Couverture de RFG_192

Article de revue

Le système maison comme déterminant de la pérennité organisationnelle

Pages 141 à 150

Notes

  • [1]
    B. Cursente (1998).
  • [2]
    Terre concédée par un seigneur qui en garde la propriété éminente.
  • [3]
    Grange de l’étage intermédiaire
  • [4]
    J.-F. Soulet (2004).

1Le terme de pérennité s’est imposé au cours de notre recherche comme qualifiant à la fois des paysages et des activités pastorales. Le constat de l’immuabilité apparente des paysages de montagne et la présence encore importante d’exploitations familiales dans les vallées basques a produit une « carte postale » à double effet : développer l’activité touristique au risque de porter préjudice à l’activité pastorale qui a produit et entretient précisément ces paysages. Il s’agit de préciser les niveaux d’immuabilité, perception variable au cours du temps, fonction de besoins et d’intérêts divers. C’est une problématique de la temporalité des processus en jeu dans les relations entre modes d’utilisation des espaces et leurs transformations qui est à développer. Ainsi, alors que la relecture du passé se fait souvent en fonction de schémas actuels et que la plupart des recherches se limitent à jeter un regard en arrière à partir des transformations déterminantes du monde rural au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, nous avons considéré que des sources de compréhension se trouvaient bien en deçà de cette énième rupture. Notre objectif est d’analyser conjointement dans la longue durée l’évolution des trajectoires familiales et des transformations des systèmes agraires.

2En effet, dans le contexte pyrénéen, notre recherche a mis en évidence le rôle déterminant du « système maison » dans la gestion de l’environnement, que ce soit dans le cadre de contrat de rivière, de l’application de la Politique agricole commune ou de la mise en œuvre de directives européennes comme Natura 2000. Nous avons croisé plusieurs types de données et de sources sur des « maisons » dans la longue durée, afin de cibler des stratégies individuelles et collectives, leurs relations avec les différentes périodes de crise ou de stabilité qu’a connue la société locale au cours de son histoire pour analyser conjointement l’évolution des trajectoires familiales et des transformations des systèmes agraires.

MÉTHODOLOGIE

Le suivi historique a été effectué dans une vallée du Pays basque (La Soule):
  • à repérer des exploitations en activité aujourd’hui correspondant à des « maisons » recensées dans le même village en 1387, à les choisir dans trois villages situés dans des portions différentes de cette vallée (amont, aval et partie médiane) ayant connu des évolutions différenciées et avec des statuts « dominant/dominé » (maisons nobles, franches ou botoyères [1] de l’Ancien Régime) rendant compte de leur place dans la hiérarchie et la possession foncière de leurs communautés;
  • à cartographier l’évolution de leur propriété grâce à des censiers du milieu du XVIIIe siècle, aux cadastres napoléoniens et contemporains;
  • à obtenir leurs archives familiales (actes notariés tels que testaments, héritages, actes de mariage, vente ou achat de parcelles) et à reconstruire leur généalogie;
  • à effectuer des entretiens semi-directifs auprès des membres de ces familles, en particulier des plus âgés, entretiens s’appuyant sur l’ensemble de la documentation ci-dessus présentée.
Ce suivi dans le temps permet de signifier en quoi le système « maison » est organisationnel, quelle est sa fonction : la plasticité face aux changements, la capacité de gestion raisonnée des milieux naturels et des groupes sociaux, et ce qu’est sa finalité : la pérennité de l’exploitation familiale.

I – LE « SYSTÈME MAISON »

3Largement répandu dans le massif pyrénéen, il constitue d’une part une réalité complexe de répartition et de transmission du foncier, d’autre part un système de relations entre familles aboutissant à une cogestion des hommes et des milieux naturels. Il procède de la conjonction de processus d’inspiration germanique (gestion dans l’intérêt collectif de la copropriété familiale) et romaine (autorité paternelle et héritier privilégié).

