Notes
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[1]
Sur le sens général de cette réforme, v. Francis Hamon, « La nouvelle procédure de l’article 11 : un vrai faux référendum d’initiative populaire », in La Révision de 2008 : une nouvelle Constitution ?, LGDJ, 2011, pp. 43-56.
-
[2]
Voir Ass. nat., XIIIe législature, document n° 3072.
-
[3]
Sur cette règle, voir CC, décis. n° 96-386 DC, 30 déc. 1996, Cons. 4.
-
[4]
Telle était l’opinion qu’a développée devant l’Assemblée nationale le juriste Roger-Gérard Schwartzenberg.
-
[5]
Art. 9 du projet de loi organique déposé par le Gouvernement Fillon en décembre 2012.
-
[6]
Pour faciliter l’examen de la proposition par les deux assemblées, le Parlement a également introduit une dérogation à la procédure législative normale : si la première assemblée saisie rejette la proposition, son président doit tout de suite en aviser le président de l’autre assemblée et lui communiquer le texte initial de la proposition.
-
[7]
F. Hamon, « La nouvelle procédure de l’article 11 : un vrai référendum d’initiative populaire », op. cit., pp. 54-55.
-
[8]
S. Schoot, « Le référendum dans les Lander de la République fédérale allemande », in Théorie et pratiques du référendum, Société de législation comparée, Collection colloques, Vol. 17, pp. 53-69, 2012.
-
[9]
La loi prévoit cependant que « tout électeur peut, à sa demande, faire enregistrer électroniquement par un agent de la commune ou du consulat son soutien sur papier ». Mais dans ce cas, l’écrit ne constitue pas un mode de recueil autonome. Il n’est que l’accessoire d’un enregistrement par la voie électronique, à l’usage des citoyens particulièrement rebelles à l’informatique.
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[10]
Le dernier article de la loi organique du 6 décembre 2013 prévoit qu’elle n’entrera en vigueur que le premier jour du treizième mois suivant sa publication.
-
[11]
Voir les articles L 5558-38 à L 558-43 du Code pénal.
-
[12]
Art L558-42 nouveau du Code pénal.
-
[13]
Des dons pourront cependant leur être consentis par des acteurs de la société civile mais uniquement par des personnes physiques et dans la limite de 4 600 € par personne.
-
[14]
Propositions pour une révision de la Constitution, La Documentation française, 1993, p. 79.
-
[15]
A. Peyreffitte, La France en désarroi, éd. de Fallois, 1992, pp. 77-80. Selon Peyreffite, les quatre étapes précédentes se situeraient en 1848 (suffrage universel masculin), 1944 (suffrage universel féminin), 1958 (référendum législatif) et 1962 (élection directe du Président).
1 Parmi les nombreux articles modifiés par la loi de révision du 23 juillet 1958, figurait l’article 11 C relatif au référendum national [1]. Comme la plupart des modifications prévues par cette loi, celle-ci ne devait entrer en vigueur qu’après l’adoption d’une loi organique.
2 On peut s’étonner qu’il ait fallu attendre plus de cinq ans pour que cette condition soit enfin remplie, alors que sur d’autres points, comme la question prioritaire de constitutionnalité, tous les textes nécessaires à l’application de la réforme ont été mis en place en moins de deux ans. Ce retard s’explique probablement au moins en partie par le fait que le gouvernement n’attachait pas beaucoup d’importance à cette modification de l’article 11, qui était issue d’un amendement parlementaire et qui, d’un point de vue politique ne pouvait intéresser que les parlementaires de l’opposition. Toujours est-il qu’un projet de loi organique a tout de même été déposé par le gouvernement Fillon le 22 décembre 2010. À peine une année et demie avant l’élection présidentielle de 2012 dont on savait qu’elle entraînerait probablement un renversement de majorité. Mais ce projet ne fut adopté en première lecture par l’Assemblée nationale que le 10 janvier 2012 et la navette n’était pas encore terminée, en mai 2012, au moment de l’élection de François Hollande. On aurait pu penser que les choses en resteraient là car a priori la Gauche n’avait pas intérêt à l’entrée en vigueur d’une réforme dont, durant les cinq années suivantes, seule l’opposition de droite pourrait tirer profit. Mais la nouvelle majorité a voulu se montrer belle joueuse en ne cherchant pas à bloquer ou même à ralentir l’aboutissement du projet Fillon. Les deux textes législatifs nécessaires à la mise en application de la réforme (c’est-à-dire la loi organique relative aux nouvelles dispositions de l’article 11 C et la loi ordinaire qui la complète sur certains points) ont été promulgués le 6 décembre 2012 après avoir été votés en termes identiques par les deux assemblées. Toutefois, pour des raisons liées au mode de recueil des soutiens citoyens (voir infra), la réforme ne deviendra vraiment opérationnelle qu’à l’expiration d’un délai d’environ un an à compter de la date de la promulgation de la loi.
