Notes
-
[1]
Au même titre que les autres pays de la région Mena. Notre expérimentation ne permet pas une comparaison en l’absence, à notre connaissance, de tests de discrimination menés dans la région.
-
[2]
Le test de Vuong [1989] ne pouvant départager les deux modèles (Probit ou Logit) en raison des mêmes log-vraisemblances, notre choix s’est porté sur un modèle Probit.
-
[3]
Cette formule de calcul ne contient que ces deux constantes car les variables explicatives ont été normées de telle sorte que leur moyenne soit égale à 0. Ainsi en calculant la discrimination corrigée au point moyen, il ne reste que l’effet de la constante.
1La discrimination à l’égard des femmes est généralement admise par les chercheurs pour expliquer la présence d’inégalités fondées sur le genre sur le marché du travail algérien (Musette [2013], Donnat [2012], Lassassi et Hammouda [2012a], Lassassi et Muller [2013]). Pour autant, toutes les disparités professionnelles ne relèvent pas automatiquement d’un comportement discriminatoire des recruteurs, la notion de discrimination étant un sous-ensemble du concept d’inégalité (Petit [2004]).
2La littérature économique a apporté différents éclairages à la théorie des discriminations, qu’elle soit fondée sur le genre, l’appartenance ethnique ou sur l’âge (Becker [1957], Phelps [1972] et Arrow [1972 ; 1973]). Selon Heckman [1998] la discrimination sur le marché du travail fait référence à un traitement différencié (accès à l’embauche, niveau de salaire, formations, promotions, etc.) attribué à deux individus sur la base de différences des caractéristiques non productives alors qu’ils disposent de caractéristiques productives observables parfaitement identiques. Repérer ce qui relève, ou non, de la discrimination reste néanmoins un exercice complexe impliquant simultanément l’offre et la demande de travail. Du côté de l’offre de travail, il est difficile de discerner la frontière entre discrimination et choix personnel des femmes. Du côté de la demande de travail, il demeure malaisé d’isoler le fait discriminatoire d’une différenciation objective de la part des employeurs.
3La persistance des disparités liées au genre sur le marché du travail algérien (un faible taux d’activité et un chômage féminin élevé), en dépit de l’évolution du comportement d’activité des femmes durant ces dernières décennies (recul de l’âge au premier mariage et progression des niveaux d’instruction), conduit à interroger l’hypothèse d’une discrimination exercée à l’encontre des femmes dans l’accès à l’emploi, bien souvent avancée, qui n’a jusqu’à présent pas fait l’objet de vérifications empiriques en Algérie. Cet article explore la discrimination à l’embauche dans ce pays en testant la variable du genre. Nous présentons dans une première partie les principales caractéristiques de la situation de femmes sur le marché du travail algérien. La deuxième partie dresse un état des lieux de l’analyse et la mesure de la discrimination. Puis, au travers d’un test par correspondance réalisé au niveau de la wilaya d’Oran, nous testons l’effet du genre sur les chances d’accéder à un entretien d’embauche, toutes choses égales par ailleurs. La question principale étant de savoir si l’origine de la rupture d’égalité entre les sexes sur le marché du travail algérien peut avoir un motif discriminatoire.
Participation des femmes au marché du travail en Algérie
La femme algérienne entre activité et fécondité
4Le marché du travail algérien se caractérise par une forte croissance de la population active (transition démographique et arrivée massive des femmes dans l’emploi), un faible taux d’activité féminine et un chômage structurel touchant particulièrement les jeunes et les femmes.
5Le nombre relatif de femmes actives a progressé continûment pour atteindre 19,5 % en 2016 contre 4 % en 1966 et 12,5 % en 2000 (Musette et al. [2003] ; ONS [2001 ; 2016a]), soit plus de 5 fois en cinq décennies et un gain de 7 % depuis 2000. L’analyse par cohorte de la participation au marché du travail entre 1992 et 2007 fait ressortir des taux d’activité féminins plus élevés pour les générations les plus récentes (Lassassi et Hammouda [2012b]). Cette évolution du comportement d’activité des femmes est sensiblement liée aux changements démographiques et socioculturels observés depuis les années 1990. Le recul de l’âge moyen au premier mariage qui passe de 18 à 29 ans entre 1966 et 2008 (MSPRH [2003] ; ONS [2014a]), la progression de l’éducation, l’évolution de la pratique contraceptive et la baisse de la mortalité infantile et juvénile, s’accompagnent d’une forte baisse de la fécondité. Bien qu’il soit malaisé de retracer l’évolution de la relation entre fécondité et activité féminine en Algérie en raison de la discontinuité des données, les observations semblent traduire une relation manifeste entre l’activité des femmes et la fécondité sans pouvoir clairement établir dans quel sens elle s’exerce ; la participation grandissante de la femme à l’activité économique a pour conséquence une réduction des naissances, mais une partie des femmes peut être encouragée à rejoindre le marché du travail lorsque le nombre d’enfants est faible.