1. Le cadre fondamental des coutumes

4La formalisation de cette organisation est donnée par les « coutumes » ou « fors », d’abord de tradition orale puis rédigés pour la plupart au XV-XVIe siècle à la demande des pouvoirs centraux. Comme le souligne Anne Zink (1993): « Les coutumes des Pyrénées sont construites autour de la maison qui impose sa loi à la famille d’une part en empêchant la dispersion du patrimoine foncier qui lui appartient, d’autre part en s’attachant les hommes et en contrôlant leurs aptitudes au travail et à la reproduction. » Famille et propriété y forment une communauté de biens afin de favoriser la permanence de la tenure [2] dans son intégralité.

5Cette « maison » fait système en étant au centre d’un dispositif qui régit non seulement la stratégie du groupe familial mais aussi l’ensemble des rapports entre les maisons, en particulier d’obligations entre « voisins ». Chacune était représentée par un responsable, l’héritier unique, qui en assurait la gestion et devait la transmettre dans son intégralité à la génération suivante.

Figure 1

Le fonctionnement du système souletin

Figure 1
Figure 1 – Le fonctionnement du système souletin Source: P. Palu (2007).

Le fonctionnement du système souletin

Palu (2007).

6Cette responsabilité s’étendait au groupe social tout entier et chaque maison, par l’intermédiaire de son chef, participait à l’administration de la communauté paroissiale, dans un système de démocratie directe qui prenait en compte la gestion des ressources du village. Ce dernier désignait au sein du groupe des maisons des représentants qui siégeaient au sein de structures communautaires en charge de la gestion et du contrôle des ressources à l’échelle cette fois de la vallée ainsi que des rapports avec les pouvoirs centraux et les communautés voisines.

2. Un système fondé sur des objectifs de pérennité

7La coutume assurait ainsi une pérennité de pouvoir (Mignon, 2001) dans un réseau d’intérêt. Les maisons de la communauté formaient un groupe fermé dès le Moyen Âge (maisons fondatrices ?) et hiérarchisé : on y distingue des maisons « dominantes » (nobles et franches) détentrices de propriétés viables possédées librement, sans dépendance d’aucun seigneur (franc alleu). On remarque que ces dernières sont plus nombreuses à l’amont de la vallée qu’à l’aval où le système féodal a peut-être mieux pénétré. Ces maisons dirigeaient et contrôlaient en commun le terroir villageois dont elles se partageaient solidairement les ressources à l’exclusion des nouveaux venus et ce jusqu’à la période contemporaine.

8Le partage territorial était en effet figé par le dispositif de l’héritier universel qui empêchait l’éclatement ou l’absorption des propriétés et s’assurait de la capacité du successeur à intégrer et transmettre le projet de la maison. Ce chef de maison était choisi en principe selon le droit d’aînesse, en réalité selon sa capacité à assurer cette responsabilité au sein de la fratrie. Il avait non seulement mission de pérenniser l’exploitation et donc d’assurer son adaptation aux évolutions économiques, mais aussi de la représenter au sein des différentes instances communautaires dont dépendait aussi son inscription dans l’espace et donc dans l’utilisation des ressources du village et de la vallée.

9C’est à ces deux échelles emboîtées que s’inscrivait nécessairement la stratégie de la maison et que pouvait se concevoir une pérennité de projet (Mignon, 2001) pour tous les chefs de maison. La coutume déterminait des règles d’usages dans le temps et l’espace afin de garantir la permanence des activités et des pratiques pastorales et de préserver, à travers l’organisation de l’exploitation de la montagne entre les différentes communautés, une certaine identité collective. Les maisons sont donc le produit de logiques de pouvoir comme d’organisations sociales qui se sont formées dans le temps sur un objectif de pérennité. Mais elles sont aussi étroitement dépendantes de portions du système écologique que constitue le milieu montagnard.

