Couverture de RFG_146

Article de revue

L'assurance qualité : quelles contributions à la qualité des services ?

Pages 81 à 98

Notes

  • [1]
    Celle-ci est définie par les normes ISO 9000 comme « l’ensemble des actions préétablies et systématiques nécessaires pour donner la confiance appropriée en ce qu’un produit ou service satisfera aux exigences données relatives à la qualité » (Lamprecht, 1994).
  • [2]
    Le produit est ici entendu comme ce qui est offert ou vendu sur un marché, et renvoie donc à un bien matériel ou à un service.
  • [3]
    26 % des certificats AFAQ ISO 9000 concernent ainsi ce secteur. Source : wwww. afaq. fr(janvier 2002).
  • [4]
    L’introduction de l’assurance qualité intervient après une refonte du système de classification dont les techniciens estiment qu’il les a lésés par rapport aux commerciaux et administratifs, à laquelle est venue s’ajouter une réduction des effectifs techniques provoquée par des mutations technologiques.
  • [5]
    Nous reprenons ici la typologie des systèmes de production de service établie par Bancel-Charensol et Jougleux (1997).
  • [6]
    La version 2000 des normes ISO en fait d’ailleurs une exigence.
  • [7]
    Elle est également utile pour les nouveaux recrutés qui disposent du fait de l’assurance qualité, d’une source d’information consultable de manière autonome, sans être dépendant du bon vouloir des anciens.
  • [8]
    Dans les deux régions enquêtées, les indicateurs internes témoignent de l’amélioration des délais des dates contractuelles, des taux de relève et de rétablissement.
  • [9]
    Delaunay et Gadrey (1987); Gadrey (1991); Eiglier et Langeard (1987); Eymard-Duvernay (1994); Joseph (1994). Pour une mise en perspective de la notion de relation de service, voir May (2001).
  • [10]
    Des travaux de recherche dans les front offices montrent que si l’absence de marges de manœuvre pour les salariés au contact est source de tensions avec le client, l’absence d’un cadre de référence collectif et partagé est tout aussi pesant. Voir David et Huguet (1998), Warin (1993).
  • [11]
    Delaunay et Gadrey (1987); Gadrey (1990).
  • [12]
    Ishikawa (1981) reproche aux américains leur conception « trop professionnelle » de leur rôle dans le domaine de la qualité, « professionnelle » étant entendu au sens anglo-saxon du terme. Il insiste ainsi sur « la différence entre le TQC selon Feigenbaum et le TQC à la japonaise. Le premier, dit-il, est organisé par « les professionnels QC », alors que le second fait intervenir toutes les personnes de toutes les fonctions de l’entreprise d’où l’appellation de CWQC proposée par l’auteur de Company Wide Quality Control, Le TQC ou la qualité à la japonaise, édition française AFNOR Gestion (1984).

1La certification ISO 9000 [1]touche aujourd’hui un nombre croissant d’entreprises y compris celles offrant non pas des biens matériels mais des services. Paradoxalement le développement de ce phénomène ne s’accompagne que de peu d’études quant aux impacts réels de la certification sur les organisations qui la mettent en œuvre, alors même qu’un certain nombre d’entreprises s’interrogent sur la pertinence de ce dispositif dans la recherche de la qualité du produit [2]. Cependant des questions émergent aujourd’hui relatives aux apports de l’assurance qualité d’une part, et au caractère contingent ou non, d’autre part, de la démarche. Suffit-il à une entreprise de respecter le « cahier des charges » de la certification pour constater les effets positifs de la méthode sur la qualité des produits de l’entreprise ? N’existe-t-il pas certains facteurs de contingence de la démarche comme la nature de l’activité de l’entreprise, son organisation, le mode d’implémentation de la démarche, l’engagement de la direction et de la hiérarchie ? « La méthode ne pourrait être alors en elle-même considérée comme prédictive de son usage » (Campinos-Dubernet et Marquette, 1997) et ses effets seraient fortement dépendants du contexte dans lequel elle est implantée.

2Dans cette perspective, une interrogation se développe face au nombre croissant d’entreprises de service qui enclenchent des dispositifs de certification ISO [3]. Ce phénomène paraît surprenant au premier abord aux vues des caractéristiques intrinsèques des activités de service. En effet, une organisation qui applique les principes de l’assurance qualité garantit en permanence au client que la qualité visée du produit est atteinte à travers la définition d’un système qualité reposant notamment sur la définition et le respect de procédures de travail et la mise en place de mécanismes de détection, d’analyse et de correction des dysfonctionnements. Garantir la qualité d’un service à travers une démarche de certification suppose donc que les caractéristiques du service et la manière de le produire puissent être décrits et maîtrisés par l’entreprise. Est-ce vraiment possible dans le cadre d’une activité dont le résultat est immatériel et où la composante relationnelle, souvent forte, intervient de façon marquée dans la perception qu’a le client de la qualité (Jougleux, 2000)?

3Cette question trouve des échos dans le champ de la sociologie du travail où des recherches voient dans la certification un dispositif de rigidification de l’organisation à travers le renforcement de la prescription du travail et la limitation de l’autonomie du personnel imputables à la codification des savoir-faire de l’entreprise dans des procédures de travail (Mispelblom, 1995). Même si d’autres travaux nuancent cette position en soulignant l’importance de la participation du personnel à la mise en place de la démarche de l’assurance qualité (Segrestin, 1996; Cochoy et alii, 1998) ou à l’évolution des procédures adoptées, et au contexte organisationnel (Campinos-Dubernet et Marquette, 1997), il n’en demeure pas moins que l’assurance qualité pose la question de la standardisation des procédures de travail et de son intérêt pour le client. Ne signifie-t-elle pas dans une entreprise de service, une standardisation du service offert au détriment de la prise en compte des caractéristiques particulières du client, de la qualité de l’interaction entre ce client et le personnel en contact de l’entreprise, et donc au final de la qualité globale du service ?

