Notes
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[1]
Ces deux piliers sont parfois regroupés pour définir la fonction de contrôle.
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[2]
Rappelons que, selon le modèle canonique de l’agence (cf., par exemple, Brickley et al., 1997), les systèmes incitatifs sont d’autant plus efficaces que le niveau de performance est sensible aux efforts de l’agent et dépend principalement de ce dernier (contrôlabilité), que l’agent présente peu d’aversion face au risque et supporte peu de coûts pour fournir les efforts supplémentaires requis et, enfin, que la mesure de la performance peut se faire assez finement sans être trop coûteuse.
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[3]
Le discours du président de la République, devant les chercheurs, est, à cet égard, symptomatique puisque celui-ci va jusqu’à déclarer que « Moi, je vois dans l’évaluation, la récompense de la performance. S’il n’y a pas d’évaluation, il n’y a pas de performance », discours à l’occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d’innovation, 22 janvier 2009. Une telle formule suppose implicitement une conception de la performance apparentée à celle qu’on peut trouver dans des sports de compétition individuelle tels que l’athlétisme où l’évaluation fondée sur une mesure objective réalisée se fait dans les mêmes conditions pour tous les concurrents.
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[4]
Le recours aux modèles d’évaluation fondés sur les options pour estimer la valeur des stock-options octroyées aux dirigeants laisse une grande part de latitude au niveau du choix des paramètres. Il en est de même d’ailleurs de la plupart des modèles financiers d’évaluation à fondement actuariel ou optionnel.
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[5]
L’histoire du droit montre d’ailleurs que l’organisation juridique des sociétés s’est, au départ, fortement inspirée de l’organisation du pouvoir en politique.
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[6]
Pour des exemples, voir Charreaux et Desbrières (1998) et Charreaux (2007). Précisons que la valeur partenariale ne doit pas être confondue avec le surplus défini dans la méthode dite des comptes de surplus qui ignore tant les prix que les coûts d’opportunité.
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[7]
Dans le même esprit, on peut citer également Jensen : “Value maximization is not a vision or a strategy or even a purpose ; it is the scorecard for the organization” (2001, p. 16).
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[8]
Voir également Jensen (2001, p. 17), “I say ‘long tem’ market value to recognize the possibility that financial markets, although forward looking, may not understand the full implications of a company’s policies until they begin to show up in cash flows over time” […] “Value creation does not mean responding to the day-to-day fluctuations in a firm’s value.”
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[9]
Jensen (2001, p. 16), “[…] we must give employees and managers a structure that will help them resist the temptation to maximize short-term financial performance (as typically measured by accounting profits or, even worse, earnings per share).”
“On the face of it, shareholder value is the dumbest idea in the world […]. Shareholder value is a result, not a strategy… your main constituencies are your employees, your customers and your products.”
“It is up to every of us […] to change the way we teach our students the meaning of value maximization. It does not mean maximizing the price of the stock.”
1 Les deux crises récentes – celle entraînée par l’éclatement de la bulle internet et celle des subprimes – ont conduit à mettre la finance au banc des accusés, accentuant ainsi un mouvement d’hostilité, plus ou moins déclaré, des autres sciences du management contre la place de plus en plus importante prise par la pensée économico-financière. Cette contestation se manifeste également, à l’occasion, à l’intérieur même des organisations, avec le pouvoir croissant attribué aux financiers et, plus généralement, aux contrôleurs. De nombreuses interrogations ont émergé quant aux éventuelles conséquences perturbatrices de la valeur actionnariale considérée comme critère de performance ultime et principal outil de pilotage. Ces interrogations proviennent non seulement de cercles traditionnellement hostiles à l’hégémonie financière, mais également des fondateurs mêmes de la vision actionnariale, comme le montrent les citations placées en exergue de cet article, celle de Jack Welch ancien PDG de General Electric auquel on attribue fréquemment la paternité de la valeur actionnariale comme outil de management et celle de Michael Jensen, qui a longtemps été un défenseur inconditionnel, sur le plan doctrinal et théorique, de la thèse de l’efficience des marchés et de la valeur actionnariale comme seul objectif de performance. Traditionnellement, la fonction financière a pour objet de procurer à l’entreprise les capitaux nécessaires à son fonctionnement au coût le plus faible possible et d’aider à leur meilleure allocation en sélectionnant les investissements. La mise en œuvre de cette fonction conduit à étendre le champ de la finance pour y inclure des tâches qu’on peut qualifier de subordonnées et d’accessoires, concernant la gestion des risques financiers (risques de solvabilité, d’illiquidité, risques pour les apporteurs de capitaux, etc.), l’évaluation de la performance financière et l’aide au pilotage pour accomplir cette performance. L’accomplissement de ces tâches s’appuie, en principe, sur un certain nombre d’outils élaborés par la théorie financière qu’on peut qualifier, à certains égards, de science de l’évaluation des actifs.
2 La fonction financière est donc une composante du management, le management financier qui se préoccupe des décisions de financement et d’investissement. En ce sens, la conciliation de la finance et du management apparaît être une question de cohérence interne à l’entreprise entre la composante financière du management et ses autres composantes, ou, plus largement, comme un problème de cohérence du management interprété comme un système. Se pose alors la question, pourquoi l’accomplissement de la fonction financière entraînerait-elle des perturbations dans le management de l’entreprise aboutissant à une moins grande efficacité de l’entreprise ?
3 Toute perturbation organisationnelle peut s’analyser comme une question d’architecture organisationnelle (désormais AO), laquelle permet à l’organisation d’atteindre ses objectifs. Si on suit Jensen et Meckling (1992) et Brickley et al. (1997), l’architecture organisationnelle d’une organisation peut s’appréhender en fonction de trois « piliers ». Le premier est relatif à l’allocation (horizontale et verticale) des décisions et, les deux autres, à l’évaluation de la performance des acteurs et au système d’incitations [1]. Ces mêmes auteurs postulent que la performance de l’organisation est fonction notamment de la cohérence entre ces trois piliers. Par exemple, une décentralisation décisionnelle ne sera efficace que si elle s’accompagne d’une rémunération suffisamment incitative et d’une mesure de la performance garantissant l’alignement des intérêts de l’agent – à qui on a délégué la décision – sur les objectifs de la firme. Une telle formulation, cependant, ne fait pas directement intervenir la question de la cohérence interfonctionnelle entre la fonction financière et les autres fonctions composant le management, ni même les liens entre les différents piliers et les processus à l’origine de la création de valeur. En revanche, elle constitue un canevas utile, en la complétant des éléments indispensables pour étudier le rôle présumé perturbateur de la finance. Ce sera l’objet de la première partie qui permettra de tracer un certain nombre de pistes pour comprendre les éventuels dysfonctionnements introduits par la finance. Cette phase d’analyse sera suivie, dans une seconde partie, d’une phase plus prescriptive visant à proposer un certain nombre de pistes pour remédier aux problèmes posés et, si possible, (ré) concilier finance et management.
I – LA FINANCE COMME SOURCE DE PERTURBATIONS DE L’ARCHITECTURE ORGANISATIONNELLE
4 Pour comprendre pourquoi la finance peut constituer une source de perturbation du management, il faut montrer comment sa conception de l’AO et les outils qu’elle a développés sont à même d’entraîner des effets pervers relativement à la création de valeur par l’entreprise. Cette création est définie, au moins provisoirement, de façon volontairement vague, comme le surplus – la rente –, que l’entreprise arrive à générer par rapport aux ressources qu’elle a employées. Pour analyser l’influence de la finance, nous précisons, tout d’abord, les leviers qui sont censés agir sur la création de valeur. Ensuite, nous positionnons la conception financière de l’AO par rapport aux leviers de création de valeur. Enfin, nous montrons les conflits induits par cette conception.
1. Les leviers cognitifs et disciplinaires de la création de valeur
5 Pour appréhender le processus de création de valeur, nous évoquons les deux principaux leviers qu’on peut identifier dans la littérature en gestion et en économie. Le premier levier, principalement évoqué par les non-financiers, est celui des compétences (parfois dénommé levier cognitif en relation avec les connaissances qui sous-tendent les compétences…). Une entreprise crée de la valeur avant tout car elle dispose de meilleures compétences que ses concurrentes pour innover, produire, commercialiser, etc. Ce levier est en relation principalement avec les fonctions de production et de marketing. Il est évoqué par les stratèges, les spécialistes de marketing, mais aussi ceux de gestion des ressources humaines, dans la mesure où leur rôle peut être déterminant pour aider à construire l’apprentissage organisationnel et la gestion collective des connaissances. Dans ce contexte, l’entreprise est vue comme un répertoire de connaissances et de compétences. Au-delà de la littérature en gestion (hors la finance) et, plus généralement, en sciences des organisations, le corpus scientifique qui privilégie cette approche inclut également des branches hétérodoxes de l’économie comme l’économie évolutionniste.
