1Le thème de l’externalisation de système d’information (ESI) connaît un vif intérêt de la part des chercheurs et des praticiens. Le nombre d’ouv vrages, d’articles consacrés à ce thème attestent de la italité de ce phénomène. Certes, il y a un effet de mode, mais les chiffres annoncés par certains instituts démontrent le potentiel de ces marchés. Ainsi, Forrester estime que les entreprises européennes vont consacrer plus de 128 milliards d’euros aux dépenses d’ESI en 2008. Quant à Gartner, il estime que le marché mondial de l’ESI croîtra de 180,5 milliards de dollars en 2006 à 253,1 milliards de dollars en 2008, soit un taux de croissance supérieur à 7 %. Dans ces estimations, l’externalisation offshore de système d’information (EOSI) connaît une croissance exponentielle.
2L’objectif de cet article est d’analyser le phénomène de l’EOSI : sa définition, ses origines, ses bénéfices et risques. Cette analyse très largement exploratoire sera effectuée à partir d’une analyse de la littérature et de rapports provenant de différentes sources (institutions publiques et privées, presse, etc.).
I. – L’EXTERNALISATION OFFSHORE DE SYSTÈME D’INFORMATION : DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES DU MARCHÉ
3Avant toute analyse de l’EOSI, il est important de bien définir ce phénomène par rapport à des concepts voisins : ESI, onshore, nearshore, etc.
4L’externalisation offshore de tout ou partie de sa fonction système d’information signifie que la firme confie à un ou plusieurs prestataires informatiques étrangers tout ou partie des ressources physiques et/ou humaines de sa fonction système d’information. Le trait distinctif de l’EOSI par rapport à l’ESI est le recours à des prestataires informatiques étrangers. Ainsi, par exemple, AIG Europe, l’un des leaders mondiaux de l’assurance et des services financiers, a externalisé la souscription, l’indemnisation et l’administration de ses contrats à destination des PME auprès d’Accenture depuis une plate-forme informatique à Bucarest, en Roumanie. Il est difficile d’obtenir des statistiques sur ce phénomène. Mais son importance croissante est indéniable même si dans la littérature sa présence est encore discrète (Reyes et al., 2006). Les taux de croissance vertigineux des SSII indiennes démontrent le dynamisme du phénomène. Le chiffre d’affaires du numéro un indien des services informatiques, Tata Consultancy Services (TCS), est passé de 77,03 milliards de roupies en 2003 à 186,85 milliards de roupies en 2007, soit une progression de plus de 140 %.
5Comme le montre la matrice présentée dans le tableau 1 ci-après, la gouvernance du système d’information de l’entreprise peut être déclinée selon deux dimensions : outsource/insource et onshore/offshore Ces deux dimensions sont intimement liées à la notion de frontière : frontière de la firme et frontière du pays. Le modèle (1) renvoie à une vision très traditionnelle de la fonction système d’information : l’offre de services est avant tout assurée par des informaticiens salariés de l’entreprise. Le modèle (2) constitue le cadre habituel de l’ESI : la société cliente et le prestataire informatique se trouvent dans le même pays. Ainsi, par exemple, en juillet 1989, une société américaine – Kodak – confie à un prestataire américain – IBM – quatre centres de données. Le modèle (3) est un cas particulier. En effet, il s’agit de multinationales comme SAPou IBM qui disposent de suffisamment de moyens pour être présentes dans les différentes zones géographiques. Afin de bénéficier des coûts salariaux indiens bas, IBM n’a pas besoin d’externaliser auprès d’une firme indienne car elle dispose de sa propre entité en Inde avec 52000 employés indiens. On trouvera également dans la littérature le terme de nearshoring qui désigne la pratique d’une entreprise qui externalise vers un pays voisin. La proximité géographique peut être avantageuse en termes de faible décalage horaire et d’adaptation culturelle. Des exemples typiques de cette pratique sont les firmes anglaises qui externalisent vers l’Irlande ou les firmes allemandes qui externalisent vers l’Europe de l’est.
