Notes
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[1]
Les procédures d’enchères « standard » comprennent quatre types d’enchères : les enchères au premier prix sous plis fermés, les enchères au second prix sous plis fermés, les enchères « anglaises » (enchères orales utilisées dans les salles des ventes) et les enchères « hollandaises » (dans lesquelles le vendeur annonce une séquence de prix décroissante, le vainqueur étant celui qui se manifeste en premier pour « stopper » cette séquence de prix. Celui-ci paie alors le prix correspondant à l’arrêt de la séquence).
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[2]
Arozamena et Weinschelbaum [2006] ont en effet défini les règles d’allocation et de paiement d’un mécanisme optimal (direct et révélateur) qui assurerait la maximisation du profit joint du vendeur et d’un acheteur privilégié. La règle d’allocation optimale consiste à accorder l’actif à l’offreur privilégié si la valeur personnelle qu’il accorde à cet actif est supérieure à la valeur virtuelle des concurrents externes (i.e. leur valeur personnelle diminuée d’une rente informationnelle qui correspond à l’inverse du taux de hasard lié à la distribution de cette valeur). Sinon, l’actif est accordé au meilleur acheteur externe si sa valeur virtuelle est supérieure à la valeur de l’offreur privilégié et aux valeurs virtuelles des autres concurrents. Ainsi, contrairement à une enchère standard qui consisterait à comparer les valeurs virtuelles de l’ensemble des acheteurs et à retenir la plus élevée, la règle d’allocation qui maximise le surplus joint espéré des deux parties s’assimile à une enchère entre les acheteurs externes avec une valeur de réserve secrète correspondant à la valeur personnelle de l’acheteur privilégié. La règle de paiement du mécanisme optimal doit satisfaire la contrainte incitative de chacun des acheteurs externes. Or, en présence d’un droit de préemption, ces auteurs montrent qu’il n’existe aucun mécanisme d’enchère assurant la compatibilité entre règle d’allocation et de paiement de manière à satisfaire également la contrainte incitative dans l’objectif de maximisation du profit joint. Ce résultat n’est cependant valable que dans le cadre spécifique d’un modèle à valeurs privées et indépendantes.
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[3]
On aurait ici un phénomène de double marginalisation, très connu en économie industrielle. Le droit de préemption entre le vendeur et un acheteur particulier a des effets similaires à une intégration verticale entre deux monopoles et permet ainsi d’améliorer le profit joint des parties.
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[4]
L’hypothèse de « valeur commune » correspond à une situation dans laquelle les évaluations des acheteurs sont totalement corrélées, à tel point que la valeur du bien mis en vente, même si elle est inconnue, est la même pour tous. Cela n’empêche pas les acheteurs d’avoir chacun un signal privé différent quant à la valeur du bien.
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[5]
Dans un enchère ascendante, l’offreur i avec le second signal le plus élevé est prêt à monter son offre jusqu’à Vi (si ,si ), qui est la valeur estimée compte tenu de son propre signal si et sous l’hypothèse que l’autre a au mieux un signal égal à si . Ici, le prix auquel s’échange le bien sera donc V1 (s1 ,s1 ).
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[6]
Cf. la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario du 26 juin 2012, dans laquelle l’accord entre Goldcorp et Newgold n’a pas été jugé comme illicite. http://www.osler.com/newsresources/default.aspx?id=4675&langtype=3084
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[7]
Les auteurs font cette démonstration dans le cadre d’une négociation de type « ultimatum inversé ». Le vendeur fait une offre à un premier acheteur ; celui-ci peut l’accepter, auquel cas le jeu se termine, ou la refuser, auquel cas le vendeur peut soit faire une nouvelle offre plus favorable à l’acheteur, soit passer à l’acheteur suivant. Ce jeu fait basculer le pouvoir de négociation du côté du premier acheteur, par rapport à un « ultimatum standard », dans lequel c’est le vendeur qui détient tout le pouvoir de négociation. Plus précisément, quand il y a un seul acheteur, il obtient la quasi-totalité du surplus. Quand il y en a deux, l’analyse est un peu plus subtile. Le vendeur souhaite éviter à tout prix d’avoir affaire au deuxième acheteur car, dans ce cas, il obtiendra toujours un surplus minimal. Donc le vendeur est prêt à accepter tout partage du surplus avec le premier acheteur. Il existe donc une multiplicité d’équilibres où le vendeur et le premier acheteur se partagent le surplus. En présence d’un contrat hybride (droit de première offre – droit de premier refus) accordé au premier acheteur, si le vendeur vend moins cher au deuxième acheteur, le premier exerce son droit et capte donc tout le surplus du deuxième. La stratégie optimale du deuxième acheteur est donc d’accepter un prix exactement égal à celui proposé au premier (ni plus bas pour ne pas entraîner le déclenchement du droit, ni plus haut, afin de maximiser son surplus). Par ricochet, cela rétablit totalement le pouvoir de négociation du vendeur : sachant que le deuxième acheteur est condamné à accepter le même prix que le premier, le vendeur choisit donc simplement le prix qui maximise son surplus, c’est-à-dire le prix le plus élevé possible (qui laisse un surplus minimal au premier acheteur). Celui-ci n’a pas d’autre choix que d’accepter, sous peine de céder la transaction au deuxième acheteur… Au final, le premier acheteur (détenteur du droit) reçoit donc un surplus minimal à cause du droit de préemption, et le deuxième acheteur obtient un surplus nul, exactement comme dans une négociation de type ultimatum standard. La raison fondamentale en est que le droit de préemption retire au deuxième acheteur tout pouvoir de négociation, ce qui rejaillit totalement sur le vendeur mais pas du tout sur l’acheteur détenteur du droit.
1 Le propriétaire d’un bien est a priori libre de le vendre à la personne qu’il souhaite. Le droit de préemption constitue une exception à cette règle et consiste à accorder un droit prioritaire d’achat à une personne physique ou morale. Une commune peut, par exemple, bénéficier d’un droit de préemption urbain lui permettant d’acheter en priorité un bien immobilier dans une optique d’intérêt général (plan local d’urbanisme, développement économique local). Ainsi, selon l’article 58 de la loi du 2 août 2005, dite loi Dutreil, les communes peuvent, en priorité, se porter acquéreur des fonds artisanaux, des fonds de commerce, des baux commerciaux et des terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial. Ces exemples reflètent des applications du droit de préemption dans le domaine public lorsque ce droit est régi par la loi. Notons que la loi peut également imposer l’utilisation d’un droit de préemption dans le domaine privé. Un locataire d’habitation, par exemple, bénéficie d’un droit de préemption lorsque le bailleur souhaite vendre le logement loué dans la mesure où celui-ci doit donner la priorité de la vente au locataire.
2 L’utilisation du droit de préemption ne se limite toutefois pas à des domaines régis par la loi. On le trouve en effet dans nombre de relations « contractuelles » entre diverses parties. Une entreprise peut ainsi prévoir, dans ses statuts, d’attribuer à ses associés ou actionnaires un droit de préemption sur les parts sociales de l’entreprise afin d’éviter qu’une partie du capital social soit vendue à des tiers. S’agissant plus spécifiquement des relations commerciales, le droit de préemption est une clause inscrite dans la plupart des contrats cadres régissant les relations entre un fournisseur et son client. Dans les contrats de franchise également, la clause de droit de préemption donne la priorité de rachat au franchiseur lorsqu’un fonds de commerce de l’enseigne est vendu par un franchisé.
3 Dans cet article, on s’intéressera spécifiquement à l’analyse du droit de préemption lorsqu’il n’est pas imposé a priori par la loi mais qu’il résulte d’un acte contractuel volontaire. Nous laissons donc de côté la considération d’objectifs de développement économique local ou de plan local d’urbanisme. Lorsqu’elle n’est pas imposée par la loi, la clause de préemption est en général signée entre deux parties, ex ante, c’est-à-dire au moment où ils contractent, afin de définir les modalités de vente potentielle de l’actif concerné. La popularité de cette clause dans les contrats laisse penser que les parties y trouvent leur intérêt. Ainsi, semble-t-il intéressant de comprendre ce qui les incite à s’engager ex ante dans un contrat imposant une telle clause. Cette question fera l’objet de notre première section.
4 En l’absence d’engagement ex ante vis-à-vis d’un acheteur, un vendeur est libre d’utiliser toute procédure de vente lui procurant la rente maximale. En particulier, la procédure maximisant le revenu du vendeur consiste à utiliser une enchère standard [1] en fixant un prix de réserve optimal, compte tenu de ses croyances sur les caractéristiques des acheteurs. Or, dans ce cas, le vendeur supporte alors le risque de ne pas vendre si aucun acheteur n’a une disposition à payer supérieure à ce prix de réserve. Si la vente est impérative et que le vendeur n’a pas la possibilité d’imposer un prix de réserve, peut-il avoir intérêt à privilégier l’un des acheteurs en lui accordant un droit de préemption ? Nous analyserons cette question dans la deuxième section.
5 Plus généralement, la fixation d’un droit de préemption participe-t-elle à l’amélioration de l’efficacité économique ? Cette question concerne non seulement l’efficacité de la transaction entre les parties concernées mais également l’efficacité sociale dans son ensemble. En particulier, le droit de préemption peut être perçu comme un instrument visant à restreindre la concurrence. A titre d’exemple, dans le cadre de contrats verticaux inter-entreprises, cette clause est en effet souvent considérée comme un moyen, pour l’entreprise qui en bénéficie, de maintenir ses parts de marchés ou de créer des barrières à l’entrée envers tout concurrent potentiel. Nous discuterons de ce débat dans la troisième section.
6 Enfin, la quatrième section portera sur l’analyse d’une forme plus spécifique et moins populaire du droit de préemption, appelée droit de première offre. Plus précisément, la clause que nous avons exposée jusqu’ici consiste à permettre à l’acheteur, qui en est titulaire, de s’aligner ou non sur la meilleure offre des acheteurs tiers. On parle également de droit de premier refus. Dans le cadre d’un droit de première offre, le vendeur signifie tout d’abord à l’acheteur détenteur du droit la mise en vente d’un actif à un prix déterminé. Si l’acheteur est intéressé, la vente s’effectue à ce prix. Dans le cas contraire, le vendeur peut proposer l’actif à des acheteurs tiers mais ne peut pas le vendre à un prix plus faible que celui proposé initialement au détenteur du droit de première offre. Nous étudierons ainsi la particularité de cette modalité par rapport au « droit de premier refus ».
