Françoise Clary. Steinbeck. The Grapes of Wrath. Paris : Atlante, 2008. 221 p.
1C’est une étude dense et ambitieuse du roman de Steinbeck que nous livre Françoise Clary dans ce volume de la collection Clefs concours Anglais. Destiné aux candidats aux concours, l’ouvrage fait une part importante au contexte historique, intellectuel, économique et social du roman. La première partie, intitulée « Repères », retrace les moments marquants de la vie de Steinbeck, la genèse de l’œuvre, les influences culturelles et littéraires qui ont marqué son écriture. Elle comprend également un exposé bien fait des raisons écologiques et économiques qui motivent le départ des Okies ainsi que des différents aspects de la Grande Dépression qui affectent leur difficile parcours vers la terre d’amères désillusions que sera la Californie. Le cœur de l’ouvrage, intitulé « Thèmes », est une étude fouillée du roman. La démarche est très pédagogique, conformément au format imposé par la collection et comme l’atteste la division en chapitres et nombreux sous-chapitres. Cela n’enlève rien, bien au contraire, à l’intérêt de ce travail qui, étayé par des micro-analyses textuelles fines et pertinentes, met à jour tous les éléments de l’écriture qui confèrent une unité symbolique à un roman ancré dans la réalité historique et imposent au lecteur l’idée d’« une certaine signification de l’être ». On appréciera le développement sur « le rapport dialectique entre le réel et la lecture qu’en propose Steinbeck » — rapport qui se fonde sur l’interaction étroite entre la réalité historique, sociologique, économique et la présence d’éléments symboliques et mythiques, la création des personnages et leurs relations, les divers avatars du temps. L’influence transcendantaliste et surtout whitmanienne, la prédominance de l’idéologie agrarienne ainsi que l’expression du « volontarisme puritain », présente notamment chez Ma et chez Tom, amènent Françoise Clary à proposer « une lecture plus philosophique que politique ou sociologique du roman ». Ce choix s’appuie par ailleurs sur une étude solide de la structure narrative, qui contribue puissamment à doter le roman d’une dimension épique, dramatique, tragique. Sur un mode plus technique, Françoise Clary analyse le caractère cinématographique de l’écriture ; tout naturellement, cette problématique est à nouveau abordée dans la dernière partie de son travail, « Perspectives », consacrée au film de John Ford. S’appuyant sur une analyse précise de plusieurs plans du film, Françoise Clary montre comment images et sons concourent non seulement à créer une émotion esthétique, mais aussi à imposer les thèmes mêmes du roman, notamment le lien de l’homme à la nature, son désir de vivre selon ce lien et sa volonté de lutter contre les forces destructrices d’un capitalisme aveugle et inhumain.
2De nombreux ouvrages ont été consacrés à Grapes of Wrath ; ce livre dont la démarche est apparemment modeste et qui s’appuie sur un appareil critique sûr apporte une contribution originale et pertinente à l’étude du roman de Steinbeck.
3Michel Bandry
4(Université Paul Valéry – Montpellier 3)
Paule Lévy. Figures de l’Artiste. Identité et écriture dans la littérature juive américaine de la deuxième moitié du xxe siècle., Coll. « Lettres d’Amérique(s) ». Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, 2006
5La force de cet ouvrage tient à son lumineux questionnement. C’est en effet en accordant une attention constante et infiniment respectueuse aux doutes et aux contradictions qui caractérisent les œuvres de son corpus que Paule Lévy réussit à aborder, dans leur nécessaire diversité, les modes d’expression de l’identité et de l’écriture juives dans la littérature américaine de la deuxième moitié du vingtième siècle. Comme les écrivains qui, recourant à l’exubérance, aux dédoublements et aux déguisements, ou encore aux murmures, aux bruissements et aux silences, trouvent dans leur réflexion sur les limites de l’art un mode de retour au plus près de leurs sources et de la complexité du vivant, Paule Lévy s’attache à éclairer, mais aussi à écouter, les atermoiements de la conscience et de la voix afin d’esquisser les traits d’une écriture simultanément tourmentée et renouvelée par son incertitude — « the unsureness of everything » (Ph. Roth).
6Original et novateur, l’essai de Paule Lévy s’intéresse aux œuvres qui, succédant aux romans de l’assimilation ou de l’aliénation, s’orientent vers l’expérimentation et manifestent ainsi leur irrésolution entre la nécessité de s’inscrire dans une tradition et la volonté de s’ouvrir à l’universel. Eminemment réflexives, ces œuvres sont néanmoins soucieuses de s’inscrire dans une continuité historique — de se situer par rapport à la Shoah et de s’investir moralement dans la société contemporaine. Dans sa structure même, Figures de l’Artiste suit les errances, les réticences, mais aussi les résolutions d’une écriture essentiellement rétive à toute définition. Avec patience, avec passion, le livre se consacre à la verve inventive de trois maîtres de la littérature juive américaine avant de se vouer à la radieuse intensité de voix féminines, secrètes et solitaires, et de s’aventurer vers les confins de la tombe, où les mots, noués de douleur et de remords, touchent à l’indicible.
7Comme dans sa magistrale introduction, où elle situe son corpus au sein de l’histoire de la littérature juive américaine, Paule Lévy justifie son choix de romans et de nouvelles dans d’excellentes synthèses sur chacun des auteurs, en début de chapitre. Montrant une connaissance vaste et avisée de son domaine, elle souligne combien la dimension doublement réflexive et éthique des textes sélectionnés est encore peu explorée par la critique. Dans l’œuvre de Bellow, elle s’intéresse à la quête burlesque de Henderson the Rain King. Semblables aux images grotesques caractérisant le corps du héros, les outrances de la voix et les détours de la narration traduisent une incapacité à donner sens au récit. Mais l’ultime découverte de la blancheur de Newfoundland se présente aussi comme une métaphore de « cette Amérique que [les écrivains juifs américains] parvinrent à intégrer tout en préservant leur altérité ». Humboldt’s Gift retrace encore l’ambivalence d’une écriture qui, à travers ses emprunts et ses jeux de miroirs, révèle non seulement la multiplication des masques et des leurres au sein d’une métropole désormais « cannibale » mais aussi la manière dont les souvenirs font rempart au chaos. Si les descriptions mémorielles concourent paradoxalement à creuser la fracture entre le passé et le présent, si la valeur mythique des souvenirs d’enfance se trouve finalement désacralisée, l’écrivain s’attache néanmoins à recréer, « au détour d’une rue, à la faveur d’un spectacle, d’un bruit, d’une odeur », la misère et la chaleur des quartiers d’immigrants de Chicago ou de New York. Dans The Tenants, de Malamud, c’est au contraire un décor dévasté qui reflète l’interrogation du texte sur sa propre possibilité. Tout en montrant la cohabitation mortifère entre l’ascèse formaliste et le réalisme militant, Paule Lévy retourne aux fondements du judaïsme — « la révélation procède d’un vide qui ne se constitue comme texte qu’à travers les interprétations de Moïse » (S. Mosès) — afin de suggérer combien « l’esthétique de l’inachèvement » amène l’écrivain à manifester sa préférence pour un sens imprévisible, toujours à inventer. Dans l’œuvre de Philip Roth, cette étonnante relation entre un sens insaisissable, nécessairement pluriel, et une vérité toujours hors d’atteinte transparaît sous la forme d’enchâssements discursifs, de dédoublements énonciatifs ou de fluctuations stylistiques. Dans le « pèlerinage littéraire » de Ghost Writer, le foisonnement des masques manifeste non seulement les subtilités de la satire sociale, mais aussi les vacillations de la conscience narrative et, au-delà, la hantise d’une perte innommable : celle de la Shoah, amenant tout artiste à « une réévaluation radicale des enjeux et des limites de toute représentation ». Peut-être serait-ce alors seulement à travers ses fictions successives que l’écriture toucherait au vrai, dans son essentielle précarité.
8Sensible à la verve spéculative, symbolique ou même carnavalesque des mots, Paule Lévy sait aussi recueillir les cassures et les mutismes de récits tourmentés, minimalistes ou morcelés. Elle s’intéresse à l’œuvre difficile de Cythia Ozick, issue d’une aporie constitutive de la littérature juive américaine : « comment concilier l’ardeur créatrice avec une tradition qui proscrit en principe toute représentation ? ». Dans son exégèse minutieuse, elle éclaire les tensions d’une écriture qui, recourant à un assemblage comique de récits ou de références, célèbre les forces créatrices qu’elle souhaitait dénoncer. Mais elle montre aussi comment, semblable à cette couronne brillante mais contraignante qui circule à travers les histoires, l’écriture réussit à concilier l’imagination et la Loi morale en renouant avec « la puissance purement suggestive des conteurs talmudiques dont l’inventivité visait à explorer sans toutefois les résoudre, les obscurités ou les ellipses du texte sacré ». Le texte semble ainsi se renouveler à l’entour d’une béance centrale — la première lettre, absente de l’alphabet, ou le « trou de langage » d’où émane le Nom imprononçable de Dieu (« Si l’absence ne se laisse pas réduire par la lettre, c’est qu’elle en est l’éther et la respiration », écrivait Derrida). C’est au contraire loin de tout mysticisme que Grace Paley raconte les vies ordinaires. De sa voix lisse et limpide, qui « bouleverse d’autant mieux qu’elle feint de demeurer en surface et de ne faire qu’effleurer », elle dépeint le banal et le prosaïque, et se prête aux rumeurs ou aux rythmes alentour. Le commun se mêle à l’intime et transcrit « les accords inédits, les soupirs étouffés ou les brusques envolées d’une petite musique de l’âme ». À la douceur d’une voix qui s’amenuise succèdent les sursauts mémoriels et les silences de Tillie Olsen. Dans la texture diaphane de « Tell Me a Riddle » s’esquissent les souffrances d’une voix agonisante, où le refus et le renoncement deviennent les vecteurs d’un dépassement de soi.
