Couverture de RFG_150

Article de revue

Les marques face au hard discount

Quelles stratégies ?

Pages 203 à 210

Notes

1En entrant cette année dans leur magasin Carrefour, les clients ont pu voir une mise en scène particulièrement parlante : trois chariots compor tant des produits du même type, mis côte à côte. Le premier chariot ne comportait que des produits de la marque « 1 », le nom des premiers prix chez Carrefour; le second chariot ne comportait que des produits à la marque de distributeur Carrefour, le troisième ne présentait que des produits de grandes marques. S’il n’achetait que des produits dits « premiers prix » le client ne payerait que 44,76 euros, alors qu’il payerait 78,06 euros s’il s’agit de produits à la marque Carrefour et 119,78 euros soit 2,67 fois plus cher, s’il achetait les grandes marques.

2On mesure alors la nature du problème posé par la montée du hard discount dans de nombreux pays d’Europe : France, Belgique, Espagne, Portugal… En France, cette forme de distribution espère atteindre 20 % du marché en volume à la fin 2005. On est loin certes des 40 % ou plus qu’elle représente en Allemagne, son pays d’origine où elle apporta une réponse immédiate aux besoins alimentaires des Allemands en 1948, dans un pays dévasté par la guerre et les bombardements alliés : en proposant 600 références et pas plus, au prix le plus bas, grâce aux accords de longue durée passés avec des industriels pour ne fabriquer qu’un seul produit. Chez Aldi et Lidl, le client n’est pas le roi : c’est le prix. Entre-temps l’Allemagne s’est reconstruite et est redevenue l’économie la plus puissante d’Europe. Or la formule des hard discounters n’y a pas changé d’un iota : c’est même la base de son succès. Au pays des Mercedes et BMW, la majorité des allemands se nourrissent dans des magasins à bas prix, austères, sans marques. Qui plus est la formule a désormais essaimé en Europe, avec la tacite approbation des gouvernements. Ainsi, les premiers magasins d’Aldi se sont installés dans le Nord : le gouvernement de l’époque, bien que sollicité d’y mettre un frein, y vit une aide bienvenue pour lutter contre l’inflation, et surtout une soupape nécessaire pour éviter une explosion sociale dans une région touchée par l’effondrement des secteurs entiers et un chômage massif. Le hard discount permit aux ménages durement touchés par le sort de se nourrir à un prix imbattable, offert par aucune grande enseigne d’hypermarché.

LES HUIT RAISONS DU SUCCÈS DU HARD DISCOUNT EN FRANCE

3Avant de réagir face à un concurrent, il faut en comprendre les forces-faiblesses. Il faut cerner pourquoi les clients ne cessent de croître, quelles sont leurs motivations de fréquentation, quels sont leurs profils ? Désormais, il existe de nombreuses études quantitatives et qualitatives permettant d’isoler les huit facteurs de succès du hard discount et en même temps de comprendre pourquoi et où son succès fut moindre.

1. Regagner le contrôle de ses dépenses

4Tous les clients des hypermarchés le savent bien : on en sort toujours en ayant acheté bien plus que ce que l’on s’était fixé en y entrant. Cette situation qui fait la richesse des hypermarchés fait la détresse des ménages de chômeurs, ou des ménages surendettés ou des retraités ou même de tout un chacun. Pour en sortir, il faut donc ne plus entrer dans un hypermarché, mais dans un magasin qui ne propose qu’un produit par unité de besoin.

5Ce que veulent les clients du hard discount ce n’est pas acheter les produits les moins chers, mais réduire leur facture globale des courses : recontrôler leurs dépenses.

2. Regagner du pouvoir d’achat

6Le besoin de regagner du pouvoir d’achat à tous prix a été exacerbé par le sentiment que le passage à l’euro fut l’occasion de réajustements de tous les prix à la hausse menés par le grande distribution. Il est vrai que tout un pays changeant de monnaie d’un jour à l’autre, les repères de ce qui était cher ou non ont été bousculés. Ceci a contribué à faire perdre aux hypermarchés leur image de discounter, de prix bas.

