Couverture de RFG_201

Article de revue

Internationalisation, diversification et performance

Une analyse sur les groupes du CAC 40

Pages 13 à 26

Notes

  • [1]
    Sigle signifiant « Cultural, Administrative, Geographic, Economic ».
  • [2]
    À travers la variable Q de Tobin.
  • [3]
    La notion de « système de sens » telle que définie par d’Iribarne (2002) suppose que les concepts-clés sont reliés entre eux de façon particulière à chaque culture. Par exemple, en Espagne, la responsabilité apparaîtra comme antinomique au contrôle alors qu’aux États-Unis, elle apparaît naturellement indissociable, le contrôle représentant une condition d’exercice de la responsabilité.
  • [4]
    Il est fait référence ici à l’OCDE et à la Cnuced.

1 Une entreprise exploitant des synergies opérationnelles entre ses activités a-t-elle intérêt à étendre cette quête au-delà des frontières de son marché domestique ? Peut-elle attendre de l’internationalisation un effet amplificateur des synergies créées ?

2 La plupart des études menées sur cette question répondent par la négative, postulant un impact modérateur de l’internationalisation sur le lien « diversification - performance ». En effet, l’exploitation de synergies à la fois entre des activités et des marchés géographiques distincts induit une complexité organisationnelle accrue. Les efforts de coordination requis risquent d’entraver la concrétisation des synergies potentielles. L’avantage économique de la diversification liée serait donc moindre voire inexistant dans un contexte international.

3 Les résultats obtenus sont toutefois contradictoires sans que l’on puisse considérer comme validé l’impact modérateur de l’internationalisation. Les rares travaux sur la question considèrent en outre des entreprises américaines ou asiatiques. Or, la non neutralité du pays d’origine sur le lien « internationalisation - performance » amène à s’interroger sur le caractère généralisable des hypothèses à d’autres contextes nationaux. En effet, le degré de diversification géographique étant fonction de la taille du marché national, l’attrait de l’internationalisation est susceptible de différer selon le pays (Ruigrok et al., 2007). Il peut en résulter des relations variables entre le degré d’internationalisation et la performance, d’où l’intérêt d’étudier cette question dans le contexte français. C’est le cas de l’étude de Riahi-Belkaoui (1998). Toutefois, le degré d’internationalisation y est opérationnalisé par la fraction des ventes réalisée par les filiales étrangères, mesure unidimensionnelle critiquée à travers la littérature. En opposant simplement le pays d’origine au « reste du monde », elle ne prend effectivement pas en compte la dispersion géographique des ventes ni la distance culturelle intragroupe.

4 Cet article présente tout d’abord les arguments théoriques justifiant l’impact modérateur de l’internationalisation sur le lien « diversification - performance », hypothèse vers laquelle convergent la quasi-totalité des travaux existants, ainsi que les résultats obtenus par ces derniers. Une seconde partie présente les conclusions d’une étude empirique exploratoire appliquée aux groupes non financiers du CAC 40.

I – LE RÔLE MODÉRATEUR DE L’INTERNATIONALISATION SUR LE LIEN « DIVERSIFICATION - PERFORMANCE » : UNE REVUE DE LA LITTÉRATURE

5 La supériorité de la diversification liée sur le conglomérat se fonde sur les synergies opérationnelles permises par les « interconnexions » liant les activités entre elles, en matière de produit, de marché et de technologie. Toutefois, lorsque l’on passe à un contexte international, cet avantage peut se trouver modéré voire remis en cause en raison des obstacles à l’exploitation des synergies sur une base internationale (Palich et al., 1996). Ceci correspond au rôle modérateur de l’internationalisation sur le lien « diversification-performance » postulé par la quasi-totalité des travaux portant sur cette question (Kim et al., 1989 ; Tallman, Li, 1996 ; Hitt et al., 1997 ; Geringer et al., 2000 ; Chin-Chun, 2005).

