Couverture de RFDC_106

Article de revue

Le juge Sissons et les droits des Inuit* (1955-1966) : une épopée arctique

Pages 411 à 438

Notes

  • [1]
    Hélène Piquet, sinologue, professeure de droit au département des sciences juridiques de l’université du Québec à Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada Droit chinois et mondialisation.
    * [Ndlr] Inuit, au Québec, généralement invariable chez les spécialistes.
    . L’approche retenue ici est qualitative et non quantitative, en raison du petit nombre de décisions rendues par le juge Sissons accessibles dans les recueils sous format papier ou en version électronique. Il a rendu plusieurs décisions dont une partie importante n’a pas été retenue pour figurer dans les recueils. Dans ce dernier cas, le seul moyen d’avoir accès à ces décisions non rapportées consiste à aller les consulter au greffe de la Cour, démarche qui n’est pas envisagée ici. En outre, l’approche qualitative permet de mettre l’accent sur les décisions qui présentent un réel intérêt pour l’objet de cette étude.
  • [2]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North. The Memoirs of Jack Sissons, Toronto, McClelland and Stewart, 1968. p. 13. Il faut aussi souligner que le juge Sissons était âgé de 63 ans au moment de sa nomination à la CTNO et qu’il était affecté depuis son enfance par une claudication qui exigeait qu’il utilise une canne.
  • [3]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 14, notre traduction.
  • [4]
    S. Grace, Canada and the Idea of North, Montréal, Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2007.
  • [5]
    S. Grace, Canada and the Idea of North, op. cit., p. 33.
  • [6]
    S. Grace, Canada and the Idea of North, op. cit., p. 43. Notre traduction.
  • [7]
    R. McGhee, Une Histoire du monde arctique. Le dernier territoire imaginaire, Montréal, Fides, 2006, p. 109.
  • [8]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 65, notre traduction.
  • [9]
    Pour les fins de ce texte, le terme Inuit sera employé dans le corps du texte afin de respecter la terminologie contemporaine. Toutefois, dans les citations tirées des décisions et des mémoires du juge Sissons, le terme « Eskimo » sera conservé par souci de fidélité.
  • [10]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 60.
  • [11]
    Suivant la perspective nordique adoptée par les Inuit, et par le juge Sissons, la partie Sud du Canada constitue… le Sud, connotant ici une terre étrangère dont les habitants ignorent tout du Nord.
  • [12]
    Encyclopédie canadienne, http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/territoires-du-nord-ouest/, site consulté le 25 mai 2015.
  • [13]
    K. Loukacheva, The Arctic Promise. Legal and Political Autonomy of Greenland and Nunavut, Toronto, University of Toronto Press, 2007, version électronique. Localisation 1794.
  • [14]
    Regina v. Koonungnak, (1963) 45 Western Weekly Reports 282.
  • [15]
    D. Mockle, « La justice, l’efficacité et l’imputabilité », Les Cahiers de droit, 54 : 4, 2013, pp. 613-688, p. 642. Voir aussi : A. Émond, Introduction au droit canadien, Montréal, Wilson et Lafleur, 2012, pp. 189-190.
  • [16]
    A. Émond, Introduction au droit canadien, op. cit., p. 189.
  • [17]
    Loi concernant les Territoires du Nord-Ouest, (1952) 1 Élis. II c. 46 (Can). Cette loi a été modifiée plusieurs fois depuis et a légèrement changé de nom. Ses versions les plus récentes peuvent être consultées en accès libre sur le site du Ministère de la Justice du Canada.
  • [18]
    L. Huppé, Histoire des institutions judiciaires du Canada, Montréal, Wilson et Lafleur, 2007, p. 576.
  • [19]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 60.
  • [20]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 66.
  • [21]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 76.
  • [22]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 77.
  • [23]
    Idem. Notre traduction.
  • [24]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., pp. 77-78.
  • [25]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 80.
  • [26]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 60. Notre traduction. La phrase, afin de refléter fidèlement la pensée du juge Sissons, devrait se lire : […] en cédant aux diktats des fonctionnaires du Sud.
  • [27]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2002, p. 16.
  • [28]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit., p. 24.
  • [29]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit., p. 25.
  • [30]
    B. W. Morse, « Aboriginal Peoples and the Law » in Morse Bradley W. (ed) Aboriginal Peoples and the Law, Ottawa, Carleton University Press, 1989, pp. 1-15, p. 5.
  • [31]
    Idem.
  • [32]
    F. Mowat, The Desperate People, Toronto, Key Porter Bokks Limited, 2005, p. 32. (Première édition en 1959).
  • [33]
    B. W. Morse, « Aboriginal Peoples and the Law », op. cit., p. 5.
  • [34]
    Les relations du Canada avec les Inuit, op. cit., p. 8.
  • [35]
    Re Eskimos [1 939] 2 Dominion Law Reports 417 et [1 939] Supreme Court Reports 104.
  • [36]
    B. W. Morse, « Aboriginal Peoples and the Law », op. cit., p. 5.
  • [37]
    S.D. Grant, op. cit., p. 249 ; P. Cumming, « Canada’s North and Native Rights » in Morse Bradley W. (ed) Aboriginal Peoples and the Law, Ottawa, Carleton University Press, 1989,pp. 695-744.
  • [38]
    P. Cumming, « Canada’s North and Native Rights », op. cit., p. 697.
  • [39]
    Idem.
  • [40]
    P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada, t.2, Toronto, Carswell, 2006, p. 31. Ainsi, les décisions de droit constitutionnel portaient sur les articles 91 et 92 de l’AANB, le premier énonçant les matières relevant de la compétence du gouvernement fédéral et le second celles relevant de la compétence du gouvernement des provinces.
  • [41]
    Elle a été rebaptisée en 1982 Loi constitutionnelle de 1867. La Constitution du Canada désigne en réalité plusieurs textes qui se sont succédé dans le temps et s’appliquent aujourd’hui : Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi constitutionnelle de 1982, qui contient la Charte canadienne des droits et libertés, entre autres. À ces sources écrites, il faut ajouter les conventions constitutionnelles de source non écrites. Toutes ces lois sont en accès libre sur le site du Ministère de la Justice du Canada : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/Const_index.html, site consulté le 10 mai 2015.
  • [42]
    P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada, t.2, op. cit., pp. 28-29.
  • [43]
    Idem.
  • [44]
    Loi constitutionnelle de 1982, http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/Const_index.html, site consulté le 10 mai 2015.
  • [45]
    Les relations du Canada avec les Inuit : Histoire de l’élaboration des politiques et des programmes, juin 2006, p. 7, en accès libre à : http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100016900/1100100016908. Il s’agit d’une étude du gouvernement fédéral.
  • [46]
    R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S, 1075, p. 1111. En accès libre sur : ttps://scc-csc. lexum. com/scc-csc/scc-csc/en/item/609/index. do.
  • [47]
    R. c. Sparrow, op. cit., p. 1101.
  • [48]
    R. c. Sparrow, op. cit., p. 1110.
  • [49]
    S.D. Grant Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit. p. 36.
  • [50]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit. p. 19.
  • [51]
    Ibidem.
  • [52]
    Interviewing Inuit Elders. Perspectives on Traditional Law, Dosten Jarich, Laugrand Frédéric et Rasing Wim (ed.), Iqaluit, Nunavut Arctic College, 1999, p. 3. Le Nunavut est le nom donné au Territoire où habitent les Inuit. Il a été crée en 1999. Iqaluit en est la capitale, sise sur l’ancienne Ile de Baffin.
  • [53]
    M. Chiba, « Droit non-occidental », in W. Cappeller et T. Kitamura, dir., Une introduction aux cultures juridiques non occidentales. Autour de Masaji China, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 37-44, p. 39.
  • [54]
    Ibidem.
  • [55]
    Les relations du Canada avec les Inuit : Histoire de l’élaboration des politiques et des programmes, p. 19.
  • [56]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit. p. 19.
  • [57]
    Acte pour amender l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, 1875, art. 62. En accès libre sur https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100010260/1100100010262, étant le site du Ministère des Affaires autochtones et du développement du Nord Canada. URL précis : https://www.aadnc-aandc.gc.ca/DAM/DAM-INTER-HQ/STAGING/texte-text/d77c7_1100100010261_fra.pdf.
  • [58]
    K. Loukacheva, The Arctic Promise. Legal and Political Autonomy of Greenland and Nunavut, op. cit., localisation 1789 de la version électronique.
  • [59]
    K. Loukacheva, The Arctic Promise. Legal and Political Autonomy of Greenland and Nunavut, op. cit., localisation 1794 de la version électronique.
  • [60]
    Les relations du Canada avec les Inuit : Histoire de l’élaboration des politiques et des programmes, op. cit., p. 21.
  • [61]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit., p. 49.
  • [62]
    Les relations du Canada avec les Inuit : Histoire de l’élaboration des politiques et des programmes, op. cit., p. 20.
  • [63]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit. pp. 19-20.
  • [64]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 60.
  • [65]
    Ibidem, p. 148.
  • [66]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 125.
  • [67]
    Regina v. Kogogolak, (1959), 28 Western Weekly Reports 376, en accès libre à : http://gsdl.ubcic.bc.ca/collect/firstna1/index/assoc/HASH01e7.dir/doc.pdf.
  • [68]
    Regina v. Koonungnak, (1963) 45 Western Weekly Reports 282.
  • [69]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p.119.
  • [70]
    Regina v. Kogogolak, op. cit., par. 7.
  • [71]
    Rex. V. Wesley, (1932) 2 Western Weekly Reports 337, en accès libre à gsdl. ubcic. bc. ca/collect/firstna1/import/.../Alberta/rvwesley. pdf.
  • [72]
    Regina v. Kogogolak, op. cit., par. 12.
  • [73]
    Ibidem, par. 37.
  • [74]
    Regina v. Kogogolak, op. cit., par. 39.
  • [75]
    Ibidem, par. 41.
  • [76]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 122.
  • [77]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 7.
  • [78]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 45.
  • [79]
    Kwaku Mensah v. The King, [1946] Appeal Cases 83 cité dans Regina v. Koonungnak, par. 46.
  • [80]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 46.
  • [81]
    Ibidem, par. 48. Notre traduction.
  • [82]
    L. Ducharme, Précis de la preuve, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, p. 32.
  • [83]
    Ibidem, op. cit., p. 34.
  • [84]
    Ibidem.
  • [85]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 50.
  • [86]
    Ibidem, par. 54.
  • [87]
    Ibidem, par. 36. Notre traduction.
  • [88]
    Ibidem, par. 38.
  • [89]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 123. Notre traduction.
  • [90]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 82.
  • [91]
    Ibidem, par. 83.
  • [92]
    Ibidem, par. 81.
  • [93]
    Ibidem, par. 84.
  • [94]
    Ibidem, par. 85.
  • [95]
    Idem.
  • [96]
    Ibidem, par. 87. Le juge Sissons a lui-même été parlementaire avant de devenir juge.
  • [97]
    Ibidem, par. 104.
  • [98]
    Ibidem, par. 105.
  • [99]
    Ibidem,, par. 106.
  • [100]
    Ibidem par. 107.
  • [101]
    Ibidem, par. 108. Notre traduction.
  • [102]
    Ibidem, par. 29.
  • [103]
    Ibidem, par. 30.
  • [104]
    Ibidem, par. 31.
  • [105]
    Ibidem, par. 33.
  • [106]
    Kalloar v Reginam (1964) 50 Western Weekly Reports 602-608, en ligne : LexisNexis Quicklaw, http://www.lexisnexis.com.
  • [107]
    Ibidem, par. 18 et 28.
  • [108]
    Ibidem, par. 41.
  • [109]
    R v. Sigeareak, [1966] Recueil de la Cour suprême 645-653, 57 Dominion Law Reports (2d) 536-544, en ligne : LexisNexis Quicklaw, http://www.lexisnexis.com, par. 6 du résumé en français.
  • [110]
    L’affaire porte le même nom mais fait partie des jugements non rapportés et non disponibles autrement qu’au greffe de la Cour. La décision rendue par le juge Sissons est très courte car il se contente de valider l’analyse du magistrat Parker, qui a suivi et appliqué la décision Kalloar.
  • [111]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 178.
  • [112]
    Ibidem, p. 172.
  • [113]
    Re Noah Estate, 1961 32 Dominion Law Reports (2d) 185, par. 2. Notre traduction.
  • [114]
    Ibidem, par. 20-22.
  • [115]
    Ibidem, par 54.
  • [116]
    Ibidem, par. 52.
  • [117]
    Ibidem, par. 56.
  • [118]
    Ibidem, par. 96.
  • [119]
    Ibidem, par. 16.
  • [120]
    Ibidem, par. 79-80.
  • [121]
    Ibidem, par. 36.
  • [122]
    Ibidem, par. 38.
  • [123]
    Ibidem, par. 43.
  • [124]
    Ibidem, par. 44 et 45.
  • [125]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 135. Notre traduction.
  • [126]
    Ibidem, p. 136. Notre traduction.
  • [127]
    Re Adoption of Katie E7-1807, (1961) 32 Dominion Law Reports (2d) 686. (1961).
  • [128]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 144.
  • [129]
    Ibidem.
  • [130]
    Re Adoption of Katie E7-1807, op. cit., par.30.
  • [131]
    Ibidem, par. 11.
  • [132]
    Ibidem, par. 12.
  • [133]
    Ibidem, par. 36.
  • [134]
    Ibidem, par. 9.
  • [135]
    Ibidem, par. 13.
  • [136]
    Ibidem, par. 15.
  • [137]
    Ibidem, par. 33.
  • [138]
    Ibidem, par. 34.
  • [139]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., pp. 143.-144.
  • [140]
    W.H. Morrow, Northern Justice, The Memoirs of Mr. Justice William G. Morrow, Toronto, University of Toronto Press, 1995, p. 149. Notre traduction.
  • [141]
    Rapport de recherche sur le droit de la famille au Nunavut, résumé, http://canada.justice.gc.ca/fra/pr-rp/lf-fl/famil/2003_3/som-sum.html, Section Résultats de la recherche : la vie familiale, rubrique intitulée « l’adoption ». consulté le 5 juin 2015.
  • [142]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 140.
  • [143]
    P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada, t.2, op. cit, p.p. 28-29. Hogg ajoute que la Charte canadienne des droits et libertés, par contraste, fait partie intégrante de la Constitution du Canada.
  • [144]
    Idem.
  • [145]
    W.H. Morrow, Northern Justice, The Memoirs of Mr. Justice William G. Morrow, op. cit., p. 56.
  • [146]
    Commission de vérité et de réconciliation du Canada, http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/index.php?p=22 site consulté le 13 juin 2015. Les Inuit ont une Sous-commission au sein de la Commission.
  • [147]
    Honoring the Thruth, Reconciling for the Future, Summary of the Final Report of the Truth and reconciliation Commission of Canada, http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Exec_Summary_2015_05_31_web_o.pdf, p. 1, consulté le 13 juin 2015.
  • [148]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit.,p. 126.