4L’étude de la certification ISO 9002 dans une grande entreprise de services que nous dénommons Sertenet (cf. encadré « Les activités de service à Sertenet »), permet d’apporter des éléments de réponse à ces questions. La certification ISO 9002 y couvre deux processus majeurs; l’un concerne un processus transversal, la facturation et le paiement des services commandés et mis à disposition du client, et fait l’objet d’une certification nationale obtenue en 1997. Le second concerne un service particulier destiné essentiellement à la clientèle professionnelle et comprend la commande, la mise à disposition d’un raccordement au réseau et son rétablissement éventuel. Il a fait l’objet d’une certification régionale, obtenue en 1998 dans les sites enquêtés.

5La certification de ces deux processus s’inscrit dans le développement de la stratégie commerciale de l’entreprise face à l’arrivée de nouveaux concurrents. Le déplacement stratégique opéré dans les années quatre-vingt-dix, a consisté à privilégier une « orientation client » (Franc et Hogg, 2000) sur l’excellence technique antérieure. Il s’agit de réagir efficacement aux offensives des concurrents en complétant l’excellence technique par un affinement des interactions avec le marché afin d’augmenter la valeur des services offerts au client : identification et compréhension des attentes des clients, segmentation fine de la clientèle, construction d’offres et de stratégies locales, évaluation et amélioration de la qualité des services. Cette stratégie s’est accompagnée en 1996 d’une réorganisation qui a permis le regroupement au sein de mêmes unités des différentes activités commerciale, administrative et technique relatives à un marché donné (particuliers, professionnels, entreprises). Cette stratégie participe à une réelle perte de prestige, et donc de pouvoir, des salariés techniques au profit des commerciaux, situation que les premiers résument de la manière suivantes : « Les emplois de commercial et d’accueil sont devenus les emplois phares de l’entreprise » [4]. Dans ce contexte évolutif, l’assurance qualité constitue un des divers éléments de la « décentration » ainsi opérée.

LA MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

La méthodologie de recherche repose sur des entretiens semi-directifs auprès de l’ensemble des acteurs concernés par la certification dans deux régions, et ce un an ou deux après l’obtention du certificat. La grille d’entretien a été élaborée à partir des résultats de recherche sur la certification dans les entreprises industrielles, d’une part, et sur la qualité des services, d’autre part. Les salariés étaient interrogés sur le mode de construction, les apports et les limites de la démarche de certification ISO 9000 pour eux-mêmes, le client, et l’entreprise. 170 entretiens d’une heure trente environ ont été réalisés par les deux chercheurs de mai à octobre 1999. L’échantillon des profils interrogés a été construit de manière à être représentatif dans chacune des régions des différentes catégories d’acteurs concernées par la certification et ce sur l’ensemble de la ligne hiérarchique. Cependant dans chacune des catégories, le choix des personnes a échappé en partie aux chercheurs, car se faisant pour partie sur la base du volontariat et des contraintes d’exploitation de l’entreprise. Ces entretiens, enregistrés, ont ensuite fait l’objet d’une analyse thématique qualitative et ce essentiellement de manière transversale (Thiétart, 1999; Bardin, 1993). Le contenu et les apports de ces entretiens ont été confrontés aux documents disponibles dans l’ensemble des unités interrogées (tableaux de bord de gestion, tableaux de bord qualité, résultats d’enquêtes de satisfaction, manuel qualité, logigrammes de processus, fiches de non-conformité, etc.). Cette triangulation des données, effectuées en cours d’étude quand cela était possible, a permis d’affiner certaines questions, de confirmer ou non les propos des acteurs, voire de limiter le biais induit par le mode de sélection des salariés interrogés. L’ensemble des résultats a enfin, fait l’objet de restitutions et de validations auprès d’un certain nombre d’acteurs, notamment les responsables qualité et les responsables hiérarchiques et a servi de support à des actions de formation.

6Nous nous interrogerons dans une première partie sur les apports de la certification pour Sertenet et étudierons la question de leur convergence ou leur divergence éventuelle avec ceux identifiés dans l’industrie. Dans une deuxième partie nous analyserons alors la question de la prise en charge de l’interaction client/prestataire par l’AQ puis les limites des effets de l’AQ imputables à l’organisation de Sertenet.

I. – DES APPORTS DE LA CERTIFICATION GLOBALEMENT CONVERGENTS AVEC CEUX IDENTIFIÉS DANS L’INDUSTRIE

7Les observations réalisées à Sertenet mettent en évidence des apports certains de la certification. Ils se révèlent sensiblement comparables aux effets constatés dans les activités industrielles (Campinos-Dubernet et Marquette, 1997). Tout se passe comme si le simple fait de « mettre l’organisation en règle » de manière systématique, et ce, pour un tiers (l’auditeur), induisait presque mécaniquement un certain nombre d’effets organisationnels.

1. Un progrès dans la maîtrise des zones de coordination stratégiques

8La satisfaction du client passe par l’amélioration de la maîtrise des processus (Lorino, 1997) de façon à ce que le service offert soit effectivement produit de manière fiable et efficace.

9L’incertitude des coordinations se trouve réduite du seul fait de l’homogénéisation des manières de travailler induite par l’existence de procédures de travail tant au sein d’une activité, que dans les relations entre activités. On peut citer quelques exemples, qu’il s’agisse des relations entre commerciaux et activités techniques chargées de la préparation et de la réalisation des installations, entre le commercial qui reçoit le signalement d’un dérangement et toute la chaîne des activités techniques de surveillance et d’intervention du réseau. De manière générale, les salariés associent la démarche assurantielle au développement de la rigueur à travers notamment la rédaction et l’application des procédures de travail. Rigueur pour le commercial dans l’enregistrement de la demande du client et la gestion du contrat; rigueur enfin reconnue, pour l’agent administratif qui, grâce au dispositif est satisfait de ne plus apparaître comme « l’empêcheur de tourner en rond » et voit ses exigences légitimées; rigueur des techniciens dont c’est habituellement la culture, mais qui ont désormais à apporter la preuve à ceux qui ne sont pas du « métier » qu’ils ont effectivement respecté la procédure.