3. L’image prix des hypermarchés s’est dégradée

7En France, les hypermarchés ont fait de leur marque-enseigne une arme de bataille et surtout de rentabilité. Pour contrebalancer l’attractivité intrinsèque des grandes marques, leur « privilège de demande » pour reprendre l’expression d’O. Géradon de Véra, ils ont accentué la part de marché de la marque-enseigne par « pression de l’offre » : mises en avant, part de linéaire, et surtout écart de prix. Mais, pour accroître leur pression sur le client, plutôt que diminuer les prix de la marque-enseigne, ils ont plutôt accentué l’écart avec les grandes marques en augmentant le prix de celles-ci. Or ce sont elles qui fixent les repères du niveau de prix d’un magasin aux yeux des clients.

8De plus l’évolution de la décoration intérieure des hypermarchés tels Auchan ou Carrefour n’a pu que renforcer ce sentiment.

4. L’effet de la loi Galland

9En France, la loi Galland a eu pour effet d’égaliser la concurrence par les prix. En effet les marges arrières, exorbitantes, déguisées sous le nom de « coopération commerciale », ne sont pas intégrables dans le prix. Atteignant souvent plus de 30 % du montant net de la facture, elles ne sont pas rétrocédées aux consommateurs, mais enrichissent les enseignes et financent leur développement international. Le résultat est que la différence de prix constatée entre hypermarchés et supermarchés s’est elle-même réduite.

5. La concurrence de nouvelles dépenses incompressibles

10Nos économies ne croissent plus guère, ni les salaires. Or les ménages doivent faire face à de nouveaux postes qui réduisent leur pouvoir d’achat : la hausse des taxes locales liée à la régionalisation, la hausse des prélèvements obligatoires liée aux dépenses de santé, la hausse des assurances. Surtout tout ménages ayant des enfants adolescents doit désormais financer un, deux ou trois mobiles, sans parler des dépenses liées à internet. Il faut donc trouver des poches de financement au sein des postes habituels de dépenses.

6. La loi sur les trente-cinq heures

11On dispose désormais d’un certain recul pour apprécier l’impact de cette loi sur les comportements. Il apparaît que les consommateurs ne veulent profiter de leur gain de temps pour faire plus de choses, mais pour faire les choses dans le calme, d’une façon plus sereine.

12Dans ce cas, pourquoi aller passer une après-midi dans un hypermarché ? Sachant que le temps moyen passé dans un « hyper » est de 49 minutes hors temps de transport, selon une étude MCA, autant aller près de chez soi dans un hard discount.

7. Le retour du commerce de proximité

13L’hypermarché a créé on le sait un vrai désert en centre ville : il a tué le commerce de proximité. En dehors d’approches visionnaires comme celle de Monoprix (Kapferer et Gaston-Breton, 2003), plus personne ne croyait au centre ville. Or, par leur petite surface, les hard discounters ont pu réinvestir le centre des villes : ils ont réinventé le petit commerce de proximité. De fait, une étude récente de TNS Sofres (2003) montre bien que juste après le prix bas, la proximité est la deuxième raison de fréquentation des hard discounters, la troisième étant le côté pratique, puis le paiement si facile et rapide aux caisses.

14A contrario dans un pays comme la Grande-Bretagne où le commerce de proximité est resté vivace, le hard discount a été bloqué.

8. Réduire la complexité

15Beaucoup de clients veulent fuir l’hypermarché car il crée trop de complexité. Il est vrai que le nombre de références dans un hypermarché a cru de 66 %, passant de 7830 en 1994 à 12959 en 2003 (selon MCA). Par ailleurs, ils ressentent un trouble devant les prix brouillés par tant de coupons, programmes de fidélisations, etc. qui ne cherchent qu’à restreindre de fait leur liberté de choix de magasin. Ils se sentent plus à l’aise dans l’environnement sans stimulation de merchandising d’un hard discount, malgré son austérité.

16Pour toutes ces raisons, le hard discount créé après guerre en économie de disette, est devenu une réponse aux attentes d’un nombre croissant de clients dans les économies les plus riches.