3 Bien qu’ils se méfiassent du référendum, surtout lorsqu’il peut être déclenché sans l’intervention d’un pouvoir public, comme c’est le cas en Suisse ou en Italie, les constituants de 2008 voulaient donner l’impression qu’ils entendaient démocratiser les institutions en invitant les citoyens à jouer un rôle plus actif. C’est pourquoi ils ont introduit dans l’article 11 C un nouveau mode de déclenchement du référendum dont l’une des étapes évoque une procédure d’initiative populaire. Mais les mots « initiative populaire » ou « initiative citoyenne » ne figurent même pas dans le texte du nouvel article 11 où il est seulement dit qu’un référendum « peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Si l’on considère globalement la procédure, il ne s’agit donc pas d’un référendum d’initiative populaire mais plutôt d’un référendum d’initiative partagée entre les parlementaires, qui seuls peuvent faire le premier pas, et les citoyens dont le soutien est nécessaire pour y donner suite. Cependant, sans doute pour mieux mettre en valeur l’élément démocratique que comporte cette procédure, on a souvent feint d’oublier l’intervention des parlementaires : c’est ainsi que, dans son exposé des motifs, le projet de loi organique déposé par le gouvernement en décembre 2010 sur le bureau de l’Assemblée nationale, parlait encore de « référendum d’initiative populaire » [2].
4 Plus soucieux d’exactitude juridique, ou peut-être pour rappeler que l’essence du régime reste celle de la démocratie représentative, les députés et les sénateurs ont substitué à cette expression celle « d’initiative partagée ». Ils ont veillé à ce que l’étape citoyenne de cette procédure soit strictement encadrée mais l’on peut se demander si la rigueur même de cet encadrement ne risque pas d’en empêcher l’utilisation.
I – UNE INITIATIVE CITOYENNE STRICTEMENT ENCADRÉE
5 L’initiative citoyenne est placée sous le contrôle de divers acteurs politiques ou juridictionnels. Et son déroulement risque de se heurter à des difficultés qui rendent son résultat assez aléatoire.
A – UNE INITIATIVE CITOYENNE SOUS CONTRÔLES
6 L’étape citoyenne de l’initiative partagée (c’est-à-dire le recueil des soutiens de 10 % au moins des électeurs inscrits) dépend, quant à son existence et à son aboutissement, de décisions relevant de la compétence des parlementaires individuellement considérés, du Conseil constitutionnel, du Parlement en tant que corps, et enfin du Président de la République.
1 – Les parlementaires
7 C’est à eux qu’il appartient de lancer l’opération en choisissant le sujet et en fixant les termes de la proposition de loi qui va faire l’objet de l’initiative. L’article 11 C indique qu’il doit s’agir au moins d’un cinquième des membres du Parlement, députés et sénateurs confondus, c’est-à-dire au total 183 parlementaires si tous les sièges sont pourvus.
8 Sur ce point, la loi organique n’ajoute pas grand-chose au texte de l’article 11 C. Elle n’impose aucune proportion entre les membres des deux assemblées parmi les signataires de la proposition. Elle précise seulement que le cinquième des membres du Parlement est calculé par rapport au nombre des sièges effectivement pourvus à la date de l’enregistrement de la saisine par le Conseil constitutionnel, arrondi au chiffre immédiatement supérieur en cas de fraction. Toujours selon la loi organique, la proposition peut être déposée indifféremment sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat « en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel ». C’est le président de l’Assemblée saisie qui se charge de cette transmission et il en avise immédiatement le Président de la République, le Premier ministre et le Président de l’autre assemblée.
9 La loi organique précise également qu’aucune signature ne peut plus être ajoutée ou retirée à compter de la date à laquelle la proposition de loi a été transmise au Conseil constitutionnel. Mais ce n’est là que l’application d’une règle qui vaut pour toutes les saisines du Conseil constitutionnel [3].
2 – Le Conseil constitutionnel
10 D’après l’article 11 C al. 4, il appartient au Conseil constitutionnel de veiller au respect des conditions fixées par son alinéa 2, c’est-à-dire de s’assurer que la proposition de loi est recevable, qu’elle a bien été signée par au moins un cinquième des membres du Parlement et qu’elle n’a pas pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Mais ce même texte renvoie à la loi organique le soin de préciser les conditions dans lesquelles le Conseil veille à ce respect, c’est-à-dire à quel (s) moment (s) il intervient et quelles sont exactement les normes de référence qu’il doit utiliser.
11 Sur le premier point, la loi organique établit un calendrier qui distingue six étapes successives : la collecte des signatures des parlementaires et le dépôt de la proposition de loi ; l’examen de la proposition de loi par le Conseil constitutionnel, qui dispose d’un mois pour y procéder, comme pour l’examen des lois qui lui sont déférées dans le cadre de l’article 61 C ; la partie citoyenne de l’initiative, c’est-à-dire la période durant laquelle des soutiens peuvent être recueillis auprès du public ; à l’issue de cette période la vérification par le Conseil constitutionnel de la validité et du nombre des soutiens ; le délai de 6 mois dont disposent ensuite les deux chambres pour examiner la proposition ; la décision du Président de la République d’organiser un référendum si les deux chambres n’ont pas procédé à cet examen ; la campagne et le scrutin référendaire.
12 En définitive, on constate que le Conseil a trois missions distinctes dont il doit s’acquitter à des moments différents de la procédure : d’abord vérifier si la proposition de loi remplit les conditions nécessaires pour que puisse s’ouvrir la période de recueil des soutiens ; ensuite, veiller à la régularité des opérations de recueil des soutiens ; enfin, si la procédure va jusqu’à son terme, veiller à la régularité des opérations de référendum et en proclamer les résultats.
