Notes
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[1]
Psychanalystes, qu’avons-nous fait de la psychanalyse ?, Anne Millet, Éditions du Seuil, 2010.
1 En septembre 1922, Freud proposa aux psychanalystes, réunis en congrès à Berlin, un concours doté d’un prix au montant non négligeable. Le thème retenu était : « Rapport de la technique analytique avec la théorie analytique. Doit être examiné dans quelle mesure la technique a influencé la théorie et jusqu’à quel point à l’heure actuelle, l’une ou l’autre se gêne mutuellement » [1].
2 Freud ne rencontra aucun écho. Toutefois, indépendamment du concours, Rank et Ferenzi publient en 1924 un ouvrage intitulé : Perspectives de la psychanalyse. Sur l’indépendance de la théorie et de la pratique. Il en résulta une crise dont la communauté des analystes est coutumière.
3 Ce n’est pas notre propos, dans cet article, de comparer psychanalyse et management, ni de proposer une étude sur la confluence et l’interpénétration de ces deux domaines, encore qu’il y aurait énormément à faire sur ce sujet. Au moment où de nombreux suicides de salariés traduisent le mal-être de l’entreprise, nous pensons aux perspectives ouvertes, un temps, par la psychothérapie institutionnelle sur le fonctionnement des organisations et son potentiel d’amélioration.
4 Ce dont il est question, c’est du rapport entre la théorie et la pratique. Il suffit de remplacer les termes « analytique » par « managerial » dans la proposition de Freud, pour voir comment elle est applicable à la gestion. On peut s’interroger, en cette période de crise des marchés et des organisations, sur l’existence d’une gêne réciproque de la pratique et de la théorie. Pour dire les choses simplement, l’homme dans l’entreprise, le salarié, sa complexité et les liens qu’il noue et dénoue sur son lieu de travail, ne sont-ils pas souvent considérés comme un obstacle au développement du raisonnement théorique ?
5 Faut-il rappeler que l’objet des disciplines de management est l’action ? Avec ses impératifs de temps, son périmètre et ses possibilités limitées. Cela suppose forcément des erreurs, des retours en arrière. Une démarche parfois tâtonnante qui n’est malheureusement pas jugée intéressante par la recherche.
6 Le discours scientifique s’efforce, lui, d’appréhender l’essence des choses telles qu’elles apparaissent après coup. Son temps n’est pas le même. L’expert est en quête du statut de science dure pour la gestion. Un luxe inouï qui lui permet de ne pas avoir à intervenir. Dans l’effort d’optimisation qui est le sien, il prend le risque d’éliminer ce qui ne peut pas être mesuré. Il ne construit pas qu’un savoir, il construit aussi l’image d’un savoir. Sa volonté de puissance rejoint, parfois malgré lui, la volonté de maîtrise du patron mégalomane, supposé pour sa part tout décider et tout connaître, y compris l’avenir. Dans les deux cas, il y a de l’illusion : la croyance que les errements de la réalité peuvent être dissipés par le savoir, que celui-ci soit produit par un seul homme ou par la science.
7 Nous sommes bien obligés de constater que la crise aussi bien économique que morale, au sein d’un grand nombre d’entreprises, ne régresse pas au fur et à mesure que progresse ce savoir dit « scientifique ». N’est-ce pas un signal ? N’y a-t-il pas moyen de faire en sorte que théorie et pratique ne soient pas condamnées à « se gêner mutuellement » ?
Date de mise en ligne : 07/10/2011
Notes
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[1]
Psychanalystes, qu’avons-nous fait de la psychanalyse ?, Anne Millet, Éditions du Seuil, 2010.