3. Un système étroitement calqué sur les potentialités des écosystèmes de montagne

10L’analyse des données résultant du suivi historique effectué démontre que les stabilités comme les changements qui ont affecté les propriétés comme les écosystèmes relèvent de facteurs organisationnels et ce à plusieurs niveaux :

  • celui de la configuration des milieux naturels à l’échelle de la propriété et du patrimoine familial. Le système implique que chaque maison, quelle que soit sa place dans la hiérarchie médiévale, détienne une part, certes inégale et réduite souvent à quelques ares, des différents écosystèmes présents en montagne afin de disposer de toutes ces ressources;
  • celui, à l’échelle du village et de vallée, de la hiérarchisation des utilités fournies par les surfaces en appropriation collective (communaux). « Les communaux sont attachés à un territoire dont ils sont une dépendance foncière… Le droit de la terre s’impose, c’est-à-dire ils sont considérés comme un appendice de la propriété privée » (Corbin, dans la préface de Vivier, 1998). Ces grands espaces de pâturages, de landes et de bois soumis à des règles d’usage coutumières constituent des milieux réserves essentiels pour la pérennité du système;
  • celui des logiques de production qui ont évolué au cours du temps et des fonctionnalités des différents milieux naturels soumis à l’évolution de ces logiques. Ainsi le partage des communaux à la charnière des XVIII-XIXe siècles tout comme les remembrements à la fin du XXe siècle ont constitué des enjeux majeurs car ils redessinaient la configuration des propriétés et accompagnaient des mutations dans les activités de production et dans la nature des milieux.

11Tout ceci montre que tout projet de péren-nité est étroitement lié à la possession de parcelles « utiles » et à l’utilisation compensatoire (libre accès et usages) d’espaces réserves collectifs (terres syndicales de vallée et communales) qui permettent de préserver le statut de la maison et de développer ou maintenir son projet économique. La logique de pérennité sous-entend des capacités individuelles et collectives de mise en œuvre du(des) projet(s) qui se retrouve(nt) dans les analyses que nous avons pu faire.

II – LES STRATÉGIES DE PÉRENNITÉ : ÊTRE CAPABLES D’ASSURER LA CONTINUITÉ DANS LE CHANGEMENT

12Le « système maison » est fondé sur l’étroite imbrication de logiques de pouvoir internes (le chef de maison par transmission intégrale) et externes (réseaux de maisons eux-mêmes inclus dans un réseau de communautés villageoises gestionnaire des intérêts de la vallée). Les projets de péren-nité des maisons sont au centre de ces logiques, ils constituent des réseaux d’intérêts communs réactifs c’est-à-dire capables d’en adapter les contours ou les marges pour mieux en préserver le cœur. Ainsi, dès le XVIIIe siècle, le système est menacé à la fois par la pénétration des transformations économiques liées à l’essor du libéralisme, accompagnées des discours sur les bienfaits du partage et de privatisation des terres pour le progrès de l’agriculture.

1. La capacité à favoriser la privatisation tout en préservant le collectif

13Comme l’attestent de nombreuses archives, un des points faibles du système était l’inégalité de droit et de fait entre les maisons. Il en résultait en particulier le caractère figé du partage et de l’appropriation du foncier. Sauf qu’un espace échappait à cette logique de pouvoir : les communaux. Ces ensembles de terres souvent de faible valeur agronomique (landes), étaient présents dans la quasi-totalité des villages (Vivier, 1998). Ils constituaient des milieux réserves, possédés en indivision par la communauté des maisons et régis par des droits de libre parcours, en particulier pour le pâturage extensif du bétail et surtout une forme de compensation pour les plus modestes d’entre elles. Ils furent l’occasion de conflits entre maisons dans de nombreux villages, attestés dans les délibérations des conseils municipaux sous la période révolutionnaire, entre celles qui voulaient maintenir la tradition et celles qui voyaient dans ces communaux le moyen de développer de nouvelles formes d’agriculture et d’accroître leur foncier. Les villages connurent des évolutions différenciées car chaque communauté modula les règles internes d’usage de ces milieux afin de préserver la cohésion du système.

