Couverture de RFG_238

Article de revue

Le management international à l'écoute du local

coordonné par Ulrike Mayrhofer et Philippe Very, Éditions Gualino, coll. « Management international », Paris, 2013, 350 p.

Pages 179 à 184

1 Cet ouvrage de 349 pages ne compte pas moins de 30 auteurs : Martine Boutary, Céline Bouveret-Rivat, Magdalena Brunel-Godek, Olivier Brunel, Thierry Burger-Helmchen, Maroussia Chanut, Patrick Cohendet, Sonia Couprié, Anne Cournac, Laure Dikmen Gorini, Jalal El Fadil, Christophe Falcoz, Pauline Fatien Diochon, Bouthaina Fekih, Fabienne Fel, Anne-Laure Gatignon-Turnau, Eric Griette, Victor Harison, Valéry Krylov, Thi Kim Yen Le,

2 Ulrike Mayrhofer, Catherine Mercier-Suissa, Annie Puyo, Nebojsa Radojevic, Asma Riahi Ben Raies, Josée St-Pierre, Jerôme Rive, Jean-Pierre Segal, Marc Valax, Philippe Very.

3 Les quinze chapitres qui composent le livre traitent de sujets très variés, comme on peut en juger à l’énoncé du sommaire qui suit :

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  • L’impact de la crise de 2007 sur les IDE américains en Europe de l’Est et en Asie du Sud-Est ;
  • Analyse spatiale des déterminants de localisation des IDE en Tunisie et leur impact sur les disparités régionales ;
  • L’influence de la taille des entreprises sur les décisions d’approvisionnements internationaux ;
  • Que cherchent les dirigeants de PME dans la sous-traitance internationale ?
  • La RSE : déterminant de la relocalisation ou outil de communication ?
  • L’innovation inverse ; un retournement du principe de diffusion internationale des innovations ?
  • Le management de la diversité dans les ONG humanitaires : métissage organisationnel à Médecins Sans Frontières ;
  • Quand l’entreprise multinationale se dit « responsable vis-à-vis des territoires où elle est implantée ». Décryptage à partir de l’analyse des rapports de développement durable ;
  • La relation entre la gouvernance et la performance des entreprises internationales en Turquie ;
  • L’expérience de diffusion internationale de la culture d’un groupe coopératif dans les filiales latino-américaines : entre confiance, régulation et empowerment ;
  • Ruptures organisationnelles et continuité culturelle : une comparaison franco-allemande ;
  • Le coach universel existe-t-il ? Une analyse du coach en contexte interculturel à la lumière du constructivisme social ;
  • Gestion des ressources humaines en Russie. Quelles pratiques entre l’héritage et l’importation ?
  • RSE : des principes internationaux à la mise en pratique locale. Le cas de deux entreprises malgaches.
  • Expérimenter la stratégie de « valeurs partagées » dans l’industrie pharmaceutique : l’étude du cas GlaxoSmithKline.

5 On remarquera que dans six titres sur quinze les auteurs jugent bon d’utiliser des abréviations (RSE, IDE, etc.) non explicitées au départ ; cette pratique, qui devient hélas commune, relève d’une regrettable discourtoisie à l’égard du lecteur qui n’est pas nécessairement un connaisseur du domaine concerné.

6 Plus fondamentalement, la liste ci-dessus peut donner l’impression, au premier regard, d’une composition d’éléments fort disparates ; il n’en est rien. Ulrike Mayrhofer et Philippe Very, responsables de cette publication, ont réussi, avec beaucoup d’intelligence et une élégance toute française, à donner un sens, fort bien coordonné, à tous ces travaux en les regroupant en trois parties, composées chacune de cinq chapitres.

