Couverture de RFDC_111

Article de revue

De l’exception à la règle : le rôle de la législation déléguée dans la crise politique roumaine

Pages 671 à 690

Notes

  • [1]
    D’après la répartition des compétences opérée par la Constitution.
  • [2]
    Elle a été révisée une seule fois, en octobre 2003.
  • [3]
    Art. 1er de la Constitution roumaine du 21 novembre 1991, publiée au Moniteur Officiel, Ire Partie, n° 767 du 31 octobre 2003.
  • [4]
    M. Constantinescu, « Echilibrul puterilor in regimul constitutional din Romania », Dreptul, anul IV, nr.3, 1993, Bucarest, pp. 3-8.
  • [5]
    Le concept de Partitocratie est utilisé pour décrire les relations existants entre les partis politiques roumains qui non seulement ont créé cette situation totalement anormale, mais qui ont promu une pratique gouvernementale en dépit de leurs déclarations initiales dans la campagne électorale ou au début du mandat gouvernemental et des critiques apportées par les électeurs, les médias et les forums internationaux (On fait référence ici aux rapports de la Commission européenne sur la Roumanie, voir http://www.europarl.europa.eu/oeil/index.jsp ; voir aussi pour le concept de partitocratie D. Barbu, Republica absenta, Nemira, Bucarest, 1999, p. 150 ; ibid., « Du parti unique à la particratie », in J.-M. de Waelle (éd.), Partis politiques et démocratie en Europe centrale et orientale, Bruxelles, éd. de l’Université Libre de Bruxelles, coll. « Sociologie politique », 2002, pp. 205-213) ; G. Cotturi, « Cittadini, magistratura, informazione : dal terzo al sesto potere », Democrazia e Diritto, 33, (4), oct-déc. 1993, M. Calise, Dopo la partitocrazia. L’Italia tra modelli e realta, Torino, Einaudi, 1994 ; S. Vassalo, Il governo di partiti in Italia (1943-1993), Bologne, Il Mulino, 1994.
  • [6]
    En témoignent les luttes acerbes pour la fonction de président du parti.
  • [7]
    M. Weber, Le savant et le politique, Paris, Union générale d’édition, 1971, pp. 115-116.
  • [8]
    M. Ponta est à la tête d’une coalition hétéroclite (Union Sociale Libérale) et à première vue contre-nature puisque composée des sociaux-démocrates (gauche), des libéraux (centre-droit) et du Parti conservateur (P.C.).
  • [9]
    M. Ponta se serait inspiré, entre autres, d’un ouvrage du juriste Dumitru Diaconu, publié en 1999 aux éditions All Beck ainsi que d’un article de doctrine publié le 23 juillet 1998 dans la revue Romania Libera.
  • [10]
    A. Nastase a été condamné le 20 juin 2012 par la Haute Cour de justice de Roumanie pour avoir financé sa campagne électorale avec environ 1 million d’euros de fonds publics. Il s’agit de la première condamnation de ce type pour un personnage aussi haut placé dans la hiérarchie politique roumaine.
  • [11]
    Le Premier ministre, V. Ponta avait pourtant tout fait pour atteindre le seuil minimum de participation en augmentant de quatre heures les horaires habituels d’ouverture des bureaux de vote (de 7h à 23h) et en installant une cinquantaine de bureaux dans les hôtels et les restaurants du littoral de la mer Noire où certains Roumains passent leurs vacances. La mobilisation a été forte, par une journée où il faisait 40 °C à l’ombre et dans un pays où, depuis une décennie, le taux de participation a rarement dépassé les 50 %. Malgré le boycott des partisans du Parti démocrate-libéral (dont fait partie le président) et de la minorité hongroise, encouragée à rester à la maison par le Premier ministre de Hongrie, Viktor Orban (présent à l’université d’été des Magyars de Roumanie), le résultat fut extrêmement proche du seuil de validation, soit 46,23 %. Et 87,52 % des votants se sont prononcés en faveur de la destitution, soit plus de 7,2 millions de personnes. Un chiffre énorme pour un pays qui n’enregistre généralement pas plus de 10 millions de participants au vote. Comme le montraient les sondages publiés pendant la campagne électorale, sans le boycott, le président Băsescu aurait essuyé une défaite concluante dans les urnes, avec plus de 60 % des voix pour la suspension, et un taux de participation record pour ces dernières années, probablement plus de 60 %. Mais même avec le boycott, les choses auraient pu se gâter pour le président Băsescu si les listes avaient été mises à jour après le recensement d’octobre 2011. Il était notoire que, depuis ce dernier recensement, la population de la Roumanie était passée de 21 millions à 19 millions d’habitants, mais cela n’a pas été répercuté sur les listes électorales.
  • [12]
    A.D. Xenopol, Istoria partidelor politice in Romanie, Bucarest, Ed. Albert Baer, 1910, p. 457.
  • [13]
    T. Oniga, Delegarea legislativa, Bucarest, Universul Juridic, 2009, p. 35.
  • [14]
    Cette maxime latine signifie que celui qui a reçu une compétence ne peut à son tour la déléguer.
  • [15]
    A. Teodorescu, Tratat de drept administrativ, vol. I, Bucarest, Editia aII-a, Institutul de Arte Grafice « Eminescu » SA, 1929, p. 46.
  • [16]
    M. Constantinescu, « Continutul ordonantei de urgenta a Guvernului », Dreptul, anul IX, seria 3, nr.8, 1998, Bucuresti, pp. 30-35.
  • [17]
    Arrêt n° 1 du 15 février 1919 ; voir T. Oniga, op. cit., p. 36
  • [18]
    Voir décis. n° 2/5.01.1995, M. Of., partea I ; décis. n° 5/13.01.1995.
  • [19]
    Voir décis. n° 255/11.05.2005, M. Of., partea I ; décis. n° 511/16.06.2005.
  • [20]
    V. Carstea, Constitutionalitatea ordonantelor Guvernului, Timisoara, Mirton, 2005, pp. 42-44.
  • [21]
    Délégation de matières.
  • [22]
    P. Negulescu, Tratat de drept administrativ roman, vol.1, Bucarest, Tipografiile Romane Unite, 1925, p. 285.
  • [23]
    Voir décis. n° 65/20.06.1995, M. Of., partea I ; décis. n° 129/28.06.1995 ; décis. n° 34/ 17.02.1998, M. Of., partea I et décis. n° 88/25.02.1998.
  • [24]
    Après avoir tenté sans succès de modifier la loi électorale de 2010 sur le seuil de 50 % des électeurs inscrits participant au vote pour valider le référendum sur la destitution du Président roumain Basescu, le Premier ministre Ponta a décidé d’augmenter de quatre heures les horaires habituels d’ouverture des bureaux de vote (7h à 23h). Il a aussi installé une cinquantaine de bureaux de vote dans les hôtels et les restaurants du littoral de la mer noire où certains roumains passent leurs vacances.
  • [25]
    Art. 146.1 de la Constitution roumaine.
  • [26]
    CDL-REF (2012)031, p. 29.
  • [27]
    Par la loi n° 3/2000 sur l’organisation d’un référendum (JO de la Roumanie, Partie I, n° 84 du 24 février 2000) ; la loi n° 129/2007 (JO de la Roumanie, Partie I, n° 300 du 5 mai 2007) ; la loi n° 62/2012 approuvant l’ordonnance d’urgence n° 103/2009 modifiant et complétant la loi n° 3/2000 (JO de la Roumanie, Partie I, n° 247 du 12 avril 2012) et l’ordonnance d’urgence n° 41/2012 modifiant et complétant la loi n° 3/2000 sur l’organisation d’un référendum (JO de la Roumanie, Partie I, n° 452 du 5 juillet 2012).
  • [28]
    Il ne semble pas possible de vérifier l’allégation du Président de la République roumaine T. Basescu, selon laquelle la procédure de destitution engagée à son encontre visait à permettre la nomination d’un nouveau procureur général et d’un nouveau chef du service de lutte contre la corruption, moins déterminés à combattre efficacement la corruption.
  • [29]
    Interrogée en juin 2012 sur la question de savoir qui devait représenter la Roumanie au Conseil européen des 28-29 juin, la Cour constitutionnelle roumaine a répondu que c’est le rôle du président de la République. Mais le Premier ministre V. Ponta a empêché la publication de la décision au Moniteur officiel afin de se rendre à Bruxelles, mais il n’a toutefois pas pu assister au Conseil européen car chaque pays ne dispose que d’une seule place.
« Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. »
Montesquieu, De l’esprit des Lois, Genève, Barrillot, 1748.

