Notes
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[1]
Le relativisme s’appuie alors sur une certitude universelle, et porte sur les modes d’applications, c’est-à-dire sur un savoir second. Rappelons que dans l’islam l’idéalisme ou universalisme repose sur le Coran qui représente une parole d’absolu et donne des principes directeurs dans toutes les sphères de l’activité humaine. La Sunna (composée de Hâdiths, ou propos, actes, situations approuvés par le prophète ou ses compagnons), quant à elle, éclaire les croyants sur les manières de pratiquer la religion, sur des problèmes de droits, de commerce, sur des détails concernant la vie publique ou privée des individus. Elle diffère partiellement entre les sunnites et les chiites et les Hâdiths sont plus ou moins « reconnus » selon leur provenance. Le Coran et la Sunna constituent la chari’a. Le relativisme concerne le Fiqh (jurisprudence), c’est-à-dire le travail d’adaptation mené par les juristes ou savants par le biais de l’Ijtihâd (ou activité de réflexion). Les savants doivent répondre aux questions qui leur sont posées en tenant compte des réalités sociales, économiques, politiques de leur lieu de vie et de leur époque.
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[2]
De nombreux travaux font état de ce phénomène apparu dans les années 1990, et qui prend de l’ampleur internationalement. Le premier congrès international sur le féminisme musulman s’est tenu à Barcelone en 2005 sous l’égide de l’Unesco.
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[3]
Sur le marché des produits halal et des stratégies, on pourra se reporter, entre autres, à l’entretien avec Antoine Bonnel, organisateur du salon halal (Halal : C’est au consommateur d’être arbitre, hhttp :// www. saphirnews. com/Halal-C-est-au-consommateur-musulman-d-etre-arbitre-_a3681.html, 20/6/06) ou à celui avec Florence Bergeaud-Blacker, sociologue (Consommation halal : un des marchés les plus prometteurs du monde, hhttp :// www. saphirnews. com/Consommation-halal-un-des-marches-les-plus-prometteurs-du-monde-_a3421.html, 01/06/2006).
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[4]
Source : Crédit Suisse emagazine, voir http ://emagazine.credit-suisse.com
1L’islam est la deuxième religion dans le monde après le christianisme, avec environ 1,5 milliards de fidèles et c’est la religion majoritaire dans plus de 50 pays (Al-Buraey, 2004).
2Dans les pays où les populations musulmanes sont majoritaires, la tendance est à un plus grand conservatisme et à un engagement religieux plus fort (Rice et Al-Mossawi, 2002), qui prend la forme de l’application des principes islamiques dans toutes les facettes de la vie (Saeed et al., 2001).
3Mais d’autres courants existent et le marché musulman évolue. Une bonne compréhension de ces phénomènes, des valeurs musulmanes au sens large et des codes de conduites islamiques en particulier apparaît nécessaire (Saeed et al., 2001), principalement pour la mise en œuvre de politiques adaptées par les entreprises (Sood et Nasu, 1995).
4Nous nous proposons donc d’examiner :
- la spécificité de la religion musulmane par rapport à d’autres religions sur un certain nombre de valeurs pouvant être associées à la consommation ou au commerce,
- les principes applicables au marketing dans l’islam en fonction de ces valeurs,
- les principales tendances qui marquent l’évolution de la consommation et du marketing pour le marché musulman.
I. – RELIGIONS, VALEURS ET COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR
5La religion, qui constitue l’un des éléments de la culture (Usunier et Lee, 2005), est considérée comme jouant un rôle important dans la formation des attitudes et comportements de l’individu, mais son rôle a été relativement peu étudié en marketing. L’analyse de ses effets est difficile sur un plan méthodologique car il faut pouvoir distinguer les effets de la religion (majoritaire ou minoritaire) de ceux d’autres facteurs culturels mais aussi de la religiosité (Sood et Nasu, 1995). Les rares études menées tendent à montrer un effet de l’affiliation religieuse et de la religiosité sur les schémas de consommation, l’usage des médias, la perception des messages publicitaires, la prise de décision familiale, l’aversion au risque dans les achats, le choix de magasins (Mokhlis, 2006), la religiosité reflétant le degré de croyance d’un individu aux valeurs et idéaux d’une religion spécifique et leur mise en pratique (Delener, 1990). La personne très religieuse se comportera davantage selon les normes et principes de la religion à laquelle elle adhère (Mokhlis, 2006). C’est dans ce contexte qu’il faut resituer l’islam, qu’il s’agisse de l’éthique ou des valeurs qui y sont associés, par rapport aux autres religions. Ces principes éthiques et ces valeurs ayant des conséquences en matière de marketing.
1. L’éthique et les religions
6L’éthique est l’application de principes moraux globaux à des problèmes concrets. La perspective éthique dans laquelle on se place donne les principes généraux qui guideront l’ensemble des réflexions sur les valeurs et les actions humaines.
7Dans l’approche proposée par Forsyth, les philosophies morales reposent sur deux dimensions distinctes : l’idéalisme et le relativisme (Al-Khatib et al., 1997; Cornwell et al., 2005). L’idéalisme reflète le degré auquel les individus croient qu’un comportement moralement « bon » conduit toujours à des conséquences positives. Les idéalistes valorisent des relations chaleureuses avec les autres, aiment être respectés, ont un sens de l’appartenance et des croyances éthiques fortes. Le relativisme reflète une certaine réticence à adhérer à des principes moraux universels et se traduit par une prise en compte des variables situationnelles et des cultures locales lors de jugements éthiques. Les approches occidentales reconnaissent que le jugement d’un comportement éthique est subjectif et peut dépendre de la culture (Darmon, 2005), dont la religion constitue l’un des éléments. On peut penser, dans le cas de l’islam, qu’on se situe dans une perspective éthique fortement idéaliste car les sphères spirituelles, sociales, politiques et économiques forment une unité indivisible qui doit suivre les valeurs islamiques (Fam et al., 2002). L’islam prétend à une morale universelle et à un système de valeurs éthiques strict qui s’appliquent à chaque aspect de la vie quotidienne et au cadre des affaires (Saeed et al., 2001), ce qui n’est pas le cas de façon aussi manifeste dans les autres religions (Rice et Al-Mossawi, 2002). Mais qu’en est-il du relativisme et de l’islam ? Peut-on prendre en compte les variables situationnelles ? Deux études comparatives montrent que c’est le cas. Elles font apparaître d’une part, que les égyptiens sont à la fois plus idéalistes et plus relativistes que les américains (Al-Khatib et al., 1997), et d’autre part, que les musulmans sont plus idéalistes que les chrétiens catholiques et plus relativistes que les chrétiens catholiques et les méthodistes mais moins que les bouddhistes (Cornwell et al., 2005). Cela est en fait logique sur l’idéalisme et cohérent sur le relativisme si l’on regarde à la fois : 1) les principes forts de l’islam et sa présence dans de très nombreuses cultures dans le monde; 2) le rôle des autorités religieuses qui guident et interprètent les textes en fonction des situations que rencontre le croyant [1].
8Ce contexte étant posé, examinons les valeurs associées aux diverses religions et à l’islam en particulier. Les cinq dimensions universelles qui ont servi de base à de nombreux travaux sur les valeurs sont celles de Kluckhohn et Strodtbeck (1961) : les relations avec les autres, la nature humaine, le rapport au monde et à la nature, l’orientation temporelle, les activités. Dans le cadre de l’analyse de l’islam et du marketing, il est utile de décliner certaines de ces dimensions en sous-dimensions pertinentes pour le propos. C’est ainsi que la dimension « nature humaine » sera dans cet article appréhendée sous l’angle du rigorisme moral et de la pudeur, et étendue aux s 1954) comme le besoin de sécurité. De même, la dimension « activités » sera considérée sous l’angle des rapports au travail, à l’argent et à la consommation.
2. Le rapport aux autres
9La relation aux autres, une des cinq dimensions universelles de Kluckhohn et Strodtbeck (1961) recouvre plusieurs dimensions de Hofstede (1980) : distance hiérarchique, individualisme/collectivisme, masculinité/féminité ; du groupe The Chinese Culture Connection (1987) : intégration c’est-à-dire tolérance, chaleur humaine; ou de Javidan et House (2004) dans leur projet Globe : orientation humaine c’est-à-dire altruisme, générosité, différenciation entre les genres c’est-à-dire entre les hommes et les femmes. Elle reflète la façon dont les relations entre les individus d’une société sont organisées. Sont elles égalitaires ou hiérarchisées; individualistes ou collectivistes; à dominante masculine ou féminine; tolérantes; à forte chaleur humaine et tournées vers les autres ?
