Couverture de RFG_249

Article de revue

Valeurs de consommation dans l’écotourisme communautaire

Une approche par les récits de voyage

Pages 33 à 52

Notes

  • [1]
    Chaque aspect de la communauté d’accueil est important : son attitude, ses infrastructures, sa culture, les évènements, les problèmes éventuels, etc.

1 Le tourisme est l’un des secteurs économiques les plus importants et dynamiques au monde. Selon le World Travel and Tourism Council, l’industrie du voyage et du tourisme a devancé l’économie mondiale en 2012 avec une croissance plus rapide que celle de la production industrielle, de la vente de services financiers et de communication (WTTC, 2013).

2 Malgré les différentes crises et les chocs passagers, le tourisme affiche une hausse quasi ininterrompue de nombre d’arrivées de touristes dans le monde, passant de 25 millions en 1950 à 1035 millions en 2012. Et les prévisions restent à la hausse pour les années à venir (OMT, 2013). Le secteur du tourisme est généralement perçu comme un moteur de développement, de prospérité et de bien-être. Mais malgré ce formidable dynamisme, les retombées positives qui en découlent sont à appréhender avec précaution compte tenu des multiples effets pervers et reconnus que provoquent l’activité touristique à travers le monde. Ainsi, d’un point de vue économique, si le tourisme permet de générer des revenus, ceux-ci ne profitent parfois que très peu aux populations d’accueil car ils sont captés par des intermédiaires extérieurs ; d’un point de vue social, si le tourisme créé des emplois et permet de dynamiser certaines régions, les emplois sont parfois précaires, les règles de droit international pas toujours respectées et au lieu de créer une cohésion sociale, le tourisme peut menacer la stabilité d’une communauté, sa culture, son identité, ses valeurs et ses structures sociales traditionnelles ; enfin, d’un point de vue environnemental, la croissance parfois anarchique du tourisme ainsi que la venue en masse de touristes ont endommagé et fragilisé les environnements naturels de nombreuses destinations.

3 La prise en compte de ces menaces par les acteurs du tourisme et la sensibilisation grandissante des touristes ont conduit au développement d’un tourisme plus durable. Le tourisme durable est encore aujourd’hui un concept aux contours flous mais dont l’objectif principal a été défini par l’OMT dès 1995 : le tourisme durable doit « être supportable à long terme sur le plan écologique, viable sur le plan économique et équitable sur le plan éthique et social pour les populations ». En réponse à cette nécessité de durabilité se sont développées différentes formes de tourisme durable selon que l’accent est porté sur l’une ou l’autre des dimensions du développement durable (écotourisme, tourisme solidaire, écovolontariat, etc.). De toutes les nouvelles formes de tourisme durable qui ont vu le jour ces dernières années, un concept semble plus prometteur ou, du moins, plus complet que les autres : c’est l’écotourisme communautaire qui propose de prendre en compte simultanément les trois piliers du développement durable dans le développement et la pratique des activités touristiques. Cet article dresse, dans un premier temps, un état des lieux des recherches sur le comportement et les caractéristiques du touriste durable afin de savoir qui il est et ce qu’il cherche. La question est de savoir si l’écotourisme communautaire permet de répondre aux attentes d’un nouveau type de touriste. Dans un second temps, nous proposons de nous intéresser à la façon dont cette forme de tourisme crée de la valeur pour le touriste soucieux de choisir des formes durables de voyages. Pour cela, nous choisissons d’analyser des récits de voyageurs ayant choisi des services d’écotourisme communautaire à la lumière du modèle intégrateur de la valeur proposé par Aurier et al. (2004).

I – Le touriste durable et l’écotourisme communautaire : quelles convergences ?

1. Qui est le touriste durable et que cherche-t-il ?

4 L’évolution du tourisme a été marquée par le passage d’une demande touristique de masse, insensible aux effets économiques, environnementaux et sociaux du tourisme à une demande plus durable, plus consciente de l’impact des activités touristiques.

5 Le tourisme de masse qui a connu son apogée dans les années 1970-1980 a très vite atteint ses limites quantitatives et qualitatives à la fin du 20e siècle (Moutinho, 2000). L’arrivée massive de touristes dans des zones naturelles crée de nombreux dégâts écologiques. Mais des dégâts ont également été observés du point de vue social et culturel dans les destinations visitées (folklorisation des traditions, occidentalisation des modes de vie, non-respect des droits de l’Homme, etc.). Claude Lévi-Strauss dénonçait déjà dès 1955 dans son célèbre ouvrage Tristes Tropiques les dangers de l’arrivée massive de la population occidentale aux quatre coins du monde tels que l’extinction de peuples « primitifs » et de la diversité ; la folklorisation des us et coutumes locales pour adhérer aux stéréotypes qu’attendent les voyageurs occidentaux et la dévastation irréversible des écosystèmes et des équilibres naturels.

6 En réponse aux effets pervers du tourisme, on a assisté à l’avènement d’un nouveau type de touriste qui rejette le tourisme de masse et recherche des produits touristiques différents. Plus expérimenté, plus soucieux de l’environnement, plus spontané et plus versatile, il recherche de l’indépendance et refuse les offres touristiques standardisées au profit d’offre de voyage plus individualisée (Ioannides et Debbage, 1997 ; Urry, 1995). Pour mieux connaître le profil de ce touriste que l’on peut qualifier de touriste durable, des études récentes proposent de dresser une segmentation de cette nouvelle catégorie de touristes (Crouch et al., 2005 ; Dolnicar et al., 2008 ; Dolnicar et Matus, 2008 ; François-Lecompte et Prim-Allaz, 2009). Dans un premier temps, il semble que les touristes durables puissent être définis par des caractéristiques sociodémographiques particulières. Ainsi, ils sont plutôt jeunes, avec un niveau d’éducation et de revenu plus élevés et sont généralement originaires de pays occidentaux (Dolnicar et al., 2008), mais le sexe et l’âge ne semblent pas être les caractéristiques distinctives les plus pertinentes (Dolnicar et al., 2008 ; François-Lecompte et Prim-Allaz, 2009). Si les caractéristiques sociodémographiques nous en apprennent finalement peu sur le touriste durable, nous savons qu’il se différencie par son comportement lors d’un voyage et par ses motivations (Crouch et al., 2005).

