Notes
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Livre sur l’histoire du groupe publié par Guili I. et Moyrand, C., Histoire d’Entreprises, Lyon, Pomona.
1 Les grossistes sont des intermédiaires de la distribution business to business dont l’activité consiste à revendre des marchandises en leur nom propre (Dugot, 2000, p. 22) indépendamment des acteurs en amont ou en aval de la filière. Perçus comme des « goulets d’étranglements » (Dugot, 2000, p. 3), les remises en cause de leur activité et prédictions de leur disparition sont récurrentes (Gadde, 2012). Ceci est particulièrement vrai dans le domaine des grossistes en fruits et légumes (f & l) qui, suite à la mise en place des plateformes et centrales d’achat de la grande distribution, auraient dû connaître un profond déclin à la fin des années 1990 (e.g. rapport Géode, 2005). Or, à l’image de l’ensemble des grossistes (soit plus de 120000 entreprises contribuant à 6,5 % de la valeur ajoutée nationale brute selon la confédération), ceux des f & l sont encore nombreux à jouer leur rôle d’intermédiaire, voire à renforcer leur position, à l’exemple du leader Orchade (pseudonyme). C’est sur ce constat et celui d’un rôle à nouveau légitime que nous en sommes venus à explorer leur survie en questionnant : quels mécanismes internes à l’organisation décrivent comment la légitimité de l’activité est reconstruite pour survivre ?
2 Selon la théorie néo-institutionnelle (TNI par la suite) la survie de l’organisation dépend de sa légitimité, c’est-à-dire de la considération par un large public qu’elle est une entité légitime méritant le soutien des parties prenantes. Colyvas et Powell, (2006) présentent la légitimité comme étant le concept probablement le plus développé par TNI, mais soulignent également le manque de regard sur la manière dont la légitimité est acquise, répliquée, voire même perdue. Ceci est particulièrement vrai au niveau interne à l’organisation (Kraatz, 2009) et dans un contexte de crise (Patriotta et al., 2011).
3 En s’intéressant aux ressources mobilisées dans ce contexte, cet article explore une thématique émergente de la TNI dont les recherches sur le processus restent encore limitées (Dorado, 2005). Le regard sur les mécanismes en interne sert à appréhender ce processus et ainsi décrire la dynamique qui facilite un retour en légitimité. L’article est composé de trois parties. La première positionne la question de recherche sur la littérature néo-institutionnelle (NI). La seconde présente l’étude de cas Orchade et les résultats de cette étude sont discutés dans une troisième partie.
I – Le processus de légitimation & ses mécanismes
1. La légitimité pour survivre
4 La survie organisationnelle est une problématique centrale de la théorie néo-institutionnelle liée à la légitimité (Suchman, 1995), c’est-à-dire un comportement conforme aux attentes régulatrices, normatives et culturo-cognitives de l’environnement institutionnel (Scott, 2001). Ces dimensions sont d’autant plus importantes que les grossistes ont une sensibilité particulière aux évolutions de l’environnement économique et social (e.g. rapport Credoc, 2011). Par ailleurs, la TNI rend compte de la problématique de survie des entreprises lorsqu’elle est liée à des représentations négatives naturelles telles que les grossistes perçus comme des « mangeurs de marge » (Dugot, 2000, p. 70). Ces représentations correspondent à un manque de légitimité cognitive selon l’approche de Suchman (1995), qui serait la plus profonde et durable parce qu’elle repose sur les représentations allant de soi sans que l’origine ne puisse être expliquée (Suchman, 1995, p. 585). Elle est aussi la plus difficile à manipuler par rapport aux deux autres formes de légitimité distinguées dans cette approche : la légitimité pragmatique lorsque l’activité sert les intérêts de certains groupes de pression et la légitimité morale qui est vérifiée lorsque le résultat ou les procédés de l’organisation renvoient au bien-fondé de la société. Plus largement, Suchman (1995) complète la TNI d’une perspective stratégique pour définir la légitimité comme : « a generalized perception or assumption that the actions of an entity are desirable, proper or appropriate with some social system of norms, values, beliefs and definitions » (Suchman, 1995, p. 574). Cette approche est utilisée par de nombreux travaux néo-institutionnalistes (e.g. Van Dijk et al., 2010) parce qu’elle offre une vision dynamique de la légitimité que les acteurs peuvent perdre ou gagner « en action » au côté de leur légitimité « par essence » (p. 584). Cette perspective permet ainsi aux travaux NI d’affiner l’appréhension de la légitimité sur les actions.
2. La reconstruction de la légitimité
5 L’approche de Suchman (1995) a servi à remettre en cause la passivité des acteurs face à la légitimité, cependant, le regard sur les actions internes à l’organisation reste encore limité selon Kraatz (2009). Dans cette perspective, il s’approprie la notion de leader institutionnel (LI) proposée par Selznick en 1949 pour se concentrer sur les actions de légitimation plutôt que sur les acteurs. L’objectif est de sortir de la vision héroïque qui transparaît dans les travaux sur l’entrepreneur institutionnel en se concentrant sur le travail institutionnel de ce leader pour conserver (réparer, gagner) la légitimité de l’organisation et garantir sa survie (Kraatz, 2009, p. 73-74). À l’instar de ce travail, qui s’attache aux actions aussi bien vis-à-vis des parties prenantes internes qu’externes à l’organisation, notre recherche porte sur les efforts particuliers envers les membres de l’organisation.