LES ACTIVITÉS DE SERVICE À SERTENET

Une offre de services complexe, mais relativement standardisée
Services offerts :
  • Service de base: droit d’usage d’une infrastructure de réseau transportant les flux d’informations (voix, données, images) d’une origine vers une destination définie par le client.
  • Services complémentaires: des services facilitants (information sur le produit, prise de la demande en face-à-face ou au téléphone, facturation, modes de paiement, etc.) et des services de soutien (Gronroös, 1990) (vente ou location d’appareils et d’accessoires de communication, installation, service après-vente et services complémentaires). Tarification: droit d’usage du réseau (abonnement) et usage effectif (temps d’utilisation, distance).
Offre de service segmentée en fonction des types de clientèle (particuliers, clientèles professionnelles).
Bien que l’offre de services soit relativement importante, chaque client combinant le service de base à un certain nombre de services facilitants ou de soutien, cette offre est plutôt standardisée, les caractéristiques de chaque service et les prix étant clairement prédéfinis. Par ailleurs, cette offre est offerte de manière homogène sur l’ensemble du territoire.
Une production de services multicibles et fortement consommatrice de coordinations
L’offre de services suppose un système de production technique et relationnel [5] s’appuyant d’une part, sur un réseau d’infrastructure lourd et des unités techniques et, d’autre part, sur de multiples points de contact (en face-à-face et au téléphone) avec la clientèle, le tout couvrant l’ensemble du territoire. La production de ces services suppose ainsi la coordination d’activités diverses et de processus travaillant sur des cibles différentes :
Cibles matérielles: création et maintien d’un réseau technique destiné à faire circuler l’information, y compris en intervenant à domicile chez le client pour réaliser des travaux de génie civil ou d’installation technique;
Information: création et mise à jour de l’information technique concernant le réseau de communication (bases de données sur l’occupation du réseau), les services dont disposent le client et les caractéristiques du client lui-même (bases de données accessibles en temps réel par les agents de front office);
Le client lui-même, reçu en face-à-face ou au téléphone, dont on détecte les besoins en vue de lui proposer une gamme de services adaptés, et à qui on fournit des informations notamment sur certains aspects techniques du service proposé : usages possibles, tarification, caractéristiques des appareils de communication…
Coproduction
L’ensemble des services suppose une interaction entre l’entreprise et son client lors de la phase de création du service et éventuellement lors des opérations de maintenance ou d’évolution du service initial. En phase de « croisière », le contact entre l’entreprise et le client est minime, se résumant à un droit d’usage du réseau technique. Pendant les phases d’interaction, le client constitue éventuellement une ressource de la production de service dans la mesure où il fournit des informations diverses permettant à son interlocuteur de détecter ses besoins, où il collabore lors de travaux d’installation à son domicile, où il signale et explicite les symptômes d’un dysfonctionnement du service…
Le système de production est éclaté d’une part, sur le territoire national et d’autre part, entre des unités de front office où la spécification et la production du service s’effectuent au contact du client, que cela soit pour les aspects commerciaux ou techniques, et des unités de back office (commerciale, administrative, technique) où le client est absent.

10L’assurance qualité construit et renforce une représentation en termes de processus dans l’entreprise [6]. Les unités techniques, par exemple, qui assurent la supervision et le rétablissement éventuel du cœur du réseau,via la commutation, ont été dotées à cette occasion d’un point d’entrée unique de façon à ce que soient réparties de manière rationnelle et efficace les différentes sollicitations et demandes d’intervention dont elles peuvent être l’objet (nouveaux services ou rétablissement). Il en résulte une fiabilisation des coordinations dont l’espace géographique peut être très étendu et qui, de ce fait, se trouvent sujettes à plus d’aléas que des coordinations de proximité. La réduction des erreurs et des dysfonctionnements est largement admise et vérifiée.

11L’objectif de satisfaire le client a conduit à créer une nouvelle fonction d’interface front office/back office, correspondant unique du client une fois le contrat signé. Cette fonction appelée « pilotage » prend le relais du commercial et s’assure à la fois des relations qui vont suivre avec le client, de la réalisation des études du réseau, et des interventions qui vont permettre à ce client d’y être connecté afin de bénéficier des services attendus. L’apport indéniable de cette fonction est de permettre, en un point spécifique de l’organisation identifié par tous, d’avoir une visibilité de l’ensemble du processus. Le pilote joue en quelque sorte un rôle de « vigie ». Il sait à tout moment où en est l’avancement des activités de back office préalables à l’installation. Il est chargé en outre de résoudre ou faire résoudre les problèmes de coordination momentanément identifiés. Enfin de manière systématique, une fois le service rendu, il vérifie le degré de satisfaction du client (envoi d’un écrit puis téléphone si signalement de problèmes).

12De fait, le dispositif assurantiel permet une meilleure identification et un suivi dans le temps des problèmes de coordination. Il facilite le traitement des anomalies et « valorise l’erreur ». D’ailleurs, il a de fait entraîné une professionnalisation du traitement des réclamations et systématisé le recueil et le traitement des non-conformités internes.

2. L’AQ substitue une qualité entreprise aux diverses conceptions « indigènes » de la qualité

13La formalisation de l’organisation a permis une clarification de la division du travail adoptée et du rôle de chacun dans une période de transformation profonde de l’organisation. La description des activités facilite la construction de nouveaux repères, après que les changements organisationnels adoptés soient venus brouiller les repères existants. C’est ainsi que des techniciens ont appris à travailler avec des commerciaux, que des groupes de travail interunités ont été formés (une fois la certification obtenue), afin de régler des problèmes de frontières entre les uns et les autres et surtout de construire des « repères partagés » à la fois sur la nature et la qualité du service rendu et sur le contenu des activités y concourant. (Hatchuel et Weil, 1992) [7]. Plus particulièrement, la certification a permis de faire mieux comprendre, en liaison avec la définition partagée de la qualité de service, aux différentes populations qu’activités de back office et activités de front office sont très étroitement interconnectées et concourent toutes ensembles au service vendu au client (Bancel-Charensol et Jougleux, 1997).

