Couverture de RFEA_HS01

Article de revue

Le petit arpent de Sim

Pages 111 à 123

English version

1Le samedi 6 mai 2000, plusieurs cérémonies ont eu lieu à Souillac, dans le Lot, en l’honneur et à la mémoire de Sim Copans.

2En début d’après-midi, une centaine de proches et d’amis se sont retrouvés dans le petit cimetière de Lanzac (proche de Souillac). Un soleil discret et amical réchauffait la colline tandis que trois musiciens venus de Bordeaux jouaient des airs de jazz et que les arrière-petits-enfants de Sim célébraient, eux aussi, la continuation de la vie en chahutant parmi les tombes. L’AFEA était représentée par sa présidente Liliane Kerjan, deux anciens présidents, Maurice Gonnaud et Bernard Vincent, ainsi que Michel Fabre, et Bernard Poli, professeurs émérites à l’Université Paris III, Marc Chénetier, membre de l’Institut Universitaire de France et professeur à l’Université Paris VII, et Taffy Martin, professeur à l’Université de Poitiers.

3Allocution de Liliane Kerjan, professeur à l’Université de Rennes II, présidente de l’Association Française d’Études Américaines :

4Nous voici réunis auprès de Sim, de son épouse Lucienne et de leurs enfants, et je voudrais simplement dire combien il a compté pour nous, combien l’Association Française d’Études Américaines, représentée par ses présidents successifs et quelques membres éminents, est honorée de pouvoir ainsi agrandir le cercle de famille. Car c’est un attachement plus qu’amical, quasi affectueux, qui nous liait dans la durée, parce que très tôt Sim nous avait reconnus, parce qu’il nous avait encouragés à exister par nous-mêmes en fondant cette Association, parce qu’il nous a toujours aidés à Paris et ailleurs, et parce que nous le savions fidèle et généreux.

5J’ai aujourd’hui le privilège de pouvoir donner un témoignage personnel qui, j’en suis sûre, rejoint la perception de l’ensemble des américanistes. Lorsque, débutante dans la carrière et jeune membre de l’Association, j’ai pour la première fois été présentée à Sim, moi qui n’étais qu’une thésarde, amateur de théâtre américain, j’ai été frappée d’emblée par son sourire, son très beau regard et sa qualité d’écoute, ce mélange si particulier d’acuité et de malice qui mettait tout de suite en confiance. Rien de pompeux, rien de la statue du Commandeur. Que savions-nous de lui ? Trop peu de chose assurément, tant il était discret. Mais nous l’admirions, car pour toute notre génération de l’après-guerre il était la Voix – la voix américaine que nous entendions à la radio et qui faisait voyager notre jeunesse dans les plantations du Sud, qui nous racontait le fleuve profond, qui nous initiait au jazz, ou qui rendait compte de la diversité et de l’ambition de la comédie musicale américaine à l’époque où fleurissait encore l’opérette sur les scènes de Paris ou de province. Il était le pédagogue qui nous parlait directement et autrement, changeant la perception que nous pouvions avoir de l’Amérique, changeant notre esthétique. Quel beau combat il menait, qui ne devait rien ni à l’air du temps ni à la mode.