Quelles incitations les parties ont-elles à inclure une clause de préemption dans leur contrat ?
7 La clause de droit de préemption est relativement fréquente en droit des sociétés, notamment dans les statuts qui régissent les relations entre associés ou dans les conventions entre actionnaires. Elle leur confère le droit d’acheter en priorité les actions ou parts sociales dont la cession est envisagée par l’un d’entre eux. Dans le cadre d’un droit de premier refus, les associés peuvent ainsi s’aligner sur la meilleure offre proposée par un tiers et racheter les parts à ce prix. Cette clause, qui s’applique de façon réciproque à tous les associés, est en général insérée dans les statuts au moment de la création de la société, c’est-à-dire à un stade où les associés ne connaissent ni leur statut futur, de vendeur ou d’acheteur, ni même la valeur des parts en cas de vente future. Face à cette incertitude, la signature volontaire de cette clause a nécessairement un intérêt commun. Il est évident qu’elle vise à verrouiller l’entrée dans la société et à se prémunir contre le contrôle éventuel d’un concurrent stratégique.
8 Cette clause est aussi souvent présente dans le contrat qui régit la relation entre un franchiseur et un franchisé mais, dans ce cas, elle n’est plus réciproque. Seul le franchiseur peut y prétendre et se substituer à l’acquéreur externe lorsque le franchisé projette de céder son fonds de commerce ou ses parts sociales de la société. Elle permet notamment au franchiseur de contrôler son réseau, de maintenir un emplacement commercial stratégique et performant et de pouvoir revendre la franchise par la suite.
9 La clause de droit de préemption peut également être imposée par les clubs sportifs ou les maisons d’édition dans le contrat qui les lie à de nouvelles recrues ou à de jeunes auteurs. On parle également de droit de préférence. Il s’agit pour ces sociétés de pouvoir prétendre, en priorité, à garder leurs recrues à la fin de leur contrat quand elles sont en pleine ascension ou à prétendre en priorité à l’édition de livres à venir lorsque les talents de l’auteur seront reconnus. Ces recrutements constituent une sorte d’investissement spécifique risqué pour ces sociétés, au moment de la signature du contrat, puisque leurs recrues ont encore peu de valeur sur le marché et présentent une incertitude quant à leur résultat. La clause apparaît alors comme un moyen de prévention contre tout comportement de hold-up dans le futur.
10 De nombreux travaux économiques analysent l’impact de cette clause lorsque deux parties sont engagées ex ante et comparent cette situation à celle où le vendeur pourrait librement vendre son actif, où tous les acheteurs potentiels seraient traités de façon symétrique. Dans un cadre d’hypothèses standard (les parties sont neutres vis-à-vis du risque, les dispositions à payer de chaque acheteur sont indépendantes et constituent des informations privées, les croyances sur ces dispositions à payer sont symétriques), l’utilisation d’une clause de préemption dans une enchère au premier prix permet d’améliorer le profit joint ex ante (avant connaissance des dispositions à payer pour le bien) des parties au contrat (Arozamena et Weinschenblum [2009], Burguet et Perry [2009]). Ce résultat renforce l’idée que les associés d’une société ont tout intérêt à inclure cette clause réciproque dans leurs statuts. Plus précisément, elle permet de dégager une rente de situation aux dépens du (ou des) tiers, c’est-à-dire du ou des acheteurs externes potentiels. En effet, cette clause est défavorable à la tierce partie car elle diminue sa probabilité d’acquérir l’actif au profit de l’acheteur titulaire du droit de préemption. Dans ce contexte d’évaluations privées et indépendantes, si la présence d’un droit de préemption permet d’accroître le profit joint espéré du vendeur et de l’acheteur bénéficiaire par rapport au profit joint qui résulterait d’une enchère standard au premier prix, ce n’est toutefois pas un mécanisme de vente qui maximise le profit espéré de ces parties (Arozamena et Weinschenblaum [2006]). [2] Elle permet néanmoins d’éliminer l’externalité négative verticale entre les parties au contrat, externalité qui serait notamment présente si le vendeur choisissait de dégager une rente maximale en vendant son actif au prix de monopole à l’acheteur privilégié, tout en l’autorisant ensuite à le revendre lui-même à un tiers en pratiquant de nouveau un prix visant à extraire la rente maximale. [3]
11 Si la vente s’effectue à présent par le biais d’une enchère au second prix à valeurs privées et indépendantes, le droit de préemption permet-il d’augmenter le profit joint ? En l’absence de droit de préemption, la stratégie faiblement dominante de chaque offreur externe consiste, dans cette enchère, à soumettre sa propre disposition à payer. Il est immédiat que l’introduction d’un droit de préemption ne modifie pas cette stratégie. Quant à l’acheteur privilégié, il exerce son droit uniquement si sa disposition à payer est supérieure au meilleur prix obtenu dans l’enchère, qui correspond à la disposition à payer du second plus offrant parmi les offreurs externes. Lorsqu’il possède la disposition à payer la plus élevée, il paie donc un prix inférieur à celui d’une enchère au second prix. Il dégage alors un bénéfice net égal à l’écart entre la deuxième évaluation la plus élevée et la troisième, ce qui correspond exactement à la perte nette du vendeur, par rapport à une enchère standard au second prix. Lorsque l’évaluation de l’offreur privilégié est comprise entre l’évaluation de premier rang et celle de second rang parmi les offreurs externes, il a intérêt à exercer son droit et remporter l’actif alors qu’il ne l’aurait pas remporté dans une simple enchère. Dans ce cas également, le prix payé au vendeur correspond à la troisième disposition à payer la plus élevée parmi l’ensemble des offreurs et non à la deuxième disposition à payer la plus élevée. Enfin, lorsque la disposition à payer de l’offreur privilégié est égale à celle de troisième rang, ou est plus faible, il n’a aucun intérêt à exercer son droit. Dans ce cas, l’offreur externe, pourvu de la disposition à payer la plus élevée, remporte le bien et paie un prix correspondant à la disposition du deuxième plus offrant, comme dans une enchère standard. Ainsi, quelle que soit la disposition à payer du détenteur du droit, la rente qu’il obtient correspond exactement à la perte subie par le vendeur (Bikhchandani et al. [2005]). Dans une enchère au second prix à valeurs privées et indépendantes, le profit joint n’est donc pas modifié en présence d’un droit de préemption, et le prix payé au vendeur ne peut pas être plus élevé. Lorsque l’actif vendu présente les caractéristiques d’un bien à valeurs affiliées, notons que la procédure d’enchère au premier prix n’est pas la mieux adaptée pour le vendeur. Ce cas correspond très probablement à la majorité des biens vendus. Il peut s’appliquer e.g. au cas d’une vente de parts d’une société ou d’une franchise ayant acquis une certaine notoriété. La valeur réelle de chaque offreur peut ainsi être considérée comme une fonction non décroissante des signaux indépendants des acquéreurs potentiels (valeurs affiliées) ou peut même être commune et inconnue. [4] Dans ce contexte, les acheteurs sont alors soumis à un risque de « malédiction du vainqueur ». Ce phénomène traduit le fait de remporter la vente à un prix supérieur à la valeur réelle du bien vendu. Ce risque est plus important dans l’enchère au premier prix et dans l’enchère au second prix que dans l’enchère ascendante anglaise où la révélation d’informations sur les signaux privés des concurrents réduit l’anticipation de la malédiction. L’enchère ascendante, en général à plusieurs tours, permet des offres progressives où les acquéreurs potentiels obtiennent des informations sur les signaux de leurs concurrents. Ils transmettent alors des offres plus agressives (plus élevées), ce qui procure au vendeur un revenu espéré plus élevé dans l’enchère anglaise que dans les autres formats d’enchères. Dans ces conditions, une clause de préemption peut-elle avoir un intérêt ex ante dans une enchère au second prix et dans une enchère ascendante ? Considérons dans un premier temps le contexte d’une enchère au second prix à valeur commune. Dans la mesure où l’acheteur privilégié doit décider d’utiliser ou non son droit de préemption après avoir observé le résultat de l’enchère, il bénéficie d’une information plus fine quant à la valeur réelle de l’objet. Dans la mesure où les offreurs externes savent qu’ils possèdent une information moins fine que l’acheteur privilégié, le risque élevé de malédiction du vainqueur va les inciter à réduire leurs offres. Ils réduisent tellement leurs offres qu’à l’équilibre, l’acheteur privilégié exercera systématiquement son droit indépendamment de son signal et quel que soit le prix obtenu dans l’enchère (Bikhchandani et al. [2005]). Il capture alors totalement la rente des acheteurs externes, qui ne gagnent jamais à l’équilibre. Le droit de préemption permet donc une augmentation du surplus joint du vendeur et de l’acheteur privilégié (Bikhchandani et al. [2005]). Ce résultat semble cependant propre à l’enchère au second prix. Dans l’enchère anglaise ascendante, le résultat apparaît nuancé. En effet, en jouant en dernier, l’acheteur privilégié bénéficiera toujours d’une information plus fine. En revanche, contrairement à l’enchère au second prix (sous plis cachetés), les offreurs externes acquièrent progressivement de l’information sur les signaux, ce qui tend à réduire le risque de malédiction du vainqueur.