6L’évolution de l’indice synthétique de fécondité (ISF) sur la période 1966-2015 laisse apparaître une baisse conséquente, passant d’un pic de 8,4 à 2,3 enfants par femme entre 1970 et 2005 (Gaid [2011]) sans toutefois atteindre le seuil de remplacement des générations de 2,1 enfants par femme. La tendance s’inverse dès la seconde moitié des années 2000 avec la reprise des natalités pour atteindre 3,1 enfants par femme en 2015 (ONS [2016b]). Cette reprise intervient après une période de près de 40 ans d’évolution à la baisse de l’ISF, traduisant ainsi une nouvelle phase dans la transition démographique. Parallèlement, on observe une augmentation continue des taux d’activité des femmes de 1,8 % en 1966 à 9,7 % en 1998 (Charmes et Musette [2002]), pour atteindre 16,6 % en 2016 (ONS [2016a]). Si parmi les pays de l’OCDE on constate une corrélation positive entre l’activité des femmes et l’ISF grâce notamment aux politiques actives de conciliation entre travail et vie familiale, pour l’Algérie cette relation est négative sur une longue période (1970-2005). De récents travaux attestent d’une probabilité moindre de participation des femmes au marché du travail après le mariage et avec la présence d’enfants en bas âge dans le ménage (Lassassi et Hammouda [2012a] ; Benhabib et Adair [2017]).
7La théorie économique explique initialement la corrélation négative entre activité féminine et fécondité à travers l’arbitrage des parents entre la qualité et la quantité d’enfants ainsi que le coût d’opportunité inhérent aux enfants en termes de temps (Becker [1965] ; Willis [1973]). En outre, le niveau d’instruction joue un rôle déterminant dans la baisse de la fécondité et dans l’évolution de la participation des femmes à la vie active (Joshi et David [2002] ; Adema et Thévenon [2016]). Une nette progression est en effet constatée pour les taux de scolarisation des filles avec un gain de 57 % entre 1966 et 2013 contre 39 pour les garçons (MSPRH [2003] ; Unicef [2015]). Ce qui constitue une avancée considérable au vu du lourd handicap hérité de la période coloniale (Desvages [1972]). L’effectif global du système d’éducation et de formation (SEF) a ainsi dépassé le seuil des 9 millions d’inscrits en 2013-2014. La hausse la plus importante est constatée dans l’enseignement supérieur : entre 1963 et 2011, le nombre de diplômés est passé de 180 à 246 743 individus. Ce, en réponse aux nouvelles exigences de la demande de travail dans un marché difficile d’accès et de plus en plus sélectif. Les niveaux de chômage élevés incitent en outre les jeunes en âge de travailler à poursuivre leurs études plutôt que de rester sans emploi étant donné le faible coût d’opportunité de la poursuite des études (Weber [2002]). Les chiffres relatifs à la part des femmes dans les sortants de l’enseignement supérieur sont absents jusqu’au milieu des années 2000. En 2012, l’effectif féminin représente 60 % du total des inscrits de l’enseignement supérieur (ONS [2014a]).
8Si le niveau d’instruction des femmes s’est accru, les filières choisies restent « genrées ». Près de 70 % des inscrits en sciences de la terre et de la nature sont des filles. Inversement, elles ne sont que 35 % dans la filière des sciences exactes/technologie (Cedaw [2012]). L’identité sexuée influe ainsi sur les choix d’éducation et, partant, de profession (Akerlof et Kranton [2010]). Les femmes et les hommes sont, de ce fait, inégalement répartis dans les métiers. La structuration de l’emploi féminin selon le secteur d’activité fait ressortir la dominance du secteur tertiaire qui absorbe plus de 75 % de la main-d’œuvre féminine, le reste étant partagé entre l’industrie (20,4 %), l’agriculture (2,7 % contre 9,1 % des hommes) et le BTP (1,3 %). La participation des femmes est, par ailleurs, plus concentrée dans le secteur public (62,1 % de l’emploi féminin total contre 35,5 % pour les hommes) alors que le secteur privé occupe une part prépondérante du marché du travail algérien (59,8 % en 2016 contre 49 % en 1997).
9Un autre aspect accompagnant la baisse de la fécondité mérite d’être relevé. Il s’agit de l’exode rural accentué par le déclin du secteur de l’agriculture et de la situation sécuritaire qu’a connue l’Algérie durant les années 1990. En effet, la part des actifs occupés agricoles chute de 30 % à 8 % des actifs occupés entre 1977 et 2016 (ONS [2012 ; 2016]), ce qui a poussé les actifs à s’installer dans les zones urbaines.