7 La première partie, dédiée à « La localisation géographique des investissements », traite de stratégie, plus particulièrement des motivations et du choix du lieu d’investissement. Le chapitre 1 étudie l’impact de la crise de 2007 sur les investissements directs des États-Unis en Europe de l’Est et en Asie du Sud-Est. La crise caractérisée au départ par l’éparpillement dans le monde entier de produits toxiques liés aux « subprimes » a, selon cette recherche, effectivement affecté la localisation des flux d’ investissements directs américains dans des directions moins risquées selon les agences de notation américaines. Le contexte macroéconomique et politique joue bien un rôle dans le managent international des firmes. Le chapitre 2, libellé « Analyse spatiale des déterminants de localisation des IDE en Tunisie et leur impact sur les disparités régionales » amène le lecteur sur le continent africain, plus précisément dans deux zones de développement régionales situées en Tunisie. Les auteurs détectent assez logiquement une connexion plutôt forte entre le secteur d’activité de l’investisseur et les facteurs d’attractivité de chaque zone, suggérant dès lors des mesures de politique industrielle adaptées. Les décisions managériales internationales privées ont bien un impact socio-économique et politique local et réciproquement. Le chapitre 3, « L’influence de la taille des entreprises sur les décisions d’approvisionnements internationaux » aborde selon son titre un problème général, mais en travaillant sur une base restreinte, composée uniquement d’entreprises françaises, les auteurs limitent la généralisation possible de leurs conclusions. La pertinence des stratégies d’offshoring des PME est ici mise en doute selon des critères que l’on peut juger insuffisants. Les auteurs semblent oublier que les PME réalisent un chiffre d’affaires inférieur à celui des grandes entreprises et que cette différence se traduit nécessairement dans leur stratégie d’approvisionnement et plus particulièrement dans le nombre de pays investis sans que la quantité d’information disponible joue un rôle décisif. Par ailleurs, un des éléments de différenciation serait une sensibilité contrastée à la demande des clients. Ce concept n’est éclairé que très vaguement (p. 76) ne tenant pas compte, notamment des normes ou certifications imposées par les clients à toute entreprise quelle que soit sa taille. La qualité de la base de données semble devoir être mise en doute. Cette contribution, non dépourvue d’intérêt, suggère des approfondissements ultérieurs intégrant notamment les apports d’une gestion contemporaine de la « global value chain ». Le chapitre 4 soulève également une question relative aux PME : « Que cherchent les dirigeants de PME dans la sous-traitance internationale ? » La réponse est construite sur la base de données québécoises (on aimerait un sous-titre le précisant). L’analyse est menée avec des idées claires, témoignant d’une culture managériales adéquate et ne négligeant pas les valeurs qualitatives. Le chapitre 5 est intitulé « La RSE : déterminant de la relocalisation ou outil de communication ? » La question de recherche est précise : quel est le poids des considérations de responsabilité sociale des entreprises dans la décision de relocalisation de PME françaises en France. La démarche menée est exploratoire et dégage des réponses intéressantes, mais celles-ci émanent seulement de trois entreprises de la région Rhône-Alpes.

8 La deuxième partie de l’ouvrage, « L’organisation et le contrôle des activités locales » est dédiée à des problématiques managériales et organisationnelles que l’entreprise qui a décidé de déployer son activité à l’échelle internationale doit résoudre pour être à l’écoute du local d’une manière efficiente. Elle débute avec un problème de base, à savoir celui de la créativité, de la diffusion des inventions et innovations locales, au-delà des frontières nationales. Le premier chapitre de cette partie est consacré à « L’innovation inverse : un retournement du principe de diffusion internationale des innovations ? » ; il livre un ensemble de réflexions très pertinentes sur l’innovation « inverse », celle qui est adoptée d’abord dans un pays émergent avant d’être introduite dans les pays développés, pourquoi, comment et avec quel impact ? Il s’agit d’une contribution majeure de l’ouvrage non seulement de par son éclairage du concept émergent d’innovation inverse (qui masque une certaine superbe contestable des pays développés) mais aussi par l’incitation à la réflexion sur les rôles respectifs du savoir, de l’innovation (savoir appliqué) et du pouvoir d’influence des entreprises innovantes, qu’il diffuse. Certains auteurs n’hésitent pas à employer le terme de tyrannie technologique ou d’influence dominante des techno-sciences. Clifford O. Conner, dans son ouvrage remarquable « Histoire populaire des sciences » (publié en français en 2011) nous donne à penser que le mode « inverse » peut être entendu et analysé de multiples manières. Le deuxième chapitre de cette partie présente « Le management de la diversité dans les ONG humanitaires : métissage organisationnel à Médecins sans Frontières ». Dans ces organisations le management international est un véritable défi au même titre qu’une vraie opportunité existentielle. La démonstration en est faite d’une manière rigoureuse. La responsabilité sociale des entreprises est une problématique reprise dans le troisième chapitre de cette partie, mais ici avec une ouverture beaucoup plus large que dans le chapitre 4 de la partie précédente. Il s’agit ici des entreprises multinationales et de leur rôle dans les territoires d’implantation (« Quand l’entreprise multinationale se dit “responsable vis-à-vis des territoires où elle est implantée”. Décryptage à partir de l’analyse des rapports de développement durable »). L’analyse d’une quarantaine de rapports d’entreprises cotées françaises a permis aux auteurs de dégager une typologie d’engagements « responsables » allant du simple respect de la réglementation locale à la création d’une relation collaborative avec les acteurs locaux du développement durable. C’est là un champ d’investigation appelé à se développer d’une manière importante. Le quatrième chapitre de cette partie analyse « la relation entre la gouvernance et la performance des coentreprises internationales en Turquie ». L’organisation et le contrôle de « joint ventures » relèvent en général d’un exercice délicat, car lié au degré et à la qualité de la confiance que les partenaires de différents pays ont réussi à établir entre eux. L’auteur a conduit à ce sujet une étude rigoureuse et riche, bien documentée. Le dernier chapitre de cette partie traite lui aussi de la confiance mais sous un autre angle d’approche, celui de la culture, et dans d’autres zones géographiques (Pays basque, Brésil, Mexique). Trois cas sont analysés en profondeur et avec une belle maîtrise des spécificités juridiques et culturelles en jeu. Le titre de la recherche – « L’expérience de diffusion internationale de la culture d’un groupe coopératif dans ses filiales latino-américaines : entre confiance, régulation et empowerment » est précis et parlant. L’analyse relève de la même veine : méthodologie rigoureuse, résultats bien présentés en dépit de la complexité du sujet.

