On n’oublie rien de rienOn n’oublie rien du toutOn n’oublie rien de rienOn s’habitue c’est tout
1Le poète traduit peut-être une réalité qui n’est pas évidente. Les personnes ont besoin de mémoire pour prendre des décisions rationnelles (Simon [1990]). La mémoire est le dépositaire des prémisses qui encadrent la prise de décision et la rendent cohérente avec son objet et son environnement. L’absence de mémoire est synonyme d’incohérence, de désordre, de comportements irrationnels (Simon [1990]). Le contenu de la mémoire est donc un enjeu critique pour le fonctionnement des organisations. Qu’un élément de mémoire y soit actif ou dormant peut faire toute la différence. Lorsqu’un élément est dormant, on parle d’oubli. Les travaux sur cet aspect suggèrent que cet oubli n’est jamais définitif (de Holan et Phillips [2004]). Il est simplement temporaire, sujet aux circonstances et aux contingences vécues par l’individu et l’organisation.
2L’oubli a cependant des implications considérables pour le fonctionnement des organisations. D’abord, il est intimement lié à l’apprentissage organisationnel. En effet, dans les prémisses de la décision, l’organisation souhaite introduire les ajustements et les modifications que l’expérience enseigne. Cela signifie que l’individu prenant la décision doit répondre davantage à des impulsions nouvelles et moins à des impulsions anciennes. L’oubli affecte les unes et les autres. Les impulsions anciennes s’imposent parce qu’elles ne nécessitent que peu d’énergie pour être rappelées. On a du mal à les oublier. Tandis que les impulsions nouvelles sont encore imparfaitement comprises et requièrent un niveau d’attention, et donc d’énergie, beaucoup plus grand pour devenir opérationnelles. On a tendance à les oublier. Il convient aussi de rappeler pourquoi l’oubli dans les organisations constitue un problème stratégique. Désapprendre consomme du temps et des ressources dans des proportions parfois plus importantes que ne le réclame l’apprentissage.
3Depuis les travaux pionniers de Wright [1936] sur les courbes d’apprentissage, peu d’études ont tenté d’expliquer les courbes de désapprentissage. Le champ de l’ingénierie confronté à ce phénomène a pourtant produit des éléments explicatifs intéressants. Le temps y trouve une place centrale comme dans les travaux de Globerson et al. [1989] ou encore ceux de Dar–El et al. [1995] où l’oubli sur la base de travaux empiriques est une fonction de l’apprentissage et de la longueur de l’interruption de l’ancienne connaissance. Pour Arzi-Shtub [1997] l’importance de l’oubli dépend de l’intensité et du degré d’achèvement de l’apprentissage provenant à la fois de la durée de la période de formation et de la fréquence des interruptions subies par le salarié. Les auteurs analysent, par exemple, les effets de l’interruption d’une formation reçue dans un contexte de forte rotation des employés. Dans cette lignée de travaux d’ingénierie sur ce thème, Argote et al. [1996] montrent par exemple que les connaissances peuvent décliner du fait du turnover des employés, du changement des produits ou de la technologie rendant les connaissances passées obsolètes, ou encore si les préconisations techniques sont simplement perdues par l’entreprise.
4Dans tous ces travaux, la tonalité vis-à-vis du phénomène de l’oubli est négative. « Learning is the essence of progress, forgetting is the root of regression » écrit en guise d’épitaphe un éminent représentant de cette perspective et auteur du Handbook en ingénierie industrielle, Badiru [1994]. L’oubli y est principalement perçu comme une perte de connaissance. Ces travaux se focalisent essentiellement sur un phénomène individuel d’oubli lié à l’intensité de l’apprentissage passé et sur la durée de l’interruption dans l’usage d’une routine (Shafer, Nembhard et Uzumeri [2001] ; Nembhard et Osothsilp [2001]). Dans une perspective psychologique individuelle (Hovland, [1951]) l’oubli est lié à une faible similitude entre les conditions de l’encodage et la rétention du matériel appris, de l’interférence entre les anciennes et les nouvelles connaissances, et enfin de la durée d’une interruption. Or, nous pensons que dans un environnement dynamique mondialisé où les cycles de vie des produits, des technologies ainsi que des phases de conception se sont considérablement réduits, l’oubli est indissociable de l’apprentissage et participe à la capacité d’adaptation nécessaire à l’entreprise. Dans son analyse des effets des crises sur la survie des entreprises, Hermann [1963] relève déjà que celles-ci meurent rarement du fait d’un oubli mais plutôt du fait de la persistance d’une mémoire trop riche manquant de flexibilité.
5L’apprentissage est aussi le résultat d’une expérimentation menée au niveau de l’organisation. L’oubli qui en découle revêt une dimension organisationnelle qui dépasse alors la stricte dimension individuelle. Les impulsions ne sont que des objets soumis au jugement et à la stratégie des acteurs. Elles sont d’abord « ostensibles », c’est-à-dire parfaitement lisibles, un peu comme le seraient des structures ou une partition musicale, pour reprendre la terminologie de Feldman et Pentland [2003]. Mais ce que les acteurs en font relève d’un acte riche et créatif qui prend en compte à la fois le contenu manifeste des impulsions, mais aussi le sens qu’on peut leur donner dans l’action. Il en résulte une traduction de ces impulsions à travers l’action et la mise en œuvre dans l’organisation, traduction que Feldman et Pentland [2003] appellent « performative », c’est-à-dire réalisée comme la performance musicale du concert par rapport à la partition. Ainsi, ce dont on se souvient et ce qu’on oublie ne sont que très partiellement contrôlés par l’organisation. L’oubli est considérablement influencé par l’énergie requise pour se rappeler et par les informations, les connaissances et les intérêts des acteurs concernés.
6La perspective managériale de l’oubli nous offre une dimension organisationnelle du phénomène au sein des entreprises. Combinant l’approche du changement organisationnel et les mécanismes de prise de décision, elle offre un cadre original qui permet de mieux comprendre le lien qu’entretiennent la mémoire et l’oubli dans les organisations. Nous adopterons le cadre d’analyse développé par les spécialistes de l’apprentissage dans les organisations (March et Olsen [1975] ; Argyris et Schön [1978]) ainsi que celui offert par l’analyse de la prise de décision (Simon [1945]) mettant en relation les prémisses de la décision et l’action qui en découle. Dans cette perspective organisationnelle (Hedberg [1981]), l’oubli apparaît comme un phénomène intrinsèquement lié à l’apprentissage et il acquiert alors une dimension hautement stratégique dont l’adaptation de l’entreprise dépend de façon significative. Il devient une condition fondamentale du pilotage stratégique au même titre que l’apprentissage permettant aux organisations d’être flexibles dans un environnement où la vitesse fournit très souvent l’avantage compétitif. Nous préciserons le modèle d’apprentissage-désapprentissage des organisations et le complèterons sur la base d’études de cas dans le but de mieux comprendre le rôle que peut jouer le management.