6 Le second levier est de nature différente et est attaché à la dimension incitative et, plus globalement, disciplinaire. Une entreprise est plus performante si elle sait mieux résoudre les conflits d’intérêts associés à la coopération avec les différentes parties prenantes à son activité, entre dirigeants et actionnaires, mais aussi entre elle-même et ses clients, fournisseurs et salariés. Dans cette perspective, la performance est déterminée par la qualité des systèmes d’incitation et d’évaluation de la performance. Cette vision a été profondément influencée par l’approche contractuelle des organisations, notamment les théories de l’agence et des coûts de transaction. Elle est très fortement dominante en finance et, ce, d’autant plus que la finance en tant que science de l’évaluation a une prédisposition naturelle et un avantage (présumé) compétitif en matière d’évaluation de la performance et donc de contrôle.
7 Les deux leviers, cognitif et disciplinaire, ne sont pas indépendants et de nombreux développements théoriques tentent actuellement de préciser leurs relations (par exemple, Osterloh et al., 2002), ne faisant ainsi que prolonger l’intuition selon laquelle le système disciplinaire a une incidence sur la motivation et la créativité des acteurs et, donc, sur l’efficacité des organisations.
8 La cohérence de l’AO doit s’apprécier par rapport à l’action de ses différentes composantes sur la création de valeur, à travers les deux types de levier. Comme l’analyse standard proposée par Brickley et al., d’inspiration contractuelle, ne retient que le levier disciplinaire (et encore de façon réductrice, principalement à travers les dimensions incitatives monétaires extrinsèques), il est nécessaire de la compléter par des considérations relatives au levier cognitif, les gains issus d’un meilleur contrôle pouvant être plus que compensés par une réduction de la motivation et une moins grande créativité résultant d’une réduction des échanges cognitifs. Au total, pour être efficace, l’AO doit se traduire par une cohérence entre ses trois composantes permettant, simultanément, une bonne capacité cognitive, une incitation suffisante pour les acteurs de l’entreprise et une surveillance assez efficace pour éviter les pertes de valeur, la difficulté étant qu’un système disciplinaire mal conçu peut entraîner des pertes cognitives substantielles, en raison du dilemme social traditionnel lié à toute coopération. Si l’intérêt individuel est d’adopter un comportement de passager clandestin, l’intérêt de l’entreprise est que chaque membre du groupe contribue au maximum de son potentiel pour parvenir à la meilleure innovation possible. Cette formulation ne doit, cependant, pas laisser croire que la performance cognitive est entièrement déterminée par le système incitatif, comme le suppose l’approche contractuelle. Si un système incitatif mal conçu peut être très nocif à la construction des compétences collectives, inversement, un système incitatif bien conçu ne suffit pas à créer la compétence organisationnelle, dont l’alchimie fait intervenir des processus de nature cognitive liés au travail en groupe et sans relation avec la dimension incitative. En osant une métaphore sportive, un système incitatif très bien conçu ne constituera jamais une condition suffisante pour que l’équipe soit performante.
2. La conception financière de l’architecture organisationnelle
9 L’origine des problèmes posés par la finance à la relation de l’AO avec la création de valeur peut être attribuée au cadre théorique sur lequel elle repose et qui a profondément influencé sa vision de l’entreprise et les outils développés. Ce cadre théorique, qui d’ailleurs est loin d’être homogène et cohérent, a eu une profonde influence sur les trois dimensions de l’AO. Pour comprendre cette influence, revenons rapidement aux sources de la finance moderne. Le modèle d’évaluation des investissements dû à Irving Fisher (1930), à l’origine du célèbre critère de la valeur actuelle nette (VAN) utilisé pour mesurer la valeur créée par un investissement, a, en quelque sorte, modelé la pensée financière, en imposant l’idée d’une mesure objective de la valeur de la firme fondée sur l’existence d’un marché financier fonctionnant bien.
10 C’est sous l’hypothèse d’un marché financier parfait que Fisher montre qu’il est possible de construire une mesure objective de la valeur, c’est-à-dire indépendante des préférences (subjectives) des investisseurs en matière d’arbitrage intertemporel de consommation. Cette objectivité est également à l’origine de la règle dite de l’unanimité de choix des actionnaires, selon laquelle, tous les actionnaires, quelles que soient leurs préférences en matière de consommation, feront les mêmes choix d’investissement puisque la mesure de la valeur créée, à travers la VAN, est identique à chacun d’entre eux. Elle est également à l’origine de la vision de la VAN comme outil permettant de procéder à la délégation de la gestion à des dirigeants de métier, puisqu’en l’absence de conflits d’intérêts entre actionnaires et dirigeants (absence postulée dans le modèle de Fisher), les dirigeants, en utilisant la VAN, parviennent aux mêmes choix d’investissement que ceux auxquels auraient procédé directement les actionnaires.
11 Au-delà de la contribution fondamentale constituée par une mesure objective de la valeur (sous des hypothèses bien particulières…), ce modèle a profondément influencé la façon de concevoir le choix d’investissement. Pour un financier, ce choix se résume à l’estimation de flux monétaires futurs et d’un taux d’actualisation exprimant le coût du temps et du risque, le modèle de Fisher ayant été aménagé par la suite pour prendre en compte le caractère aléatoire des flux, ici aussi avec le souci, à travers des modèles tels que le Médaf (modèle d’équilibre des actifs financiers), de parvenir à une évaluation objective du risque. Ce choix objectif des investissements n’est en outre, dans le cadre de la finance standard, pas perturbé par le choix des financements, puisque, selon le célèbre théorème de séparation dû à Modigliani et Miller, on peut séparer les choix d’investissement de ceux des financements. En d’autres termes, et là aussi dans le cadre d’hypothèses bien particulières retenues par les auteurs (un marché financier parfait), le choix des investissements créateurs de valeur est indépendant de la façon dont la valeur sera répartie entre actionnaires et emprunteurs.
12 Dans ce cadre théorique initial, la question de l’AO n’a pas de pertinence. Si les investissements sont « donnés » – et non construits à l’intérieur des organisations –, si leurs effets se résument à leurs conséquences monétaires, si le marché financier est parfait, s’il n’y a pas de conflits d’intérêts entre dirigeants et actionnaires, alors les dimensions institutionnelles et organisationnelles n’ont aucune influence sur les choix d’investissement. On en déduit, a contrario, qu’en relaxant toutes les hypothèses posées, l’AO peut avoir une (profonde) influence sur les choix financiers et la création de valeur.
13 Le problème est que, même si les financiers connaissent (ou sont censés connaître…) les limites de leurs modèles, ils ont fortement tendance à les oublier lors de la conception et de la mise en œuvre des choix financiers et, pendant très longtemps, les considérations organisationnelles ont été exclues de la pensée financière, sinon de la pratique, en raison du référentiel initial et de sa diffusion à travers l’enseignement. En tout état de cause, la pensée financière a été profondément imprégnée par la possibilité présumée de mesurer la valeur et donc la performance de façon objective. De même, le fait de réduire les conséquences des investissements à leurs flux monétaires pour les seuls actionnaires a profondément influencé l’analyse de la création de valeur hors toute considération organisationnelle en relation, notamment, avec les autres parties prenantes.
14 Cet état de fait a été modifié, au moins en partie, par la révolution entamée par Jensen et Meckling (1976) et leur introduction d’une dimension organisationnelle à travers les coûts d’agence pour expliquer la politique financière. Ce faisant, cette approche permettait d’associer finance et AO. Toute-fois, une des caractéristiques de la théorie de l’AO, initiée par Jensen et Meckling, est de ne considérer que le seul levier disciplinaire dans la création de valeur et, d’une certaine façon, de prolonger la finance antérieure à de nombreux égards. La conception du processus de choix des investissements reste similaire et l’irruption des conflits d’intérêts n’aboutit qu’à se poser la question d’un éventuel sous ou surinvestissement par rapport au niveau optimal permettant de maximiser la valeur de la firme. La liaison entre décisions financières et AO intervient principalement dans les problèmes soulevés par la délégation décisionnelle des actionnaires aux managers, dans la mesure où la question des divergences d’intérêts se pose désormais. Les financiers ont été ainsi conduits à étendre leur champ d’investigation aux systèmes d’incitation et de surveillance – dont l’étude relevait de la gestion des ressources humaines et du contrôle de gestion – afin d’étudier leur influence sur la création de valeur. Même si Fama et Jensen (1983) ont consacré des développements aux firmes non cotées et aux organisations en général, l’analyse dominante consacrée aux sociétés cotées – rôle du marché financier oblige… –, a pour référence la création de valeur pour les actionnaires en raison de deux hypothèses fondamentales du modèle de Jensen et Meckling (1976), d’une part, l’absence d’externalités décisionnelles pour les parties prenantes autres que les actionnaires non compensées par les contrats, d’autre part, le maintien de l’hypothèse d’efficience informationnelle des marchés financiers qui permet de sauvegarder une évaluation objective (à travers la valeur boursière) de l’incidence des coûts d’agence.
