Notes
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[1]
Mes remerciements vont à A. Lempereur pour m’avoir donné l’opportunité d’écrire cet article, à A. Perrinjaquet pour son assistance dans le traitement de données ainsi qu’aux assistant(e)s qui m’ont aidé lors des cours de négociation à l’université de Lausanne (école des HEC), V. Velo, D. Viña et S. Faulk.
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[2]
Par recherche, on n’entend pas les publications ni la recherche personnelle de l’instructeur, mais l’ensemble du corpus de recherche dans le domaine. Se fonder uniquement sur ses propres pistes de recherche est égocentrique, illusoire, et dangereux, à moins d’avoir une liste de publications exceptionnelle.
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[3]
J’utilise à dessein le mot « instructeur », instructor, qui est utilisé par la pédagogie américaine.
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[4]
L’ensemble des jeux sont disponibles sur un CD-Rom pour la somme de 20 dollars. Certains exercices comme Comparative Advertising (un dilemme du prisonnier contextualisé) ou Data Printer (négociation autour d’un litige commercial) sont dans le domaine public. Pour la plupart, il faut compter 3,50 dollars lors de l’utilisation du jeu en salle de cours. Certains jeux sont disponibles en français ou en espagnol. drrc@ kellogg. northwestern. edu
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[5]
Les jeux décrits dans cet article sont disponibles sur http :// www. hec. unil. ch/ jusunier/ teaching/ index. htm
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[6]
Pour l’animation du jeu de Kelley (1966), les étudiants sont regroupés par paires; les tables sont installées de façon à ce que chaque acheteur fasse face à son vendeur, et que les tables soient suffisamment espacées pour qu’il n’y ait pas d’interférence (gêne sonore, fiches de profits aperçues qui n’auraient pas dû l’être, etc.). En France, et d’une façon générale dans les pays où les gens n’ont pas tellement d’habitude des simulations, il faut un peu insister pour que les participants consentent à passer de la disposition « salle de cours » à la disposition « simulation en face-à-face ». Il est donc nécessaire de prévoir 5 minutes d’organisation au départ. Les feuilles de rôles doivent être distribuées en mentionnant simplement qu’il s’agit d’une simulation de négociation commerciale. L’instructeur peut laisser le choix aux participants de choisir s’ils veulent être acheteur ou vendeur ou au contraire leur imposer. En distribuant les feuilles de rôle (ci-dessous), l’attention des participants est attirée sur le fait qu’elles sont strictement personnelles, et qu’ils ne doivent pas échanger d’information avec leur vis-à-vis. Après dix minutes environ pour bien lire la feuille, avant que ne commence le jeu, l’animateur demande s’il y a des questions; en général elles portent sur deux aspects : – peut-on faire jouer les quantités ? (faire des meilleurs prix pour 1000 que pour un). La réponse est clairement non. Le jeu, en termes économique, est à rendements d’échelle constants. Par ailleurs, toute offre doit être globale, incorporer les trois produits, et leur niveau de prix sous forme de trois lettres, – ils sont libres d’employer tous les arguments qu’ils souhaitent, vrais ou faux, et naturellement toutes les tactiques d’influence. Il faut que l’animateur demande aux participants de bien vouloir noter au cours de leur négociation la série des propositions et contre-propositions (= succession de triplets de trois lettres). Le jeu lui-même prend alors environ une demi-heure, certains finissant au bout de vingt minutes, d’autres terminant au bout de trois quarts d’heure. Pour ne pas casser le rythme, il est souvent obligatoire de pousser une ou deux paires de « traînards » à conclure un peu plus vite (ou à rompre) pour ne pas faire attendre presque tout le groupe.
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[7]
Par exemple, la feuille de rôle acheteur mentionne : « Vous avez été envoyé chez l’entreprise ALPHA, un grossiste qui vend des petits biens d’équipement ménager, afin d’acheter des télévisions en couleur, des machines à écrire et des aspirateurs. Vous achetez des biens d’équipement ménager chez des sociétés comme ALPHA et vous les revendez dans vos magasins. À partir de vos coûts et de vos prix de vente, vous avez pu calculer les profits potentiels pour 100 télévisions, 100 machines à écrire, et 100 aspirateurs, quantités que vous avez précisément l’intention d’acheter. Toutefois, pour l’objectif de l’exercice, vous vous contenterez d’acheter un seul modèle de télévision, un seul modèle de machine à écrire, et un seul modèle d’aspirateur. Naturellement, vous tenterez d’acheter ces produits au prix le plus bas possible, afin de maximiser vos profits lorsque vous revendrez ces biens. Vous pouvez faire des offres différentes pour chaque produit (correspondant aux neuf lettres A à I) et vos profits sont ceux indiqués dans le tableau ci-joint. Comme vous pouvez le voir, sur le côté gauche de chaque colonne se trouvent les neuf lettres. Chaque lettre représente un niveau de prix auquel vous pouvez acheter ces trois biens d’équipement. Le prix « A » est le meilleur marché et le prix « I » est le plus cher. Plus le prix d’achat est faible, plus vos profits seront élevés : ils seront les plus élevés pour le prix « A » et les plus faibles pour le prix « I ». Le prix réel n’est pas important pour le déroulement du jeu de négociation, il est donc indiqué par des lettres. En revanche, les profits sont une donnée importante pour vous. Il sont donc indiqués dans le tableau (feuille de profits), plutôt que les prix eux-mêmes. »
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[8]
Test de student bilatéral après avoir testé l’égalité des variances avec un test de Levene.
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[9]
Pour chaque objet, les deux joueurs savent quel est leur niveau initial d’utilité et comment il se modifie suivant un « pas » propre à chaque objet. Ils doivent négocier des éléments de la prestation qui correspondent toujours pour eux à des points entiers d’utilité (c’est-à-dire en semaines de conditions de paiement, en semaines de délai de livraison, par 2 % de réduction de prix, et par 40 pièces pour le niveau de commande). Par exemple, pour Michoud, le paiement se fait au départ 9 semaines après livraison et l’utilité est pour Michoud de + 5. Comme la trésorerie de Michoud SA est assez tendue, ce délai raisonnable est assez avantageux pour lui. Toute augmentation du délai de paiement d’une semaine fait décroître son utilité d’un point. Inversement, toute réduction du délai de paiement d’une semaine fait croître son utilité d’un point. Le délai de paiement techniquement minimal est d’une semaine. Ils doivent négocier des éléments de la prestation qui correspondent toujours à des points entiers d’utilité (c’est-à-dire en semaines de conditions de paiement, en semaines de délai de livraison, par 2 % de réduction de prix, et par 40 pièces pour le niveau de commande).
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[10]
Les résultats sont +3 et +3 si tous les deux font confiance; –3 et–3 lorsqu’aucun ne fait confiance à l’autre, et +6 et–6 lorsque le premier fait défection et l’autre se laisse prendre en coopérant. Le coup 4 est doublé, le coup 8 est porté au carré. Une coopération continue et bilatérale apporte un résultat de +39.
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[11]
Il faut leur rendre grâce : ils font ce qu’ont leur dit de faire, peut-être parce que cela se passe en Suisse…
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[12]
La métaphore a ses limites : tous les requins ne sont pas aussi dangereux qu’on pourrait le penser; par ailleurs, les dauphins s’avèrent de redoutables ennemis des requins en fonçant sur eux et en leur faisant éclater le foie.
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[13]
J’ai ainsi transformé le cas de négociation « Centrale thermique de Kumbélé » en « Paranha Power Plant » (dans sa version anglaise). La composition du groupe (une majorité de français et des étrangers essentiellement européens) faisait naturellement émerger des blagues et des stéréotypes vis-à-vis de ceux qui composaient l’équipe africaine, qui ne sont pas du meilleur goût. Cela ne dure pas très longtemps, mais c’est plutôt inutile, voire embarassant, car ce n’est pas l’objectif de l’enseignement supérieur que de renforcer les préjugés.
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[14]
J’ai ainsi renoncé à faire jouer le jeu de négociation Universal Computer de Lewicki et Litterer (1985), un excellent jeu de négociation intra-organisationnelle, parce que beaucoup de participants étaient malheureusement incapables de le lire correctement. Il s’agit d’un problème de contrôle qualité où les auteurs (qui ont fait le manuel le plus connu en matière de négociation) expliquent que 42 pièces prises globalement satisfont le contrôle qualité au seuil de 95 %, mais que douze pièces sur les 42 n’atteignent pas ce seuil. Cette distinction n’est pas comprise spontanément par plus du tiers des participants (y compris des étudiants MBA, dont une grande majorité d’ingénieurs). Ils font l’attribution que « le texte n’est pas clair ». Même après explication, il reste une partie des joueurs qui ne comprennent toujours pas le texte. Les attributions suivant lesquelles « le texte n’est pas clair » existent même pour des textes remarquablement bien écrits. L’absence de connaissances grammaticales et donc de compréhension du sens logique d’un énoncé est un problème pour l’enseignement de la négociation.
1Comment enseigner des pratiques ? Cette question est quotidienne et permanente pour l’enseignantchercheur dans le domaine des sciences de ges tion : elle est à la fois lancinante et douloureuse car aucun d’entre nous n’a de réponses simples à apporter. Faire intervenir des praticiens modèles n’est pas une solution idéale, car ils ne sont pas toujours d’excellents enseignants. Mettre en mots sa pratique, pour la transmettre à autrui, n’est pas chose aisée. Le contenu peut aussi se centrer sur l’aspect technique, ce qui est une voie défendable pour des matières fortement codifiées, comme la comptabilité. Mais, dans l’ensemble, nous n’avons pas de « terrain » d’application immédiat, disponible pour appuyer l’enseignement comme la médecine, où l’après-midi les pratiques thérapeutiques permettent de montrer et d’illustrer ce qui a été expliqué en cours le matin. L’enseignement de la négociation d’affaires est particulièrement exposé au reproche potentiel de manque de liaison entre théorie et pratique, dans la mesure où le terrain d’application pratique est loin, aussi bien quand il s’agit de négociation d’affaires internationales que de négociation avec des partenaires sociaux. Certes l’apprenant a le plus souvent une expérience personnelle de la négociation, ne serait-ce que pour vendre ou acheter une voiture d’occasion. Mais cela ne suffit pas à constituer un référentiel de pratiques pertinent ni à permettre un réel autoapprentissage. Par ailleurs, la négociation est tout sauf codifiable, comme peut l’être la comptabilité, à moins qu’on ne la réduise à un de ses domaines paradigmatiques, par exemple en la traitant comme de la théorie des jeux appliquée, ce qui est partiel.