1 L’Arctique, région du monde longtemps oubliée, redevient un sujet d’actualité en raison des diverses revendications territoriales qu’elle suscite au Canada et ailleurs. Plus rares sont les études juridiques consacrées aux habitants de l’Arctique, les Inuit. Ce texte vise à combler en partie cette lacune, en traitant du rôle pionnier et méconnu d’un juge canadien, Howard J. Sissons, dans le développement d’un droit des Inuit face à la « justice blanche ». Le juge Sissons a œuvré de 1955 à 1966 à la Cour territoriale des Territoires du Nord-Ouest, qui étendait sa compétence sur l’Arctique canadien. Il a dû composer avec l’état du droit constitutionnel d’alors, peu favorable aux Inuit. Comment, dès lors, le juge Sissons a-t-il travaillé à la protection de leurs droits ? Nous soumettons que le juge Sissons, en s’appuyant sur divers raisonnements où domine la common law, a tendu vers ce qui est aujourd’hui appelé les droits ancestraux des peuples autochtones du Canada aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Après avoir exposé le contexte politique et constitutionnel dans lequel a œuvré le juge Sissons, une seconde partie sera consacrée à l’analyse des décisions marquantes du juge Sissons et à son legs [1].

I – Le contexte constitutionnel du travail du juge Sissons

2 Lorsqu’en 1955, le juge Howard J. Sissons est nommé à la Cour territoriale des Territoires du Nord-Ouest (CTNO), nouvellement créé, il aborde cette fonction avec un enthousiasme qui ne le quittera plus. Depuis son jeune âge, il était habité par l’attrait du Nord [2]. Dans ses mémoires, il affirme : « J’ai toujours nourri un intérêt profond pour le Nord. J’appartiens au Nord [3]. » Ce dernier fait l’objet de diverses représentations dans l’imaginaire canadien [4], alliant une admiration presque mystique des paysages, tel qu’il ressort des tableaux de Harris, ce peintre des majestueux icebergs, à des fantasmes concernant les Inuit, habitants des contrées arctiques [5]. Gant affirme que le « Nord » est en réalité une construction du « Sud », encombrée d’un lourd bagage idéologique [6]. Cela est particulièrement vrai des regards pluriels portés sur les Inuit, dont certains traduisent des préjugés très négatifs, d’autres, au contraire, reflétant un haut degré de fascination : « Les Inuit deviennent l’archétype exaltant d’un peuple autochtone authentiquement ab origine : ils seraient les seuls humains à avoir jamais occupé cette région du monde où ils vivraient depuis des temps immémoriaux [7]… » Dès ses premiers contacts avec les Inuit, le juge Sissons conçoit pour eux un grand respect. Ils constituent pour lui « le Peuple par excellence […]. Ils ont beaucoup à offrir au Canada, mais jusqu’ici, le Canada leur a peu offert [8] ». Le juge Sissons œuvre dans un contexte particulier, qui colore fortement ses décisions. D’une part, il doit lutter pour tenter de minimiser les atteintes à l’indépendance de la CTNO. D’autre part, les Inuit sont à l’époque les oubliés du droit constitutionnel canadien, en ce qu’ils ne sont mentionnés ni dans la Constitution ni protégés par une autre loi [9].

A – L’indépendance en question de la Cour territoriale des Territoires du Nord-Ouest

3 Le juge Sissons relève plusieurs défis lorsqu’il accepte de siéger à la CTNO. Le premier tient aux très dures conditions de vie dans le Nord, en particulier dans le cadre des expéditions de la cour itinérante. Souvent, l’avion de la Cour a dû se poser sur skis, car il n’existait pas de pistes d’atterrissage dans l’Arctique. La température change en un clin d’œil et un redoutable blizzard peut soudain se lever et tout paralyser pendant plusieurs jours. Enfin, soulignons que les « hébergements » auxquels a eu accès le juge Sissons pendant ses tournées dans l’Arctique se limitaient le plus souvent aux baraquements de la Gendarmerie Royale Canadienne (GRC), très peu chauffés. Le juge Sissons, tout au long de son mandat à la CTNO, accepte avec bonne humeur les caractéristiques du climat nordique. En revanche, c’est avec une colère souvent exprimée dans ses décisions et ses lettres aux administrateurs des Territoires du Nord-Ouest qu’il dénonce les conditions d’exercice de son office de juge. En effet, il a dû lutter, dès les premières semaines de son mandat, contre l’ingérence du Commissaire des Territoires du Nord-Ouest. En effet, le statut constitutionnel des Territoires du Nord-Ouest et leur mode de gouvernement ont fait en sorte que la CTNO n’était pas une cour indépendante [10]. Le juge Sissons était conscient de cette situation dès le départ [11].

4 Un bref retour sur le contexte géographique et constitutionnel canadien d’alors s’impose donc. Le Canada est un État fédéral. En droit constitutionnel, le gouvernement possède ses domaines de compétence et il en va de même pour les gouvernements des provinces. Il existe des cas de compétence concurrente entre les deux paliers de gouvernement, sans intérêt pour les fins de cette étude. Les Territoires du Nord-Ouest (TNO) sont entrés dans la confédération canadienne en 1870, en tant que « territoires ». En 1880, la souveraineté sur les îles de l’archipel Arctique est transférée par le Royaume-Uni au Canada. Ces îles sont intégrées aux TNO la même année. Les TNO ne constituent pas une province et ont moins de pouvoirs que ces dernières. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, le gouvernement des TNO consistait en un commissaire, qui résidait à Ottawa, et un conseil, composés de hauts fonctionnaires également basés à Ottawa. Peu à peu, des membres élus ont intégré le conseil dont les membres sont entièrement élus depuis 1974 [12].

5 L’administration de la justice était fort complexe lorsque le juge Sissons entre en fonction à la CTNO. Il doit composer avec l’existence d’institutions qui opèrent, à toutes fins utiles, comme tribunal de première instance en Arctique : les juges de paix, mais aussi les agents de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) qui peuvent exercer des pouvoirs de magistrats [13]. Quelques années plus tard, le juge Sissons expliquera que la CTNO est habilitée, en vertu de sa compétence inhérente, à examiner et corriger des décisions rendues par les cours des paliers inférieurs, dont font partie les juges de paix et les agents de la GRC agissant à ce titre [14]. La compétence inhérente désigne les pouvoirs essentiels à l’administration de la justice [15]. Elle ne découle pas d’une source de droit écrit, mais plutôt de la nature même des cours supérieures en tant que cours supérieures de justice [16]. La Loi concernant les Territoires du Nord-Ouest[17] contenait diverses dispositions dont l’effet a été de créer une situation unique dans l’histoire judiciaire canadienne. D’une part, des tribunaux supérieurs des autres provinces possédaient une compétence extraterritoriale concurrente, en première instance, à celle de la CTNO. D’autre part, plusieurs cours pouvaient disposer des appels des jugements rendus en matière civile par la CTNO :

6

à l’ouest du cent deuxième méridien de longitude ouest, la Cour d’appel de l’Alberta est considérée comme étant le tribunal d’appel, et à l’est de ce méridien, cette fonction incombe aux cours d’appel de toutes les provinces situées à l’est de l’Alberta. Aucun critère n’est fixé par la loi pour donner compétence à l’une d’elles plutôt qu’à une autre […] [18].

7 Le juge Sissons illustre les conséquences pratiques de cette répartition géographique des compétences : la Cour Suprême de l’Île du Prince Édouard, à l’extrême est canadien, peut réviser une décision rendue en matière d’adoption Inuit à Pangnirtung, dans l’Arctique [19]. Dans les faits, certaines décisions du juge Sissons ont été renversées en appel, mais les autres tribunaux supérieurs des provinces, en première instance, n’ont pas usé de leur compétence concurrente.

