Notes
-
[1]
Plus précisément, voir la figure n°3 dans l’analyse d’impact accompagnant la proposition de révision des directives européennes relatives aux biocarburants (CE [2012]).
-
[2]
Les projections FAPRI établies en 2010 pour 2020 indiquent une surface arable mondiale de 862 754 milliers d’hectares.
-
[3]
En fait deux spécifications sont testées pour la substitution entre la terre et les engrais : soit une fonction CES, soit une fonction logistique. Laborde [2011] indique que le choix d’une spécification n’a pas de réel impact sur le calcul des CAS. Puisque dans la deuxième section de notre rapport nous utilisons le cadre GTAP-BIO qui, lui, n’adopte que des CES, les formules et résultats reportés ci-dessous utilisent la version CES.
-
[4]
Très exactement la valeur de l’élasticité de substitution entre le travail et l’agrégat comprenant le capital provient du fichier excel qui accompagne la publication et qui est disponible auprès de la CE. Dans ce fichier, nous retrouvons bien la valeur de l’élasticité de substitution entre les facteurs (0,07). En revanche, nous ne retrouvons pas la valeur de l’élasticité de substitution entre la terre et les engrais. Sa moyenne dans ce fichier sur l’ensemble des régions et cultures est de 0,06 (il n’est pas renseigné de valeurs pour la culture de palme, ce qui pourrait expliquer cette divergence). Les valeurs des élasticités de substitution sont calibrées à partir des valeurs synthétiques de Rosegrant et al. [2008].
-
[5]
Les cultures arables sont définies comme la simple somme des marchés de graines oléagineuses, des céréales et des cultures sucrières. Nous n’incluons pas ici les marchés des autres produits végétaux (tels que les fruits et légumes) qui ne sont pas distingués dans les cadres d’équilibre partiel susmentionnés. Les surfaces allouées à ces cultures sont évidemment prises en compte dans les surfaces totales. Notons que, même s’il est supposé une imparfaite mobilité des terres entre les activités, la sommation des surfaces est possible car le cadre GTAP-BIO corrige les écarts entre les hectares dits effectifs et les hectares récoltés (voir Golub et Hertel [2012]). La sommation sur les productions est un indice pondéré par les prix initiaux. Ces définitions sont évidemment communes aux différents résultats présentés et par ailleurs similaires à Edwards et al. [2010].
1L’action publique européenne en faveur de la consommation de biocarburant a réellement débuté en 1992 lors d’une première réforme de la politique agricole commune. A cette époque, l’Europe imposait à ses agriculteurs de mettre en jachère une partie de leurs surfaces afin de limiter ses excédents de produits agricoles. Les surfaces gelées pouvaient tout de même être consacrées à des productions non alimentaires, dont celles des biocarburants. Cette action a ensuite été amplifiée d’abord, en 2003 puis en 2009, à travers les directives européennes de promotion des énergies renouvelables et de la qualité des carburants. Les directives fixent notamment des objectifs d’incorporation de biocarburants dans le secteur du transport terrestre, les Etats-membres devant mettre en œuvre des instruments politiques incitatifs pour atteindre ces objectifs. Elles imposent simultanément des critères de durabilité, tout particulièrement des critères sur la réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre (GES).
2Cette action publique européenne est néanmoins aujourd’hui très contestée et son avenir est très incertain, tout au moins pour le biodiesel et dans une moindre mesure pour le bioéthanol. Tout d’abord, à la suite de la crise alimentaire mondiale de 2007, il lui est reproché d’avoir contribué à la flambée des cours mondiaux de nombreux produits agricoles, dont les huiles végétales. Ensuite, elle est aujourd’hui surtout contestée pour sa faible efficacité, voire son inefficacité, en termes de réduction des émissions nettes de GES. Même si les émissions directes liées à la consommation de biocarburants ne sont pas connues avec certitude, c’est surtout l’ampleur des émissions liées au changement d’affectation des sols (CAS) avec une extension des surfaces arables sur des sols riches en carbone qui fait débat. Ainsi l’action publique européenne a réellement débuté dans un contexte de disponibilité de surfaces arables en Europe et est aujourd’hui contestée en raison du manque de disponibilité de ces surfaces au niveau mondial qui induit un potentiel retournement de sols riches en carbone (prairies, forêts, tourbières).
3Ce CAS vient de ce qu’une consommation supplémentaire de biocarburants est en effet susceptible de conduire à des surfaces supplémentaires cultivées dans la culture correspondante (en l’occurrence des graines oléagineuses pour la production d’huiles dans le cas du biodiesel). Mais le nombre d’hectares supplémentaires effectivement cultivés (en graines oléagineuses) va dépendre des possibilités de réduction des autres demandes (demande humaine d’huiles), d’intensification des rendements sur les surfaces déjà allouées à ces productions ou encore de la valorisation des coproduits (tourteaux issus de la production d’huiles). Par ailleurs, le nombre d’hectares supplémentaires cultivés au total va aussi dépendre des répercussions sur les autres marchés des produits agricoles et les surfaces consacrées (par exemple les surfaces céréalières ou sucrières).
4Le CAS induit par le développement de biocarburants résulte donc de l’interaction de plusieurs mécanismes économiques. Il ne peut pas être directement calculé à partir des observations des surfaces agricoles mondiales pour la simple raison que ces surfaces évoluent sous l’influence de multiples autres facteurs (tels que l’évolution de la demande alimentaire, l’évolution des technologies agricoles, etc.). C’est pourquoi de nombreux travaux de modélisation des marchés mondiaux des produits agricoles, quantifiant les mécanismes économiques précédemment identifiés, ont été poursuivis ces dernières années. Nombre de ces travaux portent sur la mesure des CAS induits par la politique américaine de biocarburants, un nombre plus réduit sur les effets CAS induits par la politique européenne (de récentes revues sont fournies dans De Cara et al. [2012] et Broch et al. [2013]).
5Tous ces travaux de modélisation reposent par définition sur des hypothèses qui sont généralement testées pour valider la robustesse des principaux résultats. L’objectif général de cet article est de tester la robustesse des évaluations disponibles du CAS et des émissions associées de GES induits par la consommation européenne de biodiesel aux hypothèses sur les évolutions de rendements.
6Nous centrons notre analyse sur la consommation européenne de biodiesel pour deux raisons en particulier. D’une part, il s’agit du principal biocarburant aujourd’hui consommé en Europe et qui va vraisemblablement le rester dans les prochaines années. Le parc automobile européen est essentiellement diesel et son éventuelle évolution vers plus de moteurs essence ne se fera que progressivement. D’autre part, la revue de littérature conduite par la Commission européenne (CE [2012]) révèle que les évaluations jugées pertinentes des effets CAS et des émissions associées de GES sont nettement plus convergentes pour le biodiesel que pour le bioéthanol [1]. Ainsi ces émissions induites varient-elles entre (approximativement) 50 et 100 gCO2eq/MJ pour le biodiesel, la majorité des évaluations se situant autour de 55 gCO2eq/MJ. A l’inverse, les évaluations pour le bioéthanol sont relativement dispersées entre 0 et 200 gCO2eq/MJ. Ceci implique que les résultats d’une analyse de sensibilité des effets CAS et émissions associées de GES aux hypothèses d’évolution des rendements sont moins susceptibles de dépendre du cadre de modélisation retenu dans le cas du biodiesel.
7Deux raisons principales justifient également notre attention sur les hypothèses relatives aux évolutions de rendements. D’une part, les analyses de sensibilité conduites sur les évaluations de la politique américaine de biocarburants concluent que les résultats sont principalement dépendants de ces hypothèses sur les évolutions de rendements (Dumortier et al. [2011], Golub et Hertel [2012]). D’autre part, parmi l’ensemble des mécanismes économiques susmentionnés qui influencent la quantification des effets CAS et émissions associées de GES, les évolutions de rendements ne sont pas les plus difficiles à valider. Les observations sur les surfaces, productions et rendements, des principales cultures dans les principaux pays producteurs sont en général nettement plus nombreuses et considérées plus fiables que les observations sur les niveaux de demandes humaines et animales par exemple. En effet, ces dernières ne sont généralement disponibles que pour un certain nombre de produits (les consommations de fourrage dans l’alimentation des herbivores sont très rarement renseignées) et par ailleurs les niveaux de ces demandes sont très majoritairement calculés par solde dans les bilans de marché (cumulant alors les éventuelles erreurs sur les autres postes des bilans comme les variations de stock). En d’autres termes, même s’il est toujours possible et souhaitable de l’améliorer, la mesure des évolutions de rendements est relativement plus aisée que la mesure des autres mécanismes économiques impactant la quantification des effets CAS.
8Cet article est structuré en deux sections. Dans une première section, nous conduisons une nouvelle revue de littérature centrée sur les évolutions de rendements imposés ou obtenus dans les évaluations des effets CAS induits par la consommation européenne de biodiesel. Cette revue de littérature inclut naturellement l’étude IFPRI et le modèle sous-jacent MIRAGE-BioF (Laborde [2011]). C’est en effet celle qui est retenue par la CE pour justifier ses propositions de révision des directives européennes sur les biocarburants. Nous montrons dans cette première section que les évolutions de rendements obtenus dans ces travaux sont généralement très faibles au regard des évolutions des rendements observées sur longue période et également au regard des évolutions projetées de ces rendements. Nous montrons aussi que cela résulte de choix contestables de calibrage des paramètres. Ceci nous conduit à tester, dans une deuxième section, les impacts sur les CAS et les émissions associées d’une évolution plus consistante de ces effets rendements. Cette analyse de sensibilité est conduite avec le modèle GTAP-BIO qui a notamment servi pour la mesure des effets de la politique américaine de biocarburants par l’agence californienne de protection de l’environnement (CARB 2010). Même s’il ne s’agit pas du cadre de modélisation privilégié par la CE, sa structure et les résultats sont proches de ceux obtenus par le cadre MIRAGE-BioF. Surtout il présente l’avantage d’être publiquement disponible, ce qui permet l’analyse de sensibilité de ces résultats à différentes hypothèses. Nous montrons alors qu’un calibrage plus consistant des paramètres qui affectent directement les évolutions de rendements conduit à une forte diminution des effets CAS et des émissions associées de GES induits par la consommation européenne de biodiesel.
Le biodiesel européen et les évolutions de rendements : revue de littérature
9Ces dernières années, le débouché offert par les biocarburants est passé de marginal à significatif pour certains marchés agricoles mondiaux, comme celui du maïs (principalement du fait de la consommation américaine de bioéthanol) ou du colza (principalement du fait de la consommation européenne de biodiesel). Les modélisations économiques des marchés agricoles ont, dès lors, progressivement intégré ces nouvelles demandes dans leurs équilibres, tout d’abord pour mesurer les implications en termes d’évolution des prix (et leur contribution aux crises alimentaires) puis pour mesurer les effets sur les surfaces et les émissions associées de GES.