2Pour rendre compte de la complexité de la négociation, il faut donc employer d’autres méthodes, essentiellement des jeux de simulation, qui permettent de montrer les pratiques et, en quelque sorte, de les « déconstruire ». Ces jeux permettent d’assurer la liaison entre théorie et pratique et de donner du sens à une liaison entre des activités futures (imaginées, mais non vécues) et des contenus formels parfois un peu disqualifiés parce qu’ils sont censés faire partie d’un « passé à venir », celui où les études, et leur long cortège de cours et d’examens, ne sont plus qu’un souvenir.
3La première partie présente la diversité et la complexité du champ de la négociation, à la fois pluridisciplinaire et appliquée à un grand nombre de situations pratiques dont les contextes sont assez différents. Nous expliquons ensuite comment des jeux de négociation peuvent être utilisés pour articuler les apports théoriques avec les conduites concrètes. Cette seconde partie illustre la liaison à partir d’exemples concrets de jeux de négociation et de leur mise en œuvre, avec des groupes d’apprenants assez nombreux (50 à 100). La troisième partie montre comment faire saisir la dynamique des comportements opportunistes, les difficultés de la coopération, et le rôle de la confiance, en les articulant à la fois avec l’expérience personnelle des apprenants et avec des instruments qui permettent de simuler ces concepts. À partir d’une recherche de plans de cours de négociation sur l’internet, la quatrième partie montre comment les professeurs enseignant la négociation conçoivent leurs objectifs pédagogiques, utilisent des instruments de type jeux et cas de négociation et quelle place ils accordent dans leur notation à la présence, à la préparation, et à la performance individuelle et collective des étudiants lors de jeux de négociation. Enfin, la conclusion propose quelques recommandations pratiques pour l’enseignement de la négociation.
I. – LA NÉGOCIATION : UN DOMAINE APPLIQUÉ ET PLURIDISCIPLINAIRE
4Le champ scientifique de la négociation semble parfois flou parce qu’elle emprunte à des domaines très divers, depuis la psychologie et la théorie des jeux jusqu’aux sciences juridiques et politiques. Pourtant on peut en donner une vision de synthèse assez simple. Il s’agit d’un paradigme de la décision collective, à la fois en l’absence (relative) de hiérarchie et en l’absence de règles (de nouveau relative, car les règles peuvent être l’objet même de la négociation et la négociation est souvent encadrée de façon partielle par des règles). Contrairement à la situation où l’acteur obéit à une autorité personnelle qui lui donne un ordre ou se soumet à la contrainte d’une règle impersonnelle, il y a négociation dès que les acteurs ont des marges de manœuvre, la principale étant celle du retrait. La décision collective peut certes être faite par un hiérarque, mais dès qu’il s’agit de décisions dyadiques ou collégiales, le domaine de la négociation commence. De plus les règles seules ne peuvent suffire à trancher nombre de problèmes de décision collective, et il faut recourir à la négociation pour aller au-delà des règles ou encore en créer de nouvelles, mieux adaptées à la résolution de problème. De façon peu surprenante, le déclin de l’autorité (là encore relatif) et le remplacement de solutions non marchandes fondées sur la hiérarchie par des méthodes d’allocations des ressources par le marché augmentent le champ de la négociation. La production de règles, considérable dans nos sociétés depuis un demi siècle, est telle que des limites cognitives sont atteintes (qui croit encore à l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » ?). Il faut donc donner de la souplesse au processus de décision collective par le jeu de la négociation, surtout lorsque les acteurs ne partagent plus de cadre normatif commun fondé sur des valeurs partagées.
5La négociation d’affaires est fortement pluridisciplinaire : elle emprunte à des domaines scientifiques multiples. Les paradigmes sous-jacents sont en particulier économiques à travers la micro-économie, la théorie de l’utilité (par exemple Raiffa et al.,2003), la théorie des jeux, et l’économie expérimentale. Comme il s’agit d’acteurs individuels, mais aussi de groupes négociant entre eux, la psychologie et la psycho-sociologie interviennent de façon essentielle, pour expliquer les attitudes et comportements des acteurs/négociateurs individuels et leur implication, affective et cognitive, par rapport au processus et aux résultats, ainsi que les biais de jugement et les heuristiques de décision lors de la négociation. L’approche sociologique fait également sens, en particulier à travers l’étude des jeux d’acteurs, de l’émergence des coalitions, des caractéristiques des groupes en présence, de leurs intérêts et de leurs stratégies. Les sciences politiques ont leur mot à dire, dans la mesure où le vote, l’asymétrie du pouvoir, et les règles de décision politiques interviennent dans la négociation. La métaphore des relations politiques internationales et de la diplomatie est souvent utilisée, même lorsque la négociation n’implique pas d’acteurs étatiques. Le modèle opposant, et reliant à la fois « guerre » et « diplomatie », s’applique mutatis mutandis aux situations de rupture et de litige entre acteurs économiques par opposition au dialogue et aux pourparlers entre partenaires. Enfin, le droit et les sciences juridiques ont un apport substantiel, puisque la perspective des litiges, qui sont parfois la continuation de la négociation sous d’autres formes, la formalisation de la négociation sous forme d’accords contractuels et les dispositifs en cas de contentieux font le plus souvent partie intégrante de la tâche de négociation.
1. Négociation, décision et tâche
6La négociation s’applique à des champs de décision collective différents. Alors que l’enseignement de la négociation peut partir plutôt de la perspective des négociations sociales et des relations industrielles, d’autres enseignants-chercheurs vont privilégier la négociation commerciale et d’affaires, ou encore la négociation stratégique entre entreprises (et/ou avec des autorités de contrôle et de surveillance) comme dans le cas des opérations de fusions et acquisitions. Même si le contexte diffère, les fondamentaux restent les mêmes, tel ou tel aspect prenant un relief différent suivant les champs d’application. Les fondamentaux sont liés au corpus de la recherche en négociation [2].
7En partant d’une perspective instrumentale de la négociation, à l’instar de Dupont (1994, p. 11), la négociation peut être définie comme « une activité qui met en interaction plusieurs acteurs qui, confrontés à la fois à des divergences et à des interdépendances, choisissent de rechercher volontairement une solution mutuellement acceptable. » La négociation est donc directement une activité, encore plus que la décision individuelle, laquelle peut être un processus mental sans expression directe dans l’activité physique, en particulier communicationnelle. Or nous enseignons peu les activités en tant que telles. L’enseignement du management est plutôt consacré à décrire des fonctions (marketing, finance, ressources humaines). Après avoir passé en revue les contenus qui permettent de comprendre les théories, le sens de cette fonction et ses modus operandi, ce n’est finalement que de manière marginale que sont décrites les activités correspondantes, comme administrer un questionnaire d’étude de marché, passer des écritures comptables et en tirer des comptes annuels, mener une procédure de recrutement, ou encore faire un choix d’investissement.
2. Jeu et apprentissage
8Dans sa dimension de tâche (de doing), la négociation implique une activité de communication et d’interaction avec autrui. Elle a donc un versant essentiellement pratique, vécu par chacun(e) dans la vie quotidienne. Paradoxalement, c’est aussi une matière dont les fondements théoriques doivent être clairement exposés, au risque d’un apprentissage incomplet. En juxtaposant simplement les contenus pluridisciplinaires du domaine, sans les mettre en perspective, sans montrer leurs liens, l’ensemble va manquer d’unité. Un contenu fort de learning by doing permet aux enseignés d’être impliqués dans l’activité et, par là, de mieux comprendre le sens des théories qui sont en arrière-plan. Une approche de learning by doing s’impose, dans laquelle la présence, la préparation effective, et la réflexivité sont toutes des caractéristiques essentielles, comme le montre plus loin l’analyse de 28 syllabus (plans de cours) de négociation, issus de grandes universités et de professeurs réputés dans le domaine.
9La dernière version du livre classique de Howard Raiffa a pour titre Negotiation as collaborative decision making (Raiffa et al., 2003): la dimension collaborative/compétitive est également en toile de fonds de tout enseignement de la coopération. Difficile équilibre pour l’enseignant qui doit faire prendre conscience aux apprenants de réalités qui sont à la fois complexes et dynamiques : faute de coopérer, on peut réduire son résultat à une peau de chagrin, mais en coopérant face à un opportuniste, le négociateur en herbe peut se faire manger la laine sur le dos. Les dynamiques complexes qui décident du résultat commun et de sa répartition dépendent d’aptitudes à la coopération mais aussi du sens de la défense raisonnée de ses propres intérêts. La manière dont l’instructeur [3] décide de « programmer » les étudiants, dans un sens coopératif/intégratif ou compétitif/distributif va se refléter dans les modalités d’évaluation du cours.
10Il faut noter enfin la dimension ludique incontestable de ce type d’enseignement. Il y a jeu, parce que l’activité, même imposée au sein d’un cours, génère un plaisir, une attente de performance, une délicieuse incertitude qui tient le joueur en suspense, dans l’attente de ce qui va se produire finalement. Cela permet d’assurer l’implication, mais cette dimension ludique présente aussi le danger de dévaloriser la matière si la fonction des jeux est mal interprétée, essentiellement à partir du stéréotype, creux mais fréquent, que le jeu n’est pas sérieux, qu’il s’oppose à la tâche. D’où l’importance pour un enseignant de négociation d’encadrer fortement les activités du groupe, de poser des règles de fonctionnement claires et de mettre en place des incitations et des sanctions. Cet accent fort mis sur l’encadrement des apprenants est confirmé par les syllabus examinés plus loin.