7Lorsque des dirigeants veulent réaliser un changement, ils souhaitent avoir un contrôle convenable sur les relations de cause à effet. Que l’oubli introduise alors autant d’aléas dans la prise de décision par les acteurs et donc dans la réalisation du changement devient pour eux un vrai problème. Ils sont alors conduits à vouloir tout faire pour le gérer au mieux (de Holan et Phillips [2004]). Dans cet article, nous explorons cet effort de gestion de l’oubli. Nous n’en étudions pas les mécanismes physiques et psychologiques, nous adoptons délibérément une perspective de prise de décision. Nous examinons d’abord comment la prise de décision est affectée en revenant aux travaux de Simon [1990], March [1991] et leurs collaborateurs de l’école Carnegie. Nous discutons ensuite de l’oubli pour clarifier le concept et voir son effet sur la prise de décision, avant de proposer une théorie du processus de gestion de l’oubli que nous confrontons à trois cas détaillés. Le premier de ces cas est celui où une gestion équilibrée de l’oubli permet une prise de décision cohérente dans l’espace et le temps. Le deuxième présente une situation où la gestion de l’oubli correspond à un effacement périodique de la mémoire, mettant l’organisation en situation de réinvention permanente de ses routines stratégiques. Dans le troisième, la conformité à des normes, à des valeurs fortement affirmées par la direction générale de l’entreprise va conduire à l’oubli forcé de certaines routines. Ces cas illustrent la théorie et permettent de la compléter dans l’optique de la gestion de l’oubli. Si l’oubli est soumis à autant d’aléas et d’intervention des acteurs, peut-on vraiment le gérer ? Dans l’affirmative, comment faire pour que cette gestion débouche sur des décisions cohérentes et favorables aux objectifs de l’organisation ?
Les mécanismes psychologiques de la prise de décision
8Fasciné par la similitude entre les processus de résolution de problème des personnes et ceux de la rationalité instrumentale tels qu’utilisés pour programmer des ordinateurs à résoudre des problèmes, Simon ([1981] et [1990]) a révélé plusieurs mécanismes cruciaux pour la prise de décision humaine et en particulier pour cette prise de décision qui présente des caractéristiques en apparence éloignées de celle du calcul classique, la créativité humaine. Nous voudrions en particulier retenir deux points importants :
- deux aspects interviennent dans la rétention des informations et des valeurs, donc sur leur pouvoir mobilisateur, i) les aspects informationnels qui se réfèrent à une expérience intellectuelle liée aux faits pris en compte dans la prise de décision, et ii) les aspects émotionnels qui se réfèrent à l’intensité des sentiments qui sont mobilisés lors de la prise de décision ;
- la décision est influencée par des prémisses-factuelles et par des prémisses-valeurs.
Expérience intellectuelle et expérience émotionnelle
9Citant Leonard Meyer, qui examinait le caractère systématique de l’expérience musicale, Simon [1981] écrit : « Selon Meyer, la musique gouverne l’attention parce qu’elle contient des formes organisées qui peuvent être détectées et reconnues par l’auditeur. Si ces formes sont d’une complexité appropriée, (le niveau de complexité dépendant de l’expérience musicale de l’auditeur, par exemple, et de son aptitude à les reconnaître), elles retiendront l’attention. Elles susciteront aussi des espoirs, qui seront ensuite satisfaits ou frustrés, éveillant ainsi l’émotion. L’expérience musicale est donc tout à la fois une expérience intellectuelle (une reconnaissance de formes) et une expérience émotionnelle ; et la qualité d’un morceau de musique dépend sans doute de sa richesse dans l’exploration de ces deux dimensions ».
10Nous pouvons argumenter que l’intensité de la rétention en mémoire est liée non seulement à la qualité des informations qui entrent en jeu dans la résolution de problème associée à la prise de décision, mais aussi à l’intensité émotionnelle associée à la décision en question. Ainsi, une décision qui a suscité beaucoup d’émotion va mobiliser la mémoire de manière plus permanente qu’une décision qui n’a suscité que peu d’émotion. Lorsqu’une décision doit être prise, elle est généralement gouvernée par l’expérience émotionnelle passée des participants. Une décision qui rappelle une expérience émotionnelle forte va mobiliser l’attention du décideur. Celui-ci va se souvenir sans mal des détails qui ont gouverné la décision précédente, et il est fort probable que ces détails gouverneront la nouvelle décision à prendre.
11Ce mécanisme est à la base des processus de gestion des organisations. Le dirigeant obtient la collaboration des membres en faisant appel à leur mémoire des expériences émotionnelles passées. Ainsi, l’autorité peut rappeler des expériences négatives ou positives selon les mécanismes de récompense ou punition qui ont été associés à son application. Ce mécanisme de rappel des expériences passées se fait constamment dans le management des organisations. Lorsqu’on veut changer des pratiques, c’est contre ce processus qu’on est obligé de lutter. Pour changer les pratiques, il faut susciter le phénomène d’oubli. Comment peut-on susciter l’oubli d’une expérience émotionnelle ?
12D’abord, l’expérience émotionnelle est associée à une expérience intellectuelle de collecte et de traitement de l’information factuelle. On pourrait penser que l’expérience intellectuelle est une sorte de déclencheur de l’expérience émotionnelle. L’action première relative à l’oubli est celle de la modification de l’expérience intellectuelle associée. C’est là qu’interviennent les prémisses de la décision.
Prémisses de la décision
13Comme le décrit Simon [1945], une décision est contrôlée par des prémisses-factuelles et des prémisses-valeurs. Les prémisses-factuelles correspondent, par exemple, aux informations qui entrent dans la prise de décision d’une personne. Ces prémisses sont définies de multiples façons. Traditionnellement, la première source de prémisses-factuelles dans les organisations est la structure organisationnelle. En effet, les liens entre activités définissent aussi quelles sont les informations légitimes à prendre en compte pour une décision. Par exemple, le responsable des approvisionnements prend en compte le niveau des stocks mais aussi les informations du service de la production quant à l’utilisation des matières, et celles du service de l’entretien quant à l’utilisation des pièces de rechange. Il prend également en compte les informations fournies par les responsables financiers quant au budget disponible et peut-être aussi par la direction générale quant aux politiques d’approvisionnement. A ces prémisses-factuelles structurelles, s’ajoutent des prémisses plus ponctuelles basées sur le pouvoir de discrétion des niveaux hiérarchiques. Le pouvoir discrétionnaire force la prise en compte d’informations complémentaires, soit parce qu’elles ont été générées ailleurs dans l’organisation, soit parce que le responsable hiérarchique y a eu accès par d’autres sources, y compris des sources extérieures, et considère cela comme pertinent pour la décision à prendre. Egalement, peuvent intervenir des faits nouveaux liés à la performance de l’entreprise et à ses rapports avec l’environnement (concurrents, réglementation, etc.).
14Les prémisses-factuelles ne peuvent se contredire sans générer des problèmes importants pour l’intégrité du processus de la prise de décision. En effet, lorsque les informations générées par la structure sont contredites par des événements nouveaux liés à l’environnement, le décideur a besoin d’une orientation sur la façon de réconcilier ces faits. Les recommandations du responsable peuvent constituer cette orientation, laquelle ne peut avoir d’effet que si elle est considérée comme légitime, c’est-à-dire comme acceptable compte tenu de l’expertise du dirigeant, de l’expérience passée et des valeurs. C’est là que les prémisses-valeurs jouent un rôle important.