17Paradoxalement, ils ne disent pas « aimer » le hard discount : seuls 40 % le disent (selon Prométhéus). Mais le caractère non attractif du hard discount est précisément ce qui garantit à leurs yeux et fait qu’ils pensent avant tout au prix et à rien d’autre.

DES CLIENTS DE TOUTES ORIGINES

18Les chiffres de pénétration le montrent bien, les clients d’un hard discounter ne se cantonnent plus aux couches défavorisées. Certes il y a 26 % d’ouvriers (contre 20 % pour les hypermarchés et 15,5 % pour les supermarchés) [1], mais on y trouve aussi 7% de ménages aux revenus élevés (cadres supérieurs, professions libérales) contre 11 % en hypermarché. Le hard discount recrute plus chez les foyers avec enfants (25,5 % des clients émanent de foyer de quatre personnes et plus contre 21,5 % en hyper marché): il est vrai que le budget enfant fait peser une pression forte. De fait, les ménages avec des enfants au collège sont ceux qui non seulement fréquentent le hard discount le plus souvent mais aussi y dépensent le plus à chaque visite [2]. Enfin, la structure de la clientèle du HD en termes d’âge montre que la tranche 35-49 ans représente presque un client sur deux (contre un sur trois en hypermarché et supermarché). En revanche, les moins de trente-cinq ans constituent presque 38 % des nouveaux clients. De fait, les étudiants, les jeunes, les couples habitant en ville sont des clients fidèles de ces nouveaux magasins de proximité : cela modifiera à long terme leur rapport à la grande distribution mais aussi aux marques.

19Leur processus d’appropriation passe par trois étapes, comme l’a montré l’IFOP (2003): les premiers clients y vinrent par nécessité, sans enthousiasme. Puis, dissonance cognitive oblige, ils ont rationalisé leur comportement et accru leur suspicion de la grande distribution. Ils essayent à chaque visite plus de produits, au-delà donc des produits de base du départ.

20Enfin, ils deviennent ambassadeurs de la formule, et du système de valeurs qui va avec. Celui du self-control et de la consommation responsable, à dimension humaine.

OÙ VALE HARD DISCOUNT ?

21La question est sur toutes les lèvres : jusqu’où ira le hard discount ? D’une part, il va s’étendre à d’autres catégories : le textile par exemple avec Babou, Vêt’Affaires; mais aussi le bricolage, etc. Si l’on prend les hards discounters alimentaires, on connaît le proverbe : les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel. Pour être plus précis, il faut en revenir aux trois sources de croissance de toute entreprise, ici tout commerce : par le nombre de magasins, par les dépenses par visite, par la fidélisation.

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  • Bien qu’il y ait déjà en France près de 3000 points de vente il existe encore une vraie marge de croissance par l’ouverture de nouveaux magasins. Mais celle-ci aura des limites. Déjà en Allemagne, pays saturé, le rendement des surfaces au mètre carré décroît.
  • La croissance des dépenses per capita à chaque visite est limitée par le format même de ce type de commerce : Aldi s’en tient depuis sa fondation à 600/650 références. Certes, il existe plus de références chez Lidl (900), ou chez les maxi discounters français (1200 chez Ed et 1500 chez Leader Price), mais le système ne fonctionne que parce que justement il y a peu de références.
  • Il reste donc la fidélisation. Mais le prix tout seul fidélise t-il ? La qualité fidélise, d’où l’importance de celle-ci à ce niveau de prix. les marques fidélisent aussi. Ou plutôt leur absence amène à aller acheter le complément ailleurs. De fait, 65 % des clients d’un hard discounter déclarent aussi faire leur course chez Intermarché, une formule de supermarché très diffusée [3].