10De nombreuses équipes de modélisation ont été sollicitées pour fournir des estimations des effets CAS liés aux consommations européennes de biocarburants (Edwards et al. [2010]). Il apparaît que, bien qu’ils aient introduit le débouché des biocarburants, certains modèles ne sont pas réellement adaptés pour mesurer ces effets CAS et émissions associées de GES. C’est notamment le cas des modèles initialement centrés sur l’Europe avec une représentation assez fruste des régions non européennes. Il s’agit en particulier des modèles d’équilibre partiel CAPRI et ESIM que les services de la CE ont mobilisés pour quantifier les effets européens (Blanco Fonseca et al. [2010]). C’est aussi le cas des modèles n’ayant pas une représentation explicite des marchés des coproduits, tel le modèle d’équilibre général LEITAP, ou du marché de la terre, tel le modèle d’équilibre général DART (voir Edwards et al. [2010]). Si par ailleurs on exclut les modèles qui n’offrent pas une analyse du secteur du biodiesel mais seulement celui du bioéthanol (tel le modèle IMPACT de l’IFPRI), notre revue de littérature se limite alors aux résultats fournis par quatre cadres de modélisation. Elle inclut deux cadres d’équilibre partiel avec le modèle FAPRI de l’université d’Iowa et le modèle AGLINK-COSIMO conjointement développés par l’OCDE et la FAO. Elle inclut également deux cadres d’équilibre général avec le modèle GTAP-BIO développé par l’université de Purdue et le modèle MIRAGE-BioF développé par l’IFPRI.
11Nous décrivons ci-dessous pour chacun de ces cadres de modélisation les principales hypothèses relatives à la spécification des rendements et commentons les principaux résultats (notamment ceux des simulations de comparaison reportés dans Edwards et al. [2010]).
Le cadre FAPRI
12Il s’agit d’un cadre d’équilibre partiel développé en partie par l’équipe CARD de l’université d’Iowa. Ce modèle est régulièrement utilisé pour faire des projections des marchés mondiaux des produits agricoles et analyser des réformes de politiques agricoles. Il a en particulier été utilisé à plusieurs reprises pour quantifier les effets de la politique américaine de biocarburants et, à la demande des services de la CE, pour quantifier les effets de la politique européenne de biocarburants.
13Les spécifications des productions, surfaces et rendements varient selon les régions et les cultures et, par ailleurs, ont évolué avec les versions du modèle (Elobeid et al. [2012]). Les premières versions supposaient que les rendements évoluaient de manière exogène, et par conséquent que les prix n’avaient aucun impact sauf aux Etats-Unis. Dans ce pays, les rendements dépendaient négativement des surfaces allouées aux cultures, ces dernières évoluant sous l’influence des prix. En revanche, l’effet direct positif des prix sur les incitations à changer les rendements, en ajustant les intrants variables par exemple, est absent. Par définition, une augmentation du prix d’une seule culture conduit automatiquement à une baisse de son rendement, du fait de l’augmentation des surfaces américaines allouées à cette culture.
14Les spécifications des rendements ont été révisées dans les récentes versions quantifiant les effets des politiques de biocarburants avec, d’une part, l’introduction d’effets prix (marges) positifs et, d’autre part, la généralisation des effets surface négatifs dans toutes les régions (Edwards et al. [2010]). Les élasticités effectivement imposées ne sont pas indiquées si bien qu’il nous est impossible d’apprécier ex ante les effets rendements introduits.
15La simulation d’un choc de la consommation de biodiesel en Europe conduit à un CAS mondial de 437 milliers d’hectares pour chaque million de tonnes équivalent pétrole (tep), soit 0,44 ha/tep. La majorité des surfaces arables supplémentaires provient de l’Inde et de manière assez marginale de l’Europe. Au niveau mondial, les surfaces arables additionnelles conduisent à un accroissement de la production arable totale mais à une diminution très modeste des rendements globaux. En effet, ceux-ci diminuent de 0,008 % alors que les surfaces arables mondiales augmentent de l’ordre de 0,05 %. [2] Cette diminution des rendements globaux s’explique essentiellement par le déplacement de la production mondiale de cultures vers des zones à faibles rendements initiaux (l’Inde). Au niveau de chaque zone, les rendements évoluent de manière marginale, voire sont stables pour la culture de colza qui est la plus impactée par le choc. Pour les rendements de cette culture, l’effet négatif de l’augmentation des surfaces est donc juste compensé par l’effet positif de l’évolution des prix.
16Ces évolutions divergentes des surfaces et des rendements au niveau mondial liées à la consommation européenne de biodiesel tranchent singulièrement avec les projections établies par le FAPRI à l’horizon 2020. Toutes productions arables confondues, il est en effet projeté entre 2010 et 2020 une augmentation des surfaces arables mondiales de 3,1 % et également des rendements de 7,9 %. En d’autres termes, 70 % de la production supplémentaire de cultures arables projetée à l’horizon de 10 ans sera obtenue grâce à des augmentations de rendements et seulement à hauteur de 30 % par des surfaces additionnelles. Ces proportions varient avec les cultures, avec par exemple des parts liées aux rendements de l’ordre de 82 % pour le blé et 45 % pour le soja.
17Ces différences s’expliquent par le fait que les rendements évoluent pour une très large part de manière indépendante sous l’effet d’un progrès technique exogène dans la projection alors que ce progrès technique exogène est absent dans la simulation de la politique. Seuls les effets induits des prix sur les rendements sont pris en compte et apparaissent très limités dans la simulation. Ceci pose la question de l’origine exacte du progrès technique dans la phase de projection et également de son absence lorsque les effets de long terme des politiques de biocarburants sont quantifiés.
18Même s’ils ne portent pas sur le cas européen du biodiesel, il est intéressant de reporter les résultats de l’analyse de sensibilité effectuée par Dumortier et al. [2011] sur le bioéthanol américain avec ce cadre FAPRI. Ces auteurs comparent les effets CAS et émissions associées de GES avec et sans prise en compte d’effets prix dans les évolutions de rendements. Comme indiqué précédemment, les versions initiales du modèle FAPRI excluaient les effets rendements (comme dans l’analyse réalisée par Searchinger et al. [2018] qui a initié le débat sur le CAS). Dans une version alternative, ces auteurs introduisent des élasticités prix propres dans les rendements de l’ordre de 0,15 selon les cultures et les régions. Ils montrent alors que les estimations CAS et émissions associées de GES sont très sensibles à ces élasticités. Ainsi les émissions amorties sur 30 ans passent-elles de 107 gCO2eq/MJ à seulement 14 gCO2eq/MJ lorsque les rendements peuvent s’ajuster avec les prix. Les auteurs en concluent que l’efficacité de la politique américaine de biocarburants en termes de réduction des émissions de GES pourrait être améliorée par des efforts supplémentaires en recherche et développement sur les rendements agricoles.
Le cadre AGLINK-COSIMO
19Il s’agit également d’un cadre d’équilibre partiel qui est développé en collaboration par l’OCDE et la FAO. Ce modèle est lui aussi régulièrement utilisé pour faire des projections des marchés mondiaux des produits agricoles et analyser des réformes de politiques agricoles. Les services de la CE ont accès à ce modèle et peuvent l’utiliser pour des projections et simulations de politique. Blanco Fonseca et al. [2010] l’ont par exemple mobilisé pour tester des simulations de biocarburants en Europe.
20A l’inverse du cadre FAPRI, les spécifications des productions, surfaces et rendements n’ont pas été spécialement modifiées pour analyser les politiques de biocarburants. Tant les surfaces que les rendements sont spécifiés à travers des formes réduites. Les rendements sont soit exogènes (cultures marginales), soit déterminés par des fonctions iso-élastiques des prix anticipés pour les cultures correspondantes (ces prix anticipés étant supposés ceux de l’année précédente) et d’un trend capturant un progrès technique exogène. En revanche, il n’existe pas d’effets négatifs des surfaces comme dans le cadre FAPRI. Cela n’exclut pas qu’au niveau mondial les effets rendements peuvent être négatifs si la production se déplace dans des zones à faibles rendements initiaux.
21La simulation d’un choc de la consommation de biodiesel en Europe conduit à un CAS mondial de 230 milliers d’hectares pour chaque million de tep (ce chiffre prenant en compte les surfaces pour la culture de palme), soit encore 0,23 ha/tep. La majorité des surfaces arables supplémentaires provient de l’Europe, suivie de l’Argentine et de l’Inde. Cela correspond à une augmentation des surfaces arables mondiales de 0,025 %, soit moitié moins que l’estimation FAPRI. Cette différence s’explique essentiellement par l’augmentation des rendements obtenue dans le cadre AGLINK-COSIMO au niveau agrégé. Ceux-ci augmentent de 0,004 %, essentiellement sous l’effet de la hausse des rendements céréaliers. Les rendements des cultures oléagineuses diminuent modestement (0,001 %), de nouveau sous l’effet de l’expansion des surfaces en Inde.
22Edwards et al. [2010] ont aussi calculé les élasticités ex post des surfaces, rendements et productions liées à ce choc. Les résultats sont respectivement de 0,25, 0,04 et 0,29. Par conséquent, 12 % de l’augmentation de la production nécessaire pour satisfaire les nouvelles demandes sont obtenus par une augmentation des rendements, le reste par une augmentation des surfaces. Cette proportion tranche de nouveau fortement avec les projections établies en 2010 par l’OCDE-FAO à l’horizon 2021. Toutes productions arables confondues, il est en effet projeté entre 2010 et 2021 une augmentation des surfaces arables mondiales de 7,3 % et des rendements de 14,7 %. En d’autres termes, 64 % de la production supplémentaire de cultures arables projetée à l’horizon de 10 ans seront obtenus grâce à des augmentations de rendements et seulement 36 % par des surfaces additionnelles. De nouveau, ces proportions varient avec les cultures, par exemple avec des parts des rendements de l’ordre de 80 % pour les cultures oléagineuses et 47 % pour la culture de betteraves.
23Ces différences s’expliquent de nouveau par le fait que les rendements évoluent pour une très large part de manière indépendante sous l’effet d’un progrès technique exogène dans la projection alors que ce progrès technique exogène est absent dans la simulation de la politique.
24Il nous semble là aussi utile de reporter les résultats de l’analyse de sensibilité effectuée par Blanco Fonseca et al. [2010] dans ce cadre AGLINK-COSIMO. Ces auteurs simulent la politique européenne de biocarburants toute entière (soit un accroissement des consommations de bioéthanol et biodiesel, de respectivement 7,3 et 14,9 millions de tep). Ils obtiennent avec la version standard d’AGLINK-COSIMO une augmentation des surfaces arables mondiales de 5,2 millions d’hectares, ce qui correspond à un accroissement de 0,23 ha/tep (soit le même chiffre que celui reporté dans Edwards et al. [2012]). Ces auteurs testent ensuite les effets d’une accélération permanente des rendements agricoles qui est motivée par les perspectives favorables offertes par la politique européenne de biocarburants. Il est supposé de manière ad hoc une augmentation des rendements de l’ordre de 3 à 3,4 %. Dans ce cas, l’augmentation des surfaces arables mondiales induite par le développement des biocarburants n’est plus que de 0,187 million d’hectares (soit moins de 0,01 ha/tep).