LE PARTAGE DES COMMUNAUX

Dans le bas de la vallée, le changement l’emporta sur la continuité : d’abord parce que la hiérarchisation héritée du Moyen Âge avait pour conséquence le fait que quelques maisons dominantes y possédaient une grande part du foncier, d’autre part parce que les conditions physiques y étaient plus favorables au développement des cultures par rapport à l’élevage. Entre la fin du XVIIIe siècle, sous l’impulsion successive des intendants royaux puis des instances issues de la Révolution, les communaux furent l’objet de partage et d’appropriation privée, souvent sous l’impulsion des maisons dominantes. Sauf que pour préserver l’équilibre communautaire la mutation fut filtrée d’abord grâce au temps puisque ce partage fut fractionné et échelonné sur plusieurs décennies de négociations internes.
Mais surtout le lotissement tout en donnant un statut privé à chaque parcelle (reproduisant au demeurant dans le découpage parcellaire l’inégalité de statut des maisons) en excluait tout étranger à la communauté, en interdisait non seulement la clôture mais conservait l’obligation de libre parcours à certaine période de l’année sur l’ensemble des ex-communaux.
Toutefois un tel processus eut moins de prise dans le reste de la vallée, où nombre de communes possèdent encore de nos jours des communaux, à la fois parce que l’activité pastorale était la seule possibilité économique et parce que les inégalités foncières entre maisons y étaient de moindre importance. Dans cette partie de vallée, le problème de gestion des communaux fut plutôt lié à l’essor de la « commune » à partir de la Révolution. Il fallut en effet la doter de ressources financières pour faire face à ses charges et à l’augmentation de son budget. L’introduction de bétail sur les communaux fut soumise à des taxes logiques (nombre de têtes), parfois surprenantes (nombre de chiens de berger) ou génératrices de conflits tels que, pour réduire la pression sur les locaux, permettre aux « étrangers » d’y introduire leurs troupeaux moyennant une taxation plus importante.

2. La capacité à utiliser les failles d’obligations légales exogènes pour assurer la continuité de pratiques endogènes

14La pratique de la transmission intégrale était rendue possible par l’usage de la quotité disponible afin, par testament, par partage du vivant des enfants ou par contrat de mariage, de désigner un héritier principal et de l’avantager. La généralisation du partage égalitaire de 1791 renforcé par la suppression de tester en ligne directe en 1793 furent les premières tentatives pour faire disparaître le principe de l’héritier universel. Mais c’est le Code civil de 1804, qui consacre le partage en parts égales comme régime de droit commun, qui va tendre à ruiner tout le « système maison ». La stratégie va consister à la fois à combattre ces logiques exogènes et à utiliser leurs imperfections ou leurs potentialités pour faire « comme si » celles-ci étaient prises en compte. Elle va se doubler d’adaptations internes, car il fallait à la fois faire face aux nouvelles lois et à l’esprit des lois qu’ils instillaient au sein même du système.

COUTUME ET CODE CIVIL

Les contradictions entre plusieurs articles du Code civil vont permettre aux « maisons » et à leurs notaires de maintenir, dans ce nouveau cadre légal, l’essentiel du dispositif de la transmission intégrale. Mais si le droit coutumier parvenait ainsi à se glisser dans les imperfections du Code civil, la revendication des héritiers sacrifiés du dispositif n’en montait pas moins, malgré le contrôle familial et communautaire et à cause des idées nouvelles pleines de promesses. Si l’Église et l’Armée avaient constitué dans les siècles passés des modes de résolution, ils ne suffisaient plus au XIXe siècle d’autant que l’essor démographique avait augmenté le nombre de prétendants. Plusieurs solutions furent trouvées par les maisonspour permettre aux membres de la fratrie non héritiers de sortir du système : une compensation financière permettant d’obtenir des emplois urbains avec le développement de l’artisanat, une compensation en nature en permettant à certains de transformer la borde [3] familiale en nouvelle maison, un pécule et le paiement du voyage pour aller « faire fortune » aux Amériques.

15L’exode rural, ici comme ailleurs, s’est traduit par la disparition d’exploitations. Mais cette évolution a été gérée dans le temps par la communauté : le foncier ainsi libéré a été vendu, échangé ou loué en bloc ou par fractions aux seules maisons restantes, nulle acquisition par l’étranger. Le sentiment identitaire est parfois si fort que nombre d’héritiers, vivant souvent loin du pays, y conservent encore bâti et parcelles.