1 La législation déléguée en tant que moyen de gouvernement a joué un rôle primordial depuis l’arrivée au pouvoir de Victor Ponta en Roumanie. Il s’agit du procédé qui permet au Gouvernement de solliciter une habilitation législative au Parlement pour édicter des actes qui sont normalement du domaine de la loi [1]. Ces actes sont diversement désignés selon les États mais portent le nom d’ordonnances en Roumanie. L’usage de la législation déléguée s’est cristallisé dans la grave crise politique qui a secoué le pays et qui a opposé les deux principales personnalités politiques du pays, le jeune Premier ministre Victor Ponta et le Président roumain Traian Basescu.

2 Le Gouvernement Ponta a accédé au pouvoir le 27 avril 2012 suite à la motion de censure qui a renversé le précédent gouvernement de centre droit. Il a été nommé par le Président Basescu au pouvoir depuis 2004, selon les prescriptions de la Constitution roumaine. La tournure des évènements et surtout l’implication de la législation déléguée nécessitent de s’interroger sur finalités réelles du Gouvernement roumain en place dans son recours à la législation déléguée. En principe, d’après la Constitution roumaine, il ne s’agit pas là d’un moyen principal de gouvernement. Il est d’après les textes d’usage restreint et exceptionnel par rapport aux autres moyens de gouvernement que sont notamment la loi ou le décret par exemple.

3 Mais la pratique révèle un tout autre visage de la législation déléguée : c’est qu’elle est devenue le principal moyen de gouvernement en Roumanie ainsi que nous le démontrerons d’où les nombreuses dérives constitutionnelles qui en résultent. Mais cet usage détourné de la législation déléguée par rapport aux finalités initiales qui lui étaient assignées peut être compris seulement après avoir analysé le système politique de la Roumanie et la place qui y est aménagée au sujet de la législation déléguée.

4 Le rôle croissant de la législation déléguée et son érection dans la pratique en principal moyen de gouvernement ont entraîné un certain nombre de conséquences déplorables pour l’État de droit et l’indépendance du système judiciaire. Pays organisé suivant le principe de la séparation des pouvoirs associé à Montesquieu depuis le siècle des lumières, la Roumanie a été appelée à se conformer à ces principes fondamentaux de tout État qui se veut démocratique notamment par la Commission européenne. Les atteintes à l’État de droit traduisent la méfiance qui existe à l’égard de l’usage de la législation déléguée et surtout la nécessité d’entourer cet usage de suffisamment de garanties et de contrôle afin d’éviter les dérives telles que celles qui ont lieu actuellement en Roumanie. L’indépendance du système judiciaire implique que les institutions de la justice doivent fonctionner en toute indépendance sans subir de pressions ou d’influences de la part notamment des autorités exécutives. Pourtant la législation déléguée telle qu’elle est pratiquée en Roumanie aboutit à réduire à néant cette indépendance du système judiciaire si chère à la séparation des pouvoirs.

5 La présentation du système politique roumain a pour but de mentionner et déterminer les relations entre les principales institutions politiques de ce pays concernées par la législation déléguée. Il s’agit du parlement, du gouvernement, du président de la République et de la cour constitutionnelle. Ensuite, nous déterminerons la place qui est réservée dans un tel système à la législation déléguée et son usage tel que le mentionnent les textes constitutionnels. Cette analyse est nécessaire parce que c’est l’analyse du système politique roumain qui nous permettra de comprendre pourquoi la lutte au sommet de l’État roumain implique si fortement la législation déléguée. On ne peut en effet parler de la législation déléguée qui est un procédé de gouvernement aménagé dans la Constitution au profit du Gouvernement sans parler du système politique dans lequel ce procédé s’applique. L’analyse de la législation déléguée dans le système constitutionnel roumain est-elle aussi nécessaire dans cette étude parce qu’elle est le procédé en cause ici. C’est son usage qui est à l’origine des dérives constitutionnelles mentionnées. C’est pourquoi il convient de l’analyser car c’est un procédé qui n’a rien de simple.

6 Tout d’abord, la caractéristique principale du système politique roumain réside dans les idéaux de la Révolution de décembre 1989 sur la base de laquelle l’Assemblée constituante a adopté la Constitution de la Roumanie [2]. Selon l’article 1er de cette Constitution, la Roumanie est un État national, souverain, indépendant, unitaire et indivisible ; un État de droit, démocratique et social qui a comme valeurs suprêmes la dignité, le libre développement de la capacité humaine, les droits et libertés des citoyens, la justice et le pluralisme politique. La forme du gouvernement est la République et le régime politique est la démocratie constitutionnelle, les institutions étatiques fonctionnant et s’organisant selon le principe de la séparation des pouvoirs dans l’État en pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. Le peuple exerce sa souveraineté à travers ses organes représentatifs, les initiatives législatives populaires et le référendum [3]. Le pouvoir législatif (le Parlement), le pouvoir exécutif (le Chef de l’État et le Gouvernement) et le pouvoir judiciaire (la Cour supérieure de Justice et le Conseil supérieur de la Magistrature) sont réglementés dans des titres spécifiques. La succession des chapitres n’est pas un hasard ; elle met en évidence un certain ordre des priorités en ce qui concerne le rôle d’une autorité publique ou d’une autre, sur la scène politique du pays. Le système politique roumain met l’accent sur le Parlement et consacre un chapitre spécial aux rapports entre le Gouvernement et le Parlement car la Roumanie s’est inspirée du modèle des Constitutions de la France et de l’Espagne.

7 Le Parlement roumain est bicaméral. Il comprend deux chambres : la Chambre des députés (camera deputalilor) avec 335 députés et le Sénat (Senatul) avec 143 sénateurs. Les parlementaires sont renouvelés tous les 4 ans au scrutin majoritaire mixte au sein de 315 circonscriptions uninominales pour les députés (un député pour chaque tranche de 70 000 habitants) et 143 pour les sénateurs. Chaque candidat recueillant plus de 50 % des suffrages est élu. Dans les circonscriptions où aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue, les voix sont décomptées au niveau national et les sièges répartis entre les partis politiques en fonction des suffrages qu’ils ont recueillis. Les minorités nationales (Roms, Allemands, Arméniens, Italiens, Croates, Albanais, Serbes notamment) disposent de plusieurs sièges réservés à la Chambre des députés (par exemple 18 lors du scrutin de 2008).

8 Ensuite, le Parlement roumain adopte les lois constitutionnelles, les lois organiques et les lois ordinaires. Il peut dans des situations exceptionnelles démettre de sa fonction le Président et il dispose de pouvoirs de contrôle substantiels sur l’Exécutif.

9 Le Gouvernement, conformément au programme gouvernemental approuvé par le Parlement, assure la mise en œuvre de la politique interne et extérieure du pays et exerce la direction gouvernementale de l’administration. Le Gouvernement prend des décrets et des ordonnances. Les décrets sont adoptés pour l’application des lois. Les ordonnances sont adoptées en vertu d’une loi spéciale d’habilitation. Le premier ministre présente à la Chambre des députés et au Sénat des rapports et des déclarations concernant la politique gouvernementale, qui sont discutés en priorité.

10 Le Gouvernement n’a de responsabilité pour l’ensemble de ses actes que devant le Parlement. Sur le plan politique, chaque membre du Gouvernement est solidairement responsable avec ses collègues de l’activité et des actes du Gouvernement. Le Parlement peut provoquer la démission du Gouvernement par le vote d’une motion de censure et exerce un contrôle politique sur le Gouvernement. La Cour constitutionnelle roumaine exerce le contrôle de constitutionnalité des lois, le contrôle de la régularité des élections présidentielles et proclame des résultats définitifs, elle se prononce également sur la régularité de l’exercice par les citoyens de leur droit d’initiative législative aussi bien pour l’organisation que pour le déroulement du référendum. S’agissant du contrôle sur l’institution présidentielle, la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler les circonstances qui justifient l’intérim dans l’exercice des fonctions de président de la République roumaine selon les conditions fixées par la Constitution. La Cour vérifie s’il s’agit de la vacance de la fonction de président, si c’est une suspension ou si le président est dans l’empêchement temporaire d’exercer ses fonctions.

