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Article de revue

La construction de compétences dans l'action

Pages 93 à 113

1Comprendre comment les entreprises peuvent développer de nouvelles sources d’avantages concurrentiels lorsque l’environnement évolue rapidement est l’une des grandes préoccupations des chercheurs en management stratégique depuis les années 1990. La perspective basée sur les ressources, la « Resource Based View » (RBV), développée à partir des travaux de Penrose (1959), indique que les ressources de valeur, rares, inimitables et non substituables de la firme sont à l’origine de l’établissement d’avantages stratégiques durables (Wernerfelt, 1984; Prahalad et Hamel, 1990; Barney, 1991). Mais dans un environnement dynamique, la logique de recherche d’avantages concurrentiels soutenables dans la durée est peu adaptée. Prolongeant la RBV à ces environnements dynamiques, des chercheurs suggèrent que dans ces contextes ce sont des processus organisationnels et managériaux, les capacités dynamiques (CD) qui sont à la source des avantages concurrentiels (Teece et al., 1997). Lorsque les évolutions de l’environnement sont particulièrement rapides, comme dans les secteurs liés aux technologies de l’information, Eisenhardt et Martin (2000) soulignent que les capacités dynamiques reposent sur la création de nouveaux savoirs spécifiques, et s’appuient largement sur des actions expérimentales et des implémentations partielles d’options multiples.

2Cependant, le courant des ressources et des capacités dynamiques aborde la question du fondement des avantages concurrentiels sous un angle très « macro », au niveau de l’entreprise dans son ensemble, mais le niveau « micro » été moins étudié (Johnson et al., 2003). La perspective de la pratique (Whittington, 2006; Jarzabkowski, 2005; Johnson et al., 2003) souligne l’importance de l’analyse des activités et pratiques quotidiennes au travers desquelles de nombreux acteurs participent à la stratégie de leur entreprise. Elle peut compléter la perspective des ressources et des capacités en apportant un éclairage détaillé sur la façon dont les acteurs, en agissant, construisent de nouvelles compétences et développent des avantages concurrentiels pour leur entreprise (Johnson et al., 2003). Cependant, les recherches empiriques visant à comprendre comment des microactivités génèrent des résultats conséquents pour l’organisation sont encore peu nombreuses (Jarzabkowski et al., 2007). En outre, les implications managériales des travaux théoriques se situant dans cette perspective de la pratique sont encore restreintes, et doivent être approfondies.

3L’objectif de cet article est de contribuer à combler ce manque en illustrant, à partir de l’étude du cas d’équipes projet internet dans un grand groupe de presse, comment des praticiens, en accomplissant leurs activités quotidiennes, génèrent une nouvelle compétence d’édition interactive pour l’organisation. Nos résultats suggèrent qu’en situation d’incertitude les acteurs interagissent et construisent peu à peu dans l’action les contours d’une nouvelle compétence. Trois éléments semblent clés dans ce processus : l’engagement dans des interactions directes avec des acteurs de fonctions diverses, la conduite de microexpérimentations, et la diffusion de la compétence aux frontières de l’équipe projet.

4La première partie de cet article revient sur les apports de la RBV et des CD pour rendre compte de la génération de compétences dans l’organisation. Puis elle montre comment la perspective de la pratique permet de compléter ces ancrages théoriques très « macro » par une approche plus micro » de la création d’avantages concurrentielsDans une deuxième partie, nous illustrons la génération de compétences dans l’action à partir d’une étude de cas, celui d’un projet de sites internet dans un grand groupe de presse. Nous identifions trois types d’action qui ont joué un rôle important dans le développement de la compétence « édition interactive » dans ce groupe. Les implications théoriques et managériales de ces résultats sont finalement discutées.

I. – LACONSTRUCTION DE COMPÉTENCES EN ENVIRONNEMENT DYNAMIQUE

5L’une des grandes préoccupations des chercheurs en management stratégique depuis les années 1990 est de comprendre comment les entreprises peuvent développer de nouvelles sources d’avantages concurrentiels lorsque l’environnement évolue rapidement. Nous présentons dans cette partie les apports de la RBVet des CD sur cette question, ainsi que l’éclairage complémentaire apporté par la perspective de la pratique.

1. La construction d’avantages concurrentiels en environnement dynamique

6La perspective des ressources (RBV), développée à partir des travaux de Penrose (1959), suggère que les ressources de valeur, rares, inimitables et non substituables de la firme (Wernerfelt, 1984; Prahalad et Hamel, 1990; Barney, 1991) sont à l’origine de l’établissement d’avantages stratégiques durables. Cependant, dans des environnements dynamiques et changeants comme celui des technologies de l’information, les évolutions rapides des concurrents, technologies préférences des consommateurs engendrent des incertitudes portant à la fois sur les fins et les moyens. La logique de recherche d’avantages concurrentiels soutenables à long terme n’est pas adaptée à la rapidité des changements et à l’instabilité de l’environnement. Les compétences d’hier risquent alors de n’offrir que peu d’avantages sur les marchés d’aujourd’hui, voire de créer des rigidités (Leonard Barton, 1992). Dans ces contextes, Teece et al. (1997) ont suggéré que les capacités dynamiques (CD), processus organisationnels de coordination, d’utilisation et d’enrichissement des routines de la firme, permettent de coordonner, reconfigurer et construire les compétences adéquates aux changements rapides de l’environnement. Lorsque l’environnement est très dynamique, il est plus pertinent de chercher à créer en permanence des avantages temporaires que d’établir des avantages compétitifs à long terme (Eisenhardt et Martin, 2000). Pour ces auteurs, les capacités dynamiques efficaces sont des mécanismes d’apprentissage, elles impliquent la création de nouveaux savoirs spécifiques à la situation, en s’appuyant sur des actions expérimentales, une communication intensive et l’implémentation partielle d’options multiples.

7Le courant des ressources et des capacités dynamiques s’intéresse à la question des avantages compétitifs à un niveau très « macro », c’est-à-dire en les définissant comme s’ils étaient des caractéristiques, voire des propriétés de l’entreprise dans son ensemble. Toutefois, les compétences ne sont pas possédées une fois pour toutes par l’organisation, elles sont provisoires et se constituent dans l’action (Orlikowski, 2002). Cet aspect, jusqu’à maintenant largement négligé pour comprendre la construction de compétences dans l’organisation, est discuté dans la sous-section qui suit.

2. La génération de compétences dans l’action

8Depuis les années 1980, un nombre croissant de chercheurs soulignent que dans une situation de travail les professionnels s’appuient moins sur des connaissances acquises antérieurement que sur des savoirs constitués au cours même de l’action. Schön (1983) a examiné en détail la pratique de plusieurs professionnels et en conclut que leur savoir réside dans leur action. Orlikowski (2002) avance également l’idée que le savoir est inséparable de l’action parce qu’il est constitué à travers cette action. Pour cette auteure, les compétences ne sont pas possédées, elles sont générées par l’action, elles sont constituées par les pratiques quotidiennes des membres de l’organisation, et il faut les analyser en se focalisant sur ce que les gens font et la façon dont ils le font.