Des inégalités de genre sur le marché du travail algérien : activité, emploi et chômage
10Aborder la question des discriminations en Algérie implique une analyse préalable des principales caractéristiques du marché du travail. Trois indicateurs sont couramment utilisés pour évaluer l’ampleur des inégalités présentes sur ce dernier : le taux d’activité, le taux d’emploi et le taux de chômage. Les statistiques relatives à l’année 2016 font apparaître de fortes disparités entre hommes et femmes avec des écarts considérables qui figurent parmi les plus importants dans le monde (BIT [2016]) : 50 points de pourcentage pour le taux d’activité et 47,9 points de pourcentage pour le taux d’emploi. Les femmes algériennes sont également plus touchées (20 %) par le chômage que les hommes (8,1 %) et occupent une part croissante de la population totale en chômage qui s’élève de 11 % en 2000 à 37,7 % en 2016 (ONS [2001 ; 2016a]). Ces disparités sont encore plus marquées si l’on tient compte de l’âge des actifs : les jeunes femmes (15-24 ans) sont plus exposées au risque de chômage en affichant des taux de 49,9 % contre 22,3 % pour leurs homologues masculins. L’écart entre les deux sexes est de 27,6 points pour les 15-24 ans et d’à peine 6,6 points pour les plus de 30 ans (ONS [2016a]).
11Outre les inégalités liées au genre et à l’âge dans les rangs des chômeurs, le niveau d’instruction vient renforcer ces disparités : 56,1 % des femmes en situation de chômage (tous âges confondus) disposent d’un niveau d’instruction supérieur contre seulement 13,6 % d’hommes chômeurs de même catégorie (ONS [2016a]). Cette interaction entre l’âge, le genre et le niveau d’instruction met en évidence la vulnérabilité multiple (Beal [1970]) des femmes sur le marché du travail algérien bien qu’elles soient plus présentes dans la population active. Toutefois, l’entrée dans la vie active de bien des femmes se fait par le chômage (17 % des femmes actives ; ONS [2014b]) ou bien en occupant un emploi informel (23 % des femmes actives ; ONS [2014b]). Il y a lieu de noter à ce titre que l’augmentation des effectifs féminins dans la population occupée est nourrie par une proportion notable d’emplois informels. En 2013, près de 28 % de l’emploi occupé par les femmes relevaient de l’emploi informel (85 % des indépendantes et 95 % des aides familiales) (ONS [2014b]). Des travaux menés dans la wilaya de Bejaïa ont montré que les femmes ont un risque plus élevé d’accéder au secteur informel que les hommes (Bellache et al. [2014]). Un niveau d’instruction supérieur réduit cependant la probabilité qu’une femme exerce dans le secteur informel (Gherbi [2014]).
La discrimination à l’embauche : état des lieux
Cadre théorique
12Cain [1986] classe les versions initiales des théories de la discrimination dans deux grandes catégories de modèles : la discrimination par le goût introduite par Becker [1957] et la discrimination statistique proposée par Arrow [1972 ; 1973] et Phelps [1972]. Becker considère que certains employeurs, en raison de préjugés, excluent des travailleurs issus de certaines catégories ou les embauchent à un salaire moindre, alors que leurs productivités sont identiques à celles des travailleurs non discriminés. La discrimination statistique prédit l’existence d’une composante inobservée de la productivité des candidats lors de l’embauche en raison d’un défaut d’information. L’employeur se référera donc à la productivité moyenne du groupe auquel le travailleur appartient qui ne reflète qu’imparfaitement ses véritables aptitudes.
L’évaluation par test de situation
13L’absence de variables productives dans les données statistiques habituellement disponibles ne permet pas d’évaluer la discrimination à l’embauche. Seule une approche expérimentale permet de mettre en exergue l’existence potentielle d’une discrimination à l’embauche en créant une situation où l’expérimentateur contrôlerait les caractéristiques individuelles des candidats (Duguet et al. [2007]).
14Le test de situation est un outil de mesure des discriminations qui se décline sous deux formes : un test d’accès aux entretiens d’embauche (expérimentation par correspondance) et un test d’accès à l’emploi (audit par couple). Cependant, la principale limite du test de situation réside dans la non-représentativité des résultats sur l’ensemble du marché du travail (Heckman [1998]). Selon Du Parquet et Petit ([2011] p. 5) « les données de testing sont partielles (quelques professions testées), ponctuelles (quelques mois d’expérimentation) et localisées (quelques bassins d’emploi examinés) ». Le test de situation demeure toutefois la seule méthodologie empirique permettant de saisir la discrimination « sur le vif » (Delattre et al. [2013]).