13 En fait, c’est la première de ces trois missions qui pose le plus de problèmes et la loi organique y a consacré un article dans lequel elle a tenté de préciser les normes de référence dont le Conseil devra faire application. Il s’agit d’une part des dispositions de l’article 11 C qui visent spécifiquement cette proposition de loi et qui sont au nombre de quatre : 1) la proposition doit porter sur l’une des matières énoncées à l’alinéa premier de l’article 11 C (organisation des pouvoirs publics, réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions) ; 2) elle ne doit pas avoir pour objet l’abrogation d’une loi promulguée depuis moins d’un an ; 3) elle ne doit pas porter sur le même sujet qu’une proposition qui aurait été présentée dans le même cadre moins de deux ans auparavant et que le peuple français n’aurait pas adoptée. Il s’agit d’autre part d’une condition plus générale qui tient à la hiérarchie des normes : 4°) comme il s’agit d’un projet d’acte législatif, et non pas constitutionnel, la proposition doit être conforme à la Constitution.
14 Au titre de cette première mission, le Conseil va donc devoir exercer sur le texte qui lui est soumis à ce stade de la procédure un contrôle que jusqu’à présent il s’est toujours refusé à exercer sur les lois soumises au référendum par le Président de la République au titre de l’article 11 C premier alinéa. On ne saurait voir là une contradiction car dans le premier cas, conformément à l’article 61 C al. 2, il ne peut être saisi qu’après le référendum, c’est-à-dire à un moment où l’on peut dire que l’approbation de la loi « constitue l’expression directe de la souveraineté nationale ». Au contraire, dans la nouvelle procédure de l’article 11 C, le texte qui lui est déféré n’est pas encore une loi référendaire et ne constitue même pas un acte du Parlement puisque, par hypothèse, il est dû à l’initiative d’une minorité. En droit, il est donc parfaitement logique que ce texte soit soumis au contrôle du Conseil dont la mission essentielle consiste à imposer le respect de la Constitution au Parlement considéré dans son ensemble ainsi qu’aux parlementaires individuellement considérés. Mais, au titre de l’initiative partagée, le Conseil sera amené à interpréter les limites du domaine du référendum et la situation pourrait devenir politiquement délicate si la jurisprudence qu’il élaborera sur ce point ne s’accordait avec la pratique suivie par certains présidents de la République.
15 Dans le considérant n° 8 de sa décision n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation qui étend la portée de son contrôle : selon lui, leur nature étant celle d’une proposition de loi, les textes déposés au titre de l’initiative partagée doivent respecter la règle de l’article 40 C aux termes duquel « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
16 Pour des raisons juridiques et politiques, la question du respect de l’article 40 risque de se poser beaucoup plus souvent dans le contentieux de l’initiative partagée que dans celui de la conformité des lois à la constitution (art 61 al. 2).
17 D’une part, en effet, les lois votées par le Parlement ne sont que rarement ou très partiellement d’initiative parlementaire et même lorsque c’est le cas, la question de la conformité à l’article 40 ne peut être examinée par le Conseil constitutionnel que si elle a été soulevée au cours de la discussion parlementaire. Au contraire, dans le cadre de l’initiative partagée, il ne peut s’agir que d’une proposition de loi et, dans sa décision déjà citée, le Conseil a clairement annoncé qu’il examinerait systématiquement et d’office la question de sa recevabilité financière car, comme, par hypothèse, la proposition qui lui est transmise n’a fait l’objet d’aucune discussion parlementaire préalable, on ne peut pas exiger qu’elle ait déjà été soulevée au cours des débats.
18 D’autre part, d’un point de vue politique, on a pu constater que le recours à l’initiative partagée est souvent envisagé par certains milieux professionnels et par les parlementaires de l’opposition pour contrer une loi en préparation dont on craint à tort ou à raison que, pour des raisons d’économie, elle réduise certains avantages sociaux. Dans de telles conditions, il sera souvent difficile pour des parlementaires de l’opposition de rédiger une proposition de loi qui fasse rêver à un avenir meilleur sans enfreindre la sacro-sainte règle de l’article 40.
19 La seconde mission du Conseil (veiller à la régularité des opérations de recueil des soutiens) a un caractère plus technique. Elle se rapproche un peu de celle dont il est chargé dans la phase préparatoire de l’élection présidentielle où il veille à la régularité des opérations de recueil des parrainages. L’article 45-4 LO précise qu’il peut être saisi par tout électeur durant la période de recueil des soutiens ou dans un délai de dix jours suivant sa clôture. Le législateur organique aurait pu laisser le Conseil entièrement libre de s’organiser pour l’examen de ces plaintes et c’était même, selon certains orateurs, la seule solution conforme à l’article 60 de la Constitution aux termes duquel le Conseil « veille à la régularité des opérations de référendum prévues aux articles 11 et 89 et au titre XV ». [4] Mais les sénateurs tenaient beaucoup à ce que les milieux traditionnels de la magistrature soient associés au contrôle et ils ont obtenu l’adoption d’un amendement prévoyant que les plaintes seraient d’abord examinées par une Commission de trois magistrats en activité ou honoraires, l’auteur de la réclamation disposant d’un délai de dix jours pour contester cette décision devant le Conseil assemblé.
20 Enfin, la dernière mission du Conseil consiste à proclamer les résultats du référendum s’il a finalement lieu, comme il le fait pour tous les référendums.
3 – Le Parlement dans son ensemble
21 D’après l’article 11 C, lorsque les soutiens ont été validés par le Conseil constitutionnel, la proposition qui fait l’objet de l’initiative partagée est soumise au référendum par le Président de la République, si et seulement si elle n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique.