25Cette variante montre l’extrême sensibilité des résultats aux hypothèses sur l’évolution des rendements. Cependant, cette variante conduit dans le même temps à une baisse des prix des cultures. Se pose donc là aussi la question de l’origine de ces gains de rendements car les marges à l’hectare et les profits agricoles diminuent à la suite de ce choc. Les auteurs de cette étude s’interrogent également sur cette possibilité et n’explorent malheureusement pas plus de variantes. La spécification des surfaces et des rendements à travers des formes réduites ne facilite pas cette mise en cohérence, au contraire des approches structurelles telles que développées dans les modèles d’équilibre général calculable que nous examinons maintenant.
Le cadre GTAP-BIO
26Le cadre GTAP-BIO découle du cadre GTAP qui combine une base de données unique au monde (des matrices de comptabilité sociales cohérentes entre pays) et un modèle d’équilibre général calculable adoptant la théorie néoclassique formalisée par Arrow Debreu. Le cadre GTAP est largement utilisé pour étudier des problématiques de commerce, de pauvreté, d’énergie et d’environnement (changement climatique en particulier).
27Plusieurs modifications ont été apportées à ce cadre pour permettre une analyse pertinente des politiques de biocarburants (essentiellement la politique américaine). Les modifications portent à la fois sur la base de données (avec l’introduction des coproduits par exemple) et sur les spécifications des fonctions comportementales (avec l’introduction de technologies multi-produits par exemple). Ces différentes améliorations sont décrites dans Golub et Hertel [2012].
28La spécification des fonctions d’offre, de surface et de rendements est très différente des précédentes car elle est structurelle. En effet, dans un cadre d’équilibre général, sont modélisées les décisions des producteurs en termes d’utilisation des différents intrants nécessaires à la production. Ces intrants sont distingués entre intrants variables (produits chimiques, semences, produits énergétiques par exemple) et facteurs de production (travail, capital et terre). Ils sont combinés de manière optimale par les producteurs de manière à maximiser leur profit. Ils doivent satisfaire des contraintes technologiques qui sont représentées par des fonctions de type CES (Constant Elasticity of Substitution). C’est essentiellement par l’intermédiaire des paramètres de fonctions CES (tout particulièrement l’élasticité de substitution entre les intrants) et par l’intermédiaire des paramètres d’offre des facteurs de production (leurs élasticités de mobilité) que sont gérées les évolutions des surfaces, des autres intrants et donc des rendements dans ce type de modèle.
29Puisque nous utilisons ce cadre dans la deuxième section de notre article pour l’analyse de sensibilité et qu’il est relativement proche du cadre MIRAGE-BioF retenu par la CE pour justifier ses propositions, nous détaillons ci-dessous davantage ces spécifications des équations de surfaces, rendements et productions (elles sont pleinement décrites dans Keeney et Hertel [2009]).
30Ce cadre distingue en fait cinq grands types d’inputs : le travail, le capital, la terre, les produits énergétiques et les autres inputs. Ce qui implique qu’en théorie, pour chaque secteur agricole dans chacune des régions, dix élasticités de substitution peuvent être spécifiées pour arbitrer les substitutions entre ces intrants (les autres élasticités sont déterminées par les conditions théoriques de symétrie et homogénéité). Dans la pratique, il n’est spécifié que deux élasticités de substitution du fait de leurs connaissances limitées. Il est alors imposé des séparabilités entre les intrants et une structure par étages de la fonction de production. Au plus bas niveau de la structure, une fonction CES gouverne les substitutions entre le capital et les produits énergétiques. A l’étage intermédiaire, une seconde fonction CES gouverne les substitutions entre le travail, la terre et l’agrégat composé du capital et des produits énergétiques. Enfin, au premier étage, une troisième fonction CES gouverne les substitutions entre les autres intrants variables et l’agrégat composite de la valeur ajoutée. Il est par ailleurs supposé que les deuxième et troisième fonctions CES partagent la même élasticité de substitution.
31Les niveaux des paramètres d’offre des facteurs de production, qui sont également des paramètres majeurs dans l’évolution des surfaces et rendements, varient, quant à eux, en fonction de l’horizon de simulation considéré. A long terme, les offres des facteurs sont supposées parfaitement élastiques sauf pour la terre. Celle-ci est au contraire fixe et par ailleurs de qualité variable. Aussi sa mobilité entre les différents secteurs d’activité agricole n’est-elle pas parfaite (concrètement tous les sols ne conviennent pas à la production viticole et de céréales par exemple). Cette mobilité est spécifiée à travers des fonctions CET (Constant Elasticity of Transformation).
32Ces différentes hypothèses du cadre GTAP-BIO impliquent les équations suivantes pour les surfaces et les productions pour une culture donnée dans une région donnée (les indices ne sont pas introduits pour ne pas alourdir inutilement les équations) :
34où q, l, pq, pl sont respectivement les variations en pourcentage de la production, de la surface, du prix à la production et la rémunération (annuelle) de la terre, ?, sont respectivement l’élasticité de substitution (commune aux deux fonctions CES) et l’élasticité de l’offre de terre et enfin sl la part initiale de la rémunération de la terre dans le coût de production. L’équation (1) exprime la demande dérivée de terre, l’équation (2) la condition de profit nul de long terme et enfin l’équation (3) l’offre de terre. Ces équations reprennent tout simplement celles de Keeney et Hertel [2012].
35A partir de ces équations, on peut déduire les valeurs calibrées des élasticités d’offre, de surface et de rendement suite à une variation du prix du produit :
37Sans surprise, l’élasticité prix de l’offre est composée de deux termes, l’élasticité surface et l’élasticité rendement. Cette dernière ne dépend que de l’élasticité de substitution (équation (6)) et de la part initiale de la rémunération de la terre dans le coût de production. C’est donc à travers cette élasticité de substitution que le cadre GTAP-BIO calibre les effets rendements. Ces équations montrent également que le calibrage des élasticités rendements est mené indépendamment du calibrage des élasticités surface et offre. Si l’élasticité d’offre de terre est élevée ou la part de la terre dans le coût de production est faible, alors les élasticités surface et offre sont élevées relativement à l’élasticité rendements (équation (5)). Dans un tel cas, l’augmentation de production nécessaire pour satisfaire la demande liée au biocarburant est essentiellement obtenue par une augmentation des surfaces et marginalement par une augmentation des rendements.
38Nous reportons dans le tableau n°1 ci-dessous les valeurs de ces élasticités pour la production de graines oléagineuses dans les principaux pays producteurs. Nous calculons également les valeurs de ces élasticités au niveau mondial en pondérant chaque valeur régionale par son poids dans la production/surface mondiale. Ces différentes valeurs sont obtenues sous l’hypothèse adoptée généralement dans le cadre GTAP-BIO d’une élasticité prix des rendements de 0,25. Pour calculer l’élasticité de l’offre de terre, nous utilisons également la valeur standard d’une élasticité de mobilité de la terre de 0,5. L’élasticité prix de l’offre de la terre est en effet égale à cette élasticité pondérée par la part, en valeur, des terres cultivées en oléagineux dans l’ensemble des terres arables. Nos calculs s’appuient donc aussi sur les parts des rémunérations de la terre dans les coûts de production pour chaque culture arable.
Elasticités de substitution, élasticités prix propre des offres, des surfaces et des rendements des cultures oléagineuses dans le cadre GTAP-BIO
Elasticités de substitution, élasticités prix propre des offres, des surfaces et des rendements des cultures oléagineuses dans le cadre GTAP-BIO
39Dans ce tableau n°1, nous fournissons également les valeurs des élasticités de substitution qui sont calibrées dans ce cadre (via l’équation (6)). Ces valeurs seront modifiées dans la deuxième section de notre article lors de l’analyse de sensibilité. Enfin, ce tableau indique la part que les élasticités rendements représentent dans les élasticités d’offre.
40Nous voyons que, pour tous les zones, les élasticités prix des rendements sont très largement inférieures aux élasticités surfaces (et offres). Par exemple, ces élasticités impliquent qu’en Europe, si le prix des graines oléagineuses augmente de 1 %, la production augmente de 5,73 %, l’essentiel de l’augmentation étant due à une augmentation des surfaces consacrées (5,48 %) et de manière marginale une augmentation des effets rendements (0,25 %). En d’autres termes, ce calibrage impose qu’au point initial la hausse des rendements ne peut expliquer que 4,36 % de l’augmentation de la production. Au niveau mondial, cette contribution atteint 5,24 %.
41De nouveau, cela est fort différent des évolutions observées ces dernières années. Ainsi, sur la dernière décennie (2000-2010), la contribution des rendements à l’augmentation de la production mondiale est de l’ordre de 20 % pour le soja, 40 % pour le colza et supérieure à 100 % pour le tournesol, l’arachide et le coton (calculs à partir des données FAPRI). Même si les statistiques sur les niveaux exacts de surfaces en palme sont plus controversées, les rendements apparaissent avoir contribué à l’augmentation de la production ces dix dernières années. Selon les statistiques de la FAO, ils ont contribué à 25 % de l’augmentation de la production mondiale d’huile de palme.
42Le calibrage des paramètres dans le cadre GTAP-BIO est donc tel que, pour des chocs marginaux, la majorité des hausses de production est obtenue par une augmentation de surfaces et très modestement par une augmentation des rendements. Cela ne signifie pas qu’à l’issue de la simulation, les effets sont strictement donnés par ces élasticités initiales. En effet, les équations (4) à (6) montrent clairement que ces élasticités ne dépendent pas que de paramètres fixes (l’élasticité de substitution et l’élasticité de mobilité de la terre). Les valeurs des rémunérations foncières et leurs parts dans les coûts de production peuvent également changer. Par ailleurs, les calculs précédents sont réalisés sous l’hypothèse que seul le prix des graines oléagineuses change alors qu’il peut y avoir des effets croisés des prix des autres cultures. Il reste tout de même qu’avec ces hypothèses de calibrage, une augmentation marginale de production est essentiellement obtenue par une augmentation de surface et une très modeste progression des rendements.
43La simulation d’un choc de la consommation de biodiesel en Europe conduit à un CAS mondial de 377 milliers d’hectares pour chaque million de tep (soit encore 0,38 ha/tep) lorsque les importations européennes de biodiesel (notamment à partir d’huile de palme) sont figées. La majorité des surfaces arables supplémentaires provient de l’Europe. De nombreuses surfaces proviennent également de l’Afrique sub-saharienne où les rendements sont plus faibles et où les élasticités des rendements sont, relativement aux élasticités des offres, très faibles (respectivement 0,25 et 4,70). La décomposition des effets production fournie par Edwards et al. (2010) indique que les rendements diminuent, ce qui contribue à augmenter les surfaces nécessaires de l’ordre de 171 milliers d’hectares. Les résultats sont donc très proches de ceux du FAPRI. De manière grossière, si les rendements n’avaient pas diminué, les surfaces supplémentaires auraient représenté environ 200 milliers d’hectares, ce qui est alors très proche des résultats AGLINK-COSIMO.
