Couverture de RFDC_091

Article de revue

Chronique constitutionnelle italienne

Pages 663 à 668

Notes

  • [1]
    Article 59-2 C. : « Le Président de la République peut nommer sénateurs à vie cinq citoyens qui ont illustré la Patrie par leurs mérites exceptionnels dans le domaine social, scientifique, artistique et littéraire. » Traduction de M. Baudrez.
  • [2]
    Cf. la pathétique situation française s’agissant de la composition du Conseil constitutionnel, et de l’exclusion des universitaires juristes.
  • [3]
    Ce dernier est professeur de droit constitutionnel à l’Université de Genova.
  • [4]
    Article 75 : « Il y a référendum populaire pour décider l’abrogation, totale ou partielle, d’une loi ou d’un acte ayant valeur de loi, lorsque cinq cent mille électeurs ou cinq conseils régionaux le demandent. Le référendum n’est pas admis pour les lois fiscales et budgétaires, d’amnistie et de remise de peine, d’autorisation de ratifier des traités internationaux. Tous les citoyens électeurs de la Chambre des députés ont le droit de participer au référendum. La proposition soumise au référendum est adoptée si la majorité des électeurs inscrits a pris part au vote et si la majorité des suffrages valablement exprimés a été atteinte. » Traduction de M. Baudrez.

I – LA DÉMISSION DU GOUVERNEMENT BERLUSCONI, UNE (ÉTRANGE) NOVATION CONSTITUTIONNELLE

1 Ainsi la fin de l’année 2011 a-t-elle vu la fin de « l’ère Berlusconi », commencée en un autre siècle (1994), lorsque s’effondrait ce que l’on appelle désormais la Ire République (partitocratique). Peu avare de spécificités constitutionnelles, l’Italie innove de nouveau avec ce que le professeur M. Ainis a appelé la « pré-démission » du président du Conseil. Rappel des faits. Ayant constaté l’absence d’une majorité homogène à la Chambre des députés – mais sans avoir été mis en défiance ou censuré – M. Berlusconi annonce le 8 novembre 2011 qu’il « va » démissionner. S’ouvre ainsi une situation constitutionnelle inédite : l’Italie est gouvernée par un Président du Conseil disposant de la plénitude de ses pouvoirs constitutionnels mais « mentalement » démissionnaire. Non juridiquement contraint de se retirer, le président du Conseil lie sa démission future au vote, par les Chambres, d’une legge di Stabilità censée sortir le pays de la crise financière qui l’accable. À lire M. Berlusconi, la non-adoption du texte pourrait le conduire à revenir sur sa « pré-démission »… Cette dernière formule mérite d’être désormais insérée dans les lexiques de droit constitutionnel. Elle vient s’accoler à d’autres expressions connues : « gouvernement de minorité » (Zoli, 1957) « gouvernement lampo » (« éclair », Andreotti, 1972, durée de vie 9 jours), « gouvernement à durée déterminée » (Craxi, 1986, pacte de la « Staffetta » (relais) conclu avec la DC de De Mita), « gouvernement balnéaire » (Leone, « gouvernements estivaux » de 1963 et 1968 expédiant les affaires courantes), « gouvernement électoral » (Fanfani, 1987, organisation d’élections), « gouvernement de la non-défiance » (Andreotti, 1976, alliance externe avec le Parti communiste).

2 Le 9 novembre, le chef de l’État nomme M. Monti (professeur d’économie et président de l’école de commerce Bocconi) sénateur à vie ; il ouvre de fait la voie à la désignation d’un « gouvernement technique ». Le 12 novembre, après adoption par le Parlement de la legge di Stabilità, M. Berlusconi remet sa démission au chef de l’État. Ce dernier demande aussitôt à M. Monti de procéder aux « consultations nécessaires » et le désigne le 13 novembre président du Conseil. S’ouvre pour l’Italie l’ère d’un nouveau « gouvernement technique », composé de personnalités non engagées dans les luttes partisanes et réputées pour leurs compétences professionnelles. Cependant, l’expression « gouvernement technique » semble impropre et dangereuse. Impropre : un « gouvernement technique » relève de l’oxymore car tout gouvernement est par essence politique. Il lui revient inévitablement de déterminer les valeurs de la polis, i.e. trancher entre des intérêts divergents s’agissant de la (re)distribution des ressources publiques ; la neutralité technicienne n’existe pas. Les réformes du Gouvernement Monti visant le droit du travail et la procédure de licenciement (modification du célèbre article 18 de la loi n° 300 de 1970) représentent un exemple topique. Que l’on condamne ou encense les réformes économiques libérales retenues, on ne peut guère arguer de « neutralité technique », sauf à voir dans l’ordre du marché un ordre naturel et auto-régulé. Dans ce dernier cas, le droit – même constitutionnel – serait transformé en discipline ancillaire, au service d’une science économique prétendant revêtir les habits d’une science exacte (cf. par ex. les écrits de Natalino Irti). Dangereuse : magnifier la compétence technique – deus ex machina épuré de tout esprit partisan – conduit à mépriser le politique et à dépolitiser le droit constitutionnel, droit politique s’il en est.