9Les « tonalités mineures » d’Olsen semblent accompagner le lecteur vers les confessions d’Henry Roth. Avec tact, avec finesse, Paule Lévy consacre son dernier chapitre à Mercy of a Rude Stream et aux secrètes contradictions d’une écriture qui, souhaitant restaurer une cohérence au sein d’une existence morcelée, hantée par un sentiment d’aliénation et surtout le souvenir d’une indicible transgression, ne cesse de se mutiler, de se désarmer, de se dissimuler. Or, c’est précisément « dans les moments de doute, d’égarement ou de renoncement, quand la mémoire échoue, quand le discours divague et que l’esprit chavire […] [que] le flux tumultueux des émotions et des mots devient enfin miséricordieux ». Paradoxalement, la défaillance du dire serait un mode de retour à une tradition qui « pose au commencement de la Création le Retrait, la Brisure, l’Exil de la Présence et de la Voix ».
10Figures de l’Artiste se consacre aux variations d’une identité et d’un art indéfinissables. Si le texte est le lieu où « l’homme en suspens » réussit à s’inscrire dans une continuité personnelle ou littéraire, il demeure aussi le territoire où les vacillements de l’écriture traduisent l’ouverture morale et humaniste d’une littérature. Dans sa conclusion, Paule Lévy revient avec bonheur sur le travail de désacralisation et de considération propre à l’humour, mais aussi sur les modulations du langage, mêlant l’éloquence aristocratique et la spontanéité « rocailleuse » de la rue. Dans la littérature juive américaine, le livre « toujours à réécrire et toujours à relire » est aussi l’intervalle où peuvent s’inventer d’innombrables « contrevies » (Ph. Roth). Écrit avec rigueur et élégance, éclairant dans ses analyses comme dans la richesse et la variété de ses lectures critiques, Figures de l’Artiste est une contribution majeure et précieuse au domaine des études sur la littérature juive américaine.
Nathalie Cochoy
(Université Toulouse – Le Mirail)
Aura Paulaskienò. Lost and found. The Discovery of Lithuania in American fiction. Amsterdam: Rodopi, 2007. 173 p.
11Years ago, the English geographer W. R. Mead conducted a survey, published in the journal Neuphilologische Mitteilungen, of the ways Finns—a people with whom the Lithuanians share a number of historical experiences—appear throughout literature. He came to the conclusion that, in foreign literature, Finns—as figures of fun—served a solely comical function and otherwise did not appear all that much. Aušra Paulaskienė’s thorough study on Lithuania and Lithuanian themes in American fiction has, however, a somewhat different aim and consequently achieves a different end result.
12In a way, the underlying idea in Paulaskienė’s study is that fiction has enormous power in forging stereotypes in the public mind. Even though Paulaskienė’s book focuses on what many would take to be lesser known autobiographies and autobiographical novels—Abraham Cahan’s autobiography The Education of Abraham Cahan (1969), Ezra Brudno’s autobiographical novel The Fugitive (1904), Goldie Stone’s My Caravan of Years: An Autobiography (1945), and Margaret Seebach’s That Man Donaleitis (sic): A Story of the Coal Regions (1909)—it is no doubt the case of Jonathan Franzen’s recent bestseller The Corrections (2001) that most attracts the international reader’s attention. Paulaskienė’s central intuition, and, in a way, the starting point of the whole study, is that Franzen’s representation of Lithuania can be seen as representative of a predominantly negative view of nationalism among American intellectuals, a bias resulting from their inability to distinguish between the aggressive nationalism of the Nazis and the defensive nationalism of unlawfully annexed nations such as Lithuania. On the other hand, Paulaskienė concludes that, for example, Franzen’s negative view of Lithuania can be interpreted as a sign of the real Lithuania’s persistent invisibility in the West.
13Paulaskienė’s study is without any doubt an important contribution to the examination of the Baltic identity in fiction, not only for Balts, but also for those interested in national stereotypes and their manifestations in fiction. It seems, however, and quite rightly so, that there is no such thing as an innocent author, either in fiction or in non-fiction.
14Janna Kantola
15(University of Helsinki)
Florence Stricker. Cormac McCarthy – Les romans du Sud-Ouest. Paris : Ophrys, 2008. 168 p.
16La collection Des auteurs et des œuvres dirigée par Paul Veyret aux éditions Ophrys s’adresse aux étudiants. Après une étude sur Joyce, elle accueille un ouvrage consacré à Cormac McCarthy dont Blood Meridian (1985) et The Border Trilogy (1992, 1994, 1998), présentés par F. Stricker. Les ouvrages regroupés dans cette collection proposent tous une analyse des problématiques propres à l’auteur, suivie de quatre explications de texte en anglais. La dernière partie fournit glossaire, bibliographie critique et index. Dans une langue claire, F. Stricker offre une riche évocation des spécificités de l’écriture de McCarthy, dont on fera le résumé ici.
17Dits du Sud-Ouest, les romans abordés dans ce livre sont placés sous le signe de l’espace. « Ethique du nomadisme » récapitule les multiples lectures du désert de Blood Meridian, en relevant toujours les traces qu’elles ont laissées dans l’écriture. Tout en ce lieu est réduit au minéral, tandis que s’impose la présence du réel dans sa matérialité. F. Stricker inscrit cette « démocratie optique » dans la tradition anti-hiérarchique inaugurée par Mary Austin. Le détail n’est pas un déclencheur herméneutique, et la figure de l’analogie entre l’homme et la nature n’est que l’expression d’une succession spatiale, d’une égalité toute impersonnelle par opposition à la pensée d’un Emerson toujours en quête « d’une dimension symbolique ou morale ». Malgré cette différence, F. Stricker place McCarthy dans une lignée qui le rattache à Emerson, Whitman et Dewey par la recherche « d’une régénération continue de la perception » et parce qu’il voit en la nature le « seul accès possible à la diversité du réel ». L’espace offre alors « un terrain de réflexion sur l’optique, les conditions de la perception », le point de vue et le regard. Le désert est « un opérateur mythique » qui permet de convoquer tout en les révoquant de multiples traditions rhétoriques (puritanisme, humanisme anthropocentrisme des Lumières, théologie négative, Destinée Manifeste, Bildungsroman, transcendantalisme, Western…) ; la critique de l’éloquence et de l’autorité incarnées par le juge Holden dénonce l’impérialisme textuel et la faillite de la circulation des valeurs. L’« éthique du nomadisme » est dès lors une éthique « de la résistance au règne de l’interprétation et à la tyrannie des “plots” ».
18« Habitation du monde » est consacré à The Border Trilogy. Dans ce texte moins radical que Blood Meridian, on retrouve la structure conventionelle de la « romance », du mélodrame, du récit de voyage linéaire avec inititation d’un héros, mais aussi une subversion des présupposés génériques par l’emboîtement des récits, la polyphonie des discours et une métatextualité affichée. F. Stricker place The Crossing dans la tradition du roman philosophique, et y voit l’exploration d’une intéressante perspective leibnizienne toute de séries convergentes qui permettent d’accéder à une harmonie universelle, à un « sujet pour-le-monde » où « le monde est dans le sujet ».
19Pour conclure, F. Stricker mentionne les similitudes entre McCarthy et la Renais-sance américaine, telle que l’institution d’un rapport au quotidien comparable à celui que souhaite Emerson.
20Au terme de cette présentation, on fera état de quelques petits regrets. Tout d’abord, une bibliographie incomplète, où ne figurent pas les trois plus récentes publications de McCarthy : No Country for Old Men (2005), qui est aussi un roman du Sud-Ouest ; The Sunset Limited : A Novel in Dramatic Form (2006), mis en scène à Chicago, puis à New York et à Galway ; et enfin The Road (2006). L’auteur aurait pu aussi mentionner l’ouvrage de David Holloway, The Late Modernism of Cormac McCarthy (2002, Greenwood Press) pour son analyse des conditions de possibilité du récit et sa réflexion sur l’idéologie de la représentation chez McCarthy. On regrette enfin le traitement inégal des romans, déséquilibre accentué par le choix de n’aborder que des extraits de Blood Meridian dans les explications de texte.