14Le dispositif assurantiel a précisé le service rendu au client et a formalisé le niveau de qualité voulu par l’entreprise, concourant ainsi à une homogénéisation du traitement du client. La qualité du service a été précisée à travers la définition de délais de réalisation et de rétablissement des installations [8], et de taux de respect de ces délais. Elle inclut également le temps de traitement des réclamations écrites des clients, voire le suivi de leur satisfaction face à la réponse de l’entreprise à cette réclamation. Dans le cas du service client par téléphone un suivi des temps d’attente client a été introduit. Par ailleurs, la détection des surconsommations accidentelles, erratiques, donne lieu à des démarches spontanées de l’entreprise destinées à prévenir les conflits éventuels avec le client lors de la réception de la facture.

15Cette formalisation des caractéristiques du service favorise en interne une représentation partagée par les différents métiers de la qualité du service offert, permettant un dépassement des visions locales, partielles et indigènes (Bonnet, 1996) de la qualité jusque-là préexistantes.

16Ainsi aux yeux des techniciens, l’assurance qualité est très directement associée au développement d’une préoccupation client « Le plus utile dans l’assurance qualité c’est le ressenti du client » signalent les encadrants. Plus concrètement, ces préoccupations clients se traduisent par l’attention accordée désormais aux délais par les techniciens, au-delà de la seule qualité technique de l’intervention, ainsi que par la qualité d’une éventuelle interaction avec le client.

17« Les agents d’intervention ont quand même bien intégré cette relation client et ça, c’est bien le résultat de l’AQ et de toutes les actions de formalisation, notamment en termes de délai » (encadrant).

18Une fraction des commerciaux a compris que la qualité du service offert au client ne se limitait pas à la qualité de l’interaction avec celui-ci, mais que la rigueur de la saisie sur les bases de données client par exemple, la signature du contrat commercial, le suivi après-vente avait un rôle sur la qualité de la facturation (exhaustivité, exactitude) et donc, sur la qualité du service global offert.

3. L’AQ légitime la référence au marché

19Le fait que l’assurance qualité soit une règle externe à l’entreprise, utilisée de plus en plus par un grand nombre d’entreprises, y compris de service, est une aide indéniable de légitimation du choix fait par l’entreprise et des effets qu’elle produit. D’ailleurs, les regrets quant à l’absence de communication externe sur la certification de la part de l’entreprise n’en sont que plus vifs.

20Elle offre alors des ressources de conviction à l’encadrement pour motiver les équipes à adopter des démarches de qualité. Certains encadrants se sont ainsi appuyés sur les fiches de non-conformité ou l’écouteclients pour sensibiliser les équipes à la problématique de la qualité, pour en faire des acteurs capables de faire remonter les problèmes des clients et de générer de ce fait une solution à ces problèmes; c’est le cas notamment des équipes en contact avec le client, que ce soit en face-à-face ou au téléphone.

21Mais l’assurance qualité peut aussi indéniablement être un outil de management d’imposition. L’existence d’un référentiel écrit légitime par exemple les rappels de procédures faits en réunion d’équipe, suite par exemple à un audit ou à des fiches de non-conformité émises par d’autres services.

22Au final, l’assurance qualité a permis à l’entreprise d’enclencher une réelle dynamique de progrès relative aux processus, conduisant à une amélioration de la qualité du service fourni au client, et à un suivi plus systématique à la fois des moyens de l’obtenir mais aussi des résultats produits. Si ces conclusions s’apparentent à celles déjà réalisées dans l’industrie, elles ne semblent pas du tout contradictoires avec la nature de l’activité ici étudiée, c’est-à-dire un service. Au contraire, les apports de la certification nous semblent d’autant plus importants qu’ils permettent une certaine rationalisation des processus et concourent à une réelle professionnalisation de l’activité à travers la formalisation des caractéristiques du service, de sa qualité et des activités nécessaires à sa production. Plus particulièrement dans le cas étudié le développement de la certification a suscité une réflexion sur la production d’un service particulièrement complexe.

23Mais les conclusions évoquées ci-dessus sont-elles valables aussi bien en front office qu’en back office?

II. – ASSURANCE QUALITÉ ET INTERACTIONS CLIENT/ENTREPRISE : « OUTILLER » LA RELATION

24De nombreux travaux en sciences sociales ont souligné les spécificités des activités de service et ont notamment mis en avant l’importance de la relation qui s’instaure entre le prestataire et le client lors de la production du service demandé [9]. L’existence de cette relation induit de nombreuses conséquences managériales : adaptation aux caractéristiques différentes des clients, disponibilité et réactivité du personnel en contact, développement de compétences relationnelles, régulation de flux physiques de clients, etc.

25L’analyse des apports de l’assurance qualité suppose de se pencher sur le point de vue d’une population particulièrement concernée par les interactions avec le client, la population commerciale. Ce sont les salariés amenés à être en contact direct avec le client que cela soit dans les points d’accueil ou au téléphone, pour des activités de vente, d’information, d’assistance, de facturation/paiement, de traitement de réclamations diverses. Ces activités se situent principalement au début (la plupart) ou à la fin des processus certifiés. Peut-on affirmer que les méthodologies AQ garantissent la réussite de l’interaction avec le client ?