22 Le projet de loi organique déposé par le gouvernement témoignait du souci de ne pas précipiter les choses : si les assemblées voulaient empêcher le référendum, elles disposaient d’un délai de douze mois pour procéder chacune à une lecture de la proposition. Et si elles ne l’avaient pas fait à l’expiration de ce délai, le Président de la République disposait d’un nouveau délai de quatre mois pour soumettre la proposition au référendum ! [5] Avec de tels délais en cascade, la procédure de l’initiative partagée risquait de traîner tellement longtemps qu’elle parviendrait difficilement à retenir l’attention du public, et qu’elle tomberait probablement en désuétude, les acteurs politiques privilégiant systématiquement des voies plus rapides pour solutionner un problème. C’est pourquoi le Parlement a réduit de moitié le premier délai et a supprimé le second : les assemblées ne disposeront donc en définitive que de six mois [6] pour examiner la proposition (ce délai étant toutefois suspendu entre deux sessions ordinaires) et, si elles ne le font pas, le Président de la République devra tout de suite engager la procédure du référendum.
23 Toutefois, du fait de cette condition de non-examen de la proposition par les deux assemblées, le référendum a quelque chose de très aléatoire, même après que le Conseil constitutionnel ait donné son feu vert en validant les soutiens de 10 % des électeurs inscrits. Il suffit pour l’empêcher d’une lecture par chaque assemblée, quel qu’ait été le résultat de cette lecture (vote favorable, vote défavorable ou absence de vote). Et l’inscription de la proposition à l’ordre du jour d’une assemblée peut être décidée non seulement par le bureau de cette assemblée mais aussi par le gouvernement, qui dispose toujours d’une priorité dans ce domaine pour deux séances sur quatre (art 48 C al. 2), et même, depuis la révision de juillet 2008, par un groupe d’opposition ou minoritaire (art. 48 C al. 5). En pratique, le référendum ne pourra donc avoir lieu qu’à la condition qu’aucun acteur politique important ne cherche à l’éviter.
4 – Le Président de la République
24 Curieusement, bien qu’elle figure dans l’article 11, lui-même compris dans le Titre II de la Constitution consacré au Président de la République, la procédure de l’initiative partagée n’attribue, semble-t-il, à celui-ci qu’un rôle purement formel. C’est lui qui soumet la proposition de loi au référendum lorsqu’il y a lieu de le faire. Mais, à en croire les parlementaires qui se sont exprimés sur ce sujet, il ne disposerait pour le faire que d’une compétence liée. En d’autres termes, il suffirait que toutes les conditions expresses posées par les alinéas 3 à 6 de l’article 11 soient remplies, pour que le référendum s’impose à lui. Cette interprétation est sans doute conforme à l’esprit du texte mais cela ne suffit pas à garantir qu’elle triomphera dans la pratique. Certains précédents, comme celui de 1961 concernant la convocation du Parlement en session extraordinaire à la demande de la majorité des membres de l’Assemblée nationale, montrent en effet que le Président peut parfois s’attribuer un pouvoir d’appréciation que la lettre et l’esprit du texte constitutionnel ne semblaient pas lui accorder.
25 Non seulement le recueil des soutiens citoyens est placé sous toutes sortes de contrôle mais son déroulement même contribue à en rendre le résultat aléatoire.
B – UNE INITIATIVE CITOYENNE AUX RÉSULTATS ALÉATOIRES
26 Si on laisse de côté la Constitution de 1793 qui, n’ayant jamais été mise en application, a quelque chose d’un peu mythique et qui ne concernait d’ailleurs que le référendum de veto, jamais encore dans l’histoire constitutionnelle française, pourtant riche et variée, de simples citoyens ne s’étaient vus reconnaître un rôle dans le déclenchement d’un référendum, car de Bonaparte à de Gaulle, l’appel au peuple a toujours été considéré essentiellement comme une prérogative du chef de l’État. En 1793, la « censure du peuple sur les actes de ses représentants », qui était à peu près l’équivalent de ce que nous nommons aujourd’hui « référendum d’initiative populaire » ne pouvait résulter que du vote d’un certain nombre d’assemblées primaires. Mais la répartition du peuple en assemblées primaires, qui était un facteur d’alourdissement des procédures, n’existe plus dans les constitutions modernes et dans les pays qui le pratiquent, le référendum d’initiative populaire ne peut être mis en mouvement que si ses promoteurs parviennent à rassembler un nombre de soutiens individuels suffisant. La plus ou moins grande facilité de son déclenchement dépend en premier lieu du rapport entre le nombre de soutiens exigés et le nombre total des citoyens inscrits sur les listes électorales. Ainsi qu’on l’a déjà indiqué, la plupart des spécialistes de la démocratie directe estiment qu’un pourcentage minimum de 10 % suffit à rendre l’opération extrêmement difficile [7]. Mais l’expérience de certains Länder allemands montre qu’il n’est pas totalement impossible de l’atteindre [8].
27 La nécessité de recueillir le soutien du dixième des électeurs inscrits étant expressément posée par l’article 11 C, la loi organique ne pouvait pas fixer un pourcentage inférieur, même si certains parlementaires ont déposé des amendements à cette fin. Mais le niveau difficulté de la procédure dépend également de trois paramètres dont ne traite pas l’article 11 C : le mode de recueil des soutiens, le délai dont disposent les promoteurs pour les recueillir et la législation financière ou pénale applicable à l’opération.
1 – Le mode de recueil des soutiens
28 Deux modes de recueil étaient a priori envisageables ; par écrit sur des listes mises en circulation par des militants favorables à l’initiative ; par voie électronique à partir d’un poste d’accès à l’internet qui pourrait être public ou privé.