LES DEUX DIMENSIONS DE LAGOUVERNANCE DE LAFONCTION SYSTÈME D’INFORMATION
LES DEUX DIMENSIONS DE LAGOUVERNANCE DE LAFONCTION SYSTÈME D’INFORMATION
6Carmel et Agarwal (2002) ont proposé un modèle du cycle de vie du marché de l’EOSI. Ce modèle comportant quatre stades a été établi à partir d’un échantillon d’entreprises américaines. Pour une firme, l’évolution sera chronologique du stade 1 vers le stade 4. Les entreprises du premier stade sont des spectatrices. Il s’agit de firmes qui font régulièrement appel à l’ESI auprès de prestataires locaux. Mais elles n’ont jamais tenté l’expérience de l’offshoring et restent spectatrices de cette nouvelle pratique. En 1990, la quasi-totalité des firmes américaines du classement « Fortune 500 » du magazine Fortune appartenait à cette première catégorie. En 2002, selon les auteurs, 30 à 40 % des firmes américaines sont encore dans ce cas. Le deuxième stade regroupe les expérimentateurs : il s’agit d’entreprises qui expérimentent ce nouvel instrument sur une ou deux activités. Cependant, il n’y a pas encore de processus rigoureux dans la sélection, le contrôle et le management des prestataires offshore. En 2002, environ 10 à 20 % des firmes américaines du classement « Fortune 500 » font partie de cette deuxième catégorie. Le passage des entreprises de la phase 2 à la phase 3 marque un virage des firmes dans la vision de l’EOSI. En effet, d’un stade expérimental de la phase 2, on passe à un usage plus professionnel. Les firmes de cette troisième phase utilisent l’EOSI comme un instrument privilégié de réduction des coûts (Proactive Cost Focus). Elles ont développé une certaine expertise dans le management de la relation à long terme avec les prestataires offshore. Le périmètre d’externalisation concerne avant tout le système d’information existant et des tests de nouveaux projets. En outre, il s’agit de maintenir une certaine compétition avec la fonction interne de système d’information. En 2002, environ 30 à 60 % des firmes américaines du « Fortune 500 » appartiennent à la phase 3. La quatrième et dernière phase est le stade le plus avancé et concerne en 2002 environ 10 % des firmes américaines du « Fortune 500 ». Par rapport aux firmes du stade 3, l’EOSI n’est plus simplement une option pour la réduction des coûts, mais c’est une stratégie globale (Proactive Strategic Focus). Outre l’avantage de coût, les firmes de ce dernier stade conçoivent l’EOSI comme un outil d’innovation, un moyen de développer de nouvelles technologies et un moyen d’accès à de nouveaux marchés.
7Le marché de l’EOSI est donc un marché en plein essor dont les origines sont très récentes.
II. – LES ORIGINES DE L’EOSI
8En ce qui concerne la naissance du marché de l’EOSI, la demande émane d’un certain nombre de multinationales américaines et plus accessoirement anglaises. Dès 1993, American Express expérimente l’offshoring de certaines activités informatiques vers l’Inde. British Airways et GE Capital International Services testent l’offshoring respectivement en 1996 et 1998. Désormais de nombreuses firmes s’adonnent à cette pratique auprès de firmes localisées en Inde : Adobe, Amazon, Axa, Bank of America, Citibank, Deutsche Bank, Lehman Brothers, Microsoft, etc. Ces précurseurs font souvent partie des secteurs financiers, des assurances ou de la haute technologie. C’est également au cours des années 1990 qu’apparaissent les grands prestataires offshore indiens comme Infosys, Wipro et TCS. La pression de l’environnement pousse les entreprises à adapter leurs modes d’organisation (Desreumaux, 1996) et le phénomène de la globalisation et de la mondialisation a naturellement accéléré ce processus. Le mimétisme joue également un rôle dans la diffusion de l’EOSI au sein d’une population d’entreprises. Dans certain pays, la pratique se diffuse plus rapidement que dans d’autres. Alors que les assureurs anglais ont plus facilement recours à l’offshoring, les assureurs français restent sur une position plus attentiste. Ainsi, la filiale d’Aviva à Londres, Norwich Union, possède déjà 7800 salariés en Inde, qui travaillent pour le marché britannique. En France, seul le groupe Axa envisage d’externaliser certaines de ses activités au Maroc d’ici 2012.