1. L’impossible intégration de la qualité relationnelle du service dans les procédures de travail

26La population commerciale à Sertenet se montre la plus réticente vis-à-vis de l’assurance qualité. Près de la moitié des agents interrogés sont des « critiques indifférents » : la hiérarchie intermédiaire et de proximité n’affichent pas d’attente vis-à-vis de l’assurance qualité, se contentant de jouer formellement le jeu de la certification tout en n’étant pas convaincu de l’intérêt de la méthode; les employés de base déclarent quant à eux ne pas se sentir concernés, estimant que l’outil apporte peu de chose au client et ne leur fournit pas d’aide dans leur travail. Comment expliquer cette forte réticence ?

27Le service proposé par Sertenet articule des dimensions techniques et relationnelles. En reprenant l’analyse de Berry, Parasuraman et Zeithaml (1990), l’évaluation de la qualité du service par les clients repose sur des critères tels que la réactivité du service proposé (temps de traitement et de réalisation de la demande), sa fiabilité (absence d’incidents techniques), son accessibilité (temps de prise de ligne au téléphone, proximité géographique de l’accueil physique et amplitude d’ouverture), sa sécurité (installation technique conforme, confidentialité des échanges de données, absence de piratage du réseau). Il s’agit là d’un ensemble d’éléments dont nous avons pu montrer qu’ils se révélaient très directement améliorés par l’AQ.

28Mais elle repose aussi sur des items tels que la capacité de compréhension du personnel (le prestataire fait un effort pour connaître le client et ses besoins et lui propose un service adapté), de communication du personnel (écoute des clients, informations des clients), sa courtoisie, sa disponibilité, c’est-à-dire en résumé un certain nombre de critères caractérisant la qualité de l’interaction entre le client et le personnel en contact, qu’il soit commercial, technique ou administratif.

29Les activités commerciales sont les plus directement impliquées dans la qualité relationnelle du service car elles initient, réparent ou modifient le service consommé par le client et ce en interaction avec lui. Les commerciaux demeurent porteurs d’une définition « locale » de la qualité du service, fortement axée sur ce moment d’interaction avec le client que cela soit en face-à-face ou au téléphone. La qualité du service offert est alors perçue comme essentiellement dépendante de leurs connaissances techniques des produits, de leur capacité d’écoute et d’ajustement aux attentes et aux ressources des clients, de leur disponibilité et donc de ce qu’ils nomment « leur professionnalisme ». Il s’agit là de l’essence même de l’activité commerciale.

30L’assurance qualité apparaît dès lors comme ne fournissant pas d’aide directe aux populations commerciales, la qualité relationnelle du service n’étant pas strictement dépendante du respect de procédures de travail particulières, même pertinentes. Ce n’est pas parce que l’agent commercial suit à la lettre la procédure « premier abonnement » que l’interaction avec le client va bien se passer, voire même il va exiger des papiers d’identité, des informations que le client n’a pas, ce qui va contribuer à son mécontentement. Le strict respect de certaines procédures amène ainsi parfois une dégradation localisée de la qualité du service perçue par le client en ne permettant pas, par exemple, de satisfaire très rapidement un client ou de prendre en compte une demande particulière.

31« L’AQ est une contrainte car il y a des processus rigoureux alors qu’avec le client, il faut faire en souplesse » (vendeur).

32Les commerciaux ont, pour une partie d’entre eux, interprété alors l’assurance qualité comme l’irruption de la technique et de l’administratif dans leur activité ou comme une volonté de l’entreprise de standardiser leurs activités au détriment de la qualité du service au client telle qu’ils la conçoivent.

33« ISO n’apporte que des ennuis aux vendeurs, bon de commande mal rempli, contrat non obtenu; c’est une pièce rapportée. La qualité est toujours technique à Sertenet alors que la qualité ici repose sur le professionnalisme des vendeurs. ISO les fait rire. » (encadrant intermédiaire ventes).

34Faut-il alors conclure pour autant que l’assurance qualité et la qualité du service ne sont guère compatibles, voire antinomiques en front office?

2. Une contribution indirecte à la qualité de l’interaction avec le client

35Si l’assurance qualité ne contribue pas directement à la qualité de l’interaction, elle offre un certain nombre de mécanismes au personnel en contact avec le client et à sa hiérarchie qui, conjugués les uns aux autres, concourent à améliorer la qualité du service en cadrant et outillant la partie relationnelle du service sans pour autant la standardiser.

36L’assurance qualité offre tout d’abord un cadre de référence partagé [10] au personnel de front office (caractéristiques du service, niveau de qualité voulu par l’entreprise, procédures de travail, cf. partie I) qu’il peut mobiliser dans sa relation au client et à partir duquel il peut détecter et déclarer une situation anormale ou non (délais d’intervention non respectés, procédure de traitement d’une demande non suivie); l’AQ amène ici une objectivation du service contrebalançant la nature intangible du produit vendu au client.

37De nombreux travaux de recherche soulignent en effet, que l’achat d’un service est fondamentalement entaché d’incertitudes pour le client [11]. Cette incertitude provient de la nature intangible du service et des difficultés rencontrées par le client dans la compréhension et l’appréciation, avant l’achat, des caractéristiques du produit ainsi que de son hétérogénéité plus ou moins grande.

38Les services offerts par Sertenet n’échappent pas à la règle : incorporant des dimensions techniques multiples et innovantes, notamment pour les services concernant les clients professionnels, reposant sur de nombreuses règles tarifaires, proposant des options variées, ils sont complexes à appréhender par le client. Ils sont par ailleurs, nous l’avons vu dans la première partie, complexes à produire pour l’entreprise.

39Dans ce contexte, la certification ISO constitue un argumentaire intéressant pour le personnel en contact dans les négociations de vente ou les échanges relatifs aux problèmes de maintenance, notamment avec la clientèle professionnelle : il peut mettre en avant la crédibilité d’une entreprise de service engagée dans une telle démarche, l’homogénéité du traitement du client, la fiabilisation de la qualité technique (cf. partie I) et donc ancrer l’interaction avec le client dans la confiance.

40« Si derrière, c’est fiable, c’est plus facile d’affirmer quelque chose au client quand il vient pour une réclamation sur la facture » (vendeur).