7 Ainsi, il semble que les touristes durables voyagent en famille ou entre amis et cherchent des rencontres sociales amicales. Ils apprécient l’exercice physique, font attention à ce qu’ils mangent et apprécient la nature (AGRIDOC, 2004). Le touriste durable se rapproche de la description que donnent Paris et Teye (2010) du routard (« backpacker ») dont les principales motivations sont le développement personnel, l’indépendance, la recherche d’expérience, l’acquisition de connaissances culturelles et la détente.

8 Ce type de touriste est poussé par l’envie d’apprendre et attiré par le contact authentique avec d’autres populations ayant sauvegardé leurs traditions tout en étant capable d’offrir des distractions (Dolnicar et al., 2008). Ils sont à la recherche d’un dépaysement qui passe autant par le changement de paysage que par la découverte d’éléments culturels et de civilisation. En effet, ces voyageurs ne veulent pas se limiter à des contacts commerciaux. Ils sont ouverts aux autres, ils sont actifs et s’intéressent aux populations locales, à leur mode de vie, à leurs coutumes, mais aussi à leurs difficultés. Ils apprécient les produits locaux et les plats traditionnels. Ils sont d’accord pour donner de l’argent à des projets de développement mais seulement s’il existe une certaine transparence quant à la destination de cet argent (AGRIDOC, 2004). Ils attendent un accueil chaleureux des populations locales et espèrent pouvoir partager leur intimité.

9 Enfin, il semble que le renoncement au confort soit également une caractéristique commune aux écotouristes (Dolnicar et al., 2008 ; François-Lecompte et Prim-Allaz, 2009).

10 En France, François-Lecompte et Prim-Allaz (2009) ont voulu dresser une typologie du touriste durable, parmi les segments mis en évidence, deux ont été caractérisés comme étant des profils durables : les néodurables et les durables d’aventure. Les néodurables se différencient par un budget voyage relativement serré. Ils sont sensibles aux ressources économiques et socioculturelles des populations visitées et pratiquent un tourisme de proximité en partant généralement en France et moins longtemps que d’autres catégories de touristes. Lors de leur voyage, ils recherchent les rencontres et privilégient le logement chez des amis. Les durables d’aventure sont sensibles au tourisme durable même s’ils choisissent plutôt des destinations lointaines nécessitant des déplacements en avion et où ils resteront plus longtemps. Ils sont plutôt indépendants dans la mesure où ils préfèrent organiser leurs voyages eux-mêmes. Leurs principales motivations pour voyager sont les rencontres, la découverte culturelle et les expériences fortes. Pour eux, la détente et le confort ne sont pas des priorités.

11 À travers ces différentes typologies, se dresse un portrait général d’un nouveau type de touriste durable, dont la caractéristique principale est le rejet du tourisme de masse et une attente pour un tourisme durable qui prendrait en compte tous les aspects du développement durable. C’est ainsi qu’en réponse à ce rejet, des formes de tourismes alternatives sont apparues parmi lesquelles l’écotourisme communautaire qui propose de « répondre à la demande sociétale d’une pratique du tourisme respectueuse et qui apporte de la valeur ajoutée économique, sociale et éthique » (Mazuel, 2003, p. 333).

2. L’écotourisme communautaire : une consommation durable et expérientielle

12 Selon nous, l’écotourisme communautaire (EC) est la forme institutionnalisée la plus aboutie de tourisme durable (TD). Un tourisme durable doit prendre en compte les trois piliers du développement durable et c’est sur ce principe de base que repose l’EC, à savoir efficience économique, équité sociale et durabilité écologique. De nombreux auteurs ont tenté d’approfondir la compréhension de cette forme de tourisme en mettant en évidence ses principales caractéristiques (Okazaki, 2008 ; Scheyvens, 2002 ; Simpson, 2008 ; Fiorello et Bo, 2012).

13 Tout d’abord, il semble que ces projets touristiques soient généralement mis en œuvre dans des communautés de taille réduite possédant une histoire séculaire mais présentant des difficultés économiques et sociales. Le mode de vie de la population est généralement étroitement lié à leur environnement naturel qui est à la fois riche et fragile et qui nécessite donc d’être protégé et préservé. L’origine et le management des activités touristiques sont très souvent internes à la communauté même si des acteurs extérieurs sont impliqués dans sa gestion (gouvernement, associations, etc.).

14 L’un des points essentiels est le niveau de contrôle élevé de la communauté sur les activités touristiques et leur développement. Les auteurs parlent généralement d’empowerment (Okazaki, 2008), et estiment que celui-ci doit se situer à plusieurs niveaux (Scheyvens, 1999) : au niveau économique, l’activité touristique doit créer des emplois et assurer un partage équitable des revenus dans la communauté ; au niveau psychologique, les activités touristiques doivent permettre à la communauté d’acquérir une certaine autonomie, elles doivent les conduire à promouvoir leur culture et leurs traditions et aboutir à un sentiment de fierté ; au niveau social, l’ensemble de la communauté doit être engagée dans la gouvernance des projets afin de renforcer la cohésion et le tourisme doit permettre la préservation du capital social en fournissant des emplois et en évitant ainsi l’exode des plus jeunes vers les centres urbains ; au niveau politique, des arrangements institutionnels doivent être conclus dans le but de faire fonctionner les activités touristiques et d’assurer une prise de décision collective, démocratique et transparente pour l’ensemble de la communauté (Jamal et Getz, 1999).

15 Du côté des activités proposées au touriste, celles-ci sont essentiellement basées sur la découverte de l’environnement naturel et éventuellement sa protection (le touriste peut participer à des activités relatives à la protection de certaines espèces sauvages ou le nettoyage du littoral), et sur la découverte de la culture et des traditions locales. Des activités récréationnelles sont également proposées.

16 L’EC se caractérise également par un touriste proactif. Celui-ci cherche à expérimenter une immersion totale dans la communauté d’accueil et à partager son mode de vie. En réponse à cette attente, l’EC propose un hébergement dans des familles et/ou dans des habitats traditionnels et encourage la participation aux activités quotidiennes et rituelles.