10Dans la culture chrétienne, la distance hiérarchique est plus faible chez les protestants que chez les catholiques. Elle est par ailleurs marquée par l’individualisme plus que par le collectivisme, bien qu’il y ait là aussi des différences entre pays catholiques et protestants. L’islam comme le bouddhisme (ou l’hindouisme) sont plus collectivistes (House et al., 2004). Dans l’islam, l’activité commerciale doit reposer sur la bonne intégration de l’intérêt de l’individu et de celui de la communauté (Al-Buraey, 2004). L’islam privilégierait une approche sociétale en raison de l’importance accordée à la réalisation d’un bien-être optimum de l’être humain et de la société dans son ensemble (Saeed et al., 2001). L’islam met ainsi l’emphase sur les valeurs de fraternité, d’équité, de justice, d’honnêteté, ou encore de sincérité (Rice et Al-Mossawi, 2002; Zainul, 2004) que l’on retrouve dans les pays musulmans avec la valeur d’intégration, mise en évidence initialement en Chine avec The Chinese Culture Connection (1987) et Bond (1988).
11La religion semble affecter le mode de confiance entre consommateur et vendeur. Les cultures collectivistes comme la culture musulmane se caractérisent par une grande interdépendance des individus au sein du groupe avec un impact fort des normes du groupe sur les comportements (Siala et al., 2004, House et al., 2004). Une plus grande confiance est accordée aux membres appartenant au même groupe. Siala et al., (2004) analysent l’effet de l’affiliation religieuse (chrétiens, musulmans, non-croyants) sur la confiance et l’attitude vis-à-vis de sites Internet marchands musulmans, chrétiens ou neutres. Les résultats montrent que la confiance des consommateurs musulmans est plus forte à l’égard du site musulman que du site chrétien. Leur attitude est également plus positive vis-à-vis de ce site que des deux autres sites. Aucune différence significative n’apparaît en revanche pour les chrétiens.
12Le degré de masculinité/féminité et la différenciation entre les genres permettent également de caractériser le mode de relation aux autres et plus spécifiquement la répartition des rôles entre l’homme et la femme. Sur ce point, plus les rôles sont différenciés, plus la société est de type « masculin ». Dans les sociétés masculines, les valeurs de réussite et de possession, ainsi que la réussite de l’homme priment; la femme, elle, doit s’occuper prioritairement de l’éducation des enfants. La masculinité est également liée à la religiosité car elle tend à être positivement corrélée à la pratique religieuse (Verweij et al., 1997). Dans les pays chrétiens, les rôles de l’homme et de la femme sont différenciés à des degrés divers, le poids de la culture locale étant prégnant, même si les rôles sont plus différenciés dans les pays catholiques que dans les pays protestants. Dans les pays musulmans les rôles de l’homme et de la femme sont souvent très différenciés (House et al., 2004). Rice et Al-Mossawi (2002) soulignent cependant que dans les pays moins conservateurs, de plus en plus de femmes travaillent et sont impliquées dans les décisions d’achats importants, ce qui peut être mis en avant dans les communications publicitaires. Et globalement, le rôle de la femme évolue au sein de l’islam (Boubekeur, 2006) avec une forte montée du féminisme islamique [2].
3. La pudeur et la rigueur morale
13La pudeur, qui constitue une sous-dimen-sion de la nature humaine, est un élément très important dans un certain nombre de religions et en particulier dans l’islam. La prise en considération des valeurs religieuses est particulièrement importante dans la création publicitaire, car la religion peut être un médiateur puissant dans le décodage du message publicitaire.
14Mais dans quelle mesure la religion affecte-t-elle les attitudes des consommateurs vis-à-vis de la publicité ? Un cas intéressant est celui des produits controversés. Dans la chrétienté les protestants sont plus rigoristes sur les valeurs morales que les catholiques (Mendel, 1991). Mais qu’en est-il entre les protestants et les musulmans ?
15Fam et al. (2004) ont mené une étude sur les réactions des consommateurs chrétiens (protestants) et musulmans ainsi que d’autres religions dans six pays (Malaisie, Turquie, Taiwan, Chine, Grande Bretagne, Nouvelle Zélande), face à des publicités concernant des produits controversés. Les résultats montrent que, pour les consommateurs chrétiens et bouddhistes (et les non-religieux), les publicités pour les produits liés au sexe (sous-vêtements, préservatifs, produits d’hygiène féminine, contraceptifs), les produits « sociaux » (armes, services funéraires, partis politiques extrémistes, etc.), les produits liés à la santé (programmes pour perdre du poids, prévention de maladies sexuellement transmissibles), et ceux créant une accoutumance, sont significativement moins offensantes que pour les musulmans. En outre, parmi les musulmans, une forte religiosité augmente le degré d’offense perçu.
16Waller et al. (2005) ont étudié non seulement l’attitude face à la publicité pour des produits controversés mais aussi les raisons pour lesquelles ces publicités sont perçues comme offensantes. Les attitudes vis-à-vis de la publicité sur des produits controversés sont perçues comme moins négatives en Nouvelle Zélande et au Royaume-Uni qu’en Malaisie et en Turquie. Les raisons qui ont amené à trouver les publicités offensantes sont : images sexistes, nudité, langage indécent, sujet trop personnel, comportement anti-social, images occidentales. Les publicités sont perçues comme plus négatives en Turquie qu’en Malaisie, pays multiculturel et plus libéral, et cela sur toutes les dimensions à l’exception de la nudité et des images sexistes.
4. Le besoin de sécurité et de normes
17Le contrôle de l’incertitude (Hofstede, 1980; Bond, 1988; Javidan et House, 2004), caractéristique de la nature humaine, traduit le niveau d’anxiété, d’inquiétude qui existe face à des situations inconnues ou incertaines. Ce sentiment s’exprime, entre autres, par le stress et le besoin de sécurité et de prévisibilité : un besoin de règles, écrites ou non. Le contrôle de l’incertitude est en partie lié à l’affiliation religieuse. Ainsi les pays ou populations de religions orthodoxe et catholique tendent à avoir un indice élevé d’évitement de l’incertitude, les pays ou populations de religion juive ou musulmane des indices moyens, les pays ou populations protestantes, bouddhistes et l’hindouistes un indice faible (Hofstede, 1994). On peut établir un parallèle entre l’évitement de l’incertitude et la recherche de produits fiables, de qualité, sans risque pour la santé dont l’acquisition s’inscrit dans une logique de réduction de risque. Les affiliations religieuses à indice d’évitement de l’incertitude élevé devraient correspondre à une plus forte recherche de produits fiables. C’est ce que montrent plusieurs recherches. Une étude menée sur l’Île Maurice (Essoo et Dibb, 2004) montre que les catholiques sont plus sensibles à la qualité produit que les musulmans, eux-mêmes plus sensibles à cette dernière que les hindous.
18Par ailleurs, la religiosité affecterait aussi l’évitement de l’incertitude et le risque perçu; les personnes plus religieuses perçoivent davantage les conséquences négatives potentielles de leurs achats (Delener, 1990). Une étude menée en Malaisie (Mokhlis, 2006) où coexistent de multiples religions (islam, bouddhisme, hindouisme, chrétiens) montre que la religiosité affecte positivement la sensibilité à la qualité du produit et négativement l’impulsivité. Les personnes plus religieuses seraient moins tolérantes au risque et par voie de conséquence rechercheraient davantage la qualité du produit.
19Enfin, l’évitement de l’incertitude est relié à l’innovativité, c’est-à-dire à la tendance à innover. D’après les résultats de Steenkamp et al. (1999), l’innovativité est plus forte dans les sociétés à faible évitement de l’incertitude. Il est donc logique que l’innovativité soit corrélée négativement à la religiosité, qui traduit un comportement plus conservateur et traditionnel, et que par ailleurs les musulmans soient plus innovateurs que les catholiques (Essoo et Dibb, 2004). Mais d’autres études conduisent à examiner cette question avec prudence. Certaines mettent en évidence un effet négatif du fatalisme sur l’innovativité (par exemple, Slowikowski et Jarratt, 1997) ou observent également des effets d’autres dimensions culturelles (comme l’individualisme) sur l’innovativité (Steenkamp et al., 1999).