16Les familles qui ont pu et su maintenir le cap de la transmission intégrale ont ainsi profité de ces opportunités pour agrandir leur exploitation, les moderniser et les adapter pour en faire des exploitations viables en utilisant toutes les possibilités offertes au monde agricole (subventions, primes, spécialisations, filières de production, etc.). Dans le même temps, elles ont su maintenir une modularité des écosystèmes leur permettant une possible adaptation aux évolutions des marchés. Si la pratique de la transhumance se réduit tout comme l’utilisation des communaux, elles n’en restent pas moins utilisées par nombre de maisons et considérées comme des potentialités à préserver par toutes.

17Aucune conception individualiste du patrimoine ne transparaît dans le discours de ces exploitants en se réduisant par exemple à ce qui est acquis par une génération. Au contraire l’essentiel du discours repose sur un désir de continuité familiale qui passe souvent par la participation effective d’un enfant aux travaux de l’exploitation. La retraite du chef d’exploitation est envisagée en termes de succession dans le cadre de la famille élargie au besoin aux nièces et neveux, voire loués dans des baux rendant possible le saut d’une génération.

3. La capacité à s’insérer dans la légalité

18La capacité d’adaptation du système – dont témoignent l’emploi détourné du Code civil et les modalités de compensation interne permettant de préserver la continuité de la « maison » – se retrouve aussi à l’échelon de l’organisation communautaire. Car la structuration héritée des villages et des vallées conditionne celui des maisons, elle en constitue autant la forme que le fond, d’abord parce qu’elle en conditionne l’avenir économique. Dès lors il faut être capable de s’insérer dans le cours de l’Histoire pour être en mesure d’y préserver les déterminants essentiels de son identité. Pour cela, le système a su intégrer d’autres réseaux, modalités ou formes de pouvoir dans la mesure où ceux-ci offraient des possibilités connexes ou complémentaires qui, à défaut de préserver le système, le maintenaient sur l’essentiel.

4. La capacité à utiliser toutes les structures nouvelles pour préserver une pérennité de pouvoir et de projet

19En moulant la communauté des maisons dans le dispositif municipal, celui de la communauté de vallée dans le syndicat, le système maison avait fait la preuve de sa capacité à adapter les structures coutumières dans des statuts publics conformes.

BIENS INDIVIS ET SYNDICAT DE VALLÉE

Le statut communal ne faisait qu’avaliser celui de communauté villageoise ou de paroisse qui lui préexistait. En cadastrant son terroir, en le dotant d’un pouvoir, puis en mettant en place un processus électif, les différents pouvoirs centraux qui se succédèrent au XIXe siècle permirent de fait aux structures communautaires coutumières à l’échelle municipale non seulement de perdurer mais aussi de se renforcer [4].
Mais il n’y avait aucun statut correspondant à la structure communautaire à l’échelon de la vallée, car elle ne pouvait se rattacher à l’échelon cantonal par exemple dont les limites ne coïncidaient pas avec la topographie. Or celle-ci était l’émanation de chaque village à travers ses représentants, l’instance qui réglait une grande partie de l’essentiel du dispositif coutumier, en particulier s’agissant de la transhumance et de la gestion des pacages et des relations avec le versant espagnol, mais surtout elle détenait le pouvoir sur d’importantes surfaces de terres indivises en pâturages et en bois. L’absence de statut légal empêchait les services fiscaux de percevoir l’impôt foncier sur ces terres en indivision, inversement les demandes de la communauté de vallée n’avaient aucune valeur pour les administrations de l’État. Au milieu du XIXe siècle, ces structures coutumières obtinrent le statut de « syndicat de vallée », reconnaissance légale du pouvoir organisationnel de la communauté représentative des maisons de toute la vallée. Ce sont ces syndicats qui gèrent encore aujourd’hui les mêmes espaces indivis, en perçoivent les revenus (taxes de pacage, adjudication de droit de chasse, ventes de coupes de bois, revenus de station touristique). Dans leur assemblée siègent toujours des représentants des communes qui sont nécessairement issus des maisons qui sont encore présentes et habitées dans les villages, même si tous ces élus communaux n’exercent pas forcément une profession agricole.