17 En résumé, l’EC est essentiellement centré sur les communautés d’accueil car celle-ci à un impact direct très fort sur l’expérience du touriste [1] (Pearce, 1980 ; Sheldon et Abenoja, 2001). Ce dernier est effectivement de plus en plus sensible à l’environnement et au bien-être des populations visitées mais il est tout aussi sensible à la qualité de l’expérience vécue (Cuvelier, 2000) qui passe, en partie, par la façon dont la population va l’accueillir et l’intégrer dans son quotidien le temps de son séjour. Si dans le cadre du tourisme en général, le contenu expérientiel est très fort, dans le cadre particulier de l’EC, les attentes expérientielles du touriste semblent encore plus fortes. Les typologies du touriste durable et la description des caractéristiques de l’EC nous permettent d’affirmer que le touriste durable et plus précisément le touriste choisissant l’EC présente les traits du consommateur expérientiel (Vézina, 1999), à savoir que le consommateur n’est pas que consommateur, qu’il agit à l’intérieur de situations, qu’il est à la recherche de sens et que sa consommation ne se limite pas à la transaction. La notion d’expérience est devenue centrale et le consommateur d’aujourd’hui, et à plus forte raison le touriste d’aujourd’hui, cherche « à vivre des immersions dans des expériences extraordinaires » (Carù et Cova, 2006, p. 99). Le consommateur est un être sensible qui cherche, via la consommation de biens et de services, à vivre des expériences qui vont provoquer chez lui des sensations et des émotions (Carù et Cova, op.cit.).

18 Cette vision de la consommation s’oppose à une vision purement fonctionnelle et utilitariste basée essentiellement sur la valeur d’usage. Le rapport qualité/prix, les caractéristiques techniques du produit ou du service ne sont plus les éléments centraux qui permettront au consommateur d’évaluer sa consommation.

19 Dans une perspective expérientielle, la valeur que l’individu accorde à la consommation d’un bien ou d’un service provient de son interaction directe ou indirecte avec l’objet de cette consommation. Au cours de cette interaction, se forme une préférence relative qui compose la valeur de consommation (Holbrook et Corfman, 1985). La valeur ne réside pas seulement dans le service consommé mais dans l’expérience de consommation que vit le consommateur (Holbrook et Hirschman, 1982). La valeur se situe donc dans l’individu qui valorise et induit des mécanismes à la fois objectifs et subjectifs.

20 Cette approche relativiste et interactionnelle de la valeur a inspiré de nombreux travaux sur l’identification des composantes de la valeur en fonction de leurs significations pour le consommateur (Holbrook, 1994 ; 1999 ; Holt, 1995 ; Lai, 1995 ; Filser, 2002 ; Rivière et Mencarelli, 2012). De ces recherches ont émergé de nombreuses typologies de la valeur dont Aurier et al. (2004) proposent une synthèse dans un modèle intégrateur de la valeur. Ce cadre théorique a déjà été utilisé avec succès dans une recherche portant sur un mode de tourisme relativement proche : l’écovolontariat (Baillet et al., 2010).

21 En partant du postulat de base que la valeur perçue par le consommateur est égale au ratio sacrifices/bénéfices, Aurier et al. (2004) ont proposé un modèle intégrateur de la valeur globale par les composantes de la valeur de consommation. Le sacrifice perçu par le consommateur représente tout ce qu’il donne en échange du produit ou du service, il s’agit du prix mais aussi d’éléments non financiers tels que le temps consacré, les efforts consentis, les risques encourus, etc. Quant aux bénéfices reçus, ils sont représentés dans le modèle par les composantes de la valeur de consommation mises en évidence par les auteurs à savoir : la valeur utilitaire, la connaissance, la stimulation expérientielle, le lien social, l’expression de soi et la valeur spirituelle.

22 La valeur utilitaire est liée à la valeur instrumentale de la consommation (Aurier et al., 2004). Elle relève des aspects pragmatiques, physiques et tangibles du produit ou du service et de son aspect fonctionnel (Lai, 1995). Elle peut être associée à l’efficience et à l’excellence telles que définit par Holbrook (1999). L’efficience relève du bon rapport qualité/prix de la praticité et de la commodité du produit ou service. Quant à l’excellence, elle est liée à la qualité du concept et à l’efficacité de l’offre.

23 Le lien social consiste à percevoir le produit ou le service « comme aide à l’interaction sociale, à l’échange interindividuel (…) notamment sous forme de conversations » (Aurier et al., 2004, p. 8). Ce qui crée de la valeur est le fait que l’expérience vécue permet un échange et une interaction sociale. C’est une valeur sociale liée à l’orientation interpersonnelle (Holt, 1995 ; Richins, 1994 ; Lai, 1995).

24 La stimulation expérientielle est la valeur tirée de la stimulation des sens du consommateur via la consommation du produit ou du service. L’expérience de consommation fait naître des sentiments et des émotions chez le consommateur, c’est une valeur hédonique.

25 Cette composante regroupe : le plaisir, l’imaginaire, l’affect et l’amusement (Holbrook et Hirschman, 1982), la valeur ludique (Richins, 1994 ; Holbrook, 1999), la valeur hédoniste (Lai, 1995 ; Evrard et Aurier, 1996), la valeur esthétique (Holbrook, 1999), la valeur affective (Lai, 1995).

26 La connaissance est la composante qui repose sur le fait que le consommateur est mû par un désir de connaissance et accorde de la valeur au fait d’acquérir de l’information et de s’enrichir (Katz, 1960). Cet enrichissement devant contribuer à un sentiment de maîtrise et de compétence dans la catégorie de produit/service considéré.

Figure 1

Le modèle intégrateur de la valeur de Aurier et al. (2004)

figure im1
Composantes de la valeur
de consommation
Somme
des sacrifices
Valeur utilitaire consentis
Connaissance
Somme
Stimulation expérientielle des bénéfices Valeur globale
perçue
reçus
Lien social
Expression de soi
Valeur spirituelle

Le modèle intégrateur de la valeur de Aurier et al. (2004)

Aurier et al. (2004, p. 9).