12 Le cas où les évaluations des acquéreurs potentiels sont corrélées constitue un cas intermédiaire entre les deux cas polaires à valeurs privées et à valeur commune. Dans ce contexte, quel est l’impact du droit de préemption dans une enchère au second prix ? Puisque la clause ne modifie pas le profit joint dans le cas à valeurs privées et qu’elle l’augmente dans le contexte à valeur commune, on pourrait alors s’attendre à ce que le profit joint augmente à mesure que la corrélation entre les évaluations augmente, i.e. à mesure que l’on passe du modèle à valeurs privées au modèle à valeur commune. Toutefois, Bikhchandani et al. [2005] montrent que l’analyse se révèle être plus complexe. Dans le cas à valeurs privées, il n’y a pas de risque de malédiction du vainqueur mais l’enchère peut être inefficace ex post (c’est le cas si l’évaluation du détenteur du droit est située entre l’évaluation la plus élevée et la deuxième plus élevée des acheteurs externes). En revanche, dans un contexte à valeur commune, l’enchère est efficace ex post mais les acheteurs externes sont soumis à la malédiction du vainqueur. Dans un modèle à valeurs affiliées, les acheteurs restent soumis à la malédiction du vainqueur et l’enchère peut être inefficace. Ainsi, en fonction de la valeur de l’objet et des signaux, l’inefficacité s’en trouvera modifiée et il en résulte que le profit joint pourra augmenter ou diminuer en présence d’un droit de préemption (Bikhchandani et al. [2005]). Ainsi, lorsque la valeur commune est non décroissante en fonction des deux signaux les plus élevés, s 1 et s 2 , parmi l’ensemble des acquéreurs, le surplus espéré joint est toujours plus élevé en présence du droit de préemption. Cela est également vrai dans l’enchère anglaise ascendante lorsque l’acquéreur potentiel externe est unique (Choi [2009]). L’intuition est la suivante : lorsque l’acheteur privilégié observe son signal s 1 , en l’absence d’offre externe, il achète toujours le bien tant que le prix proposé par le vendeur reste inférieur à la valeur réelle espérée V 1 sachant s 1 , E(V 1/s 1 ), et le profit joint correspond alors à E(V 1 ), la valeur réelle espérée obtenue dans le cadre d’information parfaite. En présence d’un acheteur externe qui offre b 2 , la stratégie optimale pour l’acheteur privilégié, après avoir observé s 1 , est de laisser gagner son concurrent uniquement si E(V 1/s 1)<b 2 . Tant qu’il existe une probabilité positive pour que ce cas de figure se produise, le profit joint dégagé par l’acheteur privilégié et le vendeur est strictement supérieur à E(V 1 ), lui-même strictement supérieur à l’espérance de leur profit joint dans une enchère ascendante. En effet, dans une enchère ascendante, si s 2>s 1 , le bien sera vendu à l’acheteur externe et le surplus joint de l’acheteur privilégié et du vendeur correspondra à V 1(s 1 ,s 1 ). [5] Or V 1(s 1 ,s 1 ) est strictement inférieur à V 1(s 1 ,s 2 ) c’est à dire la valeur réelle pour l’acheteur privilégié.
13 Dans cette section, nous avons considéré plusieurs situations contractuelles dans lesquelles les parties avaient intérêt à signer ex ante une clause de préemption, notamment entre associés ou actionnaires au moment de la constitution des statuts d’une société. Outre les arguments de protection contre un acheteur hostile, la clause peut être créatrice de valeur pour les parties ex ante. Néanmoins, la hausse potentielle du profit joint ex ante liée au droit de préemption semble à l’avantage de son titulaire au moment de la vente (l’associé qui rachète les parts de l’associé vendeur, le club sportif qui renouvelle le contrat de son sportif, la maison d’édition, le franchiseur qui rachète le fonds de commerce du franchisé). L’intérêt individuel du vendeur (en termes de revenu) apparaît moins clairement, dans la mesure où le fait d’accorder un droit de préemption conduit à une diminution de la concurrence (en effet, l’enchère comporte un acheteur de moins puisque le détenteur du droit ne participe pas à cette enchère). Ceci explique, en partie, pourquoi la clause est souvent imposée par la partie qui en bénéficie, laquelle est souvent à l’initiative du contrat et domine la négociation. Ce résultat peut ainsi expliquer pourquoi Nestlé a récemment annoncé qu’il mettait fin au droit de préemption qui le liait à la famille Bettencourt, premier actionnaire de L’Oréal, invoquant que ce droit avait conduit à une « perte de valeur dans le passé » et que « Nestlé n’y avait aucun intérêt ». Nestlé, souhaitant vendre ses parts, s’est certainement rendu compte qu’elle pouvait être lésée par le droit de préemption dont bénéficierait l’Oréal dans cette situation. La perte de revenu pour le vendeur (franchisé, associé vendant ses parts) peut toutefois être compensée par un transfert « monétaire » ex ante de la part de l’acquéreur privilégié. Théoriquement, ce transfert est envisageable puisque l’acheteur dégage une rente liée à son droit de préemption supérieure à la perte de revenu espérée du vendeur. En pratique, deux associés d’une société peuvent ainsi prévoir, dans les statuts, le versement d’un transfert compensatoire dans le cas où l’un vendrait ses parts à l’autre si ce dernier faisait jouer son droit de préemption. Toutefois, un tel transfert peut s’avérer difficile à mettre en place car il requiert un engagement fort des deux parties sur une règle de calcul ex ante de son montant. Ces pratiques existent cependant et ont pu être observées notamment aux Etats-Unis dans les accords de pré-acquisition entre firmes. Ainsi, comme le cite Hua [2007], Icon Laser Eve Centers et Lasik Vision Corporation avaient passé un accord selon lequel Icon bénéficiait d’un droit de préemption pour le rachat de Lasik. En retour, Lasik reçut une compensation d’Icon sous forme d’options pour acheter certaines actions d’Icon (indépendamment du résultat final de la vente).
14 Cette clause permet également de mieux protéger la partie qui prend des risques. En particulier, le club sportif, la maison d’édition prennent des risques lorsqu’ils engagent de nouvelles recrues dont le talent est potentiel. Si ces acteurs sont plus hostiles au risque que leur nouvelle recrue ou qu’un futur acquéreur externe, le fait de bénéficier d’un droit de préemption permet un meilleur partage des risques entre parties.
15 Compte tenu des résultats présentés dans cette section, on peut s’interroger sur l’intérêt pour un vendeur, à privilégier un acheteur particulier en lui accordant un droit de préemption lorsqu’il n’est pas engagé ex ante sur les modalités de vente d’un actif.
Le vendeur a-t-il intérêt à accorder un droit de préemption à l’un des acheteurs lorsqu’il n’est pas engagé ?
16 Dans un contexte de valeurs privées et indépendantes, si les acheteurs ont des croyances symétriques sur les dispositions à payer des concurrents et sont neutres vis-à-vis du risque, les procédures d’enchères « standard » sont toutes optimales (Myerson [1981]). En particulier, elles permettent de maximiser le revenu espéré du vendeur en fixant un prix de réserve public optimal. La présence d’un droit de préemption ne peut alors pas améliorer le revenu du vendeur. Différentes situations peuvent cependant conduire le vendeur à ne pas pouvoir imposer un prix de réserve optimal, notamment lorsqu’il souhaite impérativement vendre l’actif. Par ailleurs, même si, ex ante, un droit de préemption conduit à une hausse du profit joint, il peut diminuer le revenu du vendeur si ce dernier ne reçoit pas de transfert de la part du détenteur du droit. Pourquoi le vendeur aurait-il alors intérêt à privilégier l’un des acheteurs lorsqu’il n’est pas engagé et pourrait vendre son actif par une enchère standard ?
17 Dans la mesure où l’acheteur privilégié ne participe plus à l’enchère, le degré concurrentiel de l’enchère diminue. Le prix obtenu par le vendeur est d’ailleurs toujours indépendant de la disposition à payer de l’acheteur privilégié puisqu’il correspond à l’offre externe la plus élevée. Le droit de préemption ne peut donc avoir un intérêt pour le vendeur que s’il conduit à des offres plus agressives de la part des acheteurs externes, venant ainsi compenser la réduction de la concurrence. Or, lorsque les croyances sur les dispositions à payer de leurs concurrents sont symétriques, la stratégie d’équilibre des offreurs externes peut être identique, moins agressive ou au contraire plus agressive en présence d’un acheteur privilégié que celle déployée dans une enchère au premier prix standard. Ce résultat est fonction de la distribution des croyances sur les dispositions à payer (Porter et Shoham [2004], Arozamena et Weinschelbaum [2009]). Dans ces conditions, le droit de préemption ne peut améliorer le revenu du vendeur que s’il conduit à des offres plus agressives. Cette condition nécessaire n’est toutefois pas suffisante. En particulier, Arozamena et Weinschelbaum [2009] donnent un exemple où cela se produit mais ils insistent sur la forme particulière de la fonction de répartition de la distribution privée des évaluations.
18 Dans le cas d’une enchère au second prix à valeurs privées et indépendantes, nous avons vu dans la section précédente que le vendeur subit nécessairement une perte de revenu en présence d’un droit de préemption (Bickhandani et al. [2005]). Cette conclusion est également vraie dans le cas d’une enchère anglaise ascendante mettant en concurrence des acheteurs externes. Toutefois, elle est liée à la présence d’une concurrence externe à plus d’un tiers et repose en partie sur les caractéristiques de l’enchère au second prix et de l’enchère ascendante. Lorsque le prétendant externe à l’achat d’un actif est unique, il fera une offre à prendre ou à laisser au vendeur en anticipant la position du titulaire du droit. Dans ces conditions, si le vendeur ne peut pas imposer de prix de réserve, lorsque le droit de préemption incite le tiers à être plus agressif, cela peut conduire à une hausse du revenu espéré du vendeur. C’est d’ailleurs dans ce cadre de faible concurrence que la question du droit de préemption est particulièrement pertinente. Les cas concrets que nous avons décrits reflètent souvent des situations où le tiers est unique. On connaît peu d’exemples où les prétendants externes au rachat des parts d’une société sont plusieurs, où le fonds de commerce d’une franchise intéresse plusieurs tiers, où plusieurs fournisseurs viennent concurrencer la « firme en place ». D’autre part, même si la concurrence externe comprend plus d’un offreur, il suffit de demander au tiers le plus performant s’il souhaite augmenter le prix obtenu dans l’enchère au second prix ou l’enchère ascendante (qui correspond à la valeur du second plus offrant parmi les offreurs externes) face à la concurrence du titulaire du droit de préemption. Si cela incite ce tiers à être plus agressif et à revoir son offre, le revenu espéré du vendeur pourra être plus élevé.