6 En effet, les différences qui existent entre les marchés géographiques obligent à adapter les produits aux attentes locales. Selon les termes du cadre conceptuel développé par Ghemawat (2001), « CAGE [1] », elles peuvent être d’ordre culturel, administratif, géographique ou économique. En empêchant la standardisation des produits et l’étalement des dépenses de production, de conception et de marketing sur un volume d’affaires accru, elles ont pour effet de réduire les économies de gamme potentielles ainsi que l’attrait de la diversification liée dans un contexte international. À titre illustratif, l’activité de Wal-Mart en Inde ne ressemble pas à celle menée aux États-Unis ou au Canada du fait de l’écart en matière de développement économique séparant ces deux régions (Ghemawat, 2001). Dans la même perspective, les modèles guidant la décision d’internationalisation peuvent aboutir à des résultats divergents quand la distance culturelle y est intégrée. En prenant l’exemple du marché du fast-food, Ghemawat (2001) montre que l’intégration de la distance culturelle fait passer le Mexique du dix-neuvième marché le plus attractif, pour une entreprise nord-américaine, au second. En outre, les facteurs de différenciation géographique ne jouent pas de la même façon sur l’échange international. Leurs résultats montrent par exemple que la proximité administrative, via un passé historique commun, la détention d’une même devise ou l’appartenance à la même zone d’échange commercial favorisent particulièrement l’échange international. Il ressort ainsi que le lien « colon - colonisé » a un pouvoir explicatif près de cinq fois supérieur à celui d’une langue commune.

7 De telles différences ne concernent pas uniquement le niveau opérationnel. Elles restreignent également les synergies managériales potentielles.

8 Ainsi, celles relatives au contexte institutionnel empêchent d’unifier le système de management à l’échelle du groupe. À titre illustratif, à partir d’un échantillon composé d’entreprises industrielles japonaises, américaines et allemandes, Ill et Waring (1999) dégagent une influence du mode de gouvernance sur la décision d’investissement, en relation avec l’environnement institutionnel. En effet, les entreprises américaines privilégient la valeur [2] du projet d’investissement dans l’intérêt de l’actionnaire qui représente le principal ayant droit. En revanche, dans les pays d’Europe continentale et en Asie de l’Est, les décisions managériales résultent d’un processus de négociation plus équilibré faisant non seulement intervenir les actionnaires mais aussi les fournisseurs et le personnel, dont les intérêts sont sensibles à la croissance de l’entreprise et à sa solvabilité. Or, ceux-ci ne convergent pas nécessairement avec le critère de la valeur. Dans ce contexte, le choix d’investissement doit également prendre en compte la trésorerie créée par le projet.

9 Il en est de même des différences culturelles (résultant de la langue, l’ethnie, les croyances religieuses, les normes sociales) qui restreignent également les possibilités de partage des compétences managériales à l’échelle internationale. Elles obligent en effet à adapter le mode de management aux spécificités locales dans les situations où au moins une partie de l’activité est délocalisée. Cela constitue une source de diversité intragroupe qui complexifie le management de l’ensemble diversifié même si celle-ci est susceptible d’être gérée par le recours à des mécanismes organisationnels d’intégration (Chevrier, 2004).

10 À cet égard, un certain nombre d’auteurs ont mis en lumière un lien entre les cultures nationales et les pratiques de gestion, à partir de différentes acceptions de la culture.

11 Ainsi, l’étude de Hofstede (menée à partir de 100000 questionnaires distribués dans des filiales d’IBM de 50 pays) permet de dégager une coïncidence entre l’appartenance à une « zone culturelle » donnée et un type de management dominant. À partir d’une définition de la culture comme une « moyenne de croyances et de valeurs autour de laquelle se situent les individus qui habitent un pays », Hofstede identifie cinq dimensions caractéristiques d’une société qui conditionnent leur comportement. Le croisement de ces dernières aboutit à une typologie dont chaque modalité permet de délimiter un espace relativement homogène en termes culturels. Cette classification sert d’ailleurs de référence à de nombreux travaux empiriques amenés à opérationnaliser l’internationalisation pour en étudier les effets sur la performance.

12 L’approche de Hofstede présente toutefois certaines limites liées à l’appréhension de la culture nationale à partir d’indices. À ce titre, plus récemment, d’Iribarne (2004) met en avant la complexité inhérente à chaque culture qui réduit la portée d’une simple hiérarchisation des sociétés, en ce qui concerne notamment le degré de collectivisme, opposant celui-ci au degré d’individualisme. Celle-ci correspondrait d’ailleurs à une utilisation détournée des conclusions de Hofstede et leur instrumentalisation excessive contre laquelle l’auteur lui-même met en garde (Hofstede, 2001). D’Iribarne (2004) prône ainsi une approche ethnologique basée sur l’étude précise des spécificités de chaque culture, au service du management interculturel. La culture est cette fois définie comme un « système de sens » i.e. « un ensemble de concepts fondamentaux pour une société, reliés entre eux par des relations particulières [3] ». C’est à l’aune de ces « concepts partagés », complétés par son appréciation personnelle, que chaque individu interprétera un comportement dans l’entreprise. Ainsi, pour d’Iribarne, la culture conditionne les modes de gouvernement de l’entreprise, de gestion des conflits, d’exercice de l’autorité jugés comme légitimes ou au contraire inacceptables dans l’organisation. L’uniformisation du mode de management en dépit de l’« univers de sens » propre à la zone géographique serait donc à l’origine de dysfonctionnements internes susceptibles de remettre en cause l’efficacité économique de l’organisation. Or, différencier, dans une certaine mesure, les modes de management intragroupe exige une coordination d’autant plus forte que les activités et les zones géographiques sont liées. Ainsi, quand des synergies interactivités (via un partage ou un transfert de ressources) sont recherchées entre des entités implantées sur des zones géographiquement et culturellement éloignées, la coordination de leur activité opérationnelle est génératrice de coûts pouvant compenser les synergies attendues. La distance géographique ou kilométrique tend à le renforcer à travers des coûts de transport et de communication (Ghemawat, 2001).