Principaux résultats empiriques
15Les études empiriques ayant recours à l’évaluation par test de situation se sont intéressées dans un premier temps aux discriminations fondées sur le genre. Petit [2004] et Duguet et Petit [2005] testent le secteur financier en mettant en évidence une volonté des recruteurs d’attribuer les postes peu qualifiés aux jeunes femmes et les postes qualifiés d’encadrement aux jeunes hommes. Ces observations corroborent les conclusions de Firth [1982] et Riach et Rich [1987 ; 1995] qui constatent que les femmes subissent des discriminations notables dans les professions de comptabilité-finance et d’informatique. Neumark et al. [1996] relèvent également une discrimination significative aux États-Unis à l’encontre des femmes serveuses (serveurs hommes) dans les restaurants à catégorie élevée (basse) offrant de meilleures (faibles) rémunérations. Riach et Rich [2002 ; 2006] constatent une discrimination fondée sur les stéréotypes qui prévaut au sein des professions « genrées » telles que la mécanique (Weichselbaumer [2004]) ou le bâtiment (Duguet et al. [2016]).
L’application d’un test de correspondance au marché du travail algérien
16En dépit de l’évolution des comportements d’activité des femmes et de l’élévation de leur niveau d’instruction, elles demeurent minoritaires sur le marché du travail en Algérie. Il reste donc une part non expliquée des inégalités subies par les femmes et particulièrement lors du recrutement. Nous comparons les chances d’accès des femmes et des hommes à des entretiens d’embauche de façon à vérifier l’hypothèse d’existence d’une discrimination à l’embauche fondée sur le genre. Nous détaillons le protocole de collecte des données puis les principaux résultats de l’expérimentation et leurs implications.
Le protocole expérimental
17L’expérimentation réalisée consiste à répondre à des offres d’emploi au travers de candidatures fictives construites à l’identique à l’exception d’une seule caractéristique : leur appartenance au genre féminin ou masculin. L’objet de ce test de correspondance est de détecter l’existence potentielle d’une discrimination à l’embauche à l’encontre des femmes, toutes choses étant égales par ailleurs. À notre connaissance, aucun test de situation ne semble encore avoir été mené en Algérie ni au niveau de la région Mena (Middle East and North Africa) [1]. Il s’agit donc d’une ébauche sur la connaissance des contours de la discrimination sur le marché du travail algérien.
18Le test de correspondance suggère la conduite d’un protocole expérimental rigoureux pour permettre au chercheur d’aboutir à des résultats fiables. Notre choix s’est porté sur une profession en tension (comptabilité) au sein de la région d’Oran, deuxième ville d’Algérie. Il convient de noter qu’il n’existe pas de statistiques reprenant la répartition des actifs selon la profession occupée et le genre. Nous avons pu cependant accéder aux tableaux établis par le Conseil national de la comptabilité reprenant la liste des professionnels de la comptabilité exerçant au niveau national. La part des femmes est de 9,7 %, 10,1 % et 4,9 % parmi les comptables agréés, les commissaires aux comptes et les experts-comptables respectivement (CNC [2016]). Bien qu’il ne s’agisse que des professions libérales, cela nous donne un aperçu quant au taux de féminisation de la profession comptable pour les emplois qualifiés.
19Conformément à l’objet de notre étude, nous avons construit deux identités fictives identiques que seul le genre distingue (tableau n°1). Les candidats disposent des mêmes caractéristiques individuelles (âge, situation familiale, etc.), et de parcours semblables (niveau d’instruction, expériences professionnelles). Le CV et la lettre de motivation relatifs au couple fictif sont parfaitement identiques et différent uniquement au niveau de la présentation (mise en page, style d’écriture, taille de police) conformément au protocole usuel.
Identités des candidats fictifs
Identités des candidats fictifs
20Les offres d’emploi en lien avec la comptabilité (secrétaire comptable, assistant(e) ou aide comptable et comptable) ont été collectées (presse écrite, sites gérés par des organismes privés agréés de placements (Opap), sites spécialisés), et traitées quotidiennement sur une durée de 100 jours entre les mois de décembre 2014 et mars 2015. Outre les précautions prises lors de la construction des candidatures, nous avons appliqué simultanément deux approches méthodologiques afin d’éviter tout risque de détection et pour construire le jeu de données le plus fiable possible : i) envoi des candidatures par rotation systématique à intervalles réguliers ; ii) permutations entre les identités des candidats et les supports écrits. En pratique, quatre combinaisons de CV/lettre de motivation ont été construites pour chacun des candidats sur la base de deux formats différents de CV et lettre de motivation.