II. – L’UTILISATION DES JEUX EXPÉRIMENTAUX DE NÉGOCIATION EN SITUATION PÉDAGOGIQUE
11Il se trouve que les jeux expérimentaux qui sont utilisés en recherche en négociation peuvent être également utilisés en situation pédagogique. La recherche en négociation a suivi des voies diverses, dont les jeux de négociations expérimentaux constituent certes un instrument privilégié, mais loin d’être unique. Ainsi trois chercheurs connus dans le domaine, John Graham, Steve Weiss et Rosalie Tung, ont suivi des démarches différentes. John Graham a beaucoup utilisé la simulation de négociation de Kelley (1966), typique d’une approche où instrument et idées sont intimement liés (Graham, 1985,2003a). Des échantillons d’hommes d’affaires d’une quinzaine de nationalité ont joué ce jeu en face en face, ce qui a permis de générer sur plusieurs années des données cross-nationales qui ont par la suite été analysées pour décrire de manière comparative le comportement des négociateurs entre cultures (Graham et al., 1994). Steve Weiss a observé des négociations internationales complexes sur de longs mois, et a eu principalement recours à des matériaux issus de l’observation et d’entretiens en profondeur (Weiss, 1993,1996,2003). Quant à Rosalie Tung, elle a le plus souvent fondé sa recherche sur des données issues d’enquêtes par questionnaires auprès d’entreprises impliquées dans des négociations internationales (Tung, 1984,1996). Même si des chercheurs en négociation utilisent plusieurs types d’instruments de recherche, certains d’entre eux apparaissent comme beaucoup plus utilisables que d’autres à la fois en recherche et dans l’enseignement. Il est très difficile de demander à des étudiants de répliquer les méthodes, à partir d’observation-participante déclarée (overt), même si cela leur permettrait d’approcher la réalité vivante de la négociation in situ. Bien qu’on puisse discuter leur validité externe, les méthodes de recherche in vitro (expériences de négociation en laboratoire, comme le permet le jeu de Kelley) peuvent aussi être associées avec des questionnaires distribués aux participants à la fin du jeu; elles sont les seules qui permettent d’appuyer l’apprentissage sur une pratique simulée. De fait, la situation d’enseignement (en général) est puissamment artificielle, puisqu’elle réunit en un lieu et dans un temps complètement décontextualisés des étudiants face à un professeur avec pour objectif d’apprendre quelque chose qui puisse avoir quelque application par la suite. À cette situation convenue, il faut ajouter autant de naturel que possible, recréer un contexte, simuler le réel, pour avoir des chances, même minimes, que l’apprenant adhère à d’idée qu’il est là pour apprendre et donc qu’il (elle) s’implique activement.
1. Jeux et concepts de négociation
12Il faut donc plutôt commencer par un ou des jeux de négociation après avoir posé un minimum de définitions et avoir cerné le champ d’application. Les jeux expérimentaux de négociation permettent de tout montrer, c’est-à-dire de mettre en scène afin de susciter l’intérêt, de montrer la pertinence des construits théoriques, et souvent de démontrer empiriquement la validité d’une proposition relative au processus et/ou aux résultats de la négociation. Le « Dispute Resolution Research Center » (ci-après DRRC) de la Kellogg’s Graduate School of Management (Northwestern University) fournit la collection la plus complète et la plus à jour de jeux de négociation (environ 90 jeux de négociation) qui couvrent un ensemble de situations en termes de champ d’application, de nombre de participants [4], etc. Ils permettent d’illustrer la plupart des thèmes développés dans l’enseignement de la négociation :
- les différences de performances individuelles par rapport à un jeu de négociation parfaitement identique. Certains font mieux que d’autres et il est donc possible de cultiver ses talents, ce qui incite à s’impliquer ;
- le fait que beaucoup se situent bien en-dessous de l’optimum permet de montrer que la tâche d’exploration des possibles et d’évaluation des alternatives est faite de manière incomplète et qu’il faut apprendre à mieux explorer;
- la dynamique complexe entre résultats conjoints et distribution des résultats ;
- la nature et l’importance des orientations intégratives et distributives ;
- les notions de BATNA et de prix de réservation ;
- faire comprendre le rôle des zones de recouvrement, du terrain commun perçu, et l’importance de générer des alternatives qui vont accroître les résultats conjoints;
- la communication dans son rapport à la négociation, surtout en termes d’échanges d’informations (vraies ou fausses, le degré d’instrumentalité dans la communication), le rôle du « mensonge », et les questions d’éthique de la négociation qui en découlent ;
- les questions que soulèvent l’asymétrie d’information et leur conséquence sur le processus et les résultats de la négociation; – l’influence qu’a le timing des concessions sur les résultats : faut-il concéder tôt ou tard ?
- le rôle des mandants et du degré de contrôle qu’ils exercent sur leurs mandataires (négociateurs) et l’influence sur le processus de négociation du rapport mandant/mandataire;
- l’influence du niveau d’aspiration des négociateurs sur leurs résultats ;
- le rôle des tiers (experts, conciliateurs, médiateurs, arbitres, avocats) dans le processus de négociation;
- la formation des coalitions dans des négociations pluripartites et leur degré de stabilité ;
- l’efficacité relative de la négociation par rapport à d’autres méthodes de décision collective, tout particulièrement le vote sous ses différentes formes;
- l’importance des pourparlers de négociation, les conséquences d’une rupture des pourparlers ;
- l’influence des aspects juridiques qui sont en toile de fonds, voire en premier plan, avant (non-disclosure agreements), pendant (rupture abusive des pourparlers), et après (contrats et litiges), la négociation;
- le rôle de la confiance dans le processus de négociation, en particulier au plan de la véracité des informations échangées ;
- le rôle de l’horizon de la relation, des transactions répétées (les joueurs se retrouveront à une étape suivante) sur la limitation de l’opportunisme.
2. Le dispositif pédagogique
13Compte tenu d’effectifs assez importants, il est possible d’effectuer des calculs statistiques simples qui permettent de donner un retour global (feedback) au groupe, pour illustrer à la fois la démarche expérimentale en recherche en négociation et des concepts essentiels pour l’apprentissage. Les données utilisées par la suite regroupent plusieurs années (2001-2004). Néanmoins le nombre de cas est variable car toutes les manipulations expérimentales n’ont pas été faites sur toutes les années. Pour traiter un groupe assez nombreux il faut deux salles, situées l’une à côté de l’autre. Le cours se passe dans une des salles et pour les exercices et simulations de négociation, le groupe est réparti dans les deux salles. Un(e) assistant(e) doit gérer la deuxième salle. Un grand intérêt de ce dispositif est qu’il autorise des manipulations expérimentales avec un groupe exposé au stimulus et un groupe de contrôle qui ne l’est pas.
14La méthode pédagogique combine présentations du professeur, lectures des étudiant(e)s, et jeux de négociation. L’assistant(e) est impérativement nécessaire car il s’agit à la fois de guider le deuxième groupe lors des exercices (lecture et explications des instructions, respect des règles du jeu, et collecte des feuilles de résultats), de réaliser la saisie des données dans un fichier Excel et de faire les calculs qui seront intégrés à une présentation PowerPoint de débriefing. Le débriefing est systématiquement présenté la semaine suivant la réalisation du jeu de négociation de manière à maintenir le rythme en donnant un retour rapide. Il est ensuite accessible sur la page web du cours et fait partie intégrante des matériaux qui servent à préparer l’examen terminal. Enfin, et c’est un point important sur lequel nous revenons par la suite, chaque participation est récompensée par une note représentant une fraction de la notation totale du cours (3 %). La note maximale n’est acquise que si les documents sont correctement remplis, de manière à motiver les étudiant(e)s à rendre des feuilles de résultats parfaitement utilisables et claires et à s’impliquer dans l’exercice, diminuant ainsi le risque de « dérive ludique ».
15Dans l’ensemble les résultats sont très robustes, sur les jeux simples qui sont présentés ci-après. L’instructeur prend peu de risques : pour une année déterminée l’un ou l’autre des résultats peut éventuellement ne pas être significatif, mais ils le sont pratiquement toujours tous.
3. Première découverte : la performance n’est pas garantie
16Comme nous entretenons des illusions positives sur nous-mêmes, le négociateur en herbe part souvent de l’idée qu’il va tout bien faire. Mais la performance dépend à la fois de soi, de l’autre, et de la qualité de l’interaction entre les deux. Les étudiants ignorent au départ qu’ils vont faire des performances sensiblement différentes sur un jeu parfaitement identique. Le jeu de Kelley (1966) [5], un grand classique des jeux de négociation qui a été utilisé de façon abondante dans la recherche en négociation (Graham, 2003a), sert à montrer cette vérité fondamentale. Acheteur et vendeur doivent négocier en face-à-face trois produits (aspirateurs, machines à écrire et télévisions). Ils reçoivent des feuilles de rôle et des feuilles de profit qu’ils ne doivent pas échanger [6]. Ces feuilles permettent de calculer des profits individuels par rôle (acheteur et vendeur) à chaque offre et contre-offre ainsi que les résultats finaux de chacun. Acheteur et vendeur reçoivent une feuille de rôle symétrique [7]. Mais leurs feuilles de profit sont inversées : l’optimum se trouve dans la diagonale de la matrice (9,3) alors que la tendance naturelle est de négocier « à plat » en utilisant un ensemble de lettres identiques pour les trois produits. Il existe donc une véritable tâche d’exploration dans laquelle certains vont réussir mieux que d’autres.
17Les 155 acheteurs font un profit moyen de 2,376 et les 155 vendeurs un profit moyen de 2,369, ce qui dans les deux cas s’éloigne de façon très significative de l’optimum (p = 0,000) de 2,600. Cela montre l’importance de la tâche commune d’exploration des alternatives, des solutions possibles, le rôle du problem solving et la diversité considérable des résultats. Certains acheteurs ou vendeurs ont des résultats inférieurs à 1.000 : il est clair que la valeur d’apprentissage initial pour ceux qui ont une faible performance est assez directe. D’autres font beaucoup mieux qu’eux, il est donc nécessaire de cultiver ses talents. Les faibles performances s’avèrent douloureuses pour ceux (celles) qui ont beaucoup cédé et qui se sentent un peu coupables de s’être ainsi laissé manger la laine sur le dos. L’implication personnelle est forte, bien qu’il s’agisse d’une simple simulation, a priori sans conséquences, d’autant que les participants ne sont pas notés sur leur performance, point sur lequel nous revenons plus tard en examinant deux questions pédagogiques liées à la performance dans les jeux de négociation :
- 1. Faut-il utiliser les résultats individuels comme élément de la notation des étudiants ?