21Béatrice Trotignon
(Université de Paris 9)
Martin Scofield. The Cambridge Introduction to the American Short Story. Cambridge : Cambridge University Press, 2006. 291 p.
22This introduction to the American short story spans the history of the genre in the United States from its origins in the early nineteenth century to its contemporary manifestations, ending with Carver “because of his special distinction and because of the undoubted influence his example has had on the status and the form in our own time,” Martin Scofield writes (236). The book is divided into twenty-three chapters of more or less equal length (ten to thirteen pages), chapters 1 and 23 being simply the “Introduction” and the “Epilogue.” The titles of the twenty-one chapters vary : some consist only in the names of the authors, others are more general and refer to a period or a trend, still others are a mixture of both. Apparently this is meant to identify the successive literary trends that have marked the history of the genre, but one may regret that these titles do not stand out as distinct entries in the table of contents, for clarity’s sake. Of the thirty-two writers whose names constitute titles, nine are granted a whole chapter ; the remaining twenty-three appear in groups of two, three or even four. Except in the chapters devoted to a single author, which allow for a greater scope and a more detailed study, Scofield’s method is to select one, sometimes two, of the best-known stories by a given writer. After summarizing the plot, he provides a short analysis of the story and places it in the broader context of the author’s work and/or the period. While such a mode of presentation gives a quick overall view of a writer’s style, technique, and main themes, it is not always sufficiently nuanced (for example, reducing Kate Chopin’s “A Pair of Silk Stockings” to a “mild satire” that “gently mocks the fantasy world that its heroine builds out of a small spending spree on clothes, cosmetics and an expensive meal” [100] does not really do justice to the story or to Chopin’s aim).
23In the first pages of his “Introduction,” Scofield points out the different influences that have shaped the American short story (European, Native American, African American) and poses “the vexed question of genre” (3). He explains that among the wealth of criteria cited by specialists of the genre, one of the notions he finds particularly applicable to the short story is what Kingsley Amis has called “the idea as hero” (5) : the short story is indeed often governed by a single idea or image that gives it an aesthetic coherence. He then moves on to “The literary and social context of the early American short story,” highlighting the role played by magazines in popularizing the genre. Its democratic aspect, as well as its “lightness and mobility” (8), are also mentioned as key elements accounting for its success in the United States.
24The first period corresponds roughly to the first half of the nineteenth century. The opening chapter, “The Short Story as Ironic Myth,” focuses on the two writers who “produced stories which not only constitute the foundations of a genre but also deal with the foundations of modern American society itself” (10) : Washington Irving and William Austin. The next three chapters concentrate on the canonical figures of Nathaniel Hawthorne, Edgar Allan Poe, and Herman Melville. Chapter 6, “New Territories,” moves forward both in time and place and is concerned with Bret Harte and Mark Twain.
25The next section is devoted to “Realism, the Grotesque and Impressionism.” Accordingly, Scofield starts with William Dean Howells, the man who was “a significant influence” (65) on American realism and an advocate of the short story form, and goes on to mention Hamlin Garland, Ambrose Bierce and Stephen Crane. Henry James, whose achievement in the short and long story “would assure his classic status even without the novels” (78), has the whole of Chapter 8 to himself. Chapters 9 and 10 turn to short fiction by women writers “who have come to be seen as especially significant” (88) : Rebecca Harding Davis, Sarah Orne Jewett, and Mary Wilkins Freeman share six and a half pages, while Charlotte Perkins Gilman, Kate Chopin, Edith Wharton, and Willa Cather are squeezed into eleven pages. This selection whets one’s appetite but is also rather frustrating. One cannot help feeling that too little space has been granted to women writers in general and to these in particular.
26Chapter 11, “Growth, Fragmentation, New Aesthetics and New Voices in the Early Twentieth Century,” stands apart. As its aim is to underline important changes in the form of the short story and the preoccupations of the genre’s “serious practitioners” (107), it does not deal with any specific author at length. Rather, it contextualizes these shifts within European and Russian literature and points out their connections with poetry and the visual arts. The chapter thus helps account for the emergence of “new voices and new techniques which drew less on the literary experiment of Crane and the high literary refinements and elaborations of Henry James and more on the semi-popular tradition deriving from Bierce and Twain” (114). The next six chapters focus respectively on O. Henry and Jack London, Sherwood Anderson, Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgerald, William Faulkner, and, grouped together in Chapter 17, Katherine Anne Porter, Eudora Welty, and Flannery O’Connor. Scofield then turns to African American writers in Chapter 18, where he begins with the nineteenth-century author Charles Chesnutt and moves on to the twentieth century with Richard Wright and James Baldwin, up to 1965.
27From then on, the chapters bear general titles instead of authors’ names, with the exception of Chapter 22 (on Carver). The focus on writers and trends becomes increasingly pointillistic : Chapter 19, “Aspects of the American Short Story 1930-1980,” gathers (and attempts to classify) authors and themes as varied as “Magazines, Jackson and Salinger,” “The Rural West, Northern Catholic Faith and Southern Manners : John Steinbeck, J. F. Powers and Peter Taylor,” “Extreme Worlds : Truman Capote, Carson McCullers, Paul Bowles, Jane Bowles,” and ‘The Sorrows and Consolations of Suburbia : John Cheever and John Updike.” While some associations are obvious, as for Cheever and Updike, others seem to suggest difficulty in finding a unifying principle. Chapter 20, “Two Traditions and the Changing Idea of the Mainstream,” deals with the Jewish American short story from 1950 to 1980 and returns to the African American short story, this time from 1930 to 1980. Scofield’s reason for treating African American short fiction in chapters which do not follow each other and whose time span overlaps by thirty-five years remains unclear. As for the antepenultimate chapter, it centers on “The Postmodern Short Story in America” with John Barth, Donald Barthelme, Robert Coover and William H. Gass.
28Scofield’s book has solid foundations and makes for a pleasant and informative read. It serves its purpose of providing an overview of the American short story. One could perhaps wish the author had discussed stories by contemporary writers at greater length ; but as the title says, this is an introduction. The “Guide to Further Reading” and its twenty-five pages of references to anthologies and volumes of short stories by individual authors is there to help the reader discover these authors for himself.
Brigitte Zaugg
(Université Paul Verlaine – Metz)
Michèle Gibault, dir. Exils, Migrations, Créations. Les mondes anglophones. Volume II. Paris : Indigo et Côté-femmes, 2008. 262 p.
29Cet ouvrage, second recueil des actes du colloque IMAGER organisé par l’université Paris 12-Val de Marne en avril 2006, et consacré au thème de l’exil et des migrations, comporte dix-neuf communications en littérature et en histoire. Divisés en quatre grands ensembles – les incertitudes de l’exil, la reconstruction d’une identité, l’exil et les fluctuations de la politique, l’exil et la re-création des communautés –, les différents articles offrent un éventail géographique très large, incluant l’Europe, l’Amérique et l’Asie.
30Dans son avant-propos, Michèle Gibault, directrice de cette publication, pose la problématique de l’exil, « mise à l’épreuve individuelle », véritable « séisme de l’être […] qui affecte des communautés entières ». Qu’il s’agisse d’expériences individuelles ou de communautés diasporiques, le processus de déracinement porte en germe la déconstruction identitaire et une reconfiguration souvent douloureuse, parfois salvatrice, dans un nouvel espace.
31Dans la première moitié de l’ouvrage, consacrée à l’exploration littéraire, l’étude de nombreux écrivains extrêmement célèbres (Nabokov, Nadine Gordimer, Nancy Huston) ou moins connus du grand public (Mistry, Glave) éclaire avec justesse le conflit entre un état de souffrance lié à l’exclusion (réelle ou supposée) et la libération qui s’opère à travers l’acte créateur. Exil géographique et exil intérieur se conjuguent, s’alimentent, et aboutissent, malgré le constat de cette perte de soi, à la création d’une nouvelle identité indissociable de la notion de communauté de destin. Le passage d’une langue à l’autre, notamment, révèle ces tensions identitaires, que l’on pourrait résumer par l’expression de Nancy Huston (pourtant exilée volontaire) : « doublement mi-lingue », et jamais bilingue. Une question subsiste cependant : peut-on utiliser le terme d’exil pour qualifier les voyages qu’effectua Rabindranath Tagore tout au long de sa vie ? Il y a, me semble-t-il, dans cet usage élargi du terme, matière à confusion, et danger de réduire le véritable exil à une simple quête de sens.
32La seconde moitié du recueil évalue les expériences de différentes communautés : Amérindiens, Vietnamiens et Cubains aux États-Unis, Jamaïcains à Londres, Dalits en Inde. Victimes de fluctuations politiques, ou victimes de l’histoire, ces groupes ont fait acte de résistance au processus de dislocation, recréant des identités collectives fortes. Cet ensemble d’articles permet d’affiner les points de vue en complétant un « balayage » historique qui souligne les forces à l’œuvre dans le processus d’exil. Nous avons là des analyses politiques portant notamment sur les législations et les jeux gouvernementaux qui favorisent certains groupes en fonction de leur politique étrangère du moment (exemple des Cubains). L’interaction avec le pays d’accueil apparaît comme une donnée essentielle dans l’analyse de la construction identitaire : l’installation officiellement encouragée des Cubains en Floride aura paradoxalement renforcé leur spécificité culturelle, leur conférant ainsi un poids politique conséquent, à l’inverse d’autres groupes (Haïtiens, par exemple).