13 Quelques études empiriques ont été menées sur cette question. Elles comportent des différences méthodologiques fortes tant dans la modélisation des effets d’interaction (à travers la forme fonctionnelle privilégiée par les modèles) que par la variable servant à opérationnaliser le degré d’internationalisation qui est, selon les travaux, binaire (Palich et al., 1996), discrète ou continue. Les résultats obtenus s’avèrent ainsi divergents sans qu’il soit possible d’attribuer cela aux différences méthodologiques ou plus fondamentalement, aux propriétés des relations testées.

14 Seules Palich et al. (1996), Kim et al. (1989), Hitt, Hoskisson (1997) et Riahi-Belkaoui (1998) valident un impact modérateur de l’internationalisation sur le lien « diversification - performance ». Palich et al. (1996) montrent en effet que l’avantage économique de la diversification liée face à la diversification non liée, observé sur un échantillon d’entreprises domestiques, disparaît quand y sont intégrées des multinationales. Ceci est compatible avec les résultats de Kim et al. (1989), selon lesquels l’internationalisation amplifierait les bénéfices de la diversification non liée alors qu’elle serait défavorable à la diversification liée. Selon Hitt et al. (1997), l’internationalisation a un impact d’autant plus favorable sur la performance qu’elle s’associe à des niveaux élevés de diversité-produit caractéristiques de la diversification non liée.

15 D’autres travaux en revanche, tels que ceux de Hin-Chun (2005), Tallman et Li (1996), aboutissent à la conclusion inverse : c’est l’association de l’internationalisation avec la diversification liée, via des niveaux modérés de diversité-produit, qui serait à l’origine d’une rentabilité économique supérieure. Geringer et al. (2000) ne dégagent pas d’effets d’interaction significatifs entre la diversité-produit et le degré d’internationalisation.

Les hypothèses

16 H1. Pour des niveaux relativement faibles d’internationalisation, la diversification liée présente un avantage de performance face à la diversification non liée.

17 H2. Pour des niveaux relativement élevés d’internationalisation, les différences de performance entre la diversification liée et la diversification non liée ne sont pas significatives.

18 L’étude empirique qui suit vise donc à tester le rôle modérateur de l’internationalisation sur la relation entre la diversité-produit et la performance, à partir d’un échantillon d’entreprises françaises.

II – L’ÉTUDE EMPIRIQUE

1. L’échantillon

19 Il se compose de 32 groupes non financiers du CAC 40, Bouygues, Capgemini, Carrefour, Danone, Lagardère, Pernod Ricard, Peugeot, Renault, Saint Gobain, Suez, Thales, Thomson, Veolia, Vinci, Vivendi, Accor, Air Liquide, Alstom, EADS, Essilor, L’Oréal, Lafarge, Lagardère, LVMH, Schneider, ST Microelectronics, Thales, Total, Michelin, Sanofi, France Télécom, Publicis. Ont été éliminées les institutions financières et sociétés d’assurance, du fait des spécificités de leur activité ; EDF-GDF, Aérospatiale (compte tenu de leur statut particulier), PPR (en raison de la difficile lisibilité de son positionnement en termes de métiers). La période d’étude s’étend de 2000 à 2004.

20 L’unité d’analyse est représentée par le positionnement en termes d’activités et de zones géographiques et non par l’organisation. Chaque observation représente donc un couple (entreprise, année). En effet, sur la période, seuls 23 groupes de l’échantillon restent dans le même quartile de diversité-produit. Le changement de quartile résulte dans tous les cas soit d’un recentrage, soit du renforcement d’une position sur une activité, revêtant ainsi une signification stratégique. De plus, les positionnements monosegments sont exclus de l’échantillon, l’étude visant à comparer, en termes de performance, différents profils de diversification sans considérer la spécialisation.

