Couverture de RFG_162

Article de revue

Double discours et « patriotisme économique »

Pages 7 à 8

1Le printemps arrivant, on a assisté de par le monde à un ballet des fusions ou acquisitions. C’est ainsi qu’ont été envisagés successivement voire simultanément les rapprochements de géants comme Nasdaq, la Bourse américaine de valeurs technologiques et du London Stock Exchange, du groupe pharmaceutique allemand Merck et de Sheruq, de Natexis-Ixis, ou d’E.ON-Endesa, de Old Mutual-Shandia sans oublier évidemment, en France, la fusion annoncée de Suez et de Gaz de France et de l’OPA lancée en janvier de Mittal Steel sur Arcelor. Tout cela a dopé des marchés financiers très attentifs à tous ces mouvements et a suscité de la part des politiques et de l’opinion certains mouvements d’inquiétude. C’est dans ce contexte que l’on a vu apparaître la notion de ce « patriotisme économique ». Partisans et opposants à ce mot d’ordre ont multiplié les déclarations « Dans la mondialisation le patriotisme est une nécessité, sinon il n’y a plus de repères. » proclame Jean-Louis Debré. À quoi a répondu le député Hervé Navelli « la mondialisation, c’est la capacité à se projeter à l’extérieur, non pas à se protéger ». Mario Manti, ancien commissaire européen à la concurrence a ajouté « Il faut se demander si les intérêts de l’économie nationale, au sens large, c’est-à-dire aussi l’intérêt des consommateurs, la création d’emplois à long terme, la compétitivité du pays sont toujours les mieux protégés par la défense de la propriété nationale des entreprises. »

2Plusieurs points doivent être pris en compte dans ce débat.

3La notion de « patriotisme économique » a-t-elle un sens dans une économie ouverte ou tout au moins dans une économie européenne où les fusions entre les sociétés des différents pays membres de l’Union ont été les plus fortes en 2005 depuis 1999-2000 ? Pourquoi une fusion entre deux sociétés françaises est-elle préférable à une prise de participation dans une entreprise française par une société italienne ou par une société allemande ? En fait, le « patriotisme économique », recouvre la notion de protectionnisme. Les gouvernements français et les syndicats jugent que c’est encore la meilleure arme pour développer des pôles de croissance et contenir le chômage. Il faut mobiliser les réflexes nationaux surtout dans des domaines comme l’énergie, les nouvelles technologies, et les services à haute valeur ajoutée.

4Tout cela est compréhensible de la part d’un gouvernement qui cherche à relancer l’emploi et à empêcher les entreprises de se délocaliser. Là où les choses se compliquent c’est lorsque les gouvernements pratiquent un double discours. La circulation des biens, des services et des capitaux à travers l’Europe voire de par le monde, peut être bénéfique lorsqu’elle sert nos intérêts. On comprend alors que les entreprises françaises puissent obtenir des bénéfices dans le monde entier, quitte à ce que ceux-ci soient réinvestis sur le territoire national.

5On doit noter que les groupes du CAC 40 de la Bourse de Paris ont dégagé un profit net de 80 milliards d’euros soit une hausse de plus de 20 % en un an. C’est dans les pays étrangers, notamment dans le sud que ces groupes ont vu leur chiffre d’affaires progresser de 10 % en moyenne et leurs profits de 20 %. Total pour ne parler que de cette compagnie a réalisé 95 % de ses bénéfices à l’étranger.

6En même temps que l’on proclame ces résultats, on cherche à restreindre le plus possible l’application en droit français des directives européennes sur les OPAétablies par Bruxelles pour limiter les effets des manœuvres de défense des gouvernements et des entreprises. La France risque de donner un mauvais exemple qui sera suivi par ses partenaires.

7Tout laisse à penser que l’on va voir se multiplier les offres hostiles dans les mois qui viennent, que le gouvernement le veuille ou pas. La course à la taille critique, des taux d’intérêt favorables, le manque de visibilité de la stratégie de certaines entreprises, l’appât du gain des fonds d’investissement, la sous-capitalisation de certaines entreprises, autant de facteurs qui vont les favoriser. Cela est d’autant plus vrai que le développement externe est de loin privilégié aujourd’hui par les entreprises. Vu la léthargie de l’économie, pour la plupart des sociétés françaises qui connaissent des marges faibles, il n’y a de croissance qu’en externe. Enfin, l’engouement pour les fusions et acquisitions pose un problème, celui de l’objectivité des marchés financiers. On sait que les Bourses constituent un des lieux du financement des entreprises qui doit s’effectuer en fonction des variations de certains fondamentaux. Or on constate que lorsqu’il y a une OPA la valeur de l’entreprise peut changer brutalement en fonction du montant de l’offre et non pas en fonction de ce qu’elle produit. Ces sauts quantitatifs doivent rendre perplexes les analystes financiers et les professeurs de finance.


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