33Un peu incongru, peut-être, figure un article sur l’armée du roi d’Angleterre Charles II à travers l’analyse de l’auteur dramatique Thomas Otway, lui-même ancien soldat. À mi-chemin entre littérature et histoire, l’argument qui fait de ces soldats démobilisés des exilés au même titre que les royalistes, exilés véritables qui n’eurent d’autre choix que de partir s’ils voulaient échapper aux exécutions, me semble peu convaincant.
34En conclusion, malgré ces quelques réserves, nous avons là un ouvrage qui ne pourra qu’intéresser ceux d’entre nous qui se consacrent à l’étude des (im)migrants. La variété des approches – culturelle, linguistique, politique et historique – ouvre sur d’autres questionnements fondamentaux quant aux phénomènes diasporiques à travers le monde.
35Annie Ousset-Krief
(Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3)
Pierre Monette. St. John de Crèvecœur et les Lettres d’un Fermier américain. Québec : Presses de l’Université de Laval, 2009. 587 p.
36Pierre Monette s’intéresse aux relations entre les cultures québécoise et états-unienne des xviiie et xixe siècles ainsi qu’aux séjours au Québec d’écrivains états-uniens et français depuis le xviiie siècle. C’est à ce titre qu’il a décidé de traduire et d’analyser l’œuvre de l’écrivain né en Normandie, puis émigré en Nouvelle-France et dans les colonies britanniques d’Amérique, avant de faire publier en Europe, en 1782, le texte qui le rendit célèbre.
37Pierre Monette s’est attelé, avec finesse et avec une précision de naturaliste, à la traduction non seulement des Lettres d’un Fermier Américain, mais aussi d’un texte moins connu, « Description d’une tempête de neige au Canada ». Le but avoué de Pierre Monette est de « rapatrier St. John de Crèvecœur dans le corpus littéraire québécois ». Dans la mesure où ce parti pris est délibérément assumé, on pardonne à l’auteur son chauvinisme qui lui fait affirmer qu’il est plus aisé pour un Québécois de comprendre cette œuvre rédigée par un hybride plus totalement français, mais pas encore complètement américain. Monette, complète sa traduction (dans un français qui ne cherche pas à reproduire le français du xviiie siècle) d’une étude critique dense et convaincante de plus de 250 pages. Pourquoi avoir entrepris cette nouvelle traduction ? Parce que la version française, proposée en 1784, puis 1787 par St. John de Crèvecœur après la publication de ses Letters en Angleterre, s’apparentait plus à une adaptation pour les salons littéraires de la fin du xviiie siècle. En outre, Monette souligne les nombreuses erreurs de la traduction proposée récemment, en 2002, notamment en matière d’ornithologie (exemple du fameux tyran tritri). Et il entend offrir la possibilité à des chercheurs francophones de s’intéresser de nouveau aux textes de St. John de Crèvecœur. D’ailleurs, tout est traduit, y compris les extraits de correspondance avec George Washington ou Thomas Jefferson. Afin qu’un lecteur non anglophone se sente parfaitement à l’aise, l’ajout d’une carte ou deux aurait permis de situer de manière plus claire les lieux évoqués (par exemple Neutral Ground qui séparait les forces britanniques, de l’Armée continentale).
38Quant à l’appareil critique, il est le résultat d’enquêtes rigoureuses menées à partir d’archives souvent méconnues ; Monette fait dialoguer les différents témoignages des contemporains de St. John de Crèvecœur afin de battre en brèche certaines idées reçues, concernant, par exemple, le secret que St. John de Crèvecœur aurait tenu à garder sur son expérience militaire en Nouvelle-France, ou bien son très hypothétique séjour au Portugal vers 1754. Bien qu’il nie l’utilité de la biographie pour éclairer l’œuvre, Monette consacre quelque 200 pages à la vie de St. John de Crèvecœur. Ses analyses détaillées des changements de noms de celui qu’il convient d’appeler St. John de Crèvecœur, lui permettent de souligner combien l’identité composite de l’auteur, « un self-made man et son self-made name », peut être comparée à l’expérience des Canadiens, et des Américains.
39Dans la perspective de Pierre Monette, davantage socio-culturelle que littéraire, les pages les plus originales analysent la valeur métaphorique des abeilles, symbole récurrent dans l’œuvre de St. John de Crèvecœur ; bien qu’il se déplace, le sens de la métaphore semble toujours renvoyer à une communauté déjà constituée, confrontée aux agissements disruptifs d’une nouvelle entité étatique (comme celle des Canadiens avant la Conquête !).
40Notre communauté d’américanistes et d’anglicistes pourra se pencher avec grand intérêt sur cet ouvrage retraçant les étapes de la vie et de la création littéraire de St. John de Crèvecœur. Les références aux autres écrits de St. John de Crèvecœur (par exemple Sketches of Eighteenth-century America, ou Le Voyage en Haute Pennsylvanie) enrichissent cette étude, qui, à l’instar de la personnalité de St. John de Crèvecœur, livre plus que ce qui est affiché dans le titre.
41Catherine Bécasse
(Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)
Bernard Vincent. Lincoln, l’homme qui sauva les États-Unis : biographie. Paris : l’Archipel, 2009. 425 p., Abraham Lincoln, le pouvoir des mots. Paris : l’Archipel, 2009. 278 p.
42Voilà donc Bernard Vincent, alpiniste inlassable, admis au club des vainqueurs de l’Everest biographique, avec son Lincoln, l’homme qui sauva les États-Unis : cinquante-trois ans après Louis de Villefosse, le drapeau français flotte à nouveau sur les études lincolniennes. Avec un format réduit de 372 pages de texte, 31 pages de notes, huit pages de bibliographie et un index, Bernard Vincent voyage léger, mais nous emmène là où peu se risquent, la synthèse.
43Le titre n’est pas démenti par le reste de l’ouvrage, qui opère, d’une façon remarquablement pédagogique et jamais scolaire, la liaison entre biographie et histoire. Le grand public tient entre les mains un ouvrage de référence d’une lecture agréable, et l’américaniste dispose d’un travail solide, au plus près des études lincolniennes des dernières décennies, avec un appareil critique astucieux qui donne notamment accès à d’importantes ressources Internet. Le spécialiste de Lincoln, s’il retrouve la trace des cordées précédentes dans bien des endroits, appréciera particulièrement la sobriété et l’efficacité de la peinture des contextes, l’accent mis avec bon sens et finesse sur le facteur humain, la prise en compte de l’empreinte des relations amicales sur la maturation du personnage, ainsi que le souci, inhabituel dans le genre, de mettre en exergue la vision des femmes chez Lincoln.
44Il ne faut, bien sûr, tenir aucun compte de la prétention de l’auteur, affirmée implicitement dans l’avant-propos, à l’impartialité. Si le travail de l’historien procède toujours de la rencontre entre une subjectivité citoyenne et un objet de recherche impossible à construire sans référence à des faits avérés, le compagnonnage du biographe avec son sujet exige qu’il réagisse encore plus humainement à l’être humain qui partage sa vie pendant de longs mois. « Lincoln n’a besoin ni d’un excès de révérence, ni d’être assassiné une seconde fois », nous dit Bernard Vincent. « Il a besoin d’un portrait ressemblant et aussi fidèle que possible. Tel est le but (peut-être utopique) que s’est fixé le présent ouvrage ». La formulation « “Lincoln” a besoin » révèle la force de l’engagement de l’auteur. Mais, s’il est permis d’emprunter à Lincoln le renversement dialectique du discours de Gettysburg (« it is rather for us to be dedicated… »), ce n’est pas Lincoln qui a besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’autres Lincoln, tel que cette biographie nous le livre, « warts and all ».
45Comment traduire le discours de Gettysburg et les autres monuments de la rhétorique lincolnienne sous tous ses aspects ? Qui s’y risquerait ? Bernard Vincent encore, avec son Abraham Lincoln, le pouvoir des mots, qui présente et traduit 105 textes de Lincoln. Tous les américanistes n’en auront peut-être pas besoin, mais, celui qui s’essayera à répéter l’exercice pourra mesurer le degré de familiarité avec son sujet que l’auteur de Lincoln, l’homme qui sauva les États-Unis a acquis grâce à ce travail.
46Olivier Frayssé
(Université de Paris Sorbonne)
Alain Leroy Locke. Le rôle du Nègre dans la culture des Amériques. Présentation d’Anthony Mangeon. Paris : L’Harmattan, 2009. 240 p.