6Cette immense culture musicale lui donnait une position unique, médiatique, et reconnaissable entre toutes, ce qui ne l’empêchait pas, lorsqu’il était des nôtres au Congrès du mois de mai, d’animer nos soirées avec ses disques, ses commentaires et ses textes. J’ai du reste retrouvé dans mes papiers quelques-unes de ses feuilles de 1991, tapées sur sa machine à écrire, un peu passées, des paroles de chants ruraux, des spirituals qui disaient la révolte, la souffrance, mais aussi la fraternité et la dignité. Nous le respections énormément, comme fondateur et directeur de l’Institut d’Études Américaines, ce foyer vivant, central, où l’on nous accueillait, parisiens et provinciaux, avec nos questions diffuses et nos projets, et nos volontés d’appartenir à une communauté américaniste, très marginalisée alors à l’Université. Nous sentions bien qu’il y avait là le noyau dur qui permit, il y a 33 ans, de créer l’Association Française d’Études Américaines. Aujourd’hui elle compte 536 membres, dont beaucoup de jeunes collègues, elle pétille d’idées, de controverses et de talents, et je crois bien que Sim en était fier. Il l’accompagnait de sa présence tutélaire, fidèle avec Lucienne à nos congrès ; il était encore avec nous il y a deux ans à Toulouse, souriant, bienveillant, attentif aux nouvelles, curieux de tout, aimant les autres, comme si sa capacité d’émotion ne s’était pas émoussée depuis les premiers contacts avec la France au sortir de l’université Brown. Quel destin pour ce jeune universitaire, qui s’engage pour sauver du désastre le pays de son épouse, qui devient témoin du débarquement en Normandie et de la libération de Paris ! Destin transatlantique pour cet homme courageux et clairvoyant qui fait de l’échange sa pratique quotidienne : échange entre les radios, entre les GIs et les populations meurtries, puis, un peu plus tard, entre les institutions et les universitaires. Il fut toujours un trait d’union, plein d’entrain, un passeur d’informations, d’images fortes et de musiques troublantes.

7Nous avons eu la chance de connaître Sim, de l’avoir pour ami et conseiller. Nous avons eu cette chance d’approcher un véritable pionnier qui avant les grandes migrations faisait le va-et-vient entre les États-Unis et la France, qui avant l’explosion des radios tenait les villageois pendant la guerre, puis les auditeurs de Paris-Inter, sous le charme de sa voix et de ses musiques, et qui avant même les universitaires français avait imaginé de consolider un groupe naissant de trublions en fondant l’AFEA. Oui, nous avons eu cette chance de le voir souvent, avec à ses côtés la présence indéfectible de Lucienne qui donnait à leur couple une sérénité, presque une pérennité. Parcours riche et exemplaire dont chacun de nous ici, à des titres divers, a été le partenaire à un moment de ces trente dernières années. Au nom de tous nos collègues américanistes, nous l’en remercions chaleureusement. Et nous serons très nombreux, une fois encore, près du poste de radio, à écouter les deux émissions qui lui sont consacrées par France Musique demain et dimanche prochain aux Greniers de la Mémoire (7 et 14 mai 2000), pour revenir dans son univers et entendre sa voix. L’Association Française d’Études Américaines a, pour sa part, réédité dans une plaquette en hommage à Sim un entretien qu’il avait naguère accordé à un collègue parisien ainsi que des fragments de ses lettres à Lucienne. En voici pour vous, et nous en laisserons aussi à disposition auprès de la Mairie de Souillac qui rassemble sa bibliothèque, ses disques et ses documents. Par ailleurs, nous souhaitons honorer sa mémoire de manière non seulement durable, mais aussi dynamique, comme par mimétisme avec notre fondateur. Je suis actuellement en pourparlers avec l’Ambassade des États-Unis pour créer un fonds Sim Copans, fonds commun AFEA/Ambassade, dont le produit financier dégagé annuellement permettrait à l’AFEA d’attribuer régulièrement des bourses Sim Copans pour des séjours de recherche aux États-Unis. De cette manière Sim serait toujours à nos côtés, et son nom serait lié à des projets universitaires et transatlantiques : ainsi, à notre tour, nous lui manifesterions notre gratitude et notre fidélité. Je souhaite vraiment que cette belle idée aboutisse, et, bien entendu, je tiendrai Lucienne et ses fils informés.

8La mémoire de Sim sera alors toujours présente à l’AFEA, et il est bon que sa famille et ses amis le sachent. Je parle d’avenir en ma qualité de présidente en exercice, mais nous sommes convenus amicalement que l’un de mes prédécesseurs à la présidence de l’Association, Maurice Gonnaud, vous apporterait lui aussi son témoignage, plus lié à une autre décennie. Avant de lui passer la parole, permettez-moi de dire un ultime merci à Sim.