9Le développement de compétences dans l’action a également été souligné dans les études de projets d’innovation (Midler 1993). Depuis le milieu des années 1990, la nécessité de différenciation des produits et la grande instabilité de l’environnement ont modifié le rôle des compétences dans les projets. En l’absence de préférences claires, c’est l’action qui rend possible à la fois la découverte des problèmes et des solutions (Hatchuel et Weil, 1999). Les projets apparaissent alors comme des champs de construction de nouvelles compétences d’exploration et de négociation de compromis, de progression par itérations et tâtonnements (Eisenhardt et Martin, 2000). La structuration du champ à explorer, par des prototypes, des épreuves, des tests, l’implémentation partielle d’options multiples favorise la création de nouvelles connaissances en permettant un apprentissage rapide par essais-erreurs.

10L’expérimentation peut être définie comme un processus d’essais-erreurs dans lequel chaque essai apporte de nouveaux éclairages sur le problème; l’apprentissage par expérimentation est la clé pour résoudre des problèmes dont les résultats sont incertains et les sources d’information non disponibles (Lee et al., 2004). Selon ces auteurs, chaque nouvel essai d’expérimentation génère alors des informations qui ne pouvaient être connues à l’avance, et permet de créer de nouvelles connaissances en s’appuyant sur les connaissances générées par les essais précédents. Les échecs sont inévitables et sont porteurs d’informations, mais ils ont un coût, y compris social et interpersonnel (Lee et al., 2004). Les activités aux frontières d’un projet sont également particulièrement importantes pour la création de compétences stratégiques (Carlile, 2004), elles permettent de confronter des interprétations contradictoires et de négocier une interprétation commune des nouveaux savoirs, mais elles sont difficiles à créer et à maintenir.

11Dans un environnement dynamique, les situations d’incertitude (dans lesquelles les informations sont soit manquantes, soit trop abondantes) ou d’ambiguïté (caractérisées par la multiplicité des interprétations possibles) sont fréquentes (Weick, 1995). Dès lors, s’intéresser aux acteurs lorsqu’ils agissent, interprètent l’environnement et donnent un sens à leur action peut permettre de mieux appréhender la construction des compétences dans l’organisation. La perspective de la pratique, en plaçant les acteurs au cœur de l’étude de la « fabrique » de la stratégie (Damon et al., 2006) apporte un éclairage complémentaire sur ces questions.

3. La perspective de la pratique : une approche complémentaire

12Par rapport au courant des ressources et des capacités dynamiques, les travaux qui s’inscrivent dans la perspective de la pratique (« Strategy-as-Practice ») cherchent à comprendre comment de multiples acteurs d’une organisation, et pas seulement les cadres dirigeants, participent à l’élaboration de la stratégie de leur entreprise en agissant au quotidien (Johnson et al., 2003; Jarzabkowski, 2005; Whittington, 2006). Ils suggèrent qu’une approche de la stratégie à un niveau plus « micro » est nécessaire pour comprendre les fondements des avantages concurrentiels dans l’environnement d’aujourd’hui. Johnson et al. (2003) soulignent que l’approche essentiellement macro de la RBV, en s’intéressant au niveau des grandes catégories de ressources, apporte peu d’éclairage sur la construction d’avantages concurrentiels dans les organisations. Pour ces auteurs, l’explication de la capacité d’une organisation à construire un avantage concurrentiel soutenable est plutôt à rechercher dans des micro-ressources, difficiles à discerner, et surtout dans la façon dont les acteurs les utilisent (Priem et Butler, 2001; Rouse et Daellenbach, 1999). En outre, dans les environnements dynamiques, de nombreux acteurs, à différents niveaux de l’organisation, doivent mener des actions rapides et innovantes, de façon flexible et décentralisée (Brown et Eisenhardt, 1997). L’étude en profondeur des activités quotidiennes des acteurs peut donc permettre de compléter la perspective des ressources et des capacités en apportant un éclairage détaillé sur la façon dont les acteurs, en agissant, participent à la stratégie de leur entreprise et à la construction des avantages concurrentiels (Johnson et al., 2003). Par exemple, Rouleau (2005) éclaire la façon dont des micro-pratiques peuvent être au cœur de processus de construction de sens et générer ainsi des changements stratégiques. Lorsque l’environnement est complexe et ambigu, Regnér (2003) suggère que les acteurs périphériques s’engagent dans des activités tournées vers d’autres acteurs de l’organisation et vers l’extérieur. Ces activités d’exploration leur permettent de construire du sens (Weick, 1995) et de générer de nouveaux savoirs pour l’organisation.

13Cependant, peu de recherches empiriques ont porté spécifiquement sur la façon dont l’analyse de micro-activités peut conduire à expliquer des résultats plus conséquents (comme des changements stratégiques ou la construction d’avantages concurrentiels) à l’échelle du groupe, de l’organisation ou de l’industrie (Jarzabkowski et al., 2007). En outre, les implications managériales de la « perspective de la pratique » ont été peu abordées. Cet article vise à combler ce manque en éclairant, à partir de l’étude du cas d’équipes projet internet, la manière dont des acteurs accomplissent leurs activités quotidiennes et génèrent dans l’action une nouvelle compétence d’édition interactive pour l’organisation.

II. – LE CAS DU PROJET PRESSEWEB

1. Le projet PresseWeb

Contexte d’ensemble

14Le cas étudié est celui d’un projet de développement de sites internet, PresseWeb dont l’actionnaire principal est un grand groupe de presse et d’édition, PresseCo (pseudonymes). PresseWeb, « l’éditeur du portail internet du groupe PresseCo », a été créé en juillet 2001 en partenariat avec deux investisseurs. Son objectif est de décliner sur un nouveau média les domaines de compétences de PresseCo (lien fort avec les lecteurs, marques, savoir-faire éditorial, connaissance du public en particulier), mais aussi de développer de nouvelles compétences en édition numérique (interactivité, réactivité, création de communautés). Le regroupement au sein d’un projet distinct de projets numériques auparavant développés dans les différentes « Business Units » (BU) de PresseCo (divisions thématiques) a été vécu comme un arrachement par ces dernières. Les relations entre PresseCo et PresseWeb sont donc assez tendues au démarrage du projet. Cependant, plusieurs dispositifs facilitent le maintien des liens entre eux. Les membres de PresseWeb restent dans les mêmes bâtiments que Presse Co, tout en étant regroupés en un lieu distinct. Ils partagent des services communs (cantine, cafétéria, salles de réunion, etc), ce qui multiplie les occasions d’interactions. En outre, lors du démarrage du projet, près de la moitié des journalistes et techniciens de PresseWeb viennent de PresseCo au sein duquel ils ont un réseau étendu.

