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Article de revue

Dualisme des contrats de travail et rotation de la main-d'œuvre

Pages 47 à 64

Notes

  • [1]
    Source : ACOSS et Dares pour la France, et Agence pour l’emploi en Espagne. Cf. également Abowd et Kramarz [2003] sur données françaises et Guell et Petrongolo [2007] sur données espagnoles.
  • [2]
    Evidemment, dans la réalité, les emplois deviennent rarement totalement improductifs. Cette structure de chocs est choisie dans un souci de simplicité. Nos arguments restent valables si on tient compte d’un processus à la Mortensen et Pissarides [1994] comme on le montre dans Cahuc, Charlot et Malherbet [2012].
  • [3]
    Nous renvoyons le lecteur aux annexes de Cahuc, Charlot et Malherbet [2012] pour plus de détails sur l’obtention de ces expressions, ainsi que pour l’ensemble des détails techniques dans la suite de l’exposé.
  • [4]
    En effet, Sp(?) < St(?) quand c = 0. Dans nos exercices numériques, nous obtenons c relativement faible comparé à y.
  • [5]
    Ce taux est ici supposé exogène. Ici, les effets d’équilibre transitent par des changements de rU plutôt que de la tension du marché du travail. La tension peut être endogénéisée par une équation de libre entrée sans que cela ne modifie drastiquement nos résultats.
  • [6]
    L’adoption de l’hypothèse de libre entrée est surtout importante pour évaluer de manière crédible les pertes de production qui peuvent découler de la rotation de main-d’ œuvre en CDD induite par les coûts de licenciement. Cf. Cahuc, Charlot et Malherbet [2012].
  • [7]
    Cet exercice est ici principalement illustratif et a pour but de montrer l’impact de la protection de l’emploi sur l’émergence du deuxième régime et son impact sur la part des embauches en CDD dans ce même régime. Evidemment, pour plus de réalisme et afin de reproduire parfaitement les données d’une économie européenne, il faudrait tenir compte d’autres rigidités comme celles liées au niveau du salaire minimum.
  • [8]
    La valeur des coûts de licenciement F = 0,2 correspond à 80 % d’embauches en CDD sur le graphique précédent, tandis que F = 1 est choisi de manière illustrative.
  • [9]
    Ces pertes de production sont analysées plus en détail dans Cahuc, Charlot et Malherbet [2012] dans un cadre plus complet. Le lecteur est renvoyé à cet article pour plus de détails.

1Dans de nombreux pays européens, les réformes du marché du travail entreprises au cours des dernières décennies se sont traduites par des ajustements à la marge, consistant à assouplir les possibilités de recours aux contrats à durée déterminée (CDD). Le fort pourcentage d’emplois en CDD dans l’emploi total semble ainsi être l’une des caractéristiques principales des pays dont la législation sur la protection de l’emploi (LPE) est rigoureuse. Dans des pays où la LPE est relativement contraignante comme la France ou l’Espagne, les CDD représentent respectivement 15 et 30 % de l’emploi total. De manière peut-être plus spectaculaire, ce type de contrat représente l’immense majorité (80 à 90 %) des créations d’emplois, en France comme en Espagne. En contrepartie, ces emplois ont en général des durées extrêmement courtes : pour l’année 2010, 75 % des emplois créés en CDD l’étaient pour une durée inférieure à un mois en France [1].

2De manière surprenante, il n’existe pas à ce jour de modèle permettant de rendre compte de manière satisfaisante de l’importance des rotations des travailleurs sur les emplois en CDD, ni même du choix qui s’opère entre emploi stable et emploi temporaire. En effet, la littérature ne permet pas en général de rendre compte du choix qui s’opère entre CDI et CDD, dans la mesure où les CDD sont en général préférables aux CDI parce qu’ils sont plus flexibles. On fait alors l’hypothèse que tous les emplois débutent par une période en CDD (e.g. Blanchard et Landier [2002]) ou que le législateur limite la création de CDD (e.g. Cahuc et Postel-Vinay [2002]).

3En réalité, les CDD sont effectivement plus flexibles que les CDI dans la mesure où existe un différentiel de coût de licenciement entre les deux types de contrats. Néanmoins, la firme doit en général spécifier par avance la durée du CDD et ne pourra mettre fin à la relation d’emploi qu’à son terme. Ce deuxième élément semble avoir été totalement négligé jusqu’à présent par la littérature. Pourtant, cet aspect pourrait être à l’origine d’un arbitrage entre ces deux types de contrats : mieux vaut parfois éviter de s’engager par avance sur une durée de contrat et payer des coût de séparation plus élevés si les choses tournent mal.