8 Pour le juge Sissons, la situation des Inuit accusés est inacceptable. Jusqu’alors, les Inuit ont dû subir leurs procès dans le lieu qui convenait le mieux aux autorités judiciaires, soit des villes du « Sud », très éloignées de l’Arctique. Les procès étaient dirigés par des juges souvent bien intentionnés, mais ignorant tout des réalités du Nord, comme les membres des jurys [20]. Le juge Sissons décide donc de remédier à la situation en établissant la cour itinérante, qui a parcouru en tout 64,000 kilomètres. Si les autorités judiciaires canadiennes ont accepté cette initiative pour l’Arctique de l’ouest, elles ont tenté de faire obstacle à la création d’une telle cour pour l’Arctique de l’est. Selon les autorités, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), responsable d’assurer le respect de la loi et de l’ordre dans la région, effectuait très bien son travail [21]. Cela étant, le juge Sissons a eu alors connaissance du cas d’un Inuit de l’Arctique de l’est qui était en attente de procès depuis 3 ans. La GRC l’avait laissé en liberté mais il lui était interdit de quitter la région. Le caractère déraisonnable de ce délai choque profondément le juge Sissons et le renforce dans sa volonté de faire en sorte qu’une justice digne de ce nom soit administrée aux habitants de l’Arctique de l’est [22]. À cette fin, il rédige les directives de la CTNO, prérogative qui lui revenait en tant que juge de cette cour. Elles reposent sur de vieux principes de common law. Premièrement, la justice se rend à la porte de chaque justiciable. En second lieu, la cour partira en circuit dans toutes les parties du royaume au moins une fois l’an. Troisièmement, le lieu approprié pour tenir le procès d’un accusé est ou bien son domicile, ou le lieu de naissance de la cause d’action. Chaque accusé a le droit d’être jugé par un jury dont les membres sont originaires de la région où a été commise l’infraction. Enfin, aucun accusé ne sera condamné autrement que par le jugement de ses pairs et sur la base de la loi du royaume [23]. Cette vision de la justice ne rallie pas immédiatement les autorités judiciaires canadiennes, qui arguent des coûts élevés engendrés par la création d’une cour itinérante pour l’Arctique de l’est et des difficultés d’accès, pour des raisons de sécurité nationale, à certaines parties du territoire [24]. Le juge Sissons persiste dans ses convictions et, outré, rédige une lettre au Ministère de la Justice. Sa teneur illustre tout autant les difficultés du juge Sissons que sa détermination et sa foi dans la justice :

9

On m’a confié un travail et j’entends l’exécuter, et ainsi faire mon devoir. Toutes les parties des Territoires du Nord-Ouest sont également dignes de l’attention de la Cour. La Loi sur les Territoires du Nord-Ouest confère au juge de cette Cour l’entière faculté de décider des lieux où elle siégera, de même que les moments pour ce faire. Les principes de retenir le domicile du défendeur comme lieu pour tenir le procès, ou encore, le lieu de naissance de la cause d’action, sont bien établis en common law. Ils seront suivis. […] Je n’accepte pas l’argument voulant qu’en vertu du fait que l’administration de la justice dans les Territoires du Nord-Ouest relève du Procureur Général du Canada, je doive obtenir son accord préalable avant de faire siéger la Cour. Ceci est une atteinte flagrante à l’indépendance de la Cour [25].

10 L’absence d’indépendance de la CTNO ressort également du fait que ses règles de procédure sont celles de la Cour Suprême de l’Alberta. Mais il y a plus. Elles peuvent être modifiées et abrogées par le Commissaire des TNO suivant son bon plaisir. De même, le Commissaire possède le pouvoir d’édicter de nouvelles règles, qui s’imposeront d’office. À ce propos, le juge Sissons affirme dans ses mémoires : « Ce pouvoir est demeuré théorique en raison du fait que j’ai refusé de compromettre le pouvoir judiciaire en cédant à ces commandements [26]. »

11 Le juge Sissons consacrera tout son office de juge à la CTNO à tenter de défendre les droits des Inuit, qu’il appelait alors les Eskimos, et, parfois, ceux des autochtones. Ses raisonnements sont tributaires de l’état du droit constitutionnel relatif aux autochtones et aux Inuit.

B – Le vide juridique entourant le statut des Inuit

12 À l’origine, les Britanniques n’avaient pas développé de politiques relatives aux Inuit avant de céder la souveraineté sur l’Arctique au Canada [27]. Une fois le transfert opéré, la situation a perduré. Or, l’une des conditions expresses du transfert résidait dans l’obligation, pour le gouvernement du Canada, d’assumer la responsabilité du maintien de l’ordre dans l’archipel des îles arctiques [28]. Le gouvernement canadien, dans les années qui ont suivi le transfert, a décidé de ne prendre aucune mesure pour gouverner ce territoire nouvellement acquis, du moins jusqu’à ce que cela ne devienne nécessaire [29]. Contrairement à la situation avec les Indiens, les contacts entre les Inuit et le reste de la population canadienne ont été très rares et espacés dans le temps. Alors que les Indiens ont conclu des traités avec le gouvernement fédéral, ce ne fut pas le cas pour les Inuit. De même, ces derniers ne disposent pas non plus de réserves [30]. Si les Inuit ont été négligés par le gouvernement canadien, ils n’ont pas été totalement laissés à eux-mêmes après 1924. Au gré de l’évolution législative, ils ont relevé du Ministère des Affaires Indiennes, puis, à partir de 1928, du Conseil des Territoires du Nord-Ouest. Ce dernier relevait du Ministère de l’Intérieur [31]. Les Inuit ont connu des périodes de grande détresse, notamment des famines [32] et le Ministère de l’Intérieur leur a alors apporté une aide matérielle [33]. Cela étant, « les divers paliers de gouvernement ne savaient pas avec certitude si les Inuit étaient des citoyens canadiens ou des pupilles de l’État, comme les Premières nations [34] ». L’enjeu lié à leur statut réside entre autres dans l’accès à des services sociaux comme ceux dont bénéficient les Indiens. La décision de la Cour Suprême, rendue en 1939, Re Eskimo[35], clarifie les responsabilités des gouvernements face aux Inuit. Elle déclare le gouvernement fédéral juridiquement responsable des Inuit, en vertu d’une curieuse assimilation de ceux-ci à des Indiens pour les fins de l’application de l’article 91 (24) relatif aux Indiens de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique[36]. En pratique, les Inuit ne bénéficiaient d’aucune protection constitutionnelle. Ils ont commencé à susciter un intérêt plus soutenu, et controversé, de la part du gouvernement fédéral, dans le contexte de la Guerre froide et des menaces à la souveraineté du Canada sur l’Arctique [37]. À partir de 1953, l’administration des Inuit devient du ressort du Ministère du Nord canadien et des Ressources nationales (MNRN), et ce, jusqu’en 1966. Cela coïncide avec la période durant laquelle le juge Sissons était en poste. Ce dernier a souvent dénoncé le caractère absolu du pouvoir du MNRN, appréciation corroborée 20 ans après par le professeur Cumming [38].

13 Les affaires tranchées par le juge Sissons dans l’Arctique impliquaient majoritairement des Inuit, et, en moindre proportion, des Indiens. Or, le juge Sissons a pour sa part œuvré dans un contexte de silence constitutionnel concernant ceux-ci, sous réserve d’une jurisprudence fort peu abondante [39]. En effet, le droit constitutionnel du début du xxe siècle jusqu’en 1982 se limitait à une analyse du partage des compétences entre les deux paliers de gouvernement [40], telles que définies dans l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, le premier des textes constitutionnels canadiens [41]. Il faut attendre la promulgation de la Loi constitutionnelle de 1982 et de la Charte canadienne des droits et libertés pour voir le développement d’un nouveau droit constitutionnel plus favorable aux autochtones [42]. Par comparaison, les fondements de la jurisprudence existante au moment où le juge Sissons siégeait à la CTNO résident dans une vision qui reflète les préjugés défavorables de la population canadienne face aux autochtones. Ainsi la Cour Suprême du Canada affirme-t-elle en 1990 : « Ce n’est pas avec beaucoup de fierté que nous pouvons rappeler le traitement réservé aux autochtones de notre pays [43]. » En outre, le concept même de « peuples autochtones » n’existait pas en droit constitutionnel canadien à l’époque du juge Sissons. Ils sont aujourd’hui définis à l’article 35 de la Loi Constitutionnelle de 1982 comme comprenant les Indiens, les Métis et les Inuit [44]. Seuls les Indiens étaient officiellement reconnus par le Parlement fédéral dans sa législation et par la Cour Suprême du Canada dans ses très rares décisions traitant des peuples autochtones. Les Inuit n’avaient pas de statut juridique en droit canadien [45]. Ils possédaient des droits de chasse très limités énoncés dans la législation fédérale et celle des TNO. Le juge Sissons a tenté de faire reconnaître ces droits, de même que de donner une force juridique à certaines coutumes Inuit. Le concept de « droit ancestral » des peuples autochtones, auxquels la Cour Suprême du Canada donne un contenu aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, n’avait pas encore vu le jour dans la jurisprudence constitutionnelle canadienne.

14 Les droits ancestraux désignent les droits des peuples autochtones qui existaient avant la Loi constitutionnelle de 1982. Aux termes d’une jurisprudence constante depuis l’arrêt Sparrow, La Cour Suprême du Canada prône une approche au cas par cas lorsqu’il s’agit de reconnaître l’existence d’un droit ancestral [46]. La Cour se montre assez souple eu égard à la preuve exigée afin d’établir l’existence du droit ancestral pour une nation autochtone. D’une part, elle met en garde contre l’utilisation de catégories tirées de la common law et du droit civil lorsqu’il s’agit d’aborder les droits des peuples autochtones. Les droits ancestraux sont sui generis. D’autre part, la Cour accepte des preuves fondées sur la vision du droit en cause, et de sa pratique, par la nation autochtone qui le revendique. Le droit doit faire partie intégrante de la culture de la nation autochtone concernée. En d’autres termes, la Cour ne tient pas uniquement compte du regard des autorités fédérales ou provinciales sur le sujet. Une fois établie l’existence du droit ancestral, les gouvernements dont émane la législation qui lui porte atteinte doivent justifier leur position. Les positions de la Cour sont ainsi énoncées :

15

Cependant, non seulement la politique de Sa Majesté ne permet pas d’éteindre le droit ancestral existant en l’absence d’intention claire en ce sens, mais elle ne permet pas non plus en soi de délimiter ce droit. La nature de règlements gouvernementaux ne saurait être déterminante quant au contenu et à la portée d’un droit ancestral existant. La politique gouvernementale peut toutefois réglementer l’exercice de ce droit, mais cette réglementation doit être conforme au par. 35 (1) [47].

16 Au final, la Cour Suprême du Canada a développé le critère de l’objectif régulier du législateur au regard duquel examiner l’atteinte au droit ancestral :

17

Notre histoire démontre, trop bien malheureusement, que les peuples autochtones du Canada ont raison de s’inquiéter au sujet d’objectifs gouvernementaux qui, bien que neutres en apparence, menacent en réalité l’existence de certains de leurs droits et intérêts [48].

18 Le travail du juge Sissons aurait été grandement facilité si le concept de droit ancestral avait existé en droit constitutionnel canadien. Toutefois, en l’absence d’un tel concept, il a dû fonder ses décisions sur plusieurs arguments, desquels se dégagent des constantes. Ses décisions mettent également en lumière ses tentatives de concilier deux justices aux prémisses très différentes, la justice blanche et la justice arctique.

II – Le juge Sissons : un combat constant aux résultats inégaux

19 Lorsque le juge Sissons commence à circuler dans l’Arctique, il prend très vite conscience du fait que les Inuit possèdent d’autres conceptions du droit que celle véhiculée par les lois et règlements de la « justice blanche » qu’il doit leur appliquer. Ce constat l’a profondément troublé. Tout son travail de juge dans l’Arctique a été inspiré par la volonté de faire respecter, autant que faire se peut, le droit et les coutumes Inuit dont certaines dimensions de leur mode de vie, notamment la chasse pour fins de subsistance.

A – Justice blanche et justice arctique : une relation difficile

20 L’Arctique canadien a été dépeint comme une société des frontières [49]. Cette vision se traduit entre autres, concernant les Inuit, par la conviction que ces derniers ignorent le droit et ne possèdent ni système de justice ni système de gouvernement [50]. Cette représentation n’était pas partagée par tous les habitants du Sud vivant dans le Nord, tant s’en faut, mais elle dominait chez les fonctionnaires canadiens basés à Ottawa [51]. Il s’agit d’une conception erronée, fondée largement sur la quête d’un système judiciaire équivalent à ceux connus en Amérique du Nord et en Europe [52]. Cette manière de voir repose sur une conception étroite du droit, ne reconnaissant du « droit » que dans le cadre d’un système étatique, de droit écrit, fondé sur le monisme. Cette manière de penser le droit a débouché selon Masaji Chiba sur une disqualification des droits « non-occidentaux », en particulier ceux régis par des traditions orales [53]. La tradition juridique Inuit a aussi fait l’objet de ce processus de disqualification.