15Les valeurs interviennent dans la prise de décision comme mécanisme de priorisation. Simon considérait que c’était des objectifs d’un niveau élevé qui s’imposaient alors aux niveaux plus bas. Par exemple, un objectif du type : « nous voulons être numéro 1 ou numéro 2 dans notre marché », devient une valeur à respecter pour les niveaux inférieurs. Habituellement, cependant, les valeurs sont suffisamment générales pour ne pas susciter de référence fréquente aux décideurs. Ainsi, si nous reprenons l’objectif d’être numéro 1 ou 2 sur le marché, cet objectif n’intervient pas dans toutes les décisions, bien qu’il puisse influencer à un moment donné l’accent qui peut être mis sur la qualité ou sur les coûts. Lorsqu’on se réfère aux valeurs, c’est généralement s’il y a conflit dans la prise de décision et qu’une priorisation est nécessaire. Cela arrive lorsqu’on est face à des événements inattendus ou en cas de crise.
16Lorsque la priorisation est nécessaire les valeurs viennent réconcilier des faits qui, en apparence, se contredisent. Par exemple, en 1979, R. Jones, président de GE, a fait l’acquisition d’une grande entreprise de charbon, alors que le charbon était un domaine neuf pour GE et que Jones lui-même n’était pas qualifié, sinon financièrement, pour prendre une telle décision. Cette décision contredisait toutes les pratiques de management dans GE. Elle a été rationalisée comme symbolisant l’encouragement que Jones voulait fournir à ses dirigeants de prendre des risques. D’ailleurs, l’entreprise en question a été revendue lorsque le message de Jones a été compris par ses collaborateurs (Aguilar et Hamermesh [1991, 1993]).
17Les prémisses doivent être cohérentes avec les pratiques de l’organisation. Si elles introduisent une rupture trop grande, elles désorientent les responsables de l’organisation et les membres, et ne jouent plus leur rôle mobilisateur. Les meilleures prémisses sont donc constamment en accord avec les expériences du passé. Elles ne peuvent en tout cas se démarquer du passé que de manière incrémentale. Une grande déviation doit être justifiée pour être acceptable et cela ne se produit qu’en situation de crise. Les prémisses sont donc généralement des signaux qui peuvent être interprétés comme appelant des expériences passées à influencer les décisions du moment. C’est pour cela que Nelson et Winter [1982] ont proposé que les routines jouent ce rôle. Les routines sont des prémisses qui orientent si nécessaire. Elles sont difficiles à changer selon ces auteurs. Elles sont aussi le résultat d’apprentissages longs et parfois difficiles (Cyert et March [1992]).
18On voit alors le lien entre prémisses et aspects de la décision. Les prémisses sont des règles de décision. Elles sont souvent le résultat d’apprentissages difficiles qui impliquent des récompenses et des punitions pour les acteurs concernés. Elles sont donc associées à des expériences non seulement intellectuelles mais aussi émotionnelles.
Le mécanisme de l’oubli dans les théories de l’apprentissage organisationnel
19La recherche en stratégie a vu avec force émerger ces dernières années le concept d’apprentissage individuel et collectif qui s’est peu à peu imposé comme un atout concurrentiel essentiel. Relativement peu de place fut accordée à son corollaire, le désapprentissage. Pourtant, si le premier requiert quelques habiletés organisationnelles peu courantes, on s’accorde à penser que désapprendre relève parfois d’un exercice plus périlleux encore. En effet, désapprendre correspond à une activité impossible pour certains (voir la notion d’« empreinte organisationnelle » de Stinchcombe [1965]), délicate et consommatrice de temps et de ressources pour d’autres (Argyris et Schön [1978]). Dans sa comparaison entre les attitudes différentes vis-à-vis de l’apprentissage entre General Motors et Honda, Pascale [1991] met en évidence deux formes d’apprentissage. La première, conforme à la stratégie de l’entreprise américaine, est basée sur des changements incrémentaux qui s’éloignent peu des sources de performances passées de l’entreprise. La seconde, mise en œuvre par l’entreprise japonaise, est plus audacieuse et s’éloigne volontiers des bases de connaissances pour explorer de nouvelles pistes. Les caractéristiques de l’apprentissage chez Honda par rapport à celles propres à General Motors reposent sur cette capacité à changer les habitudes individuelles et à rechercher constamment à repositionner la stratégie de l’entreprise par rapport à la concurrence, c’est-à-dire à agir sur cette capacité à oublier.
20Par ailleurs, si l’action d’apprentissage semble liée à l’acte de désapprendre (Bettis et Prahalad [1995]), on peut suggérer que cet acte est parfois plus délicat à mettre en œuvre dans les organisations. Ainsi, désapprendre, lorsque l’acte initial d’apprentissage s’est réalisé sur la base de cycles incomplets, comme le montrent March et Olsen [1976], est une opération plus difficile encore dans les organisations. Des cycles incomplets de désapprentissage pourraient être à l’origine de nombreux dysfonctionnements organisationnels, surtout s’ils sont eux-mêmes issus de cycles ambigus d’apprentissage.
L’oubli dans le modèle de sélection-rétention
21Dans sa synthèse sur les phénomènes d’apprentissage et de désapprentissage dans les organisations, Hedberg [1981] pointe deux formes de désapprentissage. La première correspond à un phénomène abrupt où le désapprentissage est simultané au réapprentissage. Postman et Underwood [1973] expliquent, par exemple, que ce mécanisme est à l’œuvre lorsqu’une relation causale issue de l’observation (B suit toujours A) est remise en cause suite à une nouvelle observation contradictoire (C suit toujours A). La première causalité est soudainement oubliée dans un processus de remplacement immédiat. Dans cette perspective, le réapprentissage apparaît en même temps que l’action de désapprentissage. Oubli et apprentissage sont les manifestations d’un même phénomène. Mais on peut considérer par ailleurs comme Feigenbaum et Simon [1961], puis Simon [1971], que l’apprentissage correspond au contraire à un phénomène graduel. Le désapprentissage est alors séparé dans son déroulement du réapprentissage. Ce ne sont plus deux faces d’une même pièce, mais deux phénomènes séparés qui se déroulent graduellement à force d’observations empiriques contradictoires. Cette conception est compatible avec les nombreuses théories qui lient la mémoire à un processus de réallocation dynamique basé sur la fréquence d’observation (Feigenbaum [1970]).
Le modèle de sélection-rétention selon Hedberg
Le modèle de sélection-rétention selon Hedberg
22Le modèle de sélection-rétention (Campbell [1959]) qui caractérise le phénomène d’apprentissage, permet de situer les réflexions sur le désapprentissage. Ce modèle générique offre un cadre d’analyse intéressant. Il met en relation les stimuli (ou prémisses) provenant de l’interprétation par l’entreprise de son environnement avec les réponses qu’elle apporte et qui proviennent de son répertoire de comportement. Postman et Underwood [1973] concluent, par exemple, que la principale activité d’oubli dans les organisations se situe au niveau de la perception des stimuli. Pour Hedberg, en revanche, l’oubli va se loger à trois niveaux dans ce schéma. Il reprend l’idée de Postman et Underwood, renforçant le fait qu’un désassemblage va avoir lieu au niveau de la sélection des stimuli (ou prémisses) retenus comme pertinents pour l’entreprise. Mais il enrichit cette vision de l’oubli par deux autres sources, l’une affectant les comportements et les réponses de l’organisation (ensemble des routines développées), l’autre transformant les connections généralement faites par l’entreprise entre les stimuli et les réponses apportées.