4Cet arbitrage peut expliquer les différences dans les taux de rotation de la main-d’œuvre observées de part et d’autre de l’Atlantique. Dans les pays au marché du travail relativement flexible, le montant des coûts de licenciement ne justifie ainsi pas que les entreprises spécifient par avance la durée des contrats, car elles prendraient alors le risque de s’engager à maintenir par la suite des emplois dont la productivité est devenue trop faible. Dans les pays au marché du travail plus rigide, il vaut parfois mieux prendre ce risque pour éviter d’avoir à supporter des coûts de licenciement dont les montants sont beaucoup plus élevés, toutefois au prix d’une perte d’efficacité dans la production.

5L’objet du présent article est de donner un fondement à ces arguments qui semblent avoir été négligés jusqu’alors. Dans cette optique, nous proposons un modèle simple permettant de tenir compte du choix qui s’opère entre CDI et CDD, la durée des CDD est endogène et nous obtenons une distribution non dégénérée des durées de contrats. La part des CDD tout comme leur durée s’ajustent en fonction de la rigueur de la LPE, ce qui nous permet d’évaluer l’impact des coûts de licenciement sur la proportion de CDD tout comme sur la durée des emplois. Nous montrons que la LPE favorise l’émergence d’un régime où coexistent CDI et CDD, dans lequel les coûts de licenciement favorisent la création de CDD pour de courtes durées, et sont donc responsables de l’importante rotation de la main-d’œuvre sur ce type d’emplois.

6La littérature a jusqu’à présent mis l’accent sur les conséquences potentiellement néfastes d’une LPE rigide associée à un fort pourcentage de CDD : dualisme du marché du travail, forte instabilité des trajectoires d’emploi pour une partie des travailleurs qui ne parviennent pas à trouver de CDI, volatilité accrue de l’emploi au niveau macroéconomique (cf. Boeri [2010] pour une synthèse).

7A notre connaissance, seul un nombre relativement faible d’articles cherchent à rendre compte du choix entre CDI et CDD en le reliant à l’existence de rigidités. Berton et Garibaldi [2006] considèrent un modèle d’appariement avec des salaires exogènes dans lequel deux types de contrats dont les durées sont exogènes sont offerts sur des marchés distincts. Dans ce cadre, firmes et travailleurs dirigent leur recherche et peuvent choisir l’un ou l’autre marché. Les firmes créent des emplois temporaires tant que la probabilité plus élevée de pourvoir un CDD permet de compenser le différentiel de surplus résultant d’un CDI. Caggese et Cunat [2008] étudient la politique d’embauche optimale d’entreprises soumises à des imperfections sur le marché du capital et pouvant choisir entre deux types de contrats de travail, l’un flexible (CDD) et l’autre impliquant des coûts de licenciement (CDI). Les deux types de contrats sont supposés être de parfaits substituts mais les CDI sont plus productifs. Dans ce cadre, une entreprise qui ne serait pas sujette à des contraintes de financement chercherait à embaucher des travailleurs en CDI jusqu’au point où la valeur attendue des coûts de licenciement égaliserait le surcroît de productivité attendu d’un CDD. Cao, Shao et Silos [2010] considèrent un modèle d’appariement dans lequel les entreprises préfèrent offrir un CDI lorsque l’appariement s’avère de bonne qualité dans la mesure où les travailleurs en CDD continuent à chercher un emploi, ce qui n’est pas le cas des travailleurs en CDI. Ces trois articles ne considèrent que deux durées possibles (et exogènes) pour les contrats de travail, et il est possible de se séparer d’un travailleur embauché en CDD avant d’avoir atteint le terme du contrat. Dans la réalité, la durée d’un CDD est en général fixée au moment de la signature du contrat, et cette durée sera contraignante par la suite. De ce fait, le recours aux CDD n’est pas aussi flexible que le supposent les contributions citées précédemment.