47Dans cet ouvrage, Anthony Mangeon, qui enseigne les lettres modernes à l’Université de Montpellier, a rassemblé les textes de six conférences de 1943 que Alain Leroy Locke prononça en français en Haïti sous le titre « Le rôle du Nègre dans la culture des Amériques ». Il leur a judicieusement adjoint trois courts essais importants publiés antérieurement sur la même question. Ce faisant, il poursuit son travail d’archiviste critique de la pensée noire dans une perspective diachronique, commencé il y a deux ans avec un ouvrage collectif intitulé Harlem Heritage, mémoire et renaissance (Paris : Riveneuve Éditions, 2008), dans lequel il mettait en perspective des textes du célèbre mouvement africain-américain.
48Dans sa présentation, Anthony Mangeon précise à juste titre que le travail de l’auteur, à la fois philosophe de l’esthétique, historien et sociologue, est trop souvent réduit à la direction de l’ouvrage collectif intitulé The New Negro, l’un des manifestes de la Renaissance de Harlem publié en 1925. Ces conférences, qui étaient épuisées depuis longtemps en France, permettent enfin d’apprécier certains écrits essentiels du penseur. Elles constituent un prolongement passionnant des réflexions entamées dès le début du xxe siècle par W.E.B. DuBois dans The Souls of Black Folk (notamment sur les arts) et de tous les débats de la Renaissance de Harlem sur la place de la culture africaine-américaine à l’intérieur de la culture américaine en général, Locke cherchant ici à étendre ces réflexions à tout le continent américain. Anthony Mangeon y voit une double entreprise : à la fois « élaborer une approche sociologique, voire anthropologique de la littérature » et « participer […] à l’émergence, dans les sciences sociales, de nouveaux paradigmes mieux à même de comprendre et de transformer les diverses formes de domination et d’inégalités historiquement subis par les Nègres d’Amérique, des Antilles et de l’Afrique » (Introduction, x).
49Hormis « Les réalisations des Nègres aux États-Unis », qui s’apparente à un catalogue assez fastidieux, ces conférences constituent des états des lieux remarquablement écrits et documentés, nourris d’exemples pris à la fois aux États-Unis et dans les Caraïbes. Dans « Race, culture et démocratie », Locke cherche à mettre en évidence les contradictions de l’Amérique blanche, toujours prompte à vanter son système politique démocratique mais se refusant à faire des noirs des citoyens à part entière, minant ainsi les fondations de toute démocratie réelle. Dans « La position du Nègre dans la culture américaine », la plus convaincante des conférences, l’auteur procède à une synthèse efficace de l’histoire des arts africains-américains, analysant notamment les réussites et les impasses du mouvement de la Renaissance de Harlem avec beaucoup de subtilité. Il propose aussi une lecture très stimulante de la révolution musicale qu’est le jazz, qui modifie l’utilisation de certains instruments occidentaux et opère une synthèse unique entre musique populaire et musique savante. Ces pages annoncent avec beaucoup d’avance de nombreux débats musicologiques qui ne semblent toujours pas tranchés. Elles complètent l’un des trois essais proposés en annexe, « La contribution du Nègre à la culture américaine », où Locke analyse de manière très pertinente la genèse et l’évolution des musiques africaines-américaines.
50Le travail éditorial est considérable. Le texte français des conférences (à l’origine une adaptation de textes de Locke écrits en anglais par son ami martiniquais Louis-Thomas Achille) a été bien remanié, même si la traduction de termes comme « liberal » par « libéral » et « Negro » par « Nègre » aurait pu faire l’objet d’un petit commentaire contextuel à destination des non-américanistes. La bibliographie sélective consacrée à Locke est très utile, tout comme l’index et les nombreuses notices bio-bibliographiques qui contribuent à rendre la lecture de l’ensemble très enrichissante.
51Frédéric Sylvanise
(Université Paris Nord-13)
Scott Kurashige. The Shifting Grounds of Race: Black and Japanese Americans in the Making of Multiethnic Los Angeles. Princeton : Princeton University Press, 2008. 362 p.
52Scott Kurashige, professeur d’histoire à l’Université du Michigan, a écrit un livre d’une importance considérable qui s’inscrit dans un champ nouveau et fascinant consacré à l’histoire de la ville américaine multiethnique. Jusqu’à récemment, les historiens américains ont recouru avec réticence seulement à des cadres interprétatifs permettant la « triangulation » des histoires croisées de groupes ethniques différents dans une ville donnée, une situation particulièrement problématique puisque les États-Unis sont en passe de devenir – dans les cinquante prochaines années – un pays majoritairement composés de minorités. De fait, si depuis une dizaine d’années de nombreuses études sont parues sur les « origines de la crise urbaine », la plupart de ces ouvrages n’ont pas su ou voulu dépasser le modèle binaire des relations raciales entre blancs et noirs dont l’utilité est limitée pour l’étude d’une Amérique urbaine devenue de plus en plus multiethnique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
53Au cours du xxe siècle, Los Angeles est ainsi passée de « ville blanche » à « ville-monde » et l’objectif principal de Kurashige est de montrer comment deux groupes clés dans la géographie sociale de la ville – les Afro-Américains et les Japonais-Américains – ont à la fois rivalisé et coopéré alors qu’ils luttaient pour améliorer leur vie face au racisme des blancs. Kurashige n’oriente pas son analyse autour d’une thèse unique, mais soutient plusieurs arguments historiques qui participent tous du projet qu’il s’est fixé d’étudier « comment les questions de race fonctionnent dans un contexte multiethnique » (4). À partir d’archives variées lui permettant de raconter son histoire du point de vue des acteurs de la base eux-mêmes, il montre que si les activistes progressistes des deux groupes ont cherché à établir les conditions d’une solidarité multiraciale, les élites blanches, elles, ont réussi à monter les noirs et les Japonais-Américains les uns contre les autres, chaque groupe prenant stratégiquement ses distances par rapport à l’autre pour mieux se faire accepter par les blancs.
54The Shifting Grounds of Race couvre la période allant des années 1910 aux années 1970 et offre ainsi une autre contribution importante à l’historiographie de la crise urbaine, les spécialistes d’histoire urbaine s’intéressant depuis peu seulement à la période précédant la Seconde Guerre mondiale. Kurashige explique comment les noirs et les Japonais-Américains ont dû faire face à la discrimination des agents immobiliers et des associations de propriétaires, d’une part, et à celle des employeurs et des syndicats contrôlés par les blancs, de l’autre. Toutes les minorités raciales se sont heurtées à des obstacles de ce type, mais Kurashige montre que leur citoyenneté conférait aux noirs américains le pouvoir politique nécessaire pour remettre en question le racisme blanc tandis que les Issei – première génération en provenance du Japon – devaient, quant à eux, se préoccuper d’abord de la précarité de leur situation aux États-Unis. Malgré cette différence de taille, les deux groupes ont eu recours à des approches similaires pour faire face à leur marginalisation économique et sociale : la création d’entreprise ou la participation aux activités du Parti communiste, lequel, dans les années 1930 et 1940, promouvait une « vision multiraciale de l’égalité totale » (78) afin d’attirer noirs et Japonais-Américains dans ses rangs.
55Si, comme le soutient Kurashige, les noirs et les Japonais-Américains étaient « des cibles globalement égales des tentatives d’humiliation des blancs » (10) pendant l’entre-deux-guerres, les trajectoires de ces deux groupes commencèrent à diverger pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors que les ressortissants japonais étaient placés en camps de détention et dénoncés comme autant d’ennemis de la nation, les noirs se mobilisaient derrière le slogan de la « Victoire noire » affirmant que leur participation à la guerre justifiait une action gouvernementale décisive contre les injustices raciales. Les relations entre les deux groupes devinrent tendues dans l’immédiat après-guerre, un nombre croissant d’Afro-Américains s’étant installés dans le quartier japonais de Little Tokyo, vidé de ses habitants par leur internement forcé. Outre ces conflits de territoire, les deux communautés émergèrent après la guerre avec deux visions très différentes de la lutte politique qu’il leur restait à mener. Tandis que l’expérience des camps détourna la communauté japonaise du gouvernement, les noirs continuèrent de voir dans l’intervention gouvernementale la clé du progrès dans le domaine des droits civiques.
56Kurashige souligne efficacement combien la trajectoire des noirs et des Japonais-Américains continua de diverger pendant la Guerre froide avec des conséquences très différentes concernant leurs positions relatives dans l’ordre racial. La géopolitique de la Guerre froide en Asie orientale incita les dirigeants américains à célébrer le nouveau rôle du Japon dans la lutte contre le communisme – une campagne qui, sur le front intérieur, conduisit le gouvernement à mettre en avant la réussite socio-économique des Japonais-Américains devenue symbole de la démocratie raciale. Mais la Guerre froide s’avéra moins avantageuse pour les noirs de Los Angeles, puisque les croisades anti-communistes visèrent une variété d’organisations syndicales progressistes, tel le CIO, qui défendait les intérêts d’une classe ouvrière multiraciale. Ceci explique en grande partie pourquoi les Japonais-Américains, présentés, dès les années 1970, comme la nouvelle minorité modèle, purent faire leur entrée dans des banlieues de classe moyenne dont la population était jusqu’alors très largement blanche – à Gardena, Long Beach ou Pasadena – tandis que les tentatives des noirs pour s’installer dans des quartiers blancs continuèrent de provoquer des réactions violentes.