21 L’information exploitée pour appréhender le positionnement provient de l’annexe des rapports annuels, en relation avec l’information sectorielle. Celle-ci recoupe une structuration des ventes par activité qu’il est possible de rapprocher de la nomenclature de l’Insee sans que leur intitulé nécessite une interprétation de la part du chercheur, sous réserve que l’intitulé revête rigoureusement la même signification dans la nomenclature et le rapport de gestion. Compte tenu de l’information disponible, chaque activité ou segment recoupe un code à trois chiffres dans la nomenclature, niveau de détail maximal pouvant être obtenu à partir des données externes.

22 De plus, quand, du fait d’une dénomination ambiguë, l’un des segments n’a pu être clairement associé à une activité de la nomenclature, le couple (entreprise, année) correspondant est éliminé, ce qui explique les observations manquantes. Ainsi, parmi les pôles cités par PPR en 2004 figurent « Nouveau PPR » et « Rexel », représentatifs d’entités non spécialisées dont l’appellation n’est significative qu’en interne. De la même façon, en relation avec l’opérationnalisation du degré de diversification géographique, sont éliminées les observations pour lesquelles des catégories telles que « autres pays » ou « reste du monde » représentent plus de 10 % du chiffre d’affaires. Enfin, la période s’arrêtant à l’année 2004, les ventilations du chiffre d’affaires entre les activités ne sont pas affectées par l’application des normes comptables internationales, seuls étant exploités des états financiers établis selon le référentiel français.

LA DÉMARCHE

Compte tenu des objectifs de l’étude empirique, l’échantillon est tout d’abord scindé en deux catégories, de part et d’autre de la médiane du degré d’internationalisation. Chacune d’elles est ensuite structurée par quartile du degré de diversité-produit. Les quartiles sont finalement comparés en termes de performance via des tests non paramétriques de Mann-Whitney-Wilcoxon (MWW). La non-normalité des variables considérées a en effet empêché d’effectuer des régressions multiples.

2. L’opérationnalisation des concepts

La diversité-produit

23 À travers la littérature en management stratégique, deux principaux indicateurs sont exploités : les indices catégoriels et les indices objectifs, en particulier d’entropie. C’est la structure du chiffre d’affaires par segment et par branche, basée sur la nomenclature de l’Insee, qui est choisie pour opérationnaliser le degré de diversité-produit et la distance entre les activités du portefeuille. Bien que ne prenant pas en compte une information spécifique à l’entreprise, cet indicateur présente l’avantage de l’objectivité. Certaines études ont cependant dégagé la convergence de ces deux mesures (Hoskisson et al., 1996).

24 Préalablement au calcul de l’indice de dispersion, les segments (représentés par un code à trois chiffres) ont été regroupés par branche, à un niveau supérieur de la nomenclature. Cela permet de différencier les individus en fonction de la cohérence de leur positionnement et du potentiel de synergies opérationnelles. Le regroupement des activités ou segments par branche n’a en outre pas nécessité d’hypothèse interprétative, l’information présentée en annexe des rapports annuels étant apparue suffisamment lisible. L’appartenance à une même branche est donc postulée comme un facteur favorable à la présence de synergies opérationnelles, la proximité sectorielle étant considérée comme propice à l’exploitation jointe de ressources productives par des activités distinctes. En conséquence, plus la dispersion interbranche du portefeuille est forte, plus les synergies potentielles sont supposées faibles. En outre, les synergies intrabranches sont postulées comme étant plus significatives que les synergies interbranches.

25 Pour chaque entreprise, afin de valider la pertinence de l’indice d’entropie comme indicateur du degré de diversification, la cohérence des trajectoires individuelles de cet indice a été vérifiée, à partir de la lecture des rapports de gestion. Ainsi, par exemple, pour Pernod-Ricard, la diminution du degré de diversification en termes d’activité s’explique par son recentrage en 2003, sur les « vins et spiritueux ». Le mouvement inverse est observé chez Peugeot en 2002, du fait d’un chiffre d’affaires plus équilibré entre ses activités de constructeur automobile et d’équipementier et de l’émergence d’un segment « financement des ventes », faisant appel à des compétences distinctes de celles propres à son métier de base. Ceci se reflète en toute cohérence par un accroissement de l’indice de dispersion.