15 Il découle de cet échafaudage théorique que le schéma de pensée dominant en finance induit une conception de l’AO articulée en fonction de la maximisation de la valeur de marché pour les actionnaires – tout au moins pour les sociétés cotées. La délégation est justifiée dans les grandes sociétés cotées de façon à permettre la meilleure utilisation possible de l’information spécifique (coûteuse ou impossible à transférer) qui est diffuse sur l’ensemble de l’organisation. Les problèmes associés aux conflits d’intérêts qui surviennent en raison de la délégation décisionnelle sont censés se résoudre grâce à la décomposabilité de l’objectif de création de valeur actionnariale à tous les niveaux de la hiérarchie et, particulièrement, à celui des centres de profit. L’hypothèse retenue est qu’il est possible de mesurer la contribution de chaque acteur de l’entreprise, et en premier lieu des dirigeants, à cette valeur mesurable de façon objective. Quant à la gestion des conflits d’intérêts, elle est censée se faire prioritairement par un système incitatif reposant sur des rémunérations extrinsèques, alignées sur la création de valeur actionnariale, dont l’exemple emblématique est constitué par les stock-options ou la distribution d’actions gratuites. L’autodiscipline induite par les systèmes de rémunération est complétée par des organes de surveillance tels que le conseil d’administration dont le rôle est exclusivement disciplinaire. Il doit contribuer à assurer la meilleure information possible des investisseurs financiers afin que le marché puisse remplir son rôle d’évaluation, fixer la structure de la rémunération des principaux dirigeants et, dans les cas extrêmes, remplacer le dirigeant en cas de performance insuffisante. Globalement, au vu du rôle central joué par le marché financier en termes d’évaluation de la performance et d’incitation à travers les rémunérations indexées sur la valeur boursière, l’AO est, en principe, conçue pour diffuser et relayer la discipline exercée par le marché financier à l’intérieur de l’entreprise jusqu’aux échelons inférieurs de la hiérarchie.
3. Les perturbations entraînées par la conception financière de l’architecture organisationnelle
16 En résumant les hypothèses qui sous-tendent la conception financière de l’AO, il est assez facile de comprendre l’origine des perturbations apportées par la finance au management et aux autres fonctions de l’entreprise, en particulier, aux fonctions de production (ou de servuction) qui constituent la véritable justification d’une entreprise dont la finalité est de produire pour autrui. En ce sens, la citation de Jack Welch s’explique aisément. Ce qui caractérise une entreprise, ce qui lui permet de créer de la valeur, c’est sa stratégie industrielle et commerciale. La création de valeur pour l’actionnaire n’est qu’un résultat et, nous ajoutons, un mécanisme de régulation au niveau du système économique permettant d’évaluer la pertinence des stratégies entreprises, une « scorecard » pour reprendre l’expression imagée de Jensen (2001). Cependant, le recours à cet objectif de performance ne se limite pas à une mesure ex post. Il contribue également à structurer l’AO et, par conséquent, il influence la définition même de la stratégie industrielle et commerciale ainsi que sa mise en œuvre et peut en perturber la logique intrinsèque. Paradoxalement, on peut parvenir au résultat selon lequel une AO conçue, en principe, pour accroître la valeur actionnariale se transforme in fine en outil de destruction de cette valeur, par exemple s’il y a conflit entre les horizons choisis pour mesurer la performance et ceux nécessaires au succès de la stratégie industrielle et commerciale.
17 Pour illustrer ce risque, nous allons, en premier lieu, évoquer de façon générale le risque de conflit entre la logique financière de la création de valeur et celle qui prévaut dans les autres domaines du management, fondée habituellement sur la vision cognitive de la firme (knowledge based view). En second lieu, nous tentons de préciser les principaux facteurs d’incompatibilité en fonction des trois piliers constitutifs de l’AO.
Les logiques disciplinaire et cognitive peuvent entrer en conflit
18 Selon la vision cognitive de la firme, si une entreprise génère une rentabilité supérieure à ses concurrentes c’est normalement parce qu’elle dispose d’un pool de ressources et de compétences spécifiques qui lui procurent un avantage concurrentiel durable. C’est ce pool qui lui permet d’innover de façon à créer des opportunités d’investissement plus rentables. En ce sens, la problématique de l’investissement implicite dans cette perspective diffère assez sensiblement de la vision financière. Si on excepte les acquisitions, les opportunités d’investissement sont habituellement générées à l’intérieur de l’entreprise et leur choix obéit rarement à la logique associée à l’image du menu préétabli d’opportunités, telle qu’elle est postulée par la finance. Une opportunité d’investissement a, le plus souvent, une existence organisationnelle préalable, à travers les équipes et les cadres qui ont conçu et porté le projet, qui conditionne fortement sa création, son acceptation et sa mise en œuvre. Par ailleurs, la quantification des retombées d’un investissement est difficile à opérer, sinon impossible dans les activités particulièrement innovatrices, voire dans des domaines spécifiques comme celui des systèmes d’information. En pratique, la quantification, quand elle existe, joue plutôt un rôle de légitimation d’un pari fondé, avant tout, sur des considérations de stratégies industrielle et commerciale.
19 Pour revenir au levier cognitif, ce qui importe c’est d’avoir une AO qui permette la constitution du pool de ressources et de compétences assurant un avantage concurrentiel. La cohérence d’une AO doit donc, certes, s’évaluer selon une logique disciplinaire, mais surtout dans une perspective cognitive, la dimension disciplinaire ne devant pas porter préjudice au bon déroulement du processus industriel et commercial à l’origine de la rente.
20 De nombreux travaux en stratégie tendent à montrer que les ressources spécifiques qui assurent un avantage durable résultent en particulier de la capacité d’innovation associée à la connaissance tacite créée de façon collective via l’apprentissage organisationnel. Et de nombreuses formes organisationnelles trouvent leur justification dans leur capacité à produire cette connaissance tacite collective. Comme le suggèrent Osterloh et Frey (2000) et Osterloh et al. (2002), les AO ne sont pas indifférentes dans leur capacité à favoriser la constitution de ce pool de ressources spécifiques et la logique sous-jacente à l’approche financière peut entrer en contradiction avec celle nécessaire à l’innovation.
21 Rappelons que la logique financière de l’AO est fondée sur la possibilité de mesurer objectivement la contribution de chacun à la performance, mesure qui permettra la mise en place d’une rémunération incitative extrinsèque. Or, ce schéma « individualiste » non seulement rencontre d’importantes difficultés d’application quand l’origine de la valeur créée est attribuée aux ressources spécifiques à la firme qui sont de nature intangible et collective, mais il peut même se révéler profondément perturbateur en détruisant les motivations intrinsèques dont le rôle est fréquemment déterminant dans la constitution et la durabilité du pool de ressources spécifiques.
Les risques d’incompatibilité en fonction des différents piliers de l’architecture organisationnelle
22 Tentons de préciser, à présent, les incompatibilités pouvant se manifester en fonction des trois piliers de l’AO : l’allocation des décisions, l’évaluation de la performance et le système incitatif.
Les conflits possibles en matière d’allocation des décisions
23 Selon la théorie de l’agence, dans les organisations complexes, il faut déléguer la décision de façon à utiliser au mieux l’information (ou la connaissance) spécifique, le plus souvent tacite et difficilement transmissible. Cette formulation, tout au moins dans la conception financière de l’AO profondément marquée par l’approche de l’asymétrie d’information, suppose une répartition a priori inégale de la connaissance/information au niveau des individus auquel cas, l’efficacité organisationnelle requiert de déléguer la décision pour que celle-ci soit prise de façon pertinente en fonction, par exemple, de l’expérience acquise par le décideur. Un tel raisonnement, qui part implicitement du principe qu’on alloue les décisions en fonction d’une répartition a priori de l’information/ connaissance, fait abstraction du caractère collectif et dynamique de la création de connaissance lié à l’accès au pool de ressources. La connaissance tacite n’est pas nécessairement individuelle ; elle se forge fréquemment par le travail en équipe et il est très difficile, sinon impossible, d’évaluer la contribution individuelle à la constitution du savoir-faire collectif résultant de l’apprentissage organisationnel. Du point de vue de la nature de la délégation, ce caractère collectif de la création de connaissance nécessite de repenser la problématique traditionnelle où l’allocation décisionnelle est principalement analysée en fonction des individus et en insistant sur les dimensions verticale (position dans la hiérarchie) et horizontale (variété des tâches). Cette dimension collective apparaît centrale dans les organisations privilégiant les équipes de production à base cognitive (knowledge-based production teams) telles que les évoquent Osterloh et al. (2002). Ce type d’équipe est souvent de nature transversale sur le plan fonctionnel, et la réalisation de la tâche est subordonnée au savoir tacite résultant des interdépendances entre membres de l’équipe. Par ailleurs, le savoir tacite obtenu ne peut être dissocié du produit lui-même ou du processus qui a permis d’élaborer ce dernier (Osterloh et al., 2002, p. 70-71). En d’autres termes, une allocation des décisions en fonction d’une répartition préétablie de l’information/connaissance spécifique entre individus peut se révéler incompatible avec une vision de la connaissance spécifique créée de façon collective au sein d’équipes transversales, car elle ignore le caractère dynamique et processuelle de la génération des savoir-faire collectifs. Ces derniers sont, très fréquemment, à l’origine de l’innovation et sont très difficilement imitables. Cette remarque conduit également à conclure, toujours dans la lignée des travaux d’Osterloh et al., que la vision de l’allocation décisionnelle au sein de la perspective financière de l’AO n’est pertinente que pour des formes organisationnelles particulières, plutôt associées à la grande entreprise industrielle traditionnelle.