9Allocution de Maurice Gonnaud, professeur émérite à l’Université Lumière-Lyon II :

10Si je me permets d’ajouter quelques mots, toujours au nom de l’Association, à l’hommage que sa Présidente vient de rendre à Sim, c’est pour apporter le témoignage d’un ami proche et d’un quasi contemporain. Je dois en effet au privilège de l’âge d’avoir été présent au moment où Sim, avec quelques autres, portait l’Association sur les fonts baptismaux, et d’avoir, trente ans plus tard, partagé avec lui et avec sa chère Lucienne quelques moments heureux de notre commune retraite, rythmée par ces temps forts qu’étaient à ses yeux les congrès annuels de l’Association.

11Car Sim, c’était, avant toutes choses, la fidélité dans la générosité et dans la droiture – ce beau mot que notre temps, fasciné par de douteuses idoles, a laissé quelque peu se perdre. Il avait été l’un des tout premiers, sinon le premier, à comprendre, lui Américain de naissance et de culture, que les américanistes français avaient besoin d’autonomie pour jouer pleinement leur rôle de médiateurs, et il ne ménagea ni son temps ni sa peine pour les en persuader. Une fois l’Association constituée, il fut celui qui lui apporta pendant de longues années, et toujours dans la discrétion, le plus précieux des soutiens logistiques. Je le revois dans son petit bureau de la place de l’Odéon préparant des lettres d’invitation en vue du prochain congrès, ou s’affairant avec sa secrétaire à l’expédition du dernier numéro de la Revue Française d’Études Américaines, ou encore, dans la pièce voisine un peu plus spacieuse, accueillant avec un large sourire les membres du Bureau de l’Association, puis se retirant pour respecter le secret de leurs délibérations. Avec le recul du temps, il m’apparaît que nous avons sans doute, les uns et les autres, fait preuve en la circonstance d’un excès de scrupule : Sim était l’un des nôtres, et la confiance que nous lui portions se serait accommodée d’une procédure moins rigoureuse.

12Ajouterai-je que le statut très particulier qui était le sien – professeur américain directeur d’un Institut d’Études Américaines lui-même rattaché à une université d’outre-Atlantique et en même temps membre fondateur de l’Association Française d’Études Américaines, puis infatigable animateur et acteur au sein de cette association, qu’il s’agisse de conférences avec illustrations musicales, à la fois savantes et simples, présentées dans le cadre de ses congrès, ou de participation aux réunions de son Bureau (qu’il avait fini par rejoindre avec le titre, unique lui aussi, de conseiller) – ce statut particulier a été à la source de son rayonnement exceptionnel. Américain outrageusement francophile, il était à la bonne distance par rapport à chacun de nous. Sa nationalité d’origine lui valait d’échapper à nos petites querelles franco-françaises, mais sa connaissance de notre pays et son engagement au service des causes qui nous étaient chères en faisaient le plus sûr des amis. Sa parole comptait parce que, exempte de préoccupations personnelles, elle cherchait à dire l’intérêt commun. Son ouverture aux autres et son tempérament chaleureux avaient le don de mettre chacun à l’aise, quelle que fût sa situation, si bien que l’échange s’établissait tout naturellement avec lui sur le mode de l’égalité. En nous enseignant par l’exemple à ne pas identifier convenances, ou bienséances, avec respect d’autrui, il a beaucoup fait pour développer au sein de l’Association une convivialité de bon aloi, qui en reste aujourd’hui encore la marque distinctive.

13Jusqu’à ce que son état de santé le contraigne à un repli cruel, Sim et sa chère Lucienne assistèrent avec une admirable constance à tous les congrès de l’Association Française d’Études Américaines. Il lui arrivait d’admettre qu’il perdait quelque peu pied dans les menues controverses du moment, mais il y avait dans son regard, lorsqu’il se posait sur les plus jeunes, un attachant mélange de fierté et de tendresse. Ainsi, semblait-il dire, cette association à laquelle j’ai donné le meilleur de moi-même est bien vivante ; ainsi le relais est assuré au-delà de mes espérances. Son bonheur était un peu celui d’un grand-père que l’abondance et la qualité de sa descendance auraient comblé de joie.