5. Le rapport au monde
20La relation homme/nature est l’une des 5 orientations universelles identifiées par Kluckhohn et Strodtbeck (1961) et sur lesquelles repose la culture. Cette orientation reflète l’attitude à l’égard de l’homme et de son environnement : l’humain est-il considéré comme ayant la maîtrise sur la nature, comme étant en harmonie avec elle ou comme lui étant soumis ? La relation homme/nature enregistre de fortes variances selon les pays de culture chrétienne, le christianisme ne régissant pas ce type de relation. Même si la tendance va vers une plus forte sensibilité à l’environnement, la sensibilité à la nature et aux préoccupations environnementales est moins forte en France qu’en Allemagne (Mendel, 1991).
21Chez les musulmans, le rapport au monde s’inscrit davantage que chez les chrétiens dans une relation de soumission (les résultats de leurs actions dépendent de Dieu), ce qui induit un certain fatalisme (Usunier et Lee, 2005). Dans la perspective islamique, les hommes sont responsables de leur environnement. Tout ce qu’une personne possède appartient à Dieu (y compris son corps) et les individus doivent donc prendre soin d’eux-mêmes, de ce qu’ils possèdent et de leur environnement au sens large (Rice et Al-Mossawi, 2002). Le gaspillage est également condamné par le Coran. La santé et la protection de l’environnement apparaissent ainsi comme des valeurs importantes dans la perspective islamique, même si cela n’est pas toujours facile économiquement à mettre en œuvre.
6. L’orientation temporelle
22L’orientation temporelle est une autre des dimensions proposée par Kluckhohn et Strodtbeck (1961) dans leur analyse des orientations de valeurs selon les cultures. La culture est-elle orientée vers le passé, le présent ou l’avenir ? Hofstede et Bond (1988) ont également intégré l’orientation relative au temps, le dynamisme confucéen, comme cinquième dimension caractérisant la culture. Ils opposent l’orientation long terme à l’orientation court terme.
23Les cultures orientées vers le passé ont un attachement fort aux traditions et aux réalisations passées. Les cultures orientées vers le présent acceptent celui-ci tel qu’il est. Les cultures orientées vers le futur sont au contraire tournées vers des projets, et planifient sur le long terme, l’avenir étant inévitablement meilleur (Usunier et Lee, 2005) ; ils communiquent sur leurs dernières réalisations et leurs projets futurs. On citera parmi les cultures orientées vers l’avenir la culture nord-améri-caine. Les cultures occidentales nord-amé-ricaines et d’Europe de l’Ouest, croient par ailleurs contrôler leur temps (Usunier et Lee, 2005).
24Dans l’islam, Dieu déciderait du futur et les musulmans arabes auraient une vision du temps à relativement court terme (Usunier et Lee, 2005), bien que modernité et tradition ne soient pas nécessairement antinomiques. Selon Rice et Al-Mossawi (2002), l’orientation temporelle chez les musulmans arabes se reflète au travers d’un attachement marqué à l’égard des traditions et une fierté vis-à-vis de leurs accomplissements scientifiques et intellectuels passés.
7. Le rapport au travail, à l’argent et à la consommation
25La relation aux activités constitue la cinquième dimension universelle de Kluckhohn et Strodtbeck (1961). La religion affecte le matérialisme et le rapport à la consommation, le rapport au travail, à l’argent et au profit (Mendel, 1991). Dans la religion catholique, l’argent et le profit sont mal perçus mais pas la consommation; chez les protestants la situation est inverse, les dépenses sont considérées comme un signe de faible moralité mais pas l’accumulation de richesse acquise par le travail et la productivité; le comportement est plus économe et porté vers l’épargne (Weber, 1905). En ce qui concerne l’islam, Zainul et al., (2004) soulignent que le Coran encourage le travail, qui est même considéré comme un devoir. L’homme doit travailler pour son succès et son confort sur terre mais aussi pour sa vie future. Le profit en lui-même n’est pas condamné mais il ne doit être qu’un objectif secondaire qui passe après Dieu. De plus l’islam rejette l’obtention facile de quelque chose, sans labeur, ou l’obtention d’un profit non justifié par un travail effectif.
26Selon Rice et Al-Mossawi (2002), l’islam n’est pas une religion ascétique mais prône néanmoins une consommation équilibrée. Si le matérialisme instrumental (dans lequel les objets sont valorisés pour leur capacité à aider à accomplir des tâches) est accepté, ce n’est pas le cas du matérialisme terminal (dans lequel les objets sont valorisés pour eux-mêmes). La simplicité, le partage des richesses sont préférés à une consommation ostentatoire. Les musulmans seraient également relativement sensibles à l’épargne et aux économies. En ce sens, les musulmans sont plus proches des protestants que des catholiques dans leur rapport au travail et à l’argent. Les musulmans sont sensibles aux promotions prix « réelles », qui profitent au consommateur. Ainsi, Essoo et Dibb (2004) montrent que les musulmans mauriciens sont plus sensibles aux promotions et aux possibilités de crédit offertes par les magasins que les catholiques, eux-mêmes plus sensibles à ces promotions que les hindous. Examinons comment ces valeurs se déclinent en termes de pratiques commerciales dans l’islam.
II. – LE MIX MARKETING ET LES TRANSACTIONS COMMERCIALES DANS LE CADRE DE L’ISLAM
27Comme indiqué préalablement, l’islam ne reconnaît pas de séparation entre les dimensions temporelles et spirituelles, et les activités commerciales se situent donc au même niveau que toute forme du travail de Dieu (Ibadah). Le commerce est considéré comme une activité sociale utile, bénéfique à l’individu et à la société; il est perçu comme une source majeure de richesse et contribue au bien-être des musulmans (Zainul et al., 2004). L’islam a établi des règles relatives à la conduite des affaires, à la liberté de l’économie de marché et à la résolution de problèmes dans les échanges de marchandises, qui doivent reposer sur l’intérêt de l’individu et de la communauté, l’accent étant mis sur la maximisation de la valeur pour l’individu et la communauté et non sur le profit (Al-Buray, 2004). Des règles émanant du Coran et de la Sunna régissent les quatre éléments du mix.
DIMENSIONS CULTURELLES ET SPÉCIFICITÉS DE L’ISLAM
DIMENSIONS CULTURELLES ET SPÉCIFICITÉS DE L’ISLAM
28L’individu doit assumer quatre types de responsabilité responsabilité devant Dieu, responsabilité devant la société (préservation des droits du consommateur), responsabilité concernant le propre bien-être du commerçant ou producteur, responsabilité vis-à-vis de l’environnement (Saeed et al., 2001). Les activités commerciales doivent répondre au principe de justice qui implique la fiabilité, l’honnêteté, l’absence de tricherie ou de mensonge. Parmi les principes sur lesquels se fonde l’économie islamique, on trouve le principe de l’orientation administrative de l’activité économique qui repose sur la théorie de l’équilibre social que l’islam adopte à la fois comme méthode et comme objectif pour concrétiser la justice sociale.
29Il est important d’analyser la légalité des pratiques commerciales courantes, mais aussi de pratiques émergentes ou en croissance rapide comme celles du e-commerce, des innovations, des nouveaux moyens de paiement dans une perspective islamique. Le Coran fournit des principes et guides qui peuvent s’appliquer en fonctionnant par analogie (Zainul et al., 2004). En effet, le Coran met l’accent sur l’acquisition de savoir et les nouvelles technologies de façon générale et les NTIC en particulier représentent un savoir que les musulmans peuvent explorer et utiliser à des fins « bonnes ». Lorsque le statut de nouvelles technologies et/ou de nouvelles pratiques n’est pas clair, il convient de se référer aux quatre sources des enseignements fondamentaux : le Coran, la Sunna, la sagesse et le consensus des autorités religieuses. Le Coran abonde de références aux activités commerciales; une des quatre sections légales majeures traite des transactions dans les affaires (Fiqh al-Mu’amalat). La Sunna met l’accent sur un certain nombre de qualités dans le domaine du commerce, qui sont présentes dans le e-commerce : fiabilité, flexibilité, rapidité, commodité, standardisation des contrats, efficacité des coûts.