11 Enfin, concernant les rapports entre la loi et le règlement, il faut dire que le Parlement vote les lois constitutionnelles, les lois organiques et les lois ordinaires. Les lois constitutionnelles ont trait à la révision de la Constitution. Les lois organiques régissent un certain nombre de grandes questions énumérées à l’article 72 (3) de la Constitution. Elles exigent une majorité absolue dans les deux Chambres. Les lois ordinaires sont adoptées à la majorité simple des deux Chambres. Les décisions concernent à titre principal les règlements des deux Chambres. Le Gouvernement adopte des décrets et des ordonnances. Les premiers sont adoptés pour assurer l’application des lois et peuvent revêtir un caractère normatif ou individuel. Le Gouvernement peut adopter des ordonnances lorsque le Parlement a délégué son pouvoir législatif pour une durée spécifiée et dans un domaine particulier en vertu d’une loi spéciale d’habilitation. Les ordonnances ont un caractère exceptionnel et elles sont adoptées dans des domaines qui ne font pas l’objet de lois organiques. Les ordonnances peuvent faire l’objet d’un débat parlementaire si la loi d’habilitation le prévoit ; les décrets et ordonnances du Gouvernement doivent être signés par le Premier ministre. La hiérarchie ainsi établie par la Constitution roumaine ne tolère qu’aucun instrument normatif d’un rang subordonné contienne des dispositions contraires aux instruments normatifs d’un rang supérieur (lois et décisions du Parlement, décrets et ordonnances du Gouvernement, décrets du Premier ministre, instructions et ordonnances des ministres, décisions des conseils locaux et ordonnances des maires, les ordonnances des services déconcentrés de l’État opérant dans les Comtés).

12 L’équilibre dans la distribution du pouvoir résulte d’une part, de la séparation des pouvoirs dans l’État dans le sens de la spécialisation fonctionnelle et de la compétence des autorités publiques et, d’autre part, du rapport existant entre ces autorités dans le sens de la collaboration et du contrôle réciproque [4]. Dans cette vision, l’État moderne crée un appareil administratif et fait naître « un nouvel homme politique professionnel » qui soit vit pour la politique soit vit de la politique. Dans le dernier cas, il est moins intéressé par la politique et plus par l’aspect matériel. C’est dans cette ligne que se situe la partitocratie de D. Barbu [5], les partis politiques montrant plus d’intérêt à l’aspect financier de la politique et moins à l’aspect de la promotion des idées et des objectifs du parti ; le comportement des hommes politiques roumains des dernières années constitue une preuve sur ce point [6]. L’État en créant l’administration et la bureaucratie a créé aussi l’espace idéal et l’occasion pour que les luttes partisanes continuent en dehors de la sphère politique dans d’autres domaines d’activité, « les partis politiques modifiant leur discours politique en fonction des voix à capter [7] ».

13 Le 22 mai 2012, les députés ont voté en faveur de l’adoption d’un nouveau mode de scrutin uninominal à un tour comparable au système britannique du First past the post. Les partis de l’Union Sociale Libérale au pouvoir espéraient via ce système obtenir plus aisément la majorité absolue au Parlement. Le 27 mai de la même année, la Cour constitutionnelle a rejeté ce nouveau mode de scrutin qu’elle a jugé inconstitutionnel. Le Président de la République, Trian Basescu a proposé à plusieurs reprises de modifier le système électoral. Il souhaitait supprimer l’une des deux chambres du Parlement, affirmant qu’un Parlement unicaméral fonctionne de façon plus efficace et que la Roumanie, qui compte 22 millions d’habitants, possède 469 parlementaires pour 535 aux États-Unis, pays de 300 millions d’habitants. Sous la présidence de Trian Basescu, la Chambre des députés roumaine comprend 5 partis politiques : le parti démocrate-libéral (PD-L) du Président de la République Trian Basescu, le parti social-démocrate (PSD) du Premier ministre Victor Ponta, le parti national-libéral (PNL) qui est membre de la coalition gouvernementale, l’Union démocratique des Hongrois de Roumanie et l’Union nationale pour le progrès de la Roumanie.

14 Le président de la Roumanie est élu au suffrage universel direct. L’ancien Chef de l’État, Trian Basescu avait été réélu en décembre 2009 pour un mandat de 5 ans.

15 Le système politique roumain ainsi décrit fait du président de la République et du Parlement les deux acteurs principaux du système. D’une part, fort de sa légitimité populaire et ses pouvoirs reconnus dans la Constitution, le président roumain constitue un acteur important du système constitutionnel. D’autre part, les parlementaires jouissent aussi d’importantes prérogatives qui s’exercent aussi à travers le Gouvernement puisque c’est le parti ou la coalition de partis majoritaire au Parlement qui dirige le Gouvernement roumain. De ce fait, le Premier ministre roumain constitue la seconde personnalité importante du pays et en pratique la première puisqu’il détient la réalité du pouvoir et son exercice. Néanmoins, certaines de ses décisions comme les nominations à des hautes fonctions dans les institutions étatiques doivent être approuvées par le président de la République d’où la nécessité d’une collaboration entre ces deux institutions. La Constitution roumaine à travers le procédé de la législation déléguée a aussi prévu un mécanisme de collaboration entre le Gouvernement et le Parlement. C’est dans ce cadre que le Gouvernement peut prendre des ordonnances qui sont toujours soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle (I). Ce point est important puisqu’il s’agit ici d’un mécanisme de collaboration entre deux institutions dont l’usage pratique a détourné les finalités originelles. On pourrait donc dire que le régime politique roumain est de type semi-présidentiel. À l’épreuve de la cohabitation entre le Premier ministre Ponta et le Président Basescu, ce régime connaît plusieurs dysfonctionnements du fait de l’usage abusif de la législation déléguée (II). Pour mieux comprendre l’impact de l’usage de la législation déléguée sur le fonctionnement de ce système politique roumain, nous devons analyser et expliquer les origines du conflit politique et constitutionnel qui oppose le Président roumain à son jeune Premier ministre.

I – Le conflit politique au sommet de l’État roumain et les traits saillants de la délégation

16 Il convient d’abord de présenter le conflit politique qui a secoué le pays (A). Ensuite, nous présenterons les traits caractéristiques de la législation déléguée (B).

A – Origines et développement du conflit politique entre M. Ponta et M. Basescu

17 La Roumanie était dirigée depuis 2004 par le Président Trian Basescu qui a été réélu en 2009 pour un nouveau mandat de 5 ans. Trian Basescu, 61 ans, ancien capitaine de marine marchande et ancien maire de Bucarest a été pendant longtemps l’homme politique le plus populaire de Roumanie. Mais sa cote de popularité s’est effondrée depuis qu’il a imposé au pays des mesures de grande austérité économique, et notamment sa tentative de passage en force sur une réforme de la santé qui avalisait l’entrée du secteur privé dans l’assurance maladie. Entre 2009 et 2010 en effet, la Roumanie, dont le déficit public atteignait près de 10 % du PIB, avait dû, pour éviter la faillite prendre des mesures de rigueur (dont la baisse de 25 % du traitement des fonctionnaires, la diminution de 15 % des pensions de retraites, la hausse de la TVA de 19 à 24 % et la suppression d’environ 200 000 postes de fonctionnaires) en échange d’une aide du FMI et de l’Union européenne.