8De manière alternative, Smith [2007] et Macho-Stadler, Perez-Castrillo et Porteiro [2011] proposent des modèles permettant d’expliquer pourquoi coexistent des emplois temporaires et des emplois permanents en l’absence de protection de l’emploi, c’est-à-dire dans un cadre plus proche de celui de pays anglo-saxons où il y a vraisemblablement peu de différences dans les coûts d’embauche et de licenciement pour les deux types d’emplois. Par comparaison, nous insistons sur le rôle joué par la protection de l’emploi dans l’émergence des deux types de contrats.

9L’article est organisé comme suit. La première section présente notre modèle, la deuxième section décrit ses principales propriétés d’équilibre partiel, tandis que la troisième section présente le bouclage du modèle. La quatrième section offre un exemple numérique. Enfin, la dernière section conclut.

Le cadre d’analyse

10Nous considérons un continuum de travailleurs et de firmes neutres au risque et dont la durée de vie est infinie. Nous notons r > 0 le taux d’escompte commun aux entreprises comme aux travailleurs. La population est supposée homogène et sa taille normalisée à l’unité. Les entreprises sont en situation de concurrence parfaite sur le marché des biens, et créent des emplois pour produire un bien numéraire, à partir d’une technologie utilisant le travail comme seul intrant.

11Le marché du travail est soumis à des frictions dans la recherche d’emploi. Les chercheurs d’emplois reçoivent des offres de façon séquentielle selon un processus de Poisson dont le taux est ? > 0.

12Les firmes cherchent à exploiter des opportunités d’emplois qui ont toute la même productivité ? > 0, mais différent selon leur durée attendue. Les emplois peuvent être frappés par des chocs qui les rendent définitivement improductifs [2], et diffèrent par le taux d’arrivée de ces chocs noté ? > 0, ou de manière équivalente, par la durée moyenne pendant laquelle ils sont productifs, notée ? = 1/?. Le type ? d’un emploi est supposé résulter d’un tirage aléatoire sur (0,?) à partir d’une distribution dont la fonction de répartition est notée G tandis que sa fonction de densité est g. Ainsi, certaines de ces opportunités ont de fortes chances de se révéler rapidement inadéquates ou improductives, et ont par conséquent des durées de vie attendues relativement courtes, tandis que d’autres devraient durer davantage. Par exemple, les entreprises reçoivent des commandes de leur client qui leur permettent de subsister quelques jours, quelques mois ou quelques années selon les cas. En général, la durée de ces opportunités n’est pas connue a priori, et il n’est pas certain que les commandes se renouvellent.

13Ces opportunités peuvent être exploitées à l’aide de travailleurs embauchés en emploi temporaire ou permanent.

14Les contrats permanents correspondent au type de contrats normaux. Ils stipulent un salaire qui peut être renégocié par consentement mutuel uniquement, et ne comportent pas de durée pré-établie. Ils peuvent cesser moyennant le paiement d’un coût de licenciement F, payé par l’employeur et correspondant à un coût administratif plutôt qu’à une indemnité payée par la firme à son salarié. Nous supposons également qu’il existe un (faible) coût noté c > 0 à établir des contrats, qu’ils soient temporaires ou permanents.

15Nous notons U l’utilité attendue par un chercheur d’emploi, et nous supposons qu’un emploi vacant a une valeur nulle pour l’employeur. Le surplus d’un nouvel emploi permanent pouvant devenir improductif au taux ? s’écrit alors :

16

equation im1

17Les contrats temporaires spécifient un salaire et une durée fixes. Ils ne sont ni renégociables en cours de route, ni renouvelables. L’employeur sera contraint de verser le salaire fixé par le contrat jusqu’à son terme, même si l’emploi devient improductif avant cette date. Arrivés à leur terme, ces contrats peuvent être soit détruits sans coût, soit transformés en contrats permanents. Dans cette éventualité, les modalités du nouveau contrat permanent pourront être renégociées.

18Le surplus d’un nouvel emploi temporaire dont le taux d’arrivée des chocs est ? et la durée ? peut s’écrire [3] :

19

equation im2

20La négociation portant sur les contrats de travail implique que le surplus découlant des emplois est maximisé. Plus précisément, lors de leur rencontre, travailleurs et entreprises négocient un contrat maximisant le surplus qui en découle, et qui peut correspondre à un emploi temporaire ou permanent. Un contrat temporaire sera choisi s’il offre un surplus plus élevé qu’un emploi permanent. Dans cette éventualité, le salaire et la durée du contrat sont fixés une fois pour toutes lors de la signature du contrat dans la mesure où il n’est pas permis de renégocier par la suite.