9L’apparition de l’EOSI s’observe à partir d’un certain nombre de transactions origines qui ont été évoquées précédemment. Cependant, la demande de quelques multinationales n’est pas suffisante pour expliquer le succès de l’EOSI. Elle n’explique pas pourquoi en une dizaine d’années l’Inde est devenue le fournisseur en termes de prestations informatiques de 80 % des 500 plus grandes firmes mondiales. La multiplication des SSII indiennes démontrent que la demande est forte. En mars 2002,113 firmes indiennes opérant dans les services informatiques et le génie logiciel sont cotées à la Bourse de Bombay avec un pic de 141 sociétés en 2001 (Henley, 2006). Signe d’une certaine maturité, le secteur informatique indien se concentre et attire les investisseurs étrangers. Ainsi, par exemple, 57 % du capital du quatrième prestataire informatique indien, Satyam Computer Services, est contrôlé par des firmes étrangères.
10Ce secteur informatique florissant trouve son origine dans la politique industrielle indienne. Jusqu’en 1991, cette dernière se caractérise par un certain interventionnisme de l’État qui cherchait à réguler le secteur privé. L’action de l’État indien est encadrée par trois séries de lois. La première série de 1951 régule le développement industriel; la deuxième série de 1970 concerne les restrictions commerciales et les monopoles. Il s’agit de réguler par des lois pointilleuses le secteur privé. Ainsi, certains secteurs sont réservés aux firmes publiques. La troisième série de 1973 légifère les investissements directs en provenance de l’étranger. Ces dernières lois étaient tellement restrictives que certaines compagnies étrangères ont décidé de quitter l’Inde plutôt que de diluer leur capital et de perdre le contrôle. Ainsi, dans les années 1970, IBM et Coca-Cola quittent l’Inde. Les difficultés d’IBM avec le gouvernement et l’absence d’une firme nationale dans le secteur informatique conduisent Tata Group à créer TCS : c’est la naissance de l’industrie informatique indienne.
11Il convient également de souligner le soutien des autorités indiennes à l’éducation scientifique. Lors des deux décennies qui suivent l’indépendance de l’Inde en 1947, le budget alloué à l’enseignement technique est sensiblement supérieur à celui de l’enseignement secondaire. Le quatrième plan (1966-1969) consacre un quart du budget total de l’éducation nationale à l’enseignement technique. Le second plan (1956-1960) crée les six instituts indiens de technologie afin de constituer l’élite scientifique du pays. Cet effort massif et continu porte ses fruits : à la fin des années 1980, l’Inde est la deuxième nation au monde (derrière les États-Unis) dans la production d’ingénieurs et de scientifiques. Cependant, des opportunités de carrière limitées et des restrictions commerciales empêchant l’achat d’ordinateurs vont pousser un certains nombre de diplômés à émigrer vers les États-Unis. En outre, le développement du body shopping va favoriser la migration de la main-d’œuvre indienne. Cette pratique consiste à employer (à un salaire plus réduit que les informaticiens américains) des ingénieurs indiens qui vont travailler pendant de courtes périodes sur les sites des clients américains avant de rentrer en Inde. La présence des informaticiens sur le site des clients était plus fréquente au cours des années 1980-1990. En effet, durant cette période, il n’existe pas de progiciels intégrés standard et les logiciels sont spécifiquement dédiés à la firme; ils sont conçus sur des mainframes et des mini-ordinateurs. En outre, la vague de fusions-acquisitions dans les secteurs financiers et bancaires américains nécessite une main-d’œuvre nombreuse et compétente qui doit être présente sur site étant donné les nombreux contacts avec les utilisateurs.
12Un autre facteur qui a favorisé le développement du secteur informatique indien est un revirement de la politique industrielle indienne à partir de 1991 lors d’une grave crise de la balance indienne des paiements. Dans un certain nombre de secteurs – dont le secteur informatique – l’Inde assouplit progressivement les restrictions commerciales. La détention à 100 % du capital de sociétés indiennes par des firmes étrangères est admise. L’importation du matériel informatique n’est plus soumise à aucune restriction et l’exportation de produits et/ou services informatiques n’est plus taxée. La dérégulation du secteur des télécommunications en 1999 a permis de doter le pays d’infrastructures modernes et efficaces.