21Pour ce qui est du traitement des retours des recruteurs, une réponse est considérée positive dans le cas où l’employeur convie le candidat à un entretien d’embauche et négative dans le cas où il rejette formellement la candidature (ou en l’absence de réponse). La méthodologie d’exploitation des résultats des tests de situation diffère cependant selon les enquêtes et demeure un sujet clivant pour les chercheurs (Riach et Rich [2002]). L’exploitation des réponses issues du test de correspondance donne lieu à quatre situations possibles :
- A = le nombre de cas où le candidat majoritaire reçoit une réponse positive alors que le candidat minoritaire n’est pas convoqué ou est refusé ;
- B = le nombre de cas où le candidat minoritaire reçoit une réponse positive alors que le candidat majoritaire n’est pas convoqué ou est refusé ;
- C = le nombre de cas où les deux candidats sont retenus pour un entretien d’embauche ;
- D = le nombre de cas où les deux candidats sont refusés ou ignorés.
22Nous retenons la méthode d’évaluation de la discrimination ci-dessous. Le résultat indique le degré d’écart de succès du candidat majoritaire par rapport au candidat minoritaire.
23Le taux brut de discrimination
25Les deux candidatures expérimentales (parfaitement comparables) ont ainsi été confrontées aux mêmes postes pour les mêmes offres d’emplois issues des mêmes entreprises. Tout écart significatif d’invitation aux entretiens d’embauche entre les deux candidats ne peut résulter que de l’effet de la caractéristique non productive qui les distingue (Petit et al. [2013]), et qui représente ici le genre. Ceci peut donc être attribué, par définition, à la discrimination (Weichselbaumer [2004]).
Principaux résultats et interprétation
26Nous avons constitué un échantillon de 150 entreprises auditées, chaque entreprise ayant reçu deux candidatures. En réponse aux 300 candidatures fictives, 47 ont reçu une convocation à un entretien d’embauche d’employeurs représentant 36 entreprises, soit un taux de succès de 15,6 % pour un taux de retour des recruteurs de 24 %. La petite taille de l’échantillon constitué peut être due au manque de dynamisme du marché du travail algérien formel, d’une part, et au type de démarches effectuées en Algérie pour chercher un emploi, d’autre part ; en effet, plus de 86 % des demandeurs d’emploi mobilisent les réseaux personnels contre 65 % de démarches effectuées auprès des entreprises (ONS [2016a]).
27Afin de mesurer la significativité statistique et la robustesse des résultats, nous avons opté pour la méthode du « bootstrap » qui est couramment utilisée pour calculer l’écart-type des estimateurs en effectuant des milliers de tirages aléatoires de l’ensemble des réponses.
La discrimination à l’embauche à raison du genre
28L’exploitation de l’échantillon fait ressortir des écarts notables entre les candidatures masculines et féminines. La femme est conviée à un entretien d’embauche presque deux fois plus que son homologue masculin et près de deux tiers des retours ne concernaient que la femme (sans contacter l’homme). La différence de taux de réponse entre le couple de candidats fictifs, qui représente un indicateur de discrimination, est de 10 % à l’encontre des hommes. Cette différence apparaît significative au seuil de 1 % (Student : 2,94). Comme on peut le constater dans le tableau n°2 ci-après, la différence entre les femmes et les hommes est comprise entre 4,1 % et 14,5 %, avec un risque d’erreur de 10 % (soit 90 % de seuil de confiance).
Taux de succès
Taux de succès
Lecture : statistiques calculées en utilisant la méthode du « bootstrap » avec 10 000 réplications.Champ : 300 candidatures fictives envoyées, réponses de 36 employeurs.* : p < 0.1 ; ** p < 0.5 ; *** p < 0.01.
29Un autre indicateur a été développé par le BIT pour calculer le rapport entre le taux de succès du candidat minoritaire et celui du candidat majoritaire (Cédiey et al. [2007]). Ce rapport (DH/F = 25 %) indique que, si la discrimination se produit, c’est trois fois sur quatre à l’encontre des hommes, en ne tenant pas compte des cas de double refus. Ainsi, à CV équivalents, un candidat masculin reçoit moins de convocations à un entretien d’embauche qu’une candidate.
30Dans un second temps, nous réalisons un test binomial afin d’évaluer la discrimination entre les candidatures féminines et masculines. Ce test offre l’avantage d’être exact car valable sur de petits échantillons (Duguet et al. [2010] p. 21). La démarche du test consiste à ne tenir compte que des couples de candidats qui ont des retours différenciés (soit la femme est retenue et l’homme est refusé, soit la femme est refusée et l’homme est retenu). On exclut alors de l’analyse les cas où la femme et l’homme sont retenus ou refusés simultanément. Sur l’échantillon total, on dénombre 25 cas où l’homme et la femme obtiennent des réponses différentes sur les mêmes offres d’emploi. Sur les 25, on constate 20 cas où la femme est préférée soit un taux P1 = 80 %. Dans les 5 cas restants c’est l’homme qui est préféré (tableau n°3).