21Lorsque les coûts de licenciement sont suffisamment faibles, toutes les opportunités sont exploitées à l’aide de CDI qui seront détruits dès que les emplois se révèlent improductifs. Lorsque les coûts de licenciement deviennent plus conséquents, les opportunités dont la durée attendue est suffisamment longue sont exploitées en CDI, alors que celles ayant des durées plus courtes sont exploitées avec des CDD. Dans ce cadre, les coûts de licenciement accroissent la part des créations d’emplois en CDD. Notre modèle rend compte du choix entre les deux types de contrats, mais permet aussi de s’intéresser à la distribution des durées d’emploi. Nos exercices numériques suggèrent alors que la LPE favorise la rotation de la main-d’œuvre en encourageant la création de CDD de très courte durée.

Propriétés d’équilibre partiel

Durée optimale des emplois temporaires

22La durée optimale des contrats temporaires maximise le surplus associé à un nouvel emploi temporaire donné par (2).

23La fonction ?(?) est représentée sur la figure n° 1. Cette fonction admet un coude au point ? = ?p tel que equation im3. Ce coude est lié au fait que les emplois temporaires sont transformés en emplois permanents seulement si le taux d’arrivée des chocs est inférieur à ?p. Au-delà de ?p, le surplus d’un emploi permanent est négatif, et il n’est donc rentable ni de créer un emploi permanent, ni de transformer un emploi temporaire en permanent pour ces valeurs de ?.

Figure 1

Relation entre le taux d’arrivée des chocs ? et la durée optimale d’un emploi temporaire ?(?)

Figure 1

Relation entre le taux d’arrivée des chocs ? et la durée optimale d’un emploi temporaire ?(?)

24Un accroissement des coûts de licenciement augmente la durée optimale des contrats temporaires : ceux-ci réduisent le surplus associé à un contrat permanent, ainsi que l’incitation à transformer un emploi temporaire en emploi permanent. Les coûts de licenciement font aussi augmenter le seuil en-deçà duquel les emplois temporaires sont convertis en emplois permanents. En d’autres termes, quand les coûts de licenciement augmentent, la durée des emplois temporaires augmentent, et ces emplois sont moins fréquemment transformés en emplois permanents.

Choix entre emploi temporaire et emploi permanent

25Quand un emploi est créé, firmes et travailleurs choisissent le type de contrat offrant le surplus le plus important. La figure n° 2 qui suit représente les surplus découlant des deux types de contrats pour toutes les valeurs de ?.

26Le surplus d’un emploi permanent est positif lorsque ? est inférieur à ?p. Au-delà de cette valeur-seuil ?p il n’est pas rentable de créer un emploi permanent. Cependant, il peut être rentable de créer un emploi temporaire si le surplus d’un nouvel emploi temporaire, St (?) = max? St(?,?), est positif pour certaines valeurs de ? ? ?p.

27Ceci sera le cas pour de faibles valeurs de c et lorsque la valeur des coûts de licenciement F est élevée. En d’autres termes, des emplois temporaires peuvent être créés alors que la création d’emplois permanents n’est plus rentable si les coûts de licenciement sont importants et que le coût de rédaction des contrats est faible. Si cette condition n’est pas satisfaite, il n’y a pas d’emplois temporaires ; nous supposons donc qu’elle est vérifiée. Le surplus des deux types d’emplois peuvent ainsi être représentés comme suit.

Figure 2

La relation entre le taux d’arrivée des chocs et le type d’emploi créé

Figure 2

La relation entre le taux d’arrivée des chocs et le type d’emploi créé

28Pour de faibles valeurs du taux d’arrivée des chocs (i.e. en-deçà de ?p), le surplus des deux types de contrats est positif. Firmes et travailleurs choisissent celui qui offre le surplus le plus important. Il est alors préférable de créer des emplois permanents pour des valeurs du taux d’arrivée des chocs inférieures à ?S, à condition que les coûts de licenciement ne soient pas trop élevés, i.e. si F < U. Dans le cas contraire, il est toujours préférable de créer des emplois temporaires. La figure n° 2 qui précède résume ainsi la relation entre le taux d’arrivée des chocs et le type d’emploi créé dans le cas F < U.