21 Loin de constituer une société sans droit, les Inuit ont développé plusieurs catégories de règles qui régissent le comportement en société. Certaines d’entre elles sont appelées piqujaq. Il s’agit d’un concept à portée générale, qui comprend l’obligation de respecter les règles en vigueur dans la société Inuit. Ces règles sont transmises par voie orale [54]. Toute transgression d’une règle fait l’objet d’une sanction. La société Inuit ne reste pas inactive face aux transgressions les plus graves. Dans tous les cas, il est d’abord fait appel aux aînés afin de résoudre un conflit. Les Inuit privilégient une résolution de celui-ci sur une base consensuelle [55]. Le bannissement, qui condamne à une mort presque certaine, et l’exécution, constituent des mesures de dernier recours. La logique sous-jacente à toutes les sanctions réside dans la préservation et la protection de la collectivité, qui exigent la restauration de l’harmonie [56]. L’administration de la justice dans les TNO a connu plusieurs phases. À partir de 1873, le gouvernement a nommé des magistrats stipendiaires. Ces derniers avaient compétence sur toute l’étendue des TNO et étaient habilités à exercer « dans les Territoires du Nord-Ouest, les fonctions de magistrat, judiciaires et autres, du ressort de tout juge de paix […] [57] ». Le maintien de la loi et l’ordre dans l’Arctique canadien a d’abord incombé, entre 1880 et 1920, à la Police à cheval du Nord-Ouest (PCNO). Cette dernière, seule manifestation du gouvernement canadien, a ouvert des postes en plusieurs endroits dans l’Arctique. Chacun de ses commissaires et superintendants s’est vu attribuer la compétence d’agir à titre de juge de paix [58]. Les magistrats stipendiaires présidaient la plupart des procès, en matière civile et criminelle. Les affaires mettant en jeu des infractions graves étaient transférées à des juges des cours provinciales comme la Cour Suprême de l’Alberta [59]. En d’autres termes, les juges de paix et magistrats stipendiaires tenaient lieu de tribunal de première instance.

22 L’on pourrait penser, vu l’époque, qu’une certaine logique coloniale aurait opéré à plein dans les rapports entre la PCNO et les Inuit concernant l’application du droit. Ce ne fut pas toujours le cas.

23 Au départ, la PCNO n’appliquait pas rigoureusement la législation canadienne aux Inuit et utilisait des solutions de rechange pour les arrestations et les poursuites afin d’habituer les Inuit au système juridique. C’est ainsi que face à des délits de moindre gravité, comme le vol, l’alcoolisme […] et, dans les cas de crimes plus graves, les membres de la police sermonnaient les Inuit au sujet de leur comportement [60].

24 À partir de 1920, la PCNO devient la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) et elle poursuit le travail de la PCNO en matière du maintien de la loi et de l’ordre. Sa ligne de conduite face aux Inuit s’inscrit largement en continuité avec celle de la PCNO. En 1921, le sous-ministre de la Justice d’alors, E.L. Newcombe, exprime sa vision de l’application de la législation canadienne aux Inuit. Ils doivent être graduellement éduqués par rapport aux lois canadiennes qui les régissent. Le sous-ministre Newcombe est également sensible aux réactions de l’opinion publique canadienne sur le sujet, de même qu’aux coûts impliqués pour l’administration de la justice dans ce vaste territoire. Cela étant, Newcombe estime qu’il faut tenir compte des conceptions Inuit de la justice dans certaines circonstances, notamment en ce qui a trait à l’aliénation mentale [61].

25 En effet, dans la société Inuit, une personne au comportement imprévisible, déviant et menaçant est considérée comme dangereuse. Si son comportement ne répond pas aux mesures usuelles de contrôle social, il devient légitime de recourir à son exécution [62]. Cette lecture de la situation s’explique par le fait que les Inuit ignoraient, à l’origine, le concept même de « maladie mentale » et le fait qu’elle peut, dans certains cas, constituer un motif d’exonération de responsabilité. En revanche, aux termes de la « justice blanche », la mise à mort de la personne affectée d’une maladie mentale et ayant agi sous l’emprise de celle-ci est perçue comme un meurtre prémédité [63]. Tel est, en substance, le canevas d’incompréhensions réciproques qui a servi de toile de fond au procès d’un Inuit, tenu en 1923, pour avoir tué un trappeur blanc et qui fait l’objet du livre de Shelagh D. Grant. Dans ce dernier cas, la relative ouverture d’esprit du sous-ministre Newcombe face aux conceptions Inuit de la justice n’a pas prévalu et l’Inuit a été condamné à une lourde peine de prison.

26 Ces deux visions de la justice avaient encore cours au moment où le juge Sissons est nommé à la CTNO. Il tient la GRC en haute opinion pour la manière dont elle a maintenu la loi et l’ordre en Arctique [64]. Le juge Sissons souligne qu’il n’a eu qu’à se louer du soutien et de la coopération que lui a apportés la GRC lors des passages de la cour itinérante [65]. Cependant, à l’occasion, il n’hésite pas à critiquer la GRC. Il a développé une compétence minimale en Inuktituk, mais en dépit de ses efforts de communication, il n’a pas toujours réussi à faire comprendre aux Inuit l’importance attachée par la justice blanche à certaines règles de procédure. Lorsqu’il avait conscience de son échec en la matière, le juge Sissons décidait d’appliquer ces règles avec moins d’insistance [66].

27 Le juge Sissons a été saisi d’une grande diversité d’affaires. Chacune de ses décisions est pour lui l’occasion de s’exprimer, parfois abondamment, sur ce qu’il estime être le point de vue erroné des autorités judiciaires basées à Ottawa concernant les Inuit, et, à l’occasion, les Indiens.

B – Des tentatives pour la reconnaissance des droits et pratiques ancestraux des Inuit

28 Le juge Sissons a rendu peu de décisions mais elles ont toutes suscité de vives réactions à l’époque. Les deux premières décisions présentées ici sont rendues à 4 ans d’intervalle et l’on discerne une évolution dans le nombre et le registre d’arguments juridiques invoqués par le juge Sissons.

29 Dans Regina v. Kogogolak, un Inuit est accusé d’avoir illégalement chassé un bœuf musqué au regard d’une ordonnance sur le gibier édictée par le Conseil des TNO [67]. L’enjeu ici réside dans le droit de chasse des Inuit pour fins de subsistance. Dans la seconde décision, soit Regina v. Koonungnak, l’accusation est la même, mais dans un cadre factuel différent [68].

30 Kogogolak risque une peine de 6 mois de prison avec la possibilité d’être condamné à payer en plus 1 000 dollars d’amende, ce qui constitue pour l’époque une somme astronomique, encore plus au regard des maigres revenus des Inuit. Le juge Sissons affirme dans ses mémoires qu’il savait que des Inuit étaient « poursuivis et persécutés » en vertu de l’ordonnance sur le gibier alors qu’ils chassent pour fins de subsistance. Il estimait que les Inuit ne devaient pas être soumis à l’application de cette ordonnance et attendait l’occasion d’une affaire pour s’exprimer en ce sens [69]. Il affirme au paragraphe 2 de sa décision qu’elle soulève un enjeu important. Au paragraphe suivant, il pose que les Inuit, depuis des temps immémoriaux, pratiquent la chasse et la pêche aux fins de subsistance. Il cherche ensuite les moyens de faire reconnaître ces droits des Inuit et de les soustraire à l’application de l’ordonnance sur le gibier. Il a recours à une vaste palette d’arguments.

31 Dans un premier temps, il affirme que les Inuit ont été assurés de la reconnaissance de leurs droits de chasse et pêche en accord avec les principes d’équité de la Couronne Britannique. Il effectue un retour sur l’histoire constitutionnelle canadienne et distingue le cas des Indiens de ceux des Inuit. Alors que les premiers sont régis par une loi et ont conclu des traités avec le gouvernement canadien, les Inuit sont presque laissés pour compte. La seule source de protection dont ils disposent provient selon lui de la Proclamation Royale de 1763, édictée à la suite du Traité de Paris. Il compare cette proclamation à une Déclaration des droits pour les Inuit. « Ce qu’ils ont est extrêmement important et revêt une grande portée, qui doit être gardée et affirmée par la Cour [70]. » Il affirme que cette proclamation est toujours en vigueur et produit ses effets eu égard à la protection des droits des Inuit.

32 En complément à cet argument fondé sur l’histoire, le juge Sissons examine la jurisprudence relative aux Indiens et à leurs droits de chasse. Rappelons qu’il n’existe pas de jurisprudence relative aux Inuit. Le juge Sissons a alors recours à certaines décisions qu’il invoque à titre de précédent, en décrétant que les raisonnements qu’elles contiennent eu égard aux Indiens se transposent aux droits des Inuit. Le juge Sissons fera plusieurs fois référence à la décision Rex v. Wesley. Dans cette décision rendue en 1932 par le juge Mc Gillivray, ce dernier établit la nécessité d’une approche contextuelle afin de comprendre la manière dont doit être interprétée la portée des droits de chasse des Indiens [71]. Au final, les Indiens bénéficient de droits de chasse sans restriction, pour fins de subsistance [72]. Le juge Sissons invoque plusieurs autres décisions au même effet.

33 En troisième ressort, le juge Sissons invoque les positions des gouvernements de l’Alberta et de la Saskatchewan formulées dans des énoncés de politiques, qui reconnaissent aux Indiens le droit de chasser et de pêcher pour fins de subsistance et ce, toute l’année durant. Le juge Sissons estime qu’une approche identique devrait prévaloir eu égard aux droits des Inuit en la matière.

34 En quatrième lieu, le juge Sissons se tourne vers les travaux législatifs, qui comprennent les commentaires du Ministre de la Justice, relatifs à l’ordonnance en vigueur en Alberta. Il constate qu’une des versions proposées portait atteinte aux droits de chasse et de pêche des Indiens et, ce point ayant été soulevé, elle a par la suite fait l’objet d’une modification favorable aux Indiens. Le juge Sissons s’étonne que le CTNO n’ait pas suivi la même démarche.

35 Il ajoute, en notant que ses propos sont peut-être obiter dictum, qu’il se demande si d’autres personnes que les Inuit devraient avoir le droit de chasser et de pêcher sur leurs terres, sauf si elles détiennent un permis spécial à cette fin émis par le gouvernement du Canada [73].

36 Il poursuit son analyse en affirmant : « Les Inuit ont le droit de chasser, recourir à la trappe, et pêcher, du gibier et du poisson de toutes sortes, en tout temps, sur toutes les terres de la Couronne inoccupées de l’Arctique [74]. » Il conclut que l’Ordonnance sur le gibier ne peut pas trouver application lorsqu’il s’agit des Inuit [75]. Kogogolak est acquitté et la décision du juge Sissons n’est pas portée en appel. Sa victoire fut cependant de courte durée. Le Parlement fédéral a modifié la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest de manière à assujettir les Inuit à toute la législation des TNO, dont les ordonnances sur le gibier qui restreignent leurs droits de chasse et de pêche [76].

37 Quatre ans plus tard, le juge Sissons, dans l’affaire Regina v. Koonungnak, est de nouveau appelé à traiter la question des droits de chasse des Inuit. Cependant, s’il reprend certains des arguments formulés dans Kokogolak, il en élabore d’autres. Koonungnak est un jeune Inuit accusé d’avoir chassé illégalement un bœuf musqué, infraction qui contrevient aux ordonnances du TNO sur le gibier. Koonungnak a été condamné par un juge de paix à une amende de 200 $. L’accusé a logé un appel à la CTNO. Dans sa décision, le juge Sissons pose d’entrée de jeu que 8 affaires ont été portées à l’attention de la cour, ayant toutes pour objet des condamnations d’Indiens et d’Inuit par des juges de paix. Toutes sont fondées sur l’accusation d’avoir contrevenu à l’une ou l’autre des ordonnances en vigueur sur le gibier. Dans le même paragraphe, le juge Sissons affirme que ces ordonnances portent atteinte aux droits de chasse des Indiens et des Inuit. Il signale qu’il a tenté, en vain, d’attirer l’attention du Ministère de la Justice sur ces affaires [77]. Il rappelle que la CTNO dispose d’une compétence inhérente dont il découle qu’elle peut examiner et corriger toute décision rendue par un tribunal de palier inférieur.