Test binomial de discrimination
Test binomial de discrimination
Lecture : test binomial exact de traitement égalitaire.Champ : 300 candidatures fictives envoyées, 25 réponses différentes obtenues par les deux candidats sur les mêmes offres (lorsque l’un des candidats est accepté et l’autre rejeté). * p < 0.1 ; ** p < 0.5 ; *** p < 0.01.
31Le test binomial nous conduit à rejeter l’hypothèse nulle (d’égalité à 50 %) au seuil de 5 %, avec une probabilité critique de 0,66 %. Ce qui démontre une discrimination significative à l’encontre des hommes dans les convocations à un entretien d’embauche.
32Ainsi, les chances d’obtenir un entretien d’embauche sont significativement plus faibles chez les hommes dans la profession comptable, le nombre moyen de candidatures permettant au profil masculin de décrocher un entretien d’embauche étant de 9 contre 5 pour les femmes. En effet, l’égalité de traitement durant le processus d’embauche n’a été respectée que dans 11 cas seulement sur les 150 offres d’emploi. Ce qui dénote un intérêt plus important pour la candidature féminine.
33Les résultats issus de notre expérimentation peuvent s’expliquer – en partie – par les normes de genre construites au sein de notre société. Les stéréotypes de genre sont en effet généralement avancés pour comprendre un certain nombre de phénomènes caractéristiques de la condition féminine sur le marché du travail (Meurs [2014]). Le moindre pouvoir de négociation salariale – supposé – des femmes comparé à celui des hommes peut expliquer la préférence des recruteurs pour la candidature féminine (Rosen [1998] ; Babcock et al. [2003]). Les femmes seraient ainsi moins exigeantes en termes d’attentes salariales que les hommes qui ont souvent le rôle de chef de famille en subvenant aux besoins du ménage. L’enquête sur l’emploi du temps réalisée par l’ONS [2013] révèle que les ménages algériens sont gérés par des hommes à hauteur de 88,5 % pour seulement 11,5 % des femmes. Ajoutons à cela l’idée que les femmes auraient un comportement moins risqué que les hommes (Breda [2015]), ce qui représente une qualité notable dans le domaine de la comptabilité.
34La discrimination salariale imputable à l’offre (auto-sélection des femmes) comme à la demande (coût salarial réduit pour l’employeur) peut constituer une explication potentielle des préférences des recruteurs pour les candidatures féminines. En effet, des études récentes suggèrent l’existence d’une discrimination salariale fondée sur le sexe au sein du marché du travail algérien (Gherbi [2016] ; Benhaddad et al. [2017]).
La discrimination conditionnelle
35Les statistiques descriptives nous ont permis de mesurer la discrimination globale entre les deux candidats fictifs. Toutefois, les caractéristiques du test de correspondance, de l’entreprise, ou celles de l’offre peuvent influencer l’intensité de la discrimination à l’embauche. Il s’agit alors de discrimination conditionnelle. Suivant la méthodologie adoptée par Duguet et al. [2010], nous intégrons un modèle Probit [2] ordonné de façon à mesurer l’influence de certaines variables explicatives dans la mesure de la discrimination, et obtenir une mesure nette de tout autre effet.
36Les variables tirées de notre échantillon sont regroupées en trois catégories : les variables relatives à l’expérimentation ; celles relatives à l’emploi offert et celles relatives à l’entreprise. Chacune des dix-sept variables contient plusieurs modalités. Seules les variables significatives sont retenues dans le calcul de la discrimination corrigée de ces caractéristiques.
37La première étape de notre analyse consiste en la construction d’une variable qui caractérise la différence entre les deux candidatures en termes d’accès aux entretiens d’embauche. Cette variable prend trois valeurs : -1 si l’homme est préféré alors que la femme est refusée ; 0 si les deux ont les mêmes résultats (acceptés ou refusés) ; et 1 si la femme est préférée. Dans un deuxième temps, nous estimons un modèle Probit ordonné afin de mettre en relation la différence de réponses obtenues par chaque candidat et les variables explicatives (ordre d’envoi des candidatures, type de CV/lettre de motivation, type de poste, diplôme requis, expérience exigée, secteur d’activité, statut juridique). Nous transformons ces variables qualitatives avec plusieurs modalités en variables binaires. Une de ces variables représentera la variable de référence et les autres les variables explicatives. Ces variables binaires sont ensuite utilisées dans l’estimation du modèle. Pour chaque variable, la modalité de référence est la première modalité. La variable binaire correspondante est donc absente du modèle. La dernière étape consiste à calculer la discrimination corrigée selon la formule [3] : D = 1-Φ(c2)-Φ(c1) ; où Φ représente la fonction de répartition de la loi normale centrée-réduite ; c1 et c2 représentent les constantes obtenues dans la régression Probit ordonné.