19 En pratique, l’hypothèse de symétrie des offreurs est rarement vérifiée. Lorsque, par exemple, des entreprises de tailles différentes sont en concurrence, les grandes entreprises auront très probablement une probabilité plus forte que les PME d’avoir une disposition à payer plus importante. Dans ce contexte où les croyances de deux acheteurs potentiels sur leurs dispositions à payer sont « asymétriques », il peut alors s’avérer intéressant pour le vendeur de privilégier l’un des deux. Afin d’expliquer les intuitions de ce résultat, précisons tout d’abord que l’asymétrie entre acheteurs peut se manifester de deux façons : soit l’un des concurrents a une disposition maximale à payer plus basse mais les croyances sur la répartition des évaluations dépendent de la même fonction, soit les supports des distributions sont identiques mais ont une fonction de répartition différente. Dans le premier cas, l’enchère au premier prix peut accroître la rente du vendeur en discriminant en faveur de l’acheteur ayant la disposition à payer la moins favorable a priori. Le fait de lui permettre de préempter l’offre de son concurrent avec une disposition à payer a priori plus favorable peut conduire ce dernier à soumettre une offre plus élevée que celle soumise dans l’enchère standard. L’arbitrage entre enchère au premier prix standard et enchère avec préemption va alors dépendre de l’effet relatif de diminution de la concurrence dans l’enchère par rapport à l’effet stratégique du droit de préemption (augmentation de l’agressivité des offreurs externes). Plus précisément, cet arbitrage dépendra de l’écart entre la borne supérieure de l’évaluation du plus faible et celle du plus fort, ce qui représente le « degré » d’asymétrie (Lee [2008]). En effet, dans l’enchère au premier prix standard, si la borne supérieure de l’évaluation du plus faible est relativement basse, le plus fort aura intérêt à borner son offre maximale sur l’offre stratégique maximale de son concurrent (qui sera faible et bien entendu inférieure à sa propre disposition maximale à payer) parce qu’il n’a aucun intérêt à être plus agressif. Au-dessus d’un certain seuil d’asymétrie, l’offreur faible n’aura même plus intérêt à concurrencer le plus fort et l’effet concurrence de l’enchère au premier prix ne jouera plus. Dans ces conditions, si le vendeur favorise l’offreur fort en lui accordant le droit de préemption, il ne peut pas inciter l’offreur faible à être plus agressif que dans l’enchère standard. En revanche, en favorisant l’offreur faible, il incite l’offreur fort à être plus agressif, notamment en l’obligeant à soumettre une offre maximale pouvant atteindre la valeur maximale de l’offreur faible et donc supérieure à l’offre maximale émise dans l’enchère standard. Le degré d’asymétrie entre les offreurs doit donc être suffisamment important pour que le vendeur bénéficie de la clause de préemption.
20 Si l’asymétrie s’exprime par une répartition différente des évaluations mais sur un support identique (borne minimale et maximale commune), l’offreur « fort » ne peut plus borner son offre maximale sur l’offre maximale de l’offreur faible. L’analyse des stratégies d’offre à l’équilibre dans l’enchère au premier prix standard devient plus complexe (Maskin et Riley [2000], Lebrun [1999]). Il existe alors un équilibre unique où les offreurs ont intérêt à soumettre une offre minimale et maximale commune aux bornes des évaluations (Lebrun [1999]) mais il n’est pas possible d’obtenir une solution explicite des stratégies. La comparaison avec le droit de préemption devient alors plus délicate. L’analyse de Burguet et Perry [2007], développée dans le contexte d’une mise en concurrence pour l’approvisionnement d’un bien, peut toutefois nous éclairer. Ils étudient les effets stratégiques du favoritisme sur les offres soumises par l’offreur favorisé et par son concurrent. Celui-ci a la possibilité de préempter l’offre de son concurrent moyennant le paiement éventuel, en contrepartie, d’un transfert au vendeur. En l’absence de transfert, le favoritisme s’apparente à un droit de préemption et l’offreur favorisé acceptera de s’aligner sur l’offre de son concurrent si celle-ci est supérieure à son coût (ou inférieure à sa disposition à payer si on considère la situation réciproque d’une vente). Dans le cadre de fonctions de répartition spécifiques (fonction puissance), il est possible de déterminer la stratégie d’offre d’équilibre de l’offreur non favorisé. Lorsque la fonction de répartition de l’offreur favorisé domine, au sens de la dominance stochastique de premier ordre, par rapport à celle de son concurrent (l’offreur privilégié a plus de chance d’avoir un coût faible ou une disposition à payer plus élevée si on adapte la situation au cas d’une vente), il n’y a cependant pas de conclusion générale quant à la comparaison d’une enchère au premier prix avec ou sans droit de préemption. En effet, les simulations numériques réalisées conduisent à des résultats opposés. Dans certains cas, l’effet de réduction de la concurrence de l’enchère au premier prix domine l’effet stratégique d’offres plus agressives de l’offreur non favorisé, et, dans d’autres cas, le résultat est opposé. Il est donc difficile de se forger une opinion générale sur l’intérêt, pour le vendeur, d’accorder une position privilégiée à l’un des acheteurs dans une enchère au premier prix. Tout va dépendre des croyances sur la distribution des évaluations mais également sur la nature des asymétries. Toutefois, dans ce même cadre asymétrique, l’enchère au premier prix avec droit de préemption peut être préférable à une enchère ascendante standard pour le vendeur. En effet, l’asymétrie des offreurs n’influence pas leurs stratégies dans une enchère ascendante alors qu’elle peut rendre l’offreur non privilégié plus agressif dans une enchère au premier prix lorsque son concurrent bénéficie du droit de préemption.
21 Qu’en est-il lorsque l’un des acheteurs bénéficie du droit de préemption en présence d’un actif à valeur commune ? Si l’offreur privilégié est mieux informé sur la valeur réelle du bien que tout concurrent extérieur, il n’exercera son droit que si le prix proposé par un concurrent extérieur est inférieur à la valeur réelle estimée de l’actif. Dans le cas contraire, il renoncera à son droit, laissant le bien à ce concurrent, victime ainsi de la malédiction du vainqueur. Un concurrent extérieur, anticipant ce fait, aura tendance à soumettre une offre basse afin d’éviter d’être victime ex post d’une trop forte malédiction en cas de renonciation de l’offreur privilégié. Par conséquent, l’offreur privilégié a de grandes chances d’obtenir le bien à un prix très faible, ce qui conduira systématiquement à une perte de revenu pour le vendeur (Bikhchandani et al. [2005]). Cet argument est cependant nuancé par l’analyse de Matros [2012]. Lorsque l’offreur privilégié n’a pas systématiquement accès à l’emprunt pour acheter le bien vendu (marché financier imparfait), son concurrent peut, dans certains cas, obtenir le bien en dessous de sa valeur réelle, ce qui l’incite à offrir des prix plus élevés que dans le cas d’un marché financier parfait. Le revenu espéré de la vente dépendra alors de la probabilité d’accès de l’offreur privilégié au marché financier et du coût de participation de l’offreur externe.
22 Par ailleurs, l’hétérogénéité des offreurs semble être un critère relativement robuste en faveur du droit de préemption, même lorsqu’il s’agit de la vente d’un actif à valeur commune. Dans un cadre très spécifique, celui de l’absorption d’une société cible, Dasgupta et Tsui [2003] analysent l’impact d’un droit de préemption sur le prix de vente des actions en circulation en comparaison avec celui obtenu dans une enchère au premier prix et dans une enchère ascendante sans droit. Deux acquéreurs potentiels détiennent initialement une fraction des actions en circulation de la société cible (participation initiale) et sont tous les deux intéressés par le rachat de la société qui leur permettra de dégager un effet de synergie. Si le comité de vente organise une enchère standard, le vainqueur sera celui qui propose le prix le plus élevé pour le rachat des actions complémentaires. Sa plus-value correspondra à l’écart entre la valeur de l’actif à l’équilibre et le prix payé pour les actions complémentaires. Le perdant devra vendre ses actions et recevra le prix proposé par le vainqueur. L’hétérogénéité des acquéreurs peut s’exprimer à deux niveaux : leurs participations initiales respectives sont asymétriques ou le signal informationnel privé sur la valeur réelle de l’actif après la vente peut être différent (un des deux acquéreurs potentiels est mieux informé sur la valeur réelle de l’entreprise ou encore maîtrise mieux les synergies possibles à l’issue de la fusion). Dans ce contexte de bien à valeur commune avec signaux privés indépendants, le fait d’accorder le droit de préemption à l’acheteur le moins favorable a priori (l’offreur « faible ») permet d’améliorer le revenu de la vente lorsque les asymétries sont suffisamment importantes. Le principe consiste de nouveau à discriminer en faveur de l’offreur faible. En fait, le prix payé lors de la vente correspond à l’offre soumise par l’acheteur non favorisé. A l’équilibre, celle-ci est égale à la valeur espérée de l’actif et croît en fonction des parts initiales de cet acheteur. Ainsi, plus cette fraction est élevée plus le prix de la vente sera élevé. Dans ces conditions, en quoi le droit de préemption améliore-t-il la performance de la vente par rapport à une enchère standard ? Dans l’enchère ascendante comme dans l’enchère au second prix, le prix payé correspond à l’offre du second plus offrant. Le concurrent dont les parts initiales sont déjà importantes (offreur 1) a tendance à soumettre une offre agressive car il a peu d’actions à racheter. L’offreur à faibles parts initiales (offreur 2) a davantage intérêt à se trouver dans la position de vendeur. Afin de limiter l’effet de la malédiction, il aura tendance à restreindre son offre car s’il gagne face à un concurrent plus agressif, il risque d’être victime de la malédiction. Toutefois, il a tout intérêt à ce que son offre soit suffisamment élevée car, s’il perd, ses parts seront vendues au prix qu’il propose ! Ce second effet joue cependant moins que le premier car il a peu de parts à échanger. Par conséquent, plus les parts initiales de l’offreur 1 seront importantes moins l’effet concurrentiel de son concurrent jouera. Et comme le prix payé correspond à l’offre du second, celui-ci sera faible. Ainsi, il est préférable d’accorder à cet offreur un droit de préemption pour inciter son concurrent à être plus agressif (effet stratégique).
23 Dans l’appel d’offres au premier prix, l’offreur 1 a tendance à être également agressif parce qu’il se comporte davantage comme un acheteur et a peu de parts à racheter. En revanche, lorsque son concurrent bénéficie du droit de préemption, il sait que s’il perd, le prix payé pour ses nombreuses parts sera égal à son offre, ce qui le conduit à être plus agressif.
24 Qu’en est-il lorsque les deux offreurs ont un niveau d’information très différent sur la valeur réelle de l’actif, sachant que leurs parts initiales sont identiques ? Dans une enchère ascendante standard, l’offreur 2, peu informé, sera peu agressif car il anticipera la malédiction du vainqueur. Par conséquent le prix payé sera faible. En revanche, si on lui accorde une position privilégiée, il ne sera plus contraint par le risque de malédiction du vainqueur et aura tendance à accepter le prix proposé par son concurrent mieux informé. Il se positionnera davantage en acheteur et son concurrent aura tendance à proposer un prix élevé, se positionnant davantage en vendeur.