18 Le 27 avril 2012, le Gouvernement dirigé par M. Ungureanu, qui avait succédé deux mois auparavant à celui d’Emile Boc, a été renversé par une motion de censure de l’opposition qui dénonçait, entre autres, son programme de privatisations. Le Président de la République Trian Basescu a été contraint de nommer le 7 mai le leader de l’opposition Victor Ponta au poste de Premier Ministre [8]. Le principal atout de ce jeune Premier Ministre de seulement 39 ans est sans conteste sa jeunesse. Ambitieux, Victor Ponta est un battant au moins sur le plan sportif. Plusieurs fois champion de Basket et de rallye, il exerce après ses études de droit à la faculté de Bucarest comme procureur et chef du département anti-corruption du Gouvernement avant de faire son entrée en politique en 2002. C’est en 2010 qu’il obtient la présidence du Parti Social-Démocrate (PDS). Son ascension politique est fulgurante : plus jeune député, plus jeune ministre et plus jeune Premier ministre, Victor Ponta va s’atteler depuis son accession à ce dernier poste à accroître ses pouvoirs et à mettre au pas les principales institutions roumaines. De ce fait, sa cohabitation avec le Président Basescu va vite devenir problématique.

19 Le conflit est ouvert lorsque le Conseil national d’attestation des diplômes universitaires a produit un rapport accablant accusant M. Ponta d’avoir plagié environ un tiers des 300 pages de sa thèse de Doctorat sur le fonctionnement de la Cour pénale internationale [9]. Sitôt le rapport publié, la composition du Conseil a été rapidement modifiée par le Ministre intérimaire de l’éducation. Il convient de préciser que le directeur de thèse de M. Ponta n’est autre que son mentor en politique Adrian Nastase, ancien Premier ministre roumain et condamné à deux ans de prison fermes pendant le mandat du Président Basescu pour avoir financé sa campagne électorale avec de l’argent public [10]. Ces accusations de plagiat ont toujours été rejetées par Victor Ponta qui a dénoncé un complot du Président Basescu. La Commission Nationale d’Éthique chargée de vérifier la véracité des faits a confirmé le plagiat de la thèse de M. Ponta. Ces évènements ont été suivis par le déclenchement d’une procédure de destitution par le Parlement roumain à l’encontre du Président Trian Basescu pour « avoir violé la Constitution » en s’attaquant à des prérogatives réservées au Premier ministre, pour avoir « enfreint la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice » et enfin pour avoir « sapé la démocratie » en imposant des mesures d’austérité qui ont appauvri la population ». Il convient de préciser que cette procédure de destitution votée par le Parlement a été déclenchée par l’Union Sociale Libérale (USL), la coalition au pouvoir dirigée par V. Ponta. Selon l’article 95 de la Constitution roumaine, le Chef de l’État peut être destitué au cours de son mandat « s’il commet des faits graves violant les dispositions de la Constitution ». Mais une lacune de cette Constitution roumaine se situe dans le manque de précisions sur la signification exacte ou l’interprétation à donner à l’expression « faits graves violant les dispositions de la Constitution ». Interpellée sur les accusations portées contre le Président Basescu, la Cour constitutionnelle roumaine n’a retenu que 2 des 7 chefs d’inculpations à l’encontre du Chef de l’État : le Président de la République « n’a pas exercé de manière efficace sa fonction de médiateur entre les pouvoirs de l’État » et il « a tenté de diminuer le rôle et les prérogatives du Premier ministre » ont souligné les 9 juges constitutionnels.

20 Selon la Constitution roumaine, après le vote de la destitution du Chef de l’État par le Parlement, la présidence (par intérim) de la République revient au Président de la Chambre haute, M. Antonescu, leader du Parti national-libéral et co-président avec Victor Ponta de la coalition USL au pouvoir. Cette destitution du Président Basescu devait être confirmée par un référendum populaire. Le Président Basescu allait toutefois échapper à la destitution à la suite de ce référendum car la condition de validation du référendum n’était pas remplie : il faut selon la loi électorale de 2010 qu’au moins la moitié des électeurs inscrits se déplacent effectivement aux urnes le jour du scrutin. La Cour constitutionnelle a maintenu le Président Basescu dans ses fonctions après la proclamation des résultats définitifs qui faisaient état d’un taux de participation de 47 % seulement des électeurs inscrits alors que 60 % des votants s’étaient prononcés en faveur de la destitution du Président de la République non sans tentative de Ponta de modifier les conditions de validation du référendum par une ordonnance d’urgence (n° 41) [11]. Le Premier ministre Ponta a aussitôt dénoncé une décision illégale de la Cour constitutionnelle et a affirmé qu’on ne pouvait pas ignorer la volonté de millions d’électeurs.

21 Les difficultés de la cohabitation se sont poursuivies d’autant plus que la coalition du Premier ministre Ponta a été reconduite au Parlement à la suite des élections législatives du 9 décembre 2012.

22 Une fois les origines et développements de ce conflit politique compris, nous devons maintenant voir ce que la Constitution roumaine prévoit comme dispositif en matière de législation déléguée. Cela nous permettra de comprendre l’usage qui en était fait et pourquoi de telles dérives ont été enregistrées dans son utilisation.

B – Le cadre constitutionnel de la législation déléguée en Roumanie

23 La législation déléguée a toujours représenté un grand intérêt pour la doctrine roumaine de droit public à cause de la difficulté qui émerge de la définition, de la caractérisation ou du placement des actes adoptés en vertu de cette délégation dans une certaine catégorie d’actes juridiques (1). De ce fait, les débats doctrinaux ont toujours été animés en particulier sur la question du bien-fondé de la délégation (2).

1 – L’émergence et le développement de la législation déléguée en Roumanie

24 Pays longtemps marqué par l’influence communiste, la Roumanie a connu un long développement de la législation déléguée depuis le xixe siècle (a). L’institution constitutionnelle que représente aujourd’hui la législation déléguée ainsi que nous le verrons représente un procédé législatif exceptionnel en faveur du Gouvernement (b).

(xiii) a – Le développement historique de la délégation en Roumanie

25 La législation déléguée existe en Roumanie depuis l’entrée en vigueur des Règlements organiques. À cette époque, le seigneur était le seul détenteur du pouvoir exécutif et avait un droit de veto en matière de sanction des lois. En 1864, Al Cuza, après un coup d’État, obtint le droit de légiférer dans n’importe quel contexte sans la participation des deux assemblées co-législatrices. Cette confusion des pouvoirs dans les mains du seigneur se termine par l’adoption en 1866 de « la plus libérale Constitution d’Europe [12] » qui établissait que le pouvoir législatif était exercé par le seigneur avec la représentation nationale composée du Sénat et de l’Assemblée des Députés, tandis que le pouvoir exécutif lui appartenait complètement et il avait le droit d’adopter seulement des règlements d’application des lois [13]. Même si la Constitution de 1866 ne prévoyait pas la législation déléguée, celle-ci a été appliquée en dehors du cadre constitutionnel par l’adoption par le pouvoir exécutif de décrets-lois. Cette violation des règles du Droit constitutionnel, du principe de la séparation des pouvoirs dans l’État et de la maxime latine delegata potestas non delegatur [14] a été difficilement acceptée par les juristes et les hommes politiques de l’époque, mais on a considéré que l’« État avait le droit de commettre des illégalités pour éviter un péril [15] ». Dans le contexte de la première guerre mondiale, il a été admis que la « nécessité ne connaissait pas des lois [16] ». La Cour de cassation a reconnu le droit pour le pouvoir exécutif d’adopter dans le silence de la Constitution et en cas de nécessité des décrets-lois à travers lesquels il pouvait légiférer, modifier, abroger des lois et même la Constitution [17].

26 Il convient de voir maintenant comment cette institution est aujourd’hui réglementée.

(xiv) b – La législation déléguée aujourd’hui en Roumanie

27 La délégation législative dans ce pays peut être faite en faveur de deux institutions : d’abord au moyen d’une loi d’habilitation, le Gouvernement roumain peut édicter des ordonnances simples. Ensuite, le Gouvernement, sur la base d’une habilitation constitutionnelle peut édicter des ordonnances d’urgence dans des situations extraordinaires.