- Faut-il rendre publiques les performances individuelles ?
4. Rôles acheteur/vendeur et aspirations des négociateurs
18La littérature en négociation a montré l’importance des rôles dans différentes cultures (par exemple Campbell et al., 1988; Graham, 2003a). Contrairement à ce que l’on observe chez les Japonais (rôle acheteur plus fort et donc réalisant des profits en moyenne supérieurs), le public suisse ne présente pas de différence significative de rôle : le score moyen des 155 acheteurs (2,376) n’est pas significativement différent de celui des vendeurs (2,369).
19L’influence des niveaux d’aspiration est fondée sur la réplication d’un résultat classique de Pruitt et Lewis (1975): des négociateurs qui sont partis au départ avec des aspirations élevées atteignent en moyenne des résultats conjoints meilleurs que ceux qui partent avec des aspirations plus faibles (souvent parce que leurs mandants ne leur ont pas donné d’objectif ambitieux à la base). Le dispositif, pour montrer cela, est fondé sur une manipulation des aspirations des négociateurs pour un seul des deux groupes. Dans une salle (groupe manipulé) aussi bien les acheteurs que les vendeurs reçoivent l’instruction suivante, avant de commencer à négocier et après avoir pris connaissance de leur feuille de rôle : « Votre entreprise vous demande d’atteindre un profit global de 2300 au moins et de négocier au mieux pour atteindre cet objectif et éventuellement le dépasser ». Dans l’autre salle, les étudiants (acheteurs et vendeurs) ne reçoivent pas cette instruction (groupe témoin). Les résultats moyens conjoints des deux salles sont ensuite comparés pour tester l’effet de la manipulation sur le résultat conjoint et sur les ruptures.
20Il n’y a qu’une seule rupture chez ceux dont les niveaux d’aspiration sont élevés et aucune chez ceux dont les aspirations ne sont pas manipulées par l’instruction de l’expérimentateur. La moyenne des 64 paires à aspirations élevées est de 4,942 alors que le score moyen des autres négociateurs dont les aspirations ne sont pas manipulées, n’est que de 4,703, une différence significative au seuil de 0,001 [8] On observe une relative difficulté des étudiants à comprendre ces résultats, ce qui montre qu’ils ne sont pas tautologiques. Le jeu de Kelley permet également d’étudier la liaison entre rupture et terrain commun, en modifiant les feuilles de profit, par exemple en effectuant une translation dans les feuilles de profit qui introduit des pertes et réduit le terrain commun (utiliser alors des feuilles de profit réglées différemment dans les deux salles.). Il permet aussi comme beaucoup de jeux de négociation, de montrer le rôle des prix de réservation (qui apparaissent de toute façon toujours en toile de fonds de la négociation), en introduisant une alternative avec un niveau minimal de profit (avec des alternatives sensiblement différentes dans les deux salles).
5. Comprendre la relation entre résultats individuels et conjoints
21La plupart des jeux de négociation mesurent toujours les deux à la fois. Il s’agit de faire sentir la dynamique complexe qui lie performances (résultats individuels) et réalisations conjointes, au-delà des sympathiques tartes à la crème normatives du win-win et du winlose. Cela permet surtout de développer la conscience du terrain commun (objectif et perçu). Le jeu de Kelley permet de comprendre qu’une partie de la tâche est de l’exploration des possibles au sens propre du terme, mais que l’autre négociateur ne va jamais dévoiler ses cartes facilement. La question d’asymétrie d’information est centrale dans tous les jeux de négociation : en révélant ses cartes, en donnant de l’information vraie sans contrepartie, le joueur accroît l’asymétrie d’information à son détriment et donne potentiellement à l’autre la possibilité d’extraire une plus grande partie du résultat commun. À l’inverse, en imaginant efficacement l’utilité de l’autre, en obtenant des informations sur son degré d’utilité pour tel ou tel objet, ou en manipulant la perception par l’autre de sa propre utilité pour tel ou tel objet, le joueur accroît l’asymétrie d’information en sa faveur.
6. Calculs et stratégies : savoir explorer
22les alternatives et rechercher un deal optimal Beaucoup de jeux de négociation sont fondés sur des calculs d’utilité exprimés de différentes manières. Les feuilles de profit obligent à faire des choix assez radicaux, consistant à accepter des pertes sur certains biens, objets de la négociation, afin de générer des profits plus élevés sur d’autres objets. L’aversion pour les pertes rend l’exploration des possibles difficile surtout lorsqu’il existe des objets multiples en jeu. La perception des pertes est différente de celle des gains, sous la forme d’une aversion relative pour les pertes, suivant les résultats classiques de Kahnemann et Tversky (1979). Le jeu « Michoud et Lavanchy » réunit un donneur d’ordre et un sous-trai-tant négociant autour de 6 objets : les conditions de paiement, le prix, la taille de la commande, la possibilité d’une nouvelle préparation de la pièce, les délais de livraison, et enfin, un accord pluriannuel fixant des volumes de commandes par an sur une période de 3 ans. Un des joueurs (le vendeur) représente la société Michoud SA, une entreprise de sous-traitance industrielle qui travaille pour l’autre joueur, la société Lavanchy SA qui conçoit et installe des machines pour l’industrie alimentaire mais recourre surtout à des sous-traitants tels que Michoud SA pour les composants. Les niveaux d’utilité associés à différents éléments~clés de la négociation sont précisés aux deux joueurs sur leur feuille de rôle [9].
23Il s’agit d’une logique de marketing industriel et business to business très fréquente, qui est également pertinente en économie industrielle. Le jeu Michoud et Lavanchy permet de mettre en scène les prix de réservation et les BATNAS, chacun ne voulant pas tomber au-dessous de son niveau d’utilité globale actuelle. Mais il permet surtout d’illustrer la négociation fondée sur des calculs d’utilité et la différence entre approche calculatoire et approche stratégique de la négociation. Ceux qui font les meilleurs résultats sont ceux qui ont compris l’aspect stratégique. En effet, une optique purement calculatoire (à laquelle le jeu incite les joueurs) conduit à arriver assez loin de l’optimum car on hésite à accepter les pertes raisonnables qui auraient pour contrepartie des gains biens supérieurs sur d’autres objets. Les Michoud commencent avec 7 et accroissent leur utilité en moyenne de 11,77, alors que les Lavanchy commencent avec 14 et font 10,29. Les Michoud accroissent de 168 % alors que les Lavanchy ne font que 79 %. Alors que les gains absolus d’utilité ne diffèrent pas significativement (p = 0,122), les gains relatifs diffèrent très significativement (p = 0,000). Ceci permet d’illustrer à quel point les normes de justice distributive sous-jacentes peuvent être un frein à l’exploration des solutions optimales. La dynamique souvent observée consiste en une recherche de l’égalité absolue, mais avec un œil sur l’assiette de l’autre (accroissement relatifs).
24L’optimum commun est de 54 (27 chacun) et le résultat moyen atteint est de 42, pour un point de départ à 21. Les négociateurs dans les deux cas diffèrent très significativement de l’optimum d’un accroissement de 17 points d’utilité (différence significative dans les deux cas au seuil de 0,000). Peu atteignent l’optimum de ce jeu qui suppose de ne pas se laisser prendre par la pure logique calculatoire, mais de comprendre l’aspect stratégique ce qui va permettre ensuite de s’engager sans trop d’états d’âmes dans des deals composés de pertes et de gains mais finalement très profitables pour les deux.
25Ce jeu (et beaucoup d’autres) permet d’introduire et de discuter les perceptions d’équité, les normes implicites de justice distributive qui « hantent » la négociation. De petits exercices fondés sur des approches de biais de jugement (Bazerman et Neale, 1993; Bazerman, 2002) peuvent s’avérer utiles. Beaucoup de jeux expérimentaux permettent de montrer le rôle des biais de jugement liés à différentes dispositions cognitives (par exemple « positive illusions » et « escalation biases ») et à des normes implicites de justice distributive ou procédurale. L’instructeur peut utiliser ces exercices pour conduire le groupe à réaliser à quel point ces perceptions sociales sont ancrées même dans des réalités du monde des affaires où elles n’ont pas a priori leur place.
III. – COMPORTEMENTS OPPORTUNISTES, COOPÉRATION ET CONFIANCE
1. L’omniprésence des attitudes coopératives-non coopératives en négociation
26La problématique coopération-défection est omniprésente en négociation, à travers :
- l’échange d’information ou non,
- les informations vraies versus fausses,
- le fait de faire une concession (coopérer) dans l’espoir qu’elle sera réciproquée et que
- nalement elle ne le soit pas (défection),
- le fait de tirer profit d’une asymétrie d’information pour exploiter l’autre partie,
- le fait d’exploiter la dépendance affective d’une partie et/ou son intérêt pour vos propres résultats (défection) par opposition avec le fait de s’en abstenir (coopération).
27Les résultats de la négociation dépendent d’une suite d’interactions successives (shots) autant que d’une attitude et de variables globales. Dans le jeu, comme dans la réalité, il est toujours possible de devenir « gentil » après avoir été « méchant » et vice-versa. Ce n’est pas la morale qui domine, mais une sorte de vitalité un peu carnivore, souvent limitée par l’idée que l’absence de proie signifie aussi la mort du prédateur. La théorie de l’évolution est en toile de fonds, mais il ne s’agit pas de darwinisme social simpliste (Cf. par exemple Axelrod, 1996).