26 En outre, compte tenu des propriétés de la nomenclature de l’Insee qui privilégie la technique productive comme critère de différenciation, seules sont considérées les synergies découlant de l’utilisation jointe d’actifs techniques spécifiques à l’activité, ce qui exclut de l’étude celles basées, par exemple, sur des ressources immatérielles qui sont plus flexibles.

Le degré d’internationalisation

27 L’internationalisation est représentée comme le premier stade du développement international (Meier, Schier, 2005). Elle consiste à viser des marchés étrangers ou à exporter ses produits au-delà de ses frontières d’origine. La multinationalisation en revanche, suppose l’implantation de filiales au niveau local. Les organismes suprationaux [4] fixent à 10 % le seuil minimum de participation au capital justifiant la qualification de « multinationale ». Meier, Schier (2005) introduisent un troisième degré, celui de l’« entreprise mondiale ». Cette dernière constitue une organisation dont les moyens sont rationalisés entre les filiales afin d’améliorer la coordination des activités à l’échelle du groupe. Pour appréhender le développement international, les travaux menés considèrent alternativement la contribution des filiales étrangères dans le total des ventes ou le degré de dispersion du chiffre d’affaires entre des zones géographiques considérées comme homogènes. L’opposition de l’étranger au national nous apparaissant insuffisante pour différencier le profil géographique des entreprises, le second type d’indicateur a été choisi. En conséquence, c’est l’internationalisation plutôt que la multinationalisation que l’étude empirique considère.

28 Le degré d’internationalisation est opérationnalisé à partir d’un indice de dispersion (et en particulier, l’indice d’entropie) calculé à partir de la structure des ventes entre les différents marchés géographiques, présente dans l’annexe du rapport annuel. En outre, l’absence d’une information systématique sur la dispersion géographique des actifs et de l’effectif empêche de considérer le degré de multinationalisation. Pour cette raison, le champ de l’étude empirique a dû se limiter à l’internationalisation. Toutefois, l’examen du contenu du portefeuille de filiales et de participations, pour chaque entreprise, montre que chacune détient une participation significative (au moins égale à 50 %) dans le capital d’entreprises implantées dans chacune des zones géographiques de la typologie de référence. Aussi, aucun des groupes de l’échantillon n’apparaît comme exportateur pur. L’information disponible empêche de plus de prendre en compte les formes hybrides telles que les alliances et joint-ventures.

29 Le chiffre d’affaires est enfin structuré sur une base continentale, le continent représentant le plus petit critère structurant commun, sur l’échantillon. Se pose toutefois la question de sa capacité à refléter la distance culturelle. Celle-ci conditionne en effet les exigences d’adaptation des produits à la demande locale et celles en matière de coordination dans le cas d’une délocalisation des unités opérationnelles. La typologie de Hofstede, plus fine, ne peut toutefois être appliquée compte tenu des limites informationnelles.

La performance

30 Seule la performance économique est considérée ici comme une manifestation des synergies opérationnelles intrabranches. L’appartenance à une même branche a pour effet attendu de générer des économies de gamme du fait d’une exploitation partagée d’actifs productifs donnant lieu à un avantage de coût unitaire. Un effet d’entraînement entre les volumes d’affaires individuels des activités est également possible au sein d’une même branche quand celles-ci sont complémentaires.

31 Pour mettre en relief chaque composante de l’avantage économique, les taux de marge et de rotation ont successivement été considérés comme variables dépendantes en plus du ratio de rentabilité économique qui en est le produit. Cela permet de déterminer si l’avantage économique de la diversification s’exprime à travers un avantage de coût (et le taux de marge d’exploitation) ou de volume d’affaires (via le taux de rotation des actifs). Enfin, la prise en compte du taux de rentabilité financière i.e. après déduction des charges financières et du coût de la dette est apparue non justifiée. Bien que cette variable couvre un champ plus large de la performance, l’effet de la diversification sur le risque outrepasse le champ de ce travail.

3. Résultats et discussion

32 Les deux catégories du degré d’internationalisation ont été comparées du point de vue de la diversité-produit (DIV), au moyen d’un test de MWW. Il n’apparaît pas de différence significative entre elles (cf. tableau 2). Des relations différentes dégagées entre la diversité-produit et la performance, sur chaque sous-groupe du degré d’internationalisation, ne peuvent donc pas être attribuées à des niveaux différents de diversité-produit. De plus, les coefficients de corrélation entre celle-ci et le degré d’internationalisation (coefficient de Pearson = 0,214 ; sig = 0,018) montrent que ces deux dimensions se recoupent mal, ce qui permet de les croiser afin de dégager différents profils.