44Une variante est proposée dans Edwards et al. [2010] dans laquelle il est supposé que l’augmentation de la consommation européenne de biodiesel ne peut être fournie que par de l’huile de palme importée. Le CAS atteint dans cette variante 82 milliers d’hectares (soit 0,08 ha/tep). Les surfaces supplémentaires sont essentiellement situées en Asie du Sud-Est (Indonésie/Malaisie), impliquant une conversion de sols plus riche en carbone (tourbières). La décomposition des effets production indique ici que les rendements s’accroissent. Grâce à ces augmentations de rendement, les surfaces ont moins augmenté (de l’ordre de 550 milliers d’hectares). Ce résultat ne nous paraît pas surprenant car nous montrons dans le tableau n°1 que les élasticités des rendements sont, relativement aux élasticités d’offre, plus importantes dans cette région (respectivement 0,25 et 1,38).
45Ces deux simulations montrent donc l’importance des élasticités rendements, relativement aux élasticités d’offre, dans la quantification des effets CAS. Une autre illustration sur ce même cadre de modélisation est offerte par Britz et Hertel [2011]. Ces auteurs examinent les effets CAS et émissions associées de GES liés à la consommation européenne de biodiesel. Ils trouvent avec le cadre GTAP-BIO décrit ci-dessus des émissions (annualisées) de GES ramenées à l’unité d’énergie de 50,2 g CO2eq/MJ. Puis ils modifient les équations d’offre et de rendements en Europe pour intégrer les élasticités, conditionnelles aux surfaces totales, simulées à partir du modèle CAPRI. Leur matrice d’élasticité fournit ainsi directement les élasticités rendements (prix propres et croisés). Par exemple, l’élasticité prix propre des rendements européens en cultures oléagineuses est de 0,69 (contre 0,25 ci-dessus). Avec cette version modifiée, les auteurs trouvent sans surprise que les émissions européennes (et donc les variations de surfaces) sont largement atténuées. Le même choc de consommation européenne de biodiesel conduit à présent à des émissions (annualisées) de GES de l’ordre de 42,2 g CO2eq/MJ. En d’autres termes, les effets émissions de GES sont diminués de 16 % lorsque seules les élasticités européennes sont plus précises (pour reprendre le terme de ces auteurs).
Le cadre MIRAGE-BioF
46Le cadre MIRAGE-BioF découle du cadre MIRAGE, lui-même s’appuyant dans une large mesure sur le cadre GTAP évoqué ci-dessus. Par rapport au cadre MIRAGE, plusieurs modifications ont également été apportées pour permettre une analyse pertinente des politiques de biocarburants. Ces modifications portent encore à la fois sur la base de données (avec l’introduction des coproduits et de nombreux produits agricoles par exemple) et sur les spécifications des fonctions comportementales (avec des structures élaborées de technologies de production par exemple). Ces différentes améliorations sont décrites dans Laborde [2011] ou Laborde et Valin [2012].
47La spécification des fonctions d’offre, de surface et de rendements est relativement proche de celle du cadre GTAPBIO avec une modélisation explicite des décisions d’intrants par les producteurs agricoles. Il existe bien évidemment des différences, comme celle liée à la distinction plus fine des intrants et l’introduction des engrais minéraux (les engrais organiques ne sont en revanche pas renseignés car il est à ce jour impossible de les obtenir au niveau mondial). Par rapport au cadre GTAP-BIO, la spécification des technologies agricoles est moins rigide car une fonction CES supplémentaire est introduite entre la terre et les engrais minéraux. [3] En revanche, la substitution en haut de l’arbre de production entre l’agrégat composite de la valeur ajoutée et les autres intrants variables est supposée nulle.
48Au niveau des équations d’offre de facteurs de production, il est supposé une élasticité finie de l’offre de travail non qualifié aux secteurs agricoles (captée par une élasticité de mobilité de ce facteur entre les secteurs agricoles et non agricoles). La terre arable est de nouveau supposée imparfaitement mobile entre les secteurs arables, de même que les mobilités sont imparfaites entre les terres arables, les prairies et les forêts. L’offre totale de terre cultivée (y compris les forêts gérées mais pas les forêts primaires) est supposée augmenter lorsque sa rémunération augmente (avec une élasticité prix propre qui décroît avec l’extension de ces surfaces).
49Ces généralisations des schémas de substitution et des mobilités des facteurs conduisent à des formules d’élasticités prix propre des productions, surfaces et rendements un peu plus complexes. En effet l’augmentation du prix d’une culture ne se traduit pas intégralement en une augmentation de la rémunération de la terre allouée (comme l’indique l’équation (2)). Cette augmentation est partagée entre cette rémunération de la terre et la rémunération du travail non qualifié (concrètement cela veut dire que les rémunérations des agriculteurs augmentent également lorsque le prix de leurs productions augmente). Les élasticités prix propre des surfaces et rendements sont données par :
51avec le même type de notation que précédemment, l’indice n indiquant le travail non qualifié, l’indice f indiquant les fertilisants minéraux, l’indice k indiquant le capital. Les élasticités de substitution sont à présent au nombre de trois : l’élasticité de substitution entre les fertilisants et la terre (?lf), l’élasticité de substitution entre le travail non qualifié et l’agrégat composite formé du capital et des produits énergétiques (?VA) l’élasticité de substitution entre les agrégats composites obtenus précédemment (?ff).
52De nouveau, l’élasticité prix propre de l’offre est la somme des élasticités prix de la surface et du rendement. Il peut être assez facilement remarqué qu’il s’agit d’une généralisation des élasticités calculées dans le cadre GTAP-BIO. Considérons d’abord l’élasticité de la surface (équation (7)). Si nous supposons que l’élasticité d’offre de travail non qualifié est infinie (), nous obtenons la formule (5). De la même manière, si un secteur agricole ne devait pas utiliser de travail non qualifié, nous obtenons à nouveau la même formule. Ces deux équations (5) et (7) diffèrent uniquement par leurs dénominateurs qui mesurent en fait l’inverse de la part de l’augmentation du prix qui se transmet dans la rémunération unitaire de la terre. Pour faciliter la compréhension, nous exprimons dans l’équation (9) cette augmentation de la rémunération de la terre :
54Cette rémunération augmente lorsque la terre devient un facteur rare ( tend vers zéro). Inversement, l’augmentation de la rémunération de la terre est plus faible lorsque le travail non qualifié devient rare (par conséquent les agriculteurs gardent une plus grande part de l’augmentation du prix pour rémunérer leur travail). L’évolution de la rémunération de la terre consécutive à une augmentation du prix du produit dépend également des possibilités de substitution entre ces facteurs potentiellement rares et les autres intrants (capital, fertilisants en particulier). Ainsi, plus il est facile de substituer ces intrants entre eux, moins la rareté d’un facteur devient contraignante. Par exemple, plus il est facile de substituer des fertilisants ou d’autres facteurs (capital, travail) à de la terre, moins la rareté de la terre a d’influence sur l’évolution de son prix (voir le numérateur de la parenthèse).
55Considérons à présent l’élasticité rendement (équation (8)). Il peut être assez facilement remarqué à nouveau que l’équation (6) est un cas particulier de cette nouvelle équation où les élasticités de substitution sont toutes de la même valeur, où la part des fertilisants est supposée nulle (car le cadre GTAP-BIO ne distingue pas ces fertilisants parmi les différents autres inputs). Ce qui est plus important à souligner est que cette élasticité rendement dépend encore fondamentalement des élasticités de substitution (elles apparaissent toutes au numérateur). Si ces élasticités de substitution sont faibles (à la limite nulles), l’élasticité rendement est faible (à la limite nulle). La contribution de l’élasticité rendement à l’élasticité de production est directement dépendante de ces élasticités de substitution : plus elles sont faibles, plus la contribution des effets rendements dans les effets production est faible.
56Le tableau n° 2 ci-après offre une estimation de ces élasticités pour les graines oléagineuses dans le cadre MIRAGE-BioF. Pour effectuer cette estimation, nous formulons tout d’abord plusieurs hypothèses quant aux valeurs des dépenses dans chaque intrant (travail, capital, terre, fertilisants, produits énergétiques). En effet nous ne disposons pas de la base complète de données du cadre MIRAGE-BioF, ni de sa situation projetée à l’horizon 2020. Cette base de données s’appuie toutefois sur les données initiales de GTAP avec, par exemple, une distinction des différentes graines oléagineuses respectant les valeurs de l’agrégat graines oléagineuses. Concrètement, nous avons utilisé les valeurs des rémunérations des facteurs de production et les valeurs de production de la base de données GTAP-BIO pour 2001. Nous avons supposé que les dépenses en produits fertilisants et énergétiques représentaient chacune 7,5 % du coût total de production (le solde étant pour les autres intrants variables). Les résultats sont très peu sensibles à ces parts. Ils le sont évidemment davantage aux élasticités. Pour les élasticités de substitution, nous avons pris les valeurs moyennes indiquées par Laborde [2011] : 0,11 pour l’élasticité de substitution entre la terre et les engrais pour les pays développés et 0,20 pour les pays en développement, 1,1 pour l’élasticité de substitution entre le travail non qualifié et l’agrégat comprenant le capital, enfin 0,07 pour l’élasticité de substitution entre les différents agrégats [4]. Pour les élasticités d’offre de terre à la culture d’oléagineux, nous avons supposé des valeurs de 0,3 (soit l’élasticité de mobilité de la terre entre les cultures arables). Enfin l’élasticité de l’offre de travail non qualifié à la culture d’oléagineux est égale au rapport entre l’élasticité de transformation du travail non qualifié (soit 0,5) et la part de la rémunération du travail pour la culture d’oléagineux dans la rémunération du travail agricole non qualifié (nous comprenons en effet que le travail non qualifié est mobile entre les secteurs agricoles).
Estimation des élasticités prix propre des offres, des surfaces et des rendements des cultures oléagineuses dans le cadre MIRAGE-BioF
Estimation des élasticités prix propre des offres, des surfaces et des rendements des cultures oléagineuses dans le cadre MIRAGE-BioF
57De nouveau ce tableau fournit les résultats pour les principaux pays (disponibles dans la base de données GTAP-BIO et qui ne correspondent pas tout à fait à la couverture géographique retenue dans le cadre MIRAGE-BioF), une estimation par pondération au niveau mondial des élasticités par zone et la contribution des élasticités rendement aux élasticités d’offre.
58Nous obtenons de nouveau une relative faible contribution des élasticités rendements aux élasticités d’offre. Par exemple, ces élasticités impliquent que l’augmentation de 1% du prix européen des graines oléagineuses entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation des surfaces consacrées de 3,18% et des rendements de 0,84%. La contribution est donc à peine supérieure à 20%. Elle est comparable au niveau mondial.
59Ces effets rendements sont tout de même largement supérieurs à ceux calculés précédemment avec le cadre GTAP-BIO, tout simplement parce que les élasticités de substitution sont ici supérieures (voir les élasticités de substitution du tableau n°1). Cette contribution des effets rendements au niveau du calibrage reste cependant inférieure aux évolutions de ces dernières années pour les graines oléagineuses (ce résultat se généralise aux autres cultures arables). Elle est aussi fortement différente des évolutions projetées à l’horizon 2020 des rendements et des surfaces mondiales en grandes cultures que Laborde [2011] utilise pour définir sa situation de référence (pour rappel, l’augmentation de la production serait expliquée à hauteur de 64 % par une augmentation des rendements et 36 % par les surfaces). En d’autres termes, cet auteur, comme les autres, suppose des augmentations conséquentes de rendement pour la projection et calibre de faibles effets rendement pour l’analyse de la politique européenne de biocarburants.