2. Les jeux de dilemme du prisonnier
28Le dilemme du prisonnier répété peut se jouer sous une forme pure ou comme un jeu contextualisé à une situation d’entreprise comme Comparative Advertising du DRRC. Il permet de comprendre la négociation comme une série d’interactions avec une succession de choix coopération/non coopération, ce qui est vrai dans l’échange d’information, dans le maniement des concessions, dans la révélation de ses préférences, etc. Il illustre le rôle de la communication, de l’augmentation, et de l’opportunisme en dernier coup.
29L’opportunisme est facile à démontrer : le résultat moyen individuel pour 300 paires de joueurs sur 20 coups [10] n’est que de 0,58, alors que le potentiel de gain maximum individuel par coup, en coopérant constamment, est de 3,9 et le potentiel de perte individuelle maximum de – 3,9. Cela donne une idée de l’équilibre de longue période et avec des acteurs nombreux et différents en termes d’attitudes (coopération/bienveillance, opportunisme/exploitation): les tendances à exploiter l’autre sont tout juste dominées par la prise en compte de l’interdépendance. La performance optimale supposerait une forte coopération, mais nos systèmes sociaux n’osent pas l’encourager car la dynamique prédatrice reste un moteur essentiel de nos activités et il existe une réelle angoisse que la coopération n’aboutisse à un système mou, sans ressort, et finalement peu performant. L’encouragement constant de la concurrence et de la rivalité n’a pas d’autre base.
3. Rôle des orientations intégrative et distributive
30Le jeu de Kelley et bien d’autres jeux, par exemple les jeux du DRRC (Vacation Plans, The Player, New Car, ou encore Salary Negotiation) ou des jeux contextualisés comme ceux que l’on trouve dans les versions récentes du classique de Lewicki et Litterer (1985) comme Lewicki, Saunders et Minton (1999), permettent d’illustrer les orientations intégrative et distributive. Des jeux dérivés du dilemme du prisonnier vont plus loin en montrant la succession d’orientations, le timing des concessions, et favorisent la réflexion sur le danger des concessions faites d’entrée de jeu. Surtout, ils entraînent à considérer les fondamentaux de la coopération et de la confiance qui sont des ingrédients de la négociation, mais auxquels il faut absolument donner une base positive (au sens d’Auguste Comte) et donc éviter de mélanger avec le normatif. Les discours du type « soyez collaboratifs : tout se passera bien » peuvent s’avérer complètement faux dans le monde réel.
31Pour chaque série de dix coups, les paires reçoivent successivement deux instructions : l’une distributive (« Attention : vous avez reçu instruction de la part de vos mandants de faire un maximum de profits individuels. »), l’autre intégrative (« Attention : vous avez reçu instruction de la part de vos mandants de vous préoccuper de faire des profits mais d’être aussi attentif aux résultats communs. »). Sur 10 coups où les paires de joueurs ont reçu l’instruction intégrative, le gain conjoint moyen par coup est de 3,85, alors que sur 1es 10 autres coups pendant lesquels les mêmes paires ont reçu une instruction distributive, elles ne font qu’un gain conjoint moyen par coup de 0,73, la différence étant significative au seuil de 0,000, preuve de la supériorité en moyenne de l’approche intégrative.
32De manière encore plus intéressante on peut observer plus finement la succession des orientations au cours du temps en manipulant deux groupes dans des salles séparées. Les uns (salle A) commencent par 10 coups avec instruction distributive puis continuent avec 10 coups à instruction intégrative. Dans l’autre salle (B), les joueurs commencent par 10 coups avec instruction intégrative puis continuent avec 10 coups à instruction distributive. Dans la salle A où les joueurs commencent « dur », parce qu’ils sont instruits de le faire et se prêtent de bonne volonté à l’instruction qui leur est donnée [11], ils atteignent un résultat conjoint total de 33,79 sur 20 coups (résultat conjoint par coup de 1,69), alors qu’en salle B, les joueurs qui ont commencé « gentils » pour devenir « méchants » ensuite ne gagnent que 12,87 en tout sur les mêmes 20 coups (résultat conjoint par coup de 0,64). La différence est significative au seuil de 0,000. Alors que les joueurs des deux salles n’ont pas de différence significative dans leur phase distributive, qu’elle soit placée avant ou après la phase intégrative, ceux de la salle A qui sont intégratifs « ensuite » (72 paires) atteignent un résultat conjoint total de 56,17 sur les 10 coups intégratifs (résultat conjoint par coup de 5,62), alors qu’en salle B, les 78 paires qui ont commencé « gentils » pour devenir « méchants » ensuite ne gagnent que 22,23 sur leurs 10 coups à instruction intégrative (résultat conjoint par coup de 2,22). La différence est significative au seuil de 0,000. Mieux vaut donc éviter de commencer trop gentil : les concessions d’entrée, la bonne volonté naïve, sont non seulement peu profitables à celui qui l’exerce mais aussi nuisibles lorsqu’elles sont le fait des deux négociateurs en même temps parce que cela rend le processus d’exploration des possibles insuffisamment efficace. Ce résultat est peu intuitif, et mérite donc d’être souligné : négocier consiste d’abord à défendre ses intérêts (et non pas à rattraper la situation ensuite).
33Dans les questions d’examen, on voit que ce n’est pas du tout évident pour beaucoup d’étudiants qui ont une forte structure morale et pour lesquels exploiter l’autre au départ est quelque peu tabou. Il est sous-entenduqu’il ne faut pas prendre l’initiative d’une défection, qu’il est donc moralement souhaitable d’attendre d’être mal traité avant de répondre par des représailles (le tit-for-tat semble émerger spontanément). Mais, quand même, ils ne « tendent pas l’autre joue »; ce qui n’arrive, à peu de choses près, que dans les Évangiles. Beaucoup d’étudiant(e)s ont du mal à mémoriser les résultats de l’expérience parce qu’elle les place en dissonance cognitive par rapport aux valeurs qu’ils ont intériorisées.
4. Rôle de la communication et de l’horizon relationnel
34Dans ce dilemme du prisonnier itératif de dix coups, le score du coup 4, qui suit trois coups durant lesquels les joueurs n’avaient pas la possibilité de communiquer, est doublé. L’enjeu est augmenté et les joueurs ont pu parler avant de faire leurs décisions du coup 4. L’effet positif de la communication et de l’échange d’information est évident avec un score moyen conjoint à 7,07 pour le coup 4 contre 2,28 sur tous les coups, une différence significative au seuil de 0,000. Même en tenant compte du doublement (en comparant tous les scores doublés, ce qui donne 7,07 pour le coup 4 contre 3,86 pour la moyenne des scores conjoints des 9 autres coups), ceci permettant d’éliminer l’effet de l’augmentation d’enjeu, et de ne retenir que l’effet de la communication sur la coopération en négociation, la différence reste significative au seuil de 0,000. Du point de vue normatif, ces résultats positifs montrent le danger de négociations où les canaux de communication ne fonctionnent pas bien et/ou sont encombrés de bruits divers.
35Des enjeux très forts accroissent l’opportunisme : pour illustrer ce point, le coup 8 est « porté au carré », le score de – 6 devenant – 36 alors que le score de 6 devient 36. Pour comparer tous les coups on porte également les scores conjoints des autres coups au carré de la même manière. On observe alors que le score moyen conjoint du coup 8 est de 2,82 contre 22,45 pour la moyenne de tous les coups portés au carré, une différence significative au seuil de 0,013.
36Enfin, l’horizon relationnel compte : après le coup 10, les parties ne vont plus jouer de façon répétée. Les représailles ne sont pas possibles, l’investissement relationnel perd son sens : le score moyen conjoint du coup 10 n’est que de 0,51, contre 2,28 pour le score moyen conjoint (hors coup 10), une différence significative au seuil de 0,000. Par ailleurs les joueurs en dernière période mais avec une manipulation intégrative sont sensiblement moins opportunistes (score moyen conjoint de 2,04) que ceux avec une manipulation distributive (score moyen conjoint de – 1,02), différence significative au seuil de 0,000. Cela est complètement vrai en pratique. Ainsi, lorsqu’on rappelle quelqu’un avec qui on a déjà fait affaire et qui n’a virtuellement aucune chance de vous revoir (par exemple un notaire qui sait que vous faites une transaction immobilière tous les dix ans, que vous la ferez peut-être ailleurs et qu’il aura peut-être pris sa retraite d’ici là). Ceux qui n’ont pas d’horizon relationnel vous laissent gentiment tomber; au mieux, ils se débarrassent poliment de vous. Parfois, cependant, ils imaginent une interaction future, d’une manière qui est très typique d’une orientation intégrative. Il faut donc mettre en place des systèmes qui endiguent l’opportunisme naturellement lié à l’absence d’horizon relationnel. C’est pour cela qu’il y a des garanties, des services après vente, des paiements échelonnés, etc. Si un acheteur devait revenir pour mendier la réparation de son véhicule auprès du garage où il l’a acheté, il n’obtiendrait rien ou à des tarifs de racket. Le droit est là pour établir des règles impératives partout où le pouvoir des acteurs dans la négociation est très déséquilibré (et il existe de nombreux domaines où l’asymétrie de pouvoir est considérable).
5. Jeux complexes et négociation contextualisée
37Les jeux simples qui illustrent les fondamentaux de la négociation doivent être complétés par l’utilisation d’au moins une simulation de négociation complète, qui présente une négociation complexe, contextualisée, souvent avec des parties non monolithiques, des mandataires et des mandants, des tierces parties, etc. On trouve de tels cas sur le site de la Harvard Business School (http ://harvardbusinessonline.hbsp.harvard.edu/), ou le cas Bolter Turbine (Graham, 2003b) ou encore le cas Centrale Thermique de Paranha. Ils permettent de mettre en situation les acquis de jeux plus limités. La complémentarité est forte entre jeux expérimentaux et jeux complexes. Parmi les caractéristiques des jeux complexes, on note :
- des parties non monolithiques;
- les biens objets de la négociation sont nombreux et complexes (par exemple en négociation sociale, non seulement les salaires et leur augmentation, mais les jours de congés, l’annualisation de la durée du travail, les conditions de travail, les avantages sociaux, la formation, etc.);
- les négociateurs ont des mandants et doivent rapporter (éventuellement avec la nécessité d’une ratification formelle par les mandants);
- les joueurs sont responsables de l’organisation de leur propre négociation, de définir un agenda, des procédures, etc.;
- les aspects juridiques (pénalités de retard, clause de force majeure, clause de renégociation, arbitrage, etc.) sont discutés, avec en arrière-plan la possibilité de contentieux;
- des coalitions peuvent se former et des connivences peuvent s’établir ;
- les joueurs consignent par écrit les résultats de leur négociation, et écrivent un accord contractuel pour saisir la différence entre résultats oraux et résultats écrits de la négociation, et pour faire une expérience même modeste, de la rédaction d’un accord.