II – LE GOUVERNEMENT MONTI, UN CABINET DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

3 Le rôle important du chef de l’État n’a pas manqué d’être souligné dans la naissance du Gouvernement Monti, au point de voir renaître la formule « gouvernement du Président ». Celle-ci connaît son apogée avec la crise du régime parlementaire dans les années 1990 : en raison de l’implosion du système partisan, le chef de l’État joue alors une évidente fonction de suppléance. En 2011, il assume encore cette mission si particulière que Carlo Esposito dénommait jadis « Reggitore dello Stato ». M. Napolitano s’est immédiatement, par son activisme, mué en garant de la stabilité institutionnelle. En désignant M. Monti sénateur à vie, le chef de l’État le transforme en parlementaire capable d’assumer la charge de chef du gouvernement ; le néo-sénateur est d’ailleurs vite perçu comme un président du conseil in pectore. En utilisant l’une de ses prérogatives constitutionnelles [1] qui, de coutume, possède une dimension symbolique – nomination d’un sénateur à vie pour remercier un grand serviteur de la Patrie – M. Napolitano indique que le temps des « combinazioni » partisanes est révolu : le Gouvernement Monti est issu de la volonté présidentielle, en charge des intérêts vitaux de la Nation. De la dimension ductile de la fonction de chef de l’État en Italie : la désagrégation du parlementarisme majoritaire va de pair avec un renforcement de la puissance présidentielle. Le caractère « élastique » de celle-ci n’a pas manqué d’être souvent souligné en période de crise. Certes, il est l’incarnation de l’unité nationale ; certes, il détient le pouvoir de dissolution (qu’il a refusé en l’espèce d’exercer) ; certes, il désigne le chef du gouvernement. Reste que ces attributions sont en principe formelles (et soumises à contreseing) dans le cadre d’un régime parlementaire centré sur la formule chère à Duguit : pouvoir et responsabilité vont de concert. Or, le chef de l’État, par définition irresponsable, « substantialise » ses attributions en fonction du contexte politique, par lui analysé. Il ne s’agit pas de critiquer M. Napolitano, personnalité éminemment respectable, dont l’action est peut être salvatrice. Il s’agit seulement de souligner un danger : la dilution du droit constitutionnel dans le fait politique au nom de l’urgence, de la crise, de l’exception. Si l’essence du droit constitutionnel écrit est de poser des barrières au volontarisme politique, on ne peut accepter la thèse – par trop facile – d’une telle ductilité des attributions présidentielles. La République parlementaire n’a pas besoin – en principe – d’un démiurge constitutionnel… sauf peut-être pour clore – enfin – le « ventennio Berlusconi ».

III – LE GOUVERNEMENT MONTI ET LA « RÉPUBLIQUE DES PROFESSEURS »

4 L’étude d’un droit étranger n’a pas pour vocation première à engendrer nostalgie du parlementarisme d’antan (au hasard la IIIe République française). Cependant, comment ne pas constater que la rotation des élites est, en Italie (pays de Mosca et Pareto), plus importante qu’en France ? Dans la Botte, existe un certain pluralisme s’agissant de la sélection du personnel politique, ce qui permet à nombre d’universitaires d’accéder à des fonctions ministérielles [2]. Dans le nouveau gouvernement, citons – outre M. Monti – les noms de P. Severino (justice), F. Profumo (instruction), L. Ornaghi (biens culturels), E. Fornero (travail, politiques sociales et parité), P. Giarda (rapports avec le Parlement), A. Riccardi (intégration), R. Balduzzi [3] (santé). En scrutant le passé italien, on constate une certaine propension à se tourner vers un « professore » pour assumer la fonction de chef de gouvernement. Luzzatti assume cette charge en 1910, après avoir enseigné le droit constitutionnel à Padoue. Orlando, le père du droit constitutionnel italien (avec son tournant-svolta méthodologique à la fin du XIXe siècle pour juridiciser le droit constitutionnel), est le président du Conseil signant le traité de Versailles, puis démissionnant après le refus des États-Unis de rendre Fiume à l’Italie ; lui succède Nitti, professeur de finances publiques. Pella (1953), Fanfani (1954, 1959, 1960, 1982, 1987), Moro (1963), Spadolini (1981), Prodi (1996, 2006) accèdent également au palais Chigi. Sous l’empire du régime républicain, méritent attention particulière trois grands juristes : Amato, Segni et Leone. Constitutionnaliste réputé, Amato devient Président du Conseil en 1992 puis 2000. Segni (1955, 1959) est professeur de droit processuel civil ; Leone (1963, 1968) est l’un des plus grands pénalistes de son temps. Ces deux derniers accédèrent à la magistrature suprême, la présidence de la République. La France, elle, préféra se donner jadis un chef d’État normalien, auteur d’une anthologie de la poésie française, et citant Éluard pour dissimuler sa tragique émotion.