60Laborde [2011] conduit plusieurs simulations pour expliquer les résultats CAS induits par la politique européenne de biocarburants. Ces simulations montrent en particulier qu’une consommation supplémentaire de biodiesel conduit à un CAS mondial variant entre 0,08 et 0,21 ha/tep selon les huiles considérées. Ceci est moins fort si l’huile de palme est utilisée (mais les sols convertis sont plus riches en carbone), intermédiaire avec les huiles de colza et de soja (0,16) et élevé avec l’huile de tournesol. Il apparaît donc que le résultat est assez proche de celui obtenu avec le cadre précédent GTAPBIO lorsque l’huile de palme est privilégiée (autour de 0,08 ha/ tep). Ces résultats sont plus faibles pour les autres huiles (autour de 0,2 contre 0,38 ha/tep), ce qui pourrait s’expliquer par un calibrage des effets rendements plus élevé.
61Laborde décompose également ses effets production entre des effets surfaces et des effets rendements lors de la simulation de la politique européenne de biocarburants dans sa globalité. Il trouve que pour toutes les cultures, les effets surfaces dominent les effets rendements. Pour les cultures oléagineuses, la progression des productions s’explique à plus de 80 % par l’augmentation des surfaces, ce qui paraît cohérent avec nos calculs précédents des différentes élasticités. La contribution des effets surfaces est plus faible pour la culture de blé (66 %) du fait d’un déplacement de cette culture vers des zones à faibles rendements initiaux.
62Comme de nombreux auteurs, Laborde reconnaît les incertitudes sur de nombreux paramètres du modèle MIRAGEBioF et conduit donc des tests de sensibilité. Malheureusement pour notre analyse, ces tests combinent simultanément plusieurs paramètres affectant autant les côtés offre que demande de son modèle. Il n’est donc pas possible d’identifier si les résultats CAS (et émissions associées de GES) sont très ou peu sensibles au calibrage des effets rendements. Nous notons tout de même que les valeurs maximales des élasticités de substitutions représentent près du triple des valeurs moyennes (tandis que les valeurs minimales sont proches de zéro, n’impliquant aucun effet rendement au niveau du calibrage, voir équation (8)). Ainsi, pour les pays développés, la valeur maximale de l’élasticité de substitution entre la terre et les autres facteurs de production est de 0,18 (contre une valeur moyenne de 0,07) et la valeur maximale de l’élasticité de substitution entre la terre et les fertilisants minéraux de 0,29 (contre une valeur moyenne de 0,11). Pour autant, la contribution des élasticités rendements dans les élasticités d’offre ne triple pas car ces élasticités de substitution apparaissent également dans l’élasticité des surfaces (voir équation (7)). Au niveau mondial, elle atteint 45% (contre 20% dans le cas moyen).
63Nous soulignons également que, même si le domaine de variation peut paraître large avec un triplement des valeurs, ces valeurs maximales des élasticités de substitution sont inférieures aux valeurs moyennes issues des synthèses effectuées pour l’OCDE. Abler [2001] pour les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, et Salhofer [2001] pour les pays européens ont conduit une revue de littérature sur les estimations économétriques de ces élasticités de substitution. Pour les Etats-Unis, Abler [2001] trouve que la valeur moyenne de l’élasticité de substitution entre la terre et les autres facteurs de production est de 0,3 et l’écart-type de 0,8. La valeur moyenne de l’élasticité de substitution entre la terre et les intrants variables (engrais, produits phytosanitaires, …) est de 0,5 et l’écart-type de 1,5. Pour l’Europe, Salhofer [2001] trouve que la valeur moyenne de l’élasticité de substitution entre la terre et les autres facteurs de production est également de 0,3 et l’écart-type de l’ordre de 1. La valeur moyenne de l’élasticité de substitution entre la terre et les intrants variables est de 1,7 et l’écart-type de 1,1.
64Par conséquent, les valeurs maximales des élasticités de substitution retenues dans les tests de sensibilité avec le cadre MIRAGE-BioF sont inférieures aux valeurs moyennes des études économétriques portant sur les pays développés. Par ailleurs, elles impliquent toujours ex ante (pour des changements marginaux) des effets rendements, relativement aux effets productions, inférieurs aux évolutions projetées de ces rendements et productions.
Synthèse
65Cette revue de littérature centrée sur les effets rendements de quatre cadres de modélisation mobilisés pour analyser les effets CAS du biodiesel européen nous fournit trois enseignements principaux. Premièrement, les différentes évaluations du CAS induit par la consommation européenne de biodiesel aboutissent toutes à des augmentations de production de cultures essentiellement grâce à l’augmentation de surfaces cultivées et au mieux modestement grâce à une hausse des rendements sur les surfaces cultivées. Ces résultats sont fortement différents des évolutions observées sur longue période ou des projections de moyen terme où l’essentiel de la production supplémentaire est obtenu par une augmentation des rendements. Deuxièmement, ce relatif consensus n’apparaît guère surprenant car, selon les informations disponibles, les calibrages des paramètres des modèles sous-jacents reposent sur des élasticités rendements nettement plus faibles que les élasticités de surface. Troisièmement, les résultats CAS de ces modèles sont par ailleurs fortement sensibles aux hypothèses de calibrage des effets rendements, quand le calibrage de ces derniers varie effectivement significativement. A notre connaissance, ces tests de sensibilité n’ont pas directement porté sur la consommation européenne de biodiesel, ce qui fait l’objet de la prochaine section.
Le biodiesel européen et les évolutions de rendements : analyse de sensibilité
66Les résultats CAS issus des modélisations économiques ont été largement débattus dans différentes instances. Il y est admis qualitativement que les évolutions de rendements peuvent avoir un impact mais les évaluations quantitatives ont été jugées pertinentes et cohérentes. Par exemple, dans leur analyse des résultats issus de GTAP-BIO, Edwards et al. [2010] affirment que de forts effets rendements ne peuvent s’observer qu’à moyen/long terme et qu’à court terme les effets induits des prix sur les rendements sont faibles. Nous partageons ce point de vue sur le court terme. En revanche, il est toujours délicat de définir ce que l’on entend par moyen/long terme. Les politiques (américaine et européenne) de biocarburants ne peuvent pas vraiment être considérées comme des politiques de très court terme. Les objectifs sont annoncés sur plusieurs années et de plus mis en œuvre progressivement, laissant ainsi le temps aux acteurs de s’ajuster et d’optimiser leurs plans de production. Par conséquent, il nous paraît parfaitement légitime de tester les résultats sur une modification plus importante des techniques de production agricole qui pourraient conduire à une augmentation des rendements.
67La méthodologie retenue dans cet article consiste à utiliser le cadre GTAP-BIO pour deux raisons principales. D’une part, il est publiquement disponible, les résultats reportés ci-dessous pouvant être répliqués par tous. D’autre part, le cadre de l’équilibre général est nettement plus rigoureux et n’aboutit pas à des incohérences potentielles comme l’ont identifié Blanco Fonseca et al. [2010] avec le cadre AGLINK-COSIMO. Pour autant, ce cadre n’est pas la panacée et a fait l’objet de critiques de modélisateurs. Par exemple, Babcock et Carriquiry [2010] questionnent i) la non-prise en compte des possibilités de double culture aux Etats-Unis et au Brésil, ii) la non-prise en compte des terres en jachère dans de nombreuses régions du monde (terres ayant selon ces auteurs un faible stock de carbone), iii) la modélisation de l’imparfaite mobilité de la terre qui implique que l’expansion des surfaces arables entraîne trop de forêts converties et pas assez de prairies (ces dernières étant moins riches en carbone), iv) l’hypothèse ad hoc d’une productivité moindre des nouvelles terres mises en culture. Pour ces auteurs, toutes ces limites de modélisation biaisent à la hausse les résultats issus du cadre GTAP-BIO. L’utilisation de la base de données Wood Hole pour les stocks de carbone, plutôt que la base Winrock est également susceptible de biaiser à la hausse ces résultats (Broch et al. [2013]).
68Nous ne cherchons pas ici à vérifier/intégrer ces remarques et portons notre effort sur l’effet du calibrage des élasticités rendements sur la mesure des effets CAS. Il est fondamental de comprendre que nous n’introduisons pas dans notre analyse de sensibilité des chocs technologiques exogènes qui conduiraient à une augmentation artificielle/inexpliquée des rendements. Nous nous contentons simplement de revoir le calibrage des élasticités de substitution qui gouvernent la manière dont les producteurs agricoles définissent leurs systèmes de production au sein d’une frontière de production donnée. Ci-dessous nous justifions d’abord nos choix de calibrage, puis reportons les résultats de simulation. Nous finissons par une analyse de sensibilité à la taille du choc simulé et à l’horizon de simulation.
Le calibrage alternatif des élasticités
69Pour bien comprendre les résultats de notre analyse de sensibilité, nous établissons tout d’abord des résultats de référence avec le calibrage GTAP-BIO des différentes élasticités de substitution et de mobilité des facteurs (terre) entre secteurs (voir plus haut). Pour rappel, les hypothèses de calibrage impliquent qu’ex ante les élasticités rendement sont très faibles par rapport aux élasticités surfaces, essentiellement parce que les élasticités de substitution entre les intrants sont faibles (moins de 0,1, voir le tableau n°1).
70Nous envisageons alors un calibrage alternatif de ces élasticités de substitution qui conduit à une contribution plus importante des élasticités rendement dans les élasticités d’offre. Etant donnée leur importance cruciale, nous justifions les valeurs que nous retenons. Nous avons vu précédemment que les valeurs retenues tant dans le cadre GTAP-BIO que le cadre MIRAGE-BioF sont faibles par rapport aux estimations économétriques synthétisées dans l’étude OCDE (Salhofer [2001]). Aussi dans ce calibrage alternatif, nous appuyons-nous sur les valeurs moyennes qui y sont reportées. Plus précisément, nous supposons que les élasticités de substitution restent identiques aux deux fonctions CES spécifiées dans le cadre GTAP-BIO. Nous retenons les plus faibles valeurs moyennes reportées dans l’étude OCDE (soit les élasticités de substitution entre la terre et les autres facteurs de production, pas celle entre la terre et les intrants variables). De plus, comme les résultats sont très proches entre les Etats-Unis et l’Europe, nous supposons une même valeur de 0,3 à toutes les régions. Les implications en termes d’élasticités rendements, surfaces et offres sont données dans le tableau n°3. Ce tableau est exactement construit comme le tableau n°1.