20La mise en œuvre de la décentralisation à partir des années 1980 va constituer une opportunité supplémentaire. Au travers des diverses formes d’organisations ainsi générées par ce processus (contrat de pays, SIVOM, communauté de communes, syndicat intercantonal, assemblée des élus du Pays basque, etc.) les maisons vont mettre en place tout une série de filtres permettant d’assurer une certaine continuité dans le changement. Toutes ces institutions permettent en effet d’utiliser toutes les potentialités offertes par la modernisation de l’État et de l’économie, de constituer sur des axes précis des relais d’information et de pouvoir, un système de grappe dans lequel les maisons sont représentées en fonction de leurs intérêts, ont la main mise sur des procédures qui leur assurent le maintien de composantes essentielles de leur système tout en bénéficiant des retombées favorables de processus exogènes.

CONCLUSION

21Actuellement ces réseaux d’intérêts communs se trouvent fragilisés pour des raisons externes (nouvelle PAC, transformation des filières du fait des retombées de la mondialisation) et internes (renouvellement des générations, successions des exploitations). Les logiques de pouvoir qui prévalaient sont confrontées à l’incertitude des choix à opérer pour un avenir à court et moyen terme du pastoralisme. La nécessaire diversification qui s’opère dans les stratégies d’exploitation tend à exacerber les logiques de pérennité individuelles et à souligner la nécessaire capacité à combattre les tensions internes pour préserver l’intégralité de la propriété. Les diversifications de stratégies s’accompagnent souvent d’une reconfiguration du foncier des propriétés. En fonction de leur position dans la vallée, celles-ci ont plus ou moins accès aux espaces réserves, d’absorption des chocs économiques et des tensions sociales, que constituent les étages intermédiaires de la montagne. La rigidification croissante de la propriété en exploitation agricole au parcellaire normé en unités de production par le contrôle de la PAC réduit la logique de pouvoir du chef d’exploitation. Elle tend à bloquer toute stratégie innovante permettant de pérenniser l’exploitation. Comme dans le passé, l’enjeu se porte sur ces espaces intermédiaires et les communaux, écosystèmes qui ont toujours été tour à tour intégrés ou laissés en réserve en fonction des conjonctures.

22La pérennité organisationnelle du « système maison » a toujours reposé sur un axiome : l’obligation de garder la terre de la maison et ses appendices connexes et les transmettre. Tous les dispositifs en jeu dans la société pastorale ont pour fonction de concourir à cet objectif : c’est la raison essentielle du rapport étroit qui existe entre la pérennité des paysages des montagnes basques et celle de son système pastoral. Prendre en compte les écosystèmes comme preuves tangibles des changements comme de la continuité de ce système constitue une partie de notre approche permettant de démontrer aux différents décideurs des enjeux actuels et futurs de l’activité pastorale en montagne pyrénéenne.

BIBLIOGRAPHIE

  • Cursente B., Des maisons et des hommes : la Gascogne médiévale XIe -XVe siècle, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1998.
  • Champagne P., L’héritage refusé, la crise de la reproduction sociale de la paysannerie française 1950-2000, Seuil, Paris, 2002
  • Duby G., Wallon A., Histoire de la France rurale, tome 3 : de 1789 à 1914, Seuil, Paris, 1976.
  • Macombe C., Éthique et pérennité chez les exploitations agricoles, Thèse de doctorat, Université d’Auvergne Clermont I, 2003.
  • Mignon S., Stratégie et pérennité d’entreprise, Vuibert, 2001.
  • Salitot M., Héritage, parenté et propriété en Franche-Comté du XIII° siècle à nos jours, L’Harmattan, Paris, 1988.
  • Soulet J.-F., Les Pyrénées au XIXe siècle, l’éveil d’une société civile, Toulouse, Éd. Sud-Ouest, 2004.
  • Vivier N., Propriété collective et identité communale; les Biens communaux en France 1750-1914, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998.
  • Zink A., L’héritier de la maison, Géographie coutumière du Sud-Ouest de la France sous l’Ancien Régime, Paris, Éd. École des hautes études en sciences sociales, 1993.

Date de mise en ligne : 11/05/2009

Notes

  • [1]
    B. Cursente (1998).
  • [2]
    Terre concédée par un seigneur qui en garde la propriété éminente.
  • [3]
    Grange de l’étage intermédiaire
  • [4]
    J.-F. Soulet (2004).

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