38 L’interrogatoire de Koonungnak par le constable de la GRC est reproduit intégralement dans la décision. Il en ressort que Koonungnak n’avait jamais vu de bœuf musqué jusqu’à sa rencontre avec celui sur lequel il a tiré. Ce bœuf musqué mâle était seul et rôdait proche du camp du groupe de Koonungnak. Noonilk, une Inuit qui avait déjà vu des bœufs musqués, a enjoint à Koonungnak de tirer sur l’animal, car elle pensait que ce dernier allait revenir de nuit et attaquer les tentes.

39 Le juge Sissons formule plusieurs arguments afin d’invalider l’accusation contre Koonungnak. Les premiers arguments reposent sur le droit pénal. Le juge Sissons invoque l’argument de légitime défense. Il cite plusieurs juristes de common law qui traitent de ce principe. Puis, en s’appuyant sur des décisions émanant d’autres juridictions, il affirme que la mise en œuvre des principes de common law, comme la légitime défense, doit refléter l’évolution de la société [78]. Il pousse plus loin l’argument, en citant une décision du Conseil Privé, rendue en 1946, qui a posé le principe d’une approche contextuelle de la légitime défense [79]. Le Conseil Privé raisonnait à partir d’une affaire qui se déroulait dans un village africain de la Côte d’Or. Le juge Sissons affirme qu’en l’espèce, le contexte pertinent pour apprécier l’argument de la légitime défense est celui du camp d’un groupe d’Inuit [80]. Le juge Sissons poursuit le raisonnement en affirmant :

40

Il est notoire dans le Nord, et cette Cour en a une connaissance d’office, qu’un bœuf musqué mâle isolé de son troupeau et errant seul est un animal dangereux. Noonlik est sage et a senti le danger [81].

41 Le juge Sissons renforce donc l’argument de légitime défense en y ajoutant l’argument de la connaissance d’office des faits notoires. Ces derniers, en droit de la preuve, désignent : « Tout fait, de connaissance courante, tant dans le milieu judiciaire que dans la communauté dont le juge fait partie [82]. » Un fait notoire devient de connaissance judiciaire à condition que sa connaissance soit très répandue [83] et en outre, « le fait doit donc s’imposer avec un tel degré de certitude que toute preuve contraire paraisse futile [84] ». Le juge Sissons élève au rang d’élément de preuve incontestable le danger représenté par un bœuf musqué errant isolé de son troupeau. Ce faisant, le juge Sissons établit l’existence d’un danger là où le juge de paix avait vu dans le bœuf musqué un animal sans défense tué illégalement et sans justification valide. L’appréciation de la situation est radicalement modifiée par l’approche du juge Sissons, de même que la qualification juridique de l’acte en cause.

42 Enfin, le juge Sissons invoque une affaire analogue s’étant déroulée au Nouveau-Brunswick, mais impliquant cette fois un orignal, aux termes de laquelle un verdict de non-culpabilité a été rendu [85].

43 D’autres arguments du juge Sissons font appel à une approche interculturelle du droit, peu répandue alors au sein de la magistrature canadienne en relation avec les peuples autochtones. Il remet en question la lecture faite par le juge de paix voulant que Koonungnak ait soumis un plaidoyer de culpabilité à l’accusation d’avoir chassé illégalement le bœuf musqué. Selon le juge Sissons, Koonungnak a simplement admis avoir tiré sur le bœuf musqué et non pas avoir commis une infraction [86]. Le juge Sissons s’exprime ainsi sur l’écart entre les conceptions Inuit du droit et la compréhension qu’ils ont de la législation rattachée à la « justice blanche » :

44

Il est clair que l’accusé ne connaît pas, n’a pas été informé et ne pouvait pas être clairement informé du sens du mot « coupable ». Les Eskimos ne possèdent pas de terme, dans leur langue, qui corresponde à « coupable ». J’ai souvent noté les difficultés de faire comprendre ce concept aux Eskimos. Lorsque j’ai demandé aux interprètes ce qu’ils disent aux accusés en relation avec cela, leur réponse invariablement été, comme en l’espèce : « Je lui ai demandé s’il a fait telle chose et il m’a répondu oui. » Bien entendu, cela n’est pas suffisant et je n’accepte pas les plaidoyers de culpabilité et je donne comme instructions de ne pas inscrire le plaidoyer de culpabilité. Aussi, je crains que l’Eskimo accusé admette le fait car il croit que c’est ce qu’on veut qu’il dise et il est soucieux de plaire. J’ai donc enjoint à répétition de ne pas accepter de plaidoyer de culpabilité émanant des Eskimos [87].

45 Il ajoute au paragraphe suivant que l’accusation n’a pas été correctement expliquée à Koonungnak et qu’il ne la comprenait pas [88]. Le juge Sissons attache une très grande importance à cette dimension, sur laquelle il revient dans ses mémoires. À ses yeux, dans ce contexte, accepter un plaidoyer de culpabilité de la part d’un Inuit constitue une injustice à son endroit : « Lorsqu’on atteint la porte de la demeure du justiciable, la cour doit se conduire en tenant compte de ses conceptions de la justice [89]. » Ces passages caractérisent le mieux la démarche du juge Sissons, qui a non seulement tenté de comprendre les différences de conceptions du droit entre les Inuit et la justice blanche, mais aussi de tenir compte de la conception Inuit du droit dans l’exercice de son office de juge.

46 L’affaire Koonungnak lui permet aussi de tirer profit de l’évolution du droit constitutionnel canadien. En effet, la Déclaration canadienne des droits, promulguée en 1960, lui fournit l’occasion de déployer de nouveaux arguments afin de défendre les droits de chasse des Inuit. Il note que les amendements apportés à la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, en vertu desquels toute la législation des TNO s’applique désormais sans exception aux Inuit et aux Indiens, portent atteinte à leurs droits de chasse [90]. Il affirme que ces modifications sont délibérées et ont pour objet véritable, de la part du Conseil des TNO, la volonté de restreindre les droits de chasse des Inuit [91]. Le juge Sissons ne peut s’empêcher de voir dans ces amendements une réplique à sa décision Kogogolak [92]. Il argumente donc que la législation qui porte atteinte aux droits de chasse et autres des Inuit n’est pas valide au regard de la Déclaration canadienne des droits[93]. En effet, elle est discriminatoire en raison de la race, particulièrement dans le cas des Ordonnances sur le gibier. Ces dernières prévoient que ni un Indien ni un Inuit ne peuvent chasser le bœuf musqué, l’ours polaire ou le caribou. Le juge Sissons note qu’il n’existe pas de limite comparable imposée aux hommes blancs, sauf pour le cas du bœuf musqué [94]. Il poursuit son argument en affirmant qu’il n’a pas été expressément déclaré que la législation des TNO continuera d’opérer nonobstant la Déclaration canadienne des droits. Plusieurs dispositions de cette législation contreviennent à la Déclaration et ce fait aurait dû être selon lui rapporté par le Ministre de la Justice à la Chambre des Communes [95]. Il ne manque pas de fustiger avec conviction le travail des parlementaires :

47

Il peut paraître étonnant qu’une mesure aussi bizarre a été adoptée par le Parlement, mais il est notoire qu’à Ottawa, à la fin d’une longue séance lors d’une journée très chaude de l’été, presque n’importe quoi peut être avalisé par un Parlement somnolent, avec un faible quorum, peu informé et indifférent eu égard au nord et aux Eskimos [96].

48 Le juge Sissons enchaîne ensuite avec une série de critiques sur l’Ordonnance sur le gibier qui mettent bien en lumière son état d’esprit. Cette ordonnance est selon lui irréaliste [97]. Cela tient au fait que toute la législation des TNO est élaborée « à l’extérieur », où les conditions diffèrent. En outre, cette législation ne tient pas compte des conditions locales [98]. Il poursuit en affirmant que les lois sur le gibier ont été élaborées au seul bénéfice des sportifs qui s’adonnent à la chasse par plaisir. Or, les ordonnances des TNO devraient avoir pour objet premier la chasse pour fins de subsistance [99]. Il exprime sa conviction en la nécessité d’une législation au contenu adapté pour les habitants de l’Arctique : « Les résidents du Sud ne dépendent pas du gibier afin de se nourrir, mais c’est différent dans l’Arctique et les lois sur le gibier devraient être différentes [100]. » Le juge Sissons est outré et ne manque pas de l’exprimer en termes sentis :

49

S’il faut aujourd’hui porter attention au bœuf musqué, au caribou et à l’ours polaire, c’est en raison des massacres gratuits perpétrés par les blancs et encouragés par l’Ordonnance sur le gibier, et non en raison du fait que les Eskimos les tuent [101].

50 Dans un autre registre d’arguments, le juge Sissons s’attaque aux irrégularités de la condamnation de Koonungnak par le juge de paix. Il en relève plusieurs. Il cite notamment le fait que le juge de paix était un administrateur du département des Affaires du Nord en plus d’être garde-chasse. Ce fait aurait dû le conduire à décliner compétence en faveur d’un tribunal indépendant et impartial [102]. Le juge Sissons note que l’accusé n’a pas bénéficié du droit à l’avocat prévu par la Déclaration canadienne des droits. Il ne lui a pas été demandé s’il souhaitait se prévaloir de ce droit ou recevoir au moins l’aide d’une personne. Le juge Sissons souligne l’absence d’avocats dans la région, et de défenseur public. Selon lui, il devrait y avoir un défenseur des droits pour les Eskimos [103]. Le juge Sissons affirme que l’accusé a été contraint de livrer des déclarations constituant des éléments de preuve alors qu’il n’était pas représenté par avocat et ne bénéficiait d’aucune protection contre l’auto-incrimination ou autre protection constitutionnelle [104]. Cette situation porte atteinte à la présomption d’innocence et il a été privé du droit à une audition publique et équitable devant un tribunal indépendant et impartial [105].

51 Aux termes de tous ces arguments, le juge Sissons renverse le verdict de culpabilité prononcé contre l’accusé.

52 Le juge Sissons poursuit, la même année, son combat dans une autre affaire devenue célèbre, qui met en cause Kalloar, un Inuit accusé d’avoir abandonné du gibier propre à la consommation, le tout en contravention de l’Ordonnance sur le gibier[106]. Kalloar était parti avec deux amis au Lac Baker chasser le caribou afin de nourrir sa famille. Il en a tué cinq et il lui a été impossible de les ramener tous sur le bateau qui appartenait à l’un de ses amis. Kalloar a pu rapporter les carcasses de deux caribous et avait l’intention de revenir plus tard chercher les 3 autres, dès que son propre bateau serait réparé. Cela a pris cinq jours et une fois revenu sur les lieux, il a constaté que la viande de caribou n’était plus en état d’être consommée. Il a donc laissé sur place les trois carcasses. Le juge Sissons se livre d’abord à une analyse littérale du sens du mot « abandonner » et conclut que les circonstances de l’affaire ne correspondent pas à un cas d’abandon [107]. Il réaffirme avec conviction que les Ordonnances sur le gibier ne s’appliquent pas aux Inuit chassant pour fins de subsistance et il poursuit : « L’accusé chassait certainement pour se nourrir. Cette accusation de tuer et abandonner du gibier est certainement liée aux droits de chasse des Inuit et ne sert pas la préservation du gibier [108]. » Les efforts et arguments du juge Sissons sont réduits à néant par la Cour Suprême du Canada qui affirme que les décisions Kokogolak et Kalloar ne reflètent pas l’état du droit et sont désormais considérées comme cassées [109]. La Cour Suprême s’est ainsi prononcée dans le cadre d’une affaire au long cheminement procédural et impliquant une décision rendue par le juge Sissons [110]. Le magistrat Parker, du tribunal de première instance, s’est trouvé confronté à un cadre factuel proche de celui de l’affaire Kalloar. Il se considère lié, en vertu de la règle du précédent, par la décision Kalloar et acquitte en conséquence un autre Inuit, Sigeareak, d’avoir tué et abandonné du gibier apte à la consommation. La CTNO est saisie de la question de savoir si le juge Parker avait raison en affirmant que l’Ordonnance sur le gibier ne s’applique pas aux Inuit en vertu de la décision Kalloar. Le juge Sissons maintient la décision du magistrat Parker [111]. La Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest est saisie de l’affaire et renverse la décision du juge Sissons. La Cour Suprême du Canada est à son tour saisie en appel, cette fois de la décision de la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest, par l’avocat qui sera plus tard nommé juge et successeur du juge Sissons, William Morrow. La Cour Suprême rejette l’appel et, ce faisant, casse les décisions Kokogolak et Kalloar en invalidant spécifiquement l’argument voulant que l’Ordonnance sur le gibier ne s’applique pas aux Inuit. Le juge Sissons situe ces décisions dans le cadre d’une lutte qui s’est déroulée entre le MNRN et lui-même concernant les droits de chasse des Inuit [112].