25 L’asymétrie des acheteurs potentiels peut également se manifester lorsque les acquéreurs potentiels ont des degrés d’aversion pour le risque différents. Cette asymétrie traduit l’importance qu’accorde chaque acquéreur au fait de remporter la vente : ainsi, à dispositions à payer identiques, un individu plus hostile au risque accordera plus de poids au fait de gagner l’enchère au premier prix qu’à la marge qu’il dégagera en tant que vainqueur. Si les deux acquéreurs potentiels éprouvent le même degré d’aversion, toutes choses égales par ailleurs, dans une enchère au premier prix ils auront des comportements d’offres symétriques. Le fait de privilégier l’un des deux, en lui accordant un droit de préemption, n’incitera pas nécessairement l’autre à être plus agressif que dans l’enchère standard (en particulier, si la distribution des évaluations est une fonction puissance il adoptera la même stratégie). Par conséquent, l’effet stratégique de la préemption ne jouera pas davantage que dans un modèle où les deux joueurs sont neutres vis-à-vis du risque. L’effet de diminution de la concurrence, quant à lui, subsiste. Le vendeur ne peut donc pas bénéficier de l’octroi d’une clause de préemption lorsque les acquéreurs potentiels éprouvent le même degré d’aversion pour le risque. En revanche, peut-il en bénéficier si les offreurs ont des degrés d’aversion vis-à-vis du risque différents ? Lorsque leur aversion est relativement constante et que chacun connaît précisément le niveau d’aversion de l’autre, les stratégies d’offre d’équilibre dans une enchère au premier prix sont les mêmes que dans un contexte où les offreurs ont des fonctions de répartition de leurs évaluations asymétriques mais définies sur le même support (voir Marshall et al. [1994]). Dans ce cadre, comme nous l’avons détaillé en amont, il n’est pas possible de définir de façon analytique les stratégies d’équilibre et la comparaison avec le droit de préemption reste délicate. Nous savons cependant que l’offreur le plus hostile au risque est plus agressif que son concurrent. En nous appuyant sur les résultats de Burguet et Perry [2007], nous pouvons conclure que le droit de préemption peut éventuellement améliorer le revenu du vendeur s’il incite le non-titulaire à être plus agressif que dans l’enchère au premier prix sans droit de préemption. Dans la mesure où le prix de vente est égal à l’offre du non-titulaire, le vendeur a intérêt à ce que cet offreur soit le plus hostile au risque. Le droit de préemption doit donc être accordé à l’offreur le moins hostile au risque. Cette condition est nécessaire mais pas suffisante. Les simulations numériques (Burguet et Perry [2007]) suggèrent que le degré d’aversion au risque du plus hostile doit être suffisamment grand pour que l’effet stratégique l’emporte sur l’effet restriction de concurrence en présence de la préemption.
26 Dans une enchère ascendante, les effets sont différents. En l’absence de droit de préemption, l’aversion vis-à-vis du risque des offreurs n’a pas d’impact sur leur stratégie à l’équilibre et ne les incite donc pas à être plus agressifs. En revanche, le fait d’accorder une position privilégiée à l’offreur le moins hostile au risque incite son concurrent plus risquophobe à être plus agressif et contribue ainsi à une amélioration du prix payé au vendeur.
27 Les résultats précédents reposent sur l’hypothèse que les niveaux d’aversion au risque des joueurs sont connaissance commune. La précision de l’information sur le niveau d’aversion au risque du concurrent peut toutefois apparaître discutable, notamment lorsque les acheteurs ne se connaissent pas. Brisset et Maréchal [2015] analysent une situation dans laquelle les offreurs ne connaissent pas précisément le niveau d’aversion au risque du concurrent, même si le vendeur possède cette information. Leurs croyances sont supposées symétriques, chacun considérant que l’aversion de son concurrent peut être élevée ou faible avec une certaine probabilité p. Dans ce cas dichotomique discret, il est possible de déterminer explicitement les stratégies d’offres d’équilibre dans l’enchère au premier prix lorsque chaque offreur a une aversion différente (qui reste une information privée). Le fait d’accorder un droit de préemption à l’offreur le moins hostile au risque conduit l’autre offreur à adopter une stratégie d’offre plus agressive que celle adoptée en l’absence de droit (notamment lorsque son évaluation privée dépasse un certain seuil). L’effet stratégique du droit de préemption peut alors l’emporter sur l’effet de diminution de la concurrence de l’enchère et améliorer le revenu du vendeur. Tout dépend du niveau d’aversion au risque du joueur le plus risquophobe et de la probabilité p. Notons que ce résultat a été confirmé par une expérience en laboratoire menée par Brisset et al. [2015], expérience pour laquelle le protocole a été simplifié mais conduit aux mêmes effets.
28 Le fait d’accorder un droit de préemption à l’acheteur le moins risquophobe peut donc permettre d’améliorer l’espérance d’utilité du vendeur, mais améliore également l’espérance d’utilité du titulaire du droit et peut ainsi assurer un meilleur partage des risques en faveur des deux parties, notamment si le vendeur est lui-même risquophobe, Toutefois, la procédure reste discriminante pour l’acheteur tiers et contribue à une diminution de son espérance d’utilité. Par conséquent, lorsque l’acheteur tiers est plus risquophobe que les autres parties, il n’est pas certain que l’inclusion du droit de préemption permette un meilleur partage global des risques.
29 Enfin, le caractère répété d’une enchère est un argument supplémentaire pouvant justifier d’accorder un droit de préemption. Chouinard et Yoder [2007] envisagent ce cas de figure, en considérant le cas d’enchères au premier prix répétées composées des deux mêmes concurrents. Cette situation est caractéristique des contrats de vente de concession de monopole où les concurrents sont en général peu nombreux et stables. A la fin d’une période de concession, le vendeur peut alors augmenter son revenu espéré en accordant un droit de préemption à l’opérateur actuel, vainqueur de l’enchère précédente. Lorsque les dispositions à payer sont aléatoires et indépendantes d’un acheteur à l’autre et d’une enchère à l’autre pour chaque acheteur, l’offreur non privilégié est incité à soumettre une offre plus agressive dans la première vente à laquelle il participe afin d’essayer d’accéder à la position d’opérateur actuel (et donc bénéficier du ROFR) dans les enchères suivantes.
30 Dans le cadre d’une enchère unique avec des offreurs hétérogènes ou dans le cadre d’enchères répétées, il apparaît donc que la fixation d’un droit de préemption peut permettre au vendeur d’améliorer son revenu espéré en rendant les acheteurs non titulaires du droit plus agressifs. Qu’en est-il à présent de l’impact d’un tel droit sur l’efficacité économique et sur le degré de concurrence du marché ?
Quelles sont les conséquences du droit de préemption en termes d’efficacité économique et de concurrence sur le marché ?
31 Le droit de préemption engendre nécessairement une distorsion dans l’allocation de l’actif vendu en faveur de son titulaire, lequel peut remporter l’enchère sans même avoir la disposition à payer la plus élevée parmi les offreurs (notamment lorsqu’il accepte d’acheter le bien au prix de la meilleure offre soumise par un concurrent dont la disposition à payer est plus élevée que la sienne), du moins si l’on considère le cadre de valeurs privées indépendantes. En revanche, lorsque les acheteurs sont parfaitement symétriques, tout mécanisme de vente par enchère standard conduit nécessairement à une allocation efficace des ressources. Néanmoins, lorsque le vendeur fixe un prix de réserve dans une enchère standard (plus élevé que la valeur qu’il accorde réellement au bien) dans le but d’extraire une rente supplémentaire sur l’ensemble des acheteurs, l’échange peut ne pas avoir lieu alors qu’il serait profitable. Le fait d’accorder un droit de préemption à l’un des acheteurs, moyennant un transfert qui incite le vendeur à ne pas fixer de prix de réserve, limite l’extraction de rente uniquement à la tierce partie et peut, dans certains cas, améliorer les conditions d’échange et contribuer à une amélioration de l’efficacité sociale (voir l’exemple de Hua [2007]).
32 Dans la situation où les offreurs ont des croyances asymétriques sur les dispositions à payer, l’enchère au premier prix (sans droit de préemption), contrairement à l’enchère anglaise ascendante ou à l’enchère au second prix, peut ne pas attribuer le bien à celui qui possède l’évaluation la plus élevée. Les stratégies d’offre sont, dans ce cas, asymétriques. Ainsi, pour une même évaluation, l’offreur 1 dont la distribution des évaluations est plus « faible » (au sens de la dominance stochastique de premier ordre) soumettra une offre plus élevée que l’offreur 2, dit « fort ». Il peut donc remporter l’enchère sans avoir la disposition à payer la plus élevée. Si on lui accorde une position privilégiée, on peut inciter son concurrent à être plus agressif, réduisant le risque que celui-ci perde la vente alors qu’il a la disposition à payer la plus élevée. Le droit de préemption peut donc dans certains cas, non seulement améliorer le prix payé au vendeur mais également améliorer l’efficacité de l’échange.
33 Du point de vue de l’acheteur tiers, le fait d’accorder un droit de préemption à son concurrent contribue à une baisse de son utilité espérée. Lorsqu’il est incité à être plus agressif, sa probabilité de gagner reste plus faible et sa marge en cas de victoire est plus petite ; il est donc défavorisé. Lorsque son offre optimale est moins agressive que dans l’enchère sans droit de préemption, son espérance d’utilité reste plus faible face à un concurrent favorisé (Arozamena et Weischenblum [2009]). Cet impact négatif sur la partie tierce peut d’ailleurs la conduire à renoncer à la vente, notamment en cas de participation coûteuse ou lorsqu’elle risque d’être victime de la malédiction du vainqueur. Cette réaction pourra avoir pour conséquence de restreindre la concurrence externe, et donc de diminuer l’espérance de revenu du vendeur au profit du titulaire du droit (Bikhchandani et al. [2005]). Ce comportement peut également expliquer pourquoi, en pratique, la concurrence est faible lorsqu’un acquéreur bénéficie du droit de préemption. C’est pourquoi cette clause est parfois considérée comme restrictive de concurrence par les autorités de la concurrence. Dans le cadre des contrats de franchise e.g. cette clause est souvent perçue comme abusive pour le franchisé, et de nature à créer des barrières à l’entrée au profit du franchiseur. L’Autorité de la concurrence doit donc être prudente et établir une analyse au cas par cas (règle de raison) afin de mesurer le risque concurrentiel.