14Et c’est bien de famille, en effet, qu’il convient de parler ici. Dans notre affection Sim s’est gagné une place qu’il ne perdra jamais. Pour tout ce qu’il nous a apporté, et que nous n’avons pas fini encore de découvrir, je lui exprime notre reconnaissance. À ceux qu’il laisse, à Lucienne tout d’abord, sa compagne de tous les instants, sa confidente et sa complice, à ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, je dis notre sympathie et je les assure que nous partageons leur immense tristesse.

15Allocution de Jacques Pivaudran, ami intime des Copans

16D’autres que moi ont évoqué, bien mieux que je ne saurais le faire, le grand universitaire, l’homme de radio, le passeur de cultures que fut Sim Copans. Je voudrais simplement vous parler d’un ami disparu. D’un homme connu qu’un hasard bienheureux – son coup de cœur pour Lanzac – m’a fait rencontrer il y a maintenant 25 ans, lors d’une conférence organisée par le Dr Vizerie, alors président du club Unesco, sur le thème « De la Côte des Esclaves à la Nouvelle-Orléans ».

17Le Jazz nous a rapprochés et l’amitié qui s’ensuivit m’a permis de découvrir et d’apprécier

  • un homme de culture, familier des littératures, des musiques, des peintures, y compris dans leurs formes modernes. Toujours en éveil, Sim et Lucienne, qui formaient un couple d’exception, savaient faire partager les découvertes, les émotions, les enthousiasmes suscités par les expositions, les concerts, les livres, les rencontres, événements qui tenaient une grande place dans leur vie.
  • un homme de conviction, clair et rigoureux dans ses choix. C’était aussi un homme citoyen, préoccupé par les problèmes de notre temps, la démocratie, les droits de l’homme, le racisme …

18Sim était fier de voir que ses deux fils, dans leurs vies et dans leurs professions, avaient témoigné des mêmes curiosités et exigences intellectuelles et morales.

19J’ai découvert en Sim Copans un homme de cœur, bon et chaleureux, très attaché à sa famille. Il était émouvant de l’entendre évoquer avec pudeur mais avec amour sa rencontre et sa vie merveilleuse avec Lucienne – je revois encore Sim et Lucienne se tenant la main pendant les concerts –, puis l’arrivée de Jean, de Richard et de tous leurs petits et arrière-petits-enfants [Julien, Joanna, Sylvain, Manuela, Lucie, Rachel, Louis, Nicolas].

20Bien que né aux États-Unis et ayant vécu longtemps à Paris, Sim s’est créé à Lanzac, au bord de la Dordogne qu’il aimait tant, d’autres racines vivaces. Ils ont été si heureux, avec Lucienne, d’y aménager leur maison, de l’embellir, de l’agrandir pour y recevoir leur famille et leurs amis, car ils ont toujours eu le culte de l’amitié et de son corollaire la fidélité. Nous sommes nombreux à pouvoir en témoigner.

21Sim, c’est un regard, une voix, un sourire au service d’une belle intelligence, d’une grande sensibilité et d’une vaste culture.

22Son rayonnement personnel, son œuvre sont tels qu’il survivra dans le cœur de tous ceux qui l’ont connu.

23Aujourd’hui en ce lieu de mémoire, gardons le souvenir de tous les moments où nous avons eu le bonheur de partager un peu de la vie de Sim Copans, si belle et si généreuse, avec une pensée très affectueuse pour Lucienne et sa grande famille.

24Au centre de la ville de Souillac une petite place porte désormais le nom de Sim Copans. L’après-midi du 6 mai, après la cérémonie du cimetière, le docteur Denis Jouen, médecin de Sim, fit le discours suivant devant la foule qui assistait à l’inauguration de la plaque :

25Allocution du docteur Denis Jouen (et lettre de Roland Tissot)

26Madame,

27L’émotion nous étreint devant votre immense peine, et celle de votre famille, d’avoir vu disparaître votre mari. Vous avez lutté de longs mois, tous les deux, afin de retarder l’échéance fatale.