41« Ce sont les mêmes procédures partout, c’est un argument commercial, cela rassure le client » (vendeur).

3. La remontée des attentes des clients et le développement de boucles qualité

42Au-delà du développement de la confiance entre le client et le prestataire, l’assurance qualité est susceptible de déclencher une boucle qualité sur les caractéristiques de l’offre et de sa production. En effet, l’AQ a induit un système formalisé de remontée des plaintes exprimées par le client au personnel en contact, au travers notamment la rédaction de fiche d’écoute clients et de fiches de non conformité interne. Elles apparaissent pour les agents en contact direct avec le client et donc sous sa pression comme un moyen de s’exprimer et de faire remonter les dysfonctionnements avec la certitude d’être lu et d’obtenir une réponse. Ces informations sont communiquées à d’autres services, à l’échelon local ou national, combinées au suivi statistique des résultats, au traitement des réclamations et aux données issues des enquêtes de satisfaction, analysées et mutualisées dans les réunions d’équipe ou les groupes de travail interservices. Elles contribuent à une réflexion commune des différentes unités de l’entreprise et donc, à l’émergence d’une définition globale de la qualité du service. Dans une des agences, cette écoute client a ainsi été systématisée pour construire et développer une stratégie locale de l’unité.

43Même si l’AQ n’assure pas la performance de la relation avec le client, c’est un outil intéressant dans les services; elle offre en effet, un système formalisé de remontée et d’analyse des interactions avec le client, mettant ainsi à profit l’existence de ce client dans la production du service pour enclencher une démarche dynamique d’amélioration de l’offre et de la production.

44Les résultats de l’AQ se montrent certes liés pour partie à la nature de l’activité et on a pu voir précédemment que l’activité commerciale était de ce point de vue dans une situation un peu particulière. Cependant, à Sertenet comme dans les activités industrielles, les limites de l’AQ ne tiennent pas seulement à la nature d’une activité particulière mais se révèlent aussi largement induites par le type de résolution des dysfonctionnements organisationnels adopté.

III. – CEPENDANT LES RÉSULTATS DE L’AQ DÉPENDENT FONDAMENTALEMENT DES CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS

45La préparation de la certification s’est accompagnée d’une réflexion sur l’organisation en place et de son évolution selon une orientation processus. Cependant, la logique voudrait qu’une telle réflexion ne s’arrêtât point à la phase préparatoire, et qu’au vue des dysfonctionnements organisationnels identifiés par la suite – et ce de façon systématique – l’organisation de l’entreprise puisse évoluer afin de les résoudre. En effet, comme l’a constaté Deming (1991), « La plupart du temps, les désordres que l’on trouve dans une activité de production ou de service proviennent du système. »

46Sertenet, malgré les changements organisationnels introduits en 1996 au moment de la certification, et malgré l’introduction d’une stratégie « orientée client », demeure fortement hiérarchisée et cloisonnée, conservant ainsi de manière prédominante les traits d’une bureaucratie mécaniste (Mintzberg, 1984). Ainsi le mode de conduite de la certification a été organisé de manière descendante et n’a pas facilité l’adhésion des personnels. Une grande partie des salariés n’a perçu l’introduction de la certification que comme l’expression d’une nouvelle règle émanant de la hiérarchie, voire le nouveau symbole de l’ensemble des changements en cours qu’ils estiment pénalisant. Par ailleurs, la certification n’ayant concerné que deux des divers processus de l’entreprise, elle n’a pas englobé le haut management dans la dynamique enclenchée. En conséquence, les méthodologies introduites par ISO, après des améliorations initiales patentes, mettent à jour des problèmes plus profonds qui ne peuvent être résolus par des aménagements à la marge de l’organisation. Enfin, les responsables qualité à la recherche d’une position statutaire légitime nouvelle et confrontés à l’incertitude du rôle que leur attribuait l’organisation, n’ont pas facilité l’appropriation du système qualité et apporté le soutien attendu par une partie des acteurs.

1. Des boucles qualité interrompues par l’organisation

47Des difficultés récurrentes liées au non respect des procédures de travail ne donnent pas lieu à enquête et perdurent dangereusement. On peut citer des non signatures de contrat par les clients avant engagement des travaux, les renseignements insuffisants des bases de données qui conditionnent le suivi des zones d’occupation des réseaux. Signalés de manière régulière, ils sont peu suivis d’effet. Il en va de l’implication du management sur lequel nous reviendrons, mais aussi de problèmes d’organisation du travail au sein des unités. D’ailleurs, la manière même dont sont traitées les fiches de non conformité émises par le personnel se révèle significative de la culture bureaucratique prévalante. Elles sont triées et renvoyées aux services concernés par le responsable qualité et ne font pas, de sa part, l’objet d’un suivi systématique quant aux solutions adoptées pour résoudre les problèmes signalés. En outre, lorsque ce traitement est opéré, il l’est fréquemment au niveau des comités de direction d’unités. Si ce traitement confère au dispositif une forte légitimité, il présente également l’inconvénient de favoriser les représentations en termes de délation pour le personnel de base. Plus encore, il entretient l’idée qu’il revient essentiellement à la hiérarchie de régler les problèmes qui surviennent.

48Nombre de réclamations internes adressées depuis le niveau local au niveau central de l’organisation restent sans réponse. C’est ainsi que le manque d’adaptation signalée de différents applicatifs informatiques, suscitant une double saisie, des difficultés à identifier l’ensemble des services achetés par un même client, à renseigner la configuration physique et technique des lieux d’installation du client, restent non seulement sans solution immédiate, mais surtout sans réponse aucune. Les grandes directions fonctionnelles centrales, non incluses dans le champ de la certification ne se sentent pas engagées par les démarches qu’elle impulse. De manière équivalente, les divisions opérationnelles nationales ne répondent pas à des propositions de solutions des problèmes rencontrés, émanant du niveau local.