29 Le second paraît plus moderne et n’exige aucun déplacement pour quiconque dispose à son domicile d’un ordinateur dont il sait se servir. De plus, il facilite le travail de l’administration qui, pour déterminer le résultat, n’a pas besoin d’additionner les signatures figurant sur des listes séparées. C’est sans doute ce qui explique qu’il ait été seul retenu dans le projet de loi organique déposé par le Gouvernement.
30 Au cours des débats en Commission et en Assemblée plénière, des députés et des sénateurs déposèrent des amendements prévoyant que les soutiens pourraient être recueillis concurremment par l’une et l’autre voie. Selon eux, il eut été dommage d’exclure la voie écrite car elle facilite les rencontres et les échanges entre les citoyens et les militants favorables à l’initiative, qui peuvent installer des stands dans des lieux très fréquentés, à la sortie d’un supermarché par exemple, et recueillir immédiatement des signatures à l’issue d’une discussion. La voie électronique se prête beaucoup moins bien à ce travail militant puisque les soutiens ne peuvent pas être donnés sous la forme de signatures recueillies sur la voie publique. Si les soutiens ne peuvent être enregistrés que par voie électronique, on peut donc craindre que la campagne soit moins conviviale, c’est-à-dire moins riche en contacts directs entre citoyens et militants, et surtout qu’il soit plus difficile d’atteindre le quorum de dix pour cent exigé par l’article 11 C.
31 Le Sénat s’est montré sensible à ces arguments et, en première lecture, il avait prévu que les soutiens pourraient être recueillis par les deux voies. Mais, à la demande du Gouvernement, le texte finalement adopté par les deux assemblées a rétabli le principe exclusif du vote par la voie électronique [9]. Pour que les citoyens ne disposant pas d’un ordinateur ne soient pas défavorisés, il est prévu que « des points d’accès à un service de communication en ligne permettant aux électeurs d’apporter leur soutien à la proposition de loi […] sont mis à leur disposition au moins dans la commune la plus peuplée de chaque canton ou au niveau d’une circonscription administrative équivalente et dans les consulats ».
2 – La période de recueil des soutiens.
32 Compte tenu du nombre important des soutiens à recueillir, la durée de cette période constitue une donnée importante. Dans le projet déposé par le Gouvernement, elle avait été fixée à trois mois, c’est-à-dire la même durée qu’en Italie pour rassembler les 500 000 signatures exigées pour l’organisation d’un référendum abrogatif. Mais en France, ainsi qu’on l’a déjà noté, les soutiens à recueillir sont environ neuf fois plus nombreux, la population étant du même ordre de grandeur. C’est pourquoi des amendements parlementaires en ont porté la durée à six mois, puis à neuf mois. Afin d’éviter « toute interférence entre la tenue d’élections et l’organisation du recueil des soutiens à une initiative » le projet gouvernemental prévoyait un report de la période de recueil dans le cas où « une élection présidentielle ou des élections législatives générales seraient prévues ou interviendraient dans les six mois suivant la décision du Conseil constitutionnel déclarant la proposition de loi recevable ». Cette période ne pouvait alors commencer avant le premier jour du deuxième mois qui suivait le déroulement de ces élections. Le texte définitivement adopté reproduit mot pour mot ces dispositions sans que personne, semble-t-il, se fût avisé que l’allongement de la période de recueil des soutiens, qui a été portée de trois à neuf mois, aurait dû logiquement se traduire par une modification correspondante des conditions qui justifient ce report. En effet, compte tenu de cet allongement, il suffit par exemple que les élections interviennent huit mois après la déclaration du Conseil constitutionnel pour que l’interférence qu’il s’agissait d’éviter se produise. Pour corriger cet oubli, le Conseil constitutionnel a introduit, dans le considérant 23 de sa décision n° 2013-681 une réserve d’interprétation qui permet de suspendre ou d’interrompre la période de recueil « lorsqu’elle a débuté plus de six mois avant une élection présidentielle ou des élections législatives générales mais qu’elle n’a pas encore atteint son terme lors de la publication du décret de convocation des électeurs… ».
3 – La législation pénale et financière applicable au recueil des soutiens
33 À la différence des votes qui, en France, traditionnellement sont émis sous la forme d’un bulletin papier glissé dans une urne après passage par l’isoloir, les soutiens à une initiative partagée, ainsi qu’on vient de le voir, ne pourront être recueillis que par voie électronique. Cette innovation posait quelques problèmes spécifiques.
34 En premier lieu, les soutiens pouvant être enregistrés à partir de n’importe quel terminal informatique, l’identité des citoyens qui en sont les auteurs ne pourra pas être vérifiée au moment où ils se présenteront au bureau de vote dans lequel ils sont inscrits, comme c’est le cas pour les élections et les référendums. Pour éviter les fraudes, et notamment le double vote, chaque citoyen inscrit sur les listes électorales devra donc être titulaire d’un code secret qu’il utilisera pour s’identifier. C’est pour respecter le délai nécessaire à la mise au point de ce système de codification que le législateur a différé d’environ un an la date à laquelle le référendum d’initiative partagée deviendra opérationnel. [10]
35 En second lieu, l’identification au moyen d’un code secret est moins efficace pour protéger la liberté et le secret du vote que ne l’est le système traditionnel, qui veut que le choix final du bulletin de vote ait lieu dans un isoloir, c’est-à-dire à l’abri de tous les regards. On peut donc craindre que les militants chargés de recueillir les soutiens exercent des pressions sur des citoyens facilement influençables en les entraînant vers un terminal informatique et en offrant de les aider à réaliser l’enregistrement. Si ce danger ne peut pas complètement être évité, du moins le législateur s’est-il efforcé de dissuader les militants trop zélés en prévoyant des peines de prison ou d’amende pour les personnes participant au recueil des soutiens qui tenteraient d’usurper l’identité d’un électeur inscrit ou de l’influencer par des menaces, des violences ou des dons [11].