13Toutes ces raisons expliquent pourquoi l’Inde est devenu le prestataire offshore incontournable dans les services informatiques loin devant la Chine ou la Russie. L’efficacité et le professionnalisme des prestataires indiens contribuent aux bénéfices de cette nouvelle pratique.
III. – LES BÉNÉFICES ET LES RISQUES DE L’EOSI
14Une externalisation, quel que soit le type d’activité, n’est pas une opération anodine pour une organisation. Il s’agit purement et simplement d’extraire des pans entiers de l’organisation afin de les soumettre à des marchés concurrentiels. Ce processus comporte certes des avantages, mais il est risqué. La préparation et la mise en œuvre de telles opérations doivent respecter une méthodologie précise afin de garder la maîtrise des activités externalisées (Barthélemy, 2007). Une entreprise qui désire se lancer dans une EOSI devra donc soigneusement peser les bénéfices et les risques de l’opération. Cette appréciation est d’autant plus importante car le marché de l’EOSI n’est pas encore mature.
1. Les bénéfices de l’EOSI
15Dans une opération d’EOSI, différents motifs sont recherchés : une plus grande flexibilité, une meilleure qualité, l’accès à de nouveaux marchés et la réduction des coûts :
- La flexibilité : la plupart des firmes qui font appel à l’EOSI sont des firmes européennes ou américaines alors que les prestataires offshore sont majoritairement localisés dans la zone Asie. Le décalage horaire entre les deux zones géographiques permet une plus grande flexibilité des projets car ils peuvent être développés en continu 24 heures sur 24 (Rao, 2004).
- La qualité : certains auteurs estiment que la recherche d’une meilleure qualité de services est un motif essentiel car le fort turn over dans certains pays occidentaux a un impact négatif sur la qualité (Ravichandran et Ahmed, 1993).
- L’accès à de nouveaux marchés : ce motif ne concerne pas toutes les firmes. L’EOSI permet aux grands prestataires informatiques d’accéder à des marchés particulièrement dynamiques tels ceux de l’Inde et de la Chine. Ainsi, SAP, Cap Gemini et Microsoft disposent déjà respectivement de 3500,5000 et 2500 employés en Inde.
- La réduction des coûts : il s’agit sans aucun doute du motif central. En effet, l’échantillon de firmes américaines de Carmel et Argawal (2002) montre que c’est un motif recherché par plus de 90 % des firmes. En fait, pour 70 % des firmes interrogées, il s’agit du motif unique.
16La théorie des coûts de transaction est une grille de lecture de ce nouveau phénomène particulièrement utile car elle repose sur le postulat qu’une telle stratégie est avant tout une stratégie d’économie de coûts. On considère trois catégories de coût : les coûts de production, les coûts de transaction et les coûts de transition. Chaque catégorie correspond à une activité fondamentale pour l’entreprise : produire (coûts de production), échanger (coûts de transaction) et s’adapter (coûts de transition).
17La firme qui externalise cherche naturellement à minimiser la somme de ces trois catégories de coûts.
Les coûts de production
18Dans une stratégie d’externalisation, la minimisation des coûts de production est un facteur essentiel. Ang et Straub (1998) sont les premiers auteurs à avoir étudié les effets relatifs des coûts de production et des coûts de transaction dans le domaine de l’ESI. Cette étude démontre que l’ESI dans le secteur bancaire américain est fortement influencée par l’avantage de coût de production offert par les prestataires informatiques. Certes, les coûts de transaction jouent également un rôle prépondérant, mais il est bien moindre comparativement aux coûts de production. Leur modèle accorde un coefficient pour l’avantage coût de production qui est approximativement six fois plus important que celui des coûts de transaction.