Ses limites
23Le travail sur la mise en routine comme phénomène naturel d’oubli trouve un écho intéressant dans les travaux de Ashforth et Fried [1988] à travers leur notion de « mindlessness » (mise en mémoire) organisationnelle, puis, plus récemment, chez Feldman et Pentland [2003] dans leur analyse de la mise en œuvre des routines. Ces auteurs montrent que finalement la routine nouvelle s’impose et conduit à l’oubli de pratiques passées si et seulement si les acteurs se l’approprient. Les travaux d’inspiration évolutionniste sur les routines mettent en évidence ce processus de résolution de situations complexes et de renouvellement des pratiques de travail (Winter [1990] ; Feldman [2000] ; Feldman et Pentland [2003] ; Becker, Salvatore et Zirpoli [2005]).
24Entre la formulation de la routine dans sa dimension « ostensible » (correspondant à ce qui est donné à voir : programme, heuristique, mode opératoire, norme organisationnelle, script, framework…) et sa mise en œuvre (selon les auteurs, sa dimension « performative »), il semble qu’un certain nombre de caractéristiques de l’organisation conditionnent fortement l’adoption d’une nouvelle routine (situation d’oubli radical) ou sa transformation (situation d’oubli progressif). Feldman et Pentland proposent comme interface organisationnelle entre ces deux dimensions trois caractéristiques des organisations qui vont influencer le processus de transformation des routines.
Interprétation des agents
25Le caractère plus ou moins subjectif de la perception par les agents de la routine fait une place importante à l’interprétation. « Thus, ironically, routines exist as objects because of our subjective understandings of them » (Feltman - Pentland [2003], P. 109).
Mécanismes de coordination
26La mise en œuvre des routines renvoie à une dimension interactive forte entre les individus à travers la hiérarchie mais aussi dans leur relation « écologique » de dépendance mutuelle et informelle. Notre point de vue est que la possibilité d’avoir des liens plus ou moins « lâches » conditionne fortement la mise en œuvre de la routine. Feldman et Pentland écrivent : « …individual engaged in organizational routines do not act alone, or independently. The interdependance of actions can set practical constraints on individuals that are unique to particular performances », p. 110.
Le pouvoir dans l’organisation
27La mise en place de routines traduit une prééminence en termes de pouvoir du management sur les fonctions techniques ou scientifiques. « Individuals or groups with power to identify particular performances as « routine » have the power to turn exceptions into rules and, thus ; to enact the organization in ways they think appropriate », affirment les auteurs p. 110. Ainsi, une plus ou moins grande autonomie des acteurs de l’organisation va conditionner la transformation de la routine, et par voie de conséquence, l’oubli progressif nécessaire à l’évolution. Par ailleurs, sans aller jusqu’à l’innovation, la simple possibilité pour les agents de participer à l’amélioration continue, de faire des suggestions sur leurs pratiques de travail, de générer de l’apprentissage endogène, va changer les conditions d’évolution des routines, et par là même, la capacité d’oubli dans l’organisation. Nous retrouverons cet aspect de l’oubli dans notre modèle dans la capacité des agents à activer ou désactiver les prémisses ou encore à changer les patterns de décision.
28Dans ces travaux, l’éclairage du phénomène d’oubli reste essentiellement individuel et peu de choses sont dites sur les facteurs dans la prise de décision qui influencent la perte de mémoire organisationnelle. Mais surtout, l’oubli dont il est question reste inconscient et naturel dans les organisations. Le travail de Martin de Holan et Phillips [2004] basé sur une analyse de plusieurs cas, puisés dans des chaînes d’hôtels à Cuba, fait apparaître une dimension managériale intéressante de l’oubli. Au côté de formes plus accidentelles d’oubli dues à des phénomènes de dissipation de nouvelles connaissances ou de dégradation de celles en place, les auteurs font apparaître des formes volontaires d’oubli. La première repose sur le refus d’adopter de nouvelles connaissances du fait de leur inadaptation aux valeurs ou à la culture de l’organisation qui les reçoit. Ainsi, des innovations potentielles seront abandonnées. La seconde forme pointe la nécessité d’oublier certaines pratiques organisationnelles afin de s’adapter à des situations nouvelles : « We hypothesize that knowledge acquisition without active processes of forgetting will result in imperfect adoption, increasing its instability and reducing its overall impact on organizational performance. », affirment les auteurs p. 9. Malgré l’intérêt de ce travail empirique, la connaissance des éléments qui influencent l’oubli dans sa dimension stratégique reste floue, et les catégories de l’oubli répertoriées souffrent de l’absence d’un cadre théorique intégrant les influences du management. C’est à cet objectif que nous destinons le présent travail en proposant un modèle d’oubli volontairement situé au niveau de l’organisation tout en intégrant les connaissances accumulées en matière de mémoire individuelle, et en mettant en évidence le rôle joué par le management en tant qu’acteur stratégique, instigateur, manipulateur impliqué dans la conduite des organisations.
Des évidences empiriques du phénomène d’oubli influencé par le management
29Nous allons confronter ce modèle sélection-rétention (S-R) à trois cas particulièrement significatifs en matière d’oubli. Le cas Nortel a fait l’objet d’une thèse de doctorat en sociologie des organisations à l’université de Montréal (Soussi [2000]). Dans ce cas, la poussée managériale importante agissant sur l’oubli est celle correspondant à l’accumulation spécialisée sous la pression concurrentielle. Le cas Valeo a fait l’objet de plusieurs publications (Lambert et Schaeffer [2010 a et b]) sur la modularisation des technologies. Il peut être considéré comme mû par une poussée intégratrice. Le cas Renault, enfin, a fait l’objet à la fin des années 1980 de nombreux travaux du groupe de recherche de l’école des Mines de Paris, le CRG (Aggeri [1992]). Il illustre le désir de la direction générale de valoriser des apprentissages qui sortent du cadre de la décision considérée et donc serait plutôt une forme de comportement institutionnalisée de l’oubli.
Le cas Nortel : les prémisses comme résultat inattendu des transformations technologiques
Position de départ
30Nortel est l’entreprise canadienne qui a suscité le plus d’engouement depuis sa création en 1895 sous le nom de Northern Electric and Manufacturing Company. Jusqu’en 1949, l’entreprise était une filiale de Bell Canada et de Western Electric, la compagnie d’équipement d’AT&T. En 1949, AT&T ayant un véritable monopole de services téléphoniques aux Etats-Unis, l’entreprise fut obligée par les autorités antitrust américaines de vendre ses parts dans Northern à Bell Canada. Cela déclencha une nouvelle stratégie de développement indépendant, notamment au plan technologique. L’entreprise renommée Nortel fut l’un des pionniers de la fibre optique et du digital. Ses systèmes de connexion digitaux lui ont donné une avance substantielle au plan concurrentiel et ont facilité une croissance explosive qui a démarré à partir de 1977, avec le développement de sa ligne de produits de connexion digitale DMS.