28Vous avez tenu votre mari à bout de bras avec amour et lucidité.

29Votre énergie force notre admiration et nous incite à parler de lui, de ses activités culturelles et musicales, de la richesse de ses sentiments, de son humanisme.

30J’ai été très ému par les mots affectueux d’un de vos amis, le professeur Roland Tissot spécialiste de culture américaine à l’université Lumière-Lyon II ; aussi je tenais à ce que chacun d’entre nous puisse découvrir Sim à travers les phrases simples d’une amitié profonde :

31

« C’est une voix. Je l’entends encore. Elle nous vient du fin fond de la libération de la France, avec le chocolat et le chewing-gum pour les enfants, avec les joies timides et les allégresses encore crépusculaires. Cette voix nous parle du jazz de la Nouvelle-Orléans, du blues de Chicago, du bop de New York, tous lieux aussi lointains et incommensurables que le Mississippi, d’où nous sont parvenus des jeeps et des grands gaillards nonchalants et dégingandés qui ont mis fin à notre longue nuit.
Chaque crissement, chaque pause des disques 78 tours nous disent, vaguement et intensément, comme une basse obligée, le refrain de notre liberté recouvrée.
C’est une voix, grave et chaude, qui prend le temps d’articuler, avec ses glissandi, ses chutes, qui a connu d’autres rivages, qui a entendu d’autres sons, vécu d’autres malheurs et sans nul doute d’autres bonheurs. C’est une certitude. Elle a l’expérience de la liberté et du courage.
J’écoute avidement ces intonations nonpareilles qui caressent et modulent si joliment la langue maternelle de mes pères. J’ai dans l’oreille cette passion contenue, ce désir généreux de me raconter les arts d’Amérique, leur ailleurs, leur flagrante nouveauté.
Mystère et ubiquité des ondes chaleureuses venues rouvrir mes soirées provinciales après Radio-Paris. C’était avant-hier, c’est aujourd’hui encore, une presque filiale reconnaissance.
Chère et fraternelle voix de SIM COPANS à qui je dois ma vocation d’américaniste ! »

32Ainsi le professeur Tissot parlait de votre mari.

33En ces jours de mai et juin, notre souvenir est d’autant plus fort que Sim débarquait avec l’armée américaine il y 56 ans. Ainsi commençait la libération de la France. C’était aussi le début de votre histoire qu’il m’est difficile de retracer tant elle fut riche d’événements intenses. Plus d’un demi-siècle plus tard vous êtes à Lanzac, parmi nous, et j’ai le souvenir d’une grande inquiétude lorsque, devant quitter votre appartement parisien, vous ne saviez pas si son œuvre ne serait pas dispersée.

34La solution de savoir ses livres et ses disques à Souillac fut un apaisement.

35Ce pays qu’il aimait tant, sa seconde patrie, c’est cette région, là où le causse aride se brise pour laisser les plaines fertiles se dérouler en un tapis de verdure. Les racines du festival sont ici.

36Vous avez bien voulu, avec vos enfants, que l’ensemble du travail de toute sa vie soit donné à notre cité, pour que nous puissions en transmettre la richesse et la diversité aux générations futures.

37Le conseil municipal, sur la proposition de son maire Alain Chastagnol, a décidé d’honorer la mémoire de votre mari en donnant son nom à cette petite place, discrète mais visible par tous.

38Elle sera le témoin de la mémoire des Souillagais, et de l’hommage collectif rendu à Sim Copans.

39Madame, vous avez l’énergie de la passion, et nous avons ce devoir de mémoire de construire avec vous cette fondation dédiée à l’œuvre de votre mari.

40Que nous puissions, la municipalité de Souillac et le bureau du festival, être à la hauteur de vos espérances.