23On peut donc dire qu’une des voies pour croître est l’introduction de certaines marques dans ce circuit. Ce sera spasmodique, au coup par coup : on trouve par exemple La Vache qui Rit chez Ed, même si l’essentiel des produits d’Ed est à la marque espagnole Dia. On trouve aussi chez Ed un rayon fruits et légumes. Pour croître certaines enseignes de hard discount devront bien se différencier les unes des autres : on verra se développer le segment des « soft discounters » (Colla et Dupuis, 1997) à côté des hard discounters : Ed en est le prototype. Bien que membre du Groupe Carrefour, cette enseigne est gérée de façon très autonome et très dynamique de ce fait : son taux de croissance en témoigne.

LES RÉACTIONS DE LAGRANDE DISTRIBUTION

24L’avenir du hard discount dépendra beaucoup de la réaction des hypermarchés et des marques à leur égard. Chacun a besoin de l’autre dans ce combat : les hypermarchés ont besoin des marques aujourd’hui plus qu’hier. Hélas, tant que la marque de distributeur sera envisagée de façon idéologique par certaines enseignes, cette prise de conscience tardera.

25La réaction des grandes surfaces à l’arrivée des concurrents à faibles coûts a pris plusieurs formes.

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  • La première fut de demander aux gouvernements de l’époque de freiner l’entrée d’Aldi dans le Nord : mais ceux-ci refusèrent pour les raisons évoquées en introduction.
  • Puis les hypermarchés cherchèrent de la marchandise au prix le plus bas pour constituer une offre dite « premier prix » et ainsi tenter de fidéliser les clients. Mais, comme le rappelle A. Tordjman, directeur du marketing d’Auchan, il y avait une différence de qualité entre un produit « low cost » et un produit à bas prix. La grande distribution française est viscéralement allergique aux relations durables avec ses sous-traitants : elle ne peut suivre le modèle allemand où la qualité des produits d’Aldi ou de Lidl est due aux investissements industriels réalisés par les fabriquants travaillant avec Aldi, rassurés par des contrats de cinq années et plus. En France, la grande distribution veut pouvoir changer de sous-traitant quand elle le veut, et ne pas risquer de subir la loi sur la rupture abusive des relations commerciales : pas de long terme donc.
  • Plus récemment la grande distribution vient de créer un deuxième niveau de gamme économique. Les hypermarchés ont en effet bien réussi à battre le hard discount sur le terrain des prix : leurs produits premiers prix arrivent à être de 5 % à 15 % moins chers que ceux du hard discount, mais au prix d’une qualité plus basse. Aussi pour remédier à cette situation une enseigne comme Carrefour vient de lancer une gamme appelée PCI (produits carrefour internationaux), au même prix que les produits HD et de qualité comparable. Elle est donc de 15 à 20 % plus cher que les produits premier prix à la marque numéro 1.
  • La troisième forme est celle des programmes de fidélisation, des tickets.

27Que penser de ces actions ? Elles n’ont pas freiné la décroissance de l’hyper, qui bien que encore très puissant, a perdu un point de part de marché au profit du hard discount entre 2002 et 2003 (TNS Secodip). En effet, présenter trois lignes de prix voire quatre chez Carrefour, est-ce répondre aux besoins des clients ? Cela modifie t-il l’image prix de l’hypermarché ? Enfin, en quoi cela répond-t-il aux raisons pour lesquelles les clients tentent de moins fréquenter les hypermarchés, telles que nous les avons détaillées plus haut ?