57The Shifting Grounds of Race est un récit fascinant, qui fait beaucoup progresser notre connaissance des dynamiques raciales dans la ville américaine multiethnique. Certains lecteurs se demanderont pourtant à quel point l’histoire racontée par Kurashige aurait été différente si l’auteur avait choisi d’inclure dans son cadre d’analyse la très influente population mexicaine-américaine. Comment, en effet, peut-on vraiment comprendre le Los Angeles multiethnique pendant et après la Seconde Guerre mondiale sans une prise en compte bien plus complète de l’incident dit de Sleepy Lagoon et des émeutes des Zoot Suit ? D’une portée considérable, ces deux événements ont profondément transformé les bases des relations raciales non seulement pour les Mexicains-Américains mais aussi pour les noirs et les Japonais-Américains. Malgré cette dernière remarque, qui est avant tout un appel à des recherches complémentaires, le livre de Kurashige reste un ouvrage impressionnant et indispensable pour tout chercheur intéressé par l’histoire de l’Amérique urbaine au xxe siècle.
Andrew J. Diamond
(Université Charles de Gaulle – Lille 3)
Robert P. Inman, ed. Making Cities Work : Prospects and Policies for Urban America. Princeton : Princeton University Press, 2009. 382 p.
58Professeur de finance et d’économie à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, Robert P. Inman a réuni dans ce volume les actes d’un colloque qu’il a organisé en mai 2007. Partant du constat que de nombreuses villes américaines sont en crise faute de n’avoir pas réussi la transition vers la ville post-industrielle, l’ouvrage propose des pistes aux acteurs urbains, et en premier lieu aux responsables politiques locaux, pour rendre les villes américaines plus prospères et plus vivables. Les contributions sont l’œuvre d’universitaires, spécialistes reconnus des questions urbaines, tels David Card, Philip J. Cook, Janet Currie, Edward L. Glaeser, Joseph Gyourko, Richard J. Murnane, Witold Rybczynski, Kenneth A. Small et Jacob L. Vigdor. À l’image du coordinateur de l’ouvrage, Robert P. Inman, nombre d’entre eux enseignent l’économie et la finance ; ce qui explique le recours très fréquent qui est fait aux données statistiques et aux analyses factorielles. L’ouvrage est organisé autour d’une suite d’articles qui dressent un état de la question et proposent des solutions pour dynamiser les villes sur le long terme. Sont ainsi tour à tour interrogés l’inégale croissance des villes et l’impact de plusieurs facteurs sur leur développement harmonieux (la pauvreté, la question raciale, la criminalité, l’insécurité, la faiblesse du marché immobilier et du système éducatif, l’immigration, l’inadéquation des transports au marché de l’emploi, la gestion des services publics). Il ressort de ses contributions un plaidoyer pour l’action publique (en particulier en direction des espaces urbains les plus pauvres) et pour le développement des espaces publics qui sont présentés comme les garants de la croissance urbaine, discours qui ne va pas de soi dans un pays où la majorité de la population considère l’action privée comme plus efficace. Elles font notamment de l’amélioration de l’éducation publique un préalable indispensable au dynamisme des villes (the skilled city) et à leur développement à long terme dans un environnement économique qui nécessite une main d’œuvre toujours plus qualifiée. Comme l’explique Robert Inman, il ne s’agit pas de développer le poids des pouvoirs publics et d’augmenter les impôts – un point de vue réaliste si on songe que la majorité des Américains y sont hostiles – mais de travailler à une meilleure adéquation des dépenses et des besoins. La recherche d’une meilleure gouvernance urbaine et d’une amélioration qualitative de la vie en ville est au cœur de tous les articles. L’ouvrage fournit un état des lieux très documenté sur les villes américaines et les défis auxquels elles sont confrontées. Le propos souffre cependant du fait que les auteurs ont pour objet la ville-centre et limitent souvent leur analyse à l’espace des frontières municipales. Les banlieues donnent lieu à peu de réflexions – même si la question des déplacements à l’échelle de la métropole revient dans plusieurs articles – alors que la ville américaine contemporaine ne peut pas se penser sans sa dimension métropolitaine. L’impact de la mondialisation sur les villes aurait gagné à être également développé. Surtout, le lecteur est face à une série d’articles juxtaposés, très intéressants en eux-mêmes, mais auxquels il manquent une conclusion transversale qui aille au-delà de l’article introductif de Robert P. Inman.
59Hélène Harter
(Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Megan Comfort. Doing Time Together. Love and Family in the Shadow of the Prison. Chicago and London: The University of Chicago Press, 2008. 262 p.
60In a very original and beautifully written work, Megan Comfort, a sociologist at the Center of AIDS Prevention Studies at the University of California, San Francisco, provides us with a fascinating account of the various ways in which the female kin and intimates of prisoners are affected by the incarceration of American men, thus adding precious information on a population that has been much less frequently examined than the convicts themselves. Comfort’s book is based on an extensive field study of women visitors at San Quentin Prison in San Francisco, with many in-depth interviews and extensive direct observation—including fascinating and at times moving accounts by the interviewees themselves. It also astutely refers to the available literature on prisoners and their families.
61Comfort avoids many of the pitfalls of prison literature by examining the penitentiary as a “people-processing” institution like any other, both complex and ambivalent. She is not moralizing, but rather aims to define women’s roles and statuses in their “shifting relationships with the social institution of the prison” (12). One of her main theses, clearly spelled out in the introductory chapter and drawn from Donald Clemmer’s 1940 classic The Prison Community, is that of “secondary prisonization,” which indicates how her female respondents are affected by the prison culture—at various levels, depending on their family situation before incarceration— and how their “outside” world is inter-related with that of the penitentiary.
62The author continues with an observation of the “secondary prisonization” of women in the “tube,” i.e. the place where visitors spend hours waiting to be cleared by the administration and where they, along with their children, have to follow specific rules on clothing and behavior to be admitted into the prison. There, affected by “ceremonies of degradation,” they become “quasi-inmates” themselves (27). Comfort then examines the relationships between the women and their imprisoned male partners, describing how they resort to letters, packages and phone calls—all strictly monitored—in order to maintain ties, to compensate for the prison deficiencies, and to offer “rewards” that promote good behavior in the men. A subsequent chapter focuses on visits, from short no-contact visits to the most coveted 43-hour family stays, when inmates and their relatives can spend time together within a controlled compound. There, women try to replicate the “dominant model” of marriage and family, but the prison becomes intertwined with intimate life and “prisonizes” couples (124). Then, Comfort again stresses the ambivalence of the prison. A man’s incarceration may help control a problem with drugs or alcohol, remove him from the street economy, put a stop to domestic violence, and provide his partner with more power over their household economy and their children’s education. However, the women also denounce the overbearing control of the prison and most describe the criminal system as corrupt and racist. Still, regardless of their social or ethnic background, they mostly choose to “stand by their man,” which also happens to boost their self-image as loyal mates (179).
63In her last chapter, Comfort convincingly describes the American prison system as entrapping women and their family while failing to address men’s problems. The prison becomes a peculiar “social service,” replacing traditional forms of assistance seriously lacking in a period of welfare retrenchment. The prison experience is indeed one of “social ambivalence.”
64Comfort explains that she chose to forego recounting what happened after the men were freed in order to protect the privacy of her informants and because she wished to focus on “a moment in time at San Quentin” (20). Although there are regular hints to life after prison in some of the personal stories quoted at length in the book, a follow up would have added much to our understanding of the long-term effects of “prisonization.”
65The book includes very detailed and interesting appendices on the setting, methods and documents used during the author’s fieldwork and on the available literature. A general index is provided as well.
66This study will prove extremely useful to anyone interested in research on the prison system in the U.S. and also on family and gender history. Comfort’s well-balanced account on the “social ambivalence” of imprisonment is particularly convincing.
67Hélène Le Dantec-Lowry
(Université Sorbonne Nouvelle- Paris 3)
Jon A. Shields. The Democratic Virtues of the Christian Right. Princeton and Oxford : Princeton University Press, 2009. 216 p.
68Since the late 1970s, one of the most controversial issues regarding the Christian Right (also called Religious Right) has been whether its adherents—mainly politically conservative evangelicals—are advocates or enemies of American constitutionalism and democracy. Jon A. Shields’s book challenges the commonly held opinion that “theologically conservative Christians threaten democratic values” (1). As the title of his book indicates, Shields, who is an Assistant Professor of Government at Claremont McKenna College, Claremont, California, provides a sympathetic account of the Christian Right in general and of the anti-abortion movement in particular. His sympathy is all the more evident as he writes in the introduction: “I found them [conservative Christians] disarming, gracious, and more misunderstood than I ever imagined” (xi). It should be added that in October 2008 Shields published in the ultra-conservative National Review Online “Roe Phobia. Sarah Palin can save us” in which he highlighted the “long-standing incoherent Republican line on abortion” inferring that only “in an America without Roe” can Americans discuss their disagreement on abortion in “democratic forums.”