38Les résultats de l’estimation Probit sont présentés dans le tableau n°4. Il apparaît que la différence nette entre les candidatures de la femme et celles de l’homme, toutes choses égales par ailleurs, passe de 10 % à 5,7 % après correction. Cette différence est significative au seuil de 1 %. Ainsi, la femme a un avantage de taux de réponse de près de 6 points de pourcentage relativement à son homologue masculin. Par ailleurs, l’intervalle de confiance de niveau 95 % pour la discrimination corrigée est de (0,015 ; 0,099).
Coefficient de discrimination corrigé
Coefficient de discrimination corrigé
Note : régressions Probit ordonné. Variable dépendante différence femme/homme (-1 : si homme préféré ; 0 : si les deux retenus ou refusés ; 1 : si femme préférée). Réf. : modalité de référence. * p < 0.1 ; ** p < 0.5 ; *** p < 0.01.Champ : 300 candidatures fictives envoyées, réponses de 36 employeurs.
39L’observation des variables potentiellement explicatives d’une discrimination conditionnelle fait ressortir une influence significative négative de certaines variables sur la probabilité que la femme soit préférée. L’envoi de la candidature féminine en premier influencerait négativement (significatif au seuil de 1 %) la probabilité que la femme soit préférée relativement à sa modalité de référence (envoi d’une candidature masculine en premier). Il en est de même pour le secteur de l’industrie extractive (significatif au seuil de 1 %) et des autres services marchands et non marchands (significatifs aux seuils de 1 % et 10 % respectivement) qui exerceraient une influence négative par rapport à la modalité de référence. Ces résultats corroborent les données officielles concernant le secteur secondaire mais contredisent celles relatives au secteur tertiaire qui demeure le principal pourvoyeur d’emplois féminins. L’expérience professionnelle exigée (toutes durées confondues) semble également amoindrir les chances que la femme soit préférée à l’homme (significatif au seuil de 1 %). Ce qui vient conforter l’hypothèse selon laquelle les choix des recruteurs se baseraient en partie sur les prétentions salariales – supposées – des femmes ; avec une expérience professionnelle moindre, le salaire offert à un candidat ne peut être qu’inférieur. Celui-ci serait davantage accepté par une femme que par un homme.
40Les postes d’aide comptable et de secrétaire comptable apparaissent influer positivement et significativement (au seuil de 1 %) sur les écarts d’accès aux entretiens d’embauche en faveur de la femme. De même que le diplôme de formation professionnelle requis (CMTC/CED) est significatif (au seuil de 1 %). Ces résultats peuvent refléter une certaine ségrégation verticale qui constitue un frein à la progression hiérarchique des femmes au sein de la profession comptable (Dambrin et Lambert [2006]). En effet, la candidature fictive féminine a une probabilité plus grande d’intégrer les postes les moins qualifiés de la profession comptable (aide comptable et secrétaire comptable), en sachant qu’une formation professionnelle de type CMTC/CED (pour laquelle la femme est favorisée) permet d’accéder directement à un poste de comptable.
41Les combinaisons de CV/lettre de motivation utilisées semblent également influencer positivement et assez significativement (au seuil de 5 %) la probabilité d’invitation de la femme à un entretien d’embauche. De même que le secteur de l’industrie manufacturière (assez significatif au seuil de 5 %) sur les écarts de réussite entre les deux candidatures fictives. Les variables restantes apparaissent non significatives.
Portée et limites de l’étude
42Bien que notre expérimentation constitue une étude pionnière en abordant la question de la discrimination à l’embauche sur le marché du travail algérien, elle n’est pas exempte de limites et l’interprétation des résultats doit en tenir compte.
43Le contexte dans lequel est conduit le test de situation peut influer sur le déroulement de l’expérimentation. L’échantillon constitué est de taille réduite en dépit de l’importance de la région concernée par l’expérimentation (Oran). Les résultats du test de situation n’ont, en revanche, pas vocation à être agrégés et doivent rester au niveau de la profession testée. Ils ne sont, en ce sens, pas représentatifs de la situation du marché du travail en Algérie, ni de l’ensemble des professions.
44Par ailleurs le protocole expérimental n’a pas été conçu de manière à distinguer le type de discrimination mise en évidence (par le goût ou statistique).
