgence par la force intervention du GIGN. Cependant, il serait intéressant d’étendre cette recherche sur des missions de l’armée qui mobilisent les opérationnels sur un temps plus long. Ces personnels font face à une menace permanente et peuvent être amenés à réguler leur émotion de manière différente. Nous pensons d’ailleurs que dans ce cas de figure (études d’épisodes plus longs), la mesure du stress et d’autres états affectifs caractérisés par des durées plus longues que l’émotion serait pertinente. Outre les limites énoncées ci-avant, il aurait été intéressant de contrôler les traits de personnalité (notamment, l’extraversion, la tendance à la névrose et l’esprit consciencieux), les styles de coping, et le niveau d’intelligence émotionnelle (dont l’une des compétences est la régulation émotionnelle) des personnes interrogées, ces facteurs ayant tous un impact sur le type de stratégie de régulation émotionnelle préférentiellement utilisé (John et Gross, 2007 ; Mayer et Salovey, 1997 ; Matsumoto, 2006).

44 Aussi, nous avons interrogé des sujets français. Or des études montrent qu’il existe des différences culturelles significatives au niveau de l’utilisation préférentielle des stratégies de régulation émotionnelle (Matsumoto, 2006). Cela s’explique en partie par des différences culturelles au niveau des processus d’évaluation cognitive et des expressions émotionnelles (Roseman et al., 1995) mais aussi des traits de personnalité dominants présents dans chaque culture (Matsumoto, 2006). Par exemple, Matsumoto (2006) montre dans son étude que les japonais, comparés aux américains, utilisent davantage la stratégie de suppression expressive. Il serait intéressant, dans le futur, d’interroger des membres des SWAT teams, des Navy Seals ou encore d’autres forces d’intervention à travers le monde pour comparer nos résultats de recherche.

3. Implications managériales

45 La gestion des émotions en général et de l’anxiété en particulier, sont des enjeux majeurs pour les managers, notamment dans la gestion de situations critiques qui sont chargées émotionnellement (Haag et Laroche, 2009) parce que les délais sont (trop) courts, les enjeux économiques et humains (trop) importants, les zones d’incertitudes (trop) larges etc. Dans ces circonstances, nous invitons les managers à adopter préférentiellement la stratégie de réévaluation cognitive. Comment ? En cherchant à maîtriser le processus à 4 étapes que nous proposons ici (préparation – confiance – concentration – partage). Cela permettrait à ces managers d’avoir un contrôle accru sur la situation et de s’assurer aussi de la performance de leur équipe quel que soit l’enjeu.

46 Dans une situation critique, quand le niveau d’intensité de l’anxiété ressentie est trop élevé (au-delà du seuil révélé par notre étude), nous invitons le manager d’équipe à ne pas opter pour la suppression expressive qui sera pour le cerveau la voie de facilité. Cette stratégie est non seulement inefficace en termes d’interactions sociales et de dynamique d’équipe mais elle pourrait même, si elle est répétée, détériorer la santé du manager ou des membres de son équipe. En effet, des résultats de recherche montrent qu’en employant régulièrement cette stratégie émotionnelle, on s’expose à un risque cardiovasculaire, à l’hypertension et à des maladies coronariennes (Gross et Levenson, 1993).

CONCLUSION

47 A travers notre plongée anthropologique au cœur de la force d’intervention du GIGN, nous avons cherché à mieux comprendre les stratégies de régulation émotionnelle de l’anxiété, leur utilisation et leur impact sur la performance en situation extrême. Ces gendarmes d’élites ont bel et bien acquis une maîtrise impressionnante de leur anxiété et ce de manière quasi automatique. La réévaluation cognitive de l’anxiété s’avère d’une efficacité particulière dans les situations de crises vécues par les opérationnels. Par conséquent, le collectif en bénéficie directement en évitant une « contagion émotionnelle toxique » et en préservant la concentration du groupe pour que l’action soit d’une efficacité optimale. Nous pensons que les managers évoluant dans des organisations plus classiques ont à apprendre de ces « gens d’armes », mousquetaires des temps modernes, qui ont une approche des émotions profondément humaine et pleine de bon sens, comme nous le rappelle un sous-officier de la force intervention : « c’est dans l’incertitude et l’imprévu que le gendarme du GIGN se révèle. Il faut alors savoir faire face et être exemplaire, pour nous-même, pour le groupe et pour tous ceux que nous allons aider. C’est cela “s’engager pour la vie”. » Nous invitons les managers à méditer sur ces dernières lignes.

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Date de mise en ligne : 08/07/2016

https://doi.org/10.3166/rfg.2016.00039

Notes

  • [1]
    Le taux d’accord inter-codeur est de 94 % (Miles et Huberman, 1994) sur les 40 événements critiques collectés.

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