1. Communication
30Les rapports aux autres régissent la communication et l’information délivrée. L’islam met l’accent sur la liberté et l’indépendance des jugements, ce qui se traduit par l’interdiction de « manipuler » le consommateur et par le devoir pour le vendeur de fournir aux acheteurs toutes les informations relatives aux produits (Saeed et al., 2001). L’accès à l’information est un droit qui reflète le statut que l’on doit accorder à l’autre, le consommateur. Il faut donc rendre disponibles au consommateur toutes les informations utiles sur le produit ou le service. L’argent durement gagné par le consommateur ne doit pas être gaspillé. En cela, l’islam se différencie de l’approche marketing classique selon laquelle le producteur communique de façon sélective les informations utiles au consommateur, par l’intermédiaire de la publicité, de la promotion et des vendeurs, afin de l’amener aux préférences et à l’intention d’achat, et d’établir si possible des relations de long terme. La communication doit consister en une information complète, précise et vraie, permettant une prise de décision fondée sur la nature réelle du produit. Dans le domaine du e-commerce, la clarté de la communication et de la définition des produits (photos du produit, spécifications détaillées, prix, mode de livraison et de paiement) est tout particulièrement importante, étant donné le recours à l’ordinateur et aux réseaux.
31Les techniques consistant à surévaluer le produit, à donner de fausses impressions (sur le produit ou le prix) sont condamnées. L’exagération doit être évitée en publicité car elle est assimilée au mensonge, qu’il s’agisse d’une exagération par métaphore ou par embellissement de la réalité (Rice et Al-Mossawi, 2002). Une étude de Kavoossi et Franck (1990) montre d’ailleurs que les publicités dans le Golfe Persique utilisent moins l’exagération que dans les pays occidentaux (Rice et Al-Mossawi, 2002). Il convient de dévoiler toutes les informations concernant les défauts du produit, qui ne peuvent être vus en apparence. La communication promotionnelle n’est pas interdite, sous réserve que les informations communiquées soient vraies, et que les dépenses associées ne grèvent pas le prix au détriment du consommateur.
32La pudeur constitue un élément important dans l’islam. Le Coran fournit des guides sur la façon dont hommes et femmes doivent s’habiller et se comporter, mais les mentions du Coran à cet égard donnent lieu à des interprétations plus ou moins strictes (Rice et Al-Mossawi, 2002). Les publicités offensantes (produits prohibés, images dissolues) ne sont toutefois pas admissibles.
33Enfin, l’orientation temporelle, marquée par les traditions et une fierté historique des accomplissements scientifiques et intellectuels passés, permet de s’appuyer sur de tels éléments (et notamment sur ceux ayant trait à l’éducation et aux sciences) dans le domaine de la communication publicitaire.
34De façon plus précise, les règles gouvernant les publicités sont les suivantes (Hamzah, 1998): 1) le message doit être vrai, ne doit pas contenir d’information trompeuse, ne doit pas donner une date de livraison qui ne peut être honorée, ne doit pas faire croire à des remises ou cadeaux qui n’existent pas, ne doit pas mettre en avant des célébrités qui en réalité n’utilisent pas le produit, ne doit pas promettre de fausses offres; 2) la voix doit être adaptée à l’objectif et ne pas conduire à la décadence, doit éviter les pleurs, les lamentations; 3) les images ne doivent pas montrer des produits interdits, les parties privées du corps. Les images dissolues sont inacceptables. Il est également interdit d’utiliser des images stéréotypées de la femme, un langage suggestif, la femme comme objet sexuel.
2. Produit/service
35Le concept de produit doit être vu d’une manière large. Le processus de fabrication doit être guidé par le critère de valeur et par l’impact du produit sur la société. L’objectif premier du processus de production est de fournir des produits qui élèvent et satisfassent les besoins humains. Une approche sociétale, et non une approche reposant sur la maximisation du profit, est privilégiée. Les produits et services doivent donc prendre en considération la protection de l’environnement et la sécurité pour l’être humain.
36Le produit doit être fabriqué de manière acceptable et ne doit pas avoir de conséquences néfastes sur le monde. En ce sens, les principes de l’islam ne sont pas éloignés de ceux du développement durable.
CAS DE CAMPAGNES PROMOTIONNELLES CONTESTABLES
Dans les années 1990, NBCC (National Biscuit & Confectionery Company) en Arabie Saoudite a lancé une campagne promotionnelle pour les chips Champion, avec un emballage contenant un disque en plastique avec des succès musicaux. La campagne promotionnelle fut un succès commercial, mais elle peut être remise en question dans une perspective islamique : de nombreux parents se sont plaints, leurs enfants ayant demandé d’acheter le produit sans consommer les chips (que les parents ont dû jeter) à la seule fin de collectionner les disques; la seconde critique a porté sur le libre choix des consommateurs qui sont biaisés dans leur sélection du produit, le choix n’ayant pas été basé sur les qualités propres du produit; certains disques sont illustrés de photos ou d’images où l’on peut voir certaines représentations du corps, qui sont interdites; la promotion comporte de la musique interdite par l’islam; les enfants lancent parfois les disques et les utilisent comme jouets et cela est dangereux; certains enfants utilisent ces disques comme monnaie d’échange pour parier entre eux, ce qui est formellement interdit. Source : Al-Buraey (2004).
Promotion consistant en un tirage au sort permettant de gagner une voiture
Cela n’est pas permis car l’entreprise « réalise des profits pour elle-même en même temps qu’elle porte préjudice à d’autres ». Le tirage au sort « pousse les clients à se précipiter vers (le magasin concerné). Il se peut que dix mille ou vingt mille clients achètent le produit. Mais un seul gagne et les autres échouent. Ceux qui organisent ces jeuxconcours nuisent aux autres commerçants puisque tout le monde se précipite vers eux et délaissent les autres magasins, ce qui porte préjudice aux autres. » Source : Islam Q&A, site de réponses des autorités religieuses à des questions de musulmans (Question 10315). hhttp :// www. islamqa. com
37Le produit ne doit pas être nuisible (sur le plan mental ou physique) à l’individu et à la communauté comme cela pourrait être le cas pour les cigarettes, l’alcool, les jeux de hasard, les armes, les jeux dangereux pour les enfants, les livres dissolus. De façon générale, il doit être pur et propre à la consommation. L’innocuité des produits doit s’accompagner aussi de fiabilité. Cela se traduit par une préoccupation importante, soulignée dans le Coran, concernant la qualité du produit qu’il s’agisse de la qualité intrinsèque mais aussi d’éléments touchant à la santé, à l’hygiène physique ou morale. Le produit ne doit pas conduire à une nuisance publique ou à l’immoralité. L’emballage doit permettre au consommateur de connaître les spécifications et informations nécessaires à une prise de décision fondée sur la nature réelle du produit et être approprié au produit (sécurité, etc.).
38Les interdictions concernant les produits sont valables aussi pour les services associés ou les produits dérivés. En ce qui concerne les services, le fait que le gain résulte d’un dur travail conduit à prohiber la pratique de l’intérêt et un certain nombre seulement de modes de rémunération de produits/services bancaires sont autorisés comme par exemple la rémunération forfaitaire pour la gestion de portefeuille ou la rémunération associée aux frais de gestion bancaire, mais indépendamment du montant et de la durée du prêt.
39Pour ce qui concerne les consommateurs et le rapport au monde, le gaspillage est condamné par le Coran. Selon Rice et Al-Mossawi (2002), même si les pays musulmans, en raison de leur moindre niveau de développement économique, ont adopté des règlementations en faveur de l’environnement moins rapidement que les pays développés, les musulmans sont sensibles aux arguments en faveur de la protection de l’environnement. La mise en avant de produits naturels, respectueux de l’environnement, mais aussi éthiques semblerait ainsi être pertinente auprès des consommateurs musulmans.
3. Distribution, vente, négociation, gestion des contrats
Distribution
40L’islam interdit de vendre des produits qui ne sont pas totalement possédés par le vendeur.
41Le produit doit par ailleurs pouvoir être livré et la distribution ne doit pas pénaliser le consommateur en termes de coût et de délais.
42De plus, le transport ne doit pas avoir d’effet négatif sur la sécurité des individus et de l’environnement.
43Les règles à observer sont les suivantes :
- interdiction de transporter et stocker des produits non autorisés (volés, dangereux, etc.);
- interdiction de stockage visant au monopole.
INVESTISSEMENT DOUTEUX
VENTE AVEC MENSUALITÉS
Source : Fatwa de la Commission permanente pour les Recherches scientifiques et la Consultance publiés dans la revue ad-Daawa n° 1756, p. 43.