Les conflits possibles en matière de mesure de performance
24 Ce caractère collectif de la formation des compétences spécifiques à la firme pose également de sérieux problèmes à l’approche de l’évaluation de la performance retenue dans la conception financière de l’AO. Cette dernière suppose qu’on puisse mesurer la performance en termes de contribution à la création de valeur pour l’actionnaire à tous les niveaux de la hiérarchie, la création de valeur globale, dans l’idéal, pouvant être obtenue par agrégation des contributions individuelles. Une telle approche implique qu’on puisse cerner tant les inputs que les outputs du processus, or le caractère collectif et la nature tacite du savoir-faire, répétons-le, rendent quasiment impossible la mesure de cette contribution. On peut d’ailleurs remarquer que, d’une façon générale, la problématique de la mesure de la contribution à la performance évaluée à l’aune de la richesse des actionnaires en valeur de marché se heurte à des difficultés insurmontables. Tant la volatilité de cette richesse mesurée sur le marché financier, la possibilité de manipuler les cours comme l’ont montré les affaires du type Enron, la dépendance de cette richesse à l’égard d’éléments macroéconomiques hors du contrôle des acteurs de la firme ou, encore, la complexité des schémas de causalité liant l’output de la firme à sa valorisation sur le marché, laquelle dépend des anticipations des investisseurs, ne peuvent que conduire à la conclusion qu’une telle mesure est soumise à trop d’incertitude pour pouvoir servir de fondement à des décisions opérationnelles. Même les tentatives visant à cerner la contribution personnelle du dirigeant à la création de richesse actionnariale ont peu de sens au vu de la complexité du processus de création de valeur dans les grandes firmes cotées et de sa nature fondamentalement collective, certains courants stratégiques prétendant de plus, à l’occasion, que le dirigeant n’a quasiment aucune influence sur la performance de la firme comparativement aux déterminants environnementaux.
25 Cette subordination de la mesure de la performance à la vision actionnariale constitue une source de conflits entre la finance et le reste du management, en raison de la volatilité de ce type de mesure et de sa dépendance très forte à des facteurs en dehors du contrôle de la firme. Si le processus de création de valeur dépend principalement du levier cognitif et de l’innovation, il est peu plausible qu’une mesure de cette nature puisse être d’une grande utilité pour piloter les processus organisationnels déterminant l’innovation. Il est vraisemblable, au contraire, qu’une telle logique de la mesure de performance perturbe les conditions d’un bon apprentissage organisationnel qui nécessite, a priori, un contexte organisationnel stable. Ainsi, la recherche systématique d’une mesure de la performance, simultanément plus fine (en la décomposant) et plus fréquente, souvent peu en phase avec le cycle réel caractérisant le processus de création de valeur dans de nombreuses activités, peut déstabiliser la coopération et l’apprentissage organisationnel.
Les conflits possibles en matière d’incitations
26 Le troisième pilier de l’AO associé au système incitatif est également une source de conflit potentiel entre la finance et le reste du management. La logique financière préconise d’associer une rémunération incitative fortement liée à la richesse des actionnaires pour résoudre les conflits d’intérêts. Les effets pervers de ce type de système, notamment en relation avec les coûts d’agence résultant de la surévaluation des cours boursiers, ont été amplement soulignés, y compris par les défenseurs les plus fervents de l’approche actionnariale comme Jensen (2004) et de nombreuses études concluent à l’absence de lien entre performance des dirigeants et rémunération (Bebchuk et Fried, 2004).
27 Au-delà des problèmes spécifiques aux principaux dirigeants, l’approche financière de l’incitation, fondée sur les dimensions monétaires de la rémunération provoque d’autres effets pervers affectant tant le levier disciplinaire que le levier cognitif de la création de valeur. Sur le plan disciplinaire, le recours à des rémunérations incitatives de nature pécuniaire, plus ou moins directement liées à des mesures objectives de la performance censées conduire à une amélioration de la performance actionnariale, induit, à l’instar de ce qui se passe pour les principaux dirigeants, des comportements visant à biaiser la mesure de performance afin de percevoir une rémunération plus élevée. Ces comportements sont particulièrement fréquents lorsque les rémunérations ne sont octroyées que lors du franchissement de certains seuils de performance (Jensen 2003, 2004). Ils semblent également être accentués par le développement du benchmarking qui conduit, soit à prendre plus de risque, soit à tenter de biaiser davantage les mesures, afin de parvenir à une performance permettant d’être suffisamment bien classé pour obtenir les bonus promis. Paradoxalement, les systèmes incitatifs visant à résoudre les conflits d’intérêts et les comportements opportunistes ont fréquemment l’effet inverse et ce d’autant plus que, dans de nombreux cas, les conditions requises pour qu’un système incitatif soit efficace sont loin d’être satisfaites [2]. On ajoute que les systèmes de rémunération extrinsèque couplés à la publicité donnée aux rémunérations obtenues afin de renforcer le caractère incitatif ont habituellement pour effet d’accroître les comportements d’influence et de manipulation, la rémunération devenant une manifestation visible du statut hiérarchique. Cet effet lié à la comparaison des statuts qui semble expliquer en grande partie l’inflation récente des rémunérations des principaux dirigeants, se retrouve également à l’intérieur des firmes. L’accent mis par l’approche financière sur les rémunérations incitatives a également des conséquences sur le levier cognitif de la création de valeur dans la mesure où il peut entraîner un effet d’éviction des motivations intrinsèques. Rappelons que, contrairement aux motivations extrinsèques fondées sur des rémunérations pécuniaires, les motivations intrinsèques sont directement associées à l’exercice des tâches exercées (intérêt du travail, accomplissement de soi, dimension sociale, etc.). De nombreux travaux (Frey, 1997 ; Deci et al., 1999) montrent que la mise en place de rémunérations extrinsèques a fréquemment pour effet de corrompre les motivations intrinsèques et de provoquer, sous certaines conditions, leur éviction. Or, comme le soutiennent Osterloh et Frey (2000) et Osterloh et al. (2002), dans les activités complexes où la coopération est nécessaire pour assurer les transferts de connaissances tacites permettant de constituer le pool de ressources spécifiques à la firme, un système incitatif fondé sur les motivations intrinsèques se révèle beaucoup plus adapté. Ce résultat s’expliquerait, entre autres, par l’influence négative de la compétition créée par un système de rémunération extrinsèque fondé sur la performance sur la qualité de la coopération et les transferts de connaissances tacites qui en dépendent.
28 Globalement, la conception de l’AO associée à la logique financière entraînerait donc un certain nombre d’effets pervers pouvant pénaliser la création de valeur, en perturbant le levier cognitif, mais également en ayant, dans certains cas, des effets défavorables sur le plan disciplinaire, en raison d’un renforcement des comportements non éthiques. Ces effets seraient d’autant plus perturbants que l’avantage compétitif de l’entreprise repose sur l’apprentissage organisationnel et la constitution d’un savoir-faire collectif par nature intangible. Ces perturbations permettent ainsi d’expliquer les problèmes posés par l’approche financière au reste du management, en particulier à la fonction productive.
II – COMMENT (RÉ) CONCILIER FINANCE ET MANAGEMENT ?
29 Le management ayant pour finalité d’améliorer la performance économique de l’entreprise, la première question à se poser, avant d’envisager un certain nombre de voies pour améliorer les relations entre finance et management, est en quelque sorte de dresser un bilan des gains et des coûts associés à la conception financière. En fonction des résultats de ce bilan, il convient de proposer des mesures permettant de remédier aux perturbations associées à la vision financière.
1. Quel bilan pour la conception financière de l’architecture organisationnelle ?
30 On peut émettre l’hypothèse que si l’influence de la conception financière s’est fortement accrue dans la construction des AO sur les dernières décennies, c’est que, vraisemblablement, elle offre un certain nombre d’avantages. Inversement, comme nous l’avons montré, les perturbations semblent particulièrement importantes et coûteuses en termes cognitifs et éthiques, sans compter les coûts associés au fonctionnement même de la mise en place et du fonctionnement des outils financiers (par exemple, en termes de reporting) et les conséquences du renforcement du pouvoir des financiers.
31 Cette importance de l’influence de la conception financière peut être attribuée, au moins en partie, aux succès remportés par la théorie financière dont les leaders ont été couronnés par plusieurs prix Nobel d’économie et qui a permis d’élaborer un certain nombre d’outils (VAN, coût du capital, modèles d’évaluation des options, de gestion des risques, etc.). Cette influence de la théorie est cependant à nuancer au vu des résultats pessimistes de certaines enquêtes menées auprès des praticiens de la finance (par exemple, Graham et Harvey, 2001 et Copeland, 2002) quant à l’intérêt pratique de la recherche académique. Toutefois, d’autres enquêtes ont montré que certains concepts inventés par la finance (VAN, coût du capital, etc.) sont devenus d’application quasi généralisée, au moins dans les grandes entreprises, la diffusion de ces concepts ayant pris, cependant, plusieurs décennies. Précisons que cette diffusion a été relativement plus rapide pour les outils directement liés aux opérations sur les marchés financiers tels que les dérivés ainsi que pour les doctrines associées à la gouvernance actionnariale.