La nécessité du changement
31Soussi [2006] a examiné, dans une perspective sociologique, une transformation technologique qui a eu un effet considérable sur les rapports à l’intérieur de l’entreprise et notamment sur les pouvoirs respectifs des différentes catégories de personnels. Dans la tradition de Nortel, les ingénieurs étaient des créatifs qui avaient beaucoup de discrétion et qui intervenaient de manière directe et régulière sur les processus de réalisation des produits, et parfois même sur la nature des produits eux-mêmes. Cet aspect s’est trouvé à la base des grandes avancées technologiques de Nortel ainsi que de sa réputation. Les gestionnaires de Nortel trouvaient cependant ce processus très coûteux et voulaient trouver un mécanisme pour en réduire les coûts. Sous la pression de la concurrence dans le secteur, ils voulaient des adaptations en matière d’efficience avant d’être contraints à des décisions brutales sous la pression du marché. Ils étaient aussi un peu irrités par le pouvoir considérable que les ingénieurs de Nortel avaient acquis avec le temps. Pour avoir un effet sur le système technologique et ultimement sur la gestion de l’entreprise, les gestionnaires devaient amener les ingénieurs eux-mêmes à changer le système. Ils les associèrent à la réflexion sur les problèmes de coûts auxquels l’entreprise était confrontée et les mirent au défi de trouver une solution technologique nouvelle. Les faits (les problèmes de coûts et de concurrence), les expériences positives des ingénieurs Nortel dans le passé (et leurs succès), ainsi que le cas normatif qui voulait que le problème de coût dépende de l’activité de design pour lequel les ingénieurs sont les plus qualifiés, tout cela a amené le travail sur un nouveau système.
Le processus de changement
32Les ingénieurs de Nortel, confiants dans leur capacité à transformer le système technologique, demandèrent les ressources requises pour tenter une expérience unique d’automatisation de processus et obtinrent toutes les ressources demandées. Ils eurent ainsi la charge d’un projet unique, stimulant au plan technologique et enthousiasmant par l’importance de ses effets concurrentiels éventuels. Tout le management de l’entreprise était alors suspendu aux décisions très discrétionnaires que les ingénieurs étaient autorisés à prendre. Seul l’objectif était imposé, ou pratiquement auto-imposé devrait-on dire. Les ingénieurs élaborèrent un système de grande qualité qui transformait radicalement l’identité professionnelle du groupe et plus tard le mode de fonctionnement de l’entreprise et même son noyau de compétence.
33En simplifiant, on dira qu’une nouvelle technologie de production, plus automatisée, a été conçue et mise en œuvre. Elle a permis de répartir les ingénieurs en deux grands groupes : i) les ingénieurs chargés des opérations du nouveau système technologique, le plus grand nombre ; la tâche de ces professionnels a été considérablement simplifiée par l’automatisation, leur pouvoir de négociation avec la direction a été considérablement diminué par la compression de l’incertitude liée à leur tâche, et leur fonction technicienne a été socialement dévalorisée (Crozier et Friedberg [1977]) ; ii) un groupe du savoir technique, beaucoup plus réduit, des « super ingénieurs » qui contrôlaient l’investigation technique et le développement, mais qui avait de ce fait un pouvoir de négociation beaucoup plus grand au détriment du premier groupe et de la ligne hiérarchique.
34Cette transformation a mené les gestionnaires à une décision logique, liée à la préoccupation de réduction des coûts de départ, d’externalisation d’une grande partie de l’activité de production. Selon beaucoup d’observateurs de Nortel, cette transformation s’est par la suite révélée très dommageable pour l’entreprise parce qu’elle a détruit ses capacités dynamiques et son avantage concurrentiel par rapport à ses concurrents. Ils attribuent les problèmes que l’entreprise a connus à partir de l’année 2000 à cette dérive stratégique majeure.
L’oubli
35Pour revenir au modèle, on peut dire que de nouvelles prémisses de décision ont ainsi été activées et d’autres, liées à l’ancien système, ont été désactivées. Ces prémisses, au départ spécialisées et techniques, ont été intégrées au désir de la haute direction de garder l’entreprise compétitive. Elle a mené, par confrontation aux besoins globaux de l’entreprise, décider que ce qui est automatique ne fait pas partie du noyau technologique et peut donc être imparti, ce qui fut fait. Finalement, l’institutionnalisation d’un comportement attentif aux aspects financiers a dévalorisé les aspects techniques et affaibli Nortel dans ses actions concurrentielles. Elle s’est lancée dans une série d’acquisitions pour contrer cet affaiblissement, ce qui a abouti, avec l’éclatement de la bulle boursière de 2002, à un véritable crash pour l’entreprise.
36La poussée essentielle est donc celle qui a abouti à l’automatisation des processus. La généralisation et les décisions qui ont suivi ont été un résultat, dans ce cas assez inattendu, de cette première poussée. L’externalisation puis l’institutionnalisation des questions financières au détriment de la technique, sont des dérivées de la première poussée.
37En matière d’oubli, la pression concurrentielle sur les coûts a amené à contextualiser les connaissances acquises précédemment et à les mettre en cause. Elles devenaient obsolètes. La recherche d’un nouveau système de production par les ingénieurs rendit progressivement les apprentissages précédents peu pertinents et a amené la transition vers les nouveaux apprentissages, malgré le coût politique et identitaire pour les groupes concernés. Les apprentissages rigides ont ainsi été balayés facilement. En revanche, l’entreprise continue de se battre avec les apprentissages flexibles. Aujourd’hui beaucoup de cadres supérieurs et d’analystes externes argumentent que Nortel, en abandonnant ses connaissances organisationnelles sur le système de production, a abandonné un lien essentiel pour le développement technologique et recommandent un retour aux fondements du métier, soutenu par les différents groupes de cadres et d’employés.
Le cas Valeo ou la recherche par un méta-management de l’oubli stratégique des métiers
Position de départ
38Valeo est une grande entreprise qui fournit des pièces de rechange et des sous-systèmes aux entreprises automobiles. Entreprise sans grande capacité distinctive au départ, Valeo est devenue, avec le temps, un leader technologique et de marché dans plusieurs domaines d’activité. Nous avons étudié les systèmes d’éclairage pour lesquels elle est devenue un leader mondial.
La nécessité du changement
39Les dirigeants de Valeo, soucieux de maintenir l’avance technologique de l’entreprise en matière d’éclairage automobile, se sont rendu compte que l’entreprise était arrivée aux limites des possibilités d’amélioration à l’intérieur du paradigme d’éclairage existant. Leurs ingénieurs, toujours imprégnés par les théories et pratiques dominantes, ne semblaient pas voir la nécessité de changer de cadre d’étude et de réflexion. Pour amener cela, les gestionnaires ont alors décidé de créer ce qu’ils ont appelé des méta-niveaux d’analyse et de réflexion, dont l’objet était de changer la compréhension même de l’objet des études sur l’éclairage. Ces méta-niveaux faisaient aussi appel à des spécialités qui n’étaient pas seulement les spécialités traditionnelles de l’éclairage mais encourageaient une fertilisation croisée entre technologies. Ce faisant, les gestionnaires ont forcé le choix de prémisses de décision qui favorisait l’intégration plutôt que la spécialisation.