IV – COUR CONSTITUTIONNELLE (DÉCISION N° 13 DE 2012) : INADMISSIBILITÉ DES RÉFÉRENDUMS VISANT LA LOI ÉLECTORALE N° 270 DE 2005

5 Par la décision n° 13 de 2012, la Cour constitutionnelle déclare non admissibles les deux questions référendaires visant à abroger partiellement ou in toto la loi électorale (proportionnelle) n° 270 de 2005.

6 Les loi électorales, bien qu’elles ne soient pas visées à l’article 75 C. (référendum abrogatif [4]), bénéficient, en vertu d’une construction jurisprudentielle prétorienne, d’un statut particulier. Elles sont dites « constitutionnellement nécessaires » car « indispensables pour assurer le fonctionnement et la continuité des organes constitutionnels » (voir aussi CC, n° 15 et n° 16 de 2008). Les questions référendaires visant une loi électorale doivent tout d’abord être « homogènes » et posséder une « matrice rationnellement unitaire » ; surtout, il doit subsister, en cas d’abrogation, une « cohérente réglementation résiduelle, immédiatement applicable, aux fins de garantir, même dans l’hypothèse d’une inertie législative, la continuité opérationnelle de l’organe » (voir aussi CC, n° 32 de 1993). La spécificité de ces lois s’entrevoit encore dans la mesure où une question référendaire ne peut « avoir pour objet une loi électorale entière » mais doit obligatoirement porter sur certaines dispositions. Après ablation de ces dernières, demeure ainsi en vigueur une partie de la loi, de nature « à garantir le renouvellement, à tout moment, de l’organe constitutionnel représentatif ». Sur un tel fondement, la question n° 1 est déclarée non admissible : l’abrogation totale de la loi n° 270 de 2005 se traduirait par « l’absence d’une loi constitutionnellement nécessaire ». Or, l’éventualité d’une paralysie – « même théorique » (voir aussi CC, n° 29 de 1987) – des organes constitutionnels est inacceptable. Il existe même une réserve législative au profit du Parlement : seul ce dernier peut abroger in toto une loi électorale. Prévaut, dans le raisonnement de la Cour, une logique de stabilité institutionnelle. Ce faisant, ses préoccupations rejoignent celles des pères constituants de 1947, tiraillés entre l’obligée consécration démocratique du référendum et l’ontologique méfiance envers ce mécanisme jugé peu compatible avec le régime représentatif. Il est loisible soit d’encenser une telle décision – au nom du principe de continuité des institutions représentatives – soit de la critiquer vertement tant elle bride l’initiative populaire, sur le fondement, non de l’article 75 C. stricto sensu, mais de sa lecture extensive par le juge. Dilemme : stabilité institutionnelle versus novation populaire ?

7 Cela nous amène à un autre point, central lui aussi, et fort commenté en doctrine : l’abrogation de la présente législation électorale emporte-t-elle « reviviscenza » (renaissance) de la législation électorale antérieure ? Telle est la finalité des questions référendaires : redonner vie à la législation de 1993 (dite « Mattarellum » : 75 % majoritaire, 25 % proportionnelle). La Cour ne fait pas justice aux prétentions des promoteurs des référendums : la thèse de la « reviviscenza » est rejetée car « elle se fonde sur une vision « stratifiée » de l’ordre juridique, au sein duquel les normes […] bien qu’abrogées, seraient […] toujours susceptibles d’être de nouveau en vigueur ». Dans le cas présent, la loi électorale de 1993 a « définitivement épuisé ses effets juridiques », a été expulsée de l’ordonnancement (voir aussi CC, n° 28 de 2011) ; bref, point de Lazare référendaire, Rome n’est pas Béthanie. C’est au nom de la sécurité juridique, « principe […] essentiel pour le système des sources » et « d’importance fondamentale pour le fonctionnement de l’État démocratique » que la Cour s’oppose à la thèse de la « reviviscenza » (voir aussi CC, n° 422 de 1995). Si celle-ci était acceptée, seraient de nouveau insérées, au sein de l’ordonnancement juridique, des normes précédemment abrogées avec « des conséquences imprévisibles pour le législateur […] et pour les autorités appelées à interpréter et à appliquer de telles normes ».