53 Une autre dimension de son combat porte sur la défense de certaines pratiques Inuit, déclarées invalides par le CTNO. Le juge Sissons a, dans les deux affaires qui suivent, établi des précédents qui, contrairement au cas des droits de chasse des Inuit, ont été suivis par la suite.

54 Dans l’affaire Re Noah Estate, le juge Sissons consacre un long argumentaire à affirmer la validité d’un mariage entre deux Inuit, Noah et Iga. Rappelons que depuis 1960, le CTNO avait modifié la Loi sur les territoires du Nord-Ouest à l’effet que toute législation des TNO s’applique désormais aux Indiens et aux Inuit. Le juge Sissons ne peut donc plus user de l’argument que les Inuit et les Indiens ne sont pas assujettis à la législation des TNO. C’est à dessein qu’il procède à une qualification de l’affaire comme en étant une de droit matrimonial plutôt qu’une de droit des successions. Cette dernière qualification est avancée par le Ministère des Affaires du Nord et des ressources naturelles (MNRN). À la lecture de la décision, il ressort que le juge Sissons a choisi cette voie car elle seule lui permettait de traiter les véritables enjeux de l’affaire.

55 Le couple s’est marié suivant la coutume Inuit, ce qui pose problème au regard du droit existant pour l’administrateur du district judiciaire de l’Arctique et de la Baie d’Hudson, qui initie l’instance, une demande de jugement déclaratoire. La validité du mariage est attaquée au motif que ce dernier n’a pas été dûment enregistré tel que l’exige une ordonnance du CTNO. Noah et Iga n’avaient pas de certificat de mariage. Noah est décédé ab intestat. Il s’agit pour le juge Sissons d’identifier les héritiers. Or, aux termes de l’application de l’Ordonnance du CTNO sur les successions ab intestat, les enfants issus d’un mariage coutumier Inuit ne sont pas considérés comme des héritiers. Mais il y a plus. L’interprétation voulant qu’un mariage coutumier Inuit ne soit pas valide comporte une autre conséquence, celle de créer des enfants considérés juridiquement comme illégitimes. Le juge Sissons pose ainsi les enjeux de l’affaire : « Sont aussi en cause les droits, libertés, lois et coutumes des Eskimos, ainsi que leur honneur et leur réputation [113]. »

56 Plusieurs dimensions de l’affaire méritent d’être signalées. Il s’agit d’une véritable épopée arctique. Tout d’abord, le contexte procédural sort de l’ordinaire. L’administrateur du district judiciaire a demandé que la Cour siège à Frobisher Bay (aujourd’hui Iqaluit), alors que le juge Sissons entendait qu’elle siège à l’île de Broughton, le domicile des parties. Le juge Sissons apprend avec stupéfaction que le MNRN lui interdit de se rendre à l’île de Broughton et il en fait état dans le texte même de la décision [114]. Le juge Sissons passe outre cette interdiction et la Cour part à l’île de Broughton, dans le but de recueillir des éléments de preuve relativement au mariage ayant uni Noah et Iga. Le texte de la décision relate toute la démarche du juge Sissons. Il accorde une grande importance à l’opinion de la communauté d’origine de Noah et Iga voulant que leur mariage ait été en tout point conforme aux coutumes Inuit en vigueur sur l’île de Broughton [115]. Ils ont été considérés comme un couple marié. Leurs enfants sont considérés comme nés dans le cadre de ce mariage [116]. Le juge Sissons traite cette opinion, recueillie par témoignage, comme un élément de preuve revêtant une grande force probante. Il donne ensuite pleine validité à cette union en établissant une analogie entre le mariage coutumier Inuit et le mariage consensuel reconnu en droit anglais depuis plusieurs siècles [117]. Revenant à des arguments de droit constitutionnel, le juge Sissons affirme que les lois anglaises continuent de s’appliquer dans les TNO sauf si une nouvelle législation a modifié cet état de fait. Il reformule ainsi la question dont est saisie la Cour : est-ce que le mariage coutumier Inuit a été aboli par la législation des TNO ? Entre en jeu l’Ordonnance des TNO sur le mariage. Cette dernière est considérée comme une loi d’application générale. Le MNRN affirme, reprenant d’ailleurs un des arguments du juge Sissons dans les affaires précédentes, que seul le Parlement possède la compétence pour légiférer relativement aux Inuit. Le Parlement n’ayant pas spécifiquement énoncé une exemption, pour les Inuit et les Indiens, des lois d’application générale, il s’ensuit que le mariage d’Iga et Noah est régi par l’Ordonnance des TNO sur le mariage. Le juge Sissons argumente alors que la véritable question consiste à déterminer si le Parlement a expressément légiféré de manière à abroger ou porter atteinte aux droits des Inuit et il conclut que tel n’est pas le cas [118].

57 Le juge Sissons parvient à asseoir durablement la validité des mariages coutumiers Inuit. Cette affaire présente par ailleurs d’autres motifs d’intérêt.

58 Le juge Sissons commente l’exigence d’enregistrement du mariage coutumier Inuit en affirmant qu’il était, dans le contexte, très difficile pour Noah et Iga d’y satisfaire. Il note que l’île de Broughton constitue un endroit isolé dans l’Arctique, sans aucun représentant de l’État ou autorité compétente auprès de qui effectuer l’enregistrement. À l’occasion, des agents de la GRC y viennent en patrouille, de la ville de Pangnirtung, éloignée de plusieurs centaines de kilomètres [119]. Par ailleurs, le juge Sissons affirme que le mariage de Noah et Iga comporte des éléments religieux et solennels même s’il n’a pas été enregistré. Il établit une analogie entre la publicité des bans ayant cours au sein de l’Église anglicane et l’approbation donnée par l’ensemble de la communauté de l’île de Broughton au mariage. Pour le juge Sissons, il existe un équivalent à la publication des bans dans le monde Inuit car si un membre indique son opposition au mariage, ce dernier ne peut avoir lieu [120]. Au final, le mariage de Noah et Iga est déclaré valide et Iga et l’enfant issue du mariage, déclarée héritière.

59 Cette affaire lui donne aussi l’occasion d’exposer et de réfuter, dans le texte même de la décision, des préjugés et stéréotypes des fonctionnaires du MNRN envers les Inuit. Le juge Sissons est profondément outré par la teneur de l’argumentaire du MNRN voulant que le mariage coutumier Inuit ne constitue pas un mariage mais tout simplement « la coutume Eskimo du concubinage [121] ». Il s’insurge contre l’emploi du mot « concubinage ». Il qualifie ainsi l’argumentaire : « Il est fantaisiste et scandaleux, tout autant pour les Eskimos que pour Noah et Iga [122]. » Plus loin, il avance : « Un mariage entre Esquimos n’est pas, contrairement à ce qui est suggéré, une affaire reposant sur un faible degré de moralité [123]. » Il poursuit :

60

La morale a trait à ce qui est perçu comme la bonne conduite et aux coutumes et conduites acceptées en la matière qui régissent la société dans laquelle on vit. Il est possible qu’en dépit de nos conceptions des coutumes autres que les nôtres soient généralement approuvées dans d’autres sociétés et revêtent même un degré de moralité supérieur aux nôtres. Il se peut que les coutumes sexuelles des Eskimos diffèrent des nôtres mais il n’en découle pas qu’elles sont immorales.

61 Les Eskimos possèdent leur propre code moral et y adhèrent strictement, non seulement pour leur bien mais aussi pour celui de leur société. Ils punissent de manière très efficace ceux qui le transgressent. Le degré de moralité des Eskimos de l’île de Broughton est très élevé [124].

62 Plus tard, dans ses mémoires, le juge Sissons commente en termes sentis le contenu de l’argumentaire du MNRN :

63

Il s’agit d’un fantasme tout simplement indécent, né de l’ignorance et de l’arrogance. Des libraires ont été poursuivis pour avoir sur leurs étagères du matériel moins obscène que le document soumis à la cour. Je le cite ici au bénéfice du public canadien [125].

64 Après l’avoir reproduit dans ses mémoires, il le taxe de « monstrueux », « cruel » et « sournois » [126]. Le juge Sissons n’a pas ménagé ses efforts afin de faire prévaloir la justice. Il se distingue encore une fois par l’ouverture d’esprit dont il fait preuve envers les Inuit, qui caractérise toute sa démarche. Ainsi, après avoir validé les mariages coutumiers Inuit, il fera de même pour les adoptions effectuées selon la coutume Inuit.

65 L’affaire Re Adoption of Katie E7-1807 a pour objet l’adoption d’une petite fille Inuit par un autre jeune couple Inuit [127]. La dimension particulière de l’affaire réside dans le fait que ces adoptions sont pratiquées entre couples Inuit, de manière ouverte. Les parents biologiques de l’enfant à adopter la confient à un autre couple d’Inuit : il peut s’agit d’un jeune couple tout comme d’un couple de grands-parents ou d’une femme seule [128]. Le juge Sissons affirme qu’en monde Inuit, les adoptions sont considérées non seulement comme du ressort des familles, mais également de toute la communauté [129]. En 1961, au moment où le juge Sissons est saisi de l’affaire, le contexte législatif était en transition. Depuis 1956, les adoptions étaient régies dans les TNO par l’Ordonnance sur l’adoption. Celle-ci a été abrogée et remplacée par l’Ordonnance sur le bien-être de l’enfant, édictée par le MNRN. Les parents adoptifs saisissent la Cour afin d’obtenir un jugement déclaratoire validant l’adoption effectuée selon la tradition Inuit. Sa validité est contestée car les parents biologiques n’ont pas respecté l’exigence, prévue dans la législation alors en vigueur, d’aviser dans les 30 jours les autorités compétentes en matière de protection de l’enfance, ici le Surintendant du MNRN [130].

66 Encore une fois, le juge Sissons est privé d’un argument qu’il avait auparavant employé, soit que la législation édictée par le CTNO ne s’applique pas aux Inuit. Il formule donc d’autres raisonnements qui prennent appui à la fois sur du droit constitutionnel et sur la législation des TNO. Le juge Sissons commence par rappeler que les adoptions effectuées en accord avec les coutumes autochtones n’ont pas été abrogées par les modifications de 1960 apportées à la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest[131]. Il poursuit en invoquant la Déclaration canadienne des droits, qui a pour effet d’empêcher que les droits, libertés, lois et coutumes des Inuit soient abrogés [132]. Il analyse ensuite l’Ordonnance sur le bien-être de l’enfant et le sens de l’expression « effectuée en accord avec les lois des Territoires du Nord-Ouest » dans le contexte de l’adoption. Il en vient à la conclusion que l’expression s’applique également aux adoptions coutumières Inuit et Indiennes [133]. Cette déclaration du juge Sissons revêt une portée générale et a pour effet d’intégrer dans le droit des TNO la pratique de l’adoption coutumière des peuples autochtones.