Le processus de changement
40Ainsi, par exemple, au lieu de penser éclairage, ces niveaux ont suggéré que les personnes chargées de l’éclairage commencent à penser plutôt confort de conduite et songent non seulement à améliorer la nature (couleur et focalisation) de l’éclairage et son intensité, préoccupations traditionnelles des personnes concernées, mais aussi à modifier d’autres facteurs qui peuvent affecter la visibilité. Notamment des rayonnements infrarouges captés par des radars offriraient une image comme en plein jour sur un écran intérieur et amélioreraient la visibilité, sans toucher à l’éclairage lui-même. D’autres facteurs, comme la mobilité de l’éclairage en relation avec l’intention des conducteurs, en particulier dans les virages, pouvaient aussi apporter des modifications sensibles au confort et à la visibilité. De nombreuses autres possibilités ont été mises au jour et explorées de manière systématique.
41Le processus n’est pas encore achevé, mais on soupçonne que cela conduira à des transformations nouvelles des activités. Ainsi donc, l’intervention managériale pour modifier la définition du problème a amené plus d’intégration parmi les technologies disponibles à l’interne et à l’externe sur d’autres systèmes et a alors transformé la façon de penser au problème de l’éclairage. En retour, on peut s’attendre à ce que cela conduise toutes les divisions de produits à penser en dehors des sentiers battus en suscitant la collaboration et l’interpénétration avec d’autres secteurs technologiques et avec des intervenants externes. Cette façon de penser pourrait progressivement être institutionnalisée et changer profondément le fonctionnement de l’entreprise.
42Finalement, les spécialités elles-mêmes seront forcées de se transformer considérablement, devenant beaucoup plus sophistiquées, avec une formation différente des ingénieurs et techniciens et avec des exigences nouvelles de développement de nouveaux savoir-faire spécialisés, sources de nouveaux avantages concurrentiels. Ces savoir-faire spécialisés seraient toutefois pénétrés par la nouvelle philosophie d’innovation, plus intégratrice et plus attentive à l’apport de sciences et de technologies nouvelles. Les spécialistes de l’éclairage pourraient devenir des intégrateurs utilisant, entre autres, les technologies de l’éclairage mais en relation avec d’autres technologies connexes.
43Avec la poussée au départ d’intégration, qui s’est exprimée par la mise sur pied de méta-niveaux d’intégration et par la définition plus large du problème de l’éclairage, nous nous attendons à sa prolongation par une institutionnalisation de la nouvelle façon d’aborder les problèmes de développement de produits, centrée sur une compréhension plus fine du besoin du consommateur. Cette institutionnalisation nécessitera ensuite des développements spécialisés nouveaux pour répondre à des besoins réellement nouveaux.
L’oubli
44En matière d’oubli, on voit bien que là aussi l’intervention des dirigeants à un niveau intégrateur nouveau a contribué à « rigidifier » certains apprentissages anciens, facilitant leur oubli au profit des apprentissages nouveaux et stimulants autour de la fertilisation croisée, entre technologies et avec des acteurs externes. Dans ce cas là, l’oubli ne concernait pas les techniques de la spécialité mais leur utilisation contextualisée. On devait maintenant ne concevoir ces techniques que comme un élément dans un ensemble plus vaste. En ce sens, leur position a été déracinée pour être replacée dans un paquet d’apprentissages nouveaux.
Le cas Renault ou la prééminence institutionnelle de la direction générale dans les années 1990
Position au départ
45Entreprise française mythique, connue pour ses capacités d’innovation, Renault a souvent été pionnière dans les différents secteurs de la conception automobile. Elle est aussi connue pour une sophistication de la conception technologique qui souvent dévalorise l’importance de la mise en œuvre des grandes idées technologiques développées. On peut dire que, à cette époque, Renault était l’archétype du constructeur de véhicules automobiles avancés mais mal fabriqués et souffrant de non-qualités, parfois étonnantes, comme les lève-vitres.
La nécessité du changement
46Pour corriger ce comportement dont les racines sont fortes et institutionnalisées, les dirigeants de Renault ont mis sur pied des équipes de réflexion qui devaient prendre en compte la nature de l’entreprise, son histoire et les défis auxquels elle était capable de faire face. Cette poussée ciblait donc essentiellement les comportements institutionnalisés. Les groupes d’étude arrivèrent à la conclusion que, compte tenu des défis de la mise en place d’une politique de qualité rigoureuse et compte tenu des savoir-faire maintenant disponibles sur le marché, il serait bien plus économique et plus efficace de réaliser l’externalisation de systèmes entiers de production actuellement développés à l’interne (logique de modularité de la production). Ces conclusions furent soumises à la haute direction.
Le processus de changement
47Convaincue que la transformation de l’entreprise passait aussi par des apprentissages importants en matière de gestion de la qualité (Total Quality Management/TQM), la direction était hostile à l’idée d’une dépendance aussi grande vis-à-vis d’acteurs externes. Elle n’était disposée à externaliser que si les acteurs de l’entreprise développaient eux-mêmes suffisamment de savoir-faire en qualité pour pouvoir dialoguer avec compétence avec les fournisseurs. La direction générale intervint alors de façon décisive à l’institutionnalisation de l’idée qu’on ne peut externaliser que ce qu’on sait déjà faire bien, une idée surprenante mais intéressante pour le chercheur en matière de management.
48Les responsables des études étaient au départ frustrés de voir leurs travaux écartés pour revenir à une décision qui était au fond le cœur du problème initial. L’entreprise mit alors beaucoup d’énergie à améliorer les compétences disponibles en TQM. Ce faisant, elle améliora sensiblement sa capacité à travailler systématiquement sur la qualité. Collectivement, l’apprentissage sur les systèmes les plus anciens fut très important. Les spécialités internes requises pour la fabrication et même pour la conception des automobiles Renault se sont renforcées sensiblement, sous la pression concurrentielle et avec l’émergence d’un savoir généralisé sur la qualité comme méthode de fonctionnement (Pascale et Athos [1981]).
49Progressivement, ces spécialités ont mené à une meilleure compréhension des déterminants de la qualité de la fabrication des automobiles en général et du produit Renault en particulier. Il en ressortit une compréhension plus fine de l’importance de l’intégration des activités pour que le produit final, un produit intégré, soit un produit de qualité. C’est cet apprentissage qui justifia les externalisations d’activités qui eurent lieu au cours de la décennie suivante.
50Ainsi donc, la direction générale de Renault a commencé par une décision dont la nature était de modifier les normes, les orientations cognitives et les règles de fonctionnement, donc les institutions de l’entreprise. Ces modifications cruciales ont permis une focalisation sur la qualité qui a apporté des apprentissages nécessaires à l’amélioration de chacune des spécialités et finalement de la qualité d’ensemble du produit. C’est seulement là que la nouvelle transformation institutionnelle d’impartition progressive de certains sous-systèmes est devenue possible et efficace.