38Il est important de bien guider les étudiants dans ces jeux. Le premier point, qui surprend toujours est la difficulté initiale de beaucoup d’étudiant(e)s à faire face à une situation ouverte, où tout n’est pas dit, où il reste des marges de manœuvre, y compris dans l’interprétation des informations. Ils sont habitués à des exercices « fermés », où l’ensemble de l’information est présente pour résoudre un problème à solution unique. L’idée même de non-unicité de la solution est pour certains choquante. Et pourtant c’est le fondement même de la pratique de la négociation en tant que résolution de problème. Il faut expliquer, patiemment.
39Les jeux complexes nécessitent une préparation, qui commence par une lecture attentive et une compréhension du texte. Au contraire des jeux présentés plus haut, le contexte doit être compris. Sans préparation (réflexion sur les alternatives possibles, la BATNA et le prix de réservation, les intérêts de base de l’équipe, ses marges de manœuvre et ses tactiques, etc.) le risque de mauvais apprentissage est réel. Cela conduirait à faire prendre des habitudes détestables telles que se lancer sans préparation ni connaissance des dossiers dans une négociation « pour le fun ». Il est donc important de faire réfléchir formellement les étudiants, en particulier sur leur BATNA, avant qu’ils ne se lancent. Par exemple, Jeanne Brett (par ailleurs directrice du DRRC) présente dans le jeu Data Printer une situation qui combine négociation sur une facture de frais d’entretien contestée et menace d’un litige potentiel, et propose dans sa teaching note une approche très structurée de la préparation des étudiants.
40Il faut donc des codes précis et un encadrement réel. Il s’obtient par une combinaison de travail en séance, pour démarrer le processus, puis hors séance, car le temps disponible est limité. Par exemple, un jeu de négociation complexe qui va demander vingt à trente heures de travail total aux étudiants(e)s, soit l’équivalent d’un crédit ECTS, peut être animé en trois heures en salle : une heure pour expliquer et faire faire la préparation des intérêts de base et deux heures pour « lancer » les groupes, le reste étant organisé par eux avec des échéances précises sur la remise des différents résultats de leur négociation. Il est également nécessaire de « formater » les résultats demandés aux participants sous forme de documents types (qui viennent toujours avec la teaching note du jeu de négociation) de manière ensuite à pouvoir comparer les résultats des différentes équipes de négociation sous la forme de débriefings systématiques.
IV. – APPRENTISSAGE DE LA NÉGOCIATION : OBJECTIFS, CONTENUS ET NOTATION
41L’objectif de comprendre les fondamentaux de la négociation paraît le mieux adapté en formation première. Néanmoins, il n’est pas nécessairement compatible avec l’objectif de développer un ensemble d’outils de négociation, de communication, de manipulation dans le processus. Ceux-ci, qui sont souvent développés dans une perspective de négociation compétitive, correspondent plus à la demande de groupes de MBA et de formation permanente. Des approches plus fondamentales s’avèrent plus difficiles à mettre en place dans des programmes proches de la formation permanente où les apprenants cherchent souvent des modèles, des recettes, et des comportements types. Ils s’estiment loin de la formation initiale et des « apprentissages à long détour » (apprendre la théorie et voir comment elle s’applique en pratique). Néanmoins, dans tous les cas l’apprenant se fabrique ses propres représentations à travers son expérience : il faut que la connaissance apportée soit appropriable, c’est-à-dire considérée à la fois comme crédible (cela se passe de cette manière dans le « monde réel ») et opérationnelle (en adoptant ce genre de démarche, je peux améliorer mes performances).
1. Jeux, activité ludique et compétitivité
42Comme il a été souligné plus haut, il faut compléter l’utilisation des jeux simplifiés qui offrent une perspective idéal typique, utile pour introduire les concepts, mais qui ne rendent que partiellement compte de la réalité de la négociation, par des jeux complexes qui se déroulent sur plusieurs séances, voire deux ou trois mois quand il s’agit d’un enseignement semestriel. Le caractère ludique des jeux est potentiellement dangereux : l’opportunisme étudiant assez naturel consiste à viser l’acquisition de notes et de crédits au meilleur compte, avec le plus de plaisir et le moins de peine possible, dans une perspective hédoniste à la Jeremy Bentham. Ce qui en soi n’est pas complètement anormal pour de futurs managers (rationnels) nécessite des précautions de la part de l’instructeur, à savoir l’encadrement, la perspective réflexive (favorisée en particulier par le retour d’information systématique), et enfin, l’implication personnelle par un certain degré de compétitivité, dont le réglage, comme nous allons le voir ci-dessous, n’est pas neutre.
43Pour régler le degré de compétitivité entre participants, une première possibilité est de lier la note de contrôle continu (et donc la note finale) aux résultats personnels obtenus. Cela encourage la compétitivité individuelle et la défense stricte des intérêts personnels. L’avantage est de motiver les étudiants à s’impliquer sérieusement et très personnellement dans les jeux de négociation. L’inconvénient principal de cette modalité d’évaluation est de provoquer l’émergence d’attitudes outrageusement compétitives de la part de certains participants. Un autre inconvénient est lié à la question de la notation en tant que mesure de l’apprentissage : la mesure de l’apprentissage réel peut-elle passer par une mesure de performance de ce type ? Cela soulève des problèmes d’éthique pédagogique, surtout si certains étudiant(e)s emploient des moyens à la lisière de l’acceptable pour s’imposer et maximiser leur gain individuel. Les étudiant(e)s s’impliquent de toute manière, même s’ils ne sont pas jugés sur leurs propres résultats. Simplement ils ne le vivent pas sur un mode compétitif (avec autrui), mais plus sur le mode personnel de la compétition avec soi-même. On voit ainsi beaucoup d’étudiant(e)s essayer d’améliorer leurs performances en cours de semestre, au fur et à mesure des jeux de négociation. La question pour l’instructeur est surtout de savoir quelle ambiance il ou elle veut développer dans son cours et s’il/elle veut fabriquer des « requins » ou des « dauphins [12] ».
44D’autres solutions peuvent être imaginées, comme un mélange de résultats conjoints et de résultats individuels. Ainsi les étudiants seraient jugés simultanément sur deux dimensions de leur performance, leur capacité à accroître le résultat conjoint (donc à explorer les possibles et à travailler en résolution de problème) et leur aptitude à défendre leurs intérêts (c’est-à-dire à extraire une part aussi importante que possible du gâteau commun). L’instructeur peut fixer d’entrée la règle du jeu dans son plan de cours, ou encore donner l’option pour responsabiliser la personne et l’obliger à se définir en termes de compétitivité en tant que négociateur. Par exemple, les modalités d’évaluation peuvent prévoir une option entre style compétitif et collaboratif qui autorise à répartir 100 % de pondération (x % + y %) entre x % pour le résultat personnel et y % pour le résultat conjoint, ceci au choix individuel de chaque étudiant(e). L’évaluation est une des questions sur lesquelles l’instructeur doit avoir une position nette quand il met en place un cours de négociation. Il faut expliquer l’ensemble de ses options en matière d’évaluation, et les rendre compréhensibles et acceptables par les étudiant(e)s.
2. L’observation de plans de cours de négociation sur l’internet
45Une recherche sur Google avec la suite « negotiation syllabus course outline » donne accès à un échantillon ad hoc de 28 plans de cours de négociation, essentiellement nord-américains, qui présentent en grand détail les objectifs, les méthodes pédagogiques du cours, le contenu des séances successives et les modalités d’évaluation. Sur ces 28 plans de cours, 10 prennent en compte la performance de négociation, à divers degrés et de différentes manières. Six se fondent strictement sur la performance individuelle, quatre y ajoutent une dimension collective (performance d’équipe). Les pourcentages accordés à la stricte performance dans les six syllabus de négociation où l’évaluation est fondée sur le résultat individuel varient de 80 % (Robert L. Pinkley, Southern Methodist University), à un petit 8 % (Daniel Z. Levin, Rutgers University), en passant par 20% (Susan Brodt, Duke University),30 % (Rachel Croson, Wharton School et Christopher Mitchell, George Mason University) et 40 % (Charles McCollester, Indiana University of Pennsylvania). Les quatre autres plans de cours mettent l’accent sur la performance collaborative et le consensus. Shirli Kopelman (Kellogg GSM, Nothwestern University) place 5 % de la note totale sur une performance de négociation sociale en groupe, en comparant les groupes de syndicalistes entre eux et les groupes patronaux, par référence à leurs pairs en négociation. Suzanne Payette (Gouvernement du Canada, Ressources Humaines) retire 5 % de la note totale à ceux qui ne sont pas parvenus à un accord dans la négociation d’une convention collective. Barry Goldman (University of Arizona) place 10 % de la note sur un indice de réputation personnelle, qui reflète la valeur de long terme en tant que partenaire, en soulignant que ceux qui « ont une réputation de négociateurs fiables et efficaces auront un avantage lors de futures négociations. ». Enfin, Robert N. Leitch (Georgia State) ajoute à une évaluation sur la performance qui peut atteindre 30 % une extension possible de 40 % laissée au libre choix de la classe qui peut décider de l’affecter à une augmentation de la participation, à l’examen final, ou à un papier réalisé dans le cadre du cours. Cette solution, qui est difficile, et peut-être même dangereuse, à mettre en œuvre, a néanmoins l’avantage de confronter le groupe d’étudiants à une négociation aux enjeux très concrets pour eux (leurs notes).