Tableau 1

Variables et indicateurs de l’étude empirique

Variables dépendantes
Taux de marge d’exploitation (résultat d’exploitation/chiffre d’affaires)
Taux de rotation des actifs (chiffre d’affaires/total de l’actif)
Taux de rentabilité économique
Re
(résultat d’exploitation/total actif)
Variables indépendantes
Degré d’internationalisation
Egeo
Dispersion intercontinentale des ventes.
Avec zi : poids de la zone géographique i dans le total
des ventes, on a : E geo = ? zi. ln (1/zi).
Diversité-produit (DIV) Dispersion interbranche des ventes
Avec zi : poids de la branche i dans le total des ventes,
on a : DIV = ? pi. ln (1/pi).
figure im1

Variables et indicateurs de l’étude empirique

Tableau 2

Statistiques descriptives

Sur l’ensemble
de l’échantillon
N = 121
Sur tout l’échantillon
N = 60
Egeo < médiane
N = 61
Egeo > médiane
Moyenne , 7867 , 8019 , 7717
Médiane , 8571 , 8597 , 8161
Écart type , 44184 , 42845 , 45769
Minimum , 04 , 04 , 04
Maximum 1,59 1,59 1,54
Centiles 25 , 4370 , 4397 , 4080
50 , 8571 , 8597 , 8161
75 1,0954 1,0902 1,1164
figure im2

Statistiques descriptives

33 Sur le premier sous-groupe, les trois derniers quartiles de la diversité-produit se démarquent du premier par un taux de marge supérieur. La relation entre la diversité-produit et la performance n’apparaît pas pour autant croissante, les trois derniers quartiles ne se distinguant pas les uns des autres en matière de performance. Aucune différence significative n’apparaît en outre quand la rentabilité économique (Re) est considérée.

34 L’avantage économique associé à la diversité-produit semble en conséquence résider dans une économie sur les charges, ne s’exprimant pas en termes de volume d’affaires. Le taux de marge et le taux de rentabilité économique apparaissent en effet quasiment redondants (coefficient de Pearson = 0,80 ; sign = 0,000). Le premier s’expliquant exclusivement par le rapport entre les charges opérationnelles et le chiffre d’affaires, les différences entre les individus du point de vue de cette variable traduiraient, de manière indirecte, la présence d’économies de coût et plus précisément, d’économies de gamme. Celles-ci découleraient de l’utilisation jointe d’actifs spécifiques au produit et de l’étalement, entre des segments distincts, des frais fixes sur un volume de ventes supérieur. Elles manifesteraient la présence de synergies techniques. En outre, un tel résultat ne traduit pas l’exploitation jointe d’actifs immatériels, la proximité sectorielle étant opérationnalisée au moyen du degré de diversité-produit. En revanche, les quartiles ne se distinguent pas en ce qui concerne le taux de rotation des actifs. L’avantage économique de la diversification ne s’expliquerait donc pas par un effet d’entraînement entre les volumes d’affaires individuels des activités dû à de possibles complémentarités.

35 Au-delà de la médiane, pour les profils les plus internationalisés, l’avantage économique associé à la diversité-produit n’est plus observable et s’inverse même, selon l’indicateur de performance retenu. En effet, les quartiles de la diversité-produit ne se différencient plus par leur taux de marge et l’avantage des positionnements les plus diversifiés n’est plus apparent. Avec un seuil de risque de 5 %, les deux derniers quartiles ressortent même désavantagés du point de vue de la rentabilité économique.

36 La diversité-produit traduisant un potentiel de synergies techniques intrabranches, la relation non significative entre le degré de diversité-produit et la performance économique amène à avancer plusieurs scénarios interprétatifs des résultats :

37

  • l’adaptation de l’offre aux spécificités de la demande locale empêche de standardiser les produits et d’amortir les charges productives ;
  • des synergies sont retirées de l’exploitation jointe d’actifs immatériels et l’emportent sur les synergies techniques générées. En effet, les premiers étant plus flexibles que les seconds (attendus être spécifiques au produit), un degré de diversité-produit relativement élevé n’exclut pas les synergies basées sur des ressources immatérielles ;
  • la distance culturelle ne permet pas l’exploitation jointe des actifs, quelle qu’en soit la nature ;
  • des synergies de complémentarité inter-branche sont présentes, en dépit d’un degré élevé de diversité-produit, des complémentarités pouvant lier des branches techniquement différenciées.