27 L’expression de soi se rapporte à la capacité du produit/service à projeter l’expression de soi vers les autres et vers soi-même (Holt, 1995). La consommation contribue à l’épanouissement personnel et à la réalisation de soi (Richins, 1994). Elle est intimement liée à l’estime de soi (Holbrook, 1999) et permet l’expression des valeurs du consommateur (Evrard et Aurier, 1996). Enfin, la valeur spirituelle est liée au fait que l’expérience vécue peut permettre une remise en cause du consommateur notamment à travers une communion avec l’autre (Holt, 1995).

28 Cette valeur est aussi liée à la défense de l’ego, elle permet le « maintien de l’estime de soi en fonction du regard des autres » (Aurier et al., 2004, p. 8).

II – Les sources de valeurs de l’écotourisme communautaire pour le touriste

29 À partir du cadre d’analyse exposé ci-dessus, nous tentons d’identifier, dans une perspective exploratoire, les différentes composantes de la valeur d’une offre d’écotourisme communautaire du point de vue du touriste-consommateur.

1. Résultats

30 Le tableau 1 (p. 42-43) présente les différents univers de références que nous avons classés, en fonction de leur sens, dans les différentes composantes de la valeur. Pour chaque univers de références, nous présentons le total des occurrences, les sous-catégories qui y sont associées ainsi que les principaux verbatims illustrant chaque sous-catégorie.

31 Dans l’ensemble, nous pouvons voir que la stimulation expérientielle est la valeur la plus importante dans les récits de voyage avec 679 occurrences, ce qui est logique compte tenu du fait que nous analysons une activité touristique. Cette dimension est composée de 8 sous-dimensions allant de l’expérience culinaire à l’authenticité, ce qui nous conduit à penser que l’expérience sensorielle de l’écotourisme communautaire est une expérience holistique.

32 Vient ensuite le lien social avec un nombre d’occurrences non négligeable (558), cette importance est cohérente avec la forme de voyage durable étudiée centrée essentiellement sur les populations des pays visités. L’importance de cette dimension, semble révéler qu’il s’agit-là de l’une des principales motivations qui conduit le touriste à choisir cette forme de voyage (même si cela ne se traduit pas en termes d’occurrences, elle pourrait être plus importante que la stimulation expérientielle qui reste commune à toutes les formes de tourisme).

33 La connaissance et la valeur spirituelle sont très proches en termes de nombre d’occurrences (respectivement 125 et 102). L’importance, même relative, de la connaissance est liée à la nature même des offres d’écotourisme communautaire qui, selon WWF (2001), doivent comporter des processus d’éducation sous différentes formes (information, activités participatives, etc.).

34 Quant à l’expression de soi, elle comptabilise 54 occurrences. Elle se rapproche, conceptuellement de la valeur spirituelle dans la mesure où l’expression de soi permet l’épanouissement personnel notamment en favorisant l’expression des valeurs. Dans le cadre de l’écotourisme communautaire, les valeurs exprimées sont l’écologie, la solidarité et la simplicité.

MÉTHODOLOGIE

Nous avons recueilli sur Internet, auprès de différentes sources, 117 récits de voyages présentant les principales caractéristiques de l’EC (immersion dans les communautés locales, management interne, bénéfices redistribués équitablement au sein de la communauté, participation aux activités quotidiennes et rituelles). Ces récits ont pu être identifiés en rentrant sur le moteur de recherche Google les mots clés : « écotourisme communautaire » ; « tourisme durable communautaire » ; « tourisme durable chez l’habitant » ; « tourisme communautaire ». En ne retenant que les résultats les plus pertinents, nous avons atteint le seuil de saturation à 117 récits. En effet au-delà de ce nombre soit nous retrouvions les mêmes récits, soit les récits ne correspondaient plus à l’écotourisme communautaire, et n’apportaient pas d’informations supplémentaires (Thiétart, 2003). Pour la sélection des récits, nous nous sommes basés sur la présence de deux critères : une immersion dans la communauté d’accueil (en termes d’hébergement, de restauration et/ou d’activité) et un ancrage fort dans le tourisme durable (que ce soit dans sa dimension écologique, économique et/ou sociale). Ces 117 récits sont de formes diverses : livres d’or, partage d’expérience sur des sites de voyage (ex. www.leroutard.com) mais aussi sur des magazines en ligne spécialisés dans l’écotourisme et des blogs de voyage personnels.
Le corpus représente 23646 mots avec des récits plus ou moins long : de 28 mots (pour les récits type « livre d’or ») à 5982 mots pour les récits de voyage publiés sur des blogs personnels. L’ensemble du corpus a été soumis à une analyse de contenu logico-sémantique (Mucchielli, 1991) à l’aide du logiciel Tropes.
Le logiciel Tropes permet une analyse thématique objective. En partant de l’unité de sens de référence qu’est la phrase, il répartit les mots significatifs dans des univers de références qui correspondent aux grands thèmes du texte analysé. Chaque univers est composé d’un ensemble de « classes d’équivalents », c’est-à-dire des groupements de termes sémantiquement proches (Molette, 2009 ; Ghiglione et al., 1998) [2].
Le logiciel permet également de réaliser une analyse fréquentielle grâce à des statistiques lexicales sur la fréquence globale d’apparition de chaque thème préalablement repéré, ce qui nous permet d’inférer leur importance relative.
L’analyse est intrarécit et interrécit.
Par la suite, les univers de références ainsi définis ont pu être intégrés dans les thèmes définis à partir du modèle intégrateur de la valeur d’Aurier et al. (2004) : les composantes de la valeur.

35 La valeur utilitaire ne compte que 21 occurrences et les sacrifices consentis, s’ils sont mentionnés dans certains récits, occupent une place minime (13 occurrences). La valeur utilitaire reste un élément mineur, le rapport qualité-prix compte mais il n’est pas essentiel. De plus la commodité (ou plutôt le manque de commodité) et les sacrifices perçus semblent être des éléments indissociables, voire nécessaires, dans le cadre d’une offre d’écotourisme communautaire.