29Notons également qu’il existe un arbitrage entre les deux types de contrats parce qu’il y a des coûts de signature des contrats. En l’absence de ces derniers, il serait toujours préférable d’embaucher en emploi temporaire, éventuellement pour de très faibles durées, puis de convertir ces emplois en emplois permanents, plutôt que d’embaucher directement en emploi permanent. [4]

Effet des coûts de licenciement sur les différents types de contrat

30Nous discutons à présent du rôle exercé par les coûts de licenciement sur les entrées en emploi temporaire et en emploi permanent à l’équilibre partiel, i.e. pour une valeur donnée de U. Cette variable sera endogénéisée dans la section suivante.

31Quand les coûts de licenciement augmentent, il y a moins de créations d’emplois permanents pour trois raisons : (i) le seuil ?p au-delà duquel il n’est plus rentable de créer un emploi temporaire diminue; (ii) la durée des emplois temporaires augmente ; (iii) le seuil ?S en-deçà duquel les emplois créés sont des emplois permanents diminue avec les coûts de licenciement. Comme ?t, le seuil au-delà duquel aucun emploi ne peut être créé, ne dépend pas de F, une hausse des coûts de licenciement ne change pas le nombre de créations d’emploi (à U donné) mais affecte leur composition en faveur des emplois temporaires dont la durée augmente.

Equilibre du marché du travail

32Nous examinons ici les deux types d’équilibre qui peuvent survenir dans ce modèle en fonction de la valeur des coûts de licenciement. Dans le premier, il n’y a que des emplois permanents, tandis que dans le second, coexistent les emplois temporaires et permanents.

Régime 1

33Tout d’abord, quand les coûts de licenciement sont suffisamment faibles, tous les emplois créés sont permanents. Dans ce cas, il y a deux variables principales : U, l’utilité espérée d’un chercheur d’emploi, et ?p = 1/?p, la valeur-seuil de la durée espérée des opportunités d’emploi au-delà de laquelle des emplois sont créés. En supposant que les travailleurs obtiennent une part ??[0,1] du surplus, et que les chômeurs bénéficient d’un revenu instantané z, l’utilité espérée d’un chômeur vérifie :

34

equation im6

35Cette équation définit alors, avec la condition suivante, les valeurs d’équilibre de ?p et de U :

36

equation im7

37L’équilibre s’obtient en résolvant un problème de point fixe relativement standard : l’équation (4) définit le seuil ?p comme une fonction de rU, tandis que rU dépend lui-même de ce seuil, comme le révèle l’équation (3), pour une valeur du taux d’arrivée des offres ? [5].

Régime 2

38Lorsque les coûts de licenciement sont suffisamment élevés, les deux types d’emplois coexistent. Il existe ainsi une valeur-seuil de F en-deçà de laquelle il n’y a que des emplois de type permanent, et au-delà de laquelle l’économie bascule dans le second régime, où coexistent emplois temporaires et permanents. L’utilité attendue d’un chômeur s’écrit alors :

39

equation im8

40avec ?t = 1/?t et ?s = 1/?s.

41Il y a dans ce cas quatre équations définissant les valeurs d’équilibre de quatre variables : U, ?t, ?s et ?p. Ces équations sont (4), (5), et

42

equation im9

43Les équations (4), (6) et (7) définissent ainsi respectivement les seuils ?p, ?s et ?t en fonction de U tandis que U est lui-même fonction de ces seuils comme le montre l’équation (5), pour une valeur du taux d’arrivée des offres ? [6].

Exercices numériques

44Dans cette section, nous illustrons les principales propriétés du modèle sur la base d’un exemple numérique. Nous partons du premier régime dans lequel les coûts de licenciement sont faibles et où n’existe qu’un seul type de contrat. Nous assimilons ce régime à la situation d’une économie de type anglo-saxon. La distribution des durées d’emplois suit une loi log-normale, avec une durée moyenne des emplois de 6,7 ans et une durée médiane de 4 ans afin de calibrer notre modèle. Nous fixons la durée minimale ?p d’un contrat à un jour : la période de référence étant trimestrielle, en supposant qu’il y a 65 jours travaillés dans un trimestre, cela donne ?p = 1/65. La durée maximale d’un contrat est fixée à 180 trimestres. Nous choisissons une valeur de z acceptable par rapport à celle généralement considérée dans la littérature, et fixons le taux de taux de chômage u = 6 %. Le reste des paramètres est fixé de manière cohérente avec ceux habituellement utilisés dans la littérature et est résumé dans le tableau suivant :

tableau im10
r ? z y 0,012 0,5 0 ,4 1

45Avec ces paramètres, nous obtenons un taux de sortie du chômage ? = 1,428, un coût de signature des contrats c, égal à 0,00143, relativement faible en regard de la valeur de la productivité y, tandis que la valeur limite des coûts de licenciement au-delà de laquelle on entre dans le régime 2 avec CDD et CDI est aussi relativement basse, puisque égale à 0,0275.