LE DANGER DU DÉCOUPLAGE ENTRE LAMARQUE DE DISTRIBUTEUR ET LES MARQUES

28La principale conséquence de ces actions pour la grande distribution est de découpler le prix de sa marque-enseigne (dite cœur de gamme) avec celui de la grande marque de référence. Après des années où la marque Carrefour ou Auchan ou Repère (de Leclerc) a été positionnée 15 % moins chère que la grande marque nationale, la grande distribution a décidé de baisser fortement le prix de sa marque-enseigne, donc d’accentuer l’écart de prix entre elle et les grandes marques. Il est vrai que la nécessité d’aligner le prix des produits les moins chers sur celui des hard discounters a créé un problème pour la marque-enseigne, accrochée depuis toujours au prix des grandes marques : elle s’est retrouvée trop éloignée en prix des produits premier prix, qui, on vient de le voir, entonnent eux aussi la chanson du « meilleur rapport qualité prix ». En réduisant les prix de la marque Carrefour, l’enseigne va donc réduire sa rentabilité par unité. En effet, la fabrication d’un produit premier prix coûte 15 % moins cher que la MDD classique cœur de gamme, mais est vendue de 40 à 50 % moins cher. Il faudra bien alors compenser cette baisse de marge unitaire par une meilleure rotation de chaque référence à la marque-enseigne. On doit donc s’attendre à ce que les références qui ne tournent pas assez vite soient supprimées : il restera en rayon les meilleures références, qui recevront toute l’emphase du distributeur : une « pression par l’offre » (mises en avant, part de linéaire) en comprimant encore plus la part des grandes marques, ce qui est en même temps limiter la vraie source de rentabilité des hypermarchés.

29En effet, pour compenser cette baisse de rentabilité à l’unité, les enseignes vont devoir compter encore plus sur le prix haut des mêmes grandes marques et les marges arrière qu’elles apportent. Elles comptent faire comme le distributeur canadien Loblaw’s qui réduisit fortement le prix de sa marque President’s Choice afin d’en accroître encore plus la pénétration et fidéliser les clients, avant d’en remonter le prix petit à petit jusqu’au niveau des grandes marques.

30Cette manœuvre représente un double danger dans le cas présent. D’une part, elle a le défaut de ne pas reposer sur une faiblesse du hard discount. D’autre part, elle affaiblit la vraie source de différenciation et de rentabilité des hypermarchés. On sait bien en effet que toute contre-attaque doit exploiter une faiblesse de l’ennemi. Or quelle est la seule faiblesse de l’ennemi ? Les études montrent que ce qui fait quitter le hard discount, c’est l’absence de choix (pas de marques) et les craintes liées à l’origine et la qualité des produits (pas la garantie des marques). Ainsi, plus on affaiblira les marques, plus on se prive de contre-atta-quer sur ces deux faiblesses.

31C’est ce qu’ont bien compris en Grande-Bretagne Asda ou Tesco : pour bloquer la route aux hard discounters sans marques, ces deux enseignes se sont muées en discounters mais des grandes marques !!!

QUELLES IMPLICATIONS POUR LES MARQUES ?

32Il ressort du pronostic ci-dessus que le danger principal pour les marques à court terme va devenir la marque-enseigne des hypermarchés et des supermarchés. Ce n’est pas le produit premier prix comme on le pense trop souvent.

33C’est contre la marque-enseigne qu’il faudra défendre les volumes. Il importe donc de soutenir les références à gros volumes qui assurent la rentabilité de la marque. On doit veiller à ce que leur différentiel de prix ne soit jamais creusé, d’une façon ou d’une autre. On doit les revitaliser, les moderniser, accroître leur valeur ajoutée, quitte à se soucier moins d’innovations de niche.

34Il est notable que 76 % des produits du hard discount sont aujourd’hui achetés « pour les repas de tous les jours » (LSA, 2003). Il y a donc banalisation de l’usage, normalisation. Un second danger pointe donc à plus long terme : par un prix décroché des produits premier prix et de celui de la marque-enseigne, la marque peut être enfermée dans un positionnement de produit pour circonstances exceptionnelles. Si tel était le cas, ce serait la baisse de la fréquence d’achat donc des volumes, donc de la rentabilité. Les marques cesseraient d’être mass market.

35Il est temps de se réveiller et de prendre conscience du danger renouvelé que constitue la marque enseigne. C’est elle autant que les grands concurrents internationaux qu’il faut « benchmarker ». Trop de produits alimentaires ont des scores en test aveugles trop proches de ceux de la marque de distributeur (Que Choisir, 2004).