Tableau 1

Les composantes de la valeur

Composantes (occurence) Univers de référence (occurence) Champs lexical et principaux verbatims associés
Stimulation expérientielle (679) Expérience culinaire (132) Aliment (60), repas (32) ; boissons (11) ; restauration (10) ; cuisine (10) ; manger (9) : « (…) essayer la cuisine authentique mexicaine dans les restaurants locaux » ; « nous dégustons un délicieux repas local » ; « tout le monde se retrouve pour manger la soupe de poulet bouilli » ; « dégustation de l’alcool local »
Caractère exceptionnel de l’expérience (117) Inoubliable (41) ; superlatifs positifs (76) : incroyable, excellent, exceptionnel, extraordinaire, formidable, fort, génial, impressionnant, meilleur, parfait, délice « une expérience vraiment formidable » ; « leurs sourires, leur gentillesse resteront à jamais gravés dans notre mémoire » ; « expérience exceptionnelle »
Activités (135) Activités récréatives (108) ; divertissement (27) : « Nous avons fait du canoë kayak » ; « C’était un super moment que cette randonnée de deux jours » ; « un safari d’un jour en 4x4 » ; « la visite du Parc du Cotopaxi » ; « activité de massage indien traditionnel » ; « voir un spectacle de danses traditionnelles »
Émotions (95) Bonheur (9) ; enthousiasme et étonnement (20) ; joie (23), plaisir (12), sentiment (3) ; émotions (16) ; amour (19) : « Incroyables émotions vécues au Sénégal » ; « Que du bonheur… » ; « tout n’est que fascination » ; « des moments de vraie rigolade » ; « on a adoré » ; « un vrai plaisir »
Perception et sensation (72) Senteurs (4), vue (10), goût (9), couleurs (21), sensations (4) ; intensité (4) ; tranquillité (12) ; agréabilité (12) : « Les couleurs de la lagune sont magiques » ; « Tellement de souvenirs, d’images, d’odeurs, de paroles, de sourires, de regards, d’échanges, de chaleur, de musique... » ; « Une semaine riche en émotions, en sensations » ; « Des moments intenses »
Esthétisme (63) Charme (2) ; beauté (11) ; magnifique (17) ; superbe (8) : « Un endroit merveilleux, plein de charme » ; « des îles sauvages et paradisiaques d’une beauté incroyable » ; « Les paysages sont magnifiques » ; « la superbe lumière de Mirlet »
Coproduction de l’expérience (32) Participation (20) ; immersion (7) ; autonomie (5) : « j’ai participé à la pêche traditionnelle » ; « d’avoir été au moins un instant participatifs et non passifs » ; « une véritable immersion locale »
Authenticité (23) Authenticité (5) ; authentique (9) ; vrai (9) : « de vraies rencontres » ; « découvrir ce pays de manière très authentique, loin des touristes et de notre société de consommation » ; « des rencontres simples et authentiques »
Lien social (558) Communauté au sens large (250) Communauté(s) (75) ; village (70) ; équipe (pour les missions de bénévolat) (13) ; famille (88) ; membre (4) : « Nous découvrons la communauté (…) » ; « comme des membres de la famille »
Altérité (155) Autochtone (11) ; personnes (96) ; population (23) ; habitant (25) : « accompagnées par des guerriers Massaï » ; « Merci à Jamal et Mélika » ; « Nos enfants (…) ont immédiatement sympathisé avec ceux du village »
Relation (62) Amitié (4) ; lien, relation (5) ; conversation (6) ; partage (21) ; échange, échanger (30) : « j’avais réussi à créer des liens très forts » ; « les discussions autour d’un thé à la menthe » ; « tout le monde a été gentil disponible et dans l’échange et le partage » ; « Un bel échange d’amitié »
Rencontre (58) Rencontre, rencontrer (45) ; contact (11) : « de très belles rencontres » ; « J’y ai surtout aimé les rencontres » ; « Un contact humain simple et très attachant »
figure im2
Lien social (558) Accueil (33) Accueil (21), accueillir (12) : « Parce que l’accueil est excellent, disons même parfait » ; « accueil chaleureux » ; « On a été super bien accueillis »
Connaissance (125) Découverte (79) Découverte (22) ; découvrir (57) : « découverte de la région et de ses ressources » ; « une découverte culinaire et gustative »
Découverte culturelle (26) Culture (26) : « échanges culturels » ; attractions naturelles et culturelles » ; « mieux comprendre la culture de ce pays »
Apprentissage (16) Apprendre (9), comprendre (3) ; explication (4) : « on a appris des milliers de choses » ; « un occasion supplémentaire de comprendre » ; « Plein d’explications (…) sur la faune »
Connaissance (4) Connaissance (2) ; savoir (2) : « la connaissance des plantes comestibles » ; « curieux de savoir comment ils vont s’y prendre » ; « en savoir un peu plus sur les plantes médicinales de la région »
Valeur spirituelle (102) Écologie (31) Déchets (6) ; écologique (15) ; pollution (2) ; environnement (8) : « (…) tirer parti des ressources de la forêt environnante en la préservant, et non plus en l’abîmant par une exploitation irraisonnée » ; « il semble que des exigences écologiques minimales soient observées, notamment le tri sélectif des déchets »
Solidarité (37) Solidarité (20), aide (9) ; bénévolat (8) : « apporter une aide locale »
Simplicité (12) Humilité (2), modeste (3), simplicité (7) : « les conditions de vie sont simples » ; « contact humain simple » ; « une belle leçon d’humilité »
Éthique et équité (22) Équité, équitable (6) ; équité économique (16)
Expression de soi (54) Enrichissement (sens figuré) (21) Richesse (11), enrichissant (10) : « les échanges sont très riches » ; « Le séjour a vraiment été très enrichissant »
Accomplisse-ment personnel (8) Contribution (4) ; Accomplissement (4) : « on contribue vraiment à améliorer la vie des autochtones » ; « on a eu l’impression de véritablement apporter quelque chose » ; « des objectifs atteints »
Introspection (25) « Aventure humaine avant tout qui donne à réfléchir, mais surtout à se poser, à se retrouver et à vivre tout simplement » ; « c’est un voyage intérieur »
Valeur utilitaire (21) Excellence (13) Qualité (4) ; excellence du concept (9) : « La qualité de l’organisation » ; « la qualité du logement » ; « L’organisation générale a été plus que bien » ; « Une organisation parfaite »
E fficience (8) Prix (4) ; commodité (4) : « adapté à nos souhaits et à notre budget » ; « un budget respecté » ; « hébergement très bien et pratique » ; « avec tout le confort »
Sacrifices consentis (13) Difficultés et dangers (7) Difficulté (4) ; insécurité (3) : « les conditions de vie et de travail sont vraiment difficiles » ; « expérience intéressante mais difficile » ; « la première semaine a été très dure pour moi »
Conditions matérielles (6) Inconfort (4) ; organisation (2) : « les conditions sont encore un peu spartiates » ; « Le confort peut être spartiate ; C’est un programme tout nouveau qui manque encore (beaucoup) d’organisation »
figure im3

Les composantes de la valeur

36 Nous discutons par la suite ce que représentent les différentes composantes de la valeur et analysons ce qu’impliquent leurs différences de poids (en termes d’occurrence).