28 • Les conditions d’édiction des ordonnances simples et d’urgence

29 C’est l’article 115 de la Constitution qui réglemente actuellement l’exercice de la législation déléguée en Roumanie. Selon l’alinéa 1 de cet article, « le Parlement peut adopter une loi spéciale d’habilitation du Gouvernement pour qu’il puisse adopter des ordonnances dans les domaines qui ne font pas l’objet de lois organiques ». Selon l’alinéa 4 du même article, « le Gouvernement peut adopter des ordonnances d’urgence seulement dans des situations extraordinaires dont la réglementation ne peut pas être demeurée, ayant l’obligation de motiver l’urgence dans leur contenu ».

30 La délégation législative conduit à la conclusion que le Gouvernement habilité à exercer, à terme limité, des attributions de législation, conformément à l’article 115 de la Constitution, peut, en se manifestant dans le domaine législatif, réglementer, modifier ou abroger la réglementation déjà existante. On peut parvenir à la même conclusion par l’interprétation de l’article 115 alinéa 1 de la Constitution, qui prévoit que « le Parlement ne peut pas adopter une loi spéciale d’habilitation du Gouvernement pour émettre des ordonnances dans des domaines qui ne font pas l’objet des lois ordinaires ». Il en résulte donc que le Gouvernement peut émettre des ordonnances, c’est-à-dire peut réglementer, seulement dans les domaines qui font l’objet des lois ordinaires. Le domaine des taxes et impôts est lui susceptible de faire aussi l’objet de délégation législative.

31 C’est l’alinéa 4 de l’article 115 de la Constitution roumaine qui prévoit la possibilité pour le Gouvernement roumain d’édicter des ordonnances d’urgences dans des situations extraordinaires. Dans l’évaluation de telles situations extrêmes, l’intervention du Gouvernement par la voie de l’ordonnance d’urgence est justifiée par l’intérêt public préjudicié par le caractère anormal et excessif des cas exceptionnels.

32 Ces ordonnances simples et d’urgence sont soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle roumaine.

33 • Le contrôle des ordonnances

34 Il s’agit d’une tâche qui revient à la Cour constitutionnelle roumaine. Un tel contrôle des ordonnances n’éclipse pas le contrôle effectué aussi sur la loi d’habilitation qui peut être déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle. Cette inconstitutionnalité de la loi d’habilitation peut porter soit sur la forme soit sur le fond ou sur les deux à la fois [18]. La Cour constitutionnelle a été amenée à définir la notion de « situations extraordinaires ». Elle estime que de telles situations concernent « la nécessité et l’urgence de la réglementation d’une certaine situation qui, à cause de ses circonstances exceptionnelles, impose l’adoption d’une solution immédiate, en vue d’éviter une grave atteinte portée à l’intérêt public [19] ». Ainsi, la Cour Constitutionnelle a démontré que, selon les dispositions constitutionnelles, le Gouvernement peut adopter une ordonnance d’urgence dans les conditions suivantes, réunies de façon cumulative : a) l’existence d’une situation extraordinaire ; b) le fait que la réglementation de celle-ci ne puisse pas être ajournée ; c) le fait que l’urgence soit motivée dans le contenu de l’ordonnance.

35 Cette possibilité offerte au Gouvernement de légiférer par ordonnances a été diversement appréciée par la doctrine. Les débats ont porté sur le bien-fondé de cette institution.

2 – Le bien-fondé de la délégation

36 À partir de la collaboration entre le Gouvernement et le Parlement, la législation déléguée a été définie dans le cadre de deux grandes théories : la théorie du mandat législatif et la théorie de la compétence propre.

37 Selon la première théorie, la législation déléguée n’est pas une compétence propre du pouvoir exécutif, mais une attribution concédée par le pouvoir législatif sur la base d’un mandat. Quant à la théorie de la compétence propre, elle postule que la législation déléguée dérive d’un droit inhérent au pouvoir exécutif. Cette compétence résulte de la séparation des pouvoirs et la distribution des compétences [20]. Le pouvoir législatif ne peut pas déléguer ses attributions au pouvoir exécutif parce que selon la maxime latine delegata potestas non delegatur, il ne peut pas déléguer à son tour ce qui lui a été délégué par le pouvoir constituant au nom de la Nation. Le législateur peut seulement abandonner des matières dans la sphère de compétence de l’exécutif [21] et augmentant la sphère de compétence de l’exécutif mais non ses pouvoirs [22].

38 Il ressort de cette analyse que la législation déléguée permet au Gouvernement et au Chef de l’État roumains de légiférer par ordonnances et ce, en vertu de dispositions constitutionnelles expresses. Il est également établi que la législation par ordonnances simples représente une pratique exceptionnelle par rapport à la législation parlementaire. Il s’agit par conséquent d’une voie législative aménagée au profit du Gouvernement et qui ne saurait en aucun cas remplacer la législation parlementaire classique. Quant à la législation par les ordonnances d’urgence, il résulte de cette analyse qu’elle ne représente pas une variété de l’ordonnance conformément à une loi d’habilitation, mais une mesure constitutionnelle qui permet au Gouvernement, sous le contrôle strict de Parlement, de faire face à une situation extraordinaire et qui est justifiée par la nécessité et l’urgence de réglementer une situation qui, en raison de ses circonstances exceptionnelles, impose l’adoption d’une solution immédiate pour éviter une grave atteinte à l’intérêt public [23]. Il en résulte qu’il s’agit là d’une voie législative encore plus exceptionnelle que la précédente aménagée au profit du Gouvernement.

39 Une fois que nous avons compris le système politique roumain dans le sens où il mentionne des institutions dotées de pouvoirs importants, à savoir le président, le Gouvernement et le Parlement et que nous avons aussi établi que la Constitution roumaine a prévu la législation déléguée comme procédé exceptionnel de collaboration entre le Gouvernement et le Parlement, nous pouvons maintenant envisager l’étude des conséquences de l’usage de la législation déléguée pendant la crise politique roumaine en particulier sous les Gouvernements Ponta.

II – Les conséquences de l’usage de la législation déléguée pendant la crise politique roumaine (depuis le 7 mai 2012)

40 Depuis son accession au pouvoir, la Gouvernement Ponta s’appuie essentiellement sur la législation déléguée pour gouverner. On aurait dit qu’il s’agit du principal moyen de gouvernement mis à la disposition de l’Exécutif. Pourtant, d’après l’analyse constitutionnelle ainsi que nous l’avons menée, il n’en est rien. La législation déléguée est en principe d’usage restreint et exceptionnel. Les conséquences négatives du recours à la législation déléguée se situent au niveau des atteintes au principe de la séparation des pouvoirs. Plusieurs éléments permettent de relever une telle violation. Le 3 juillet 2012, le Gouvernement Ponta a destitué les présidents du Sénat et de la Chambre des députés. Cette mesure a été contestée par de nombreux juristes dont le Pr. Ioan Stanomir, spécialiste de droit constitutionnel qui estime que les présidents des Chambres du Parlement roumain ne peuvent être révoqués que si le groupe parlementaire dont ils sont issus, en l’occurrence le Parti Démocrate – Libéral, le demande. De même, le Conseil national d’attestation des diplômes universitaires a été dissous par une ordonnance d’urgence lorsqu’il a confirmé le plagiat de la thèse du Premier ministre roumain. Une ordonnance d’urgence a été également édictée pour tenter de modifier le référendum qui devait avaliser la destitution du Président Basescu. Cette ordonnance n° 41/2012 a été adoptée par le Gouvernement Ponta au lendemain du vote par le Parlement roumain de la destitution du Président Basescu le 6 juillet 2012 [24].

41 Pour montrer à quel point ces ordonnances d’urgences ont porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs dans l’État, nous devons les analyser juridiquement, c’est-à-dire du point de vue de leur validité constitutionnelle. Nous procéderons d’abord à l’analyse de l’ordonnance ayant modifié les compétences de la Cour constitutionnelle (A). Ensuite, nous évoquerons la modification des conditions de validation du référendum, la révocation des présidents des deux chambres du Parlement et la question de la révocation de l’Avocat du peuple par des ordonnances d’urgence (B).