41À deux pas de la place « Sim Copans » se trouve le Syndicat d’Initiative. C’est à l’intérieur de ce bâtiment, à côté d’une superbe photo de Sim projetée sur un écran, que le maire de Souillac prononça l’éloge officiel de Sim, souillagais d’adoption et cofondateur du festival de jazz qui a tant contribué au renom de la ville :

42Allocution de M. Alain Chastagnol, maire de Souillac

43Chers amis,

44Nous voici rassemblés ce soir pour célébrer la mémoire de notre ami Sim Copans qui nous a quittés, l’année même où nous fêtons le 25e anniversaire du Festival de Jazz qu’il a créé ici à Souillac.

45Aux témoignages très émouvants que j’ai entendus, la Ville de Souillac a voulu, chère Lucienne, ajouter le sien, en pérennisant par la place qui entoure le Syndicat d’initiative tout le rayonnement qu’il a su donner à notre ville.

46Né dans le Connecticut en 1912, Sim Copans connaît déjà la France lorsqu’il débarque à Omaha Beach en juin 1944, car il a séjourné deux fois à Paris en 1932 et 1938 pour les besoins de sa thèse de doctorat consacrée aux rapports franco-américains pendant le second Empire. Il aime déjà la France et il y a découvert et épousé Lucienne qui revient avec lui aux États-Unis.

47Professeur à la Columbia University dans la ville de New York, il décide alors de tout quitter pour venir combattre en Europe le fascisme. Membre de la « Psychological Warfare », il fait partie des premières barges qui débarquent en Normandie. Il est nommé à la tête du service d’information de la radio de la Voix de l’Amérique et chargé de traduire dans plusieurs langues les bulletins destinés à informer les populations d’Europe de l’évolution des opérations sur le front. Suivant les troupes avec un camion sonorisé, il s’installe sur la place de chaque village libéré et y réalise son émission en direct, entrecoupée de morceaux de jazz.

48À la fin de la guerre, Sim s’installe définitivement en France, avec femme et enfants. Il lance dès janvier 1947, sur la toute nouvelle station Paris-Inter, « Panorama du jazz américain ». Ce sont plus de 4 000 émissions qui s’enchaîneront ainsi tous les samedis de 12 h à 13 h jusqu’en 1976, sous des noms différents : « Jazz en liberté » à partir de 1954, « l’Amérique et sa musique », « Negro-Spirituals » et « Fleuve profond ».

49Il est vraiment la Voix de l’Amérique ou plutôt la voix de la civilisation américaine que vont découvrir des millions de Français. Car le jazz est en France la nouvelle musique, celle de la libération et de la liberté retrouvée. C’est toute une philosophie de la vie qui bouscule et enivre notre vieux pays.

50Toujours à l’écoute de jeunes amateurs très connaisseurs, qui demandaient à Sim Copans des disques qu’il ne diffusait pas, il les invite à venir au micro pour présenter leurs disques favoris. C’est ainsi que Daniel Filipacchi est venu à quatre ou cinq reprises et Yann Gillot une douzaine de fois.

51La longévité de son émission témoigne du succès rencontré auprès du public, sensible à une simplicité de ton qui tranchait avec les discours érudits d’autres critiques de jazz. Il prône le contact et la sympathie directe avec la musique, comme il l’éprouve et la vit.

52Sim Copans avoue, lors d’une interview accordée au magazine Jazz Hot en mars 1965, « ne pas avoir de méfiance envers la critique » mais il trouve que « très souvent le rôle de la critique déborde un peu ».

53Son rôle dans la diffusion de la culture noire prend la forme de conférences prononcées dans toute la France. Entre 1954 et 1962, il en donnera plus de cent. Les publics touchés sont diversifiés, avec une nette percée en milieu ouvrier – catégorie jusque-là peu représentée chez les amateurs.