Une explication alternative aux inégalités de genre
45Il apparaît, à l’issue de cette expérimentation, et au vu du nombre peu important d’entreprises répondant, que les opportunités d’accès à l’emploi restent limitées, non seulement à cause du déficit d’emploi, mais aussi en raison du recours en grand nombre aux canaux officieux de recherche d’emploi. Une étude récente met en évidence la prédominance de ce phénomène dans l’obtention d’un emploi. À l’aide d’un modèle Logit appliqué aux données des enquêtes Emploi issues de l’ONS, Lassassi et Muller [2013] démontrent un moindre recours des femmes aux relations personnelles ou familiales dans le processus de recherche d’emploi, et, dans le cas où elles trouvent un emploi par ce bais, ce sont majoritairement des emplois moins qualifiés. En outre, la taille du réseau influe sur les stratégies de recherche d’emploi et donc sur l’accès au marché du travail. L’hypothèse selon laquelle les réseaux sociaux des femmes sont moins développés que ceux des hommes suppose que celles-ci aient moins d’opportunités d’accéder à l’emploi dans un contexte où l’accès à l’information reste limité. À cela s’ajoute les choix personnels de certaines femmes de ne pas participer au marché du travail en raison de contraintes familiales et/ou socioculturelles. La prise en compte de ces mécanismes constitue un élément essentiel, tant pour la recherche que pour la définition des politiques publiques.
46L’application d’un test de correspondance au marché du travail algérien fait ressortir que les chances d’accès à un entretien d’embauche d’une jeune femme dans la profession comptable sont supérieures à celles de son homologue masculin, toutes choses égales par ailleurs. Cette différence de traitement peut s’expliquer par le caractère socialement construit des stéréotypes de genre sur lesquels certains employeurs fondent leurs décisions d’embauche, bien qu’ils ne soient pas de bons prédicteurs pour les traits de personnalité des individus. Les femmes peuvent aussi être favorisées par rapport aux hommes sur la base de leurs prétentions salariales supposées inférieures par les recruteurs, ce qui les cantonne aux postes les moins qualifiés. La discrimination salariale à l’égard des femmes est également une explication potentielle des préférences des recruteurs pour les candidatures féminines.
47Il convient de noter que ces résultats ne signifient pas qu’aucune forme de discrimination envers les femmes n’existe au sein du marché du travail algérien, mais que toute inégalité de traitement liée aux caractéristiques personnelles ne relève pas forcément de la discrimination. Ceci appelle à réfléchir à des explications alternatives de la situation des femmes, et notamment des plus jeunes, sur le marché de l’emploi. Leurs réseaux personnels et professionnels réduits peuvent en effet limiter leurs chances d’accès à l’emploi, indépendamment de toute pratique discriminatoire. S’il n’est pas possible, au terme de cette étude, d’affirmer l’existence d’une discrimination à l’embauche à l’encontre des femmes, la reproduction de tests à grande échelle (plusieurs professions et une durée relativement plus longue) permettrait de disposer d’éléments plus concrets et pertinents. Cette expérimentation constitue un travail exploratoire dont les résultats doivent rester au niveau de la profession testée, en l’occurrence la comptabilité. Ils ne sont ainsi pas représentatifs du marché du travail algérien et ne peuvent être généralisés. La recevabilité des tests de correspondance repose sur la multiplication des études de détection des pratiques discriminatoires à l’égard des personnes vulnérables (jeunes et femmes) et l’élargissement du champ des expérimentations en termes de variables à tester et de professions auditées, en font des instruments indispensables au cas de l’Algérie. Détecter les véritables sources des inégalités permet d’ouvrir des pistes de réflexion quant aux mesures adéquates pour les combattre. En ce sens, il serait intéressant d’approfondir ce travail en testant les effets croisés de l’âge, du genre, du statut matrimonial et de la situation dans l’emploi, en introduisant l’ordre de réponse des employeurs en tant que paramètre supplémentaire dans la modélisation économétrique. Un protocole expérimental permettant de faire ressortir le type de discrimination établie est également envisagé.
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Notes
-
[1]
Au même titre que les autres pays de la région Mena. Notre expérimentation ne permet pas une comparaison en l’absence, à notre connaissance, de tests de discrimination menés dans la région.
-
[2]
Le test de Vuong [1989] ne pouvant départager les deux modèles (Probit ou Logit) en raison des mêmes log-vraisemblances, notre choix s’est porté sur un modèle Probit.
-
[3]
Cette formule de calcul ne contient que ces deux constantes car les variables explicatives ont été normées de telle sorte que leur moyenne soit égale à 0. Ainsi en calculant la discrimination corrigée au point moyen, il ne reste que l’effet de la constante.