69Drawing on interviews, participatory observation, survey data and movement sources, Jon A. Shields argues that the Christian Right is unusually committed to promoting democracy in the United States. How does it advance democratic values? Elites in a wide variety of Christian Right organizations encourage their rank-and-file activists to embrace “deliberative norms.” Why inculcate these norms? Conservative Christian leaders teach these norms because “public appeals are most persuasive when they are civil and reasonable,” Shields explains (19). Moreover, these leaders have helped create a more participatory democracy by “successfully mobilizing conservative evangelicals, one of the most politically alienated constituencies in twentieth-century America” (1).
70Yet, Shields complains, scholars and political observers—Chris Hedges among others—continue to wrongly insist that the Christian Right is undermining deliberation and democracy by deploying religious arguments in the public square. For him, it is not enough to assert that right-to-life advocates are theocrats. Critics need to take the pro-life movement “with the seriousness and fairness it deserves” (xi). If we know little about the Christian Right, it is basically because “life inside political organizations has rarely received much attention from contemporary social scientists” (1). A related problem is that the media, by characterizing Christian activists as “extreme and intolerant,” has shaped popular and academic conceptions of the Right that are predominantly negative.
71The Democratic Virtues of the Christian Right consists of six chapters, which thematically fall into three parts. Chapters 1 and 2 deal with the Christian Right. In the first of these Shields defines the Christian Right in a very fuzzy way—his definition might apply to any conservative movement—although he makes a distinction between the Christian Right and fringe groups such as Operation Rescue, Save America, and God Hates Fags. Missing is an account of how conservative theology (i.e., evangelicalism) strongly shapes Christian Right organizations and determines their actions. Shields also neglects to clarify the difference between “conservative Christians” and fundamentalists. The second chapter examines the role the media has played in magnifying the most radical and sensational elements of the Christian Right. Chapters 3 and 4 focus on the pro-abortion movement. Shields explains how pro-abortion activists conduct themselves in public forums largely by portraying them in their own element—on city streets, in front of abortion clinics, on college campuses. Perhaps his most provocative claim is that it is actually the secular pro-choice movement—and not the pro-life movement—that routinely frames abortion as a religious issue. “It does so,” Shields argues, “for strategic reasons” (34). Chapters 5 and 6 delve into the relation between deliberative norms and democracy. As defined by Shields, “deliberative norms” include the practice of civility and respect; the cultivation of real dialogue by listening and asking questions; the rejection of appeals to theology; the practice of careful moral reasoning; and openness to alternative points of view. By teaching these deliberative norms to ordinary Christians, Shields concludes, Christian Right leaders advance democratic values.
72The book contains an index, but no bibliography. The placement of endnotes at the end of the book makes it cumbersome to trace the sources while reading the book. On balance, however, Shields’s study deserves credit for offering an adventur-ous—albeit an overly sympathetic—account of the Christian Right and for raising questions regarding what makes the latter distinctive, all of which may help produce a better understanding of the conservative Christian movement in the United States.
73Mokhtar Ben Barka
(Université de Valenciennes)
Larry M. Bartels. Unequal Democracy: The Political Economy of the New Gilded Age. Princeton : Princeton University Press, 2008. 325 p.
74Cet ouvrage, à mi-chemin entre la démarche strictement universitaire et un engagement social revendiqué dès la préface, constitue une contribution bienvenue : il permet en effet de cerner l’état des inégalités de revenus aux États-Unis par le biais d’études quantitatives qui constituent des arguments autrement plus solides que les comptes rendus journalistiques ou impressionnistes qui sont monnaie courante depuis quelques années – on se souvient en particulier de Barbara Ehrenreich avec Nickel and Dimed en 2001 ou encore de Kevin Phillips en 2002 avec Wealth and Democracy. Il complète avec bonheur un livre paru en 2005, sous la direction de deux politistes, Larry Jacobs et Theda Skocpol, Inequality and American Democracy, qui, tout comme l’ouvrage traité ici, cherchait à cerner les conséquences politiques de l’aggravation des inégalités sociales depuis plus de trente ans. Comme l’indique le sous-titre, l’Amérique connaîtrait un nouveau « Gilded Age », une « Ère du toc » où, derrière les accomplissements industriels et technologiques, se cache une misère sociale que Mark Twain, en son temps avait justement identifiée.
75Le constat sur lequel repose l’ouvrage est exposé dès le premier chapitre : si les États-Unis se sont considérablement enrichis en termes globaux depuis les années 1970, cet enrichissement n’a pas profité à l’ensemble de la population. Cet accroissement des inégalités de revenus résulte au moins autant d’évolutions économiques (libre-échange, mondialisation) et technologiques que d’une volonté politique. Bien loin de s’en tenir à un argument strictement économique, l’ouvrage souligne au contraire le rôle fondamental des acteurs politiques dans la nouvelle répartition des richesses. Le chapitre 1 repose tout entier sur le constat selon lequel les revenus des classes populaires et des petites classes moyennes ont augmenté beaucoup plus sous les présidences démocrates que républicaines – au moins depuis la fin des années 1940 (30). Le livre rend compte aussi de la montée d’un récit idéologique – « narrative » – qui, à l’instar du darwinisme social de la fin du xixe siècle, légitime aux yeux de l’opinion publique des décisions conservatrices favorables aux classes supérieures. Ce serait cette « idéologie dominante », pour reprendre l’expression de Gramsci, qui expliquerait le manque de visibilité du problème, bien réel, de l’inégalité de revenus aux États-Unis. De ce point de vue, l’ouvrage questionne ouvertement des notions aussi banales que le « rêve américain » et ce qui ne serait donc que le mythe de la mobilité sociale. Comme le dit l’auteur après avoir examiné une série d’études critiques sur la mobilité sociale aux États-Unis : « these comparisons suggest – contrary to the fervent beliefs of many Americans – that the contemporary United States outclasses Europe in the rigidity of its hidebound European-style class structure » (16). Pour l’auteur, le problème devient alors un classique de la science politique : dans quelle mesure ces inégalités économiques mettent-elles en danger l’égalité politique partout revendiquée ? L’ouvrage s’ouvre d’ailleurs sur la formulation classique de Robert Dahl dans son ouvrage de 1961 à propos du pouvoir politique à New Haven : « In a political system where nearly every adult may vote but where knowledge, wealth, social position, access to officials, and other resources are unequally distributed, who actually governs ? ». Si l’auteur ne peut hélas pas répondre définitivement à cette vaste question en un seul livre, les pistes qu’il explore ne sont pas encourageantes, comme il le reconnaît lui-même : « Political scientists since Aristotle have wrestled with the question of whether substantial economic inequality is compatible with democracy. My evidence on that score is not encouraging. I find that elected officials are utterly unresponsive to the policy preferences of millions of low-income citizens, leaving their political interests to be served or ignored as the ideological whims of incumbent elites may dictate » (2).
76Le livre se compose de chapitres généraux sur la différence marquée entre démocrates et républicains en termes de distribution des richesses, de la montée en légitimité d’un programme conservateur et du manque de visibilité de la question sociale, puis de chapitres fondés sur des études de cas (les baisses de l’impôt sur le revenu fédéral, la fin des droits de succession, là aussi au niveau fédéral, puis le salaire minimum). Le dixième et dernier chapitre tente de synthétiser les leçons à tirer. Quelles sont-elles ?