6 Ces efforts seront regardés dans un contexte de crise qui est encore peu appréhendé par la TNI (Patriotta et al., 2011), alors qu’il donne une ampleur particulière à la question de la survie lorsque les repères au sein de l’organisation sont bouleversés. Cette perte de repères entraîne par la suite des confusions sur l’identité organisationnelle qui aide les acteurs internes à définir qui ils sont et quel est leur rôle (Buisson, 2005). À l’inverse, la définition de leur identité organisationnelle, parfois plurielle (Kraatz, 2009), facilite la légitimation de leur organisation (Glynn et Lounsbury, 2001). Cette dynamique identitaire est aujourd’hui plus souvent prise en compte par la TNI pour appréhender le processus endogène d’institutionnalisation (e.g. Creed et al., 2010) que celui de légitimation dans un contexte de crise. Il s’agit pourtant d’une perspective séduisante pour explorer le processus de légitimation et rendre compte des mécanismes à l’origine des ressources mobilisées pour se reconstruire.
7 Les ressources sont une notion permettant de regarder les efforts de reconstruction dans ce contexte. Cette notion est devenue importante pour les travaux NI (Hardy et Maguire, 2008) sur l’entrepreneur institutionnel et les approches stratégiques de l’institution. Les premiers travaux (e.g. Greenwood et al., 2002) offrent une « large palette » de ressources (Hardy et Maguire, 2008, p. 19) pour influencer l’institutionnalisation et les approches stratégiques (e.g. Oliver, 1997) ont l’avantage de considérer l’utilisation des ressources en réponse aux pressions institutionnelles. Cependant, l’ensemble de ces travaux se concentrent sur le choix et l’accès aux ressources (e.g. Zietma et Lawrence, 2010) sans que le processus ne soit apparent (Dorado, 2005).
Méthodologie
Parmi ces entreprises, l’étude porte sur le cas Orchade parce que sa position de leader, selon la TNI, l’amène à jouer un rôle décisif dans l’adoption des règles institutionnelles et en raison des similitudes observées avec les évolutions du champ.
Cette étude de cas repose sur 35 entretiens semi-directifs [1] complétés par plus de 40 documents internes et 4 observations non participantes. À partir d’une posture interprétativiste, l’ensemble de ces entretiens, auprès de la direction générale et des salariés de deux succursales, ont été lus à plusieurs reprises dans l’objectif d’en extraire les significations sur les principaux éléments pendant la phase de reconstruction de 1990 à 2012. Ce travail précise deux étapes de reconstruction (1990-2005 puis 2005-2012) sur lesquelles l’analyse se poursuit a posteriori (Glasser et Strauss in Giordano, 2003) des mécanismes de mobilisation des ressources. Ce processus est alimenté d’allers-retours sur la littérature NI pour aboutir à l’identification de deux mécanismes : le bricolage et les stratégies du leader institutionnel.
8 Cet article a donc pour objectif d’alimenter les travaux NI d’une recherche sur les dispositifs qui appréhendent cette dynamique en questionnant : quels mécanismes internes à l’organisation décrivent comment la légitimité de l’activité est reconstruite pour survivre ?
II – Étude du cas Orchade
9 Orchade est un intermédiaire des fruits et légumes depuis 1912 à l’origine du concept de « Gasc » dans les années 1960 pour accompagner l’essor des nouveaux supers et hypermarchés. Comme l’ensemble des grossistes qui vont le rejoindre pour constituer le champ des Gasc en f & l, Orchade connaît une croissance parallèle à celle de la grande distribution (GD) jusqu’au début des années 1990. À cette période, les fruits et légumes évoluent sur des critères standardisés (de résistance, d’aspect et de disponibilité) qui facilitent leur mise en place sous plateformes industrielles au détriment de la qualité et réduit l’apport de l’expertise produit des Gasc. Les réglementations commerciales visant à contrôler le prix des f & l s’accumulent en attirant le regard des consommateurs sur ce critère. Ainsi, en plus d’être inadaptées à leur activité parce qu’elles ne prennent pas en compte leur position d’intermédiaire, ces réglementations renforcent les représentations négatives des Gasc qui sont rendus responsables des prix trop élevés (en raison des marges et du manque de transparence) et de la baisse de qualité des f & l. Ces évolutions institutionnelles favorisent alors la mise en place des plateformes et centrales d’achats de la GD.
10 Cet événement cause la perte de plus de 40 % du chiffre d’affaires d’Orchade en quelques jours avec au total plus de 80 % de son activité remise en cause (de Guili et Moyrand, 2012 [2]). La crise économique des Gasc en f & l, qui ont basculé d’une position centrale à marginale dans la filière, traduit plus largement l’ébranlement de leur légitimité à partir des années 1990, au point que la fédération, elle-même, doute de la pérennité de ce champ (rapport stratégique, UNCGFL, 1998).