2. Discussion

37 Ces résultats, et notamment la comptabilisation du nombre d’occurrences pour chaque dimension, nous permettent de proposer une hiérarchisation des composantes de la valeur de consommation du modèle d’Aurier et al. (2004). Nous présentons cette hiérarchisation dans la figure 2.

38 Le modèle développé par Aurier et al., ne présuppose pas de l’importance relative de chaque dimension. Pourtant, dans le cadre de notre recherche, il apparaît que les composantes de la valeur de consommation n’ont pas le même poids aux yeux des touristes. Ainsi, il semble que lors d’une expérience de consommation d’une offre d’écotourisme communautaire les composantes de la valeur ne contribuent pas toutes à la même hauteur à la somme des bénéfices perçus.

39 La stimulation expérientielle et le lien social étant les dimensions dominantes et la valeur utilitaire présentant un poids très limité dans l’évaluation de la valeur globale du service. En partant de cette hiérarchisation des composantes de la valeur dans le cadre de l’expérience de consommation d’une offre d’écotourisme communautaire, nous allons analyser dans le détail et par ordre d’importance chaque composante de la valeur ainsi que les sous-dimensions qui les composent.

Figure 2

Hiérarchisation des composantes de la valeur de consommation

figure im4
ati
on
Sommes
1. Stimulation expérientielle
mm
des sacrifices
nso
consentis
2. Lien social
3. Connaissance
Composantes de la valeur de co
Sommes Valeur
des bénéfices globale
4. Valeur spirituelle
reçus perçue
5. Expression de soi
6. Valeur utilitaire

Hiérarchisation des composantes de la valeur de consommation

adapté de Aurier et al. (2004).

La simulation expérientielle

40 Dans notre étude, la dimension expérientielle présente différentes facettes, généralement liées à la recherche d’une expérience hédonique et affective forte.

41 Tout d’abord, et c’est là une dimension commune aux domaines du tourisme et des loisirs en général, les activités ont une grande importance. Ce qui prouve un besoin de divertissement et la recherche d’expériences ludiques même dans les formes de voyages durables.

42 Parmi les activités, ce sont les activités récréatives de type activités sportives itinérantes qui dominent. En règle générale, et cela paraît cohérent avec la sensibilité écologique supposée de ces touristes, les activités itinérantes dont il est question font surtout intervenir des modes d’itinérance non motorisés, la randonnée étant l’activité la plus mentionnée. Viennent ensuite des activités et divertissements divers tels que les visites, des activités de « détente ».

43 Dans la composante expérientielle, la recherche d’une expérience culinaire domine également (avec 132 occurrences). Ce phénomène est cohérent avec le fait que l’alimentation fait partie intégrante de toute expérience touristique (Lenglet, 2010) et avec le développement du « tourisme culinaire » (Long, 1998) qui consiste à « découvrir et explorer la culture et l’histoire d’un lieu à travers son alimentation et les activités qui lui sont liées par la création d’expériences mémorables » (Long, 1998, p. 186). Il s’agit de découvrir et de s’imprégner d’une culture, d’une société ou d’un lieu à travers les produits alimentaires consommés. Les touristes ayant choisi l’EC retirent une satisfaction forte de ces expériences culinaires.

44 Un autre élément qui marque les discours est le caractère unique de l’expérience vécue. Ainsi, de nombreux voyageurs parlent d’une expérience inoubliable et utilisent largement toute une palette de superlatifs positifs pour caractériser leur séjour.

45 De la même manière, cette forme de voyage fait naître de nombreuses émotions positives exprimées au fil des récits, phénomène lié au fait que l’EC apparaît comme une expérience sensorielle très forte. En effet, dans les récits, il apparaît que tous les sens sont mis en éveil.

46 L’esthétisme de l’expérience tient aussi une place importante. Les voyageurs décrivent, parfois avec poésie, des tableaux idylliques, des paysages qui ne les laissent pas indifférents et font naître tout une palette d’émotion.

47 Au-delà des aspects contemplatifs de la simulation expérientielle, la participation active du touriste est un point important. En effet, ces voyageurs cherchent une réelle immersion dans la vie locale et y accorde une grande valeur. Ils ne veulent pas être passifs et le choix de cette forme de tourisme repose sur une envie d’être intégré dans une communauté et de partager leur quotidien et leur intimité. Ce besoin est lié au fait que « la participation du client est bien au centre de la production d’expérience » (Kréziak et Frochot, 2011, p. 25).

48 Enfin, le besoin d’être actif est lié, en partie, à une recherche d’authenticité. Les récits font mention d’une volonté de découvrir de « vraies » personnes, des lieux typiques, des conditions de vie réelles. Ce besoin d’authenticité est mis en opposition avec le tourisme de masse. D’ailleurs, dans certains récits, le voyageur qui a choisi cette forme de tourisme ne se considère pas comme un touriste. Ce refus du « tourisme de masse » et cette recherche d’authenticité, conduisent les voyageurs à rechercher des lieux vierges et très peu fréquentés.

49 Cette recherche d’authenticité va à l’encontre du concept d’hyperréalité (Graillot, 2005 ; Carù et Cova, 2006). Ce concept peut se définir comme le fait de vivre des « expériences sous contrôle dans des environnements reconstitués, plus artificiels qu’authentiques » (Graillot, 2005, p. 43). Si l’hyperréalité permet d’expliquer le succès de certaines destinations touristiques (telles que Center Parcs ou Disneyland pour ne citer qu’elles), elle est à proscrire dans le cadre de l’écotourisme communautaire.