Elasticités alternatives de substitution, élasticités alternatives des offres, des surfaces et des rendements des cultures oléagineuses dans le cadre GTAP-BIO
Elasticités alternatives de substitution, élasticités alternatives des offres, des surfaces et des rendements des cultures oléagineuses dans le cadre GTAP-BIO
71Les élasticités surfaces sont identiques à celles du tableau n°1 car, à long terme, elles ne dépendent pas des élasticités de substitution (voir équation (5)). En revanche, les élasticités de rendement augmentent très fortement en Europe pour atteindre 3,15. Nous sommes bien conscients que cela peut paraître, de manière isolée, très fort. Mais comme le soulignent aussi Edwards et al. [2010], le plus important est le ratio entre ces élasticités rendement et les élasticités surface. Nous obtenons qu’au point de calibrage, la contribution de l’élasticité rendement atteint 36 % de l’élasticité offre en Europe. Le chiffre est similaire aux Etats-Unis. Les changements sont moins spectaculaires pour l’Inde ou la zone Asie du Sud-Est (qui comprend l’Indonésie et la Malaisie) car l’élasticité de substitution initiale est plus proche de 0,3. Au niveau mondial, la contribution des effets rendements est de 33,6 %.
72Notre calibrage alternatif s’appuie donc sur une synthèse des élasticités de substitution effectuée en 2001, qui ne couvre naturellement pas les données et estimations de la dernière décennie. A notre connaissance, il y a eu très peu de travaux économétriques ces dernières années qui estiment simultanément les élasticités de rendement et de surface.
73Il y a tout d’abord le travail de Huang et Khanna [2010] portant sur les Etats-Unis et les cultures de soja, maïs et blé. Toutefois les spécifications estimées des équations de surface et rendements sont de forme réduite. Par conséquent, les contraintes structurelles (sur la convexité des fonctions de profit ou les conditions de symétrie) ne sont pas imposées, ce qui limite l’apport de ces estimations pour notre calibrage de paramètres. Notons tout de même que ces auteurs trouvent que les élasticités prix propre des rendements de ces cultures sont respectivement de 0,06, 0,15 et 0,43. Les élasticités prix propre des surfaces correspondantes sont respectivement de 0,55, 0,66 et 0,50. Sous l’hypothèse grossière d’absence d’élasticités croisées au niveau des surfaces, les contributions (biaisées à la baisse) des élasticités de rendement dans les élasticités d’offre s’élèvent à respectivement 11 %, 23 % et 86 %. De manière tout aussi grossière (simple somme pondérée par la part des surfaces), la contribution de l’élasticité rendement à l’élasticité d’offre pour l’ensemble de ces trois cultures s’élève à 33 %.
74Ensuite Carpentier et Letort [2012], dans une étude empirique sur la France, cherchent à allouer les intrants variables entre trois cultures (le blé, l’orge et le colza). Une approche structurelle est adoptée avec une décision en deux temps des producteurs au cours d’une campagne : les allocations de surface dans un premier temps, puis les applications d’intrants variables au cours de la campagne. Les estimations économétriques respectent les conditions d’homogénéité, de symétrie et de concavité de la fonction de coût. Cependant ces auteurs considèrent des horizons de court terme où les surfaces totales allouées à ces trois cultures sont exogènes. Par définition donc, les élasticités d’offre au niveau agrégé sont données par les élasticités rendements. Ces dernières varient entre 0,09 et 0,21, soit une moyenne de l’ordre de 0,15. Cependant, pour chaque culture, ces auteurs calculent les élasticités surfaces et rendements. Si nous faisons la même approximation d’absence d’effets croisés au niveau de surfaces, les contributions des élasticités rendement aux élasticités d’offre sont de 25 % pour le blé, 31 % pour l’orge et 77 % pour le colza. Toujours sur les mêmes hypothèses grossières, cela conduit de nouveau à une élasticité rendement contribuant à plus du tiers de l’élasticité d’offre au niveau global.
75Sans fournir directement les élasticités nécessaires pour le cadre GTAP-BIO, ces deux récentes études économétriques indiquent que notre calibrage alternatif conduit à des rapports d’élasticités rendement/surface qui restent crédibles.
Résultats
76Nous simulons un choc de consommation de biodiesel d’un million de tep. La situation de départ étant l’année 2001, cela représente un doublement de cette consommation. Nous examinerons plus tard les effets d’un choc plus important, les résultats n’étant pas toujours parfaitement linéaires.
77Nous débutons l’analyse avec les paramètres standard du cadre GTAP-BIO (tableau n°1). Les résultats sur les marchés des graines oléagineuses, sur les marchés des cultures arables [5], sur les surfaces de forêt et prairies converties sont fournis dans les tableaux nos 4 à 6.
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des graines oléagineuses du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en %)
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des graines oléagineuses du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en %)
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des cultures arables du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en %)
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des cultures arables du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en %)
Impacts sur les surfaces globales d’un choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en milliers d’hectares)
Impacts sur les surfaces globales d’un choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en milliers d’hectares)
78Sans surprise, nous obtenons une augmentation des productions de graines oléagineuses dans toutes les zones. L’effet le plus fort est en Europe et atteint 1,33 %. En termes relatifs, les augmentations les plus importantes sont ensuite au Brésil et aux Etats-Unis. La production mondiale de graines augmente de 0,29 %. Les prix augmentent de 0,13 %, ce qui conduit à une élasticité ex post de 2,23 (finalement pas très loin de la valeur de calibrage). Nous trouvons que dans chaque zone, la majorité de la production supplémentaire est obtenue par une augmentation des surfaces. Par exemple, elle atteint 1,22 % en Europe et explique 8 % de l’augmentation de la production. Elle est plus forte en Asie du Sud-Est, par exemple, car l’élasticité de substitution y est plus forte. Au niveau mondial, nous trouvons que l’augmentation de la production s’explique ex post à hauteur de 26 % par une augmentation du rendement. Cette proportion est très différente de la valeur calibrée (5 %) parce qu’il y a un relatif déplacement de la production de graines oléagineuses vers des zones à fort rendements initiaux (Europe, Brésil, Etats-Unis). En effet, les prix de ces graines augmentent plus dans ces zones par rapport aux autres sous l’effet de la modélisation « Armington » des échanges (la proportion de 5 % calculée dans la première section est obtenue sous l’hypothèse que tous les pays enregistrent une même augmentation de 1 % de leur prix). Ce résultat n’est en rien nouveau et est commun à tous les résultats analysés dans notre revue de littérature.
79L’augmentation des productions de graines oléagineuses et des surfaces correspondantes conduit à une légère baisse des surfaces allouées aux autres grandes cultures (céréales et cultures céréalières). Des augmentations modestes de rendement sont alors observées. Pour ces autres cultures, la contribution des effets rendements dépasse alors les 100 %. Les effets sont néanmoins très faibles et dépassent juste une fois les 0,1 % (recul des surfaces européennes de céréales secondaires). Ceci implique qu’au niveau du total des cultures arables et au niveau mondial, les résultats sur les graines oléagineuses dominent. L’augmentation de la production de grandes cultures atteint 0,05 %, les surfaces arables augmentent de 0,04 % et les rendements de 0,01 %. Ces derniers contribuent donc à 25 % de l’augmentation de la production. Cela n’empêche pas qu’au niveau de chaque zone, ces contributions rendements peuvent être très différentes car il y a un déplacement relatif de la proportion de chaque culture dans les surfaces arables.
80Ce choc de consommation européenne de biodiesel entraîne donc une augmentation des surfaces arables qui atteint 71 milliers d’hectares en Europe et 206 milliers d’hectares au niveau mondial. En d’autres termes, nous obtenons un effet CAS de 0,21 ha/tep. Cet effet est intermédiaire à celui reporté dans Edwards et al. [2010] (entre 0,08 et 0,38) car nous ne pénalisons ou privilégions pas une huile plus qu’une autre pour la production de biodiesel.
81En Europe, ces suppléments de surfaces arables proviennent majoritairement de la conversion de forêt, plus modestement du retournement des prairies. Nous mentionnons au passage que les critères de durabilité ne sont évidemment pas pris en compte dans ces calculs, n’étant pas l’objet de cette analyse. Il s’avère que la réduction mondiale des hectares en forêt est proche de la réduction européenne (50 milliers d’ha). La réduction mondiale des surfaces en prairies atteint 153 milliers d’hectares, réduction partagée entre l’Europe, le Brésil et l’Afrique sub-saharienne.
82Finalement le cadre GTAP-BIO offre une estimation des tonnes de CO2eq qui sont déstockées à la suite des effets CAS. L’estimation est de 37,37 millions de tonnes au niveau mondial. 49% de ces émissions proviennent du CAS en Europe. Si l’on annualise ces émissions sur 20 ans, nous trouvons des émissions associées au CAS de 49,4 gCO2eq/MJ. Sans surprise, ces chiffres sont très proches de ceux reportés dans Britz et Hertel [2011].
83Nos résultats mondiaux sont également assez proches de Laborde [2011] qui servent à justifier les propositions de révision des directives européennes. Les rendements contribuent modestement aux augmentations des productions mondiales (de l’ordre de 20 % contre 26 % ici) et les émissions associées aux CAS sont importantes (de l’ordre de 54 gCO2eq/MJ contre 49 ici). Les impacts par pays sont en revanche plus contrastés, sans doute liés aux implications de la modélisation Armington des échanges (voir Golub et Hertel [2012]). Sans constituer une preuve formelle de l’équivalence de deux cadres de modélisation, nous avons réduit de manière grossière de 20% toutes les élasticités de substitution dans le cadre GTAP-BIO (car le cadre MIRAGE-BioF interdit les substitutions entre les facteurs de la valeur ajoutée composite et les autres intrants variables). Dans cette variante, la contribution des rendements à l’augmentation des productions est de 21 % et les émissions associées aux CAS s’élèvent à 53,3 gCO2eq/MJ.
84Examinons à présent ces mêmes résultats lorsque les élasticités de substitution au sein des technologies de production des cultures arables sont fixées à 0,3 (tableau n°3). Les mêmes résultats sont reportés dans les tableaux nos 7 à 9.
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des graines oléagineuses du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en %) : calibrage alternatif
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des graines oléagineuses du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en %) : calibrage alternatif
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des cultures arables du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en %) : calibrage alternatif
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des cultures arables du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en %) : calibrage alternatif
Impacts sur les surfaces globales du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en milliers d’ha) : calibrage alternatif
Impacts sur les surfaces globales du choc de consommation de biodiesel en Europe d’un million de tep (en milliers d’ha) : calibrage alternatif
85Comme nous avons seulement changé la valeur de certains paramètres, la nature de ces nouveaux résultats est évidemment identique à celle des résultats que nous venons de décrire. Aussi analysons-nous surtout les différences entre ces résultats.
86L’augmentation moindre des prix s’explique simplement par des offres plus élastiques aux prix. Sans surprise, nous observons à présent des effets rendement plus importants et par conséquent des effets surfaces plus faibles. Par exemple, les surfaces européennes augmentent à présent de 0,85 % (contre 1,22 % précédemment) et les rendements de 0,61 % (contre 0,11 % précédemment). La contribution des effets rendements dans les effets offres atteint 42 % au niveau européen. Elle est supérieure au niveau mondial (53 %) toujours liée au déplacement relatif de cette production entre les zones. Nous pouvons aussi remarquer que les changements les plus notables concernent logiquement les zones où les élasticités de substitution ont le plus augmenté : Europe et Brésil. Ces changements sont mineurs en Asie du Sud-Est par exemple.