49Si les difficultés précédemment signalées relèvent pour partie du caractère limité de la démarche assurantielle dans l’entreprise, nombre de problèmes sont induits par l’insuffisance de la réflexion sur les processus. Les démarches préalables à l’obtention de la certification nationale ont largement été organisées sur le mode descendant. Certes, certains processus nécessitaient un mode de coordination sur l’ensemble du territoire. Toutefois, les propositions faites par les groupes de travail locaux, n’ont pas donné lieu à amples consultations et discussions. Certains groupes qui se sont impliqués, ont fait des propositions pour s’entendre dire une fois le travail fini, d’adopter les procédures nationales. Ils s’étaient crus partie prenante de la démarche engagée. On ne s’étonnera donc pas que les procédures adoptées fassent l’objet de nombreuses critiques. Dans certains cas, celles-ci reposent certes sur le refus de voir remises en cause des habitudes antérieures. Tel est le cas de l’obligation de signature à des fins de traçabilité. Cependant, nombre de critiques renvoient, soit au caractère insuffisamment fondé des choix retenus (par exemple en métrologie, longueur du processus d’étalonnage sans que des solutions de remplacement des instruments n’aient été prévues), soit au système de preuve particulièrement lourd (preuve de réception de l’ordre de traduction, preuve de l’introduction des éléments de logiciel, preuve du bon fonctionnement obtenu à travers la trace papier de la réalisation d’un essai).

50Concernant également les processus, l’organisation du bureau d’étude par exemple, a été conçue pour des installations standards, nécessitant donc des études simples. Or, 20 % de celles-ci sont complexes et ont donc du mal à être gérées dans les mêmes conditions que celles qui sont standards. Elles induisent une désorganisation des études, provoquent des retards, suscitent la production de dossiers incomplets, très pénalisants pour leurs utilisateurs, les techniciens d’intervention. Une fois chez le client, ils constatent qu’ils ne disposent pas de l’ensemble des informations nécessaires. Conformément à la tradition bureaucratique, peu d’effort de conviction ont été développés en direction du management intermédiaire qui comprend deux niveaux, les responsables d’unité et de département, et les agents de maîtrise. Or on sait que celui-ci joue un rôle important dans ces démarches (Nonaka et Takeuchi, 1997). Une telle situation se révèle fort différente des pratiques en cours dans nombre d’entreprises où la première tâche de la direction générale est de convaincre les responsables intermédiaires de l’intérêt stratégique pour celle-ci de s’engager dans la démarche assurantielle. Il est en effet frappant de constater qu’à Sertenet les ressources organisationnelles mobilisées l’ont été essentiellement dans un souci de démultiplication et d’expérimentation dans la phase préalable à la certification, plus que dans celui de développer la conviction. La logique d’autorité l’a emporté conformément à la tradition bureaucratique de l’entreprise.

51D’ailleurs, dans le cadre des nouvelles orientations stratégiques, les règles d’évaluation de l’activité des managers les amènent à privilégier les résultats commerciaux. Ceci les conduit parfois à négliger certaines dimensions processus de leur activité, telles, par exemple, les insuffisances de renseignement des bases de données de la part de leurs subordonnés dont les effets ne seront perceptibles que dans la durée, c’est-à-dire lorsque ces managers auront été affectés à d’autres fonctions.

52En ce qui concerne les agents de maîtrise, ils rencontrent de réelles difficultés à obtenir de leurs subordonnés le respect des nouvelles règles. S’ils cherchent à les convaincre, les limites du système en place en termes de procédures de travail, ou en termes de non résolutions de dysfonctionnements récurrents, constituent un frein manifeste à leur démarche. Quant aux audits, ils suscitent au mieux un effort ponctuel comparé à du bachotage qui retombe ensuite comme un « soufflet ».

2. Des responsables qualité qui privilégient la défense de la règle

53Selon les différents écrits et travaux disponibles, deux conceptions du rôle des responsables qualité sont généralement définies : une première qui dans une tradition plus anglo-saxonne en fait en quelque sorte « des professionnels de la règle »; tandis que la seconde plutôt représentée par les japonais conçoit les responsables qualité davantage comme des facilitateurs, capables d’aider les opérationels [12]. Dans cette seconde conception, le soutien qu’ils apportent à ceux-ci suppose une connaissance effective des activités à « mettre en règle » et à améliorer. À l’inverse, une posture de forte extériorité par rapport aux activités considérées maintient plus naturellement le système dans le formalisme.

54On ne s’étonnera pas que conformément à la tradition bureaucratique, les responsables qualité de Sertenet adoptent plus aisément la première conception de leur rôle. Considérant leur activité comme un champ d’intervention autonome, ils attendent de l’organisation qu’elle définisse précisément la reconnaissance statutaire qui leur paraît convenir (cf. Crozier, 1963). C’est de cette reconnaissance que dépend à leurs yeux l’obtention par l’organisation du meilleur résultat possible dans ce domaine. Si on leur oppose que l’objectif assigné à la démarche qualité par la direction générale est davantage de construire une démarche processus, et de s’éloigner ainsi progressivement d’une organisation construite à partir d’une juxtaposition hiérarchique de sous-ensembles autonomes revendiquant chacun leur zone d’intervention et d’en favoriser une réelle transversalité, ils répondent que la qualité du résultat obtenu par la certification dépend fortement de la reconnaissance accordée à la fonction qualité elle-même.

55Aussi n’est-il pas surprenant qu’ils soient principalement perçus comme les défenseurs de la règle, et secondairement soucieux de soulever les problèmes d’organisation qui engendrent des dysfonctionnements. D’ailleurs, aucun dispositif d’aménagement des règles adoptées n’a été prévu, pas davantage que les modalités de capitalisation des savoirs activité par activité. Pourtant, le caractère standardisé des services vendus seraient susceptibles de mettre à profit les apprentissages effectués afin de produire des savoirs nouveaux et d’améliorer la maîtrise des processus (effet statistique). Aussi, ces apprentissages rencontrent-ils des difficultés à être intégrés par l’organisation; ils s’arrêtent le plus souvent à l’étape de « simple boucle », pour reprendre l’expression d’Argyris et Schön (1996).