19Dans le cadre le l’EOSI, la réduction des coûts peut provenir des économies d’échelle, mais elle provient surtout des différentiels de coûts horaires. Pour certaines industries, le très faible coût horaire dans certains pays va conduire à une délocalisation de certaines activités. Ainsi, selon le cabinet McKinsey, le coût horaire d’un ingénieur connaît un rapport de 1 à 16 en comparant des pays comme l’Inde et les Philippines avec des pays occidentaux tels que l’Allemagne ou l’Angleterre. L’avantage est d’autant plus important quand les activités externalisées comportent majoritairement des coûts salariaux comme c’est le cas des centres d’appel par exemple (Ravichandran et Ahmed, 1993).
Les coûts de transaction
20Le concept de coût de transaction à été appliqué initialement au phénomène de l’intégration verticale (Coase, 1937). Les coûts de transaction sont des coûts liés à l’échange. En l’occurrence, il s’agit des échanges entre une firme qui externalise et le prestataire offshore. Le vendeur et l’acheteur supportent des coûts de transaction. Cependant, le point de vue abordé ici concerne l’acheteur. Ces coûts concernent deux périodes :
- Les coûts de recherche du prestataire offshore et de contractualisation : ces coûts ne doivent pas être négligés car le choix du prestataire idoine conditionne le succès de l’opération. Afin de minimiser les risques, les firmes choisissent, par mimétisme, des prestataires et destinations déjà choisies par d’autres. L’exemple typique est Bangalore. Alors que certaines villes indiennes comme Kerala proposent des salaires inférieurs de 20 à 30 % par rapport à Bangalore. Cette dernière reste préférée car elle bénéficie d’une certaine réputation.
- Les coûts du management du prestataire offshore : pendant la durée du contrat, il convient de contrôler la prestation et le respect des exigences contractuelles. Dans le cadre d’une opération offshore, l’éloignement géographique et le prestataire offshore va générer des coûts de transaction spéci-
- ques par rapport à une opération d’ESI : coûts de télécommunication supplémentaires, coûts de coordination supplémentaires. Ces coûts spécifiques généreront des risques spécifiques.
Les coûts de transition
21La troisième catégorie de coût concerne les coûts de transition, qui sont liés à l’activité d’adaptation. Ils apparaissent lorsqu’il y a passage d’une structure de gouvernance à une autre ou d’un prestataire à un autre. C’est le cas quand on passe d’un prestataire informatique local à un prestataire offshore. Ces coûts sont difficiles à appréhender et à quantifier. Pourtant leur importance est indéniable car ils peuvent compromettre le succès de l’opération.
22Plusieurs facteurs influencent le niveau des coûts de transition : la durée de la période de transition, la complexité de l’entité externalisée et l’importance du périmètre de l’externalisation. La complexité fait référence au fait que l’activité qui va être externalisée est en fait connectée à d’autres activités. Plus le nombre de connections est grand, plus la période d’adaptation sera longue et risque de poser des problèmes. Il est évident que l’externalisation d’un centre d’appel comportera plus de coûts de transition que l’externalisation offshore du développement d’une application.
23Il est très important de considérer l’ensemble des trois catégories de coûts lors d’une EOSI. Le tableau 2 illustre le choix d’une firme entre la gestion interne d’un centre d’appel et une gestion offshore en Inde.
24Pour un centre d’appel, les coûts de production sont très majoritairement des coûts salariaux. Les coûts de transaction de l’activité interne comportent les coûts de coordination, mais également des coûts de bureaucratisation qui vont disparaître lors du passage à l’offshoring. Par rapport à la solution interne, les coûts de transaction comportent des coûts additionnels de télécommunications et de management concernant la coordination entre plusieurs sites. Quant aux coûts de transition, ils concernent notamment l’adaptation à une autre culture managériale. Dans cet exemple, la firme vise une réduction des coûts de 50 %. Toutefois, la réalité peut être différente car une opération d’EOSI comporte également des risques qui peuvent annuler tout ou partie l’économie des coûts prévue.