A – Sur l’ordonnance d’urgence modifiant l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle roumaine

42 Le 4 juillet 2012, le Gouvernement roumain a adopté l’ordonnance d’urgence n° 38/2012 qui modifie la loi n° 47/1992 sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle roumaine. Cette ordonnance d’urgence a modifié l’article 27.1 de la loi de 1992 sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, privant ainsi cette dernière de son pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité des décisions du Parlement. Le 27 juin 2012, 67 membres du Parlement avaient contesté la constitutionnalité d’une loi modifiant le même article 27.1 de la loi n° 47/1992. Ce recours avait suspendu la procédure de promulgation de la loi et cette affaire était pendante devant la Cour constitutionnelle lorsque le Gouvernement roumain a adopté l’ordonnance d’urgence n° 38.

43 Cette ordonnance d’urgence soulève deux questions juridiques intéressantes. Il s’agit d’une part de celle relative au contrôle des actes internes du Parlement, c’est-à-dire ses décisions (1). D’autre part, il s’agit du recours à une ordonnance gouvernementale d’urgence pour limiter la compétence de la Cour constitutionnelle (2).

1 – Sur la question du contrôle des actes internes du Parlement

44 À première vue, on pourrait soutenir que les actes internes, souvent individuels du Parlement ne devraient pas être soumis à un contrôle juridictionnel car ces décisions ont généralement un caractère politique, qui ne peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Cependant, le règlement et les autres règles générales adoptées par le Parlement sont des actes normatifs qui constituent une référence pour le Parlement dans son ensemble et ses membres à titre individuel. Or, le contrôle juridictionnel de l’application des actes normatifs est un élément essentiel de l’État de droit. En l’absence d’un tel contrôle, la majorité au Parlement devient le juge de ses propres actes ; ce qui constitue une violation du principe de la séparation des pouvoirs dans l’État. Si seule la majorité peut décider du respect des règles parlementaires, la minorité n’a aucune voie de recours à sa disposition lorsque ces règles sont bafouées. Même si les actes en question sont des actes individuels, une telle situation porte atteinte aux droits de la minorité parlementaire mais aussi, par voie de conséquence, au droit de vote des citoyens qui l’ont élue. Le contrôle juridictionnel des actes individuels du Parlement n’est pas donc seulement lié à l’État de droit. Dans la mesure où il a des répercussions sur le droit de vote, il touche aux droits de l’Homme.

45 La limitation de la compétence de la Cour par une ordonnance d’urgence pose elle aussi problème.

2 – Sur le recours à une ordonnance gouvernementale d’urgence pour limiter la compétence de la Cour constitutionnelle

46 L’ordonnance gouvernementale d’urgence n° 38/2012 du 4 juillet 2012 a retiré à la Cour constitutionnelle le pouvoir qui lui avait été conféré en 2010 pour « examiner les décisions de la Chambre des députés, du Sénat et de la plénière des deux chambres ». Seuls les « règlements du Parlement » continuent de relever de sa compétence. La Cour constitutionnelle a ainsi été privée du pouvoir de contrôler les décisions du Parlement, notamment les nominations et les révocations. L’adoption d’un tel amendement sous la forme d’une ordonnance d’urgence soulève deux questions :

47 L’ordonnance porte-elle préjudice au régime des institutions fondamentales de l’État ?

48 Les raisons qui motivent le caractère urgent de l’ordonnance sont-elles fondées ?

49 Selon l’article 115.6 de la Constitution roumaine : « Les ordonnances d’urgence ne peuvent être adoptées dans le domaine des lois constitutionnelles, ne peuvent porter préjudice au régime des institutions fondamentales de l’État, aux droits, aux libertés et aux devoirs prévus par la Constitution, aux droits électoraux, ni viser des mesures de saisie de certains biens dans la propriété publique. » De cette disposition constitutionnelle, on peut déduire qu’une limitation des compétences de la Cour constitutionnelle, même dans le cas d’une compétence attribuée seulement par la loi et non directement par la Constitution porterait préjudice au « régime des institutions fondamentales de l’État » et ne devrait donc pas être instaurée par une ordonnance gouvernementale d’urgence [25].

50 Aux termes de l’article 115.4 de la Constitution roumaine, « le Gouvernement peut adopter des ordonnances d’urgence seulement dans des situations extraordinaires dont la réglementation ne peut être ajournée, étant tenu de motiver l’urgence dans leur contenu ». Le préambule de l’ordonnance n° 38 qui est le principal argument visant à justifier la nécessité d’adopter une ordonnance gouvernementale d’urgence indique que « l’attribution à la Cour constitutionnelle de la compétence d’examiner les décisions du Parlement risque d’entraîner des incohérences dans les activités parlementaires ». Cette ordonnance ne précise pas quel type d’incohérence résulterait du contrôle des décisions du Parlement par la Cour constitutionnelle. Elle met simplement en garde contre ces incohérences. On peut noter que ces craintes sont assez vagues et ne suffisent pas à justifier le caractère d’urgence de l’ordonnance.

51 Sur le plan de l’analyse constitutionnelle, cette ordonnance d’urgence pose problème. Elle porte en effet préjudice au régime d’une institution fondamentale de l’État (la Cour constitutionnelle en l’occurrence). Elle aurait dû être approuvée expressément par le Parlement car elle porte sur un domaine relevant des lois organiques. Le caractère urgent de l’ordonnance n’est lui aussi pas établi. Dans son arrêt n° 727 du 9 juillet 2012, la Cour a jugé que l’adoption de cette ordonnance d’urgence constitue un comportement inconstitutionnel et abusif à son égard. Quant à la loi litigieuse, la Cour a estimé que le fait de lui retirer son pouvoir de contrôler les décisions du Parlement est contraire à l’État de droit et au principe de la séparation des pouvoirs dans l’État [26]. Dans son arrêt n° 738 du 19 septembre 2012, la Cour a estimé que la loi approuvant l’ordonnance gouvernementale d’urgence n° 38/2012 était inconstitutionnelle, au motif que la distinction établie dans la loi entre les décisions parlementaires ayant trait à l’autonomie interne du Parlement et celles ayant trait à des actes individuels est redondante et que la loi restreint l’accès à la justice constitutionnelle.

52 Il convient maintenant d’examiner la constitutionnalité des ordonnances d’urgences ayant modifié le fonctionnement des institutions roumaines (B).

B – Les ordonnances d’urgence modifiant le fonctionnement des institutions roumaines

53 Il s’agit des conditions de validation du référendum, de la destitution des présidents des deux chambres du Parlement (1) et de la révocation de l’Avocat du Peuple (2).

1 – Sur les ordonnances modifiant les conditions de validation du référendum et révoquant les présidents des deux chambres du Parlement.

54 Nous envisagerons successivement l’analyse de l’ordonnance d’urgence sur le référendum (a) et celle sur la révocation des présidents des deux chambres du Parlement (b).

(xv) a – Sur l’ordonnance d’urgence n° 41/2012 modifiant la loi n° 3/2000 sur l’organisation d’un référendum.

55 Le Gouvernement roumain a adopté, le 5 juillet 2012, l’ordonnance d’urgence n° 41/2012 qui modifie la loi n° 3/2012, notamment son article 10 sur l’organisation d’un référendum. En vertu de cette ordonnance, la destitution du président de la République roumaine requiert la majorité des suffrages exprimés au lieu de la majorité des suffrages des citoyens inscrits sur les listes électorales. L’article 10 de cette loi électorale roumaine a été modifié quatre fois entre 2000 et 2012 [27]. Ces modifications sont relatives aux conditions de validation du référendum en Roumanie, en particulier le quorum requis. L’article 5.2 de la loi n° 3/2000 énonce une règle générale relative à tous les types de référendum : « Le référendum est validé si au moins la moitié plus un des électeurs figurant sur les registres électoraux y ont participé. » La réforme de 2009 maintenait néanmoins le seuil de participation de 50 % pour valider le référendum. Entre-temps, la loi de 2007 avait supprimé le quorum de participation de 50 % pour le référendum sur la suspension du président de la République roumaine. Cette loi a été adoptée le 5 mai 2007 et un référendum sur la suspension du Chef de l’État a eu lieu le 19 mai 2007. L’ordonnance d’urgence n° 41/2012, qui a supprimé le quorum a été publiée le 5 juillet 2012 et le référendum s’est déroulé le 29 juillet 2012. Cela signifie qu’entre 2007 et 2012, le quorum nécessaire pour valider le référendum sur la suspension du président de la République a été modifié alors que la suspension du Chef de l’État était imminente. En d’autres termes, les règles du jeu électoral ont été modifiées en cours de route. Ces changements de la législation électorale dictés par les évènements constituent une violation de la sécurité juridique et principe de la stabilité du processus référendaire. Tout comme dans le cas de l’ordonnance d’urgence n° 38, nous devons examiner l’ordonnance n° 41 pour déterminer d’abord si elle porte préjudice au régime d’une institution fondamentale de l’État. Ensuite nous déterminerons si le caractère urgent de l’ordonnance peut être établi.