50 La prévalence de la stimulation expérientielle, commune à de nombreuses activités de loisirs (Cooper-Martin, 1991 ; Bouchet et Lebrun, 2004), inscrit l’écotourisme communautaire en tant que consommation à forte dominance hédonique telle que définit par Hirschman et Holbrook (1982), c’est-à-dire une expérience multisensorielle, propre à stimuler l’imagination et les émotions

Le lien social

51 L’importance de la valeur créée par le lien social est cohérente avec la forme de voyage étudiée qui place la communauté d’accueil au centre de l’offre. Il semble naturel que l’interaction sociale soit recherchée par les voyageurs.

52 Sur les 117 récits, 85 accordent une place prioritaire à la dimension sociale de leur voyage. Pour certains, c’était d’ailleurs l’objectif du séjour. Ces récits se concentrent sur les rencontres humaines et décrivent longuement les communautés visitées, leurs caractéristiques et les différentes personnes rencontrées. Ils sont d’ailleurs très souvent liés à une offre d’écotourisme communautaire particulière où le bénévolat tient une grande place.

53 Une place importante est faite à la description des personnes formant les communautés ou villages visités. Les récits insistent sur les personnes rencontrées, les présentant par leurs prénoms, ce qui traduit une certaine intimité perçue. Parfois, les récits parlent même d’amitiés. Une grande place est donc accordée à la description des différentes formes d’échanges (discussions, conversation, partage) qui ont eu lieu avec les personnes rencontrées lors du séjour mais aussi à l’accueil qui leur a été fait.

54 La valeur provient bien des interactions, des échanges, des rencontres avec des personnes intrinsèquement différentes. Le touriste qui choisit cette forme de voyage part à la recherche de « l’autre » et cherche à créer un véritable lien social avec ce dernier. Pour ces touristes, le dépaysement passe par la découverte d’une certaine altérité, par une vraie rencontre avec des individus très différents d’eux. Ils souhaitent dépasser les liens superficiels qui peuvent parfois se créer lors de rencontre dans le cadre de la consommation d’une forme de tourisme plus classique.

55 L’écotourisme communautaire, en cohérence avec la nature du concept, est une consommation plutôt orientée vers les autres (Holbrook, 1994 ; Evrard et Aurier, 1996).

La connaissance

56 L’écotourisme communautaire est une occasion pour le touriste de découvrir et d’apprendre.

57 D’une part, il s’agit de découvrir une région et une culture : sa faune, sa flore, ses paysages, sa culture, ses coutumes, son histoire, etc. De la même manière qu’un voyage classique, le touriste découvre un pays et ses spécificités. Mais, dans l’EC, l’immersion du touriste lui permet de mieux appréhender toutes les particularités du pays visité.

58 D’autre part, il s’agit de découvrir des connaissances ancestrales, partagées et transmises au sein d’une communauté et qui sont ensuite offertes à la compréhension du touriste.

59 Dans les récits, l’on s’aperçoit que, pour ces touristes, voyager c’est aussi la découverte culturelle. Pour Frochot et Legohérel (2010), les individus voyageant dans cette optique, sont ouverts vers l’extérieur et présentent un besoin de découvrir de nouveaux environnements, de nouvelles cultures et d’acquérir de nouvelles connaissances. Généralement, il s’agit d’individus possédant un niveau d’éducation et un pouvoir d’achat supérieur.

60 L’écotourisme communautaire produit donc des bénéfices épistémiques (Lai, 1995) dans la mesure où il permet bien de satisfaire un désir d’apprendre et de découverte

La valeur spirituelle

61 La valeur spirituelle est liée au fait que l’expérience peut permettre une remise en cause de la part de l’individu et le maintien de l’estime de soi (Holt, 1995 ; Aurier et al., 2004). Plus précisément, les valeurs spirituelles liées à l’EC sont la solidarité, l’écologie, l’éthique et la simplicité.

62 Parmi les récits sélectionnés, certains sont à mi-chemin entre l’écotourisme communautaire et le tourisme solidaire et sont donc associés à des missions de bénévolat. En effet, au-delà de l’immersion dans la vie locale et des activités touristiques classiques, certains choisissent de prendre en charge des missions diverses (enseignement, protection de la faune, sensibilisation à l’écologie, etc.) pour améliorer de façon plus concrète le bien-être des populations. L’importance accordée à la solidarité paraît fortement liée à l’importance accordée au lien social.

63 Un autre aspect de la valeur spirituelle est l’écologie. Le touriste qui choisit des formes durables de voyage est conscient de l’équilibre fragile des écosystèmes et de l’impact du tourisme (et donc de leur propre impact) sur ceux-ci.

64 L’équité quant à elle fait surtout référence aux revenus générés par le tourisme. Il paraît important, dans les récits que les revenus soient perçus par les communautés locales et non par des organismes extérieurs. Ils sont conscients du fait que le tourisme peut être un moteur très puissant de développement pour les populations visitées mais qu’il s’agit également d’une manne qui peut être détournée au profit d’acteurs extérieurs.

65 Solidarité, écologie et équité économique reflètent les trois piliers du développement durable sur lesquels se fondent les projets d’écotourisme communautaire. La sensibilité de ces touristes au développement durable est mise en œuvre et concrétisée dans les missions de bénévolats, l’attention particulière portée à la protection de l’environnement et le souci d’assurer des retombées économiques équitables pour les populations visitées. Le respect de ces valeurs peut contribuer à maintenir une certaine estime de soi chez les voyageurs.

66 Enfin, il semble que le voyage soit aussi l’occasion de découvrir des conditions de vie plus simples, plus frugales. L’importance accordée à la simplicité nous montre que l’EC est aussi une occasion pour les touristes de remettre en cause leurs conditions de vie et leurs propres valeurs.

L’expression de soi

67 Il apparaît que la consommation d’un service touristique d’EC contribue à l’épanouissement personnel et à la réalisation de soi (Richins, 1994). Ainsi, le voyage est l’occasion d’une introspection. Le contact avec des individus différents, des conditions de vie différentes, plus simples amènent le voyageur à s’interroger sur sa propre condition.