36 En troisième lieu, sans aller jusqu’à garantir le secret total des noms des citoyens ayant apporté leur soutien à une initiative, le législateur a voulu limiter autant que possible leur divulgation. La loi organique garantit une certaine publicité des soutiens en précisant que toute personne peut en consulter la liste. Mais elle prévoit également que les données collectées dans le cadre des opérations de recueil devront être détruites à l’issue d’un délai de deux mois à compter de la date de publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel déclarant si la proposition a obtenu le soutien d’un dixième des électeurs inscrits. Et il est interdit, sous peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende, de reproduire les données collectées à d’autres fins que celles de vérification et de contrôle [12]. On peut se demander quelle impression produiront ces dispositions sur les citoyens qui seront sollicités de donner leur soutien à une initiative : se sentiront-ils plus libre de le faire en sachant que leur nom ne pourra pas être publié dans la presse et que les données recueillies seront bientôt détruites ? Ou bien ne penseront-ils pas plutôt que si de telles précautions sont prises pour éviter une large divulgation des noms des signataires, c’est parce que l’attribution d’un soutien à une initiative est un acte grave et ne craindront-ils pas alors que, en dépit de ce qui est prévu par la loi, il subsiste quelque part des listes secrètes ?
37 Alors que les candidats aux élections législatives ou présidentielles ont tous droit pour leur campagne à des subventions plus ou moins importantes, le législateur n’a prévu aucune aide financière pour la campagne de recueil des soutiens à une initiative partagée. Mais, curieusement, il impose, aux promoteurs de cette campagne, ce qui est, dans le droit électoral, la contrepartie des aides de l’État, c’est-à-dire l’interdiction du financement par les personnes morales autres que les partis ou formations politiques. Cette interdiction risque de rendre très difficile la tâche des promoteurs de l’initiative s’ils n’ont pas l’appui d’au moins un grand parti politique de l’opposition [13].
38 Le référendum d’initiative présidentielle sera donc bientôt opérationnel et il peut être temps de s’interroger sur son utilité.
II – DES PERSPECTIVES D’APPLICATION ENCORE INCERTAINES
39 Au cours des débats précédant le vote de la loi organique portant application du référendum d’initiative partagée, il a été rarement question de l’usage qui pourrait être fait de cette institution. L’idée qu’elle pourrait avoir une utilité quelconque se heurtait à un scepticisme quasiment général. De fait, il semble que les juristes et les politiques qui sont à l’origine de cette innovation lui attribuaient une valeur essentiellement symbolique et ne souhaitaient pas vraiment qu’elle puisse fonctionner. On a pu parler en ce sens « d’une loi d’affichage » (A). Mais compte tenu de l’intérêt qu’il a suscité dans l’opinion publique, le référendum d’initiative partagée fera tout de même très probablement l’objet de tentatives d’application. Et même si ces tentatives n’aboutissent pas, peut-être marqueront-elles le début d’un processus de réforme qui introduira, dans le système politique français, une dose plus importante de démocratie directe (B).
A – UNE LOI D’AFFICHAGE ?
40 L’idée d’un référendum au moins partiellement d’initiative populaire a été lancée, semble-t-il, par « le Comité consultatif pour la révision de la Constitution » créé en 1992 par le Président François Mitterrand, et présidé par le doyen Georges Vedel. Le rapport de ce Comité, publié le 15 février 1993, contient une proposition 38 intitulée « référendum d’initiative minoritaire ». Le commentaire de cette proposition semble indiquer qu’elle avait suscité, au sein même de la Commission, des débats et des hésitations.
41 « La difficulté consiste à concilier l’initiative citoyenne qui est la raison d’être d’une telle réforme et les nécessaires garanties dont il convient de l’entourer afin d’éviter les excès de toute nature auxquels pourraient conduire le choix de certains thèmes de société et le débat qui s’ensuivrait » [14].
42 Les garanties prévues par la proposition 38 sont au nombre de trois.
43 En premier lieu, il s’agit d’un référendum d’initiative partagée entre les parlementaires et les citoyens. La procédure ne peut être mise en mouvement que par un cinquième des membres du Parlement qui déposent une proposition de loi. Mais pour qu’elle puisse aboutir à un référendum, il faut qu’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales lui apportent leur soutien.
44 En second lieu, le Conseil constitutionnel doit contrôler la conformité à la Constitution du texte proposé avant l’ouverture à la signature des citoyens.
45 Enfin, une fois que toutes les conditions pour le référendum sont réunies, le Parlement peut encore éviter celui-ci en adoptant lui-même la proposition.
46 Il s’agissait d’une procédure difficile à mettre en œuvre puisque, d’une part, l’initiative comportait deux phases distinctes et que, d’autre part, le pourcentage de soutiens citoyens à recueillir était nettement plus élevé que dans la plupart des pays comme la Suisse, l’Italie ou certains États américains de l’ouest où fonctionne le référendum d’initiative populaire. Mais ces obstacles n’étaient pas insurmontables et la procédure s’accordait parfaitement avec l’idée qu’il s’agissait d’une arme aux mains des minorités. En effet, dans la phase finale, la majorité parlementaire ne pouvait éviter le référendum qu’en donnant satisfaction à la minorité, c’est-à-dire en adoptant le texte proposé par celle-ci.
47 Il a fallu attendre quinze ans pour que le référendum d’initiative partagée soit enfin inscrit dans la Constitution, à la suite de la révision du 23 juillet 2008. Mais, dans l’intervalle, la procédure a subi des modifications qui en rendaient l’usage de plus en plus problématique comme si les précautions prises par la Commission Vedel étaient jugées insuffisantes.
48 En mars 1993, François Mitterrand a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale un projet de révision qui, en ce qui concerne la nouvelle procédure du référendum, allait apparemment dans le sens de la simplification puisque la nécessité d’une proposition faite par un cinquième des membres du Parlement disparaissait et que l’initiative était entièrement entre les mains des citoyens. Mais il fallait les signatures d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales dans chaque département ou territoire d’outre-mer. Si l’on veut bien se souvenir qu’il existe cent départements et territoires d’outre-mer, et que la proportion exigée est déjà globalement difficile à atteindre, il est difficile d’échapper à la conclusion que cette condition était pratiquement impossible à remplir.
49 En 2007, la Commission Balladur a rétabli le système de l’initiative partagée tel qu’il se présentait dans le rapport Vedel mais, par ailleurs, il a introduit dans le dispositif une modification qui risque de léser gravement les intérêts des minorités : alors qu’auparavant, dans la dernière phase de la procédure, le Parlement ne pouvait éviter le référendum qu’en adoptant la proposition, il suffit désormais que chaque assemblée l’ait examinée au moins une fois, quel qu’ait été le résultat de cet examen. Force est de constater que cette modification change profondément la donne : d’un point de vue utilitaire, la minorité n’a plus intérêt à mettre en mouvement la procédure de l’initiative partagée car, à supposer qu’elle le fasse, elle s’engagerait au moins moralement à organiser et à soutenir financièrement une campagne de recueil des soutiens qui sera probablement très coûteuse et elle n’obtient aucune assurance en contrepartie. C’est pourquoi, au cours des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, les parlementaires qui se disaient favorables au référendum d’initiative populaire, ne se sont pas faits faute d’exprimer leur déception. Selon eux, il s’agirait d’une « loi d’affichage, en contradiction totale avec l’attente de nos concitoyens », et qui ne donnera probablement lieu à aucune application.
50 Le référendum d’initiative populaire a toujours suscité en France des prises de position extrêmes et contradictoires. Si quelques auteurs, dont Alain Peyrefitte, identifient pratiquement la démocratie avec le pouvoir sans limite des urnes, et en déduisent que l’introduction en France du référendum d’initiative populaire serait l’aboutissement logique d’une longue évolution démocratique commencée il y a un siècle et demi [15], nombreux sont ceux qui, au sein de la classe politique française, n’y voient aucun intérêt spécial du point de vue de la démocratie et le considèrent même comme un risque permanent de démagogie et un danger pour les libertés essentielles. Nul doute par conséquent que, tout au moins en leur for intérieur, certains se réjouiront que la réforme de l’article 11 entreprise en 2008 n’ait accouché en définitive que d’une souris.
51 Mais il y a tout de même vraisemblablement parmi les parlementaires quelques partisans sincères de la démocratie directe et l’on peut penser qu’ils auront recours à cette procédure en pensant que, même s’il paraît peu probable qu’elle aboutisse à un résultat immédiat, elle entretiendra un climat d’intérêt pour la démocratie directe qui, dans le long ou moyen terme, devrait permettre de réaliser des réformes importantes.
B – LE DÉBUT D’UN PROCESSUS DE RÉFORME ?
52 À plusieurs reprises sous la V° République, certains milieux de l’opposition ont réclamé un référendum pour permettre aux citoyens de repousser une réforme que le gouvernement entendait réaliser par la voie parlementaire Mais les circonstances s’y prêtaient mal, soit comme en 1984 parce que l’objet de la réforme ne faisait pas partie des questions susceptibles d’être soumises à un référendum, soit comme en 2010 parce que la procédure envisagée n’était pas encore applicable.
53 À partir de décembre 2014, le référendum d’initiative partagée sera en principe opérationnel. Si le Gouvernement envisageait de transformer profondément le statut d’un service public, comme il l’a fait en 2010 pour La Poste, il serait donc théoriquement possible pour 183 parlementaires de déposer une proposition de loi pour conforter le statut actuel de cette entreprise car il s’agirait bien d’une réforme relative à une politique économique ou sociale de la Nation ainsi qu’aux services publics qui y concourent.
54 Mais cette stratégie serait-elle efficace ? On peut sérieusement en douter car les auteurs de la proposition s’engagent dans un véritable parcours du combattant. En premier lieu, il leur faudra être très prudents dans la rédaction de la proposition car si elle renforce tant soit peu les garanties des personnels en place, elle risque d’être jugée contraire à l’article 40 C. En second lieu, même si le Conseil constitutionnel constate que toutes les conditions sont réunies, et si le recueil des soutiens citoyens atteint la barre fatidique de 10 % des électeurs inscrits, le Gouvernement choisira probablement d’éviter le référendum en inscrivant la proposition à l’ordre du jour de chacune des deux assemblées ; de sorte que les moyens financiers et le travail militant qui ont été investis dans la campagne de recueil des soutiens seront irrémédiablement perdus.