Vente
44La coercition qui consiste à faire faire quelque chose à quelqu’un sans son consentement est prohibée : le recours à certaines techniques promotionnelles s’ap-parente à des techniques coercitives. Sont aussi bannis certains artifices de vente visant à manipuler le consommateur en lui faisant croire indûment que le produit est une « bonne affaire ».
45L’islam interdit par ailleurs toutes les techniques de corruption (cadeaux, commissions, ristournes) pour gagner des contrats, protéger des intérêts, sécuriser des profits car cela peut compromettre la qualité des produits et services. Le principe de justice est particulièrement important. Il implique dans la vente et les transactions la fiabilité, l’honnêteté, l’absence de tricherie ou de mensonge.
46Les vendeurs doivent être sincères, honnêtes, tolérants. Ils ne doivent pas mentir ou cacher les défauts des produits/services qu’ils vendent.
47Le règlement par le consommateur doit être effectif. Si l’islam prohibe l’usure et l’intérêt, il autorise par contre la location-bail (ijarah), le crédit-bail (bay’mu’ajjal), l’achat-vente avec partage de risque (murabada), la vente à terme (bay’as-salam).
Négociation et gestion des contrats
48Le principe de maximisation de la valeur, qui repose sur le concept de justice, se décline dans le domaine du marketing et de la négociation en Fairplay ou Fair Deal (donner et prendre au mieux des intérêts des parties concernées) (Saed et al., 2001). On est plus dans une logique de négociation « représentative » c’est-à-dire où chacune des parties attribue autant d’importance aux intérêts du partenaire qu’à ses intérêts propres que dans une logique « distributive » où l’on privilégie son intérêt au détriment de celui de l’autre.
49La gestion des contrats doit répondre à des critères de légitimité des contrats. Les quatre piliers permettant de considérer qu’un contrat est légitime sont les suivants : l’offre et l’acceptation doivent être claires, confirmées par les deux parties; les deux parties, c’est-à-dire les cocontractants doivent avoir la capacité (âge, santé mentale) pour s’engager; l’objet de la vente doit être autorisé, en possession du vendeur, livrable; le mode d’expression doit être clair pour les deux parties.
50Il existe plusieurs types de contrats en ce qui concerne le paiement (Zainul et al., 2004):
- ordered sale: paiement effectué en totalité avant la livraison. Conditions à respecter : le produit doit être clairement spécifié, disponible sur le marché, et la date de livraison précisée ;
- manufacturing sale: fabrication faite sur commande et payée ensuite. Conditions à respecter : le produit doit être clairement spécifié, non disponible sur le marché, et la livraison non spécifiée ;
- deffered sale: accord des deux parties sur une vente avec paiement différé. Conditions à respecter : le produit doit exister, être en possession du vendeur, la vente est instantanée, le prix est déterminé.
51Les ventes par e-commerce par exemple peuvent s’inscrire dans chacun de ces trois contrats, après vérification préalable de l’existence réelle du vendeur, de sa qualité de propriétaire du produit, de l’existence effective de ce dernier.
52Quant à la régulation des échanges, bien que l’auto-régulation soit l’option préférée par l’islam, l’établissement d’institutions de régulation est cependant recommandé. Les charges incluent l’inspection et la standardisation des poids et mesures, la prévention de l’exploitation des employés, de la cruauté envers les animaux…
4. Prix, moyens de paiement
53En islam, l’argent ne possède que deux fonctions : un moyen d’échange, une unité de mesure. C’est à partir de la compréhension de cette notion d’argent en islam que l’on comprend mieux l’interdiction des différents crédits. L’islam interdit l’usure et les pratiques restreignant le commerce.
54Plusieurs principes doivent être pris en compte en ce qui concerne le prix (Niazi, 1991):
- Maisir: on ne peut pas obtenir trop facilement quelque chose, sans un dur labeur. On ne doit pas recevoir un profit non justifié par un travail ;
- Tatfif: on ne peut modifier la qualité ou la quantité d’un produit sans en modifier le prix ;
- Riba: on ne peut pas pratiquer la discrimination par les prix ;
- Ihtikar: on doit éviter le stockage visant à créer artificiellement la rareté du produit et à augmenter son prix.
55Le prix ne doit être préjudiciable ni au vendeur ni à l’acheteur. Les conditions essentielles d’ajustement des prix par autorégulation sont l’interdiction des monopoles et des ententes sur les prix, qui affectent l’individu et la société et entravent la libre concurrence. Il en est de même des pratiques de fixation de prix bas visant à l’élimination de la concurrence et du dumping, ou encore de stratégies du type « corner the market » c’est-à-dire de tentatives d’acheter le maximum de stocks disponibles pour manipuler le prix.
56L’islam est souple en matière de contrôle des marchés mais le contrôle des prix et des pratiques anticoncurrentielles ainsi que des concentrations peut être opéré si nécessaire. Les officiels islamiques peuvent même favoriser des ententes entre producteurs sous réserve que cela se traduise par des prix justes pour le consommateur et des profits raisonnables pour les producteurs.
57Enfin, si les promotions prix doivent être conçues avec prudence, elles peuvent néanmoins être autorisées si elles ont de réelles retombées positives pour le consommateur, et l’islam n’interdit pas les manipulations de prix pour répondre aux besoins du marché.
58Mais ces principes qui influencent en profondeur les pratiques marketing des musulmans ne doivent pas masquer les changements profonds avec le passage de la tradition à la modernité qui affectent les principaux acteurs du système marketing : consommateurs islamiques, concurrence et acteurs sur le marché.
III. – DES TENDANCES FORTES DANS L’ISLAM : DE LATRADITION À LAMODERNITÉ
59Les principes et enseignements applicables au marketing ne doivent pas masquer la complexité du marché musulman marqué par l’importance de l’interprétation et de l’autorisation des produits et techniques, le poids plus ou moins dominant de l’islam dans les pays concernés, les degrés divers de religiosité, la confrontation aux phénomènes d’intensification de la concurrence, celle-ci étant attisée par l’importance du marché, la mondialisation, et cela qu’il s’agisse des entreprises musulmanes ou occidentales.
PRIX ET MOYENS DE PAIEMENT
Les promotions doivent réellement correspondre à des baisses de prix. Ainsi, Rice et Al-Mossawi (2002) citent l’exemple d’une campagne de Coca-Cola en Iran ayant eu des conséquences inverses à celles escomptées, la promotion ayant soulevé la question des gains réalisés par l’entreprise en période non promotionnelle.
Cas des cartes de crédit
Globalement, la carte de crédit est licite quand elle correspond à un paiement cash comme dans le cas des cartes de crédit du réseau saoudien, quand elle devient un instrument de paiement incontournable est utilisée sous la contrainte de nécessité (en particulier dans certains pays industrialisés). Ce sera par exemple le cas lorsqu’il faudra l’utiliser comme caution pour louer un véhicule. Dans une telle situation, l’utilisation est tolérée car sa non-utilisation entraîne une gêne certaine et le risque de retard de paiement et de prélèvement d’intérêt à ce titre est très faible (Islam Q&A, ibid., question 3402). La carte de crédit constitue désormais une pratique courante en Turquie ; elle est autorisée depuis 2003 au Bahreïn. Il est donc important de regarder le contexte, les adaptations, et les enseignements dans chaque situation.
En ce qui concerne le e-commerce, le mode de règlement habituel est la carte de crédit
Celles-ci sont théoriquement interdites car elles impliquent des intérêts en cas de non paiement intégral. Une alternative possible est le paiement à travers la banque ou une institution financière avec des systèmes type Paypal. À réception du produit l’acheteur doit valider et confirmer la conformité du produit.
60On voit ainsi coexister des formes traditionnelles de l’islam et des pratiques marketing associées à des formes plus modernes, incarnées par les aspirations de nouvelles bourgeoisies dans les pays musulmans ou d’une jeunesse islamique européenne, qui ont de nouveaux systèmes de valeurs.
1. Religiosité, tradition et modernité : des tendances sociologiques fortes
61La religiosité est souvent synonyme de tradition. Les croyants les plus traditionnels appliqueront les enseignements à la lettre de la façon la plus scrupuleuse possible. Cela n’est néanmoins pas incompatible avec l’efficacité managériale. C’est le cas par exemple en Turquie dans la ville de Kayseri, ville pilote des islamistes turcs et fleuron économique de la Turquie qui contribue pour un milliard de dollars aux exportations du pays et dont les patrons des entreprises appliquent à la lettre les préceptes de l’islam. Au titre de la zakat – un des cinq préceptes du Coran, ils reversent un quarantième de leur fortune pour construire des écoles religieuses, financer des universités et aider les plus nécessiteux (L’Expansion, 2004).