9 La troisième partie de l’ouvrage est consacré à « L’intégration des pratiques managériales locales ». La thématique est d’autant plus intéressante qu’il s’agit à la fois d’un problème opérationnel délicat et de l’existence réelle de contrastes culturels importants. Les pratiques américaines (États-Unis), chinoises, françaises, allemandes, italiennes, finnoises, etc. sont sensiblement différentes. L’universalité des pratiques n’existe pas ; on peut supposer que les unes ou les autres se caractérisent par des effets sur les performances, de toute nature, divergentes. C’est un vaste chantier ! Le présent ouvrage apporte d’intéressantes pierres à l’édifice, dans des contextes très variés ! Le premier chapitre de cette partie pose le problème des « Ruptures organisationnelles » et de la « continuité culturelle » au travers d’une étude franco-allemande concernant deux entreprises comparables, les métros de Berlin et de Paris, soumis au même moment à des transformations significatives de leur organisation. L’étude met en évidence d’une manière intéressante et subtile, l’impact sur la gestion des organisations internationales du contexte macro-culturel. Le deuxième chapitre de cette partie est intitulé un peu curieusement « Le coach universel existe-t-il ? Une analyse de l’utilité du coach en contexte interculturel à la lumière du constructivisme social ». L’étude réalisée permet au lecteur de saisir le rôle d’un coach au regard d’une démarche d’interculturalité dans un monde multiculturel en voie de globalisation à marche forcée. Il pose, en dehors de la formation et de la compétence des coachs, la question du rythme du changement acceptable en matière d’efficience organisationnelle à l’échelle du monde. Le troisième chapitre transporte le lecteur en Russie, un pays de forte identité culturelle, de longue tradition à la fois nationale et cosmopolite, ayant connu depuis le dernier siècle plus particulièrement, des mutations fortes et répétées. Le titre de la recherche en est le reflet : « Gestion des ressources humaines en Russie. Quelles pratiques entre l’héritage et l’importation ? ». Le résultat sur le terrain est intéressant puisqu’on découvre que la transparence importée pourrait affaiblir l’arbitraire et que la concurrence serait en mesure d’assouplir les structures héritées du passé, chemin faisant. L’analyse présentée est à la fois limpide et nuancée. Dans le quatrième chapitre, on retrouve le concept de « Responsabilité sociale des entreprises » explicité en tant que « principes internationaux » confrontés « à la mise en pratique locale ». La RSE est ici testée à travers le cas de deux entreprises malgaches. L’auteur déduit de son investigation que dans les pays moins développés le concept est encore en l’état d’émergence, conditionné par les firmes multinationales qui y sont implantées. Du chemin a déjà été parcouru, mais il en reste beaucoup à parcourir (comme ailleurs !). Le dernier chapitre est intitulé « Expérimenter la stratégie des “valeurs partagées” dans l’industrie pharmaceutique : l’étude du cas GlaxoSmithKline ». L’auteur trouve son inspiration dans un article à succès de Porter et Kramer paru dans la Harvard Business Review en 2011, et cherche à vérifier la validité réelle de ce modèle de valeurs partagées dans une entreprise bien connue de l’industrie pharmaceutique, spécialisée entre autres dans la mise au point de traitements contre les maladies tropicales encore présentes dans nombre de pays émergents. Le diagnostic final est plutôt prudent : le modèle de valeurs partagées dans les pays émergents est encore du domaine du possible, mais en cours d’évolution tout comme les stratégies de PPP (partenariat public privé).

10 En définitive, la lecture de cet ouvrage est recommandée par l’intérêt de ses contributions dont nous venons de donner un petit aperçu ; elle l’est aussi en raison de la mission que s’est donnée Atlas-AFMI lors de sa création, à savoir faire connaître la diversité et l’originalité du champ du management international. Ce dernier est à la confluence de différentes disciplines (économiques, financières, juridiques, technologiques, politiques, sociales, psycho-sociologiques) qui ont toutes leur influence. Le management international impose une grande ouverture d’esprit qui suppose l’écoute, l’observation, le calcul, le raisonnement, l’imagination, le respect de la diversité et de l’altérité. Il est important que la collection « Managemnt international » créée par l’éditeur en 2012, puisse en témoigner régulièrement, avec des contributions originales et de qualité, sortant d’une certaine routine éditoriale. Par ailleurs, l’AFMI de par sa dénomination même (Association francophone de management international), accorde une attention primordiale à la recherche francophone, nettement moins connue que l’anglo-saxonne. Pourtant la pensée et la pratique en la matière sont essentielles au développement économique. Du chemin reste à parcourir. L’ouvrage de Ulrike Mayrhofer et Philippe Very y contribue sans conteste et utilement.

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