77L’auteur rejette totalement la thèse popularisée en 2002 par le journaliste Thomas Frank avec What’s The Matter With Kansas ? On se souvient que ce livre expliquait que les républicains avaient réussi à s’emparer de l’électorat populaire en jouant la carte des « valeurs traditionnelles ». Les « Reagan Democrats » des années 1980, par exemple, ont soutenu le « Great Communicator » d’abord et avant tout car celui-ci défendait notamment une conception traditionnelle du mariage et de la nation, et parce qu’il instrumentalisait une dose de ressentiment racial (contre la discrimination positive par exemple). Ces « valeurs » auraient relégué au second plan les questions économiques. Le débat est revenu sur le devant de la scène avec les résultats de la campagne de 2004. Mais Larry Bartels démontre, dans le chapitre 3, qu’il n’en est rien puisqu’au contraire, « class politics is alive and well » (95). S’il est vrai que les milieux populaires sont souvent conservateurs sur les questions des valeurs, ils votent encore très majoritairement en faveur des démocrates, suivant en cela leur intérêt économique. La polarisation sur les valeurs est essentiellement le fait des classes aisées. Mais alors, à quoi attribuer le succès des républicains aux élections présidentielles depuis 1968 ? La réponse n’est pas uniquement dans la plus faible mobilisation électorale des classes populaires par rapport aux classes moyennes supérieures – on se souvient du classique de Daniel Gaxie, Le cens caché (1978). Pour Larry Bartels, elle réside surtout dans une certaine « myopie » de l’électorat (99) qui semble réagir seulement à la situation économique lors de l’année de l’élection présidentielle. Ce que d’autres ont appelé « l’horizon temporel » de l’électorat est limité, de sorte que non seulement l’électorat populaire se mobilise moins, mais aussi qu’il est plus facile à influencer. L’auteur déploie par ailleurs tout un appareil statistique pour montrer que les représentations de la croissance de l’économie dépendent en grande partie de l’état des classes moyennes supérieures. Au total, l’électorat ayant objectivement le moins bénéficié de la croissance est victime d’une double distorsion dans sa perception : temporelle d’abord, sociale ensuite. Enfin, l’auteur souligne l’important biais que constitue le financement des campagnes électorales. Selon lui, il existe un lien statistique fort entre la croissance des revenus dans les classes moyennes supérieures et la réélection de l’équipe en place, en l’occurrence républicaine, car, depuis l’après-guerre, ce sont en général les gouvernements républicains qui ont bénéficié d’une croissance économique forte, au profit des classes moyennes supérieures, l’année de l’élection (117-118). En fin de compte, « affluent people have considerable clout, while the preferences of people in the bottom third of the income distribution have no apparent impact on the behavior of their elected officials » (285). La « polyarchie », pluraliste et équilibrée que Dahl identifiait dans les années 1950 à New Haven ne semble plus d’actualité dans l’Amérique au début du xxie siècle.
78Les développements récents de l’actualité ne prêtent pas à l’optimisme. En particulier, la décision de la Cour Suprême sur le financement des campagnes électorales – Citizens United v. Federal Election Commission (janvier 2010) – semble, selon ses détracteurs, garantir un financement illimité des entreprises dans les élections. Dans la perspective défendue par Larry Bartels, une telle décision aura un impact fondamental sur la confiance des électeurs dans le processus électoral. La question du Who Governs ? se pose dès lors avec une acuité renouvelée. Si la Cour voit dans les entreprises, les associations et les lobbies des moyens d’expression légitimes, à l’instar des citoyens, ces derniers sont susceptibles de penser encore un peu plus que les libertés politiques sont lentement affaiblies par les libertés économiques. Le risque est celui d’un affaiblissement supplémentaire de la « responsiveness » des responsables politiques vis-à-vis des citoyens, ce que Larry Bartels constatait déjà en 2008. Au total, cet ouvrage est directement utile pour enfin quantifier la réalité des inégalités de revenus aux États-Unis après plus de quarante ans de domination des idées républicaines. Les conséquences politiques qui découlent de cet état de fait sont sans concessions, mais sans jamais céder à la dénonciation sur un mode idéologique, comme c’est trop souvent le cas dans ce genre d’études.
François Vergniolle de Chantal
(Université de Bourgogne)
Bernard Andrès et Patricia Willemin-Andrès, dirs. Journal du siège de Québec du 10 mai au 18 septembre 1759. Annoté par Ægidius Fauteux. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2009. 255 p.
79Après le 400e anniversaire de la fondation de Québec en 2008, voici arrivée l’année du 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham et de la reddition de la ville de Québec qui annonçait la conquête de la Nouvelle-France l’année suivante. Cette « commémoration » a déjà suscité des remous à Ottawa et au Québec au cours du printemps 2009 autour d’un projet de reconstitution de la bataille. Cet ouvrage, plus sobre, nous convie à regarder de près les misères occasionnées par la guerre sans chercher à la glorifier.
80Le manuscrit anonyme décrivant les événements du siège de Québec en 1759, publié voilà plus de 75 ans, est complété par une introduction et une description des principes d’élaboration du texte des éditeurs, les copieuses notes du premier éditeur et des cartes permettant de situer les lieux dont il est question. Malheureusement, le document original a disparu à une date inconnue après la publication d’Ægidius Fauteux en 1922 et il faut donc se fier à sa transcription. Or, une seule page photographiée existe et, sur celle-ci, Fauteux a omis trois mots assez facilement lisibles, ce qui est un peu gênant. Toutefois, le directeur de la Bibliothèque Saint-Sulpice de Montréal (ancêtre de la Bibliothèque nationale du Québec) était un érudit sérieux et on peut espérer que ce genre de lapsus n’est pas fréquent. Si la majorité des entrées ont été rédigées au jour le jour, certains passages suggèrent que l’auteur a revu et corrigé son travail après la prise de Québec.
81L’essentiel de l’introduction est consacré à l’identification de l’auteur du journal. Bernard Andrès et Patricia Willemin-Andrès passent en revue les études les plus fouillées sur la question qui l’attribuent presque toutes à François-Joseph de Vienne, garde-magasin du roi. En scrutant le passé familial des fonctionnaires de la Marine à Québec susceptibles d’en être l’auteur, les éditeurs concluent, presque un siècle après l’abbé Auguste Gosselin, que de Vienne est le meilleur candidat et presque tous les indices plaident en ce sens. Fauteux penchait aussi pour le garde-magasin mais demeurait réticent en raison d’un court passage, assez ambigu du reste, en fin de journal. Celui-ci commence par « on dit que » les Français ont pillé le magasin et ensuite il y est affirmé que le garde-magasin est parti avec l’armée (132). Fauteux y voit un blâme adressé à de Vienne mais la phrase ne dit pas qu’il a participé ou collaboré au pillage (214).
82Nous disposons de plusieurs récits des événements de 1759 écrits par des militaires français et britanniques mais peu par des civils ; c’est ce qui donne de la valeur à ce témoignage. Bien informé, l’auteur écrit dans un style alerte qui met en lumière les espoirs, déceptions et, surtout, la souffrance de la population urbaine due aux bombardements incessants et au manque de vivres. On voit aussi le rôle important joué par la désertion dans la circulation d’informations ou de désinformation.
83Les notes compilées par Fauteux occupent autant de place que le journal. Il s’agit surtout d’informations biographiques très complètes sur les personnes, les navires et les lieux mentionnés dans le texte. On peut toutefois regretter qu’elles figurent après le journal et non pas en bas de page.
84Rendre disponible à un public plus large un document de première importance qui n’avait connu auparavant qu’une diffusion confidentielle est une belle manière de commémorer 1759 et nous devons en savoir gré aux éditeurs pour le sérieux et la sobriété de cette édition.
85John A. Dickinson
86(Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)
Gérard Boismenu et Jean-Michel Lacroix. Les Enjeux de la politique étrangère canadienne. Marges de manœuvre et éléments de distinction. Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2008. 156 p.
87La politique étrangère du Canada fait très rarement l’actualité, même quand des soldats de ce pays membre de l’OTAN sont tués en Afghanistan comme leurs collègues français ou américains. Plus généralement, le Canada est rarement présent dans les médias. Aussi, presque tous les ouvrages sur ce pays parus en France sont-ils amenés à présenter les épisodes précédents, voire à remonter aux origines. Le présent volume, qui correspond aux actes d’un colloque sur un thème ancré dans le temps présent, ne manque pas à cette règle et la moitié des dix chapitres comportent une telle mise au point. Les auteurs proviennent de deux groupes : cinq chercheurs canadiens, trois de France et deux ambassadeurs canadiens. Un seul des chapitres, celui de Yannick Meunier sur l’étrange don d’un totem indien à deux villages de Meuse et de Moselle quittés en 1967 par la base aérienne canadienne qui s’y trouvait, quand la France s’est retirée de l’organisation militaire de l’OTAN, correspond à une recherche originale. Les autres sont des synthèses et des réflexions, qui apportent peu de nouveau. Ils montrent que, comme dans les autres pays, la politique étrangère est soumise à des impératifs intérieurs : originale, celle menée par le Canada dans les années 1950, fondée sur le multilatéralisme et la participation aux opérations de paix de l’ONU, n’a pas survécu au-delà des années 1970, emportée par la montée des conflits internationaux et par la lutte identitaire des Québécois qui ne se reconnaissaient guère dans cette noble posture. Dans le fond, comme le montrent six des chapitres, la politique étrangère canadienne cherche depuis à redéfinir son rôle et sa spécificité, dans le cadre nouveau de l’ALENA et de la relation complexe avec le grand voisin américain avec lequel les valeurs sont communes, jusqu’à un certain point, comme le refus de participer à la guerre d’Irak. Plus précisément, Hélène Harter traite du choc provoqué par le Vive le Québec libre du général de Gaulle ; Fulvio Caccia évoque le rôle des expatriés canadiens qui sont près d’un million et demi dans divers pays et Teresa Gutierrez-Haces replace le sujet dans sa dimension continentale avec le Mexique et les autres pays latins.
88Au total, ce petit ouvrage honnête ne trouvera pas facilement son public : les rares lecteurs au fait de ce sujet n’en tireront que peu de profit, les ignorants auront quelques difficultés à s’y retrouver.
89Jacques Portes
90(Université Paris 8)