56 Les possibilités et les seuils requis pour permettre au Parlement de destituer ou de suspendre le Chef de l’État ont une influence sur l’équilibre des pouvoirs entre ces deux institutions de l’État. Dans ces conditions, le fait de modifier une disposition, qui établit la majorité requise pour destituer le président de la République, porte préjudice au « régime des institutions fondamentales de l’État » et sort du champ d’application légitime des ordonnances gouvernementales d’urgence telles qu’elles sont définies par l’article 115.6 de la Constitution roumaine. Pour ce qui est du caractère urgent de l’ordonnance, selon l’ordonnance n° 41, « il convient d’adopter immédiatement les mesures légales et techniques nécessaires afin de garantir, dans les meilleures conditions, la consultation de l’électorat » et de « tenir compte de la nécessité de garantir un processus électoral cohérent, tous ces éléments relevant de l’intérêt général et équivalant à une situation extraordinaire dont la réglementation ne peut être ajournée ». L’ordonnance indique ainsi qu’il y a urgence mais n’en précise pas les raisons. Le recours aux ordonnances gouvernementales d’urgence lorsqu’il vise à faire appliquer immédiatement une loi qui est en cours d’examen par la Cour constitutionnelle constitue un abus dans l’usage de ce moyen de gouvernement et cet abus constitue une violation des principes de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs dans l’État.

57 En principe, c’est à la Cour constitutionnelle qu’échoient les décisions finales en matière de constitutionnalité. Dans son arrêt n° 731/2012 du 10 juillet 2012, la Cour a examiné dans le cadre du contrôle a priori, la loi modifiant l’article 10 de la loi n° 3/2000 sur l’organisation d’un référendum. La Cour constitutionnelle a d’abord fait référence à son arrêt n° 147 du 21 février 2007, dans lequel elle avait rejeté le principe de symétrie, en vertu duquel le président devrait être destitué de ses fonctions à la même majorité que celle avec laquelle il a été élu. La Cour a ensuite estimé que la « destitution du président de la Roumanie par référendum n’équivaut pas à une contestation de l’élection mais sanctionne des actes graves contraires à la Constitution ». La Cour a conclu à la constitutionnalité de la modification de l’article 10 de la loi sur le référendum, selon laquelle la majorité des suffrages exprimés était requise pour destituer le président. Toutefois, elle a rappelé qu’une autre disposition de la loi n° 3/2000 (article 52), non modifiée par la loi faisant l’objet de l’examen exigeait un quorum de participation de 50 % pour que le référendum soit validé. Elle a noté que contrairement à la loi litigieuse, l’ordonnance gouvernementale d’urgence n° 41/2012 instituait une dérogation par rapport à l’article 5.2 de la loi n° 3/2000 en supprimant le quorum de participation. Cependant, elle a aussi estimé « qu’il est indispensable que le référendum exprime réellement et effectivement la volonté des citoyens, permettant ainsi une véritable manifestation démocratique de la souveraineté du peuple » et que « la participation de la plupart des citoyens au référendum est un acte de responsabilité civique, en ayant le choix entre sa destitution ou son maintien dans ses fonctions ». La Cour constitutionnelle roumaine a ainsi conclu que la loi modifiant l’article 10 de la loi n° 3/2000 était constitutionnelle dans la mesure où le quorum de participation prévu par l’article 5.2 était respecté. Finalement, la législation sur le référendum a été finalement alignée sur la décision de la Cour constitutionnelle. Les lois n° 131/2012 pour la loi d’amendement n° 3/2000 ont éliminé l’exception de l’article 5.2 et la loi n° 153/2012, qui a approuvé l’ordonnance d’urgence, n° 41/2012 a éliminé l’article I.1 de l’ordonnance mentionnée [28].

58 Nous envisageons maintenant la question de la révocation des présidents des deux chambres du Parlement roumain.

(xvi) b – Sur la révocation des présidents des deux chambres du Parlement

59 Par sa décision n° 24 du 3 juillet 2012, le Sénat a révoqué son président, M. Vasile Blaga et par sa décision n° 25 du 3 juillet 2012, la Chambre des députés a révoqué sa présidente, Mme Roberta Alma Anastase. Les deux intéressés ont déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle, alléguant une violation des règlements respectifs des chambres du Parlement et de la Constitution. Dans ses arrêts n° 728 et 729 du 9 juillet 2012, la Cour constitutionnelle a d’abord examiné la question de savoir si elle était compétente pour se prononcer sur les décisions parlementaires, dans la mesure où le Parlement a adopté une loi modifiant la loi sur la Cour constitutionnelle, qui a privé la Cour du pouvoir de contrôler les décisions du Parlement (ce pouvoir lui avait été confié en 2010). Avant que la Cour ait pu statuer sur la constitutionnalité de cette loi, le Gouvernement a adopté une ordonnance d’urgence ayant le même contenu, qui a également privé la Cour de cette compétence mais avec un effet immédiat. Dans son arrêt n° 727 du 9 juillet 2012 également, la Cour a conclu que sa compétence de contrôler les décisions parlementaires demeurait intacte.

60 La dernière mesure importante qu’il faudrait analyser pour prendre la mesure des atteintes à la séparation des pouvoirs par l’usage de la législation déléguée, c’est la révocation de l’Avocat du Peuple par le biais d’une ordonnance gouvernementale d’urgence.

2 – Sur l’ordonnance d’urgence révocant l’Avocat du peuple

61 Quelques semaines après son installation, le Gouvernement Ponta a suspendu l’Avocat du Peuple (médiateur) qui est la seule autorité habilitée à contester les décrets du Gouvernement. Il a aussi remplacé plusieurs responsables d’agences publiques, notamment le directeur du Moniteur officiel (J.O.) qui contrôle l’entrée en vigueur des lois et des décisions de justice [29]. Le médiateur joue un rôle important dans la lutte contre la corruption en Roumanie. Il est habilité à enquêter sur les actes illégaux supposés de l’administration. Il s’agit d’un organe indépendant, qui peut agir sur la base d’un recours introduit par n’importe quelle personne ou de sa propre initiative. Le médiateur est également habilité, en vertu de l’article 26 § 2 de la loi n° 35/1997, à porter à la connaissance du Parlement et du Premier ministre les « cas graves de corruption » décelés au cours des enquêtes. Le rôle du Médiateur est important, notamment en ce qui concerne l’objectif relatif à la prévention et à la lutte contre la corruption. La lutte contre la corruption constitue aussi un problème majeur en Roumanie. Les roumains mêmes dans leur majorité considèrent qu’il s’agit là d’un problème fondamental. Trop peu d’affaires de conflits d’intérêts donnent lieu à des poursuites, notamment en matière de marchés publics et même dans ce cas, les sanctions ne sont pas dissuasives en droit.

62 Au total, il ressort de cette analyse que la législation déléguée est un procédé exceptionnel aménagé au profit du Gouvernement roumain, notamment à travers la pratique des ordonnances d’urgence. Mais le Gouvernement Ponta en a fait un usage dévoyé, transformant ainsi le provisoire en permanent et l’exception en règle. Au moment où nous rédigions ces lignes, le Premier ministre roumain Victor Ponta, auteur de ces ordonnances d’urgence controversées, fait face à une procédure judiciaire pour corruption en raison de faits liés à sa gestion de l’époque où il était avocat au Barreau de Bucarest.