34 A titre d’illustration, en 2013, l’Autorité française de la concurrence a analysé le caractère litigieux du droit de préemption dans l’affaire qui opposait la société Altimat au groupe Weldom (décision n°13-D-19). Altimat souhaitait acquérir un commerce de bricolage sous l’enseigne Weldom. Toutefois, ce groupe a fait valoir son droit de préemption pour permettre à l’un de ses franchisés, qui possédait déjà une enseigne Weldom dans une zone géographique proche, d’acquérir ce commerce. Altimat a considéré que le groupe Weldom abusait de sa position dominante locale en faisant valoir cette clause. Cet argument n’a pas été retenu par l’Autorité de la concurrence dont l’analyse, en l’espèce, n’a pas démontré l’existence de pratiques anticoncurrentielles par le groupe Weldom résultant de l’exercice du droit de préemption. Deux motifs principaux ont été évoqués. D’une part, les franchisés pouvaient facilement mettre fin à leur contrat de franchise et n’avaient pas d’obligation postcontractuelle de non-concurrence. D’autre part, l’exploitation de deux magasins sous une même enseigne n’entraînait pas de réduction sensible de la concurrence dans la zone en l’état actuel des implantations commerciales. Il apparaît évident que tout franchiseur a intérêt à imposer cette clause dans ses contrats de franchise afin de protéger son réseau géographique, d’assurer la pérennité de son parc et surtout de protéger les autres franchisés du réseau local de la concurrence (la valeur de l’enseigne dépendant de son développement géographique dans la mesure où il existe une externalité positive de réseaux). Le droit de préemption constitue toutefois un moyen indirect de créer une barrière à l’entrée pour toute enseigne concurrente et peut être utilisé pour éviter dans une zone locale l’arrivée d’un nouveau concurrent, pour protéger simplement les autres franchisés ou succursales de la zone. Ainsi, dans son avis n° 10-A-26, l’Autorité a considéré que les droits de préemption pouvaient donner un avantage concurrentiel important au groupe bénéficiaire en l’informant des offres faites par des acquéreurs potentiels, lui permettant d’anticiper, voire d’empêcher, l’implantation d’un concurrent. Elle a estimé que ce type de clause pouvait, dans cette mesure, contribuer à dissuader les groupes de distribution concurrents d’entrer en négociation avec le propriétaire souhaitant vendre son magasin. En effet, leurs offres de rachat ont peu de chance d’aboutir, compte tenu des droits de priorité pouvant y suppléer à conditions et termes équivalents dans la conclusion du contrat de vente. En outre, l’absence d’incitation des groupes concurrents à formuler des offres de rachat diminue le pouvoir de négociation du propriétaire du magasin relativement à celui de la tête de réseau, qui peut alors, à moindre coût, assurer la pérennité de son réseau. Par ailleurs, dans un arrêt du 4 novembre 2014, la Cour de cassation a cassé un arrêt de Cour d’appel qui avait validé le droit de préférence et de préemption d’un contrat Carrefour au motif qu’elle n’avait pas recherché si cette clause « n’avait pas pour effet, en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents, de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution à dominante alimentaire ».
35 Remarquons cependant que la présence d’un droit de préemption peut conduire un acheteur externe à utiliser stratégiquement ce droit en sa faveur. A cet effet, deux comportements stratégiques peuvent par exemple être envisagés. En premier lieu, l’acheteur externe peut tenter de diminuer le surplus du détenteur du droit. Afin d’illustrer ce propos, reprenons l’exemple d’un franchisé souhaitant vendre son commerce. On peut, en effet, imaginer qu’une enseigne concurrente négocie avec le franchisé dans le but de faire éventuellement monter le prix d’acquisition pour le franchiseur actuel. Cette stratégie est cependant coûteuse et comporte le risque que le franchiseur renonce à son droit de préemption. En second lieu, l’acheteur externe peut chercher à acquérir l’actif à des conditions plus favorables en s’entendant avec le titulaire du droit de préemption. Lorsque l’un des associés d’une société vend ses parts, par enchère par exemple, l’acheteur externe peut ne pas participer et renoncer à concurrencer d’autres acquéreurs afin de ne pas faire monter le prix. Il peut ensuite demander à l’associé détenteur du droit d’exercer son droit de préemption en achetant les parts et en les lui revendant ensuite. Cette situation s’est produite lorsque Xstrata a souhaité vendre ses 70 % de participation dans le projet de mine de cuivre et d’or El Morro au nord du Chili. Les 30 % restants appartenaient à une filiale de New Gold Inc. Aux termes de la convention entre actionnaires conclue entre Xstrata et New Gold, chaque partie avait un droit de premier refus sur les actions de l’autre dans El Morro. En 2009, Xstrata a organisé une enchère pour céder sa participation dans El Morro. A l’issue de cette enchère, Barrick s’est porté acquéreur et un contrat de vente conditionnelle avec Xstrata a été signé. Pour que la vente soit effective, New Gold devait préalablement renoncer à son droit de premier refus ou ne pas l’exercer. Avant l’expiration du droit, il a toutefois passé un accord avec Goldcorp en vertu duquel il s’engageait à exercer son droit en achetant les parts de Xstrata au prix convenu avec Barrick et à les revendre ensuite à Goldcorp. En contrepartie de cette entente, Goldcorp a versé une avance à Newgold et lui a proposé d’acquérir ses 30 % restants à des conditions avantageuses. Goldcorp a ainsi évité la concurrence de Barrick au moment de l’enchère, a pu acquérir les parts de Xstrata à des conditions plus avantageuses et a partagé ce surplus avec Newgold. [6]
36 Le droit de préemption est également décrié dans les contrats verticaux entre fournisseurs et clients. En particulier, dans les contrats de fourniture d’énergie, cette clause est accusée de participer au cloisonnement des marchés et d’entraver la libéralisation du secteur de l’énergie. Plus généralement, elle figure dans de nombreux contrats cadres qui régissent la relation fournisseur-client. Et, dans ce cadre, elle peut également être utilisée pour faciliter la stabilité des cartels. Un marché concentré et peu ouvert à la concurrence extérieure favorise la formation d’un cartel. Si chaque membre du cartel signe une clause de droit de préemption avec chacun de ses clients, il peut être informé immédiatement de toute offre externe formulée par un autre membre qui ne respecterait pas les termes de l’entente. Cette clause favorise la détection rapide de tout comportement déviant au sein du cartel. L’offre peut alors être immédiatement contrecarrée par l’entreprise en place. Chacun peut donc anticiper cette réaction et ainsi, à l’équilibre, la clause permet d’assurer la stabilité du cartel.
Une procédure alternative : le droit de première offre
37 Plutôt que d’insérer un droit de premier refus dans leurs statuts, les actionnaires ou associés peuvent préférer un droit de première offre. Cette clause prévoit qu’un actionnaire souhaitant vendre ses actions propose, en priorité, aux autres actionnaires de les lui acheter à un prix déterminé. Si les autres actionnaires sont intéressés, ils peuvent acquérir les actions à ce prix. Dans le cas contraire, l’actionnaire vendeur est autorisé à les proposer à un tiers, à condition que celui-ci acquière les actions à des conditions pas plus favorables que celles offertes aux autres actionnaires.
38 Si le droit de premier refus est souvent utilisé dans le cadre d’une procédure d’enchères, le droit de première offre est, en général, plutôt utilisé au sein d’une procédure de négociation. Les droits de première offre sont très fréquents dans le domaine des cessions de parts sociales d’entreprises, ainsi que dans les ventes ou la mise en crédit-bail de droits de propriété, licences … Par exemple, dans le domaine pharmaceutique, lorsque des recherches scientifiques reposent sur la création d’une entité commune entre sociétés, chaque société peut bénéficier d’un droit de première offre en cas de vente de parts. A quelles conditions les parties ont-elles intérêt à adopter une telle clause ex ante ?
39 Par comparaison avec la clause de droit de premier refus, la clause de droit de première offre peut paraître moins attractive pour son titulaire dans la mesure où il doit prendre une décision sans information sur les offres potentielles d’acquéreurs externes. Lorsque les valeurs sont fortement corrélées, on s’attend à ce que ce manque d’information accentue le risque de malédiction du vainqueur pour cet offreur, l’incitant à refuser des prix élevés. Les travaux à ce sujet doivent être développés. Même dans le cadre où les évaluations sont indépendantes, Hua [2012] observe que le droit de première offre ne confère pas systématiquement une hausse du profit joint ex ante des parties engagées, contrairement au droit de premier refus. Analysant les incitations a priori d’un vendeur et d’un acheteur particulier à signer un droit de première offre, il considère cependant que ces parties peuvent renégocier ex post si le bien ne trouve pas preneur parmi les acheteurs externes. L’impact de la clause de première offre sur le profit joint va alors dépendre de la répartition du pouvoir de négociation entre le vendeur et le titulaire du droit, de la concurrence sur le marché externe et de la possibilité, ou non, pour le titulaire du droit d’intervenir sur ce marché. Les acheteurs externes ont une valeur commune pour le bien mis en vente qui est une information privée et est supposée différente de celle du titulaire du droit. Cette hypothèse est caractéristique de certaines situations réelles. Lorsqu’un associé d’une société vend ses parts, on peut penser que les autres associés ont une information différente des acheteurs externes qui peuvent avoir la même information et donc le même signal sur la valeur de marché des parts. Ainsi, sous l’hypothèse que les acquéreurs externes sont en concurrence et ont une valeur commune identique privée pour l’actif vendu, le vendeur peut capturer tout le surplus du fait de la concurrence. En l’absence d’engagement avec un acheteur initial, le vendeur propose à celui-ci un prix supérieur à l’espérance de cette valeur commune de manière à extraire une rente sur cet acheteur initial. Dans ces conditions, l’acheteur initial pourra renoncer à l’achat alors que sa disposition à payer est supérieure à cette valeur commune. En revanche, si cet acheteur bénéficie de la clause de première offre, le vendeur devra vendre à un acheteur externe à un prix au moins égal à celui proposé à cet acheteur. Néanmoins, le fait que le prix proposé aux tiers puisse ne pas trouver acquéreur et compte tenu de la possibilité de renégociation ex post avec l’acheteur initial, le vendeur, confronté à un problème de holdup lié à la renégociation, doit l’anticiper lors de son offre préalable au titulaire du droit. Cela l’incite à proposer un prix plus faible que dans la situation sans préemption (sans clause, il est incité à obtenir la rente la plus élevée possible en proposant à l’acheteur initial un prix plus élevé que la valeur espérée qu’il peut dégager en vendant à l’un des tiers). Dans ces conditions, lorsque le pouvoir de négociation de l’acheteur initial est élevé, celui-ci se voit proposer un prix initial trop bas, ce qui l’incite à accepter l’offre alors qu’il n’a pas nécessairement une évaluation supérieure à la valeur commune externe. La situation peut alors conduire à une perte de surplus joint et à une mauvaise allocation du bien en faveur de l’acheteur initial. La renégociation ex post peut donc diminuer le profit joint espéré des parties au contrat mais être bénéfique pour le titulaire de la clause de première offre. Si maintenant l’acquéreur tiers est unique et a une valeur privée et indépendante pour l’actif cédé, en l’absence de droit de première offre, le vendeur propose à l’acheteur initial une offre à prendre ou à laisser à un prix supérieur au revenu espéré qu’il pourrait obtenir avec le tiers. Le risque d’une mauvaise allocation en faveur du tiers persiste. En revanche, en présence de la clause de première offre et de la possibilité de renégociation ex post entre l’acheteur initial et le vendeur, ce dernier limite la recherche de rente vis-à-vis de l’acheteur initial pour capturer une rente de monopole sur l’acheteur tiers. Ceci conduit à un profit joint espéré plus élevé que dans la situation sans engagement.