CONCLUSION

56L’exemple de l’AQ à Sertenet paraît tout à fait instructif. La certification ISO 9000 semble être une démarche pertinente dans une activité de service telle que l’exerce Sertenet. Si l’assurance qualité ne contribue pas directement à la qualité de la relation de service, elle contribue à réduire l’incertitude de l’ensemble des coordinations nécessaires à la production du service, notamment entre front et back office, améliorant ainsi la qualité du service vendu. En outre, elle met à la disposition du personnel en contact un certain nombre « d’outils » qui constituent des ressources mobilisables dans l’interaction avec le client. La question de la nature du service étudié se pose cependant ici. L’ensemble du fonctionnement du dispositif assurantiel à Sertenet résulte-t-il de la nature particulière de l’activité de service : un service globalement standardisé, où la dimension technique est très importante alors que la coproduction avec le client se révèle être assez ponctuelle ? Qu’en serait-il de ces conclusions dans une activité où la dimension relationnelle serait prépondérante ? Des études dans d’autres activités de service permettraient d’éclaircir la question.

57Cependant, le cas étudié met également en évidence l’importance du contexte organisationnel de l’entreprise. Ainsi, dans cet exemple, les caractéristiques de la mise en place du système qualité et son fonctionnement ultérieur sont totalement marqués de la tradition bureaucratique prévalante. On y remarque, tout comme dans d’autres investigations industrielles (Campinos-Dubernet et Marquette, 1999), la difficulté de l’AQ à résoudre les dysfonctionnements organisationnels. La résolution de ceux-ci dépend de la volonté et de la capacité du management à engager, dans ce domaine, les changements susceptibles de les résorber.

58De fait, dans les services comme dans l’industrie, ISO s’applique à l’organisation en place. Elle ne fait que la rendre plus lisible, mais elle n’a pas spontanément le pouvoir de la transformer et a fortiori de réguler les changements qui seraient nécessaires si le management ne souhaite pas s’y engager. Ceux-ci comportent un ensemble complexe d’opportunités mais aussi de menaces pour les acteurs concernés et induisent nécessairement des conflits. Ainsi, contrairement à une idée assez communément répandue, ISO n’est pas une norme organisationnelle. Elle formalise l’organisation et suppose l’utilisation de certaines méthodologies mais elle n’introduit pas un standard organisationnel analogue à la division conception/exécution à la manière du taylorisme. Bien au contraire, son efficacité dépend intimement de la configuration de l’organisation dans laquelle elle s’insère. En effet comme ont pu l’analyser d’autres travaux (Girin, 1995; Greenan, 1995; Coriat, 1996), l’introduction d’une innovation donnée ne garantit pas qu’elle s’effectue automatiquement dans les conditions d’efficacité requises.

59Plus fondamentalement, cet exemple met en évidence l’incidence des choix manageriaux sur les résultats de la certification ISO. La nouvelle version des normes sera-t-elle capable de changer cet état de fait ? On est en droit d’en douter.

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Notes

  • [1]
    Celle-ci est définie par les normes ISO 9000 comme « l’ensemble des actions préétablies et systématiques nécessaires pour donner la confiance appropriée en ce qu’un produit ou service satisfera aux exigences données relatives à la qualité » (Lamprecht, 1994).
  • [2]
    Le produit est ici entendu comme ce qui est offert ou vendu sur un marché, et renvoie donc à un bien matériel ou à un service.
  • [3]
    26 % des certificats AFAQ ISO 9000 concernent ainsi ce secteur. Source : wwww. afaq. fr(janvier 2002).
  • [4]
    L’introduction de l’assurance qualité intervient après une refonte du système de classification dont les techniciens estiment qu’il les a lésés par rapport aux commerciaux et administratifs, à laquelle est venue s’ajouter une réduction des effectifs techniques provoquée par des mutations technologiques.
  • [5]
    Nous reprenons ici la typologie des systèmes de production de service établie par Bancel-Charensol et Jougleux (1997).
  • [6]
    La version 2000 des normes ISO en fait d’ailleurs une exigence.
  • [7]
    Elle est également utile pour les nouveaux recrutés qui disposent du fait de l’assurance qualité, d’une source d’information consultable de manière autonome, sans être dépendant du bon vouloir des anciens.
  • [8]
    Dans les deux régions enquêtées, les indicateurs internes témoignent de l’amélioration des délais des dates contractuelles, des taux de relève et de rétablissement.
  • [9]
    Delaunay et Gadrey (1987); Gadrey (1991); Eiglier et Langeard (1987); Eymard-Duvernay (1994); Joseph (1994). Pour une mise en perspective de la notion de relation de service, voir May (2001).
  • [10]
    Des travaux de recherche dans les front offices montrent que si l’absence de marges de manœuvre pour les salariés au contact est source de tensions avec le client, l’absence d’un cadre de référence collectif et partagé est tout aussi pesant. Voir David et Huguet (1998), Warin (1993).
  • [11]
    Delaunay et Gadrey (1987); Gadrey (1990).
  • [12]
    Ishikawa (1981) reproche aux américains leur conception « trop professionnelle » de leur rôle dans le domaine de la qualité, « professionnelle » étant entendu au sens anglo-saxon du terme. Il insiste ainsi sur « la différence entre le TQC selon Feigenbaum et le TQC à la japonaise. Le premier, dit-il, est organisé par « les professionnels QC », alors que le second fait intervenir toutes les personnes de toutes les fonctions de l’entreprise d’où l’appellation de CWQC proposée par l’auteur de Company Wide Quality Control, Le TQC ou la qualité à la japonaise, édition française AFNOR Gestion (1984).
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