54Directeur de la Bibliothèque Benjamin Franklin (des services culturels américains), membre du Conseil d’Administration du Centre Culturel Américain, fondateur de l’Institut d’Études Américaines, cofondateur de l’Association des américanistes français, il aide au développement des études américaines au sein des universités françaises qui existaient très peu en France jusque dans les années soixante, et devient ainsi le lien solide entre les civilisations française et américaine jusqu’à devenir l’apôtre infatigable du dialogue franco-américain, ce que reconnaîtra son titre de Docteur Honoris Causa de l’Université de Nancy.

55Ainsi, l’auteur des Chansons de contestation qui reflètent l’histoire américaine, le rédacteur de nombreux textes de pochettes de disques ou de revues, a été non seulement l’inventeur du jazz en France, son diffuseur dans des cercles spécialisés, mais le propagateur de la civilisation d’outre-Atlantique, si mal connue.

56Comment donc devint-il le plus souillagais des Américains ?

57Il faut en chercher l’origine dans le voyage au cours duquel Sim découvre le Lot en 1945, à l’invitation de son ami et journaliste Jean Calvel. Il écrit à Lucienne, le ler mai 1945, dans une superbe lettre déjà citée : « Le pays est très beau, un pays âpre et dur, un mélange de collines couvertes de rochers et de petits chênes coupées par des vallées fertiles ».

58Ils y revinrent en 1963, avec Jeannot et avec Richard. La famille s’installe à Lanzac et grandit. Aujourd’hui, Lucienne, vous êtes entourée d’eux, de vos deux fils, de vos six petits-enfants et de vos deux arrière-petits-enfants, et bien chez vous à Lanzac.

59Chaleureux de nature et ne cherchant pas à en imposer, Sim fut accepté tout de suite par les Lotois et, en février 1975, le docteur Vizerie, Président du club de l’Unesco, lui demande d’organiser un colloque sur un thème de prédilection : « De la côte des esclaves à la Nouvelle-Orléans. »

60Devant le succès de cette rencontre, Sim, entouré de l’équipe de copains que sont Bailles, Calvel, Yronde, Cazals, Dubois, Rohic, Beigné, l’abbé Bergougnoux, Pivaudran, Stéphant …, lance l’idée d’un festival de jazz à Souillac.

61Le premier concert a lieu le 11 juillet 1976 dans l’abbatiale et regroupe plus de mille personnes venues écouter Marie Knight et Memphis Slim. C’est un triomphe.

62Dorénavant, chaque été, Souillac vit au rythme du jazz. Le festival, qui porte le nom de son fondateur depuis 1985, est resté, comme aimait à le souligner Sim, « un festival à dimension humaine ». Il en a fait un festival de très haut niveau avec une pléiade d’artistes exceptionnels qui venaient pour lui : Didier Lockwood, Dee Dee Bridgewater, Michel Petrucciani, Art Blakey, 92 artistes …

63Attentif à chacun, amical, sensible à la qualité du son et du rythme, il a su fédérer et donner son impulsion à un festival que continuent aujourd’hui Robert Peyrillou et tous ses amis. Il s’occupait des moindres détails, comme toujours avec modestie et pertinence. Nous avions fait, en accord avec la Ville, des démarches auprès de son vieux copain Frank Thénot pour qu’Europe 2 et la Jazzette qu’il avait lancée avec lui parlent de Souillac.

64Sim était l’objet de l’admiration de tous, j’allais dire l’objet d’un culte – tant il a su communiquer autour de lui l’amour de la musique et tant son aura était électrique.

65Quelques mois avant sa disparition, à l’occasion du Festival 99, il est monté une dernière fois sur scène devant son public pour annoncer qu’il léguait à la Ville de Souillac sa collection originale d’enregistrements et d’ouvrages ayant trait à la culture américaine et au jazz. La Ville lui en est très profondément reconnaissante. Il va être dur de continuer sans lui pour perpétuer son œuvre. C’est un devoir de mémoire et une promesse d’avenir pour les jeunes.

66Puissions-nous être les bons dépositaires de son legs, avec le fonds que l’Association va constituer et la fondation que nous établirons ensemble pour qu’essaiment, à partir de Souillac, toujours plus d’amateurs de jazz.