87De nouveau, les effets sur les autres marchés de grandes cultures sont modestes (ne dépassant 0,1 %). Aussi au niveau de l’ensemble des grandes cultures (céréales, graines oléagineuses et cultures sucrières), les impacts oléagineux dominent-ils. Par exemple, la production européenne augmente de 0,20 % avec une contribution rendement de 63 %. Au niveau mondial, nous avons exactement la même contribution, les productions augmentant toujours dans les zones à hauts rendements initiaux. Une telle contribution correspond globalement aux évolutions observées sur longue période et aux projections disponibles avec les cadres FAPRI et AGLINK-COSIMO et adoptées pour définir la situation de référence dans Laborde [2011].
88Les surfaces arables augmentent à présent de 44 milliers d’ha, soit un effet CAS de 0,04 ha/tep. L’augmentation des surfaces arables a toujours lieu essentiellement en Europe (20 contre 71 milliers d’ha), suivie par le Brésil (10 contre 33 milliers d’ha). Les surfaces en Afrique sub-saharienne n’augmentent pratiquement plus (3 contre 27 milliers d’ha). Il importe de comprendre que c’est essentiellement parce que les rendements ont augmenté en Europe et au Brésil et très modestement en Afrique sub-saharienne. Ces surfaces supplémentaires sont toujours majoritairement issues de la conversion de prairies (33 contre 153 milliers d’ha), suivie par une conversion moindre de forêts (11 contre 52 milliers d’ha).
89Les effets CAS sont donc divisés environ par cinq. En toute logique, les émissions sont également divisées par près de cinq. Annualisées, elles atteignent à présent 10,4 gCO2eq/MJ. Pour rappel, Dumortier et al [2011] avec le cadre FAPRI ont également trouvé de forts impacts des effets rendements qui conduisent à des baisses de 87 % de leurs estimations d’émissions dans le cas du bioéthanol américain. Blanco Fonseca et al [2010] trouvent avec le cadre AGLINK COSIMO des baisses de 96 % des effets CAS. Britz et Hertel [2011] trouvent une baisse de 16 % des émissions induites lorsque les élasticités européennes sont révisées. Nous obtenons une baisse de l’ordre de 80 % des effets CAS et émissions associées dans le cas du biodiesel européen avec un calibrage cohérent des élasticités de substitution dans toutes les zones dans le cadre GTAP-BIO.
90La CE ne retient aucun de ces trois cadres de modélisation pour justifier ses propositions de révision des directives européennes sur les biocarburants. Toutefois il serait très étonnant (mais sûrement instructif) qu’une telle analyse de sensibilité n’aboutisse pas aux mêmes types de résultats avec le cadre MIRAGE-BioF.
Analyse de sensibilité
91Les résultats précédents montrent la forte sensibilité des estimations au calibrage des élasticités de substitution et donc de rendements. Nous cherchons à présent à voir si cette forte sensibilité est robuste d’une part à la taille du choc, d’autre part à l’horizon de simulation.
92Examinons tout d’abord la sensibilité de nos résultats à un choc de consommation européenne de biodiesel plus grand. Le cadre GTAP-BIO est plutôt pertinent pour le long terme car les facteurs de production sont supposés mobiles entre les secteurs. Or, à long terme, le choc induit par la consommation européenne n’est pas marginal. Les résultats obtenus dans la littérature montrent que les effets sont plutôt linéaires (Edwards et al. [2010]) mais pas complètement (voir par exemple Laborde [2011]). C’est pourquoi nous simulons un choc de 10 millions de tep. Il ne s’agit pas d’une estimation précise de l’augmentation de la consommation mais proche de celle simulée par exemple par Laborde (2011). Nous fournissons ci-dessous les tableaux de résultats sur les marchés des graines oléagineuses et sur les surfaces globales avec les deux jeux de paramètres.
93Ce choc conduit évidemment à des effets plus importants. Par exemple, le prix mondial des graines oléagineuses augmente de 1,66 % (contre 0,13 % dans le scénario précédent) lorsque le calibrage standard GTAP-BIO est adopté. Les effets apparaissent légèrement non linéaires. Ce qui nous semble plus intéressant est l’évolution de la contribution des rendements. Au niveau mondial et avec le calibrage standard, cette contribution atteint 24,2 % (contre 26,1 % dans le scénario précédent). Ceci vient du fait que ce choc conduit à une augmentation relativement plus forte des productions oléagineuses en Inde et en Afrique sub-saharienne où les rendements initiaux sont plus faibles. Lorsque nous adoptons notre calibrage alternatif, cette contribution au niveau mondial est plus stable (52,5 % contre 53,2 %). Ces différences peuvent paraître modestes mais en termes de surfaces déplacées cela n’est plus si anodin. En effet, avec le calibrage standard, les surfaces arables augmentent de 2501 milliers d’hectares avec une diminution des surfaces en forêt de 553 milliers d’hectares (soit 22 % de l’expansion des surfaces arables). Avec notre calibrage alternatif, les surfaces arables augmentent de 550 milliers d’hectares avec une diminution des forêts de 76 milliers d’hectares (soit 13 % de l’expansion des surfaces arables). Les émissions annualisées associées de GES s’élèvent à 56,5 gCO2eq/MJ avec le calibrage standard et 10,0 gCO2eq/MJ avec le calibrage alternatif. L’effet des hypothèses sur les rendements est donc plus fort. L’intuition économique est la suivante : plus les possibilités d’accroissement des rendements sont limitées (calibrage standard), plus il faut de surfaces supplémentaires lorsque la taille du choc augmente. Par suite, il y a plus d’émissions associées de GES. En revanche, lorsque les possibilités d’augmentation des rendements sont réalisables par substitution des intrants (notre calibrage alternatif), il ne faut pas proportionnellement plus de surfaces lorsque la taille du choc augmente. La substitution s’opère avec les intrants relativement disponibles.
94Cette simulation conduit à des différences notables dans les rendements : augmentation du rendement oléagineux européen de 1,09 % avec le calibrage GTAP-BIO, de 7,24 % avec notre calibrage alternatif. Ceci n’est possible qu’avec des évolutions contrastées de l’utilisation des autres intrants (produits chimiques, énergétiques, travail, capital). En fait, dans chaque calibrage, tous ces intrants évoluent dans les mêmes proportions car leurs offres sont parfaitement élastiques. Ces augmentations atteignent environ 14,7 % avec le calibrage GTAPBIO, 17,6 % avec notre calibrage alternatif. Il y a donc bien une augmentation de l’usage des autres intrants (de l’ordre de 3 %) qui peut conduire à une hausse des émissions directes. Ces augmentations d’utilisation d’intrants sont moindres au niveau du total européen des cultures arables avec respectivement 2,6 % et 3,9 %, soit une différence de 1,3 %. Au niveau mondial, la différence est encore plus modeste avec respectivement 0,8 % et 0,9 %, soit une augmentation limitée à 0,1 %.
95Les émissions directes de GES sont relativement peu étudiées avec les modèles économiques susmentionnés. Le cadre GTAP-BIO n’est pas non plus idéal pour une telle analyse car les différents intrants (fertilisants, pesticides, semences) ne sont pas distingués. Notre modeste contribution ici est de montrer qu’il peut y avoir une hausse limitée des émissions directes (0,1 % au niveau mondial) associée à la diminution des émissions indirectes causées par le CAS.
96Examinons maintenant la sensibilité de nos résultats à l’horizon temporel. L’hypothèse de mobilité parfaite de tous les facteurs de production, sauf la terre, est certainement excessive à moyen terme (les capitaux physiques et humains sont en partie spécifiques aux secteurs d’activité). Par exemple Laborde considère que le travail non qualifié est imparfaitement mobile entre secteurs d’activité. Keeney et Hertel [2009] considèrent aussi qu’à moyen terme (approximativement 5 ans) le travail et le capital ne peuvent pas s’ajuster complètement. Ils modélisent alors une mobilité imparfaite de ces facteurs avec des élasticités de mobilité proche de l’unité (valeur qui provient également de la synthèse OCDE). Aussi adoptons-nous ces valeurs pour obtenir des effets moyen-terme. Cela implique qu’au point de calibrage les élasticités surface, rendement et offre sont réduites. Pour les graines oléagineuses européennes, l’élasticité prix propre de l’offre est de 1,56 avec les élasticités de substitution GTAP-BIO et de 1,85 avec les élasticités de substitution fixées à 0,3 (pour rappel, elles s’élèvent respectivement à 5,73 et 8,63 dans le long terme). Les résultats d’un choc de 10 millions de tep sont reportés dans les tableaux nos 12 et 13 (à comparer aux tableaux nos 10 et 11). Les effets sont qualitativement identiques pour un choc d’un million de tep.
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des graines oléagineuses du choc de consommation de biodiesel en Europe de 10 millions tep (en %)
Impacts sur les offres, surfaces, rendements et prix des graines oléagineuses du choc de consommation de biodiesel en Europe de 10 millions tep (en %)
Impacts sur les surfaces globales du choc de consommation de biodiesel en Europe de 10 millions tep (en milliers d’ha)
Impacts sur les surfaces globales du choc de consommation de biodiesel en Europe de 10 millions tep (en milliers d’ha)
Impacts à moyen terme sur les offres, surfaces, rendements et prix des graines oléagineuses du choc de consommation de biodiesel en Europe de 10 millions de tep (en %)
Impacts à moyen terme sur les offres, surfaces, rendements et prix des graines oléagineuses du choc de consommation de biodiesel en Europe de 10 millions de tep (en %)
Impacts à moyen terme sur les surfaces globales du choc de consommation de biodiesel en Europe de 10 millions de tep (en milliers d’ha)
Impacts à moyen terme sur les surfaces globales du choc de consommation de biodiesel en Europe de 10 millions de tep (en milliers d’ha)
97Les principaux résultats remarquables sont une augmentation des effets prix car l’offre devient moins élastique à moyen terme. Corrélativement, nous obtenons une augmentation moindre de la production globale (baisse des demandes pour l’alimentation). L’augmentation du prix mondial des graines oléagineuses à moyen terme atteint 3,11 % (contre 1,66 % à long terme) avec les élasticités GTAP-BIO. Notons aussi l’augmentation de la production de graine oléagineuse plus uniformément répartie au niveau mondial (il devient relativement plus difficile d’augmenter la production européenne). Par conséquent, les effets rendements sont relativement moins importants (moins de 19 % à moyen terme contre plus de 24 % à long terme). Lorsque nous augmentons les élasticités de substitution à 0,3, ces effets rendements augmentent mais relativement moins : à moyen terme ils atteignent moins de 41 % alors qu’ils étaient de plus de 52 % à long terme.
98Au niveau des surfaces, les effets sont également modifiés avec désormais des CAS de l’ordre de 0,22 ha/tep et 0,06ha/tep. Les émissions associées de GES diminuent toujours mais relativement moins, passant de 59,5 à 18,4g CO2eq/MJ (soit une baisse de 70 %). Cette plus faible baisse s’explique simplement par une plus faible augmentation de la contribution des rendements aux augmentations de production.