RECHERCHE ET MÉTHODOLOGIE

Notre recherche, enracinée dans une étude de cas qualitative (Glaser et Strauss, 1967), a été menée selon une démarche abductive (Koenig, 1993). Afin d’étudier les micro~activités et interactions pouvant influencer la génération de compétences, nous avons choisi de mener une étude longitudinale de cas enchâssés (Yin, 2003). Le cas général a été sélectionné afin d’explorer la construction de compétences en environnement incertain. Les sous-unités ont été choisies afin de permettre des comparaisons entre différentes équipes projet au sein d’un même contexte (Miles et Huberman, 1994), ce qui offre une base pertinente pour appréhender la création et le développement de compétences dans l’organisation.
Le cas étudié est celui d’un projet internet, PresseWeb, créé et principalement financé par un grand groupe de presse, PresseCo (pseudonymes). Nous l’avons suivi pendant près de trois ans (2001-2004), soit la quasi-totalité de son déroulement, et nous avons analysé de façon plus détaillée trois de ses sous-projets, Credo, Campus et Techno. Nous avons choisi comme indicateur de développement de compétences la convergence entre des résultats (y compris intermédiaires) et un objectif visé (même grossièrement déterminé), ce qui permet d’étudier les compétences au cours même de leur développement et non pas seulement ex-post (McGrath et al., 1995).
Recueil des données
Les données ont été recueillies au niveau de PresseCo, de PresseWeb, et des sous-projets Credo, Campus et Techno. Des entretiens semi-directifs ont été menés lors des 3 phases du projet avec les managers de PresseWeb, les membres de Credo, Campus et Techno et certains membres de PresseCo (47 entretiens d’une à deux heures). Ces données ont été complétées par l’observation directe (tout au long des 3 phases) et participante (9 mois en phase 2), la participation à 33 réunions formelles de Credo et Campus en phase 2 et le recueil de nombreux documents.
Analyse des données
Tous les entretiens ont été codés selon un processus itératif (Strauss et Corbin, 1994) facilité par le recours au logiciel d’analyse de données qualitatives NVivo. Nous avons ensuite élaboré des matrices chronologiques et thématiques qui ont permis de mener des comparaisons synchroniques et diachroniques entre unités, dans une optique de génération de théorie (Eisenhardt, 1989; Miles et Huberman, 1994). Nous avons suivi les recommandations de Yin (2003) afin d’améliorer la validité et la fiabilité de notre recherche.

Le déroulement du projet

15En l’espace de trois ans, le projet a connu plusieurs évolutions majeures. Trois grandes périodes peuvent être distinguées.

Phase 1 : création et mise en place du projet (juillet 2001-juin 2002)

16Lors de la constitution de PresseWeb, en juillet 2001, une cinquantaine de personnes (principalement des journalistes) ont été transférées de PresseCo à Presse Web. Le portail Internet, ouvert en octobre 2001, comprenait plusieurs sites pour la famille ainsi qu’un site religieux. Un site pour les seniors et un site d’informations sont venus compléter cette offre quelques semaines plus tard. En mars 2002, PresseWeb comptait près de 80 personnes. Chaque site fonctionnait avec une équipe rédactionnelle dédiée et des interlocuteurs privilégiés (mais non dédiés) au sein des services transversaux de PresseWeb. Un Concepteur Multimédia était chargé de « mettre en musique » l’architecture et l’ergonomie du site définies par le rédacteur en chef. Dès l’origine, la direction a privilégié les aspects éditoriaux et graphiques, et a choisi de sous-traiter la conception et la mise en place du système technique. Cependant, la procédure d’actualisation du système éditorial par les journalistes s’est avérée lourde et rigide, les journalistes devant envoyer leurs textes au prestataire technique qui se chargeait de les mettre en ligne.

Phase 2 : la montée en puissance (juin 2000-avril 2003)

17En juin 2002, dans un marché internet toujours fortement déstabilisé, les actionnaires décident de poursuivre le développement du projet en le modifiant sur plusieurs points : priorité à l’accroissement du trafic et à la diminution des coûts de fonctionnement, recentrage sur la spécificité des sites, rapprochement avec les entités métiers de PresseCo. PresseWeb met alors en place une nouvelle organisation, autour de quatre pôles rattachés chacun à l’une des divisions de PresseCo : les pôles Religion (Credo), Jeunes (Campus), Seniors et Informations. Les graphistes et chefs de projet techniques sont dédiés à un pôle. Les postes de concepteurs-multimédia sont supprimés, alors qu’une nouvelle fonction est créée, celle de Traffic Manager. Chaque pôle a désormais des objectifs trimestriels précis en termes de budget et de trafic. Parallèlement, il est décidé de redévelopper la plateforme technique en interne afin de diminuer les coûts d’opération et d’accroître l’autonomie des sites.

18D’octobre 2002 à avril 2003, les résultats en termes de trafic, de notoriété, de croissance des abonnements et d’E-commerce sont tangibles (augmentation du trafic supérieure aux objectifs, pour tous les pôles). Les équipes de chaque pôle ont développé une autonomie et une réactivité plus grandes. Les journalistes ont nettement accru leur connaissance du média et leur capacité à éditer et à être créatif sur internet. Le rapprochement avec les Business Units de PresseCo a permis le développement de certains projets communs, et la notoriété et la reconnaissance de la complémentarité des sites internet par rapport aux titres papier ont également été renforcées. Cependant, en avril 2003, l’un des actionnaires de PresseWeb connaît des difficultés et doit se retirer du projet, ce qui remet totalement en cause son financement. PresseCo et l’autre actionnaire restant reconnaissent les apports actuels et potentiels des développements engagés et cherchent une solution permettant de les préserver dans un cadre financier acceptable.

Phase 3 : la réintégration dans PresseCo (à partir de mi-2003)

19PresseCo décide de réintégrer en son sein la majeure partie des activités internet de PresseWeb afin de préserver les compétences et l’expérience développées au cours du projet, et d’en permettre la diffusion auprès des entités métiers. L’équipe de Credo a rejoint la Business Unit correspondante de PresseCo. Le site connaît une forte croissance des abonnements, du trafic et de la notoriété, et a su créer une réelle « communauté » d’internautes. L’ensemble de l’équipe technique de PresseWeb a intégré la direction commerciale et marketing de PresseCo, dont elle constitue désormais la branche internet. Elle est très dynamique, et multiplie les expérimentations tout en renforçant les projets communs avec les équipes des titres papier. En revanche, l’équipe du site pour les jeunes, Campus, n’a pas été reprise par PresseCo (Campus est devenu un site vitrine, administré par un Webmaster). Senior et Informations, sous des formes différentes, connaissent un réel succès.