38 Les premier et troisième scénarios traduiraient le rôle modérateur de l’internationalisation sur le lien entre le degré de diversité-produit et la performance économique. L’étude comporte toutefois certaines limites dues notamment à la taille de l’échantillon. Sur un plan méthodologique, la non-normalité des variables considérées a empêché la réalisation de régressions multiples qui auraient permis de contrôler l’influence de paramètres externes sur la performance et de valider le pouvoir explicatif de la diversification. Ainsi, l’impact de la présence sur un secteur et une zone géographique donnés, via de possibles effets conjoncturels ou de cycle de vie (tant des techniques que des produits) n’a pu être intégré. Il en est de même du mode de croissance (externe, interne ou par alliance). Enfin, une segmentation de l’échantillon basée sur la médiane reste discutable bien qu’elle se justifie par la taille de l’échantillon.

39 Ainsi, sous réserve de la place des synergies basées sur des ressources immatérielles, les résultats vont dans le sens des hypothèses théoriques.

40 Une comparaison des conclusions entre les différents travaux menés sur cette question reste cependant difficile du fait de la diversité des indicateurs de l’internationalisation. À titre illustratif, Palich et al. (1996) ainsi que Hitt et al. (1997) utilisent des mesures continues de dispersion du chiffre d’affaires, en structurant ce dernier au moyen de la nomenclature des branches et des zones géographiques (recoupant les continents ou les zones de Hofstede, 1980). Tallman et Li (1996) abordent la multinationalisation plus que l’internationalisation. Ils s’appuient sur la part des ventes réalisées par des filiales étrangères, indicateur qui non seulement suppose un investissement direct à l’étranger mais ne prend pas en compte la distance entre les zones géographiques visées, susceptible d’expliquer les coûts opérationnels. Quant à Kim et al. (1989), partant d’une typologie à dominante continentale, ce sont les seuls à structurer les ventes en croisant le segment et la zone géographique.

CONCLUSION

41 L’article aborde une problématique relativement peu explorée pour laquelle les résultats empiriques sont contradictoires. L’étude s’applique en outre à des groupes français, les travaux existants portant essentiellement sur des entreprises anglo-saxonnes. Sous réserve que les synergies basées sur des ressources immatérielles ne l’emporteraient pas sur les synergies techniques, les résultats de l’étude empirique valideraient un rôle modérateur de l’internationalisation sur le lien « diversification - performance ».

42 Une extension future de ce travail serait l’intégration dans l’échantillon d’étude des entreprises du second marché. Cela permettrait de procéder à des régressions multiples susceptibles d’intégrer un terme d’interaction entre les degrés de diversification et d’internationalisation ainsi que des variables de contrôle relatives au secteur et au contexte concurrentiel. Une validation de l’intention stratégique d’exploiter des synergies (entre les activités et/ou les marchés géographiques) est également envisagée, par le biais de questionnaires. La présence de ces dernières à l’état potentiel n’atteste en effet pas de leur recherche effective au sein des organisations étudiées, compte tenu des coûts que leur exploitation engendre.

Tableau 3

Résultats des tests non paramétriques

Re Rf Taux de marge Taux de rotation
des actifs
Z – , 850 – , 892 – 2,634 – 1,514
Comparaison 1er quartile/2e quartile (1) = (2) (1) = (2) (1) < (2)** (1) = (2)
Somme des rangs : quartiles 1 et 2 Q1 : 212 Q1 : 254 Q1 : 236 Q1 : 269
Q2 : 253 Q2 : 211 Q2 : 229 Q2 : 196
Z – 1,058 – 1,555 – 3,298 – 1,555
Comparaison 1er quartile/3e quartile (1) = (3) (1) = (3) (1) < (3)** (1) = (3)
Somme des rangs : quartiles 1 et 3 Q1 : 207 Q1 : 270 Q1 : 153 Q1 : 270
Q3 : 258 Q3 : 195 Q3 : 312 Q3 : 195
Z – 1,016 – 3,132 – 2,966 – 1,307
Comparaison 1er quartile/4e quartile (1) = (4) (1) > (4) (1) < (4) (1) = (4)
Somme des rangs : quartiles 1 et 4 Q1 : 208 Q1 : 308 Q1 : 161 Q1 : 264
Q4 : 257 Q4 : 157 Q4 : 304 Q4 : 201
Z – , 477 – , 850 – , 145 – , 062
Comparaison 2e quartile/3e quartile (2) = (3) (2) = (3) (2) = (3) (2) = (3)
Somme des rangs : quartiles 2 et 3 Q2 : 221 Q2 : 253 Q2 : 229 Q2 : 231
Q3 : 244 Q3 : 212 Q3 : 236 Q3 : 234
Z – , 560 – 2,592 – , 975 – , 187
Comparaison 2e quartile/4e quartile (2) = (4) (2) > (4)** (2) = (4) (2) = (4)
Somme des rangs : quartiles 2 et 4 Q2 : 246 Q2 : 295 Q2 : 256 Q2 : 228
Q4 : 219 Q4 : 170 Q4 : 209 Q4 : 237
Z – , 892 – 1,472 – , 643 – , 477
Comparaison 3e quartile/4e quartile (3) = (4) (3) = (4) (3) = (4) (3) = (4)
Somme des rangs : quartiles 3 et 4 Q3 : 254 Q3 : 268 Q3 : 248 Q3 : 221
Q4 : 211 Q4 : 197 Q4 : 217 Q4 : 244
figure im3