GESTION INTERNE VERSUS GESTION OFFSHORE D’UN CENTRE D’APPELEN INDE
GESTION INTERNE VERSUS GESTION OFFSHORE D’UN CENTRE D’APPELEN INDE
2. Les risques de l’EOSI
25Toute opération d’externalisation comporte des risques (mauvaise performance, dépendance envers le prestataire, perte de savoirfaire, risque social). À ces risques s’ajoutent quatre types de risques spécifiques à l’EOSI : les risques financiers, techniques, comportementaux et légaux. Ils sont directement liés aux trois catégories de coûts précités et peuvent provoquer une escalade des coûts. Cette dernière provient d’imprévus concernant les trois activités de produire, échanger et s’adapter et qui vont faire apparaître des coûts cachés non pris en compte dans la prévision initiale.
Les risques financiers
26Contrairement aux autres risques, les risques financiers sont faciles à chiffrer en unités monétaires. Comme nous l’avons vu précédemment, la diminution des coûts est l’un des premiers objectifs recherchés. Or, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée risque d’augmenter les salaires en Inde et donc d’annuler en partie la baisse de coûts recherchée. Cet élément est loin d’être négligeable étant donné l’attractivité de certains sites comme Bangalore, par exemple. Selon la NASSCOM (India’s National Association of Software and Service Companies), sur la période 2000-2004, la rémunération moyenne des managers indiens de projet a augmenté annuellement de 23 % et celle des programmeurs de 13 %. Il faut également inclure dans ces risques financiers les éventuels différentiels de taux de change.
Les risques techniques
27Ces risques concernent le hardware et le sofware. La destination offshore doit disposer d’infrastructures modernes, efficaces et performantes. Afin de limiter les risques techniques, il convient de limiter son choix à des prestataires sérieux et établis. Dans le domaine de l’EOSI, la problématique pourquoi externaliser ? pourquoi ne pas externaliser ? s’accompagne obligatoirement de la problématique du périmètre de l’externalisation. En effet, le choix du périmètre d’externalisation est un élément déterminant afin de minimiser les risques techniques. Lorsque l’activité présente une spécificité de site ou une spécificité d’actifs humains, elle devra rester dans le secteur onshore. La spécificité de site fait référence à la présence d’une ressource immobilisée. Ainsi, par exemple, il est évident que les activités de dépanneurs informatiques qui interviennent sur les sites des clients ne peuvent pas faire l’objet d’une externalisation offshore. Concernant la spécificité des actifs humains, il s’agit des savoir-faire développés par certains salariés de l’entreprise. Des activités routinières de saisie pourront facilement faire l’objet d’une externalisation offshore alors que des activités concernant l’évolution future de l’architecture du système d’information de la firme font partie du cœur stratégique de la firme et sont destinés à rester dans le secteur onshore. Le tableau 3 ci-après donne quelques indications sur les activités susceptibles de faire l’objet d’une externalisation offshore ou non.
Les risques comportementaux
28Alors que les risques techniques concernent les infrastructures physiques, les risques comportementaux concernent l’infrastructure humaine. Le pays d’accueil doit disposer d’une main-d’œuvre qualifiée disposant des connaissances scientifiques requises. En outre, il convient que cette main-d’œuvre maîtrise la langue anglaise et s’adapte une certaine culture managériale. Ainsi, certaines entreprises américaines ont abandonné des centres d’appel qui avaient été externalisés en Inde en raison d’un accent en anglais trop marqué et ont relocalisé aux Philippines où l’accent était moins important. Ces problèmes peuvent également se rencontrer en cas de formation insuffisante au management. Ainsi, l’Ukraine est une destination recherchée pour l’accès à des ressources humaines hautement qualifiées en mathématique et physique. Cependant, ce personnel est mal formé aux techniques du management (Zalolyuk et Allgood, 2004). Ces aspects culturels sont très importants et ne doivent pas être négligés. Une opération d’EOSI fait travailler ensemble deux équipes qui n’ont pas la même culture. Ces aspects recouvrent des éléments comme les styles de travail, les techniques de communication ou l’attitude vis-à-vis de la hiérarchie. Ainsi, l’assureur britannique Norwich-Union a délocalisé certaines de ses activités en Inde. L’objectif était une économie de coût d’environ 40 %. Une équipe indienne en Angleterre gère les opérations offshores et travaille en collaboration avec une autre équipe située à Bangalore.