46La plupart des syllabus de négociation examinés (18 sur 28), ne prennent en compte ni la performance individuelle ni la performance collective. L’affirmation du pourquoi de ce choix est faite de façon très claire par certains professeurs. Ainsi Steven Cohen (Brandeis University) souligne dans son plan de cours : « Votre “succès” relatif dans l’obtention du “meilleur deal” ne sera pas considéré comme pertinent pour la notation – même si votre compréhension de la raison pour laquelle vous avez atteint un résultat donné a un impact important sur votre apprentissage. ». De même, Cynthia Stevens (University of Maryland) indique en majuscule que les étudiant(e)s ne seront pasnotés sur leur performance individuelle. Parmi ces syllabus, tous insistent sur trois points :
- la présence obligatoire (qui n’est pas dans la tradition de liberté académique),
- l’importance de bien préparer et de ne pas arriver « en touriste », et
- le caractère essentiel du processus de réflexivité dans l’apprentissage de la négociation.
47À divers degrés, ces éléments sont pris en compte dans la notation.
48La participation est traitée dans un grand détail, en particulier la présence qui est la plupart du temps obligatoire. Tout est très fortement codifié. Ces plans vont de 3 à 15 pages, avec une moyenne de 7,35 pages et un luxe de détails procéduraux expliqués en interligne simple. C’est faire grande confiance aux capacités de lecture des étudiants. Il est permis de penser que cela sert plutôt de règle du jeu, souvent a posteriori. T. E. Daniels (University of Alberta) compte 36 % simplement pour la présence avec une approche mécanique (3 % pour chacune des 12 séances). Même M. Bazerman (Harvard University) qui compte 80 % pour les différentes étapes de la préparation d’un scholarly paper, compte quand même 20 % pour la participation, tout comme J.Morgan de la Haas School of Business (UC Berkeley). Beaucoup de ces plans de cours insistent sur la réflexivité et demandent un rapport final, noté, où l’étudiant(e) analyse ses propres résultats à la lumière de ceux des autres participants et des concepts du cours.
3. Expérimentation versus modèle : enseignant professionnel versus praticien modèle
49L’approche qui a été présentée se fonde essentiellement sur l’expérimentation et la simulation qui impliquent directement les participants dans la démarche pédagogique. Une des valeurs additionnelles de ce processus est d’aider à comprendre la démarche expérimentale. Il permet aussi de traiter des groupes assez importants (jusqu’à 100) qui deviennent un atout, parce qu’ils permettent des conclusions significatives, plutôt qu’une contrainte. Au passage, la mythologie du petit groupe, qui nous coûte si cher et nous fait gâcher des ressources d’argent public, s’effondre un petit peu.
50Une alternative, parfois un complément, à cette approche, est le recours à des « modèles » (role models). Il peut s’agir d’abord de l’enseignant en tant que modèle du négociateur expérimenté. Cela pose la question de savoir si l’enseignant(e), qui inévitablement va conter et raconter quelques unes de ses propres expériences de négociation, doit se présenter comme un bon négociateur (un « modèle » latent) ou comme une personne ordinaire qui commet des erreurs, donc accepter de descendre de son piédestal au risque d’apparaître comme un antimodèle. Je suis personnellement favorable à cette dernière solution, c’est-à-dire à présenter ses erreurs autant que ses bonnes idées, de manière à suggérer que « nobody is perfect » et que l’important est de savoir filtrer son expérience.
51La question se pose particulièrement lorsqu’est recruté pour donner un cours de négociation un intervenant qui a une pratique de terrain approfondie. Le praticien qui vient en tant que modèle explique souvent comment il(elle) a su sortir de situations difficiles, tirer le meilleur parti de ses atouts, éviter différents écueils, etc. Cela pose deux problèmes, l’un lié au champ de négociation, l’autre à la capacité d’identification des apprenants. D’une part, l’expérience du praticien modèle est liée à un champ particulier (par exemple, la négociation sociale) et le contexte, ainsi que l’absence de présentation des concepts de base, rend beaucoup des messages intransférables à d’autres champs de la négociation. D’autre part, les étudiants, assez inconsciemment, et souvent parce qu’ils admirent et tendent à s’identifier au modèle de négociateur qui se présente à eux, vont se demander : comment puis-je devenir comme cette personne ? Comment imiter/émuler ses caractéristiques souhaitables qui en font un(e) bon(ne) négociateur(trice)? Si l’enseignant négociateur-modèle cite des caractéristiques inimitables ou des ressources inatteignables (par exemple une longue expérience ou une formation de base qui n’est pas celle des apprenants), il va bloquer la possibilité pour les apprenants de s’approprier son discours. Ne pas pouvoir intégrer l’imitation du modèle dans leur propre autoformation va générer de réelles frustrations. La situation idéale est celle où le négociateur-modèle a en même temps une connaissance approfondie des concepts et des théories de la négociation et, tout en donnant de très bonnes illustrations, a une réflexion critique et approfondie sur le savoir qu’il transmet.
52D’où l’importance d’avoir un enseignant qui adopte une perspective professionnelle, au sens de professionnalisme de l’enseignement supérieur, ce qui ne signifie pas qu’il(elle) ne soit pas un négociateur professionnel mais qu’il reconnaisse l’inséparabilité enseignement-recherche et la nécessité de fonder un enseignement sur des concepts et les avancées les plus récentes de la connaissance dans le domaine. C’est pourquoi, les témoignages de négociateurs doivent le plus souvent être utilisés comme complément d’un enseignement de négociation et non pas s’y substituer. Lorsqu’il s’agit d’intervenants assez jeunes qui ont une expérience significative et suffisamment de recul, leur capacité à susciter l’identification sera forte (avec le sous-entendu latent : « Vous pouvez être comme moi, cela ne dépend que de vous. »)
4. Limitations de l’enseignement par rapport aux aspects complexes de la négociation
53Il restera malgré tout difficile d’enseigner
les aspects vraiment complexes de la
négociation. De ce point de vue, il faut
admettre avec humilité que l’apprentissage formel n’est pas un substitut de l’expérience et que la vraie connaissance, au
sens profond du terme, est intégrée aux
personnes qui ont su réfléchir à la lueur
de leur pratique (cf. par exemple Faure et
Rubin, 1993). Ainsi la négociation interculturelle est-elle difficilement enseignable. Il est difficile de simuler le complexe. Bien que des jeux de négociation
cross-culturelle existent (par exemple
pour le DRRC, il en existe une douzaine,
dont certains utilisés en recherche comme
dans Brett et al., 1998), ils supposent souvent la rencontre de parties (Adhas-Bus-san: Japonais et Indiens; Cobalt Systems:
Américains et Coréens; etc.) dont les cultures nationales sont différentes des cultures rencontrées dans le groupe d’apprenants. Simuler la culture d’autrui est
relativement dénué de sens et se fait au
risque de stéréotypes grossiers [13]. Des
chercheurs en négociation ont même mis
en question le fait que les différences culturelles aient un impact sur les négociations internationales d’affaires, soulignant
que la base de la négociation est la même
partout, indépendamment de savoir où et
avec qui elle a lieu. Ainsi Zartman (1993,
p. 19) l’a exprimé dans des termes assez
définitifs :
« La culture est à la négociation ce que les
oiseaux en vol sont aux avions, ou, au plus,
ce que le vent est à l’aérodynamique – des
obstacles pratiques qui doivent être pris en
compte (et évités) une fois que le processus
de base a été complètement compris et mis
en œuvre. »
54La culture n’est qu’un des aspects de la complexité, qu’il est difficile d’intégrer à un enseignement autrement que par des lectures ou des témoignages qui ont une valeur d’apprentissage inférieure aux simulations. Parmi les autres aspects de la négociation complexe, on peut citer l’interface entre contrat/litige et négociation, les négociations multiparties avec des jeux de coalition, ou encore la négociation intra-organisationelle sur des enjeux de valeurs et de culture partagée (Brannen et Salk, 2000). Il serait préférable de n’aborder ces aspects que dans un enseignement spécifique (électif) qui suivrait un cours de négociation de base (prérequis), qui devrait être obligatoire pour tous les étudiants suivant un cursus de management.
CONCLUSION
55À dessein le mot « technique » (de négociation) a été pratiquement évité, de même que le mot « technologie » (bien que la négociation par e-mails soit une perspective intéressante développée en particulier par une équipe autour de J. Brett et A.Lempereur). Il faut prendre de la hauteur, peut-être beaucoup, sûrement pas trop. Comme je l’avais souligné dans une revue de la FNEGE aujourd’hui disparue, Enseignement et Gestion, les pratiques doivent être filtrées, relues, passées au crible de théories qui sont issues de disciplines plus fondamentales que le management, qui est un domaine appliqué de la connaissance (Usunier, 1983). L’enseignement de la négociation doit se faire de manière professionnelle, c’est-à-dire en liant de manière intime perspective de recherche et d’enseignement. Le danger est de les séparer, car l’enseignant risque d’avoir un réel manque de recul par rapport à ce qu’il enseigne.