L’oubli
51Il est nécessaire, pour comprendre l’effet oubli, de proposer des interprétations sociologiques de la fabrication à la française telle que décrite par de nombreux sociologues, dont Crozier [1963]. La fabrication à la française a été traditionnellement dominée par des ingénieurs spécialisés, préoccupés surtout par la technologie et peu par le management général. Renault, comme beaucoup de grandes entreprises publiques françaises, était de ce point de vue là typique. Chaque fonction était remarquable dans sa capacité technique mais l’ensemble marchait cahin-caha. L’étude des ingénieurs du problème de fabrication arrivait alors avec une solution classique. Renault sait concevoir mais ne sait pas fabriquer, alors sous-traitons les aspects que nous trouvons difficiles. La direction a adopté une perspective nouvelle, au risque de mécontenter les ingénieurs brillants de l’entreprise, en imposant une perspective plus globale du fonctionnement de l’entreprise. Elle a ainsi facilité l’oubli des pratiques spécialisées ou leur obsolescence au profit d’un regard plus général et plus stratégique. Ce n’était pas tellement le savoir-faire technique qui était en cause mais son utilisation pour faire fonctionner l’ensemble de l’entreprise. Les résultats ultérieurs de Renault sont venus confirmer que ce nouvel apprentissage était plus fonctionnel et plus pertinent. Les externalisations sont alors devenues progressivement une partie de ce nouvel apprentissage plutôt que de l’apprentissage traditionnel. Encore une fois, la prémisse de la décision se déplace, rendant certains apprentissages moins pertinents que d’autres et favorisant ainsi un certain oubli de leur utilisation.
L’oubli comme apprentissage ou modification de prémisses : un modèle organisationnel d’intention managériale
52L’oubli peut être conceptualisé comme le mécanisme par lequel des prémisses sont désactivées. Désactivées, les prémisses deviennent dormantes et n’affectent que peu le comportement des décideurs. L’oubli ne signifie pas la disparition des prémisses. Les processus par lesquels les prémisses sont désactivées sont de trois types selon l’analyse de nos études de cas : i) un processus de « nettoyage » naturel de la mémoire ; ce processus permet spécifiquement le nettoyage, l’élagage de l’information qui n’est pas pertinente ; ii) un processus de sélection et rétention qui a été beaucoup documenté comme étant le processus de « routinisation » (Campbell [1959] puis Hedberg [1981]) ; ce processus n’est que partiellement volontaire mais il intéresse au plus haut point les dirigeants de l’organisation, parce qu’il affecte sa capacité à s’adapter ; iii) un processus de gestion volontaire ou stratégique, en relation avec les objectifs de l’organisation ; ce processus est sélectif et discrétionnaire et vient compléter le précédent surtout dans le court terme, comme le montre le cas Renault. Même si le premier de ces processus est important et doit être pris en compte dans une étude empirique systématique de l’oubli, dans cet article nous ne nous intéressons qu’aux deux processus suivants, plus volontaires et plus stratégiques.
53L’oubli comme désactivation plus ou moins volontaire des prémisses de décision est un processus qui s’apparente à l’apprentissage. Dans ce cas-ci, il s’agit plutôt de désapprentissage. Il y a, comme nous l’évoquions, le désapprentissage naturel par élaboration des routines qui progressivement rendent obsolètes les routines précédentes. Ce processus que nous considérons comme étant à la fois naturel, c’est-à-dire ne nécessitant pas d’intervention de gestion, et modifié par l’action des dirigeants, pose des problèmes spéciaux de management. En effet, c’est une action collective et tous les membres de l’organisation y participent de manière plus ou moins consciente et discrétionnaire. Le processus ne peut être affecté uniquement par le biais de la volonté générale de coopérer, comme l’évoquait Barnard [1938]. Il peut l’être aussi par ce qu’Etzioni [1992] décrivait comme étant des éléments normatifs et affectifs. Selon Etzioni, le normatif, se manifeste à travers les contraintes sociales et professionnelles, alors que l’affectif est associé aux expériences émotives qui sont déclenchées par la situation de décision. En particulier, le normatif et l’affectif peuvent être en porte-à-faux avec la situation concrète. Dans ce cas, on a un rejet de la décision ou de la démarche de « routinisation » que l’auteur qualifie de phénomène d’exclusion. Il peut cependant y avoir aussi une situation où le normatif-affectif, sans être en porte-à-faux, s’invite dans le processus de décision en le pondérant, c’est-à-dire en forçant une considération plus prudente de ses effets (processus d’infusion).
54L’effort volontaire et systématique d’influence de la décision des acteurs, et précisément dans ce cas d’influence des prémisses qui contrôlent la décision, constitue une action délibérée de modification des effets des prémisses-routines. Dans cette situation, l’effet de modification ponctuel des routines doit être cohérent avec les pratiques précédentes pour susciter de la coopération. Lorsqu’apparaissent des contradictions, il peut y avoir de la résistance et de la confrontation. Un cas de conflit particulier survient lorsqu’on introduit des prémisses qui remettent en cause directement les prémisses existantes.
55La formulation et la mise en application de nouvelles prémisses sont des moments cruciaux pour leur apprentissage et pour l’oubli des anciennes. L’apprentissage est stimulé dans ce cas par les mécanismes habituels qui suscitent la coopération (Barnard), notamment les incitatifs matériels ou non et les mécanismes de persuasion, comme la coercition ou le prosélytisme qui suscitent l’identification aux nouvelles valeurs de l’organisation. Le problème de la mise en application de nouvelles prémisses et de la désactivation des anciennes est que les relations de cause à effet ne sont pas toujours connues. Les expérimentations nécessaires peuvent alors affecter la cohérence de l’action envisagée et donc affecter la capacité à oublier ce qui a fonctionné dans le passé, un peu comme le suggérait Etzioni [1992]. La dimension normative/affect va alors guider la prise de décision plutôt que le binôme standard de la décision basé sur une appréciation de nature logique/empirique. L’adéquation à des valeurs ou à des affects constitue alors, selon l’auteur, une intrusion conduisant à changer l’image de la réalité ou encore, de façon plus radicale, à un changement de mode de raisonnement.
56Plusieurs raisons peuvent affecter le désapprentissage et donc l’oubli des prémisses existantes. Sur la base des travaux en psychologie et en management qui constituent un cadre de référence à notre étude, nous en citerons trois. Premièrement, l’introduction de nouvelles prémisses est toujours un risque à la fois pour les individus et pour l’organisation. Elle peut être l’occasion de reculs importants, avant que les bénéfices soient clairs. En effet, les prémisses du passé ne sont jamais dormantes de manière définitive. Elles sont seulement temporairement déconnectées et peuvent à tout moment se réveiller si les circonstances le demandent. Cela peut notamment se produire lorsque les expériences émotionnelles relatives aux anciennes prémisses et aux décisions qu’elles ont influencées sont rappelées à la mémoire. Lorsqu’on veut introduire de nouvelles prémisses, les expérimentations pour trouver le bon comportement peuvent avoir été vécues dans le passé comme des souffrances et donc réveiller des réactions de défense qui étaient dormantes. Deuxièmement, les nouvelles prémisses introduites par la gestion simultanée des incitations, matérielles ou non, et par les efforts de persuasion peuvent se contredire et désorienter les personnes concernées. Elles se rabattent alors sur les prémisses existantes ou sur des prémisses plus anciennes qui sont réactivées parce qu’elles sont plus claires. Ainsi, l’effort de désactivation des prémisses considérées comme obsolètes peut déclencher des effets inattendus, anciens mais qui sont recyclés par les acteurs pour leur permettre de survivre. Finalement, les prémisses nouvelles peuvent être perçues comme trop complexes et non opérationnelles, donc ne pouvant se substituer aux prémisses existantes. Baumard et Starbuck [2005], sur la base d’études de cas, montrent que l’émotion peut aussi empêcher l’oubli de routines inefficaces dans la mesure où il faudrait réécrire l’histoire et requalifier de façon douloureuse certaines expériences. Tous ces éléments affectent l’oubli.