ACTIVITÉS OFFSHORE VERSUS ONSHORE
ACTIVITÉS OFFSHORE VERSUS ONSHORE
Les risques légaux
29Ces risques concernent des éléments aussi variés que la stabilité politique, l’environnement juridique notamment le droit de la propriété intellectuelle et les droits de douane. Les destinations offshore ne doivent pas être dotées de législations commerciales restrictives. Le phénomène de l’offshoring est très intimement lié à celui des délocalisations. Cependant, les économistes Bhagwati et al. (2004) estiment que ce phénomène n’a qu’un impact très limité sur le marché américain du travail. Ils considèrent même qu’il y a un impact positif en termes de bien-être sur l’économie américaine. Il ne faudrait pas qu’une opinion publique méfiante fasse prendre par les économies occidentales des mesures protectionnistes.
CONCLUSION
30Cet article est l’un des premiers en langue française à aborder le phénomène de l’EOSI. Dans une opération d’EOSI, la firme poursuit plusieurs objectifs : une plus grande flexibilité, une meilleure qualité, l’accès à de nouveaux marchés et la réduction des coûts. Ce dernier motif est central. Une stratégie d’EOSI est avant tout une stratégie d’économie de coûts; la firme cherche à minimiser la somme des coûts de production, des coûts de transaction et des coûts de transition. Cependant, il s’agit d’une minimisation sous contraintes car aux risques traditionnels de l’externalisation vont s’ajouter des risques spécifiques financiers, techniques, comportementaux et légaux.
31Cette analyse descriptive devra être approfondie par des études qualitatives et quantitatives. Une étude quantitative sur un large échantillon s’avère nécessaire afin de mieux cerner les différents déterminants des opérations d’EOSI et de dégager les facteurs-clés de succès.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- Ang S., Straub D., “Production and transaction economies and information systems outsourcing : A study of the US banking industry”, MIS Quartely, vol. 22, n° 4,1998, p. 535-552.
- Bhagwati J., Panagariya A., Srinivasan T.N., “The muddles over outsourcing”, Journal of
- Economic Perspectives, vol. 18, n° 4, Fall 2004, p. 93-114.
- Barthélemy J., Stratégies d’externalisation, 3e édition, 2007.
- Carmel E., Agarwal R., “The maturation of offshore sourcing of information technology work”, MIS Quartely Executive, vol. 1, n° 2,2001, p. 65-77.
- Coase R.H., The nature of the firm, Economica, vol. 4,1937, p. 386-405.
- Desreumaux A., « Nouvelles formes d’organisation et évolution de l’entreprise », Revue française de gestion, n° 107, janvier-février 1996, p. 86-108.
- Farrel D. (Edité par), Offshoring Understanding the Emerging Global Labor Market, Harvard Business School Press, 2007.
- Henley J., “Outsourcing the Provision of Software and IT-Enabled Services to India”, International Studies of Management & Organisation, vol. 36, n° 4,2006, p. 111-131.
- Joffre P., « L’économie des coûts de transaction ou le marché et l’entreprise à la fin du
- XXe siècle », De nouvelles théories pour gérer l’entreprise au XXIe siècle, G. Koenig (coordonné par), Economica, Paris, 1999, p. 143-170.
- Qu Z., Brocklehurst M., “What will it take for China to become a competitive force in offshore outsourcing ? An analysis of the role of transaction cost in supplier selection”, Journal of Information Technology, vol. 18,2003, p. 53-67.
- Rao M.T., “Key issues for global IT sourcing : country and individual factors”, Information Systems Management, vol. 21, n° 3,2004, p. 16-21.
- Ravichandran R., Ahmed N.U., “Offshore systems development”, Information & Management, vol. 24, n° 1,1993, p. 33-40.
- Reyes G., Gasco J., Llopis J., “ Information offshore systems outsourcing : Adescriptive analysis”, Industrial Management & Data Systems, vol. 106, n° 9,2006, p. 1233-1248.
- Vashistha A., Vashistha A., The Offshore Nation Strategies for Success in Global Outsourcing and Offshoring, McGraw-Hill, 2006.
- Zatolyuk S., Allgood B., “Evaluating a country for offshore outsourcing : software development providers in the Ukraine”, Information Systems Management, vol. 21, n° 3,2004, p. 28-33.