8 Derrière la dimension technique du propos, est abordé ici un thème classique du droit constitutionnel italien : la dimension manipulative du référendum législatif abrogatif. La Cour, sur ce point, ne se défausse pas dans un premier temps : « Il est vrai que les référendums électoraux sont “intrinsèquement et inévitablement manipulatifs” », le texte subsistant étant par essence différent de celui objet du référendum (voir aussi CC, n° 15 et n° 16 de 1998). Pour autant, la Cour cède à une traditionnelle facilité : le référendum de l’article 75 C. serait « exclusivement abrogatif, « acte libre et souverain de législation populaire négative » (CC, n° 29 de 1987), et ne pourrait pas « directement construire » une (nouvelle ou vieille) réglementation » (CC, n° 33 et n° 34 de 2000). Voici donc le retour de cette antique lune constitutionnelle, la césure radicale entre référendum négatif et référendum positif. On constate combien la Cour, ce faisant, se contredit en l’espace de quelques lignes : le référendum abrogatif est par essence manipulatif… tout en demeurant négatif ! Or, nombre de manipulations référendaires ont justement pour caractéristique d’être positives : l’abrogation de normes ciblées conduit à la recomposition positive d’une nouvelle législation. Mais il est sans doute impossible pour la Cour de réfléchir autrement : elle risquerait d’être accusée de rendre des décisions partisanes et de prêter le flanc à l’antienne du gouvernement des juges. Dans notre espèce, parmi les divers griefs frappant la question n° 1, la Cour décèle sa nature positive ; elle est donc déclarée non admissible. Elle partage, avec la question n° 2 (abrogation partielle et non in toto de la loi de 2005), une autre tare juridique : le manque de clarté. Les votants ne seraient pas suffisamment éclairés sur les conséquences de l’abrogation législative ; la conscience citoyenne ne trouverait pas à s’exprimer de manière satisfaisante en raison de la formulation même du texte.

9 Alors que s’affrontent depuis 20 ans partisans du scrutin majoritaire et de la représentation proportionnelle (système bipolaire stable versus pluralisme partisan éclaté), l’Italie demeure à la croisée des chemins en matière électorale. À défaut de solution référendaire, il revient au Parlement d’intervenir (dans les décisions n° 15 et n° 16 de 2008, la Cour avait invité ce dernier à légiférer prestement). Cependant, si un consensus prévaut dans les assemblées pour faire disparaître la loi de 2005, les partis politiques ne s’entendent pas sur la réforme à adopter. Les propositions se succèdent (les « modèles » espagnol et allemand étant les plus souvent cités), sans pour autant qu’un modus vivendi se dégage en raison des intérêts (divergents) dont chacun est porteur.

Notes

  • [1]
    Article 59-2 C. : « Le Président de la République peut nommer sénateurs à vie cinq citoyens qui ont illustré la Patrie par leurs mérites exceptionnels dans le domaine social, scientifique, artistique et littéraire. » Traduction de M. Baudrez.
  • [2]
    Cf. la pathétique situation française s’agissant de la composition du Conseil constitutionnel, et de l’exclusion des universitaires juristes.
  • [3]
    Ce dernier est professeur de droit constitutionnel à l’Université de Genova.
  • [4]
    Article 75 : « Il y a référendum populaire pour décider l’abrogation, totale ou partielle, d’une loi ou d’un acte ayant valeur de loi, lorsque cinq cent mille électeurs ou cinq conseils régionaux le demandent. Le référendum n’est pas admis pour les lois fiscales et budgétaires, d’amnistie et de remise de peine, d’autorisation de ratifier des traités internationaux. Tous les citoyens électeurs de la Chambre des députés ont le droit de participer au référendum. La proposition soumise au référendum est adoptée si la majorité des électeurs inscrits a pris part au vote et si la majorité des suffrages valablement exprimés a été atteinte. » Traduction de M. Baudrez.
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