40 Hua [2012] considère également que la disposition à payer de l’acheteur contractuel peut diminuer dans le temps (autrement dit, il a une préférence pour le présent : l’attente est coûteuse) mais que celui-ci peut participer au marché externe s’il n’a pas exercé son droit de première offre. Ainsi, s’il refuse l’offre du vendeur, il prendra part au marché mais avec une disposition à payer plus faible du bien en vente. Il faut noter que si le temps n’affectait pas la disposition à payer de l’acheteur, et en l’absence de renégociation ex post, le mécanisme socialement efficace serait l’enchère au premier ou au second prix, mettant en concurrence tous les acheteurs. Dans un tel cas, le droit de première offre n’aurait aucune chance d’augmenter le bien-être social (qui serait aussi le profit joint puisque le surplus serait totalement accaparé par le vendeur). Si la disposition à payer se dégrade dans le temps, le droit de première offre peut, au contraire, augmenter le bien-être social. En effet, il rend le vendeur moins agressif envers le premier acheteur. Cela peut s’avérer socialement optimal dans le cas où le premier acheteur possède la disposition à payer la plus élevée mais qu’elle se dégrade dans le temps. En revanche, si sa disposition à payer se dégrade peu dans le temps, le droit de première offre n’a pas d’impact significatif puisque le premier acheteur peut attendre le marché (peu de risque de mauvaise allocation des ressources).
41 Dans un cadre analytique très différent où le vendeur fait des offres séquentielles « à prendre ou à laisser » à une série d’acheteurs, Kahan et al. [2012] constatent que les droits de préemption, quelle que soit leur forme, conduisent nécessairement à une baisse du profit espéré du vendeur parce que l’avantage accordé au détenteur du droit le contraint sur les offres faisables aux autres acheteurs sans pour autant pouvoir les rendre plus agressifs (puisque ce ne sont pas les acheteurs qui formulent les offres dans le cadre analytique considéré ici ; ils se contentent d’accepter ou de refuser les offres). En particulier, les acheteurs sont supposés ne pas connaître leur disposition à payer pour la marchandise et peuvent engager des recherches coûteuses pour la découvrir. S’ils décident d’engager ces coûts, ils accepteront l’offre du vendeur si celle-ci est inférieure à leur disposition à payer nette des coûts. Ils font donc face à une contrainte d’investigation qui est plus vite saturée en présence d’un droit de préemption. En effet, face à un droit de premier refus, un acheteur externe n’est pas certain d’obtenir le bien même s’il accepte l’offre, ce qui réduit son espérance de gain et le contraint plus vite. Quant au droit de première offre sans renégociation ex post avec le titulaire du droit, il contraint le vendeur à proposer un prix plus faible au premier acheteur étant donné que ce droit lui interdit de proposer à l’acheteur suivant un prix plus faible. Plus le vendeur propose un prix initial élevé, plus il se contraint sur les offres suivantes. En l’absence de droit de préemption, le vendeur souhaite vendre le plus rapidement possible et proposer au premier acheteur un prix plus élevé. En effet, à chaque refus, confronté à une concurrence de plus en plus faible, le vendeur doit baisser son prix optimal, d’autant plus qu’il doit tenir compte des coûts de recherche des acheteurs. Au contraire, la présence du droit de première offre contraint le vendeur et cet effet sur la première offre de prix s’avère favorable au profit joint puisque la première offre faite en l’absence de droit, qui vise à maximiser le profit individuel du vendeur, est plus élevée que celle qui conduit à la maximisation du profit joint. Il existe cependant un contre-effet dû au fait que le vendeur est contraint sur les offres suivantes, ce qui l’oblige à proposer aux acheteurs suivants des offres sous-optimales et contribue ainsi à diminuer son profit espéré sans pour autant augmenter le profit de l’acheteur titulaire du droit. Le surplus net total sur le profit joint peut donc être positif ou négatif en fonction de l’effet qui domine. En particulier, il apparaît que l’effet net du droit de première offre aura d’autant plus de chances d’être favorable que le premier acheteur possède un coût d’information faible, et plus faible que celui des autres acheteurs qui ont, au contraire, une contrainte d’investigation saturée. Dans ce cas, le vendeur pourra lui proposer un prix plus élevé qu’il acceptera plus facilement. Ainsi, le droit de première offre tend à être plus favorable en termes de profit joint lorsque l’acheteur privilégié est « mieux informé » que les autres acheteurs sur la valeur du produit, dans le sens où ses coûts de recherche de l’information sont plus faibles.
42 Les situations précédentes soulignent toutes que le droit de première offre, comme le droit de premier refus, bénéficient à l’acheteur qui en est titulaire. Les arguments jouent cependant différemment. Dans le droit de premier refus, l’acheteur titulaire bénéficie d’une probabilité plus grande d’obtenir le bien. Dans le droit de première offre, il bénéficie d’une offre de prix plus faible, notamment du fait de la possibilité de renégociation ex post avec le vendeur ou de l’existence de coûts de recherche d’information plus élevés des concurrents externes.
43 Il existe cependant une situation hybride où le cumul des deux droits pour le même acheteur peut lui porter préjudice. Grosskopf et Roth [2009] considèrent ainsi le cas survenu en janvier 2001, lorsque les studios Paramount (vendeur) et NBC (National Broadcasting Company) (acheteur) ont renégocié les droits de retransmission pour une émission à succès, après l’expiration de l’accord initial. Pour simplifier, en supposant que le contrat ne portait que sur le prix par épisode, les termes de l’accord étaient les suivants. Paramount commence par négocier avec NBC. Si NBC rejette le dernier prix de vente proposé par Paramount, Paramount est libre de négocier avec tout autre diffuseur et de lui proposer un prix plus élevé. Sur cette base, le contrat entre Paramount et NBC s’apparentait donc à un droit de première offre. Cependant, il comportait aussi la clause suivante : Paramount pouvait s’accorder avec un autre diffuseur sur un prix inférieur ; mais dans ce cas, NBC pouvait exercer un droit de premier refus pour finalement remporter le marché à ce prix. Au total, NBC disposait donc à la fois d’un droit de première offre et d’un droit de premier refus. Les droits de première offre sont en réalité souvent assortis de dispositifs de renégociation ex post, comme nous l’avons d’ailleurs détaillé précédemment dans le cadre du modèle de Hua [2012]. Il ne faut toutefois pas confondre le type de contrat considéré ici avec celui de Hua, dans lequel les parties peuvent entrer dans une véritable renégociation ex post, c’est-à-dire en ayant la possibilité de reformuler une nouvelle offre. Grosskopf et Roth étudient les propriétés théoriques de ce type de contrat. Leur cadre est cependant très spécifique et différent de celui de Hua puisqu’il s’agit du jeu de l’ultimatum dans lequel le gain maximal à partager est fixe et connu. Il ne peut donc pas y avoir d’augmentation de surplus joint du vendeur et du titulaire du droit, liée à la présence de ces clauses. Dans ces conditions, et sous l’hypothèse que l’information sur les valeurs des deux acheteurs est connaissance commune, le titulaire des deux droits peut voir son pouvoir de négociation diminuer. [7] Une expérience en laboratoire confirme en tendance les prédictions théoriques.
44 Cet article a proposé une analyse économique du droit de préemption dans les contrats volontaires entre les parties signataires. Nous avons considéré deux situations contractuelles. Dans un premier cas, les parties ne savent pas, au moment de signer, si elles seront acheteur ou vendeur d’un bien (e.g. contrats entre associés ou actionnaires au moment de la constitution des statuts d’une société). Un deuxième cas de figure concerne les contrats où le vendeur et l’acheteur sont clairement identifiés (e.g. contrats entre franchiseurs et franchisés, entre éditeurs et écrivains, entre clubs sportifs et sportifs à potentiel …). Par ailleurs, nous avons analysé l’impact du droit de préemption dans plusieurs mécanismes de vente, i.e. dans les procédures d’enchères (sous différents formats) et de négociation. Enfin, nous avons analysé deux formes de droit de préemption : le plus courant en pratique, le droit de premier refus, qui fait l’objet d’une analyse économique plus approfondie et le moins fréquent, le droit de première offre que l’on retrouve dans les contrats entre associés d’une société commune et qui peut parfois donner lieu à renégociation ou être suivi d’un droit de premier refus lorsqu’il n’est pas exercé initialement.
45 A première vue, l’incitation à signer une telle clause peut consister à protéger un réseau (e.g. pour un franchiseur), à éviter une dispersion de l’actionnariat d’une société ou encore à protéger l’une des parties contre un avenir incertain. Nous avons mis en exergue que ce droit pouvait également engendrer une réduction de la concurrence, créer des barrières à l’entrée voire même être utilisé pour assurer la stabilité d’un cartel. L’impact de cette clause doit donc être appréhendé au cas par cas par l’Autorité de la concurrence. Si cette clause apparaît restrictive en termes de concurrence, nous avons souligné qu’elle pouvait toutefois permettre un meilleur partage du risque et faciliter la réalisation d’un investissement spécifique. En effet, le titulaire, étant en quelque sorte protégé, peut potentiellement prendre des risques en investissement sans être soumis à un problème de hold-up.