Notes

  • [1]
    D’après la répartition des compétences opérée par la Constitution.
  • [2]
    Elle a été révisée une seule fois, en octobre 2003.
  • [3]
    Art. 1er de la Constitution roumaine du 21 novembre 1991, publiée au Moniteur Officiel, Ire Partie, n° 767 du 31 octobre 2003.
  • [4]
    M. Constantinescu, « Echilibrul puterilor in regimul constitutional din Romania », Dreptul, anul IV, nr.3, 1993, Bucarest, pp. 3-8.
  • [5]
    Le concept de Partitocratie est utilisé pour décrire les relations existants entre les partis politiques roumains qui non seulement ont créé cette situation totalement anormale, mais qui ont promu une pratique gouvernementale en dépit de leurs déclarations initiales dans la campagne électorale ou au début du mandat gouvernemental et des critiques apportées par les électeurs, les médias et les forums internationaux (On fait référence ici aux rapports de la Commission européenne sur la Roumanie, voir http://www.europarl.europa.eu/oeil/index.jsp ; voir aussi pour le concept de partitocratie D. Barbu, Republica absenta, Nemira, Bucarest, 1999, p. 150 ; ibid., « Du parti unique à la particratie », in J.-M. de Waelle (éd.), Partis politiques et démocratie en Europe centrale et orientale, Bruxelles, éd. de l’Université Libre de Bruxelles, coll. « Sociologie politique », 2002, pp. 205-213) ; G. Cotturi, « Cittadini, magistratura, informazione : dal terzo al sesto potere », Democrazia e Diritto, 33, (4), oct-déc. 1993, M. Calise, Dopo la partitocrazia. L’Italia tra modelli e realta, Torino, Einaudi, 1994 ; S. Vassalo, Il governo di partiti in Italia (1943-1993), Bologne, Il Mulino, 1994.
  • [6]
    En témoignent les luttes acerbes pour la fonction de président du parti.
  • [7]
    M. Weber, Le savant et le politique, Paris, Union générale d’édition, 1971, pp. 115-116.
  • [8]
    M. Ponta est à la tête d’une coalition hétéroclite (Union Sociale Libérale) et à première vue contre-nature puisque composée des sociaux-démocrates (gauche), des libéraux (centre-droit) et du Parti conservateur (P.C.).
  • [9]
    M. Ponta se serait inspiré, entre autres, d’un ouvrage du juriste Dumitru Diaconu, publié en 1999 aux éditions All Beck ainsi que d’un article de doctrine publié le 23 juillet 1998 dans la revue Romania Libera.
  • [10]
    A. Nastase a été condamné le 20 juin 2012 par la Haute Cour de justice de Roumanie pour avoir financé sa campagne électorale avec environ 1 million d’euros de fonds publics. Il s’agit de la première condamnation de ce type pour un personnage aussi haut placé dans la hiérarchie politique roumaine.
  • [11]
    Le Premier ministre, V. Ponta avait pourtant tout fait pour atteindre le seuil minimum de participation en augmentant de quatre heures les horaires habituels d’ouverture des bureaux de vote (de 7h à 23h) et en installant une cinquantaine de bureaux dans les hôtels et les restaurants du littoral de la mer Noire où certains Roumains passent leurs vacances. La mobilisation a été forte, par une journée où il faisait 40 °C à l’ombre et dans un pays où, depuis une décennie, le taux de participation a rarement dépassé les 50 %. Malgré le boycott des partisans du Parti démocrate-libéral (dont fait partie le président) et de la minorité hongroise, encouragée à rester à la maison par le Premier ministre de Hongrie, Viktor Orban (présent à l’université d’été des Magyars de Roumanie), le résultat fut extrêmement proche du seuil de validation, soit 46,23 %. Et 87,52 % des votants se sont prononcés en faveur de la destitution, soit plus de 7,2 millions de personnes. Un chiffre énorme pour un pays qui n’enregistre généralement pas plus de 10 millions de participants au vote. Comme le montraient les sondages publiés pendant la campagne électorale, sans le boycott, le président Băsescu aurait essuyé une défaite concluante dans les urnes, avec plus de 60 % des voix pour la suspension, et un taux de participation record pour ces dernières années, probablement plus de 60 %. Mais même avec le boycott, les choses auraient pu se gâter pour le président Băsescu si les listes avaient été mises à jour après le recensement d’octobre 2011. Il était notoire que, depuis ce dernier recensement, la population de la Roumanie était passée de 21 millions à 19 millions d’habitants, mais cela n’a pas été répercuté sur les listes électorales.
  • [12]
    A.D. Xenopol, Istoria partidelor politice in Romanie, Bucarest, Ed. Albert Baer, 1910, p. 457.
  • [13]
    T. Oniga, Delegarea legislativa, Bucarest, Universul Juridic, 2009, p. 35.
  • [14]
    Cette maxime latine signifie que celui qui a reçu une compétence ne peut à son tour la déléguer.
  • [15]
    A. Teodorescu, Tratat de drept administrativ, vol. I, Bucarest, Editia aII-a, Institutul de Arte Grafice « Eminescu » SA, 1929, p. 46.
  • [16]
    M. Constantinescu, « Continutul ordonantei de urgenta a Guvernului », Dreptul, anul IX, seria 3, nr.8, 1998, Bucuresti, pp. 30-35.
  • [17]
    Arrêt n° 1 du 15 février 1919 ; voir T. Oniga, op. cit., p. 36
  • [18]
    Voir décis. n° 2/5.01.1995, M. Of., partea I ; décis. n° 5/13.01.1995.
  • [19]
    Voir décis. n° 255/11.05.2005, M. Of., partea I ; décis. n° 511/16.06.2005.
  • [20]
    V. Carstea, Constitutionalitatea ordonantelor Guvernului, Timisoara, Mirton, 2005, pp. 42-44.
  • [21]
    Délégation de matières.
  • [22]
    P. Negulescu, Tratat de drept administrativ roman, vol.1, Bucarest, Tipografiile Romane Unite, 1925, p. 285.
  • [23]
    Voir décis. n° 65/20.06.1995, M. Of., partea I ; décis. n° 129/28.06.1995 ; décis. n° 34/ 17.02.1998, M. Of., partea I et décis. n° 88/25.02.1998.
  • [24]
    Après avoir tenté sans succès de modifier la loi électorale de 2010 sur le seuil de 50 % des électeurs inscrits participant au vote pour valider le référendum sur la destitution du Président roumain Basescu, le Premier ministre Ponta a décidé d’augmenter de quatre heures les horaires habituels d’ouverture des bureaux de vote (7h à 23h). Il a aussi installé une cinquantaine de bureaux de vote dans les hôtels et les restaurants du littoral de la mer noire où certains roumains passent leurs vacances.
  • [25]
    Art. 146.1 de la Constitution roumaine.
  • [26]
    CDL-REF (2012)031, p. 29.
  • [27]
    Par la loi n° 3/2000 sur l’organisation d’un référendum (JO de la Roumanie, Partie I, n° 84 du 24 février 2000) ; la loi n° 129/2007 (JO de la Roumanie, Partie I, n° 300 du 5 mai 2007) ; la loi n° 62/2012 approuvant l’ordonnance d’urgence n° 103/2009 modifiant et complétant la loi n° 3/2000 (JO de la Roumanie, Partie I, n° 247 du 12 avril 2012) et l’ordonnance d’urgence n° 41/2012 modifiant et complétant la loi n° 3/2000 sur l’organisation d’un référendum (JO de la Roumanie, Partie I, n° 452 du 5 juillet 2012).
  • [28]
    Il ne semble pas possible de vérifier l’allégation du Président de la République roumaine T. Basescu, selon laquelle la procédure de destitution engagée à son encontre visait à permettre la nomination d’un nouveau procureur général et d’un nouveau chef du service de lutte contre la corruption, moins déterminés à combattre efficacement la corruption.
  • [29]
    Interrogée en juin 2012 sur la question de savoir qui devait représenter la Roumanie au Conseil européen des 28-29 juin, la Cour constitutionnelle roumaine a répondu que c’est le rôle du président de la République. Mais le Premier ministre V. Ponta a empêché la publication de la décision au Moniteur officiel afin de se rendre à Bruxelles, mais il n’a toutefois pas pu assister au Conseil européen car chaque pays ne dispose que d’une seule place.
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