62Mais les valeurs associant tradition et modernité voient émerger de nouveaux modèles comme c’est le cas pour les nouvelles bourgeoisies des pays musulmans ou pour les jeunesses islamiques européennes, au sein desquelles on voit apparaître l’intégration de valeurs, reliées à l’islam et à l’Occident. Il s’agit d’intégration au sens de Berry (1980) et non d’assimilation ou de séparation. L’éthique et les rapports aux autres, les rapports à la consommation et à l’argent évoluent. On voit apparaître d’une part l’intégration du religieux et de l’économique, et d’autre part une certaine sécularisation de l’islam par l’éthique; dans les deux cas, il s’agit de la recherche d’un certain désenclavement de l’islam par rapport à la tradition.
Les nouvelles bourgeoisies des pays musulmans : l’interaction entre le marché et la religion
63Les nouvelles bourgeoisies des pays musulmans que ce soit au Moyen Orient ou en Asie, renvoient dos à dos bureaucraties postcoloniales et organisations disciplinaires islamistes. Haenni (2005) parle de l’émergence de l’« Islam de marché » c’est-à-dire d’un nouveau système de valeurs qui se met en place autour de trois éléments : l’ouverture à la culture de marché (qui appelle à la réalisation de soi et distille une éthique de battant dans les consciences religieuses), la rigueur morale et, enfin la méfiance, voire l’hostilité, à l’égard de l’État-providence. Il ne s’agit pas d’un courant constitué mais plutôt d’une synthèse idéologique en cours de formation dans l’islam contemporain. On passe d’une instrumentalisation politique de l’islam à une interaction entre le religieux et le champ économique.
64L’islam de marché représente l’entrée de la consommation dans l’islam, d’une offre religieuse conforme aux canons du marketing moderne. Cela touche, comme le rappelle Haenni (2005) en particulier les produits culturels et éducatifs, le software, l’édition (livres, musique, cassettes de prêche, etc.), le prêt-à-porter, le streetwear. L’islam même devient une griffe à destination de consommateurs. C’est ainsi qu’en Turquie comme en Égypte, le foulard devient un produit de consommation, alors qu’il n’était auparavant qu’un signal de statut religieux ou militant; des groupes musicaux, anciennement djihadistes, sont gagnés par les sonorités du rap et du new age. Les marques du street-wear islamique utilisent des chiffres symboliques (« 610 », date de la révélation coranique), ou des abréviations sans les décliner (« MBN » pour Muslim by Nature). Avec le marché, l’islam se repositionne dans le monde, et les produits islamiques élargissent leur clientèle en touchant les non-musulmans.
La nouvelle jeunesse islamique en Europe : une sécularisation par l’éthique
65De même, en Europe, apparaît une nouvelle jeunesse islamique. Cette dernière ne se reconnaît plus dans un islam à part, culturellement inintégrable. Elle est à la recherche de valeurs qu’elle peut partager avec d’autres, d’une nouvelle éthique, tout en rejetant les valeurs d’abnégation des anciens.
66Pour Boubekeur (2006) ces nouvelles élites islamiques ne se basent plus exclusivement sur le religieux dans leur discours et ont pour objectif de séculariser une présence éthique de l’islam en Europe; c’est une nouvelle manière d’aborder les problèmes des musulmans. Il s’agit, par l’éthique, de s’appuyer sur des valeurs communes qui dépassent le cadre strict de la religion, ce qui permet d’atteindre des musulmans non réislamisés ou désengagés, voire des non musulmans. Ainsi, des causes classiques comme le port du voile ou l’occupation de la Palestine peuvent être discutées, partagées, défendues aux côtés d’altermondialistes, ou de tout groupe préoccupé par les droits des minorités. Dans ce contexte, la question postcoloniale est de plus en plus importante dans leur discours. Cette demande de reconnaissance de l’apport des étrangers à l’Europe les réconcilie par ailleurs avec leurs parents tout en leur permettant de dépasser les frontières du groupe islamique. On peut parler globalement « d’un comportement éthi-islamique qui permet un engagement consensuel en termes de bien commun (celui d’aller vers le meilleur monde possible). »
67Par ailleurs, ces nouvelles élites intègrent les valeurs de compétitivité, elles perçoivent les valeurs anciennes d’abnégation et de bénévolat comme inefficaces. Les jeunes musulmans engagés n’hésitent pas à poursuivre des études de finance, ont un comportement « professionnel », et « packagent » en produits compétitifs (sweat-shirt, sodas, multimédias, produits bancaires, etc.) ce que l’islam peut proposer. Ils utilisent les nouvelles technologies dans leurs actions (mobiles, SMS, etc.) et sont sensibles aux marques de vêtements dites « éthiques » et islamiques, comme Himaya en Belgique qui désigne ses vêtements comme « éthiques, pour les musulmans et autres mouvements amis », ou bien encore comme Mecca Cola : « une boisson pas comme les autres, au service des autres, ne buvez plus idiot, buvez engagé ! ».
2. Innovation, marques et gammes de produits
68Dans ce contexte, l’innovation et les marques acquièrent une importance toujours plus grande, et les gammes de produits s’étendent pour répondre aux besoins religieux comme séculiers.
L’innovation et les marques
69Tout ce qui contribue à améliorer le savoir est positif. Quant à l’innovation, c’est-à-dire à ce qui n’existait pas du temps du Messager, elle est divisée « en celle qui est obligatoire (wâjiba), interdite (muharrama), recommandée (mandûba), déconseillée (makrûha) ou indifférente (mubâha) », à la lumière des règles de la Loi (qawâ’id al-sharî’a), selon l’Imâm al Nawawi (2005).
70Les innovations sont nombreuses dans le domaine des produits destinés aux musulmans. Mais le processus de développement de l’innovation, comme par exemple dans le cas des produits bancaires, dure généralement plus longtemps que le processus conventionnel car il faut y ajouter le délai nécessaire à la validation du produit par les spécialistes de la chari’a, plus ou moins long selon le degré de complexité du produit en question.
71Certaines validations ne posent aucun problème comme celle des montres électroniques avec un calculateur automatique des horaires de prière et une boussole pour déterminer l’orientation de la Mecque. Nombreuses sont les innovations associées à la religion, comme celles sur les produits halal : détergents halal en Malaisie pour éviter tout contact même infime de gélatine avec la peau, cola halal pour éviter un taux d’alcoolémie éventuel de 0,05 % suite à la fermentation. Ainsi, Nestlé en Malaisie est certifié à 100 % halal. Même les camions qui transportent les produits sont halal. On trouve désormais des plats de la culture européenne sous le label halal (moussaka, hachis Parmentier, lasagnes), des produits frais et surgelés halal, des soupes déshydratées halal. Au-delà des produits religieux, on mentionnera nombre d’innovations portant sur des produits technologiques ainsi que des produits avec des marques et/ou des fabricants musulmans. On peut parler en particulier en Europe d’un « Islamic way of life » (Gole, 2002), avec les marques qui revêtent une grande importance.
L’ISLAMIC WAY OF LIFE
Quant aux slogans, ils « énoncent la modernité islamique en se séparant des anciennes formules islamistes holistes. On parle désormais d’engagement et d’éthique sur un mode plus individualisé. Si le nom des objets reste profondément islamique (Muslim up, Mecca Cola, Moudjahidine ou Razanne dont le nom signifie « Islamic beauty and modesty » et que les petites filles peuvent choisir entre la peau « blanche (caucasienne) », « noire (africaine) », « hâlée (Asie du sud) » ou « standard »), les slogans renvoient à un engagement éthique et solidaire, à une valorisation du sujet et de son action par une consommation individuelle, plus qu’à une appartenance à l’islam passive ». Source : extraits De Boubekeur (2005).
Les gammes de produits
72On assiste, pour tenir compte de la diversité culturelle de la « communauté des croyants », à un élargissement des gammes de produits, ceux-ci étant destinés à répondre à tous les goûts, des plus traditionnels aux plus modernes. Cette extension des gammes de produits se retrouve à travers l’élargissement des modes de distribution, la distribution de produits halal par les commerçants musulmans étant privilégiée par les croyants traditionnels, les autres n’hésitant pas à acheter ces produits halal dans la grande distribution où ils sont présents pour certains depuis une dizaine d’années comme cela est le cas chez Carrefour par exemple.