2. La construction de compétences dans l’action

20La construction d’une compétence éditoriale sur le web (« édition interactive ») était l’un des objectifs prioritaires assignés par les dirigeants de PresseCo à PresseWeb lors de sa création. Ils envisageaient cette compétence comme la déclinaison sur un nouveau support du savoir-faire éditorial du groupe dans les domaines de la presse et de l’édition papier. Les journalistes de Presse-Web provenaient pour la plupart de PresseCo et n’avaient pas d’expérience d’internet. Ils n’ont pas reçu de formation spécifique, et ont appris en tâtonnant non seulement à écrire des articles pour le web, mais aussi à les mettre en ligne, les actualiser, les rendre accessibles et lisibles, à les relier à d’autres dossiers et à veiller à la navigation entre tous ces éléments. Des lors, il ne s’agissait pas simplement de décliner un savoir-faire éditorial sur internet, mais bien de créer et développer une nouvelle compétence d’édition interactive. En même temps, les journalistes n’avaient pas de « feuille de route » définie, leur environnement, les objectifs du projet et les moyens à mettre en œuvre pour y arriver leur paraissaient au contraire très flous. Dans ce contexte, trois éléments principaux semblent avoir servi d’ancrage à la construction de cette compétence : les interactions directes entre journalistes et techniciens, les micro-expérimentations et les activités frontières.

Des interactions directes

21Au cours de la première phase du projet PresseWeb, les échanges entre journalistes et techniciens sont limités, ils s’inscrivent dans une logique de concepteur-prestataire, « Ce que les graphistes et éditeurs veulent faire, ils le feront. Le reste suivra » (technicien). Le dialogue est difficile, et la compréhension réciproque des métiers peu approfondie, malgré la tenue de réunions régulières : « Au début on n’était pas du tout dans une situation de dialogue, les journalistes n’ont pas toujours compris ce qu’ils validaient, ils étaient étonnées du résultat » (technicien). Le dialogue a ensuite été facilité par la mise en place de chantiers spécifiques (« Flash » et « Haut Débit »). En outre, les concepteurs multimédias devaient a priori jouer un rôle d’intermédiaire entre journalistes et techniciens, limitant ainsi leurs interactions directes. Les journalistes, et même les techniciens, avaient une connaissance réduite d’internet. Par exemple, en avril 2002, d’après le directeur de la production, 80% des problèmes techniques étaient encore résolus par une seule personne. Les journalistes de Credo et de Campus ne comprenaient pas toujours dans quelle partie du site ils pouvaient intervenir, et l’écriture même de leurs articles semblait directement transposée de l’écrit.

22L’acquisition de compétences s’est accélérée au cours de la phase 2. La réorganisation, en dédiant les techniciens à un site, a multiplié les occasions d’interaction et a permis « de répondre plus rapidement sur les questions de faisabilité et de trouver des solutions astucieuses » (journaliste). La proximité physique (l’équipe technique a déménagé pour s’installer sur un plateau proche des éditeurs) a également facilité le dialogue. Les interactions directes se sont multipliées entre journalistes et techniciens qui ont développé une compréhension mutuelle. « Il y a un langage commun qui se développe […] il y a une certaine confiance » (journaliste). Le redéveloppement de la plate-forme technique a permis aux deux catégories d’acteurs de « pouvoir échanger énormément entre nous tous pour pouvoir arriver au final à quelque chose d’assez commun entre les différents points de vue » (technicien). Ces interactions sont facilitées par l’existence de plages de savoirs communs. « Ça [le fait que deux techniciens aient été professeurs de philosophie] permet vraiment d’avoir un meilleur dialogue avec les équipes éditoriales, de pouvoir parler vraiment des mêmes choses, d’envisager la technique comme faisant partie d’un contenu » (technicien). Le contact direct entre équipes éditoriales et techniques (contrairement à un contact médiatisé, via un concepteur multimédia ou un prestataire technique) est vu comme clé pour développer la nouvelle compétence « édition interactive » dans Credo et Campus : « C’est important qu’il y ait un travail de binôme entre éditorial et technique parce que les choses se jouent entre les deux à chaque fois » (technicien).

23Dans Credo, la multiplication des interactions entre journalistes et techniciens a facilité le développement d’un langage commun : « On avait du mal à se parler mais maintenant ça va beaucoup mieux parce qu’on n’avait pas le même langage et qu’eux ont appris notre langage et que nous surtout on a appris le leur » (journaliste, Credo). Le ton éditorial de Credo devient beaucoup plus innovant, ce qui semble avoir été favorisé par l’exploration conjointe de nouveaux champs en couple ou trio de compétences. Les techniciens et journalistes de cette équipe indiquent qu’il y a eu une véritable création commune d’une nouvelle écriture numérique. « Ce n’est pas de la traduction qui se met en place, c’est vraiment un échange de métiers pour en arriver à un nouveau journalisme » (technicien, Credo). La recherche active de feedbacks auprès d’acteurs divers a également participé à la création d’un ton nouveau. Le rédacteur en chef avait par exemple l’habitude de demander à des non-croyants s’il y avait des phrases qu’ils ne comprenaient pas dans ses articles et de les modifier en conséquence. Ces petits ajustements ont contribué à construire un site s’adressant à un public beaucoup plus large que celui des revues religieuses traditionnelles.

24Dans l’équipe Campus, le climat d’ouverture favorise les discussions entre journalistes et techniciens « Ça ne gène personne que le chef de projet technique ait des tas d’idées sur l’éditorial, on lui demande même » (journaliste). Cependant, contrairement aux membres de Credo, journalistes et techniciens ne parlent pas de création commune d’un nouveau journalisme. Les échanges sont nombreux mais ne s’organisent pas autour de nouveaux projets, il s’agit plutôt de dialogues centrés sur la résolution de difficultés techniques particulières, liées à la vie courante du projet. Les techniciens continuent à se voir comme des prestataires techniques « les rédacteurs viennent nous voir quand ils ne comprennent pas quelque chose… la communication passe bien mais elle a surtout lieu en termes de prestations techniques » (technicien).

25Au cours de la phase 3, l’équipe de Credo a rejoint la Business Unit de PresseCo alors que l’équipe de Campus a été dissoute. Même si de nombreux aspects commencent à se stabiliser, les acteurs de Credo continuent à développer une compétence d’édition interactive. La communication est fluide entre les journalistes de Credo et les techniciens de PresseWeb qui ont rejoint la direction commerciale et marketing de PresseCo. Ces derniers prennent plus d’initiatives « Les techniciens doivent montrer aux journalistes qu’ils peuvent faire autre chose que serrer les boulons… il faut rendre riche le travail » (technicien). Ils participent toujours aux réunions hebdomadaires et mensuelles avec Credo ainsi qu’à des petits groupes de travail pour des tests (nouvelles formules, forums, etc.). La conception et la mise en ligne de mini-sites thématiques au sein de Credo a aussi suscité de nombreuses interactions entre journalistes et techniciens. Ils se sont également lancés dans l’exploration conjointe de nouveaux champs mettant en jeu des compétences à la fois techniques et rédactionnelles, comme la gestion de communauté ou de nouveaux services pour les internautes. Si les journalistes maîtrisent désormais bien les aspects techniques de leur activité courante, ces derniers restent lourds cependant. Ainsi, dans Credo, au fur et à mesure des dialogues et des projets communs s’est opérée une « percolation » (selon le terme de GEST) des compétences des uns vers les autres, à partir de laquelle les journalistes et techniciens ont construit ensemble une nouvelle compétence d’édition interactive. Dans Campus en revanche, les journalistes et techniciens, dans une logique de concepteur à prestataire, mettaient en interface leurs compétences. Le tableau 1 synthétise les interactions journalistes - techniciens au cours du projet.