57A partir du modèle sélection-rétention vu plus haut et qui offre une représentation d’une théorie de l’action englobant les travaux fondamentaux d’Argyris et Schön [1978] et permettant, comme nous l’avons vu, de faire apparaître le phénomène du désapprentissage, nous complétons le modèle de l’oubli organisationnel en précisant le rôle que peut jouer le management à chacune des étapes de l’oubli. Conformément aux travaux de Simon sur lesquels nous nous sommes basés, nous parlons de prémisse au lieu de stimuli et de décision au lieu de réponse. Par ailleurs, par rapport au schéma d’origine nous précisons les dimensions individuelles de l’action et constituées par le cadre normatif/affectif, les faits, et l’expérience, ainsi que les dimensions collectives managériales liées essentiellement aux actions stratégiques.
58Sur la base de nos cas, nous représentons alors ainsi l’ensemble de ces relations :
Actions managériales sur l’oubli organisationnel
Actions managériales sur l’oubli organisationnel
59Ainsi, on pourrait résumer les actions managériales par les propositions suivantes. D’une part, les faits, expériences et valeurs dominantes dans une organisation activent ou désactivent en permanence les prémisses qui déterminent les décisions. Ensuite, l’influence des faits, expériences et valeurs de l’organisation sur l’activation /désactivation des prémisses est modéré par les facteurs normatifs et affectifs pertinents et par les actions stratégiques et discrétionnaires de la direction de l’organisation. Enfin, l’équilibre entre les prémisses activées et désactivées détermine les prémisses qui affectent réellement les décisions de l’organisation.
60Sur ce schéma conforme à une théorie de l’action au sens d’Argyris et Schön, nous greffons trois sources d’influence forte du management agissant sur le processus d’oubli nécessaire à l’adaptation de l’entreprise. La capacité des acteurs à contextualiser et à « oublier » est la force de l’apprentissage. Un apprentissage est une capacité à faire. Cet apprentissage peut être considéré comme « rigide » dans le sens où, comme le chêne, il peut se casser s’il est exposé à des événements qui le mettent en cause. Cet apprentissage « s’oublie » facilement. Il y a aussi l’apprentissage comme une capacité d’être. Cet apprentissage affecte profondément l’identité, la personnalité des acteurs. Il peut être considéré comme « flexible », dans le sens où il peut se courber sous l’effet des événements mais il ne rompt pas facilement. Le premier est un apprentissage qui n’existe pas sans son contexte. En dehors du contexte, il est « déraciné ». Le second est a-contextuel. Il résiste à l’effet du contexte et il ne « s’oublie » pas facilement.
61Dans le modèle proposé, ce phénomène se passe dans la première partie du schéma, qui mène aux prémisses retenues. C’est là que l’action du management est importante à court terme. Elle tente de modifier les comportements, donc à contextualiser les apprentissages, mais nous savons maintenant que les seuls apprentissages susceptibles d’être affectés sont ceux que nous avons appelés « rigides ». Les apprentissages « flexibles » ne peuvent être affectés vraiment que par l’effet sur les patterns de décisions et par « feedback » sur le cadre normatif et affectif. Ces éléments viennent clarifier le modèle et le rapport à l’oubli.
Conclusion
« In times of rapid change, experience could be your worst enemy »
62A l’issue de ce travail, nous montrons que les processus d’apprentissage et d’oubli, tout autant nécessaires à la performance des organisations, semblent reposer sur des mécanismes identiques faits de dimensions accidentelles, voire naturelles, mais aussi et surtout, de volonté stratégique. Cette volonté s’exprime, selon nous, à trois niveaux dans le processus décisionnel permettant de relier les prémisses avec les décisions de l’organisation. Le premier va agir sur l’activation et la désactivation des prémisses, à travers des préconisations stratégiques à long terme insufflées par le management dans le but d’accumuler des connaissances spécialisées procurant un avantage compétitif à l’entreprise. Le deuxième influence le choix des prémisses de la décision et leur contextualisation en poussant à des actions intégratrices en rupture avec les pratiques passées conduisant à faire évoluer les routines. Enfin, un troisième niveau va jouer en amont du précédent en institutionnalisant de façon normative des décisions et des pratiques en conformité avec la culture générale souhaitée par le management.
63L’électrochoc du changement dans les organisations semble donc renvoyer à deux phénomènes d’oubli distincts. L’un, situé dans la technologie de décision, correspond à la mise en place et au perfectionnement de routines de façon à accroître les performances. L’oubli est alors synonyme de mise en mémoire (mindlessness) par les acteurs devenus individuellement policés et capables de reproduire indéfiniment des gestes optimisés, ou capables collectivement de générer un changement endogène faisant muter les routines. L’autre dimension recherche l’irruption plus ou moins profonde des modes de fonctionnement administratifs hérités la plupart du temps d’une structure d’origine bureaucratique. Elle se situe d’emblée sur un plan managérial. C’est alors dans la capacité individuelle et surtout organisationnelle à désapprendre le modèle socio-organisationnel structurant l’entreprise (prémisses, patterns et la façon de les associer), que l’oubli, comme vecteur de changement, prend toute sa dimension. Si tel est le cas, la réussite de l’entreprise de demain en prise avec le changement serait alors conditionnelle à la maîtrise par les mêmes acteurs d’une dialectique de la continuité et de la discontinuité, de l’apprentissage et du désapprentissage.
64Lorsqu’en 1938 Barnard décrivait le rôle des groupes informels dans l’organisation, il leur assigna une fonction de ciment organisationnel permettant de préserver la structure formelle en assurant l’intégrité des acteurs qui l’animent. Or, par rapport au mode de management formel, ces groupes représentaient, pour cet idéologue du management d’avant la seconde guerre mondiale, des pulsions irrationnelles où étaient nichés pêle-mêle incompréhensions, coutumes, habitudes, et tout le poids de l’institution. Plus d’un demi-siècle plus tard, et dans un contexte d’évolution technologique certes différent, ces structures informelles sont appelées à jouer le même rôle, non plus cette fois en protégeant les acteurs des agressions aliénantes du mode de management rationnel, mais en nourrissant celui-ci de solutions originales dont l’enjeu n’est autre que de pérenniser l’organisation par le changement. Entre ces deux visions, une époque est passée, et avec elle peut-être l’idée d’un facteur humain fait de valeur, d’affect, d’expérience…, sources d’erreur et de faux pas dans le système. De même pour la représentation du management, son action ne doit plus être pensée seulement en termes de vecteur d’accumulation des connaissances et d’exploitation systématique de solutions optimisées, mais comme source d’exploration facilitant l’oubli de pratiques passées.
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