67 Le juge Sissons signale très tôt dans la décision qu’il existe aux TNO trois types d’adoption : celles en vertu de l’Ordonnance sur l’adoption, celles fondées sur la coutume Indienne et celles fondées sur la coutume Inuit [134]. Il affirme :

68

Les Eskimos, et particulièrement ceux vivant des camps et communautés éloignés, s’accrochent à leur culture et mode de vie qu’ils trouvent bons pour eux. Ces peuples connaissent un processus de changement culturel et ont le droit de conserver ce qu’ils désirent de leur culture jusqu’à ce qu’ils soient prêts à accepter librement une autre culture. En particulier, bien que l’adoption coutumière Eskimo comporte quelques aspects qui peuvent sembler étranges et demeurent incompréhensibles pour les experts, elle est bonne. Elle a subi le test de plusieurs siècles et ces peuples ne devraient pas être forcés de l’abandonner et cette pratique devrait être validée par la Cour [135].

69 Le juge Sissons note que le changement législatif, en introduisant l’exigence de l’avis au Surintendant, a créé un déluge de demandes de jugements déclaratoires d’adoptions afin de valider celles qui ne se conforment pas à la nouvelle loi [136]. Il critique fortement l’exigence de l’avis, en affirmant qu’elle pose problème pour les Inuit en raison de leurs conditions de vie : absence de service postal régulier, caractère aléatoire de la livraison du courrier qui a lieu une ou deux fois par année. Il note aussi le haut taux d’analphabétisme des Eskimos, le fait que le Surintendant est très très loin (à Ottawa) et qu’il n’existe aucune autorité compétente dans un rayon de 500 milles (800 kilomètres) pouvant être avisée [137]. Il poursuit en affirmant : « Il s’agit ici d’une disposition choquante qui criminalise le fait, pour un Eskimo, de suivre sa coutume ancienne et son mode de vie traditionnel [138]. »

70 La décision du juge Sissons n’a pas été portée en appel par le MNRN. En revanche, elle a été ignorée. Le nombre de demandes de reconnaissance d’adoptions effectuées en conformité avec la nouvelle loi a atteint des sommets et en 1965, l’arriéré était tel que le CTNO a révisé ses positions. En effet, dans l’intervalle, des centaines de familles vivaient dans une déplorable situation d’incertitude juridique. Le nouveau commissaire des TNO décide alors de permettre au juge Sissons de repartir dans l’Arctique en cour itinérante avec pour mission expresse de prononcer des jugements déclaratoires validant les adoptions effectuées selon la coutume Inuit [139]. Ce qui fut fait. Une fois de plus, le juge Sissons a été aux prises avec le caractère déconnecté de la législation édictée par les autorités du Sud en relation avec les conditions de vie sur le terrain, dans le Nord. Il a triomphé dans sa lutte pour faire reconnaître la validité des mariages et des adoptions effectués selon la coutume Inuit. Son successeur à la CTNO, le juge William Morrow, a suivi la voie tracée par le juge Sissons en la matière et s’exprime ainsi :

71

Je ne connais aucun aspect de la vie des autochtones que j’ai autant apprécié, et qui soit plus fondamental pour la survie culturelle de ces peuples, que l’adoption coutumière. Rien ne me semble plus près de leur cœur et rien ne me faisait aussi chaud au cœur [140].

Conclusion

72 La contribution du juge Sissons au droit constitutionnel canadien s’inscrit dans le contexte très particulier des droits des Inuit. Le premier trait qui distingue son office est celui d’avoir tenté d’éviter, pour les Inuit, des résultats injustes découlant de l’application de la législation des TNO ou édictée par le gouvernement fédéral. Autre élément notable, le droit constitutionnel relatif aux Inuit était à peu près inexistant, ce qui a souvent obligé le juge Sissons à tenter d’établir des analogies avec la jurisprudence canadienne relative aux Indiens. Cette dernière, en plus d’être fort peu développée, lui fournissait peu d’arguments utiles car les concepts clés au bénéfice des peuples autochtones du Canada ont été développés à partir de la décennie 1980. Enfin, le juge Sissons a œuvré à une époque où le pouvoir du MNRN était pratiquement illimité et clairement axé sur d’autres priorités que la défense des droits des Inuit. En somme, le juge Sissons a composé avec une conjoncture constitutionnelle et politique plutôt hostile eu égard à ses objectifs.

73 Sa vision des droits des Inuit et des Indiens, ainsi que de son rôle de juge étaient en décalage avec les valeurs de la société canadienne et celles de la magistrature. Deux axes ressortent de son travail. Le premier consiste à donner une pleine valeur contraignante aux normes issues de la tradition juridique Inuit. Le second est resté au stade d’un argumentaire très peu développé et non suivi d’effets de son vivant, soit créer une législation canadienne dont le contenu tienne compte des conditions particulières régnant dans le Nord.

74 En effet, le juge Sissons a fait preuve, tout au long de l’exercice de son office de juge dans les TNO, d’une remarquable ouverture d’esprit face aux traditions Inuit, auxquelles il a accordé le même statut qu’une règle issue de la législation canadienne. Cette position tend vers la reconnaissance d’un certain degré de pluralisme juridique au Canada. Cela étant, le concept de pluralisme juridique n’existait pas alors dans la doctrine ni la jurisprudence canadienne. Aussi ne peut-on que souligner que les réflexions contemporaines des juristes canadiens spécialisés en droit autochtone recueilleraient un assentiment certain de la part du juge Sissons. Toutefois, comment aurait-il disposé d’une situation où l’application d’une norme Inuit aurait créé une injustice par rapport à une norme de la législation canadienne dont l’application aurait été avantageuse pour le justiciable Inuit ? Il n’a pas été confronté à cette épineuse question. L’on peut supposer que le juge Sissons, pragmatique et habité par un très grand sens de l’équité, aurait privilégié la norme issue de la législation canadienne. Soulignons que les positions du juge Sissons en matière de mariage coutumier Inuit et d’adoption ont été suivies par son successeur, le juge Morrows, et sont aujourd’hui validées par le Ministère canadien de la justice [141].

75 Le juge Sissons a très tôt été mû par la conviction que la législation visant le Nord devrait être différente. Il élabore toutefois très peu sur cette question, tant dans ses décisions que dans ses mémoires. Il a été accusé de vouloir créer un régime particulier, distinct, pour les Inuit [142]. Ces positions pourraient aussi susciter des critiques au regard du droit constitutionnel canadien actuel et de l’exigence d’égalité stipulée à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans le même temps, si le juge Sissons œuvrait aujourd’hui, son travail aurait été grandement facilité par le concept de droit ancestral tel que développé dans la jurisprudence de la Cour Suprême du Canada. En effet, il couvre les droits de chasse et de pêche des peuples autochtones. Ces derniers doivent toutefois satisfaire à diverses exigences afin d’en établir l’existence, suivant une analyse au cas par cas. Le juge Sissons n’ayant pas le bénéfice de ces développements a eu recours à divers types de raisonnements, souvent cumulés, afin d’établir un fondement juridique qu’il espérait irréfutable à ses décisions en matière de droits de chasse. Il a échoué, mais non sans avoir vaillamment livré combat. Il s’est appuyé sur la Déclaration canadienne des droits dès son entrée en vigueur. Cet aspect est intéressant dans la mesure où la Déclaration canadienne des droits a été, selon Peter Hogg, peu utilisée par les juges canadiens notamment parce qu’elle constitue une simple loi, pouvant être abrogée n’importe quand et ne s’applique qu’à la législation édictée par le Parlement fédéral [143]. Nul doute que le juge Sissons userait abondamment de la Charte canadienne des droits et libertés aujourd’hui, d’autant que sa sphère d’application, contrairement à la Déclaration canadienne des droits, inclut les deux paliers de gouvernement [144].

76 Le juge Sissons était en avance sur son époque eu égard à ses sensibilités aux droits des Inuit et des Indiens. Ce sera le cas aussi pour son successeur, le juge Morrow, qui a exprimé toute l’admiration qu’il voue au juge Sissons. Il a notamment appris de ce dernier l’importance de faire preuve d’empathie envers les Inuit et leurs conditions de vie uniques [145]. Il faudra attendre deux décennies pour retrouver, au sein de la magistrature canadienne, pareille réceptivité aux conceptions du droit émanant des peuples autochtones. À l’heure où la Commission de vérité et de réconciliation du Canada rend un rapport accablant sur la manière dont le gouvernement canadien a traité les Premières Nations du Canada, souligner le travail du juge Sissons, largement méconnu, s’impose [146]. Les Premières Nations ont été victimes d’un génocide culturel, défini comme la destruction des structures et pratiques permettant à un groupe de continuer d’exister comme groupe [147]. Or, tous les efforts du juge Sissons tendaient vers la préservation des structures, coutumes et pratiques des Inuit, qu’ils sentaient menacés. L’histoire lui a malheureusement donné raison. S’il n’a pu prévenir, ni, parfois, remédier aux injustices qui ont frappé les Inuit en raison de l’ignorance et des préjugés, il les a combattues avec détermination, conviction, et intégrité. Le plus bel hommage au juge Sissons réside dans le surnom affectueux que lui ont donné les Inuit : Ekoktoegee, soit « celui qui écoute [148] ».