11 Pourtant en 2010 Orchade conserve une position de leader parmi les 1200 Gasc qui ont survécu en s’appuyant sur les nouvelles normes et régulations sur la qualité du produit (e.g. plan HACCP sur l’hygiène ; semaine Fraich’Attitude sur le goût ; labels sur l’origine) et du service (e.g. certification ISO 9001). Ils justifient alors leur activité d’intermédiaire auprès de la restauration hors domicile (RHD) pour qui ces pressions sont plus importantes. Ils retrouvent une légitimité pragmatique (Suchman, 1995) en servant à nouveau les intérêts des acteurs de la filière. Par exemple, l’interprofession reconnaît l’importance de leur activité pour dynamiser la consommation des f & l frais à partir de la RHD qui aurait un « pouvoir prescripteur » (entretien, représentant Interfel, Paris, 2012). Leur nouveau système qualité sert aussi de levier pour renforcer la légitimité morale (Suchman, 1995) en affichant l’impact positif de leur activité sur la traçabilité de produit avec le respect des procédures normalisées.
12 En partant de ce constat notre étude de cas décrit les mécanismes internes à l’organisation ayant permis à Orchade de construire son modèle de « qualité homogène et robuste sur toute la France » qui lui permet de répondre aux nouvelles attentes de la société pour justifier son activité d’intermédiaire.
1. Une reconstruction rapide mais fragile par le bricolage
Expérimentations bricolées pour retrouver le rôle de spécialiste produit-GD
13 La première phase de reconstruction de l’activité d’Orchade repose sur un processus de bricolage qui se traduit par des initiatives très diverses selon le président du groupe :
14 « Tous azimuts et dans plusieurs directions, avec des tentatives parfois expérimentales, parfois contradictoires… » (discours du président, célébration des 100 ans du groupe avec les fournisseurs, Paris, 2012). Les essais de diversification dans les fleurs et plantes, dans les produits de la mer, dans le métier de transformateur de f & l industriel, de prestataire logistique de f & l, ou encore, en remontant la filière sur les métiers de producteur, importateur et mûrisseur de bananes en sont des exemples. Ces tentatives ont en commun de provenir des diverses expérimentations des directeurs de succursale à partir des ressources disponibles. Elles sont ensuite reprises et développées par le siège avec de nouveaux investissements dans le but de reconstruire leur rôle de spécialiste produit pour la GD. Une lecture NI permet aussi de rendre compte des synergies culturo-cognitives entre ces activités et celle de Gasc en f & l à l’origine de cette réponse. Dans les fleurs et plantes par exemple, les répondants attestent d’une même culture du produit frais et fragile que les f & l en plus des mêmes ressources logistiques et commerciales.
15 En parallèle se dessine une toute autre réponse avec le métier de Gasc pour la RHD. Au cours des tentatives hasardeuses, les membres des succursales s’ouvrent aux clients de la restauration en disposant à nouveau du soutien du siège qui a déjà vécu cette expérience dans les produits surgelés. Cette activité, marginale au départ pour les magasins, avait fait face à la plateformisation dix ans plus tôt et s’en était sortie grâce à la RHD. Cependant, dans les f & l, cette clientèle reste secondaire et sert de simple apport financier pour poursuivre leur rôle de spécialiste produit auprès de la GD.
16 En résumé, dans un premier temps les membres d’Orchade mobilisent tous les moyens possibles et à portée de main pour justifier leur activité sur la spécialisation produit-GD. Selon notre analyse, cette réponse semblerait influencée par leur identité organisationnelle de « leader f & l » issue de cent ans d’histoire dans cette filière. Ensuite, cette réponse renforce leur identité f & l en étant à nouveau reconnu comme « comme un acteur de la filière » (entretien, directeur de cabinet de conseil en f & l, Lyon, 2012) et « un spécialiste des fruits et légumes depuis 90 ans » (l’Hôtellerie, juillet 2001, n° 2725). Si l’activité de Gasc continue d’être dénigrée, la reconnaissance externe d’Orchade parmi les spécialistes des f & l semble indiquer une récupération partielle de la légitimité morale au sens de Suchman et plus fortement, une légitimité pragmatique (Suchman, 1995) en répondant de nouveau aux intérêts de la GD.
17 Par ailleurs, ces activités diverses soutiennent la survie de l’activité de Gasc en f & l auprès de la grande distribution en compensant les pertes de chiffre d’affaires des succursales d’un point de vue financier et d’un point de vue relationnel, en disposant d’une position privilégiée pour dépanner les magasins. Cependant, cette activité de dépannage ne permet de recouvrer qu’une légitimité pragmatique (Suchman, 1995) de Gasc f & l faible et instable auprès de la GD en voulant conserver leur rôle de spécialiste produit. Les membres d’Orchade conservent leurs ressources et schémas traditionnels et ainsi, ils continuent de subir les pressions institutionnelles sur les prix défavorables à leur activité de Gasc plutôt que de s’ouvrir aux pressions en qualité avec la restauration.
Les limites du bricolage sur le rôle de spécialiste produit-GD
18 Au début des années 2000 ce bricolage aboutit sur la sélection de deux principales réponses liées aux évolutions institutionnelles. Tout d’abord la réponse de spécialiste produit renforcée par le succès des mûrisseries industrielles qui sont devenues indispensables face aux volumes des centrales d’achat de la GD et qui bénéficient de réglementations protectrices mise en place par la Communauté européenne (e.g. barrières à l’entrée et aides financières avec le CEE n° 404/93). L’attachement et la volonté des membres d’Orchade pour développer cette activité est d’autant plus forte qu’historiquement la banane est à l’origine de la réussite de l’entreprise (de Guili et Moyrand, 2012).
19 Le bricolage aboutit sur une seconde réponse de spécialiste qualité en restauration qui est un secteur en pleine croissance depuis les années 2000 suite à des mutations profondes de la société telles que le travail féminin (Roney et Mouquet, RFL, n° 692, 2009). Cette réponse au départ marginale devient finalement significative avec le succès de la branche de Gasc en surgelés depuis son management par Franck, recruté en 1992. Celui-ci s’appuie sur l’intensification des pressions institutionnelles sur la qualité qui accompagne la croissance de ce secteur. Cette réussite encourage la même démarche avec la branche de Gasc en f & l bien qu’elle soit contradictoire avec la culture produit-GD et qu’elle entraîne des confusions sur leur rôle. Jusqu’aux années 2000, les membres d’Orchade privilégient le rôle de spécialiste produit-GD, de par leur identité de « leader f & l », mais celui-ci se fragilise.
20 En interne, premièrement, ce bricolage provoque la dégradation de la cohésion au sein du groupe. C’est le cas des mûrisseries par exemple qui en ayant pour clients les centrales d’achats de la GD, qui sont aussi les concurrents des Gasc, créent des conflits d’intérêts entre les membres des succursales de mûrisseries et de Gasc. Les tensions croissantes en interne rendent de plus en plus difficile le maintien parallèle de ces deux activités.
21 Les évolutions institutionnelles, deuxièmement fragilisent ce bricolage. De nouvelles réglementations remettent en cause cette position de leader pour certaines activités telles que la distribution des bananes (e.g. accord OMC de 2006 qui ouvre les portes aux leaders mondiaux et supprime les aides financières). De plus, les changements institutionnels sur certaines de ces activités entraînent des distorsions avec les schémas culturels traditionnels. L’activité de transformation des f & l, par exemple, évolue vers une logique plus industrielle et de merchandising qui ne cadre plus avec la culture agricole.
22 À l’inverse, la position et l’identité de leader du métier de Gasc en RHD se renforce avec la réussite de la branche en surgelés sous la direction de Franck. Suite à ces différentes évolutions, les membres d’Orchade, qui ont toujours conçu leur groupe comme un leader historique des f & l en GD, sont en pleine interrogation sur la manière de reconstruire l’activité de Gasc en f & l. Franck va alors intervenir pour redonner une cohérence au groupe.
2. Légitimité stabilisée sur de nouvelles ressources avec le leader institutionnel
Le changement de visage pour un nouveau modèle de légitimité sur la qualité
23 En 1992, Franck est recruté pour redresser la branche de Gasc en surgelés dont les résultats déclinent depuis la reconversion forcée vers la restauration. Fort de son passé dans le domaine agro-industriel, Franck remet en question les pratiques des directeurs de succursale de cette branche basées sur les schémas culturels en f & l. Il instaure de nouvelles méthodes industrielles qui, selon lui, sont plus adaptées à ce domaine et aux attentes sur la qualité (e.g. structuration nationale des achats, certification ISO 9001 du réseau). Quatre ans plus tard, la branche se positionne parmi les leaders du domaine des Gasc en surgelés avec un chiffre d’affaires en constante augmentation (rapport interne) et permet à Franck d’intégrer le directoire en 1996 puis la présidence en 1998. Il profite de ces nouvelles positions pour donner une nouvelle vision au groupe et sortir du mécanisme de bricolage.
24 « Je suis arrivé sous la présidence d’un monsieur qui s’appelait [Laurent] et j’ai vu arriver [Franck] et je pense que le groupe a réellement pris une direction sous [sa] présidence […] ce groupe s’est clarifié autour d’un fil conducteur […] imposé par un patron avec une vision. » (entretien responsable logistique, Rhône-Alpes, 2012) Cette vision, qui repose sur la remise en question des schémas traditionnels de produit-GD, semble plus facile pour Franck qui n’a aucun vécu dans les f & l. En revanche, il a une solide expérience au sein d’Orchade sur le métier de Gasc dans la branche en surgelés qu’il utilise pour remodeler l’organisation (Kraatz, 2009).
25 Ce remodelage débute lors de son entrée au directoire et se déroule sur une période d’une dizaine d’années. Après avoir influencé l’éclatement de l’unique branche f & l sur différents métiers (e.g. de l’amont des f & l, de transformation et de Gasc) lors de son entrée au directoire, Franck procède à la séparation officielle en 2002 entre le métier d’agro-industriel (e.g. mûrisserie, transformation des f & l, mareyage pour la GD) et le métier de Gasc (en surgelés et f & l). Le métier de Gasc est construit sur un modèle industriel au service de la qualité dont la pertinence se confirme par le succès rapide d’une branche nouvellement créée en épicerie (pour la RHD). Cette réussite encourage la valorisation de leur savoir-faire de Gasc en RHD avec la création de marques enseignes particulières à chacune des branches, qui renforcent cette valorisation et permettent de mieux gérer les demandes institutionnelles propres à chacun des champs.
26 Ce « changement de visage » des f & l vers le métier de Gasc, pour reprendre les termes de Franck (entretien, Paris, 2012), est finalisé en 2006. Cette date correspond au renoncement à l’ensemble des activités en dehors du métier de Gasc et le développement de deux nouvelles branches dans ce métier (boulangerie et boucherie). L’organisation est ainsi dessinée sur de multiples branches de Gasc qui représentent plus de 95 % de l’activité totale en 2012 contre 65 % en 1999 (de Guili et Moyrand, 2012). Ce remodelage permet d’afficher leur spécialisation de Gasc en RHD sur la qualité auprès des parties prenantes externes, mais il reste encore tout un travail à mener en interne pour que le personnel se l’approprie.
L’appropriation de la culture GASC pour la RHD par les membres d’Orchade
27 Ce remodelage impliquant de renoncer au rôle de spécialiste f & l ainsi qu’à l’activité historique sur les bananes, est une décision difficile à prendre pour les dirigeants d’Orchade. Entre 1998 et 2006, Franck use alors de ses ressources discursives pour leur porter le message du savoir-faire de Gasc plutôt que de f & l. Ce message s’appuie sur le succès de la branche en surgelés ainsi que sur les évolutions institutionnelles défavorables au maintien de leur leadership en f & l et favorables à celui de Gasc en restauration. Pour être plus convaincant Franck fait appel à une expertise externe qui confirme son discours. Il obtient l’adhésion des membres du siège à son projet et peut enclencher la phase finale du remodelage, qui doit sortir la branche f & l des schémas prix-produits pour se mobiliser sur les dimensions service-qualité. Pourtant en 2007, lorsqu’il prend temporairement la direction de cette branche, Franck constate un décalage important entre l’affichage d’un modèle industriel basé sur la qualité et les pratiques au sein des succursales. Les parties prenantes des succursales conservent les schémas culturels traditionnels pour justifier l’activité auprès de la GD. « Je me suis aperçu que […] tout était fait pour continuer à penser que l’on faisait de la GMS […] les façons de faire, les formations, la culture, la façon de penser. » (entretien Franck, Paris, 2012).
28 À titre d’exemple, l’acheteur reste la ressource clef de la dynamique commerciale pour des f & l achetés par opportunité (de prix) et non en fonction des besoins particuliers des restaurateurs. On continue de racheter des entrepôts locaux selon le schéma traditionnel de proximité alors qu’ils sont trop étroits pour stocker l’ensemble des références nécessaires aux diversités de qualité en RHD (e.g. allant du produit local pour la cantine au produit fragile pour le gastronomique). Lors de son arrivée, le conseiller culinaire constate, qu’en plus d’une connaissance insuffisante de la restauration, les membres d’Orchade continuent de dénigrer cette clientèle.
29 En 2007-2008, Franck renouvelle alors ses actions discursives sur l’identité organisationnelle de « leader Gasc » auprès, cette fois-ci, des parties prenantes internes à la branche f & l. Son message a la particularité d’être véhiculé dans le cadre d’un management participatif en raison de leur organisation décentralisée sur des succursales autonomes. Franck organise des réunions avec les directeurs de succursale dont l’objectif est, dans un premier temps, d’établir un diagnostic commun sur la situation et, dans un deuxième temps, de proposer la solution qui est la mise en place d’un modèle de qualité de service basé sur les mêmes procédés industriels que les branches en surgelés et épiceries.
30 « Je leur faisais des diagnostics, je les faisais réfléchir […] “il faut que vous fassiez comme [en surgelés], comme [en épiceries], comme les autres”. Les gars nous disant : “non ce n’est pas pareil nous les fruits et légumes c’est des produits vivants […] ce n’est pas qu’on est adaptés à la GMS, c’est qu’on est adaptés aux fruits et légumes”. Nous notre boulot avec [Marc] c’est de dire : “votre modèle ce n’est pas aux fruits et légumes qu’il est adapté, c’est à la GMS donc faut le changer”. » (entretien Franck, Paris, 2012).
31 Pour les amener à cette solution, Franck s’appuie sur les mêmes arguments utilisés une dizaine d’années plus tôt pour redresser la branche en surgelés (e.g. besoin de méthodes industrielles, d’accentuer le service client). Il fait à nouveau appel à l’expertise externe du cabinet de conseil ainsi qu’à certains collaborateurs en interne, tels que Marc le nouveau directeur en f & l. Aujourd’hui ce discours se retrouve dans les témoignages recueillis auprès des membres des succursales qui adhèrent au modèle d’une qualité robuste.
Recoupement entre les ressources de la branche f & l et le rôle de Gasc en RHD
32 La reconstruction de la légitimité de Gasc en f & l d’Orchade est finalisée avec le recoupement entre les pressions institutionnelles valorisées sur la qualité et les ressources mobilisées pour recouvrer la légitimité.
33 Ce recoupement débute dès 2002-2005 au niveau interbranche lorsque le remodelage organisationnel, c’est-à-dire le remaniement de la forme organisationnelle, permet de passer de ressources dispersées lors du bricolage sur des activités variées, à concentrées sur les pressions institutionnelles liées à la qualité avec le métier de Gasc en RHD. Concrètement, il se traduit par la création d’une direction qualité commune pour mettre en place les normes ISO, tout en conservant des ressources particulières (e.g. les ressources commerciales) pour la qualité de produit.
34 Pour être complet, ce recoupement nécessite, pour chacune des branches, de déployer de nouvelles ressources qui remettent en cause les schémas traditionnels. Dans la branche f & l ces nouvelles ressources sont mises en place en 2008 conformément au modèle établit par les directeurs de succursale au cours de la réflexion collective. Ce modèle repose sur trois transformations organisationnelles simultanées (tableau 1) : l’homogénéisation du réseau en sortant de la culture de proximité (T1), la logique client plutôt que produit pour guider la dynamique commerciale (T2) et enfin, la mise en place d’une qualité de services qui repose sur la valorisation des compétences en logistique et qualité (T3). Chacune de ces transformations permet de finaliser le recoupement entre les ressources et la légitimité visée.
Synthèse des changements pour des ressources adaptées au rôle légitime sur la qualité
Transformations organisationnelles | Exemples d’évolution des ressources | Légitimité visée |
T1-Réseau national intégré : homogénéisation de l’activité (vs activité locale autonome sur le schéma de proximité) | Nouveaux managers intermédiaires pour limiter le pouvoir local des directeurs de succursale ; méthodes communes et structure nationale d’achat | Symbole du Gasc au service robuste : légitimité par la qualité homogène sur le territoire |
T2-Système de push
commercial : sur le conseil professionnel au client (vs priorité achat sur un schéma produit) | Montée en compétence des vendeurs (nouvelles connaissances culinaires et meilleures connaissances sur le produit) | Symbole du Gasc expert de la RHD : légitimité sur l’expertise produit en RHD |
T3-Équilibre des
compétences : qualité, logistique et commercial (vs priorité du commerce sur un schéma négoce) | Montée en compétence des équipes en logistique et qualité ; construction d’entrepôts plus grands | Symbole du Gasc au service robuste : légitimité sur les normes de qualité du service |
Synthèse des changements pour des ressources adaptées au rôle légitime sur la qualité
35 Ce recoupement permet de récupérer une légitimité plus importante que lors du bricolage avec un modèle basé sur la qualité homogène qui répond désormais aux nouvelles attentes de la société sur la qualité du produit et du service décrites en introduction. Aujourd’hui leur rôle sur la qualité en tant que Gasc f & l est revendiqué en interne et reconnu par les acteurs externes :
36 « Avant il y avait juste : “c’est cher !” Alors que maintenant c’est cher mais il y a la qualité ! » (entretien, commercial 4, Rhône-Alpes, 2012)
37 « Ils ont la branche f & l pour s’attaquer différemment aux restaurants de par la qualité ! La qualité de par leur image avec Franck, avec leur chef cuisinier […] tout ce qui est qualité en véhicule, en froid, tout est top. » (entretien, fournisseur de fruits transformés, Lyon, 2012)
III – Discussion du cas Orchade
38 Les résultats de l’étude de cas Orchade font échos aux fondements de la théorie néo-institutionnelle en observant une légitimité renforcée par la conformité aux pressions institutionnelles les plus favorables à son activité. En portant le regard sur le « comment » la légitimation a lieu après une situation de crise, nos résultats permettent de rentrer plus en profondeur dans la description de ce processus avec l’identification de deux mécanismes.
1. Le bricolage pour une survie improvisée sur les ressources disponibles
39 Le premier mécanisme identifié est celui de bricolage qui consiste, selon la définition de Lévi-Strauss (1962, p. 26), à « toujours s’arranger avec les moyens du bord ». La notion de bricolage a fait l’objet de différents travaux en sciences de gestion sur le « bricoleur manager » (Duymedjan et Rüling, 2010) dont l’intention du « bricoleur entrepreneur institutionnel » avec la TNI (e.g. Garud et Karnoe, 2003).
40 Notre étude se distingue des travaux précédents en approchant le processus aléatoire du bricolage plutôt que l’individu stratège. La première partie de nos résultats évoque ce processus par l’utilisation d’un stock de ressources hétérogènes (Duymedjan et Rüling, 2010) issues des diversifications fragmentées des succursales pendant la période d’essor des années 1970-1980. Combinées à de nouveaux investissements, ces ressources sont assemblées autour du nouveau projet de reconstruire l’activité d’Orchade sur le rôle de spécialiste produit pour la GD. Cette dynamique évoque un processus de bricolage au sens originel de Lévi-Strauss (1962) qui consiste à élaborer des ensembles structurés, non pas directement avec d’autres ensembles structurés, mais en utilisant « des résidus et des débris d’événements » (p. 36).
41 Ensuite, cet article diffère des travaux NI sur le bricolage par son approche organisationnelle plutôt qu’institutionnelle. La TNI s’est emparée de ce concept avec les travaux de Douglas (1986) qui le déploie au niveau des institutions. Le bricoleur institutionnel prend tout ce qui est disponible dans son répertoire pour transformer l’institution. Cet article offre une approche différente du bricolage qui descend au niveau organisationnel pour saisir la dynamique de légitimation. Une lecture néo-institutionnelle de ce bricolage organisationnel souligne que ce mécanisme repose sur les répertoires culturels des individus en plus des ressources à portée de main. En effet, les tentatives hasardeuses au sein d’Orchade s’appuient sur ressources existantes mais aussi sur des synergies avec les schémas culturo-cognitifs. Inversement, la sortie du bricolage implique de nouvelles ressources remettant en cause les schémas traditionnels. Pour ces raisons, cette recherche encourage l’appréhension organisationnelle, telle qu’elle est portée par les travaux NI précédents (e.g. Stark, 1996 ; Campbell, 1997) pour compléter la perspective macro du bricolage institutionnel. Scott (1999, p. 14) souligne en particulier l’intérêt de ce concept pour appréhender les « mobilizing efforts » qui autorisent les changements organisationnels nécessaires à la légitimité. Cette recherche donne un premier aperçu de ce type d’efforts au sein de l’organisation, mais elle nécessite d’être complétée par une analyse micro plus approfondie de la légitimation.
42 Enfin, cette étude complète les travaux NI en valorisant l’intérêt d’appliquer ce concept aux ressources mobilisées pour rendre compte des dynamiques de reconstruction face à une situation de crise. La focale sur les ressources permet d’insister sur la combinaison du vieux et de l’ancien qui caractérise le bricolage (Scott, 1999) et inversement, le mécanisme de bricolage illustre la dimension contextuelle des ressources mobilisées lorsque « l’ensemble des moyens du bricoleur n’est pas définissable par un projet » (Lévi Strauss, 1962, p. 27). Il souligne que la fonction et la valeur des ressources ne sont pas immuables puisque certaines ressources peuvent être pensées dans un certain contexte mais seront finalement utilisées à d’autres fins.
43 Au final, cette étude propose l’intérêt de ce concept pour souligner un processus de reconstruction hasardeux suite à une situation de crise, à travers la dispersion des ressources (à portée de main) sur toutes sortes d’expérimentations. À l’inverse, le second mécanisme présenté ci-après met en avant une reconstruction contrôlée.
2. Le leader institutionnel pour recadrer la reconstruction de la légitimité
44 Le second mécanisme identifié repose sur les stratégies du leader institutionnel (LI) qui est un concept proposé par Kraatz (2009) pour appréhender les actions de légitimation envers les parties prenantes externes mais aussi internes. On retrouve ce concept dans les efforts de Franck pour reconstruire Orchade sur le métier de Gasc en restauration.
45 Les actions de Franck illustrent certaines formes de « travail institutionnel » (TI) du modèle théorique proposé par Kraatz (2009). Le travail de « remodelage de l’organisation » visant à mieux fragmenter et contrôler les différentes demandes institutionnelles (Kraatz, 2009, p. 76), notamment avec l’aboutissement sur de multiples branches de Gasc, en est un premier exemple. Le renoncement aux métiers des f & l autres que celui de Gasc en 2006 qui illustre le TI sur les choix critiques effectués lorsque les demandes institutionnelles deviennent contradictoires (Kraatz, 2009) en est un second. Ces deux formes de travail institutionnel apparaissent également lors du remodelage particulier de Franck dans la branche f & l qui implique de renoncer à la GD et de sortir des schémas traditionnels qui freinent la qualité.
46 L’intervention de Franck au niveau de cette branche illustre également les actions de rhétorique et symbolique, proposées par Kraatz (2009), en s’appuyant sur l’expérience en surgelés pour convaincre les directeurs de succursale de leur rôle de Gasc plutôt que de f & l. Elle traduit également le travail de création d’une « identité intégrative » (de leader Gasc en RHD) pour une apparente cohérence de l’organisation, au-delà des institutions fragmentées (Kraatz, 2009, p. 77). En somme cette recherche apporte une illustration empirique du modèle théorique sur le leader institutionnel avec l’intérêt plus particulier de ce concept dans une situation de crise. Dans ce contexte particulier, les stratégies du LI favorisent le recadrage lorsque la perte de repères amène plus naturellement à des bricolages. Cet article offre un premier aperçu, qui mérite d’être approfondi dans de futures recherches, des apports de ce concept pour concevoir le processus de reconstruction par un recadrage.
47 Par ailleurs, notre étude insiste sur la dimension collective de cette activité où la participation de l’ensemble des directeurs de succursale au diagnostic de la branche est indispensable pour être crédible en interne. En soulignant l’investissement cognitif collectif, cette étude de cas contribue à nuancer la centralité du leader qui est un concept peu utilisé par la TNI, selon Kraatz (2009), pour éviter de retomber dans la vision héroïque de l’entrepreneur institutionnel. Cette vision est ici atténuée par le constat d’une participation de multiples parties prenantes (e.g. Marc, ancien directeur f & l). Cette recherche permet également de préciser la grille théorique de Kraatz (2009) en soulignant la connexion entre les différents TI qu’il présente séparément. Le remodelage, par exemple, facilite la mise en place de l’identité intégrative et tous deux sont appuyés par le travail discursif de Franck. Par ailleurs notre étude encourage à concevoir ces efforts discursifs non pas comme une forme de TI mais comme des ressources, tel qu’évoqué par l’approche néo-institutionnelle (e.g. Hardy et al., 2000), mobilisés au cours des différents TI. Naturellement, l’ensemble de ces propositions nécessitent de nouvelles illustrations empiriques pour pouvoir être confirmées ou infirmées.
48 Au final, les stratégies du leader sont interprétées comme un mécanisme qui traduit une dynamique intentionnelle sur les ressources mobilisées, en écho à la définition de Lawrence et Suddaby (2006) du travail institutionnel et à l’opposé de la dynamique hasardeuse du mécanisme de bricolage.
3. Reconstruction de la légitimité par un changement d’identité organisationnelle
49 En se concentrant sur « comment » la reconstruction de la légitimité organisationnelle a lieu après une situation de crise, cette étude met également en avant la relation entre l’identité organisationnelle et le processus de légitimation. La notion d’identité est devenue plus fortement considérée par la TNI pour saisir la problématique de l’agence dans la dynamique d’institutionnalisation alors que peu de travaux font le rapprochement avec la légitimation. Glynn et Lounsbury (2001) font ce lien au travers d’un modèle théorique sur le capital organisationnel, qui explique l’atteinte de la légitimité tout en se différenciant. Notre article conforte ce rapprochement entre l’identité et la légitimité au travers d’une illustration empirique. Dans chacune des deux phases identifiées, la reconstruction repose sur l’identité de « leader » par laquelle les membres d’Orchade définissent l’organisation. Les premières réponses bricolées sont orientées sur leur identité traditionnelle de « leader des f & l » pour justifier leur activité sur l’expertise produit. Tandis que la reconversion vers la RHD pour justifier l’activité sur la qualité, repose sur la transformation de l’identité en « leader Gasc ». Ce travail empirique renforce alors la thèse soutenue par Brown (1997) lorsque la forme identitaire influence la légitimation de l’entreprise plutôt que la relation inverse proposée par Scott et Lane (2000) (Buisson, 2005).
50 En somme, l’appréhension de ce concept pourrait servir à la TNI de par son ancrage cognitif, pour approfondir le regard sur le processus de légitimation en sus de l’institutionnalisation. Nos résultats offrent une description du travail identitaire du leader institutionnel qui, si elle reste limitée, permet cependant d’entrevoir ce concept comme une piste d’exploration de la relation entre le processus identitaire et de légitimation.
Conclusion
51 Cette étude de cas propose deux mécanismes interdépendants, sans les prétendre uniques, qui éclairent sur la manière de reconstruire la légitimité dans une situation de crise. Au travers de ces deux mécanismes, cette étude dépasse la vision statique des travaux précédents, sur l’accès ou le type de ressources (e.g. Hardy et Maguire, 2008), pour ouvrir les travaux néo-institutionnels sur le processus de mobilisation des ressources tel que le suggère Dorado en 2005.
52 Par ailleurs, cet article illustre l’influence des schémas culturo-cognitifs existants sur ce processus lorsqu’il s’agit de reconstruire l’activité après une situation de crise. En adoptant une lecture NI, dont la dimension culturo-cognitive est significative, ce travail encourage alors une meilleure réflexivité des managers sur les cadres cognitifs déjà établis et parfois leur remise en cause pour concevoir pleinement les possibilités de reconstruction.
53 Dans le cas d’Orchade il s’agit d’une remise en cause largement influencée par l’expérience dans le champ des Gasc en surgelés. L’approche néo-institutionnelle s’attache au rôle des expériences, transposées d’un champ à un autre (e.g. Dorado, 2005), mais aborde peu les impacts de ces expériences sur les ressources mobilisées pour conserver sa légitimité. Cette recherche encourage alors à regarder plus en profondeur le lien entre les expériences « hors champs » et le processus de légitimation.
54 Enfin, chaque mécanisme souligne une caractéristique particulière sur les ressources mobilisées. Le caractère contextuel avec le bricolage encourage les managers à régulièrement remettre en cause la valeur des ressources mobilisées selon l’environnement. Tandis que les stratégies du leader institutionnel relèvent le caractère collectif au travers de l’investissement cognitif de l’ensemble des participants. Toutefois, de futures recherches sont nécessaires pour mieux rendre compte de la « conscience collective » de la légitimité encore peu développée par la TNI (Colyvas et Powell, 2006). La poursuite de cette recherche pourrait porter sur une analyse comparative qui, plus largement, dépasserait les limites de cette étude de cas unique et affinerait ce premier regard sur la manière dont la reconstruction a lieu.
Bibliographie
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Notes
-
[2]
Livre sur l’histoire du groupe publié par Guili I. et Moyrand, C., Histoire d’Entreprises, Lyon, Pomona.