Conclusions
99La mesure des effets sur les surfaces et émissions induites de GES par le développement des biocarburants est une question empirique difficile car de nombreux mécanismes économiques interagissent. Plusieurs modèles économiques capturant ces mécanismes ont été mobilisés pour estimer ces effets. Dans le cas du biodiesel européen, ces travaux économiques concluent majoritairement à des effets de déplacements de surface et d’émissions associées de sorte que l’efficacité de l’action publique européenne est remise en cause. Dans cet article, nous avons focalisé notre attention sur les hypothèses des modèles économiques mobilisés concernant les évolutions possibles des rendements. Nous avons également analysé les résultats de simulations en termes d’évolution des surfaces et des rendements.
100Tous les travaux révèlent que les augmentations de production nécessaires pour satisfaire les demandes de biocarburants seront essentiellement obtenues par des augmentations de surface. Les rendements croissent au mieux modestement. Dans les modèles d’équilibre partiel, ce résultat est lié à l’absence supposée de progrès technique induit suite au choc de biocarburants. Nous montrons que, dans les modèles d’équilibre général, cela provient assez directement des valeurs calibrées des élasticités de substitution qui gouvernent l’arbitrage entre la terre et les autres intrants agricoles. Les valeurs calibrées sont plus faibles que celles données par les estimations économétriques aujourd’hui disponibles.
101Ceci nous a conduit à vouloir tester l’influence de ces choix de calibrage sur les résultats CAS et émissions associées induit par le développement du biodiesel en Europe. Le test est réalisé à partir du modèle GTAP-BIO qui est proche dans sa structure du modèle MIRAGE-BioF retenu par la CE pour justifier ses propositions de révision des directives européennes. Nous montrons alors que les estimations des effets CAS et émissions associées sont très sensibles aux valeurs des élasticités de substitution. Lorsque les valeurs calibrées s’appuient sur les résultats économétriques, les effets CAS et émissions à long terme sont réduits de près de 80%. Nous montrons également que dans ce cas, la contribution des effets rendements à l’augmentation de la production ne dépasse pas celle qui est généralement projetée à moyen terme.
102L’attention est portée ici uniquement sur les CAS et émissions associées. Il conviendrait de poursuivre ce travail, par exemple par une analyse de l’efficacité de l’action publique européenne sur les biocarburants. Nos calculs suggèrent que le bilan en termes d’émissions nettes de GES des biocarburants est plus élevé que celui estimé jusqu’à présent. Est-ce pour autant la meilleure politique pour atteindre les objectifs d’atténuation du changement climatique ? Par exemple, faut-il privilégier les biocarburants de seconde génération plutôt que ceux de première génération ? Cela dépend entre autres des gains technologiques relatifs espérés dans ces deux filières. Nos résultats montrent simplement qu’il ne faut pas forcément sous-estimer les gains possibles de la filière de première génération.
103L’auteur remercie son collègue Alain Carpentier (UMR SMART Rennes) pour ses encouragements et les nombreuses discussions stimulantes sur la modélisation du comportement des agriculteurs et des technologies agricoles. Il remercie aussi les rapporteurs de la RFE pour leurs conseils et suggestions.
Bibliographie
Références
- S. Abler [2001] : Elasticities of Substitution and Factor Supply in Canadian, Mexican and United States Agriculture, annexe 2, rapport de l’OECD Market Effects of Crop Support Measures.
- B.A. Babcock et M. Carriquiry [2010] : An Exploration of Certain Aspects of CARB’s Approach to Modeling Indirect Land Use from Expanded Biodiesel Productio, CARD Staff Report 10-SR25, 39 p.
- M. Blanco Fonseca, A. Burrell, H. Gay, M. Henseler, A. Kavallari, R. M’Barek, I. Perez Dominguez et A. Tonini [2010] : Impacts of the EU Biofuel Target on Agricultural Markets and Land Use : a Comparative Modeling Assessment, Scientific and Technical Reports of the Joint Research Center, Commission européenne, disponible sur http://www.eurosfaire.prd.fr/7pc/doc/1281625394_jrc58484_biofuel.pdf
- W. Britz et T.W. Hertel [2011] : Impacts of EU Biofuels Directives on Global Markets and EU Environmental Quality : an Integrated PE, Global CGE Analysis, Agriculture, Ecosystems and Environment, 142, pp. 102-109.
- A Broch, S.K. Hoekman et S. Unnasch. [2013] : A Review of Variability in Indirect Land Use Change Assessment and Modeling in Biofuel Policy, Environmental Science and Policy, 29, pp. 147-157.
- CARB [2010] : Land Use Change Effects for Soy Biodiesel and Renewable Diesel, disponible sur http://www.arb.ca.gov/fuels/lcfs/lcfs-background.htm#modeling
- A. Carpentier et E. Letort [2012] : Accounting for Heterogeneity in Multicrop Micro-Econometric Models : Implications for Variable Input Modeling, American Journal of Agricultural Economics, 94, pp. 209-224.
- Commission européenne [2012] : Impact Assessment Accompyning the Proposal for a Directive of the European Parliament And of the Council Amending Directive 90/70/EC Relating to the Quality of Petrol and Diesel Fuels and Amending Directive 2009/28/ EC on the Promotion of the Use of Energy From Renewable Sources, Commission staff working document SWD(2012) 343 final, disponible à http://ec.europa.eu/energy/renewables/biofuels/doc/biofuels/swd_2012_0343_ia_en.pdf.
- S. De Cara, A. Goussebaile, R. Grateau, F. Levert, J. Quemener et B. Vermont [2012] : Revue critique des études évaluant l’effet des changements d’affectation des sols sur les bilans environnementaux des biocarburatns, rapport ADEME disponible sur http://www2.ademe.fr/servlet/getBin?name=7AC5DFA02A2CE66DFDE000D7FA33AA56_tomcatlocal1333626720098.pdf.
- J. Dumortier, D. Hayes, M. Carriquiry, F. Dong, X. Du, A. Elobeid, J.F. Fabiosa et S. Tokgoz [2011] : Sensitivity of Carbon Emission Estimates from Indirect Land-Use Change, Applied Economic Perspectives and Policy, 33(3), pp. 428-448.
- R. Edwards, D. Mulligan et L. Marelli [2010] : Indirect Land Use Change from Increased Biofuels Demand : Comparison of Models and Results for Marginal Biofuels Production from Different Feedstocks, Scientific and Technical Reports of the Joint Research Center, Commission européenne, disponible sur http://ec.europa.eu/energy/renewables/consultations/doc/public_consultation_iluc/study_4_iluc_modelling_comparison.pdf
- A.E. Elobeid, M.A. Carriquiry et J.F. Fabiosa [2012] : Land-Use Change and GreenHouse Gas Emissions in the FAPRI-CARD model system : Addressing Bias and Uncertainty, Climate Change Economics, 3(3), pp. 1-26.
- A. Golub et T.W. Hertel [2012] : Modeling Land-Use Change Impacts of Biofuels in the GTAP-BIO Framework, Climate Change Economics, 3(3), pp. 1-30.
- H. Huang et M. Khanna [2010] : An Econometric Analysis of US Crop Yield and Cropland Acreage, discussion paper, Univ of Illinois, Urbana Champaign.
- R. Keeney et T.W. Hertel [2009] : Indirect Land Use Impacts of US Biofuels Policies : The Importance of Acreage, Yield and Bilateral Trade Responses, American Journal of Agricultural Economics, 91, pp. 895-909.
- D. Laborde [2011] : Assessing the Land Use Change Consequences of European Biofuel Policies, final report for the Directorate General for Trade of the European Commission, 111p. disponible sur http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2011/october/tradoc_148289.pdf
- D. Laborde et H. Valin [2012] : Modeling Land-Use Changes in a Global CGE : Assessing the EU Biofuel Mandates with the MIRAGE-BioF Model, Climate Change Economics, 3(3), pp. 1-39.
- M Rosegrant, C. Ringler, S. Msangi, T.B. Sulser, T. Zhu et S. Cline [2008] : International Model for Policy Analysis of Agricultural Commodities and Trade : Model Description, disponible sur http://www.ifpri.org/publication/international-modelpolicy-analysis-agricultural-commoditiesand-trade-impact-0.
- K. Salhofer [2001] : Elasticities of Substitution and Factor Supply in European Agriculture : A Review of Past Studies, annexe n°3, rapport de l’OECD Market Effects of Crop Support Measures.
- T.D. Searchinger, R. Heimlich, R.A. Houghton, F. Dong, A. Elobeid, J. Fabiosa, S. Tokgoz, D. Hayes et T. Yu [2008] : Use of Croplands for Biofuels Increase Greenhouse Gases Through Emissions from Land Use Change, Science, 319, pp. 1238-1240.
Notes
-
[1]
Plus précisément, voir la figure n°3 dans l’analyse d’impact accompagnant la proposition de révision des directives européennes relatives aux biocarburants (CE [2012]).
-
[2]
Les projections FAPRI établies en 2010 pour 2020 indiquent une surface arable mondiale de 862 754 milliers d’hectares.
-
[3]
En fait deux spécifications sont testées pour la substitution entre la terre et les engrais : soit une fonction CES, soit une fonction logistique. Laborde [2011] indique que le choix d’une spécification n’a pas de réel impact sur le calcul des CAS. Puisque dans la deuxième section de notre rapport nous utilisons le cadre GTAP-BIO qui, lui, n’adopte que des CES, les formules et résultats reportés ci-dessous utilisent la version CES.
-
[4]
Très exactement la valeur de l’élasticité de substitution entre le travail et l’agrégat comprenant le capital provient du fichier excel qui accompagne la publication et qui est disponible auprès de la CE. Dans ce fichier, nous retrouvons bien la valeur de l’élasticité de substitution entre les facteurs (0,07). En revanche, nous ne retrouvons pas la valeur de l’élasticité de substitution entre la terre et les engrais. Sa moyenne dans ce fichier sur l’ensemble des régions et cultures est de 0,06 (il n’est pas renseigné de valeurs pour la culture de palme, ce qui pourrait expliquer cette divergence). Les valeurs des élasticités de substitution sont calibrées à partir des valeurs synthétiques de Rosegrant et al. [2008].
-
[5]
Les cultures arables sont définies comme la simple somme des marchés de graines oléagineuses, des céréales et des cultures sucrières. Nous n’incluons pas ici les marchés des autres produits végétaux (tels que les fruits et légumes) qui ne sont pas distingués dans les cadres d’équilibre partiel susmentionnés. Les surfaces allouées à ces cultures sont évidemment prises en compte dans les surfaces totales. Notons que, même s’il est supposé une imparfaite mobilité des terres entre les activités, la sommation des surfaces est possible car le cadre GTAP-BIO corrige les écarts entre les hectares dits effectifs et les hectares récoltés (voir Golub et Hertel [2012]). La sommation sur les productions est un indice pondéré par les prix initiaux. Ces définitions sont évidemment communes aux différents résultats présentés et par ailleurs similaires à Edwards et al. [2010].