46Partant de cette situation de référence dans laquelle il n’y a que des emplois permanents, nous faisons alors augmenter les coûts de licenciement afin d’évaluer leur impact sur les créations d’emplois de chaque type.

47Il apparaît que la part des CDD dans les créations d’emplois augmente très rapidement avec la rigueur de la LPE, comme le montre la figure n° 3 ci-dessous :

Figure 3

La relation entre les coûts de licenciement et la part des entrées en emploi temporaire dans le flux de création d’emploi total

Figure 3

La relation entre les coûts de licenciement et la part des entrées en emploi temporaire dans le flux de création d’emploi total

48Les entreprises commencent à avoir recours aux emplois temporaires dès lors que les coûts de licenciement franchissent une valeur seuil equation im12 relativement faible. En dessous de equation im13 il n’y a pas d’incitation à créer des CDD. Ensuite, la hausse des coûts de licenciement se traduit par une hausse graduelle de la part des CDD dans les créations d’emplois [7].

Figure 4

Relation entre durée attendue des opportunités d’emploi (?) et durée des emplois temporaires pour différents niveaux de coûts de licenciement

Figure 4

Relation entre durée attendue des opportunités d’emploi (?) et durée des emplois temporaires pour différents niveaux de coûts de licenciement

49La figure n° 4 ci-dessus représente (i) la durée attendue des CDD, égale à ? = 1/? (correspondant à la première bissectrice), (ii) la durée optimale des CDD en fonction de ? pour une valeur des coûts de licenciement F = 0.2, (ligne continue) et (iii) la durée optimale des CDD en fonction de ? pour une valeur des coûts de licenciement F = 1 (ligne discontinue) [8]. Il apparaît que si la durée des CDD augmente avec les coûts de licenciement, la durée de ce type d’emploi est dans tous les cas largement inférieure à ? = 1/?, la durée espérée qu’ils auraient pu atteindre si ces emplois avait été des CDI, ce qui aurait été le cas pour de faibles valeurs des coûts de licenciement. Ceci tient au fait que les entreprises veulent éviter des situations dans lesquelles elles devraient conserver des emplois devenus improductifs durant de longues périodes. Cela montre que les coûts de licenciement peuvent induire, à travers leur impact sur la création de CDD, et sur la durée de ces contrats, une importante augmentation de la rotation de la main-d’œuvre par rapport à la situation où il n’existerait qu’un seul type d’emploi. Il peut également découler de cette situation de grosses pertes de production [9].

50Dans cet article, nous avons cherché à prendre en compte une caractéristique importante des CDD, négligée jusque-là par la littérature : ils ne peuvent pas être détruits sans coût avant leur échéance. Ceci nous a permis d’expliquer le choix entre CDI et CDD, mais aussi la durée des emplois temporaires sur un marché du travail soumis à des frictions dans la recherche d’emploi. Ce modèle suggère qu’une grande partie de la rotation de la main-d’œuvre est induite par le niveau des coûts de licenciement.

51Dans cette optique, nous avons présenté ici un modèle dont l’objet était d’expliciter de manière simple la logique de la segmentation entre CDI et CDD, ainsi que les déterminants de la durée des CDD. Le modèle présenté ici repose sur un certain nombre d’hypothèses simplificatrices qu’il est possible d’amender. Le lecteur intéressé pourra ainsi se référer à Cahuc, Charlot et Malherbet [2012] où est analysé en détail ce cas plus général, mais aussi plus complexe. Nous étendons le présent article en autorisant la libre entrée des entreprises sur le marché des emplois vacants, en introduisant des chocs de productivité à la Mortensen et Pissarides [1994], en tenant compte de contraintes sur la durée maximale des CDD, de la possibilité de renouveler ce type de contrats, ainsi que de la possibilité de mettre fin aux CDD avant leur terme moyennant le paiement d’un coût de séparation.