46 Au final, notre analyse suggère que l’impact de ce droit sur les différentes parties reste très dépendant des conditions du marché ou des caractéristiques des acheteurs potentiels. C’est le cas, par exemple, lorsque les parties s’engagent ex ante sans connaître leur futur statut (on peut alors penser qu’elles maximisent le profit joint espéré). L’analyse montre, en effet, que l’impact du droit de préemption sur le profit joint reste très dépendant du format d’enchère retenu pour la vente et des caractéristiques du bien vendu. Lorsque les évaluations des acheteurs sont privées et indépendantes, l’utilisation d’une clause de préemption dans une enchère au premier prix permet d’améliorer le profit joint ex ante (même si ce n’est pas le mécanisme optimal). En revanche, dans une enchère au second prix ou dans une enchère anglaise ascendante, le profit joint n’est pas modifié en présence d’un droit de préemption. Il est cependant possible d’introduire une étape supplémentaire à ces procédures en demandant à l’acheteur tiers le plus performant s’il souhaite revoir son offre et l’augmenter avant qu’elle soit proposée au titulaire du droit de préemption. Dans ces conditions, l’acheteur tiers peut avoir intérêt à proposer une offre plus élevée, ce qui est suffisant pour augmenter le profit joint espéré du vendeur et du titulaire du droit. Lorsque l’évaluation pour le bien est commune, le droit de préemption permet une augmentation du surplus joint dans une enchère au second prix. En revanche, dans l’enchère anglaise ascendante, le résultat apparaît nuancé. Dans un modèle à valeurs affiliées, le résultat apparaît également nuancé dans le cadre d’une enchère au second prix.
47 Si l’introduction d’un droit de préemption permet potentiellement d’accroître le profit joint ex ante, cette augmentation semble, toutefois, à l’avantage de son titulaire au moment de la vente. La perte de revenu pour le vendeur rend la clause moins attractive pour lui. En effet, si le vendeur n’est pas engagé ex ante, nous avons souligné que la signature d’une telle clause ne pouvait pas augmenter son revenu dans un contexte où les évaluations des acheteurs sont privées, indépendantes et symétriques, et ce, que l’on soit dans une enchère au premier prix (cas réguliers), au second prix ou ascendante (s’il y a au moins deux acheteurs externes). En revanche, dans une enchère au premier prix, le revenu espéré du vendeur peut augmenter, en présence d’un droit de préemption, si les acheteurs présentent des asymétries (en termes de distributions ou supports de leurs évaluations ou en termes d’aversion pour le risque) ou si l’enchère est répétée et concerne les mêmes acheteurs. Dans le cas asymétrique, l’intérêt de la clause, pour le vendeur, consiste à discriminer en faveur de l’offreur faible pour inciter l’offreur fort à être plus agressif dans l’enchère. Ainsi, dans une enchère ascendante, le fait d’accorder une position privilégiée à l’offreur le moins hostile au risque incite son concurrent (plus hostile au risque) à être plus agressif et peut contribuer à une amélioration du revenu du vendeur.
48 Lorsqu’il prend la forme d’un droit de première offre, le droit de préemption ne permet pas nécessairement une augmentation du profit joint des parties signataires. Les conditions de cette amélioration tiennent au pouvoir de négociation du vendeur et de l’acheteur privilégié, au nombre de concurrents sur le marché, à l’information dont ils disposent sur la valeur du bien mis en vente ou encore au degré de préférence pour le présent de l’acheteur privilégié. Par exemple, dans le cadre d’une procédure de négociation, droit de première offre et droit de premier refus tendent à augmenter le profit joint du vendeur et de l’acheteur privilégié lorsque ce dernier est mieux informé que les autres acheteurs sur la valeur du produit (coûts de recherche de l’information plus faibles).
49 Que la procédure de vente soit une enchère ou une négociation, les résultats soulignent que le droit de première offre, comme le droit de premier refus, bénéficient à l’acheteur qui en est titulaire. En revanche, une formule hybride, consistant à cumuler ces deux droits peut accroître le pouvoir de négociation du vendeur aux dépens de l’acheteur bénéficiaire des droits. Au final, qu’il prenne la forme d’un droit de premier refus, d’un droit de première offre ou même d’une combinaison des deux, notre analyse souligne que le droit de préemption doit être utilisé avec « précaution ». Différentes pistes de recherche se dessinent à l’issue de cette revue de la littérature. Au niveau théorique, il serait notamment intéressant de développer les analyses sur le surplus global, qui restent encore très limitées. Au niveau empirique, il apparaît nécessaire de réaliser davantage d’études expérimentales afin de mieux comprendre l’impact du droit de préemption sur le comportement des offreurs.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Les procédures d’enchères « standard » comprennent quatre types d’enchères : les enchères au premier prix sous plis fermés, les enchères au second prix sous plis fermés, les enchères « anglaises » (enchères orales utilisées dans les salles des ventes) et les enchères « hollandaises » (dans lesquelles le vendeur annonce une séquence de prix décroissante, le vainqueur étant celui qui se manifeste en premier pour « stopper » cette séquence de prix. Celui-ci paie alors le prix correspondant à l’arrêt de la séquence).
-
[2]
Arozamena et Weinschelbaum [2006] ont en effet défini les règles d’allocation et de paiement d’un mécanisme optimal (direct et révélateur) qui assurerait la maximisation du profit joint du vendeur et d’un acheteur privilégié. La règle d’allocation optimale consiste à accorder l’actif à l’offreur privilégié si la valeur personnelle qu’il accorde à cet actif est supérieure à la valeur virtuelle des concurrents externes (i.e. leur valeur personnelle diminuée d’une rente informationnelle qui correspond à l’inverse du taux de hasard lié à la distribution de cette valeur). Sinon, l’actif est accordé au meilleur acheteur externe si sa valeur virtuelle est supérieure à la valeur de l’offreur privilégié et aux valeurs virtuelles des autres concurrents. Ainsi, contrairement à une enchère standard qui consisterait à comparer les valeurs virtuelles de l’ensemble des acheteurs et à retenir la plus élevée, la règle d’allocation qui maximise le surplus joint espéré des deux parties s’assimile à une enchère entre les acheteurs externes avec une valeur de réserve secrète correspondant à la valeur personnelle de l’acheteur privilégié. La règle de paiement du mécanisme optimal doit satisfaire la contrainte incitative de chacun des acheteurs externes. Or, en présence d’un droit de préemption, ces auteurs montrent qu’il n’existe aucun mécanisme d’enchère assurant la compatibilité entre règle d’allocation et de paiement de manière à satisfaire également la contrainte incitative dans l’objectif de maximisation du profit joint. Ce résultat n’est cependant valable que dans le cadre spécifique d’un modèle à valeurs privées et indépendantes.
-
[3]
On aurait ici un phénomène de double marginalisation, très connu en économie industrielle. Le droit de préemption entre le vendeur et un acheteur particulier a des effets similaires à une intégration verticale entre deux monopoles et permet ainsi d’améliorer le profit joint des parties.
-
[4]
L’hypothèse de « valeur commune » correspond à une situation dans laquelle les évaluations des acheteurs sont totalement corrélées, à tel point que la valeur du bien mis en vente, même si elle est inconnue, est la même pour tous. Cela n’empêche pas les acheteurs d’avoir chacun un signal privé différent quant à la valeur du bien.
-
[5]
Dans un enchère ascendante, l’offreur i avec le second signal le plus élevé est prêt à monter son offre jusqu’à Vi (si ,si ), qui est la valeur estimée compte tenu de son propre signal si et sous l’hypothèse que l’autre a au mieux un signal égal à si . Ici, le prix auquel s’échange le bien sera donc V1 (s1 ,s1 ).
-
[6]
Cf. la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario du 26 juin 2012, dans laquelle l’accord entre Goldcorp et Newgold n’a pas été jugé comme illicite. http://www.osler.com/newsresources/default.aspx?id=4675&langtype=3084
-
[7]
Les auteurs font cette démonstration dans le cadre d’une négociation de type « ultimatum inversé ». Le vendeur fait une offre à un premier acheteur ; celui-ci peut l’accepter, auquel cas le jeu se termine, ou la refuser, auquel cas le vendeur peut soit faire une nouvelle offre plus favorable à l’acheteur, soit passer à l’acheteur suivant. Ce jeu fait basculer le pouvoir de négociation du côté du premier acheteur, par rapport à un « ultimatum standard », dans lequel c’est le vendeur qui détient tout le pouvoir de négociation. Plus précisément, quand il y a un seul acheteur, il obtient la quasi-totalité du surplus. Quand il y en a deux, l’analyse est un peu plus subtile. Le vendeur souhaite éviter à tout prix d’avoir affaire au deuxième acheteur car, dans ce cas, il obtiendra toujours un surplus minimal. Donc le vendeur est prêt à accepter tout partage du surplus avec le premier acheteur. Il existe donc une multiplicité d’équilibres où le vendeur et le premier acheteur se partagent le surplus. En présence d’un contrat hybride (droit de première offre – droit de premier refus) accordé au premier acheteur, si le vendeur vend moins cher au deuxième acheteur, le premier exerce son droit et capte donc tout le surplus du deuxième. La stratégie optimale du deuxième acheteur est donc d’accepter un prix exactement égal à celui proposé au premier (ni plus bas pour ne pas entraîner le déclenchement du droit, ni plus haut, afin de maximiser son surplus). Par ricochet, cela rétablit totalement le pouvoir de négociation du vendeur : sachant que le deuxième acheteur est condamné à accepter le même prix que le premier, le vendeur choisit donc simplement le prix qui maximise son surplus, c’est-à-dire le prix le plus élevé possible (qui laisse un surplus minimal au premier acheteur). Celui-ci n’a pas d’autre choix que d’accepter, sous peine de céder la transaction au deuxième acheteur… Au final, le premier acheteur (détenteur du droit) reçoit donc un surplus minimal à cause du droit de préemption, et le deuxième acheteur obtient un surplus nul, exactement comme dans une négociation de type ultimatum standard. La raison fondamentale en est que le droit de préemption retire au deuxième acheteur tout pouvoir de négociation, ce qui rejaillit totalement sur le vendeur mais pas du tout sur l’acheteur détenteur du droit.