Micro-expérimentations

26L’expérimentation est un moyen privilégié pour avancer sur internet, média très souple qui permet une grande réactivité. Il est possible de concevoir et mettre en ligne de nouveaux services, de connaître très rapidement la réaction des internautes et d’essayer de modifier ce service en conséquence. Les innovations peuvent concerner l’ergonomie du site (mises en avant, navigation, forums, etc.), son contenu (animations, dossiers, parcours interactifs, etc.) ou des fonctionnalités additionnelles (radio, « feuilletage en ligne », etc.). Dans le cas de PresseWeb, les contours des sites ne sont pas définis a priori; les objectifs d’ensemble sont vagues et les tâches peu définies (« Qu’est-ce qu’on attend vraiment de nous ? » ; « On ne sait pas vraiment qui on est », journalistes, phase 2). Dans ce contexte à la fois incertain et ambigu, des acteurs ont rapidement cherché à avancer pas à pas en s’appuyant sur de miniexpérimentations pour comprendre comment construire le site.

Tableau 1

LES INTERACTIONS ENTRE JOURNALISTES ETTECHNICIENS

Tableau 1
Tableau 1 LES INTERACTIONS ENTRE JOURNALISTES ETTECHNICIENS Credo Campus – Interactions médiatisées en phase 1 – Interactions médiatisées en phase 1 (via concepteur multimédia (via concepteur multimédia et sous-traitant et sous-traitant technique). technique). – Interactions directes en phase 2 – Interactions directes en phase 2 (réunions d’équipe, réunions ad-hoc, (réunions d’équipe, réunions ad-hoc, interactions informelles). interactions informelles). – Micro-diffusion des savoirs techniques – Interfaçage des savoirs techniques et éditoriaux. et éditoriaux. Les J et T co-construisent une nouvelle T vus comme prestataires des J ; compétence d’édition interactive. les J développent une compétence d’édition interactive plus limitée que dans Credo. T: technicien, J: journaliste.

LES INTERACTIONS ENTRE JOURNALISTES ETTECHNICIENS

27Dès la phase 1, des petites expérimentations de taille modeste, nécessitant très peu de financements additionnels, sont menées conjointement par deux ou trois acteurs de fonction différente. Ils considèrent que cette configuration est la meilleure pour construire en commun de nouvelles compétences. Par exemple, pour le projet d’Atelier de dessin : « Ce qui était intéressant c’est qu’il y avait un concepteur, un technicien et un producteur de cette application. À chaque fois le projet rentrait dans les trois domaines donc dans son évolution il ne déviait pas de chemin… on en revient au fait de travailler en duo ou trio de compétences, et on n’a pas besoin de beaucoup de personnes » (technicien). Des acteurs de fonction et d’expertise différentes sont réunis autour d’un projet commun, concret, avec un objectif qui semble possible à atteindre. En même temps, les binômes ou trio peuvent se constituer rapidement et avancer de façon souple et efficace.

28Les expérimentations se sont poursuivies et enrichies en phase 2, mais avec une évolution différente dans Credo et dans Campus. Dans Campus, techniciens et journalistes n’ont pas mené ensemble des expérimentations pour concevoir de nouveaux services et sont restés dans une relation de concepteur à prestataire. Ils n’ont pas non plus lancé d’expérimentations communes avec la Business Unit. Dans Credo en revanche, les acteurs ont impliqué les journalistes des magazines de la Business Unit dans une série de petits chantiers pour créer des contenus interactifs à partir de leurs dossiers papier. Initialement, les journalistes de la Business Unit Religion ne comprenaient pas du tout ce que pouvait être un site internet religieux. Le fait de participer conjointement avec les journalistes, les graphistes et les techniciens de PresseWeb à ces chantiers (crèche animée, calendrier de l’Avent, carte interactive des religions, etc.) et de pouvoir discuter à partir de supports visuels « concrets » (maquettes, copies d’écran), voire de participer à leur modification en quasi temps réel, les a convaincus et enthousiasmés. Lorsque le journaliste de la Business Unit a vu la première version de la crèche animée conçue à partir du dossier de son magazine, « Ça a été une révélation » qui a beaucoup contribué à développer la confiance entre les acteurs des deux entités. Les journalistes de la Business Unit se sont alors intéressés aux apports potentiels du site internet, et ont souhaité participer de façon plus active et régulière à la conception de nouveaux services : « Du coup, ils [journalistes de la Business Unit] sont partants pour faire plein d’autres choses, ils trouvent ça génial et c’est vraiment le complément de ce qu’ils font !» (journaliste, Credo). De même, en phase 3, le développement d’un module de feuilletage en ligne des revues de PresseWeb, à l’initiative d’un technicien qui y avait travaillé de façon autonome pendant trois mois, a beaucoup impressionné les éditeurs et équipes marketing des revues papier et a renforcé leur reconnaissance de ce canal de distribution complémentaire et leur envie de l’utiliser.

29Ainsi, les micro-expérimentations ont permis de construire un cadre structurant les échanges, dans lequel les différents acteurs ont débattu et ont utilisé divers supports pour enrichir les débats (revues papier, storyboards, maquettes, fonds d’écran, etc.) et les modifier éventuellement en temps réel. Ces micro-expérimentations, lancées rapidement et avec peu de moyens, ont servi de points d’ancrage à un processus de construction de sens (Weick, 1995). Les acteurs ont ainsi eu la possibilité de confronter leurs interprétations et de construire ensemble une compréhension du service à créer, générant dans l’action une nouvelle compétence d’écriture interactive. « Quand on voit les choses, ça permet de réagir… quand on expérimente les choses, on les comprend » (graphiste). Le tableau 2 synthétise les principales caractéristiques des microexpérimentations dans les deux équipes.

Activités frontières

30Nos analyses indiquent que les activités aux frontières de l’équipe sont importantes pour la diffusion de la compétence « édition interactive » dans l’organisation. En effet, dans le projet PresseWeb, temporairement décentralisé, le type et l’intensité des liens établis avec la maison-mère sont déterminants pour le soutien apporté à l’innovation et la réintégration éventuelle de l’équipe par la suite. À cet égard, les journalistes et graphistes de Credo et Campus avaient a priori des réseaux importants dans PresseCo (4 membres de Credo et 4 membres de Campus avaient une expérience antérieure de plus de 4 ans chez PresseCo), mais les relations qu’ils ont nouées avec PresseCo ont été très différentes.