36Il est temps aussi que cesse l’habitude bien ancrée dans nos entreprises où toute innovation est l’occcasion de vendre plus cher. Selon TNS Secodip, 54 % des consommateurs sont prêts à payer plus cher un produit nouveau qui les satisfait : ils étaient 60 % il y a deux ans. Pour cela, il faut se livrer à une chasse aux coûts. Il y a chez Ed une personne dont le travail à temps plein est de suivre les 137 points de réduction des coûts : son titre est celui de « cost killer ». Y a t-il cette mentalité chez les grandes marques ? Sait-on assez où faire disparaître les coûts non productifs de valeur ? En a t-on le désir ? En a t-on le savoir-faire ?

37Ce qui est en jeu est la notion même de marque. Une grande marque, rappelons le, est le nom du progrès lorsqu’il arrive auprès des clients finaux. Toutes les marques furent des innovations avant de devenir des noms. Cette mission d’innovation reste au cœur de la légitimité des marques, au cœur de leurs valeurs et de la vision qu’elles proposent.

38Or, peut-on parler de progrès si celui-ci n’est pas accessible ? Il est temps de remettre le prix au cœur de nos schémas d’innovation. L’innovation vertueuse est celle qui réduit les coûts et accroît la valeur. Certes, la théorie classique nous apprend que le prix doit baisser au fur et à mesure de l’avancée dans le cycle de vie du produit. mais l’analyse concurrentielle nous apprend aussi que, un prix d’emblée bas, crée le marché de masse et crée aussi une barrière à l’entrée. En positionnant un prix en avance sur la courbe d’expérience, on trouve l’équilibre économique en même temps que l’on domine le marché de masse. Il est temps de réviser notre approche des prix dans ce contexte où même les low-costs ont de la qualité.

39C’est ce qu’a compris Fleury Michon : pour développer le marché du plat cuisiné sous vide, elle a lancé une ligne « sur le pouce » à deux euros au prix consommateur.

40L’entreprise vendéenne a su éviter la lente dérive vers le haut de gamme, flatteur mais qui éloigne des économies d’échelle. De son côté, Lactalis lança son emmental « cœur de meule » à un prix qui en accrut la valeur perçue, ce qui explique son succès immédiat. Le prix fut aussi une des clés du succès de la Peugeot 206 : la voiture la plus vendue en Europe. Elle ne l’est pas parce qu’elle est la meilleure marché (en ce cas la plus vendue serait une Daewoo), mais parce qu’elle propose un concentré de valeurs matérielles et immatérielles à un prix très compétitif pour sa cible : les jeunes, les femmes.

41Enfin, il faut savoir combattre sur le terrain de l’éthique. Derrière le prix, le hard discount est un combat pour des valeurs : celui de la simplification de la vie, de la rationalisation des choix, d’un commerce plus humain, de la fin du gigantisme, de la proximité tout simplement. Derrière les marques, il y a aussi des valeurs : il faut les défendre. Les consommateurs des pays riches veulent mieux vivre, plus longtemps et attendent toujours plus des marques : des produits garantis, traçables, sains, bons, actifs, équilibrés, adaptés à la vie d’aujourd’hui, écologiquement responsables, éthiques, soucieux du tiers monde, etc. Telle est l’innovation attendue aujourd’hui. Cette expertise-là seules les marques en disposent. Ce souci du toujours mieux avec de plus en plus de précautions, seules les marques en ont la volonté et les moyens. Il faut le rappeler.

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

  • Colla E., Dupuis M., Le DéfiMondial du Bas Prix, Publi Union, Paris, 1997.
  • Gaubert F., Gimet A., « L’impact du hard discount sur les marques », Mémoire HEC sous la direction de J.-N. Kapferer, 2004.
  • Imbs, X., « La révolution low cost dans les télécoms », Mémoire HEC sous la direction de J.-N. Kapferer, 2004.
  • IRI Secodip, « La marque dans le couple offre-demande », décembre 1999.
  • Kapferer P., Gaston Breton T., Monoprix : Au Cœur de la Vie, au Cœur de la Ville, Le Cherche Midi, Paris, 2003.
  • LSA, « Hard Discount, bientôt 3000 magasins », janvier 2003, p. 44.
  • Que Choisir, « Pourquoi dépenser plus ? », mars 2004, p. 16-25.

Notes

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