32 De fait, il semble que l’influence de la finance sur l’AO, au-delà des outils qu’elle a élaborés, se soit bien davantage manifestée à travers la diffusion de la rhétorique qui sous-tend la vision financière de l’AO et qui accorde une place centrale au marché financier et à l’évaluation quantitative facilitée par ce dernier. Les raisons qui expliquent le succès de cette rhétorique sont nombreuses (développement des marchés financiers, domination des économies anglo-saxonnes, prestige de la recherche financière, présomption de scientificité associée à des mesures supposées objectives et reposant dans certains cas sur des modèles mathématiques, développement des systèmes d’information, etc.). Cette rhétorique rejoint un discours plus général faisant l’éloge systématique de la compétition et de l’évaluation objective de la performance issue semble-t-il de la culture sportive [3]. À certains égards, ce type de discours est aujourd’hui remis en cause en raison de la crise financière que certains expliquent par la prise excessive de risque associée au développement de la compétition et des systèmes incitatifs fondés sur des mesures objectives de la performance, systèmes qui caractérisent, par exemple, les métiers du trading.
33 En tant que rhétorique, la conception financière de l’AO peut également être apparentée aux modes managériales (reengineering, Activity Based Costing, gestion de la qualité, etc.) qui se succèdent régulièrement, auxquelles on attribue au départ toutes les vertus et dont les bilans réels, lorsqu’on considère également les coûts induits, sont très mitigés (Brickley et al., 1997). Pour la conception financière de l’AO, les avantages apparents, qui lui sont généralement reconnus, sont ceux qu’on accorde traditionnellement à la mesurabilité, à l’objectivité et à l’individualisation de la performance, selon une perspective très mécanique des organisations. Le modèle de référence implicite sous-jacent est celui du pilotage des systèmes physiques. La conception financière de l’AO, en quelque sorte, cherche à rapprocher la trajectoire de l’entreprise de la trajectoire idéale en termes de valeur actionnariale.
34 Ces avantages sont, cependant, fréquemment illusoires, car contrairement aux systèmes physiques, les systèmes organisationnels sont des systèmes sociaux composés d’individus qui ne subissent pas passivement les architectures qu’on leur impose. Autrement dit, tout système disciplinaire génère des effets pervers qui ont été mis en évidence depuis bien longtemps – les effets pervers des systèmes de contrôle mis en place dans l’ancienne Union soviétique ont souvent servi d’illustration – et que les crises récentes, notamment celle d’Enron, n’ont fait que rappeler. Une des meilleures illustrations récentes de ce phénomène est l’inflation des rémunérations des dirigeants qui s’est produite, bien supérieure aux performances réalisées, alors que les systèmes incitatifs et les mesures de performance d’inspiration financière étaient censés réduire les conflits d’intérêts entre actionnaires et dirigeants. Il est pour le moins douteux, qu’un niveau de rémunération pour les cinq principaux dirigeants des firmes du S&P 1500 représentant 9,8 % des bénéfices agrégés de ces firmes sur la période 2001- 2003 (Bebchuk et Grinstein, 2005), puisse se justifier comme étant dans l’intérêt des actionnaires, sans parler des autres parties prenantes. Il semble que l’architecture mise en place pour gouverner les dirigeants ait induit des excès bien supérieurs à ceux qu’elle était supposée corriger.
35 Au-delà, cependant, des conséquences comportementales des AO à philosophie financière qui peuvent agir négativement sur la création de valeur en sapant la confiance entre investisseurs et dirigeants, il faut également rappeler les coûts en termes cognitifs, déjà évoqués, de ce type d’architecture qui, tout au moins dans certaines activités, peuvent freiner l’apprentissage organisationnel et l’innovation. Une illustration de ce type de coût peut être facilement trouvée avec l’exemple traditionnel des licenciements qui permettraient de rétablir la rentabilité. La conception financière traditionnelle tend à considérer le personnel comme un coût et non comme un investissement susceptible d’améliorer la performance sur le long terme, via le pool de compétences qui a pu se constituer. Si, par exemple, la mesure de performance prenait en compte les options de développement futur perdues suite aux pertes de savoir faire collectif entraînées par les licenciements (ou pourrait y ajouter des éléments comme le coût de la confiance perdue), on aurait une idée plus exacte du coût des effets pervers des AO de conception financière. Ces effets sont d’ailleurs directement liés à l’obsession de la mesurabilité objective ; les coûts d’opportunité étant difficilement observables et mesurables, il est fréquent de les ignorer. Cette ignorance a conduit très longtemps, par exemple, à ne pas comptabiliser le coût économique des options sur actions attribuées aux dirigeants expliquant ainsi leur utilisation abusive. On objecte qu’il s’agit bien davantage de biais comptables que de biais financiers, puisque les financiers ont, en théorie, depuis longtemps intégré les coûts d’opportunité, mais cette prise en compte, dans la pratique des systèmes réels de contrôle, ne se fait que s’il est possible de quantifier ces coûts et, bien entendu, cette quantification, à son tour, ouvre la porte à d’autres types d’effets pervers [4]…
2. Comment remédier aux effets pervers de la conception financière de l’AO ?
36 Pour remédier aux effets pervers de la conception financière de l’AO, deux principaux leviers semblent actionnables. Le premier, d’ordre théorique et doctrinal, est relatif au changement des modèles qui sous-tendent la théorie financière actuelle et qui structurent le mode de pensée des financiers de façon à permettre une meilleure appréhension du processus de création de valeur et la construction d’une AO plus adaptée. Le second, d’ordre pratique, concerne la relation de la finance avec les autres fonctions de l’entreprise telles que la production et le marketing. Celles-ci jouant un rôle central dans le processus de création de valeur, les dimensions financières de l’AO devraient leur être subordonnées et, en tout cas, ne pas perturber leur bon fonctionnement.
Faire évoluer les modèles financiers pour les rapprocher des modèles des autres sciences du management
37 Quand on considère les différentes strates de la théorie financière de la firme, soit elles ignorent, comme dans la finance néo-classique, l’existence de la firme et des problèmes posés à la création de valeur par les dimensions organisationnelles, soit elles considèrent, comme la finance issue de la théorie de l’agence, à travers une vision de la firme ramenée à un nœud de contrats parfaitement indépendants et décomposables, que l’action sur la création de valeur se résume à intervenir via le levier disciplinaire en structurant au mieux le système de contrôle au moyen de mesures de performance objectives et de rémunérations extrinsèques, en relation directe avec la valeur (de marché) actionnariale. Dans le premier cas, les modèles financiers ne permettent pas d’appréhender le processus de création de valeur. Dans le second, il le ramène à un problème de contrôle où les dimensions productives (cognitives) sont absentes.
38 Inversement, la conception de la firme comme répertoire de connaissances qu’on retrouve de façon plus ou moins explicite dans les autres sciences du management donne à la dimension productive un rôle central dans la création de valeur. Le reproche fait cependant légitimement à cette dernière est d’ignorer les dimensions conflictuelles qui sapent la création de valeur et qui sont privilégiées par la théorie de l’agence.
39 De nombreuses tentatives théoriques visent à concilier les deux approches de la firme pour prendre simultanément en compte les dimensions disciplinaires et cognitives. En particulier, Demsetz (1988) a, depuis longtemps, insisté sur la spécificité entraînée par la finalité productive de la firme qui en fait un nœud de contrats bien particulier. Une façon de concilier les deux visions de la firme est d’adopter une conception du nœud de contrats conciliable avec la représentation de la firme comme entité permettant ainsi de sauvegarder son caractère de réceptacle de connaissances ou plutôt de socle permettant de construire, de façon collective et par l’apprentissage organisationnel, un avantage concurrentiel. La vision constitutionnaliste du nœud de contrats, que Vanberg (1994) oppose à la vision traditionnelle du paradigme de l’échange, permet de réaliser cette synthèse. Dans cette perspective, la firme est un ensemble de contrats explicites ou implicites, interdépendants, pouvant être considéré comme une constitution et qui ne peut être décomposé en différents contrats bilatéraux. Cette constitution définit les règles communes permettant le travail en équipe.
40 La reconnaissance simultanée de la dimension productive et de l’interdépendance des contrats conduit à une vision partenariale de la firme où les différents partenaires concourent collectivement au processus de création de valeur mais ont des intérêts divergents relativement à la répartition de la valeur (Charreaux et Desbrières, 1998). La mission du management est d’assurer une gestion « entitaire » du nœud de contrats permettant d’assurer la création et la durabilité de l’avantage compétitif. Cette gestion passe par une répartition de la rente globale garantissant à la fois la viabilité de la firme et celle de chacune des relations avec les différents partenaires. Autrement dit, les dirigeants arbitrent en permanence et de façon dynamique entre les différents partenaires, ce qui peut, par exemple, conduire à certains moments à accorder davantage aux salariés tout en offrant aux actionnaires une rémunération satisfaisante de leurs capitaux. Dans cette représentation, la séparabilité entre production et répartition disparaît – la façon de répartir le gâteau influe sur sa taille – car au-delà de la simple dimension incitative, la répartition influe également sur la nature cognitive du processus productif, en facilitant ou non le processus d’apprentissage commun.