31Les contacts informels entre les équipes de Credo et de la Business Unit se sont multipliés dès la phase 1 du projet. Ils ont été en particulier établis par les membres de Credo qui étaient auparavant chez PresseCo (graphistes, journalistes). Ces interactions ne sont ni formalisées ni systématiques, mais le Rédacteur en chef de Credo incite à les développer « Tout ce que je peux faire avec eux, je le fais ». À partir de la phase 2, l’objectif de renforcement des liens avec la Business Unit est présenté comme prioritaire. Il faut « Gagner ses lettres de noblesse » vis-à-vis d’elle (journaliste, Credo). Le chef de pôle et le rédacteur en chef le rappellent systématiquement, lors de toutes les réunions d’équipe, et chaque membre doit expliquer ce qu’il a fait pour renforcer ce lien. « Il faut qu’on réussisse à actionner ces leviers vis-à-vis des rédactions des titres [de la Business Unit] pour qu’ils voient concrètement l’intérêt pour eux de nous faire signe, etc. Parce que ça ne viendra pas spontanément. C’est à nous de montrer le bien-fondé de la collaboration en termes de bénéfice pour eux et non pas de travail supplémentaire à faire pour le web. » (journaliste, Credo). Au niveau opérationnel, les initiatives se sont multipliées, prenant souvent la forme de mini-projets communs avec les rédactions des magazines papiers (par exemple, l’animation web d’une bande dessinée pour les enfants du magazine). Ces initiatives ont été portées de façon autonome par différents membres de l’équipe, en liaison avec des membres d’entités opérationnelles diverses. Les journalistes de Credo se sont également efforcés de diffuser une compréhension fine des apports potentiels du site web à PresseCo. « On est un vrai laboratoire pour la Business Unit » (Trafic Manager de Credo). En effet, les acteurs de Credo ont montré à la Business Unit, sur des points très concrets, que le site internet permettait de prolonger et d’approfondir le lien avec ses lecteurs lors des forums et « tchats » (dialogues en direct avec les internautes) par exemple. Ils ont également démontré que le site touchait des internautes au-delà de la cible traditionnelle des magasines (public plus jeune, mais aussi internautes non pratiquants ou athées). L’essaimage de microexpérimentations a « révélé » l’apport et la complémentarité d’internet par rapport aux journaux papier. Lorsque la question de l’avenir de PresseWeb s’est posée lors du retrait de l’un des actionnaires du projet, la Business Unit correspondante de PresseCo avait développé un intérêt fort pour Credo et a proposé de l’intégrer parmi ses titres papier. À partir de la phase 3 du projet, cette intégration, en facilitant les interactions multiples entre journalistes papier et web, a permis de poursuivre et d’enrichir le développement de la compétence d’édition interactive dans PresseCo.

Tableau 2

LES MICRO-EXPÉRIMENTATIONS DANS CREDO ET CAMPUS

Tableau 2
Tableau 2 LES MICRO-EXPÉRIMENTATIONS DANS CREDO ET CAMPUS Credo Campus – Nombreuses, de taille modeste (phases 1,2,3) – Peu nombreuses (phases 1 et 2) – Co-construites (couple/trio), dans Credo – Internes à Campus (ex: J – T pour Newsletter) et avec la Business Unit: – Pas d’expérimentations avec la Business Unit J – T (PresseWeb) J – T – G (PresseWeb) J – J – T (PresseWeb – PresseCo) – Bricolage de solutions provisoires – Bricolages de solutions techniques (éditoriales et techniques) provisoires, mais moins nombreux que Credo – Apprentissage par essais-erreurs – Attente d’aménagements plus radicaux – Recherche active de feedbacks (base de données, partenariats) – Discussions approfondies des feedbacks – Discussion des feedbacks techniques (techniques, éditoriaux, graphiques), suivies seulement. d’ajustements ou d’implémentations partielles. T: technicien, J: journaliste, G: graphiste.

LES MICRO-EXPÉRIMENTATIONS DANS CREDO ET CAMPUS

32Dans le cas de Campus au contraire, les rédacteurs en chefs adjoints et le chef de pôle ont eu le monopole des contacts avec la division jeunesse. Leur préoccupation était principalement d’harmoniser les programmations du magazine et du site web, et l’acquisition d’une légitimité vis-à-vis de PresseCo n’était pas prioritaire. « C’est juste un objectif global pour moi » (journaliste). Quelques « tchats » communs ont été organisés avec la rédaction du magazine, mais il n’y a pas de projets concrets associant les graphistes par exemple. Alors même que plusieurs membres de l’équipe avaient une expérience antérieure chez PresseCo, la concentration des contacts avec PresseCo au niveau du chef de pôle n’a pas non plus permis aux autres membres de Campus de prendre la mesure de l’ampleur des réactions hostiles de PresseCo vis-à-vis du contenu de l’un de ses forums. La question de savoir si l’opposition suscitée n’avait pas plus d’importance que la croissance du trafic générée n’a pas été ouvertement discutée, et d’autres alternatives n’ont pas été considérées. Les relations avec le magazine papier, très tendues dès le démarrage de PresseWeb, ne se sont guère améliorées, et Campus n’a pas réussi à démontrer quels pouvaient être ses apports potentiels. En début de phase 3, la Business Unit correspondante, toujours non convaincue de l’apport du site web au magazine papier, n’a pas souhaité l’intégrer. Ainsi, alors que les journalistes de Campus avaient développé en phases 1 et 2 une compétence « édition interactive » pour la jeunesse, même si le service élaboré était moins innovant que celui de Credo, cette compétence s’est peu diffusée dans PresseCo. C’est un processus qui est resté très localisé dans Campus, les acteurs de la Business Unit ont été peu impliqués dans son développement, et dès lors les apprentissages réalisés se sont peu diffusés en dehors de l’équipe. Le tableau 3 présente les actions des acteurs de Credo et Campus pour diffuser cette compétence ans l’organisation.

33Ainsi, nos analyses suggèrent que des acteurs de Campus, dans un contexte de grande incertitude, ont construit dans l’action la compétence « édition interactive », en multipliant les interactions directes, les micro-expérimentations et les activités frontières. En revanche, les acteurs de Credo, beaucoup moins engagés dans ce type d’action, n’ont pas réussi à être aussi innovants, ni à essaimer cette compétence au-delà des frontières du projet. Cette situation contrastée au sein d’une même entité organisationnelle souligne l’importance de l’étude d’activités détaillées, de pratiques très localisées, pour comprendre des phénomènes de plus grande ampleur, à l’échelle de l’organisation toute entière, et va dans le sens des préoccupations de la perspective de la pratique.