3. L’intensification de la concurrence
73Depuis une dizaine d’années, le marché de produits s’adressant à une population musulmane a vu sa croissance s’accélérer et la concurrence s’intensifier, qu’il s’agisse d’entreprises musulmanes ou européennes. Ainsi, l’on estime que la finance islamique dont le marché est environ de 400 milliards de dollars, progresse de quelques 15 pour cent par an, ce qui représentera dans cinq ans un volume situé entre 500 et 750milliards de dollars. Dans le domaine de l’alimentation halal certaines sociétés sont milliardaires en dollars comme par exemple Américana, dans le domaine des volailles, basée en Égypte.
74La concurrence ne cesse de s’intensifier entre entreprises musulmanes mais le secteur voit aussi l’apparition de nouveaux entrants occidentaux. Mais il existe aussi un certain nombre de freins naturels et de barrières à l’entrée.
La concurrence entre entreprises musulmanes
75La concurrence entre entreprises musulmanes s’intensifie et se traduit par la puissance accrue des entreprises et des marques, qui touche tous les secteurs. Les entreprises et marques musulmanes montent en puissance dans tous les secteurs. On citera ainsi les banques islamiques déjà mentionnées, des chaînes de télévision comme Al-Jazira chaîne d’information en continu lancée par l’émir du Qatar en 1996, avec 35 millions de téléspectateurs au Moyen-Orient et près d’une quinzaine de millions dans le reste du monde, qui sera bientôt cotée en Bourse, des compagnies aériennes comme Emirates (plus de 10 millions de passagers transportés), des conglomérats comme Sabanci en Turquie (Tourisme, chimie, textile, ciment.) avec un chiffre d’affaires de plus de 7 milliards d’euros, et beaucoup d’autres entreprises qui opèrent mondialement.
76Dans le domaine des produits halal et en particulier de l’alimentation, la concurrence est particulièrement forte. Le marché est estimé à 150 milliards de dollars dans le monde et 15 milliards d’euros en Europe. Le numéro un de la viande halal est indien, Alianazans, mais le plus grand pays exportateur est le Brésil qui envoie ses produits vers l’Algérie, le Maroc, le Moyen-Orient. Le Brésil compte de grands abattoirs halal qui vont jusqu’à 120000 bœufs abattus par jour, et une grande agence de certification à San Paolo, Sibal, avec des musulmans marocains [3].
77Derrière tout cela, la vraie question en termes d’avantage concurrentiel est celle de la qualité de la certification halal, de la confiance qu’on peut lui accorder. Il y a des réputations plus ou moins bonnes. La Belgique ou la Hollande, par exemple, ont une mauvaise réputation. Il y a des différences d’interprétations sur le mode d’abattage comme l’électronarcose. C’est un débat complexe. Les musulmans traditionnels sont très sensibles à la question de la qualité et fiabilité de la certification.
78La concurrence se déplace aussi vers la clientèle non musulmane. C’est le cas des banques islamiques dont une partie croissante de la clientèle est non musulmane, attirée par leurs produits innovants et par leur fiabilité. C’est aussi le cas d’autres sociétés de services dans les domaines télévisuels, du transport aérien, du tourisme, ou d’entreprises dans le domaine vestimentaire, l’islam devenant une « marque ». C’est, enfin, le cas, ce qui est nouveau, de l’alimentation halal. Une entreprise de vente de poulets, dont tous les produits sont halal en vend la majeure partie à une clientèle non musulmane sans mentionner le label halal, ces derniers ne recherchant pas des produits halal mais une certaine qualité. Une viande halal se conserverait 3 à 4 jours de plus qu’une viande non halal.
De nouveaux entrants non musulmans
79Les entreprises musulmanes ont longtemps bénéficié de leurs caractéristiques communautaires : clientèle fidèle et d’une certaine façon captive car n’allant pas ou peu vers les entreprises occidentales; magasins spécialisés, sites Internet islamiques, stands marchands lors des conférences religieuses, etc.; dans les pays islamiques, relativement faible présence d’entreprises occidentales pour desservir les besoins de la population. Ce n’est plus le cas, et l’entrée d’entreprises non musulmanes sur le marché islamique touche de nombreux secteurs.
80Dans le domaine bancaire, on peut prendre parmi bien d’autres exemples, celui du Crédit Suisse [4] dont la stratégie est de poursuivre son expansion auprès d’une clientèle musulmane. Le Credit Suisse a mis sur pied une équipe exclusivement dédiée à ce secteur. Il respecte l’esprit et la lettre du Coran avec son propre conseil de la charia où siègent trois éminents savants. De son côté, la grande distribution avec Carrefour, Auchan, Cora, Leclerc, Casino en France, a investi le marché des produits islamiques. Ce phénomène a pris de l’ampleur. Ainsi, le recueil des Quarante hadiths de An Nawawi s’est placé parmi les meilleures ventes de livres en France et l’éditeur Al Bouraq a vendu en grande distribution, principalement chez Carrefour 200000 livres pendant le Ramadan. C’est encore la société Sectal, productrice de pâtisserie orientale qui en a commercialisé 40 tonnes pour le seul mois du Ramadan (au lieu de 10 sur le reste de l’année) par l’intermédiaire de Carrefour avec qui elle travaille depuis 10 ans. Globalement, on trouve tous les produits alimentaires musulmans dans les grandes surfaces. Ce qui entrait au départ dans le marketing ethnique est devenu un vaste marché (Bahri, 2006).
81Trois bémols doivent être apportés à ce phénomène : une certaine frilosité commerciale des grandes surfaces, la question de la certification, et le caractère non musulman des grandes surfaces. La grande distribution occidentale préfère souvent encore jouer sur l’image ethnique des produits et n’assume pas toujours commercialement la dimension religieuse, c’est-à-dire halal des produits. On lance des opérations Saveurs d’Orient à prix gourmands chez Carrefour, on parle de Délices du Maghreb. Les grandes surfaces hésitent à communiquer massivement auprès du marché musulman, de crainte de perdre une partie de leur clientèle pour en gagner une autre. Une certaine peur du communautarisme et des préjugés domine souvent les stratégies et pratiques commerciales des grandes surfaces. La communication se fait largement par le bouche à oreille. Le marché alimentaire musulman est un marché très sensible, fébrile, marqué par des controverses. Une des controverses repose sur la fiabilité et la qualité de la certification halal des produits vendus en grande surface remise en cause par un certain nombre de « croyants », ce qui pose aussi le problème de la traçabilité, de la confiance et de l’authentification, si importante en islam. Une autre controverse porte sur le fait d’acheter des produits halal chez des distributeurs non musulmans et qui ne participent pas à l’aumône des croyants; il s’agit de la proximité culturelle et religieuse avec le distributeur, de son rapport à l’autre.
82De fait, ce sera l’exigence du consommateur qui primera in fine.
Les barrières à l’entrée (Malaisie) et la bataille de la certification
83Ces éléments mentionnés en grande distribution constituent des barrières à l’entrée qui portent sur la confiance et la multiplicité des produits certifiés. Le cas de la Malaisie, pays multiculturel et multiconfessionnel, est intéressant car on y voit comment peut se mettre en place une stratégie de barrière à l’entrée. En Malaisie, tous les produits, même les plus anodins seront halal (dentifrice, hôtels, camions halal). Certains s’interrogent sur la part de la religion et de la stratégie. Où s’arrête l’organisation du culte et où commencent les affaires ?
84Pour certains, il s’agit d’une manière pour les malaisiens de protéger leur marché. La Malaisie a mesuré l’ampleur du marché musulman, à savoir plus d’un milliard de consommateurs, et a des visées économiques très ambitieuses. La Malaisie sub-ventionne des entreprises, essaie d’exporter Jakim, leur certification, pour prendre des parts de marché, et est présente dans des salons comme le salon du halal du World Food Market.
85Le débat sur la certification est extrêmement complexe et est devenu très important. Comment arriver à rassembler la Malaisie, et les instituts de certification d’Australie, de Thaïlande, d’Angleterre, du Brésil, d’Espagne, et parvenir à des consensus ? Le marché du halal est un sujet très sensible et la question de la certification comparable aux batailles sur les normes dans d’autres domaines. Arriver à imposer ou à faire reconnaître universellement un standard représenterait un avantage compétitif considérable dans le cadre d’une concurrence mondiale.