56En conclusion, je terminerai par quelques recommandations concrètes :
- pour que la valeur prescriptive/normative de ce qui est apporté dans un cours de négociation soit appropriée par les apprenants, il faut qu’elle puisse s’appuyer sur une argumentation conceptuelle et/ou sur une démonstration empirique;
- il faut faire préparer les participants de manière encadrée et formelle (beaucoup des syllabus cités plus haut prennent en compte la qualité de la préparation en tant que telle dans l’évaluation);
- il faut utiliser des matériels pédagogiques éprouvés. Il en existe une grande variété et ils sont de bonne qualité. L’enseignement de la négociation doit se faire sans réinventer l’eau chaude;
- obliger à lire réellement et précisément le texte des cas et les instructions de jeux de négociation est absolument essentiel. L’expérience prouve que trop souvent la paresse entraîne une lecture imprécise des documents et une mauvaise compréhension d’aspects essentiels des enjeux et du contexte de la négociation [14]. Savoir lire réellement des documents, en atteindre la compréhension complète y compris et surtout des aspects ambigus et flous (interprétables donc) des matériaux écrits, est une aptitude absolument essentielle du négociateur;
- il faut encadrer les tâches des participants par des instructions claires, des documents à remplir, des échéances, et fixer une obligation de qualité dans les documents rendus par eux. Ajoutons que beaucoup de clarification, après la lecture des instructions, est nécessaire car le contexte ludique ne facilite pas la mobilisation des capacités cognitives;
- le rythme est important. On donnera du feedback rapidement, sous forme de présentation PowerPoint à la séance suivante, en articulant les principaux apports théoriques aux résultats présentés;
- il est utile de montrer les applications pratiques et de bien lier les concepts à des situations dites du « monde réel »;
- enfin, il est recommandable d’éviter la personnalisation, en citant le nom de tel(le) ou tel(le) participant(e) qui a adopté telle ou telle attitude ou fait un certain résultat. L’expérience prouve que les étudiant(e)s se sentent gênés d’être ainsi placé(e)s en pleine lumière face au groupe.
57 Ils apprécient un anonymat relatif.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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Notes
-
[1]
Mes remerciements vont à A. Lempereur pour m’avoir donné l’opportunité d’écrire cet article, à A. Perrinjaquet pour son assistance dans le traitement de données ainsi qu’aux assistant(e)s qui m’ont aidé lors des cours de négociation à l’université de Lausanne (école des HEC), V. Velo, D. Viña et S. Faulk.
-
[2]
Par recherche, on n’entend pas les publications ni la recherche personnelle de l’instructeur, mais l’ensemble du corpus de recherche dans le domaine. Se fonder uniquement sur ses propres pistes de recherche est égocentrique, illusoire, et dangereux, à moins d’avoir une liste de publications exceptionnelle.
-
[3]
J’utilise à dessein le mot « instructeur », instructor, qui est utilisé par la pédagogie américaine.
-
[4]
L’ensemble des jeux sont disponibles sur un CD-Rom pour la somme de 20 dollars. Certains exercices comme Comparative Advertising (un dilemme du prisonnier contextualisé) ou Data Printer (négociation autour d’un litige commercial) sont dans le domaine public. Pour la plupart, il faut compter 3,50 dollars lors de l’utilisation du jeu en salle de cours. Certains jeux sont disponibles en français ou en espagnol. drrc@ kellogg. northwestern. edu
-
[5]
Les jeux décrits dans cet article sont disponibles sur http :// www. hec. unil. ch/ jusunier/ teaching/ index. htm
-
[6]
Pour l’animation du jeu de Kelley (1966), les étudiants sont regroupés par paires; les tables sont installées de façon à ce que chaque acheteur fasse face à son vendeur, et que les tables soient suffisamment espacées pour qu’il n’y ait pas d’interférence (gêne sonore, fiches de profits aperçues qui n’auraient pas dû l’être, etc.). En France, et d’une façon générale dans les pays où les gens n’ont pas tellement d’habitude des simulations, il faut un peu insister pour que les participants consentent à passer de la disposition « salle de cours » à la disposition « simulation en face-à-face ». Il est donc nécessaire de prévoir 5 minutes d’organisation au départ. Les feuilles de rôles doivent être distribuées en mentionnant simplement qu’il s’agit d’une simulation de négociation commerciale. L’instructeur peut laisser le choix aux participants de choisir s’ils veulent être acheteur ou vendeur ou au contraire leur imposer. En distribuant les feuilles de rôle (ci-dessous), l’attention des participants est attirée sur le fait qu’elles sont strictement personnelles, et qu’ils ne doivent pas échanger d’information avec leur vis-à-vis. Après dix minutes environ pour bien lire la feuille, avant que ne commence le jeu, l’animateur demande s’il y a des questions; en général elles portent sur deux aspects : – peut-on faire jouer les quantités ? (faire des meilleurs prix pour 1000 que pour un). La réponse est clairement non. Le jeu, en termes économique, est à rendements d’échelle constants. Par ailleurs, toute offre doit être globale, incorporer les trois produits, et leur niveau de prix sous forme de trois lettres, – ils sont libres d’employer tous les arguments qu’ils souhaitent, vrais ou faux, et naturellement toutes les tactiques d’influence. Il faut que l’animateur demande aux participants de bien vouloir noter au cours de leur négociation la série des propositions et contre-propositions (= succession de triplets de trois lettres). Le jeu lui-même prend alors environ une demi-heure, certains finissant au bout de vingt minutes, d’autres terminant au bout de trois quarts d’heure. Pour ne pas casser le rythme, il est souvent obligatoire de pousser une ou deux paires de « traînards » à conclure un peu plus vite (ou à rompre) pour ne pas faire attendre presque tout le groupe.
-
[7]
Par exemple, la feuille de rôle acheteur mentionne : « Vous avez été envoyé chez l’entreprise ALPHA, un grossiste qui vend des petits biens d’équipement ménager, afin d’acheter des télévisions en couleur, des machines à écrire et des aspirateurs. Vous achetez des biens d’équipement ménager chez des sociétés comme ALPHA et vous les revendez dans vos magasins. À partir de vos coûts et de vos prix de vente, vous avez pu calculer les profits potentiels pour 100 télévisions, 100 machines à écrire, et 100 aspirateurs, quantités que vous avez précisément l’intention d’acheter. Toutefois, pour l’objectif de l’exercice, vous vous contenterez d’acheter un seul modèle de télévision, un seul modèle de machine à écrire, et un seul modèle d’aspirateur. Naturellement, vous tenterez d’acheter ces produits au prix le plus bas possible, afin de maximiser vos profits lorsque vous revendrez ces biens. Vous pouvez faire des offres différentes pour chaque produit (correspondant aux neuf lettres A à I) et vos profits sont ceux indiqués dans le tableau ci-joint. Comme vous pouvez le voir, sur le côté gauche de chaque colonne se trouvent les neuf lettres. Chaque lettre représente un niveau de prix auquel vous pouvez acheter ces trois biens d’équipement. Le prix « A » est le meilleur marché et le prix « I » est le plus cher. Plus le prix d’achat est faible, plus vos profits seront élevés : ils seront les plus élevés pour le prix « A » et les plus faibles pour le prix « I ». Le prix réel n’est pas important pour le déroulement du jeu de négociation, il est donc indiqué par des lettres. En revanche, les profits sont une donnée importante pour vous. Il sont donc indiqués dans le tableau (feuille de profits), plutôt que les prix eux-mêmes. »
-
[8]
Test de student bilatéral après avoir testé l’égalité des variances avec un test de Levene.
-
[9]
Pour chaque objet, les deux joueurs savent quel est leur niveau initial d’utilité et comment il se modifie suivant un « pas » propre à chaque objet. Ils doivent négocier des éléments de la prestation qui correspondent toujours pour eux à des points entiers d’utilité (c’est-à-dire en semaines de conditions de paiement, en semaines de délai de livraison, par 2 % de réduction de prix, et par 40 pièces pour le niveau de commande). Par exemple, pour Michoud, le paiement se fait au départ 9 semaines après livraison et l’utilité est pour Michoud de + 5. Comme la trésorerie de Michoud SA est assez tendue, ce délai raisonnable est assez avantageux pour lui. Toute augmentation du délai de paiement d’une semaine fait décroître son utilité d’un point. Inversement, toute réduction du délai de paiement d’une semaine fait croître son utilité d’un point. Le délai de paiement techniquement minimal est d’une semaine. Ils doivent négocier des éléments de la prestation qui correspondent toujours à des points entiers d’utilité (c’est-à-dire en semaines de conditions de paiement, en semaines de délai de livraison, par 2 % de réduction de prix, et par 40 pièces pour le niveau de commande).
-
[10]
Les résultats sont +3 et +3 si tous les deux font confiance; –3 et–3 lorsqu’aucun ne fait confiance à l’autre, et +6 et–6 lorsque le premier fait défection et l’autre se laisse prendre en coopérant. Le coup 4 est doublé, le coup 8 est porté au carré. Une coopération continue et bilatérale apporte un résultat de +39.
-
[11]
Il faut leur rendre grâce : ils font ce qu’ont leur dit de faire, peut-être parce que cela se passe en Suisse…
-
[12]
La métaphore a ses limites : tous les requins ne sont pas aussi dangereux qu’on pourrait le penser; par ailleurs, les dauphins s’avèrent de redoutables ennemis des requins en fonçant sur eux et en leur faisant éclater le foie.
-
[13]
J’ai ainsi transformé le cas de négociation « Centrale thermique de Kumbélé » en « Paranha Power Plant » (dans sa version anglaise). La composition du groupe (une majorité de français et des étrangers essentiellement européens) faisait naturellement émerger des blagues et des stéréotypes vis-à-vis de ceux qui composaient l’équipe africaine, qui ne sont pas du meilleur goût. Cela ne dure pas très longtemps, mais c’est plutôt inutile, voire embarassant, car ce n’est pas l’objectif de l’enseignement supérieur que de renforcer les préjugés.
-
[14]
J’ai ainsi renoncé à faire jouer le jeu de négociation Universal Computer de Lewicki et Litterer (1985), un excellent jeu de négociation intra-organisationnelle, parce que beaucoup de participants étaient malheureusement incapables de le lire correctement. Il s’agit d’un problème de contrôle qualité où les auteurs (qui ont fait le manuel le plus connu en matière de négociation) expliquent que 42 pièces prises globalement satisfont le contrôle qualité au seuil de 95 %, mais que douze pièces sur les 42 n’atteignent pas ce seuil. Cette distinction n’est pas comprise spontanément par plus du tiers des participants (y compris des étudiants MBA, dont une grande majorité d’ingénieurs). Ils font l’attribution que « le texte n’est pas clair ». Même après explication, il reste une partie des joueurs qui ne comprennent toujours pas le texte. Les attributions suivant lesquelles « le texte n’est pas clair » existent même pour des textes remarquablement bien écrits. L’absence de connaissances grammaticales et donc de compréhension du sens logique d’un énoncé est un problème pour l’enseignement de la négociation.