Tableau 3

DIFFUSER LACOMPÉTENCE AUX FRONTIÈRES DU PROJET

Tableau 3
Tableau 3 DIFFUSER LACOMPÉTENCE AUX FRONTIÈRES DU PROJET Credo Campus – Un objectif prioritaire pour tous les – Un objectif vague, non prioritaire pour membres de l’équipe. les membres de l’équipe – Activités frontières réparties – Activités frontières concentrées (chef de pôle) – Mobilisation des réseaux personnels – Réseaux personnels peu mobilisés dans PresseCo – Interfaçages ponctuels mais pas de micro– Micro-expérimentations communes expérimentations communes – Nombreuses initiatives pour informer, – Pas de discussion en profondeur des réactions démontrer l’apport potentiel du projet de PresseCo (hostile au contenu pour la Business Unit de l’un des forums). – Discussion en profondeur des réactions de la division. Actions correctrices. T: technicien, J: journaliste, G: graphiste.

DIFFUSER LACOMPÉTENCE AUX FRONTIÈRES DU PROJET

3. Discussion

Les apports de la perspective de la pratique

34La recherche que nous avons réalisée apporte un éclairage sur les processus de construction de compétences dans l’organisation. En nous intéressant aux activités et aux pratiques quotidiennes par lesquelles des acteurs, à différents niveaux de l’organisation, participent à la « fabrique » de la stratégie (Whittington, 2006; Golsorkhi, 2006), nous avons pu repérer des processus de construction de compétences très localisés et différenciés au sein d’une même organisation. Nos analyses suggèrent que les compétences sont ancrées dans des contextes particuliers. Elles sont construites par les acteurs lorsqu’ils interagissent avec d’autres acteurs de fonction différente, s’engagent dans des microexpérimentations et démontrent les apports de la compétence créée à l’extérieur du projet. Ainsi, au sein du même projet, dans une même organisation, les acteurs d’une équipe peuvent réussir à construire et diffuser une nouvelle compétence et ceux d’une autre équipe ne pas y arriver. Cependant, la perspective des ressources et des capacités dynamiques, en appréhendant à un niveau très « macro » les sources des avantages concurrentiels, risque de ne pas permettre d’approfondir de telles différences. Ainsi, nos analyses vont dans le sens des suggestions de Johnson et al. (2003) pour que la RBV soit renforcée par une perspective plus « micro », permettant d’étudier en détail l’action managériale, à différents niveaux de l’organisation.

35En apportant un éclairage en profondeur sur les pratiques et activités qui peuvent constituer les sources d’avantages concurrentiels, la perspective de la pratique peut aussi conduire à questionner certains aspects de la perspective des ressources et des capacités dynamiques. En effet, l’étude en plan rapproché des micro-processus qui constituent les capacités (Regnér, 2003) incite également à s’interroger sur la nature même de ces capacités (Salvato, 2003). Dans notre étude de cas, les capacités dynamiques n’apparaissent en effet pas seulement comme des routines stratégiques et organisationnelles spécifiques, structurées et identifiables au sein d’une organisation (Eisenhardt et Martin, 2000; Zollo et Winter, 2002), mais aussi comme des processus beaucoup plus improvisés, exploratoires, par lesquels les acteurs génèrent de nouvelles compétences dans un environnement turbulent. Cela va dans le sens de l’idée que la stratégie serait une question de style plus que de contenu, une capacité à faire face à une situation de façon à la fois compétente et improvisée (Chia, 2004). Il serait intéressant de mener de nouvelles études pour approfondir ce point.

36Le suivi du déroulement de ce processus de construction de compétences pendant près de trois ans nous conduit aussi à mettre l’accent sur sa fragilité : les compétences sont générées par l’action des acteurs, elles ne sont pas possédées par des individus ou par l’organisation, elles sont provisoires et sans cesse à recréer, dans des contextes particuliers. Nous rejoignons en cela les analyses d’Orlikowski (2002). Par exemple, le départ d’un acteur ou la dissolution d’une équipe peuvent conduire à la perte d’une compétence nouvellement créée pour l’organisation, comme le montre le cas de Campus. À l’inverse, une série de petits événements, comme la conduite de microexpérimentations dans Credo, peut jouer un rôle-clé dans la construction d’une nouvelle compétence pour l’organisation.

37Ainsi, nos analyses suggèrent que l’étude de micro-activités et d’interactions entre acteurs, à différents niveaux de l’organisation et avec l’environnement externe, peut contribuer à expliquer la construction et la diffusion de nouvelles compétences dans l’organisation, comme l’ont avancé Jarzabkowski et al. (2007). En outre, les éléments de contexte analysés peuvent être riches d’enseignements pour les managers. Ainsi, nos résultats soulignent que créer un contexte qui soit à la fois favorable à la créativité et qui permette une réelle construction et diffusion de compétences spécifiques est un élément-clé de pilotage stratégique d’un projet d’innovation lorsque l’environnement est très dynamique. Lorsque ni les fins ni les moyens ne sont définis, les techniques classiques de management de projet sont peu utiles. Plutôt que de s’appuyer sur des procédures formelles de contrôle ou de transfert de connaissances, notre étude suggère qu’il faut favoriser l’engagement des acteurs dans l’action pour qu’ils construisent le sens de ce qu’il faut faire.

Des petites victoires pour créer du sens

38La conduite de nombreuses expérimentations, selon un mode de fonctionnement très itératif, semble dans son principe semblable à ce qui a été mis en évidence pour des projets d’innovation dans des secteurs où les métiers sont plus stabilisés, comme l’automobile ou même l’informatique (Brown et Eisenhardt, 1997). Cependant, dans des projets internet comme celui que nous avons étudié, lorsque le contexte est très incertain, il n’est pas toujours possible de monter de grosses expérimentations. En revanche, la souplesse de mise en œuvre de certaines modifications et les feedbacks rapides des internautes permettent des ajustements plus fins et des implémentations partielles. Notre étude suggère qu’il peut être plus pertinent d’avancer en menant de petites actions, en construisant à plusieurs quelque chose de concret, sans attendre de grands investissements mais à partir des moyens du bord. Les microexpérimentations de Credo sont souvent réalisées « avec trois bouts de ficelle et une cerise sur le gâteau » (journaliste, Credo), mais elles ont le mérite d’exister, de donner une idée du site futur, et d’être un support pour les interactions. « La bonne façon de travailler pour continuer à avancer dans ce flou, c’est de ne pas tenir compte de ce flou, de ne prendre en compte que les parties sûres, travailler sur du concret et puis laisser tout ce qui l’est moins de côté. » (technicien). Les séries de micro-expérimentations ont servi de point d’ancrage à la confrontation des différents intérêts fonctionnels, à la négociation des interprétations et à la co-construction progressive de la signification de « l’édition interactive ». Cela peut être rapproché des « petites victoires » (small wins) de Weick (1984). Ces petites avancées concrètes mais significatives, tant en interne (parcours interactifs, prières animées par exemple) qu’avec la Business Unit (comme l’Arche de Noé interactif) ont permis de rendre la situation plus compréhensible, de faire diminuer le stress et de maintenir l’engagement de toute l’équipe. S’agissant d’un projet de sites internet, les micro-expérimentations s’organisaient la plupart du temps autour d’artefacts visuels et sonores qui concentraient beaucoup d’informations et rendaient directement visibles différentes briques du projet (comme la nouvelle page d’accueil ou une animation interactive). La complexité d’ensemble du projet PresseWeb et le flou des objectifs assignés aux équipes pouvaient être paralysants. Les acteurs de Credo ont réussi à avancer dans cet environnement incertain en entreprenant des actions modestes, en créant des petits objectifs et en arrivant à de petites victoires qui mises bout à bout ont fini par produire des résultats visibles.