41 La conception financière de l’AO, qui ignore la dimension cognitive et suppose une décomposabilité de la performance (associée à la vision du nœud de contrats dans le paradigme de l’échange), non seulement est dans l’incapacité de saisir les interdépendances dynamiques, mais de plus, peut, en proposant des mesures de performance et des incitations individualisées, perturber le déroulement des processus de création et de répartition de la valeur. Cette perturbation peut également trouver son origine dans la périodicisation de la mesure et des systèmes incitatifs habituellement fondés sur des conventions éloignées des rythmes réels suivis par ces processus. La vision comptable et financière traditionnelle conçoit la répartition comme un phénomène annuel et intervenant une fois que la valeur a été créée conformément à l’idée simpliste souvent exprimée et considérée comme de bon sens « on ne peut distribuer que ce qu’on a créé ». En réalité, des répartitions imprévues, sous forme de primes incitatives, ont pu intervenir en cours d’exercice afin d’accroître la motivation et la création de valeur et si cette dernière ne se réalise pas, le résultat distribuable s’en trouvera d’autant diminué. On est alors en présence simultanément d’une interdépendance entre répartition et création de valeur et d’une répartition précédant cette création, dont le cadre comptable et financier traditionnel est dans l’incapacité de rendre compte.
42 L’aménagement de la vision financière de l’AO doit également passer par la reconnaissance des dimensions psychologiques et sociales des systèmes incitatifs, si on souhaite réconcilier la finance et le management. Si la finance de marché a, depuis un certain temps, commencé à intégrer les dimensions comportementales pour comprendre le fonctionnement réel des marchés financiers, cette dimension n’a semble-t-il été que rarement abordée pour appréhender les phénomènes de gouvernance et d’architecture organisationnelle (Charreaux, 2005), alors que le faible pouvoir explicatif de la théorie des incitations pour justifier la relation entre rémunération et performance avait déjà été souligné par Baker et al. (1988), il y a plus de vingt ans. Ces derniers reconnaissaient, en outre, qu’une voie possible d’amélioration pouvait passer par l’intégration des notions développées par d’autres sciences sociales, comme la psychologie. Les dimensions psychologiques et sociales sont d’ailleurs usuellement au cœur des rémunérations intrinsèques et peuvent également contribuer à expliquer la faible relation entre rémunération extrinsèque et performance. Par ailleurs et comme le suppose la littérature sur les rémunérations intrinsèques (Deci et Ryan, 1985), si la latitude est un facteur de satisfaction pour les agents, le renforcement du contrôle via les mesures de performance de type quantitatif a pour effet de réduire les rémunérations intrinsèques. En d’autres termes, si dans la vision financière de l’AO, les mesures de performance ne modifient pas la nature des rémunérations qui sont purement monétaires, dans d’autres courants, il existe une relation d’interdépendance entre la nature même de la mesure utilisée et le système incitatif. On précise, là aussi, que la latitude peut avoir un effet non seulement sur le levier disciplinaire de la création de valeur mais également sur le levier cognitif en facilitant le travail collectif.
43 On souligne que la plupart des limites de l’approche financière de l’AO sont liées à une insuffisante prise en compte des dimensions psychologiques et sociales présentes au sein des organisations et qui conditionnent de façon déterminante les processus de création de valeur tant du point de vue disciplinaire que cognitif. La focalisation de la finance sur l’objectif de quantification de la valeur créée et de la performance a pour conséquences, non seulement d’ignorer des déterminants cruciaux de la création de valeur, mais également en cherchant à imposer une vision mécaniste de l’organisation, inapte à saisir les synergies, d’affaiblir l’efficacité du travail collectif et l’apprentissage organisationnel. Réconcilier la finance et le reste du management impliquerait donc de renoncer à l’obsession de la mesure, autrement dit, sur le plan de la recherche théorique, de s’écarter d’une vision encore très fortement empreinte par le positivisme, voire par l’opérationnalisme (au sens épistémologique), au profit d’une conception plus ouverte aux dimensions qualitatives et processuelles à l’instar des autres sciences du management plus influencées par la psychologie et la sociologie que par l’économie du mainstream.
Subordonner les dimensions financières de l’AO aux déterminants industriels et commerciaux de la création de valeur
44 Si l’évolution des modèles de la finance et, plus généralement, de la pensée financière est une condition de réconciliation avec le reste du management, cette dernière semble également passer, sur le plan pratique, par une subordination de la finance (et on ajoutera de la comptabilité et du contrôle de gestion) aux autres fonctions de l’entreprise (production, marketing, gestion des ressources humaines) dont le rôle est bien plus central dans la constitution des avantages concurrentiels à l’origine de la création de valeur. Une telle subordination serait facilitée tant par une reformulation de l’objectif de gestion attribué aux dirigeants des entreprises, que par une conception du pilotage différente de la conception financière.
Abandonner l’objectif de valeur actionnariale au profit de la valeur partenariale
45 Une telle subordination serait facilitée par une reformulation de l’objectif attribuée à la firme en termes de valeur partenariale, c’est-à-dire en abandonnant l’hypothèse peu réaliste selon laquelle les actionnaires sont les seuls créanciers résiduels pour prendre en compte un objectif de création de valeur, d’accroissement de la rente organisationnelle sur l’ensemble de la chaîne de valeur (Charreaux et Desbrières, 1998).
46 Le fait de considérer l’objectif de création de valeur actionnariale (en particulier en termes de valeur boursière) comme s’imposant naturellement est d’ailleurs curieux à plusieurs égards. Premièrement, même du point de vue du mainstream économique qui sous-tend la théorie financière, il a été démontré depuis fort longtemps que les externalités et les imperfections liées aux asymétries d’information et aux coûts de transaction remettaient en cause cet objectif sur le plan normatif de l’efficience allocationnelle. Deuxièmement, l’histoire montre que les marchés financiers sont apparus tardivement et que le nombre d’entreprises cotées, à actionnariat diffus, est faible. Par ailleurs, toujours sur le plan historique, les marchés financiers ont été organisés, à l’origine, pour faciliter le financement des États (via les emprunts) et des entreprises. Autrement dit, leur fonction est subordonnée à une finalité première qui est celle des organisations, même si, à l’évidence, les fonctions accomplies par les marchés ont joué un rôle important dans le développement capitaliste tel qu’on le connaît actuellement. Ainsi, la formulation de l’objectif des organisations en termes de maximisation de la valeur de marché pour les actionnaires peut être considérée comme une inversion de la hiérarchie initiale des objectifs, en attribuant à une institution, dont la fonction était annexe à l’origine, un rôle considéré comme central, alors que le développement économique dépend d’autres facteurs au moins aussi importants que la finance (l’éducation, le système légal et politique, etc.).
47 Troisièmement, ceux qui considèrent que l’objectif de valeur actionnariale est indispensable au management devraient s’interroger sur le fonctionnement des organisations publiques ou à but non lucratif qui, historiquement, sont bien antérieures aux entreprises. Ainsi, les États et les organisations religieuses, qui n’ont pas d’actionnaires et d’objectif de valeur actionnariale, ont pu se développer pendant des siècles. Leur survie et leur développement signifient que leurs modes de management et les architectures organisationnelles qu’ils ont su construire sur des principes bien différents de ceux qui prévalent dans la conception financière de l’AO, au niveau des systèmes incitatifs et des mesures de performance, présentent certaines vertus. Des auteurs comme Frey et Benz (2005) suggèrent d’ailleurs que si le management et la gouvernance publics ont à apprendre des entreprises privées dans la veine du New Public Management, la réciproque s’applique également [5]. La longue histoire de ces organisations, cependant, suffit à démontrer que l’objectif actionnarial n’est pas indispensable et qu’il est possible de gérer de façon efficace dans une logique partenariale, en arbitrant entre des parties prenantes aux objectifs parfois antagonistes, puisque les organisations publiques le font depuis des siècles. Cela ne signifie pas qu’il faille sacrifier les intérêts des actionnaires, notamment des petits porteurs qui sont les plus vulnérables et il est conforme tant à l’efficacité économique qu’à l’éthique de les protéger. Mais cette protection légitime n’implique pas, pour autant, que leurs intérêts doivent l’emporter sur ceux des autres parties prenantes et qu’ils doivent être les seuls créanciers résiduels comme dans la conception financière traditionnelle, ce que reconnaissaient déjà les travaux fondateurs de Berle et Means (1932). À l’instar d’Alchian et Demsetz (1972, p. 789), on peut d’ailleurs estimer que les petits porteurs ne sont que de simples investisseurs (et non des propriétaires ayant un devoir de contrôle), proches des obligataires et ne s’en distinguant que par la composante option associée à leur placement. Auquel cas, il suffirait de leur assurer une rémunération suffisamment incitative correspondant, selon les auteurs, à un degré d’aversion face au risque moins élevé que celui des obligataires traditionnels. On admettra que le comportement passif des petits porteurs rend beaucoup plus plausible cette position qui conduit à écarter l’objectif de maximiser la valeur pour les actionnaires.
48 Le schéma associé à la valeur partenariale consiste à retenir pour objectif la maximisation de la rente économique globale définie par la différence entre les ventes évaluées au prix d’opportunité pour les clients (les prix maxima que ces derniers seraient disposés à payer) et les charges évaluées à leurs coûts d’opportunité [6] (les prix minima que les apporteurs de ressources seraient disposés à accepter). Un tel objectif conduit à définir la création de valeur par rapport à l’ensemble de la chaîne de valeur et à s’interroger sur le processus de création de valeur en relation avec le rôle actif que peuvent y jouer les différents partenaires et avec la part de valeur qui leur reviendra. Il est vraisemblable que la valeur créée dépende principalement des apports cognitifs des différents partenaires et non de l’apport de ressources financières qui ne constitue pas un facteur de différenciation. Si, par exemple, l’essentiel de la valeur (partenariale) créée provient du savoir-faire des salariés, il est important pour que l’entreprise crée de la valeur de façon durable, qu’elle leur distribue une partie de la valeur afin de s’attacher durablement ce facteur de compétitivité. Le schéma de la valeur partenariale conduit donc à abandonner l’hypothèse peu réaliste que les actionnaires sont les seuls créanciers résiduels.
49 Les critiques habituellement faites à la valeur partenariale portent sur sa complexité et se déclinent en deux principaux arguments, le premier porte sur l’abandon présumé de l’unicité de l’objectif de gestion et le second, sur l’impossibilité de la mesurer. Jensen (2001) postule que la perspective partenariale conduit à passer de l’objectif unique de performance associé à la valeur actionnariale, à plusieurs objectifs poursuivis simultanément ce qui entraînerait une inefficacité de la gestion, à défaut de pouvoir préciser les arbitrages à opérer entre les différents objectifs. Cette critique, toutefois, n’est pas justifiée, avec l’objectif d’accroissement de la valeur partenariale qui reste unique, même s’il se définit désormais en termes de surplus global sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Cependant, si l’objectif reste unique, il est à présent soumis, sur le plan de la répartition, à plusieurs contraintes, puisque chacune des parties prenantes (y compris les actionnaires) doit recevoir une partie de la rente suffisante pour garantir la viabilité à long terme de la relation avec la firme. La satisfaction de ces contraintes peut être envisagée de façon dynamique et sera d’autant plus aisée que la firme dispose d’un slack (une partie de la valeur partenariale créée non répartie) lui permettant de procéder à des arbitrages intertemporels, par exemple, distribuer moins pendant une période aux actionnaires pour conserver ses salariés clés. On peut également considérer que le schéma de la valeur partenariale peut s’interpréter comme une « Enlightened Stakeholder Theory » dans la perspective introduite par Jensen (2001), la notion de valeur à long terme de la firme étant cependant définie de façon plus large que par cet auteur.
50 Le second argument porte sur l’impossibilité de mesurer la valeur partenariale. Tout d’abord, on peut souligner que la mesurabilité de la création de valeur actionnariale est loin d’être garantie au vu des problèmes théoriques rencontrés pour estimer le coût des capitaux propres. Ensuite, certaines pistes permettant une opérationnalisation de la valeur partenariale ont été indiquées par Charreaux (2007). Enfin, comme le précise également Jensen (2001, p. 17), l’intérêt d’un critère d’évaluation de la performance ne trouve pas sa justification initiale dans la facilité de son observation ou de sa mesure mais dans le fait qu’il constitue un objectif permettant d’orienter la gestion, ce qui le conduit à conclure qu’il ne faut pas confondre optimisation et recherche de la valeur. Autant, la notion d’optimisation est indissociable de la capacité à mesurer, autant celle de « recherche de valeur » peut être définie de façon souple et qualitative et servir de support au management. En d’autres termes, même si on ne peut mesurer précisément la valeur partenariale, en revanche, il est relativement facile de savoir si on a amélioré la rente organisationnelle globale et si les différentes parties prenantes ont reçu une partie de cette rente.
Adopter une conception partenariale du pilotage de l’entreprise
51 La valeur partenariale, comme objectif de gestion, permet également une meilleure relation avec le pilotage de la performance que la valeur actionnariale. Selon la citation de Welch placée en tête de cet article, la valeur actionnariale ne peut servir de base à la stratégie. Elle n’intervient (au mieux, etc.) que pour mesurer le résultat ex post de la stratégie et les éléments principaux à considérer sont les salariés, les clients et les produits [7]… Une façon alternative d’exprimer une idée similaire est de distinguer clairement l’objectif de performance des critères de pilotage utilisés pour guider la création de la performance. Si la valeur actionnariale peut permettre de mesurer la performance ex post (du seul point de vue des actionnaires, etc.), elle ne peut servir de critère de pilotage pour des raisons évidentes, liées à la complexité des schémas de causalité liant cette valeur aux différents processus de création de valeur et au fait que les schémas permettant d’obtenir une bonne performance sont multiples. Pour que la valeur actionnariale puisse servir de critère de pilotage, comme par exemple dans les architectures organisationnelles fondées sur l’EVA (Economic Value Added), il faudrait que, pour chaque décision, le dirigeant soit en mesure d’évaluer précisément la contribution à la valeur actionnariale ; il y aurait alors un lien direct entre l’objectif unique poursuivi et le critère de pilotage.
52 En réalité, les systèmes réels de pilotage sont bien plus complexes (voir, par exemple, les systèmes du type Balance Score Card fondés sur les travaux de Kaplan et Norton, 1992) et à défaut de pouvoir reposer sur une modélisation exhaustive de la firme (qui entraînerait de plus le risque d’une fossilisation), s’appuient sur un certain nombre de grands principes stratégiques et de critères associés aux processus mêmes de création de valeur à travers les différentes fonctions de l’entreprise et qui, à l’occasion, donnent des indications contradictoires. Les arbitrages à rendre sont complexes et, le plus souvent, il est impossible pour les dirigeants d’avoir une idée précise de l’enrichissement des actionnaires pouvant résulter d’une décision en raison de l’ambiguïté des schémas de causalité. Les processus de choix s’apparentent bien davantage à une logique de recherche de valeur par tâtonnements fondée sur un certain nombre d’indicateurs approximatifs qu’à la logique de maximisation postulée par l’économie financière et il est plus facile d’évaluer si un processus s’améliore qualitativement suite à une décision que de mesurer précisément le gain qui sera apporté en termes de richesse pour les actionnaires.
53 Privilégier les indicateurs quantitatifs ou qualitatifs permettant d’évaluer la création de valeur de façon processuelle et dans une logique partenariale pour guider le pilotage de préférence aux indicateurs financiers permet en outre de réduire le risque que ces processus soient manipulés à l’instar de l’exemple d’une entreprise du Fortune 500 cité par Jensen (2004, p. 557), dans laquelle, les dirigeants, afin d’atteindre leurs objectifs de rentabilité et de toucher leurs bonus avaient annoncé en octobre qu’ils procéderaient à une hausse des prix en début d’année afin de provoquer une accélération des ventes. Cette mesure court-termiste s’inscrivait en contradiction avec la situation du secteur qui se caractérisait par une surcapacité et des prix en baisse et était destructrice de valeur sur le long terme. Subordonner la conception de l’AO, en matière d’indicateurs de pilotage, à une logique industrielle et commerciale, impliquerait de s’assurer que les systèmes d’incitation ne puissent aller à l’encontre des déterminants de la création de valeur à long terme. Cela impliquerait que les indicateurs financiers sur lesquels sont habituellement évaluées les conditions de déclenchement des rémunérations incitatives ne soient considérés que de façon complémentaire et annexe par rapport à des indicateurs quantitatifs et qualitatifs en relation directe avec les processus de création de valeur de façon à éviter le type d’effet pervers évoqué par Jensen. En d’autres termes, même si la performance évaluée sur le plan financier apparaît satisfaisante ex post, les bonus ne pourraient être délivrés que s’ils n’entrent pas en contradiction avec les indicateurs associés à la stratégie industrielle et commerciale.
54 Un autre avantage des indicateurs de pilotage centrés sur les processus (industriels et commerciaux) de création de valeur est de déconnecter leur gestion de la volatilité des anticipations des investisseurs financiers qui déterminent les cours boursiers. Un pilotage permettant de construire un avantage compétitif durable porteur de création de valeur ne peut s’appuyer que sur des indicateurs robustes et peu sensibles aux fluctuations à court terme, aux déterminants externes non contrôlables et à une éventuelle manipulation. Les indicateurs processuels échappant à la contrainte du marché financier présentent, de plus, des avantages cognitifs dans la mesure où les stratégies fortement innovatrices ne sont pas forcément bien comprises sur le court terme par le marché financier comme le montrent les surévaluations constatées lors de la bulle Internet ou, inversement, certaines sous-évaluations manifestes. Même un des plus fervents défenseurs de la valeur actionnariale et un pionnier dans le développement de la notion d’efficience des marchés, comme Jensen, reconnaît qu’il faut déconnecter désormais la notion de maximisation de la valeur de celle de maximisation du cours boursier (Jensen 2004, p. 564) [8] et a reconnu, depuis longtemps, la nécessité de structurer les architectures organisationnelles de façon à éviter les effets pervers des objectifs financiers [9].
55 La problématique de la valeur partenariale qui considère l’ensemble des parties prenantes permet d’établir un lien plus direct avec le pilotage de la performance en conduisant à s’interroger sur les contributions respectives des parties prenantes à la bonne réalisation des processus de création de valeur. D’une certaine manière, elle constitue une voie pour rendre opérationnelle l’approche de « maximisation de la valeur éclairée » (enlightened value maximisation) proposée par Jensen (2001, p. 16) et selon laquelle “[…] it is a basic principle of enlightened value maximisation that we cannot maximize the long-term market value of an organization if we ignore or mistreat any important constituency”. Dans la mesure où la valeur partenariale considère explicitement les autres parties prenantes, tout en respectant le principe économique de rentabilisation des ressources, elle constitue un cadre privilégié pour assurer une meilleure relation entre objectif et pilotage de la performance. Sa vision large de la création et de la répartition de la rente conduit également à une subordination naturelle des indicateurs financiers traditionnels dans la mesure où les actionnaires ne sont plus considérés comme la partie prenante centrale.
CONCLUSION
56 La conception financière de l’AO, en ne considérant que le levier disciplinaire de la création de valeur, en attribuant une importance centrale à l’évaluation de la performance par le marché financier, en privilégiant les seules dimensions mesurables de la performance considérée du seul point de vue des actionnaires et en négligeant les motivations intrinsèques, induit de nombreux effets pervers sur le management, en particulier sur ses dimensions productives et commerciales qui occupent une place déterminante dans la création de valeur.
57 L’importance accordée à la quantification (et à la modélisation formalisée) par la finance, en raison des fondements théoriques et méthodologiques de la théorie financière, est fortement perturbatrice pour plusieurs raisons. Premièrement, la quantification donne une illusion de scientificité, mais cette dernière, pour la finance, est loin d’être aussi solide que dans le cas des sciences dures (voir, par exemple, pour une critique de la théorie financière, Bourguinat et Briys, 2009). Deuxièmement, en induisant une impression d’objectivité, cette quantification conduit à négliger les dimensions qualitatives des processus réels de création de valeur dont la complexité est difficilement modélisable. Troisièmement, le développement de l’influence de la quantification dans la construction de l’AO conduit à attribuer davantage de pouvoir aux financiers, la fonction financière étant devenue la voie royale pour accéder aux postes de dirigeants, cette dernière évolution s’accompagnant d’un renforcement de l’influence de la conception financière et, plus généralement, des fonctions de contrôle (surveillance).
58 Ce renforcement du contrôle, qui s’est vraisemblablement opéré de façon excessive, semble fondé sur l’hypothèse implicite que le contrôle est peu coûteux relativement aux gains de performance qu’il est censé générer, la plausibilité de cette hypothèse s’étant renforcée grâce au développement des nouvelles technologies et des systèmes d’information. On cherche à évaluer la performance en la décomposant de plus en plus finement et avec une fréquence de plus en plus rapide. Au-delà des coûts de fonctionnement associés directement à ces systèmes (conception, mise en œuvre), qui sont habituellement gérés par les financiers (ainsi que par les comptables et les contrôleurs qui sont souvent rattachés à la direction financière), il existe de nombreux coûts induits, notamment d’opportunité, usuellement ignorés en raison de la difficulté à les quantifier. Le premier de ces coûts est constitué par le temps consacré à alimenter les systèmes et qui ampute d’autant, celui consacré aux autres fonctions plus directement liées à la finalité productive de l’entreprise et à la création de valeur. Le second est, comme nous l’avons évoqué, l’effet d’éviction qui se produit entre motivations intrinsèques, renforcement du contrôle et développement des systèmes incitatifs extrinsèques. Le troisième de ces coûts est relatif à la préoccupation croissante de précision, de transparence et de fréquence dans le contrôle. Il est vraisemblable, que cette préoccupation explique en partie le fort accroissement de la volatilité sur les marchés financiers, qui accroît les risques de conflits entre les indicateurs financiers et le management des processus réels de création de valeur. En outre, contrairement à une idée reçue, il n’est pas sûr que cette préoccupation habituellement justifiée par l’objectif de mieux informer les investisseurs financiers n’ait pas, finalement, un effet contraire. En matière comptable, la fiabilité de l’information est souvent inverse à sa fréquence de production : un résultat trimestriel est moins fiable qu’un résultat annuel. Quant à la recherche systématique de la précision et de la transparence, en s’accompagnant d’une complexification de l’information n’a-t-elle pas eu pour effet, paradoxalement, de compliquer, plus que nécessaire, la tâche des analystes et des investisseurs au détriment de l’objectif recherché ? On ajoutera que les évolutions des normes comptables en faveur d’une meilleure prise en compte de la valeur de marché ou de ses substituts actuariels ont accru tant la volatilité de cette information que la complexité de son élaboration.
59 La réconciliation de la finance et du management passe, a priori, par un certain nombre d’évolutions visant à corriger les excès liés à la vision financière de l’AO. Une première évolution peut venir d’une transformation du cadre de pensée associé à la finance afin qu’il prenne mieux en compte les dimensions cognitives, psycho-logiques et sociales des processus de création de valeur, ce qui permettrait une meilleure compatibilité avec les autres branches des sciences de gestion ; la finance comportementale peut être considérée comme allant dans ce sens. Une seconde évolution consiste à tenter de corriger les effets pervers de l’approche financière en modifiant les conceptions de la mesure et du pilotage de la performance actuellement dominantes dans le domaine financier, en les subordonnant aux déterminants réels des processus de création de valeur dans un cadre partenarial. Cela ne signifie pas qu’il faille abandonner les indicateurs comptables et financiers traditionnels mais leur attribuer un rôle accessoire et subordonné par rapport à des indicateurs à la fois plus centraux dans les processus de création de valeur et plus robustes. Ce rôle n’est pas pour autant négligeable puisqu’une divergence constatée entre ces différentes catégories d’indicateurs peut conduire à des questionnements fructueux pour le management.
60 D’une certaine manière et pour reprendre le titre provocateur de l’ouvrage de Bourguinat et Briys, il faut que la finance renonce à son « arrogance » vis-à-vis des autres sciences de gestion et des autres approches du management. Cette renonciation sera d’autant plus aisée que les critiques internes issues des rangs mêmes des financiers et des partisans de la valeur actionnariale (voir l’ouvrage représentatif de Bourguinat et Briys et les positions de Welch et Jensen) se multiplient et que les deux récentes crises ont clairement mis en évidence les dangers associés à la conception financière de l’AO.
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Date de mise en ligne : 11/02/2010
Notes
-
[1]
Ces deux piliers sont parfois regroupés pour définir la fonction de contrôle.
-
[2]
Rappelons que, selon le modèle canonique de l’agence (cf., par exemple, Brickley et al., 1997), les systèmes incitatifs sont d’autant plus efficaces que le niveau de performance est sensible aux efforts de l’agent et dépend principalement de ce dernier (contrôlabilité), que l’agent présente peu d’aversion face au risque et supporte peu de coûts pour fournir les efforts supplémentaires requis et, enfin, que la mesure de la performance peut se faire assez finement sans être trop coûteuse.
-
[3]
Le discours du président de la République, devant les chercheurs, est, à cet égard, symptomatique puisque celui-ci va jusqu’à déclarer que « Moi, je vois dans l’évaluation, la récompense de la performance. S’il n’y a pas d’évaluation, il n’y a pas de performance », discours à l’occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d’innovation, 22 janvier 2009. Une telle formule suppose implicitement une conception de la performance apparentée à celle qu’on peut trouver dans des sports de compétition individuelle tels que l’athlétisme où l’évaluation fondée sur une mesure objective réalisée se fait dans les mêmes conditions pour tous les concurrents.
-
[4]
Le recours aux modèles d’évaluation fondés sur les options pour estimer la valeur des stock-options octroyées aux dirigeants laisse une grande part de latitude au niveau du choix des paramètres. Il en est de même d’ailleurs de la plupart des modèles financiers d’évaluation à fondement actuariel ou optionnel.
-
[5]
L’histoire du droit montre d’ailleurs que l’organisation juridique des sociétés s’est, au départ, fortement inspirée de l’organisation du pouvoir en politique.
-
[6]
Pour des exemples, voir Charreaux et Desbrières (1998) et Charreaux (2007). Précisons que la valeur partenariale ne doit pas être confondue avec le surplus défini dans la méthode dite des comptes de surplus qui ignore tant les prix que les coûts d’opportunité.
-
[7]
Dans le même esprit, on peut citer également Jensen : “Value maximization is not a vision or a strategy or even a purpose ; it is the scorecard for the organization” (2001, p. 16).
-
[8]
Voir également Jensen (2001, p. 17), “I say ‘long tem’ market value to recognize the possibility that financial markets, although forward looking, may not understand the full implications of a company’s policies until they begin to show up in cash flows over time” […] “Value creation does not mean responding to the day-to-day fluctuations in a firm’s value.”
-
[9]
Jensen (2001, p. 16), “[…] we must give employees and managers a structure that will help them resist the temptation to maximize short-term financial performance (as typically measured by accounting profits or, even worse, earnings per share).”