Le recueil The Tsar of Love and Techno (2015), d’Anthony Marra, semble constituer un ensemble de nouvelles reliées ou « short story cycle » (selon la définition de Forrest L. Ingram, distinguant les degrés d’unification d’un recueil, Ingram, 17-18), qui maintiendrait un équilibre entre la singularité de ses composantes et le rassemblement en un ouvrage, avec une logique séquentielle de nouvelles reliées entre elles par un ou plusieurs détails. De tels détails y servent à la fois d’indice, de symptôme et de signe obscur de refoulement ou de censure.
Les nouvelles couvrent une période politique totalitaire pendant environ un siècle, des années 1930 à une incursion futuriste dans les espaces interstellaires, et se situent sur tout le territoire de l’ancien empire soviétique, des grandes villes occidentales (aux noms changeant de Léningrad ou Saint Petersbourg) jusqu’aux montagnes tchétchènes et à la Sibérie.
Davantage que des références croisées, il s’agit plutôt d’un maillage serré qui joue avec les définitions du roman choral et du recueil, pour écrire l’émotion proscrite mais qui passe entre les mailles d’un filet politique retors. Un tableau pastoral tchétchène, peint sous l’ancien régime, puis retouché inlassablement par la censure soviétique au fil de purges successives, sert de liaison entre les textes situés à des époques diverses, et permet de reconstituer une histoire tue, où l’émotion affleure sans cesse. Parce qu’il se sent coupable d’avoir survécu à l’assassinat politique de son frère, un censeur décide de remplacer les visages effacés par celui de ce proche incorruptible, dissident assassiné dans les années 1930. Oscillant dangereusement entre censure totalitaire, auto-censure terrorisée et monstration obsessionnelle, l’interdit, le non-dit sont signifiés sans relâche, par des moyens littéraires tels que le déplacement de qualification, l’euphémisme, la réactivation de métaphores figées, ou un réseau métaphorique déplacé, en porte-à-faux, servant de souvenir-écran ironique…
Mots-clés éditeurs : affect, censure, simulacre, palimpseste, souvenir-écran, histoire, hypermnésie, The Tsar of Love and Techno, ekphrasis, ironie, Anthony Marra
Mise en ligne 30/12/2019
https://doi.org/10.3917/rfea.161.0096Cet article est en accès conditionnel
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