55 En fait, l’initiative partagée ne peut être considérée comme rentable que si l’on élargit la perspective en admettant que l’objectif n’est pas tellement le succès d’un référendum déterminé mais la sensibilisation de l’opinion publique aux problèmes de la démocratie directe. À cet égard, si le Gouvernement parvient à éviter le référendum en inscrivant une fois la proposition à l’ordre du jour de chacune des deux assemblées, l’opinion aura le sentiment d’un tour de passe-passe passe et tôt ou tard une commission de révision de la Constitution fera des propositions pour que la réglementation du référendum d’initiative partagée devienne plus équitable.
56 Trois mesures nous paraissent particulièrement souhaitables pour rendre cette procédure véritablement démocratique.
57 En premier lieu, la clause permettant au Parlement de suspendre la procédure du référendum devrait redevenir ce qu’elle était dans la proposition 38 du rapport Vedel : c’est seulement en adoptant lui-même la proposition que le Parlement doit pouvoir éviter le référendum.
58 En second lieu, l’application de l’article 40 pourrait être un peu plus encadrée ; on sait que dans la procédure législative sa violation ne peut être sanctionnée que si le moyen a été soulevé au cours du débat. La responsabilité de soulever ce moyen pourrait être confiée au président de l’Assemblée qui a été chargé de transmettre cette proposition au Conseil constitutionnel.
59 Il a fallu deux révisions de la Constitution à plus de trente ans d’intervalle pour que la France se dote d’un système de contentieux constitutionnel digne de ce nom. Le référendum d’initiative partagée connaîtra peut-être un sort analogue. Les idées sur ce sujet semblent en voie d’évolution. Alors qu’en 2008, les principaux groupes politiques s’étaient tous ralliés au système de l’initiative partagée, cinq ans plus tard, en 2013, au cours des débats auxquels a donné lieu le projet de loi organique du Gouvernement Fillon, la plupart des intervenants de gauche n’ont pas caché qu’ils auraient préféré un système plus proche de la logique du référendum d’initiative populaire. Les propos qu’ils ont tenus au cours de ce débat les engagent et il serait bien surprenant qu’on n’en retrouve pas un jour l’écho dans des propositions de révision de la Constitution.
60 Si cette réforme se réalise, il sera certes difficile d’affirmer qu’un pas important a été franchi dans la voie de la démocratie puisque, ainsi qu’on l’a déjà signalé, les opinions sur les vertus du référendum d’initiative populaire sont en France très partagées. Mais l’on pourra tout de même penser que, compte tenu de la manière dont il est encadré (partage de l’initiative, contrôle préalable du Conseil constitutionnel) les constituants français ont trouvé la moins mauvaise manière d’en limiter les risques.
Notes
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[1]
Sur le sens général de cette réforme, v. Francis Hamon, « La nouvelle procédure de l’article 11 : un vrai faux référendum d’initiative populaire », in La Révision de 2008 : une nouvelle Constitution ?, LGDJ, 2011, pp. 43-56.
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[2]
Voir Ass. nat., XIIIe législature, document n° 3072.
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[3]
Sur cette règle, voir CC, décis. n° 96-386 DC, 30 déc. 1996, Cons. 4.
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[4]
Telle était l’opinion qu’a développée devant l’Assemblée nationale le juriste Roger-Gérard Schwartzenberg.
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[5]
Art. 9 du projet de loi organique déposé par le Gouvernement Fillon en décembre 2012.
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[6]
Pour faciliter l’examen de la proposition par les deux assemblées, le Parlement a également introduit une dérogation à la procédure législative normale : si la première assemblée saisie rejette la proposition, son président doit tout de suite en aviser le président de l’autre assemblée et lui communiquer le texte initial de la proposition.
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[7]
F. Hamon, « La nouvelle procédure de l’article 11 : un vrai référendum d’initiative populaire », op. cit., pp. 54-55.
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[8]
S. Schoot, « Le référendum dans les Lander de la République fédérale allemande », in Théorie et pratiques du référendum, Société de législation comparée, Collection colloques, Vol. 17, pp. 53-69, 2012.
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[9]
La loi prévoit cependant que « tout électeur peut, à sa demande, faire enregistrer électroniquement par un agent de la commune ou du consulat son soutien sur papier ». Mais dans ce cas, l’écrit ne constitue pas un mode de recueil autonome. Il n’est que l’accessoire d’un enregistrement par la voie électronique, à l’usage des citoyens particulièrement rebelles à l’informatique.
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[10]
Le dernier article de la loi organique du 6 décembre 2013 prévoit qu’elle n’entrera en vigueur que le premier jour du treizième mois suivant sa publication.
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[11]
Voir les articles L 5558-38 à L 558-43 du Code pénal.
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[12]
Art L558-42 nouveau du Code pénal.
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[13]
Des dons pourront cependant leur être consentis par des acteurs de la société civile mais uniquement par des personnes physiques et dans la limite de 4 600 € par personne.
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[14]
Propositions pour une révision de la Constitution, La Documentation française, 1993, p. 79.
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[15]
A. Peyreffitte, La France en désarroi, éd. de Fallois, 1992, pp. 77-80. Selon Peyreffite, les quatre étapes précédentes se situeraient en 1848 (suffrage universel masculin), 1944 (suffrage universel féminin), 1958 (référendum législatif) et 1962 (élection directe du Président).