4. La mondialisation
86L’islam et les valeurs qui y sont associées sont clairement influencés par la mondialisation, par la recherche pour certaines jeunes générations d’une identité propre, d’un modèle intégrant des valeurs propres à leur religion et une certaine modernité, et aussi d’un modèle de développement propre.
87Mais une bonne compréhension des facteurs de succès en marketing passe par la prise de conscience de la sensibilité de nombre de pays islamiques au phénomène de mondialisation et aux valeurs des entreprises.
Le rejet d’une certaine mondialisation
88Ce rejet de la mondialisation est bien illustré par les propos de Mahatir Mohammed (1996), Premier ministre malaisien de 1981 à 2004, et penseur islamique, lors d’une conférence délivrée le 24 juillet 1996 : « Le monde soumis aux diktats de la mondialisation, n’en sera pas plus équitable et plus juste. Il sera mis sous la coupe des puissances hégémonistes. Si la fin de la guerre froide a causé la décimation de populations entières, la mondialisation pourrait avoir les mêmes retombées ou donner lieu à une situation encore plus dramatique. Dans un monde qui subit les lois de la mondialisation, les pays riches domineront les autres nations qui revivront un drame similaire à celui de la colonisation entreprise naguère par les puissances dominantes. »
89Ce point de vue correspond aux éléments précédemment indiqués sur l’orientation temporelle et la fierté par rapport aux réalisations intellectuelles et scientifiques passées. Cela est en résonance avec la position des nouvelles jeunes élites musulmanes et leur sensibilité postcoloniale. C’est aussi ce que pensent des intellectuels comme Abdel Ilah Belakziz (1998) qui prônent, au lieu de la mondialisation, l’interculturalité, c’est-à-dire « l’interaction réciproque entre les différentes cultures et la reconnaissance mutuelle du droit à la différence qui constitue un des droits les plus sacrés de l’homme. » (p. 98).
90De fait, ces discours correspondent aux analyses de Berry (1980,2001) sur l’acculturation, la confrontation de valeurs et leurs implications en marketing (Boutin et Gaston-Breton, 2006), les stratégies d’intégration des valeurs s’avérant plus pertinentes que les stratégies d’assimilation propres à la mondialisation. C’est la même analyse qui est menée par certains chercheurs américains (Ganz, 1997) critiquant la politique des trois « A » (acculturation, assimilation, américanisation) ainsi que des chercheurs en marketing comme C. Dussart (2006) qui soulignent l’urgence de passer à trois nouveaux « A » : adaptation, acceptation, action.
Certaines qualités nécessaires aux entreprises occidentales en pays musulmans
91Nombreuses sont les entreprises occidentales en pays musulmans ou s’adressant à une clientèle musulmane. Dans le domaine de la production, les cas ou projets sont légion : contrats négociés par Total en Irak et en Iran, site de production de la Logan en Iran, chantiers de Bouygues en Arabie Saoudite. Qu’il s’agisse de négociations dans le cas du B-to-B ou d’implantations dans le cas de la grande consommation, un certain nombre de valeurs sont requises comme le montrent les exemples de Danone et de Veolia, dont les activités reposent sur des métiers de proximité.
92Le groupe Danone réalise plus de 600 millions d’euros de chiffre d’affaires et emploie plus de 5000 personnes au Maghreb, en Turquie et en Arabie Saoudite (sans compter l’implantation en Asie dans des régions musulmanes comme le Pakistan ou partiellement musulmanes comme la Malaisie). Pour le vice-président chargé de la zone, un des facteurs de son succès est l’association à un partenaire local qui lui apporte la connaissance de la culture et des pratiques des affaires locales (L’Expansion, 2004). Le groupe se comporte comme un acteur régional, avec une image de marque française et des produits qui se dégustent et se nomment différemment en Turquie, en Arabie Saoudite ou au Maroc, mais sont principalement distribués par des petites épiceries locales. Ouverture, proximité sont des valeurs de succès importantes.
93Le cas de Veolia est encore plus parlant. En décrochant les marchés pour les services d’eau, d’assainissement et d’électricité dans les villes de Tanger et de Rabat, au Maroc, Veolia a dû s’engager contractuellement à étendre les réseaux dans les quartiers les plus défavorisés. Ces nouveaux clients paient sur plusieurs années leur accès au réseau et le taux de recouvrement est supérieur à celui de la France.
94Les négociations avec les autorités peuvent être très longues pour décrocher un contrat. À Abou Dhabi, elles ont duré cinq ans, et plusieurs années à Alexandrie en Égypte. Patience, persévérance, et surtout respect de la culture locale sont indispensables. Il faut éviter de passer pour le représentant d’un pays riche qui donne des leçons à un pays émergent.
95Ces valeurs sont en phase avec les vertus d’humilité, de solidarité, d’entraide de la culture islamique, et évitent d’exacerber les susceptibilités et réticences face à la mondialisation.
CONCLUSION
96Il faut se garder de tout simplisme dans un examen des relations entre marketing et islam. Des caractéristiques fortes ressortent de la spécificité de l’islam, avec un commerce étroitement intégré à la religion, un accent mis sur la maximisation de la valeur plus que sur la maximisation des profits, une grande importance accordée aux relations aux autres et au respect de leur libre arbitre, le tout accompagné d’autorisations et de restrictions et d’interdits parfois très contraignants. Mais la place à l’interprétation et à l’arbitrage par les autorités religieuses reste grande, en particulier en cas de nécessité pour le croyant confronté à des situations et à un environnement qui ne lui laisse que peu de choix.
97C’est dans ce cadre qu’il convient d’éviter le simplisme. Les conditions environnementales étant celles des pays dans lesquels les musulmans résident, qu’il s’agisse de pays islamiques ou non. La confrontation à d’autres cultures et à la réalité de la concurrence internationale fait partie de ces contraintes.
98Il s’ensuit des évolutions importantes de valeurs, en particulier des nouvelles élites, des entrepreneurs, et de certains consommateurs musulmans. On entre plus dans une logique d’interculturalité, que ce soit de la part des musulmans ou de celle des entreprises qui s’adressent à eux.
99De façon globale, il est par ailleurs intéressant de constater que des évolutions profondes du marketing dans les pays occidentaux reposant sur les concepts de développement durable, de confiance, de traçabilité, de qualité et de sécurité (Pras, 1999) sont particulièrement en phase, en tout cas dans leur essence (peut être plus que dans leur mode d’application) avec les valeurs de la société musulmane.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Le relativisme s’appuie alors sur une certitude universelle, et porte sur les modes d’applications, c’est-à-dire sur un savoir second. Rappelons que dans l’islam l’idéalisme ou universalisme repose sur le Coran qui représente une parole d’absolu et donne des principes directeurs dans toutes les sphères de l’activité humaine. La Sunna (composée de Hâdiths, ou propos, actes, situations approuvés par le prophète ou ses compagnons), quant à elle, éclaire les croyants sur les manières de pratiquer la religion, sur des problèmes de droits, de commerce, sur des détails concernant la vie publique ou privée des individus. Elle diffère partiellement entre les sunnites et les chiites et les Hâdiths sont plus ou moins « reconnus » selon leur provenance. Le Coran et la Sunna constituent la chari’a. Le relativisme concerne le Fiqh (jurisprudence), c’est-à-dire le travail d’adaptation mené par les juristes ou savants par le biais de l’Ijtihâd (ou activité de réflexion). Les savants doivent répondre aux questions qui leur sont posées en tenant compte des réalités sociales, économiques, politiques de leur lieu de vie et de leur époque.
-
[2]
De nombreux travaux font état de ce phénomène apparu dans les années 1990, et qui prend de l’ampleur internationalement. Le premier congrès international sur le féminisme musulman s’est tenu à Barcelone en 2005 sous l’égide de l’Unesco.
-
[3]
Sur le marché des produits halal et des stratégies, on pourra se reporter, entre autres, à l’entretien avec Antoine Bonnel, organisateur du salon halal (Halal : C’est au consommateur d’être arbitre, hhttp :// www. saphirnews. com/Halal-C-est-au-consommateur-musulman-d-etre-arbitre-_a3681.html, 20/6/06) ou à celui avec Florence Bergeaud-Blacker, sociologue (Consommation halal : un des marchés les plus prometteurs du monde, hhttp :// www. saphirnews. com/Consommation-halal-un-des-marches-les-plus-prometteurs-du-monde-_a3421.html, 01/06/2006).
-
[4]
Source : Crédit Suisse emagazine, voir http ://emagazine.credit-suisse.com