Bibliographie

Références

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  • O.J. Blanchard et A. Landier, [2002] : The Perverse Effects of Partial Labor Market Reform : Fixed Duration Contracts in France. Economic Journal, 112, pp. 214-244.
  • T. Boeri [2010] : Institutional Reforms in European Labour Markets. Handbook of Labor Economics vol. 4.
  • T. Boeri et P. Garibaldi [2007] : Two Tier Reforms of Employment Protection Legislation. A Honeymoon Effect ? Economic Journal 117, pp. 357-385.
  • A. Caggese et V. Cunat [2008] : Financing Constraints and Fixed-Term Employment Contracts. Economic Journal 118, pp. 2013-2046.
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  • P. Cahuc, O. Charlot et F. Malherbet, [2012] : Explaining the Spread of Temporary jobs and its Impact on Labor Turnover. IZA working paper 6365.
  • S. Cao, E. Shao et P. Silos [2010] : Fixed-Term and Permanent Employment Contracts : Theory and Evidence. Atlanta Fed working papers n° 2010-13.
  • M. Guell et B. Petrongolo [2007] : How Binding are Legal Limits ? Transitions from Temporary to Permanent Work in Spain. Labour Economics 14, pp.153-183.
  • I. Macho-Stadler, D. Pérez-Castrillo et N. Porteiro [2011] : Optimal Coexistence of Long-Term and Short-term Contracts in Labor Markets, working paper 11.08, Department of Economics, Universidad Pablo Olavide.
  • D.T. Mortensen et E. Nagypal [2007] : More on Unemployment and Vacancy Fluctuations. Review of Economic Dynamics 10, pp. 327-347.
  • D.T. Mortensen et C. A. Pissarides, [1994] : Job Creation and Job Destruction in the Theory of Unemployment. Review of Economic Studies 61, pp. 397-415.
  • R. Shimer [2005] : The Cyclical Behavior of Equilibrium Unemployment and Vacancies. American Economic Review 95, pp. 25-49.
  • E. Smith [2007] : Limited Duration Employment. Review of Economic Dynamics 10, pp. 444-471.

Notes

  • [1]
    Source : ACOSS et Dares pour la France, et Agence pour l’emploi en Espagne. Cf. également Abowd et Kramarz [2003] sur données françaises et Guell et Petrongolo [2007] sur données espagnoles.
  • [2]
    Evidemment, dans la réalité, les emplois deviennent rarement totalement improductifs. Cette structure de chocs est choisie dans un souci de simplicité. Nos arguments restent valables si on tient compte d’un processus à la Mortensen et Pissarides [1994] comme on le montre dans Cahuc, Charlot et Malherbet [2012].
  • [3]
    Nous renvoyons le lecteur aux annexes de Cahuc, Charlot et Malherbet [2012] pour plus de détails sur l’obtention de ces expressions, ainsi que pour l’ensemble des détails techniques dans la suite de l’exposé.
  • [4]
    En effet, Sp(?) < St(?) quand c = 0. Dans nos exercices numériques, nous obtenons c relativement faible comparé à y.
  • [5]
    Ce taux est ici supposé exogène. Ici, les effets d’équilibre transitent par des changements de rU plutôt que de la tension du marché du travail. La tension peut être endogénéisée par une équation de libre entrée sans que cela ne modifie drastiquement nos résultats.
  • [6]
    L’adoption de l’hypothèse de libre entrée est surtout importante pour évaluer de manière crédible les pertes de production qui peuvent découler de la rotation de main-d’ œuvre en CDD induite par les coûts de licenciement. Cf. Cahuc, Charlot et Malherbet [2012].
  • [7]
    Cet exercice est ici principalement illustratif et a pour but de montrer l’impact de la protection de l’emploi sur l’émergence du deuxième régime et son impact sur la part des embauches en CDD dans ce même régime. Evidemment, pour plus de réalisme et afin de reproduire parfaitement les données d’une économie européenne, il faudrait tenir compte d’autres rigidités comme celles liées au niveau du salaire minimum.
  • [8]
    La valeur des coûts de licenciement F = 0,2 correspond à 80 % d’embauches en CDD sur le graphique précédent, tandis que F = 1 est choisi de manière illustrative.
  • [9]
    Ces pertes de production sont analysées plus en détail dans Cahuc, Charlot et Malherbet [2012] dans un cadre plus complet. Le lecteur est renvoyé à cet article pour plus de détails.
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