Date de mise en ligne : 06/06/2016

https://doi.org/10.3917/rfdc.106.0411

Notes

  • [1]
    Hélène Piquet, sinologue, professeure de droit au département des sciences juridiques de l’université du Québec à Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada Droit chinois et mondialisation.
    * [Ndlr] Inuit, au Québec, généralement invariable chez les spécialistes.
    . L’approche retenue ici est qualitative et non quantitative, en raison du petit nombre de décisions rendues par le juge Sissons accessibles dans les recueils sous format papier ou en version électronique. Il a rendu plusieurs décisions dont une partie importante n’a pas été retenue pour figurer dans les recueils. Dans ce dernier cas, le seul moyen d’avoir accès à ces décisions non rapportées consiste à aller les consulter au greffe de la Cour, démarche qui n’est pas envisagée ici. En outre, l’approche qualitative permet de mettre l’accent sur les décisions qui présentent un réel intérêt pour l’objet de cette étude.
  • [2]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North. The Memoirs of Jack Sissons, Toronto, McClelland and Stewart, 1968. p. 13. Il faut aussi souligner que le juge Sissons était âgé de 63 ans au moment de sa nomination à la CTNO et qu’il était affecté depuis son enfance par une claudication qui exigeait qu’il utilise une canne.
  • [3]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 14, notre traduction.
  • [4]
    S. Grace, Canada and the Idea of North, Montréal, Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2007.
  • [5]
    S. Grace, Canada and the Idea of North, op. cit., p. 33.
  • [6]
    S. Grace, Canada and the Idea of North, op. cit., p. 43. Notre traduction.
  • [7]
    R. McGhee, Une Histoire du monde arctique. Le dernier territoire imaginaire, Montréal, Fides, 2006, p. 109.
  • [8]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 65, notre traduction.
  • [9]
    Pour les fins de ce texte, le terme Inuit sera employé dans le corps du texte afin de respecter la terminologie contemporaine. Toutefois, dans les citations tirées des décisions et des mémoires du juge Sissons, le terme « Eskimo » sera conservé par souci de fidélité.
  • [10]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 60.
  • [11]
    Suivant la perspective nordique adoptée par les Inuit, et par le juge Sissons, la partie Sud du Canada constitue… le Sud, connotant ici une terre étrangère dont les habitants ignorent tout du Nord.
  • [12]
    Encyclopédie canadienne, http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/territoires-du-nord-ouest/, site consulté le 25 mai 2015.
  • [13]
    K. Loukacheva, The Arctic Promise. Legal and Political Autonomy of Greenland and Nunavut, Toronto, University of Toronto Press, 2007, version électronique. Localisation 1794.
  • [14]
    Regina v. Koonungnak, (1963) 45 Western Weekly Reports 282.
  • [15]
    D. Mockle, « La justice, l’efficacité et l’imputabilité », Les Cahiers de droit, 54 : 4, 2013, pp. 613-688, p. 642. Voir aussi : A. Émond, Introduction au droit canadien, Montréal, Wilson et Lafleur, 2012, pp. 189-190.
  • [16]
    A. Émond, Introduction au droit canadien, op. cit., p. 189.
  • [17]
    Loi concernant les Territoires du Nord-Ouest, (1952) 1 Élis. II c. 46 (Can). Cette loi a été modifiée plusieurs fois depuis et a légèrement changé de nom. Ses versions les plus récentes peuvent être consultées en accès libre sur le site du Ministère de la Justice du Canada.
  • [18]
    L. Huppé, Histoire des institutions judiciaires du Canada, Montréal, Wilson et Lafleur, 2007, p. 576.
  • [19]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 60.
  • [20]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 66.
  • [21]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 76.
  • [22]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 77.
  • [23]
    Idem. Notre traduction.
  • [24]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., pp. 77-78.
  • [25]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 80.
  • [26]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 60. Notre traduction. La phrase, afin de refléter fidèlement la pensée du juge Sissons, devrait se lire : […] en cédant aux diktats des fonctionnaires du Sud.
  • [27]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2002, p. 16.
  • [28]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit., p. 24.
  • [29]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit., p. 25.
  • [30]
    B. W. Morse, « Aboriginal Peoples and the Law » in Morse Bradley W. (ed) Aboriginal Peoples and the Law, Ottawa, Carleton University Press, 1989, pp. 1-15, p. 5.
  • [31]
    Idem.
  • [32]
    F. Mowat, The Desperate People, Toronto, Key Porter Bokks Limited, 2005, p. 32. (Première édition en 1959).
  • [33]
    B. W. Morse, « Aboriginal Peoples and the Law », op. cit., p. 5.
  • [34]
    Les relations du Canada avec les Inuit, op. cit., p. 8.
  • [35]
    Re Eskimos [1 939] 2 Dominion Law Reports 417 et [1 939] Supreme Court Reports 104.
  • [36]
    B. W. Morse, « Aboriginal Peoples and the Law », op. cit., p. 5.
  • [37]
    S.D. Grant, op. cit., p. 249 ; P. Cumming, « Canada’s North and Native Rights » in Morse Bradley W. (ed) Aboriginal Peoples and the Law, Ottawa, Carleton University Press, 1989,pp. 695-744.
  • [38]
    P. Cumming, « Canada’s North and Native Rights », op. cit., p. 697.
  • [39]
    Idem.
  • [40]
    P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada, t.2, Toronto, Carswell, 2006, p. 31. Ainsi, les décisions de droit constitutionnel portaient sur les articles 91 et 92 de l’AANB, le premier énonçant les matières relevant de la compétence du gouvernement fédéral et le second celles relevant de la compétence du gouvernement des provinces.
  • [41]
    Elle a été rebaptisée en 1982 Loi constitutionnelle de 1867. La Constitution du Canada désigne en réalité plusieurs textes qui se sont succédé dans le temps et s’appliquent aujourd’hui : Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi constitutionnelle de 1982, qui contient la Charte canadienne des droits et libertés, entre autres. À ces sources écrites, il faut ajouter les conventions constitutionnelles de source non écrites. Toutes ces lois sont en accès libre sur le site du Ministère de la Justice du Canada : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/Const_index.html, site consulté le 10 mai 2015.
  • [42]
    P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada, t.2, op. cit., pp. 28-29.
  • [43]
    Idem.
  • [44]
    Loi constitutionnelle de 1982, http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/Const_index.html, site consulté le 10 mai 2015.
  • [45]
    Les relations du Canada avec les Inuit : Histoire de l’élaboration des politiques et des programmes, juin 2006, p. 7, en accès libre à : http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100016900/1100100016908. Il s’agit d’une étude du gouvernement fédéral.
  • [46]
    R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S, 1075, p. 1111. En accès libre sur : ttps://scc-csc. lexum. com/scc-csc/scc-csc/en/item/609/index. do.
  • [47]
    R. c. Sparrow, op. cit., p. 1101.
  • [48]
    R. c. Sparrow, op. cit., p. 1110.
  • [49]
    S.D. Grant Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit. p. 36.
  • [50]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit. p. 19.
  • [51]
    Ibidem.
  • [52]
    Interviewing Inuit Elders. Perspectives on Traditional Law, Dosten Jarich, Laugrand Frédéric et Rasing Wim (ed.), Iqaluit, Nunavut Arctic College, 1999, p. 3. Le Nunavut est le nom donné au Territoire où habitent les Inuit. Il a été crée en 1999. Iqaluit en est la capitale, sise sur l’ancienne Ile de Baffin.
  • [53]
    M. Chiba, « Droit non-occidental », in W. Cappeller et T. Kitamura, dir., Une introduction aux cultures juridiques non occidentales. Autour de Masaji China, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 37-44, p. 39.
  • [54]
    Ibidem.
  • [55]
    Les relations du Canada avec les Inuit : Histoire de l’élaboration des politiques et des programmes, p. 19.
  • [56]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit. p. 19.
  • [57]
    Acte pour amender l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, 1875, art. 62. En accès libre sur https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100010260/1100100010262, étant le site du Ministère des Affaires autochtones et du développement du Nord Canada. URL précis : https://www.aadnc-aandc.gc.ca/DAM/DAM-INTER-HQ/STAGING/texte-text/d77c7_1100100010261_fra.pdf.
  • [58]
    K. Loukacheva, The Arctic Promise. Legal and Political Autonomy of Greenland and Nunavut, op. cit., localisation 1789 de la version électronique.
  • [59]
    K. Loukacheva, The Arctic Promise. Legal and Political Autonomy of Greenland and Nunavut, op. cit., localisation 1794 de la version électronique.
  • [60]
    Les relations du Canada avec les Inuit : Histoire de l’élaboration des politiques et des programmes, op. cit., p. 21.
  • [61]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit., p. 49.
  • [62]
    Les relations du Canada avec les Inuit : Histoire de l’élaboration des politiques et des programmes, op. cit., p. 20.
  • [63]
    S.D. Grant, Arctic Justice. On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923, op. cit. pp. 19-20.
  • [64]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 60.
  • [65]
    Ibidem, p. 148.
  • [66]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 125.
  • [67]
    Regina v. Kogogolak, (1959), 28 Western Weekly Reports 376, en accès libre à : http://gsdl.ubcic.bc.ca/collect/firstna1/index/assoc/HASH01e7.dir/doc.pdf.
  • [68]
    Regina v. Koonungnak, (1963) 45 Western Weekly Reports 282.
  • [69]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p.119.
  • [70]
    Regina v. Kogogolak, op. cit., par. 7.
  • [71]
    Rex. V. Wesley, (1932) 2 Western Weekly Reports 337, en accès libre à gsdl. ubcic. bc. ca/collect/firstna1/import/.../Alberta/rvwesley. pdf.
  • [72]
    Regina v. Kogogolak, op. cit., par. 12.
  • [73]
    Ibidem, par. 37.
  • [74]
    Regina v. Kogogolak, op. cit., par. 39.
  • [75]
    Ibidem, par. 41.
  • [76]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 122.
  • [77]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 7.
  • [78]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 45.
  • [79]
    Kwaku Mensah v. The King, [1946] Appeal Cases 83 cité dans Regina v. Koonungnak, par. 46.
  • [80]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 46.
  • [81]
    Ibidem, par. 48. Notre traduction.
  • [82]
    L. Ducharme, Précis de la preuve, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, p. 32.
  • [83]
    Ibidem, op. cit., p. 34.
  • [84]
    Ibidem.
  • [85]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 50.
  • [86]
    Ibidem, par. 54.
  • [87]
    Ibidem, par. 36. Notre traduction.
  • [88]
    Ibidem, par. 38.
  • [89]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 123. Notre traduction.
  • [90]
    Regina v. Koonungnak, op. cit., par. 82.
  • [91]
    Ibidem, par. 83.
  • [92]
    Ibidem, par. 81.
  • [93]
    Ibidem, par. 84.
  • [94]
    Ibidem, par. 85.
  • [95]
    Idem.
  • [96]
    Ibidem, par. 87. Le juge Sissons a lui-même été parlementaire avant de devenir juge.
  • [97]
    Ibidem, par. 104.
  • [98]
    Ibidem, par. 105.
  • [99]
    Ibidem,, par. 106.
  • [100]
    Ibidem par. 107.
  • [101]
    Ibidem, par. 108. Notre traduction.
  • [102]
    Ibidem, par. 29.
  • [103]
    Ibidem, par. 30.
  • [104]
    Ibidem, par. 31.
  • [105]
    Ibidem, par. 33.
  • [106]
    Kalloar v Reginam (1964) 50 Western Weekly Reports 602-608, en ligne : LexisNexis Quicklaw, http://www.lexisnexis.com.
  • [107]
    Ibidem, par. 18 et 28.
  • [108]
    Ibidem, par. 41.
  • [109]
    R v. Sigeareak, [1966] Recueil de la Cour suprême 645-653, 57 Dominion Law Reports (2d) 536-544, en ligne : LexisNexis Quicklaw, http://www.lexisnexis.com, par. 6 du résumé en français.
  • [110]
    L’affaire porte le même nom mais fait partie des jugements non rapportés et non disponibles autrement qu’au greffe de la Cour. La décision rendue par le juge Sissons est très courte car il se contente de valider l’analyse du magistrat Parker, qui a suivi et appliqué la décision Kalloar.
  • [111]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 178.
  • [112]
    Ibidem, p. 172.
  • [113]
    Re Noah Estate, 1961 32 Dominion Law Reports (2d) 185, par. 2. Notre traduction.
  • [114]
    Ibidem, par. 20-22.
  • [115]
    Ibidem, par 54.
  • [116]
    Ibidem, par. 52.
  • [117]
    Ibidem, par. 56.
  • [118]
    Ibidem, par. 96.
  • [119]
    Ibidem, par. 16.
  • [120]
    Ibidem, par. 79-80.
  • [121]
    Ibidem, par. 36.
  • [122]
    Ibidem, par. 38.
  • [123]
    Ibidem, par. 43.
  • [124]
    Ibidem, par. 44 et 45.
  • [125]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 135. Notre traduction.
  • [126]
    Ibidem, p. 136. Notre traduction.
  • [127]
    Re Adoption of Katie E7-1807, (1961) 32 Dominion Law Reports (2d) 686. (1961).
  • [128]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 144.
  • [129]
    Ibidem.
  • [130]
    Re Adoption of Katie E7-1807, op. cit., par.30.
  • [131]
    Ibidem, par. 11.
  • [132]
    Ibidem, par. 12.
  • [133]
    Ibidem, par. 36.
  • [134]
    Ibidem, par. 9.
  • [135]
    Ibidem, par. 13.
  • [136]
    Ibidem, par. 15.
  • [137]
    Ibidem, par. 33.
  • [138]
    Ibidem, par. 34.
  • [139]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., pp. 143.-144.
  • [140]
    W.H. Morrow, Northern Justice, The Memoirs of Mr. Justice William G. Morrow, Toronto, University of Toronto Press, 1995, p. 149. Notre traduction.
  • [141]
    Rapport de recherche sur le droit de la famille au Nunavut, résumé, http://canada.justice.gc.ca/fra/pr-rp/lf-fl/famil/2003_3/som-sum.html, Section Résultats de la recherche : la vie familiale, rubrique intitulée « l’adoption ». consulté le 5 juin 2015.
  • [142]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit., p. 140.
  • [143]
    P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada, t.2, op. cit, p.p. 28-29. Hogg ajoute que la Charte canadienne des droits et libertés, par contraste, fait partie intégrante de la Constitution du Canada.
  • [144]
    Idem.
  • [145]
    W.H. Morrow, Northern Justice, The Memoirs of Mr. Justice William G. Morrow, op. cit., p. 56.
  • [146]
    Commission de vérité et de réconciliation du Canada, http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/index.php?p=22 site consulté le 13 juin 2015. Les Inuit ont une Sous-commission au sein de la Commission.
  • [147]
    Honoring the Thruth, Reconciling for the Future, Summary of the Final Report of the Truth and reconciliation Commission of Canada, http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Exec_Summary_2015_05_31_web_o.pdf, p. 1, consulté le 13 juin 2015.
  • [148]
    J. H. Sissons, Judge of the Far North, op. cit.,p. 126.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions