Couverture de RFG_193

Article de revue

Crise et GRH

Pages 37 à 41

Notes

  • [1]
    « Ressources Humaines », de Laurent Cantet, 2000.
  • [2]
    Boudreau J.W., Ramstad P.M., Beyond HR, Harvard Business School Press, 2007.
  • [3]
    Thévenet et al., Fonctions RH, Pearson Education, 2e édition, 2009.
  • [4]
    Peretti J.M., Ressources Humaines, Paris, Vuibert, 11e édition, 2007.
  • [5]
    Thévenet M., Gestion des personnes : la parole aux DRH, Paris, Éditions Liaisons, 2004.
  • [6]
    Bolman Deale, Modern Approaches to understanding organizations, Jossey-Bass, 1983.
  • [7]
    Une enquête réalisée à l’automne 2008 par la Fnege montre à quel point les Français révèlent quelques lacunes dans leur connaissance même de l’entreprise et de ses mécanismes : www. fnege. com

1Depuis le succès du film « Ressources Humaines » [1], la fonction semble plombée par une image peu flatteuse qui l’associe aux plans sociaux, aux licenciements, à finalement toutes les mauvaises nouvelles de la vie des entreprises pour chaque salarié. Assimilée à cet annonciateur de mauvaises nouvelles, la fonction assume généralement la responsabilité de ce qui ne va pas dans les entreprises mais jamais de ce qui va bien. Autant dire que la généralisation d’une crise brutale et profonde impacte directement la fonction dans ses objectifs, ses modes opératoires, voire même les hypothèses implicites sur lesquelles elle s’est développée.

2Si les historiens savent tirer a posteriori les leçons de la grande crise de la fin des années 1920, leur aide est assez limitée pour aborder les questions concrètes de management. Premièrement parce que les situations ne sont que superficiellement comparables, deuxièmement parce qu’il est une grande différence entre le regard rétrospectif de l’historien et les soucis du manager en charge de la réalité; troisièmement parce qu’aucun de ceux qui gèrent les organisations, cherchent sur elles ou enseignent les moyens de les gérer n’a l’expérience concrète de telles situations.

3Il n’en apparaît pas moins que la crise économique touche rapidement les personnes : les politiques d’emploi, licenciements et autres plans sociaux en sont le premier indice. La GRH est donc profondément remise en question par cette crise et au moins trois questions permettent d’aborder cette révision. Dans un premier temps on peut chercher à mieux structurer les conséquences de cette crise sur le management des personnes; dans un second temps, on s’interrogera sur la profondeur de remise en question des hypothèses de base sur lesquelles s’est construite la fonction avant de regarder dans un dernier temps en quoi ces bouleversements peuvent influencer les évolutions mêmes de l’enseignement dans la discipline.

1. La crise et la GRH

4La mission de la gestion des ressources humaines consiste à assurer dans le temps une bonne adéquation entre une activité à accomplir et des personnes chargées de le faire. Concrètement, il s’agit de tenter d’influencer des comportements individuels et collectifs de manière à ce qu’ils produisent du résultat. Dans une situation de crise, cette mission de la fonction peut se résumer en trois objectifs principaux de rupture, de maintien et de préparation.

5Le signe le plus évident de rupture est la gestion de l’emploi en situation de crise. Elle consiste premièrement, on l’oublie trop souvent, à réduire le recours au travail intérimaire et à l’utilisation de tous les personnels « contingents », deuxièmement à gérer la complexité légale, managériale et humaine de plans sociaux dans leurs différentes dimensions. Ces aspects sont les plus visibles : ils sont déjà à l’œuvre dans de nombreuses entreprises même de manière préventive quand on réduit l’effectif alors qu’il n’existe encore aucun signe de dérapage de l’activité.

6L’objectif de rupture consiste également à ajuster les organisations à la nouvelle situation économique : faire jouer le curseur de la centralisation/décentralisation (en général dans le sens de la première), revoir le nombre d’entités, regrouper les établissements pour diminuer des coûts, etc.

7La rupture concerne aussi tous les modes de gestion et d’action. En situation de crise, on remet à plat les procédures budgétaires, les politiques de ressources humaines longuement mises en œuvre en matière de recrutement, de gestion des carrières ou de formation. Les engagements sont remis en cause, les promesses balayées. Bien entendu, nécessité semble devoir faire loi et la plupart des acteurs sont tétanisés et paraissent tout accepter; on ne s’aperçoit donc pas de toutes les ruptures avec des règles et des principes dont on avait fait du respect une vertu cardinale.

8Le deuxième objectif est celui du maintien. On dit que la richesse produite par les États-Unis s’est effondrée de 50 % après la crise de 1929; certains prévoient quelques points pour 2009 mais quel crédit accorder à ces prévisions ? Quoi qu’il en soit, l’activité ne disparaît pas, il reste bien des pans entiers de l’économie qui continuent de fonctionner, de très nombreuses entreprises qui produisent encore, et cherchent à survivre voire à se développer dans les espaces ouverts par la crise. Il existe donc bien un problème de maintien d’une cohésion interne suffisante pour rester efficace. Dans un contexte déprimé avec des salariés citoyens et consommateurs légitimement inquiets dans cette incertitude ambiante, le maintien d’une cohésion interne est un vrai problème. Incertitude, repli sur soi, défiance, suspicions diverses sont la réalité, même si la tétanisation laisse penser que tout est devenu possible, voire même que l’on partage une vision commune de la situation.

9La fonction RH, elle n’est pas la seule, a donc une immense responsabilité pour maintenir un climat social favorable à la bonne marche de l’activité. C’est nécessaire mais encore plus difficile en situation de crise puisque d’une part, les menaces sur ce climat sont plus nombreuses et d’autre part, l’énergie des responsables est investie sur des tâches considérées comme plus urgentes.

10Le troisième objectif est celui de la préparation. Il y a toujours une sortie de crise. On ne sait où et quand elle se situe mais, pour la GRH, on ne sait qui en seront les acteurs. Il s’agit pourtant de préparer la sortie en se rappelant le principe des deux « i ». Le premier est celui de l’implication. Les entreprises qui surmontent le mieux les crises sont celles qui ont développé de l’implication auprès de leurs collaborateurs. Pour ce faire, elles ont méticuleusement veillé à en satisfaire les conditions nécessaires de la cohérence, de la réciprocité et de l’appropriation.

11Le deuxième « i » est celui de l’innovation : qu’elle se situe dans les produits, dans les process, dans les modes de collaboration, la sortie de crise se fait sur des principes, des activités ou des modes de fonctionnement parfois imprévisibles. Pour favoriser l’innovation, la liste des conseils est infinie, mais ils tournent beaucoup autour des modes de management et de la manière de gérer les personnes.

2. Remise en cause des bases de la GRH

12La GRH n’est qu’une fonction de l’entreprise, fondée sur des principes qu’elle partage avec les autres. Mais elle doit aujourd’hui se concentrer sur des aspects qui lui sont propres. Nous distinguerons donc entre ces deux faces du problème, celle des visions à abandonner, celle des lieux à investir.

Quelques illusions à abandonner : la fin de la reproduction

13La plupart de nos processus de gestion, qu’ils concernent l’administration des ventes, des budgets ou des personnes prenaient généralement en compte de très petites variations d’une année sur l’autre, disons entre – 5 % et +5 %. La moindre évolution au-delà de cette fourchette produisait encore il y a quelques mois des réactions immédiates et paniquées. Autant dire que les digues sont rompues. Or cette approche du management dans de très étroites marges d’évolution revenait finalement à reproduire en permanence ce que l’on faisait, quels que soient les habillages d’indicateurs sophistiqués. Quand de telles digues sont rompues par les évolutions profondes et brutales que connaît l’activité actuellement, le management n’est plus de la reproduction mais de l’innovation et de la décision [2].

14La deuxième rupture importante concerne la culture du process développée ces deux dernières décennies sur la vague grossissante des systèmes d’information. Tous les domaines du management ont été frappés par ce développement générant certes de fortes économies de traitement et d’administration de l’information mais aussi l’illusion que le management peut être totalement maîtrisé et contrôlé. Finalement, depuis Taylor, on n’a jamais cessé de rêver d’un processus managérial contrôlé sans incertitude. En matière de gestion des ressources humaines, il est clair que les modalités concrètes de management de la performance (entretiens annuels, etc.) de gestion des carrières ou des compétences vont voir leur mécanique technocratique remise en cause par la brutalité des décisions prises en économie de cash. On peut également se demander ce que vont devenir les principes et règles sophistiqués de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans la situation actuelle.

Quelques recentrages à opérer

15Dans les temps anciens de l’industrie, avant que l’on invente la gestion des ressources humaines [3], le service du personnel n’était pas intégré au comité de direction mais plutôt en charge du soutien des personnes dans l’entreprise. En pleine crise, il va certainement falloir en revenir à ces valeurs sûres. L’incertitude et l’angoisse sont certainement les deux caractéristiques les plus partagées par les salariés en période de crise. Ces deux émotions ne sont pas seulement liées à la situation de l’entreprise mais aussi au climat anxiogène ambiant alimenté par les instantanés de l’actualité. Elles s’accompagnent de suspicion, de doute, de repli sur soi et de méfiance.

16Autant dire que cette situation n’est propice ni à une grande qualité de travail, ni à une prise innovante. Le rôle de la gestion des ressources humaines est donc de travailler à maintenir un climat social permettant effectivement aux entreprises de passer la crise et d’en sortir le plus efficacement possible. Ce ne sont pas de nouveaux outils de gestion des ressources humaines ni des politiques de communication sophistiquées qui le permettront mais une nouvelle place de la fonction.

17Il est clair que la notion de « Gestion des ressources humaines » est en bout de cycle. Les spécialistes [4] soulignent qu’en parlant de ressources humaines on veut dire que les personnes ont des ressources plutôt qu’elles n’en sont… Quand on éprouve le besoin de préciser à ce point les concepts, c’est qu’ils atteignent leurs limites. Une nouvelle place de la fonction RH a deux significations possibles. Il s’agit tout d’abord d’abandonner cette course effrénée à la reconnaissance par les fonctions opérationnelles ou les gens du business [5]. En effet, c’est sur le climat social, le repérage subtil à tous niveaux des futurs généraux de guerre si différents des généraux de paix, et la création des conditions propres à susciter l’innovation que devront maintenant être jugés les professionnels du personnel.

3. Des changements dans la discipline ?

18Cette situation peut-elle modifier la manière d’aborder la fonction et de l’enseigner ? La question peut trouver réponse au moins à deux niveaux.

19Premièrement, on ne devrait jamais oublier que si ce domaine de la gestion paraît souvent simple, c’est que tout le monde a l’impression de comprendre. Rien de ce qui est humain n’est incompréhensible pour quiconque. À l’inverse des autres disciplines du management, en matière de gestion du personnel personne ne pense devoir apprendre puisque chacun a l’impression de tout comprendre. Clairement, c’est une approche mécaniste [6] qui domine la gestion du personnel. Elle consiste à trouver les meilleurs systèmes permettant d’assurer l’ajustement dans le temps des personnes et des activités. Il est clair que si les RH continuent de se perdre dans des systèmes toujours plus complexes censés démontrer leur professionnalisme technocratique plutôt que leur efficacité, elles ne relèveront pas les défis de la crise. En fait on a un vrai besoin de théorie, c’est-à-dire de manières d’aborder les problèmes plus diverses, sophistiquées et dégagées des idéologies anciennes : c’est dire si les chercheurs, pour autant qu’ils abandonnent leurs vieilles lunes, ont un bel avenir devant eux.

20Deuxièmement, la gestion des personnes va devoir revenir aux fondamentaux de l’économie de l’entreprise d’une part, de l’anthropologie d’autre part. Revenir à l’économie de l’entreprise n’a pas seulement trait aux connaissances de base sur le fonctionnement de l’entreprise [7], cela consiste également à ne pas précipiter sur elle de vagues évolutions sociologiques qui ne lui sont peut-être pas pertinentes. Revenir à des bases anthropologiques sérieuses conduit à reconsidérer les besoins des personnes et les règles de la vie collective. Cela consiste surtout à revenir à la modestie de l’observation et de la compréhension de la réalité. Autant dire que c’est une novation importante par rapport à la situation actuelle. Le management redeviendra ainsi une mission, consistant à faire produire du résultat à un collectif, et non pas une boîte à outils.

21Avec de telles perspectives, on peut se demander s’il est encore nécessaire de former des professionnels de la gestion des personnes. La réponse est évidemment positive; c’est sur les motivations de ces apprentis et la manière de leur enseigner cette fonction que doivent porter les innovations. Dans un monde idéal il faudrait que cette crise conduise à cette réforme : elle est difficile parce qu’elle concerne moins les contenus que les manières d’enseigner, voire les profils des personnes : un vrai enjeu.

Notes

  • [1]
    « Ressources Humaines », de Laurent Cantet, 2000.
  • [2]
    Boudreau J.W., Ramstad P.M., Beyond HR, Harvard Business School Press, 2007.
  • [3]
    Thévenet et al., Fonctions RH, Pearson Education, 2e édition, 2009.
  • [4]
    Peretti J.M., Ressources Humaines, Paris, Vuibert, 11e édition, 2007.
  • [5]
    Thévenet M., Gestion des personnes : la parole aux DRH, Paris, Éditions Liaisons, 2004.
  • [6]
    Bolman Deale, Modern Approaches to understanding organizations, Jossey-Bass, 1983.
  • [7]
    Une enquête réalisée à l’automne 2008 par la Fnege montre à quel point les Français révèlent quelques lacunes dans leur connaissance même de l’entreprise et de ses mécanismes : www. fnege. com
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