Résultats des tests non paramétriques


Catégorie 1 : degré d’internationalisation inférieur à la médiane
Note : * : significatif au seuil de 5 %, ** : significatif au seuil de 1 %, *** : sign : 0,000.

Catégorie 2 : degré d’internationalisation supérieur à la médiane

Re Rf Taux de marge Taux de rotation
des actifs
Z – , 145 – , 104 – , 270 – , 726
Comparaison 1er quartile/2e quartile (1) = (2) (1) = (2) (1) = (2) (1) = (2)
Somme des rangs : quartiles 1 et 2 Q1 : 236 Q1 : 230 Q1 : 239 Q1 : 215
Q2 : 229 Q2 : 235 Q2 : 226 Q2 : 250
Z – , 643 – , 477 – , 228 – , 311
Comparaison 1er quartile/3e quartile (1) = (3) (1) = (3) (1) = (3) (1) = (3)
Somme des rangs : quartiles 1 et 3 Q1 : 217 Q1 : 221 Q1 : 227 Q1 : 225
Q3 : 248 Q3 : 244 Q3 : 238 Q3 : 240
Z – 1,621 – 1,344 – 1,305 – , 316
Comparaison 1er quartile/4e quartile (1) = (4) (1) = (4) (1) = (4) (1) = (4)
Somme des rangs : quartiles 1 et 4 Q1 : 281 Q1 : 274 Q1 : 273 Q1 : 232
Q4 : 215 Q4 : 222 Q4 : 223 Q4 : 264
Z – , 145 – , 353 – , 021 – , 892
Comparaison 2e quartile/3e quartile (2) = (3) (2) = (3) (2) = (3) (2) = (3)
Somme des rangs : quartiles 2 et 3 Q2 : 236 Q2 : 224 Q2 : 232 Q2 : 254
Q3 : 229 Q3 : 241 Q3 : 233 Q3 : 211
Z – 2,135 – 1,067 – 1,107 – , 119
Comparaison 2e quartile/4e quartile (2) > (4)* (2) = (4) (2) = (4) (2) = (4)
Somme des rangs : quartiles 2 et 4 Q2 : 294 Q2 : 267 Q2 : 268 Q2 : 237
Q4 : 202 Q4 : 229 Q4 : 228 Q4 : 259
Z – 2,451 – 1,304 – 1,739 – , 316
Comparaison 3e quartile/4e quartile (3) > (4)* (3) = (4) (3) = (4) (3) = (4)
Somme des rangs : quartiles 3 et 4 Q3 : 302 Q3 : 273 Q3 : 284 Q3 : 232
Q4 : 194 Q4 : 223 Q4 : 212 Q4 : 264
figure im4

Catégorie 2 : degré d’internationalisation supérieur à la médiane


Note : * : significatif au seuil de 5 %, ** : significatif au seuil de 1 %, *** : sign : 0,000.

BIBLIOGRAPHIE

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Date de mise en ligne : 21/04/2010

Notes

  • [1]
    Sigle signifiant « Cultural, Administrative, Geographic, Economic ».
  • [2]
    À travers la variable Q de Tobin.
  • [3]
    La notion de « système de sens » telle que définie par d’Iribarne (2002) suppose que les concepts-clés sont reliés entre eux de façon particulière à chaque culture. Par exemple, en Espagne, la responsabilité apparaîtra comme antinomique au contrôle alors qu’aux États-Unis, elle apparaît naturellement indissociable, le contrôle représentant une condition d’exercice de la responsabilité.
  • [4]
    Il est fait référence ici à l’OCDE et à la Cnuced.

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