67Ainsi la Ville reconnaissante ne se souviendra pas seulement à travers une plaque, mais par une œuvre vivante qui liera la France et l’Amérique.

68Souillac, dont le prophète Isaïe ivre de musique sacrée a scellé les premières pierres, honore aujourd’hui un autre prophète, celui qui a fait entendre à la France et à Souillac la nouvelle musique d’après-guerre.

69Après le discours du maire, Yannick Stéphant et Robert Peyrillou, vice-présidents du festival de jazz de Souillac et continuateurs de l’œuvre de Sim Copans, ont rendu à celui-ci un hommage en forme de poème ou de spiritual à deux voix :

70Hommage de Yannick Stéphant et Robert Peyrillou

71Peut-être connaissez-vous cet étrange recueil de Georges Pérec fait de 480 fragments de quotidien. Tous commencent par « je me souviens ». Une de ces petites phrases dit :

72

« Je me souviens des émissions de jazz de Sim Copans. »

73Sim avait le rare talent d’induire les rêves.

74Le festival de jazz, pour nous, depuis 25 ans, est un rêve que nous partageons ensemble, avec les musiciens, avec le public, avec vous, comme Sim faisait partager sa passion par la voie des ondes, la voie E mais aussi la voix X, cette voix …

75– Je me souviens de ton accent qui ajoutait du parfum à la richesse de tes souvenirs.

76– Pour m’avoir initié dès l’adolescence au jazz, d’abord par tes émissions radiophoniques religieusement écoutées, puis par nos échanges nombreux, thank you Sim.

77– Je me souviens de la colline aux couleurs sans cesse improvisées que tu aimais montrer à tes visiteurs depuis ta terrasse.

78– Pour avoir quitté le sol de ta patrie, laissant quelque temps ta Lucienne et ton Jeannot, contribuant à la lutte contre la bête immonde, la peste noire, qui ravageait la terre de France, thank you Sim.

79– Je me souviens du « petit livre » de Langston Hughes dont tu as écrit la préface et que tu m’as fait découvrir.

80– Pour m’avoir révélé Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, Henry Miller, Anaïs Nin, Thomas Wolfe, James Baldwin, ces « Américains à Paris », thank you Sim.

81– Je me souviens d’une conférence à Brive, où je tremblais en posant le saphir sur tes galettes noires pour illustrer tes propos.

82– Pour cette mémorable conférence, point de départ d’une aventure où tu bousculas la géographie, faisant de la Dordogne un affluent du Mississippi, thank you Sim.

83– Je me souviens de Nicolas de Staël, de Jean-Michel Basquiat (Paris lui rend à nouveau hommage, tu y serais allé), de Pierre Soulages, de Paul Rebeyrolle, qui revient à la fondation Maeght après 30 ans d’absence (nous en aurions parlé).

84– Pour ton goût contagieux de toutes les cultures et ta haine du racisme, thank you Sim.

85– Je me souviens de l’affiche d’Ella Fitzgerald dans la pièce du fond, rue de l’Arcade.

86– Pour m’avoir révélé ces « chants de protestation » qui faisaient de toi, à mes yeux, le frère de la « Lily des Somalies », chère à Pierre Perret, thank you Sim.

87– Je me souviens de la confiance que tu m’as accordée pour choisir les artistes et animer le festival qui porte ton nom depuis 1985.

88– Pour ton humanisme profond, ton humanité ouverte et chaleureuse, ta douceur ferme, pour tout simplement avoir été « you », pour tout cela Sim, we’Il remember you forever.

89– Je me souviens de Sim et Lucienne.

90Peut-être pensez-vous que Sim était le diminutif de Simon. Non, pour nous, Sim était le diminutif d’un seul et même prénom, Sim-et-Lucienne : notre ange gardien n’est pas tout à fait parti.

91Il a communiqué à tous sa volonté de laisser la fenêtre du jazz ouverte ; nous nous engageons à continuer l’aventure pour laquelle nous étions et demeurerons rassemblés autour de lui.

92***

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