39Notre étude suggère qu’il est donc important, pour le management d’un projet d’innovation où les fins et les moyens sont peu définis, de veiller à créer un contexte propice aux micro-expérimentations et de favoriser les discussions et débats qu’elles génèrent. Plusieurs pistes peuvent être approfondies, selon les contextes : susciter des micro-expérimentations, les valoriser, reconnaître le rôle des essais et erreurs dans l’apprentissage, permettre aux membres de l’équipe d’y consacrer du temps, trouver des ressources financières et matérielles si nécessaire.

Agir aux frontières

40Notre étude suggère également que tout ce qui se passe aux frontières du projet (entre différentes fonctions, expertises) est très important pour la construction de la compétence « édition interactive », ce qui rejoint les analyses qui insistent sur le rôle des activités frontières dans la génération d’avantages concurrentiels (Carlile, 2004; Regnér, 2003). En effet, les acteurs de PresseWeb ont construit ensemble le sens de la compétence « édition interactive » au cours du projet. Leurs actions et interactions aux frontières, que ce soit entre acteurs de fonctions différentes au sein du projet ou avec d’autres acteurs de l’organisation, leur ont permis de faire émerger des interprétations du service futur et de construire ensemble un sens aux objectifs flous qui leur étaient donnés.

41Dans PresseWeb ni les journalistes ni les techniciens n’avaient au départ une idée précise de ce qu’était l’édition interactive. Ainsi, les journalistes envisageaient de transposer sur internet leur compétence éditoriale « papier » acquise dans PresseCo, et les techniciens essayaient de comprendre le fonctionnement de la plate-forme éditoriale. Cette compétence s’est développée lorsque journalistes et techniciens ont multiplié les interactions directes à partir de la mise en ligne des sites et surtout de leur montée en puissance. Cependant, ce processus a été différent dans Credo et Campus. Dans Campus, les journalistes ont eu de nombreuses interactions avec les techniciens, mais selon un rapport de concepteur à prestataire technique. Les acteurs de Credo ont en revanche multiplié les interactions avec les techniciens, les graphistes, mais aussi avec différents acteurs à l’extérieur du projet, ils ont confronté leurs interprétations et ont dessiné peu à peu ensemble les contours du futur service à partir de leurs échanges. Les journalistes et techniciens de Credo ont le sentiment de construire ensemble une nouvelle compétence d’édition interactive qui leur a permis de générer des services innovants.

42Les interactions des acteurs de PresseWeb avec d’autres membres de PresseCo ont également joué un rôle important pour la « révélation » et la diffusion de la compétence en dehors du projet. En effet, la compétence développée ne peut s’exporter séparément de son contexte et des actions des acteurs qui la constituent. Mais les acteurs de Credo ont multiplié les interactions avec ceux de la Business Unit dès les premiers tâtonnements du projet. Ils les ont impliqués dans la conception de certains services, leur ont montré des résultats intermédiaires, ont suscité leurs réactions et ont insisté sur les apports potentiels de Credo à la Business Unit (nouveaux abonnés, audience plus large et plus jeune, présence renforcée à l’international en particulier). Le fait que ces interactions avec la Business Unit aient été prioritaires pour tous les membres de Credo et qu’ils s’y soient tous impliqués (contrairement au cas de Campus), semble aussi avoir été important pour la diffusion de la compétence en dehors du projet.

43En pratique, nos analyses suggèrent qu’il est donc important pour les manageurs de projet en contexte incertain de favoriser les occasions d’interactions directes entre acteurs d’origine diverse dans l’équipe (co-localisation des équipes, espaces pour des rencontres informelles, mais aussi réunions et cadres plus formels pour des interactions régulières). Les interactions avec le reste de l’organisation doivent également être suscitées et valorisées dès le démarrage du projet, en veillant à ce qu’elles soient réparties entre les membres du groupe. Le responsable de projet ne doit pas concentrer sur lui ce rôle de lien avec l’extérieur, mais donner l’impulsion et l’exemple. En outre, notre étude indique que cette attention portée aux activités frontières doit être maintenue même lorsque les acteurs sont géographiquement proches, comme dans le cas étudié.

CONCLUSION

44L’objectif de cet article est de contribuer à la compréhension de la génération d’avantages concurrentiels dans un environnement très dynamique comme celui d’internet. La perspective de la pratique, en étudiant la façon dont les acteurs agissent et accomplissent leurs activités quotidiennes, nous a semblé apporter sur cette question un éclairage intéressant, en complément de la RBV et des CD. En nous situant dans cette perspective, nous avons analysé comment les acteurs d’un projet internet construisent dans l’action une nouvelle compétence d’édition interactive. En particulier, l’engagement des acteurs dans des interactions directes, des micro-expérimentations et des activités frontières semble avoir une influence très favorable sur la construction et la diffusion de cette compétence. Soulignant le caractère largement improvisé et exploratoire des actions par lesquelles les acteurs génèrent de nouvelles compétences dans un environnement turbulent, nos analyses conduisent à questionner l’accent mis sur les routines par les CD. Des travaux futurs pourraient approfondir ce point.

45Nos résultats suggèrent qu’en environnement incertain, lorsque ni les fins ni les moyens ne sont définis, il est plus pertinent pour les managers de projets de ne pas mettre l’accent sur le contrôle mais d’aider les acteurs à créer des compétences en favorisant les activités frontières et les microexpérimentations, et de leur offrir la possibilité de confronter leurs interprétations et de construire ensemble le sens des « objectifs flous » assignés au projet. Cependant, les projets de développement de sites internet étudiés ici sont très spécifiques : en phase de démarrage, ils sont caractérisés par une grande souplesse possibilités de prototypages virtuels et de manipulations locales, rapidité des feedbacks en particulier). Il serait intéresser d’examiner à l’occasion de nouvelles recherches si ces analyses peuvent aider à comprendre d’autres types de projet ou d’autres situations de management en environnement très dynamique.

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