68 Si les vacances sont généralement un moment propice à l’introspection (Frochot et Legohérel, 2010), il semble que l’écotourisme communautaire soit une forme de voyage qui facilite l’exploration et la réévaluation du soi.

69 C’est aussi une occasion de s’enrichir, notamment par le contact avec la population. Selon Alexander et al. (2010), pour les touristes durables, les voyages sont perçus comme étant l’occasion d’en apprendre plus sur soi-même grâce à l’interaction avec les populations des pays visités.

70 Dans les récits où il était question d’une mission de bénévolat, on peut noter un sentiment d’accomplissement personnel à travers l’aide apportée à la population.

La valeur utilitaire

71 À travers les récits, il apparaît que la valeur utilitaire n’est pas la valeur la plus importante pour les touristes. Malgré tout, il est possible de percevoir dans les discours des sous-dimensions de la valeur utilitaire telles que l’excellence et l’efficience (Holbrook, 1999). Certains touristes ont souligné l’excellence du concept et la qualité de la prestation proposée. Ils mettent en avant une organisation maîtrisée et répondant à leurs attentes.

72 Enfin, il semble que les services d’EC choisis semblent présenter un rapport avantage-coût favorable. Et même si le nombre d’occurrences reste faible, il est fait mention quatre fois d’un rapport qualité-prix intéressant et d’un niveau de confort global satisfaisant.

Sacrifices

73 Même s’ils ne tiennent pas une grande place dans les récits (13 occurrences), il nous semblait important de mentionner les sacrifices consentis par les voyageurs pour avoir accès à cette forme de tourisme. Ces sacrifices sont de deux types : les difficultés et l’insécurité, d’une part et les conditions matérielles, d’autre part.

74 Concernant les difficultés, celles-ci sont surtout mentionnées dans le cadre de mission de bénévolat. De telles missions nécessitent un engagement total de la part du voyageur, ce qui n’est pas toujours simple de faire lorsque l’on se trouve immergé dans un environnement inconnu. L’insécurité dont il est fait mention (seulement 3 occurrences) est également liée à des missions de bénévolat. Quant aux conditions matérielles spartiates, elles sont directement liées au besoin d’authenticité et d’immersion dans les populations locales. De ce fait, même si nous les avons classées dans la catégorie « sacrifices », les voyageurs ne semblent pas insatisfaits, de telles conditions étant considérées comme faisant partie de l’expérience. Ceci est cohérent avec le fait que le renoncement au confort est une caractéristique commune aux touristes durables (Dolnicar et al., 2008 ; François-Lecompte et Prim-Allaz, 2008).

Conclusion

75 Il apparaît que le modèle de la valeur proposé par Aurier et al. (2004) est pertinent pour analyser l’expérience touristique de voyageurs ayant choisi l’écotourisme communautaire. Il nous permet de repérer les différentes sources de valeur inhérentes à cette forme de voyage (valeur sociale, valeur expérientielle, expression de soi, valeur spirituelle, valeur utilitaire et connaissance), de les classer par ordre d’importance aux yeux du consommateur et également de voir que les sacrifices consentis exprimés dans les récits sont minimes et ne semblent pas affecter l’expérience touristique.

76 Il est intéressant de noter que deux valeurs dominent : la stimulation expérientielle et le lien social. La valeur expérientielle et ses différentes facettes (activités récréatives, expérience culinaire, émotions, authenticité) tiennent une place dominante, elle est donc source d’une grande valeur pour le touriste. Mais l’importance de la dimension expérientielle était attendue et c’est surtout la valeur du lien social qui nous paraît particulièrement importante. Comme le soulignent Frochot et Legohérel (2010), le voyage facilite les relations sociales et la qualité des relations avec les populations locales varie beaucoup selon le type de voyage. Ainsi, les touristes qui recherchent avant tout des contacts avec les locaux opteront pour des formes de voyages plus durables telles que l’écotourisme communautaire. Les récits nous montrent d’ailleurs que les voyageurs ayant choisi cette forme de voyage accordent davantage d’importance à la dimension sociale qu’à la dimension environnementale (sous-catégorie de la dimension valeur spirituelle). Dans l’ensemble, cette analyse montre que le choix de cette forme de tourisme repose bien sur la volonté de pratiquer un tourisme durable, prenant en compte les trois facettes du développement durable et pas uniquement sa dimension écologique.

77 D’un point de vue managérial, cet article peut permettre aux acteurs de l’écotourisme communautaire de mieux positionner leurs offres en fonction des dimensions les plus porteuses en termes de création de valeur pour le touriste. En particulier, quatre sources de valeur peuvent être mobilisées : expérientielle, sociale, cognitive et spirituelle. Il semble également pertinent de mettre en avant l’immersion authentique et active dans une communauté.

78 Enfin, il est important de préciser les limites de ce travail. Tout d’abord, la nature qualitative des données ne nous permet pas de proposer un test complet du modèle utilisé mais nous permet simplement de juger de sa pertinence pour comprendre le choix d’une forme d’écotourisme communautaire. Par ailleurs, le recueil de données secondaires ne nous permet pas d’avoir accès aux caractéristiques sociodémographiques des auteurs des récits et donc de dresser le profil type du touriste choisissant l’écotourisme communautaire. De plus, le fait d’utiliser des données secondaires et donc une perception post-expérience peut induire une perte ou une déformation de l’expérience réelle vécue. Il serait pertinent d’envisager un recueil de données primaires recueillies sur place, au moment où l’expérience est vécue. Enfin, cet article propose une hiérarchisation des composantes de la valeur du modèle d’Aurier et al. (2004), celle-ci est proposée à partir de notre étude sur le champ spécifique de la consommation touristique durable, de futures recherches pourraient venir infirmer ou confirmer cette hiérarchisation dans le domaine du tourisme mais aussi dans d’autres champs de la consommation.

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Notes

  • [1]
    Chaque aspect de la communauté d’accueil est important : son attitude, ses infrastructures, sa culture, les évènements, les problèmes éventuels, etc.
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