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Article de revue

La légitimité du contrôle de constitutionnalité : problèmes anciens c/développements récents

Pages 227 à 246

Notes

  • (*)
    Cet article est tiré d’une intervention prononcée lors de la Table ronde de l’Association internationale de Droit constitutionnel, qui s’est tenue à Yokohama en novembre 2007. Traduit de l’anglais par Isabelle Besson, ingénieur de recherches et Idris Fassassi, allocataire de recherches-moniteur, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III - GERJC - ILF CNRS UMR 6201.
  • [1]
    W. Sadurski, Rights Before Courts, Dordrecht, 2005, p. 27 (citant aussi R. A Dahl, « The broader the scope of rights and interests subject to final decision by the quasi guardians, the narrower must be the scope of the democratic process »).
  • [2]
    Voir M. Verdussen, Les douze juges. La légitimité de la Cour constitutionnelle, Labor, Bruxelles, 2004, p.95.
  • [3]
    De tels dangers existent, en particulier, durant les premières phases de la transition démocratique. Beaucoup de cours constitutionnelles en Europe centrale et orientale ont ainsi fait l’objet de critiques. Ce n’est que dans des cas exceptionnels que ces attaques ont conduit à la suppression du contrôle de constitutionnalité (les événements de 1993 en Russie étant l’un des exemples les plus spectaculaires. Il convient toutefois de rappeler qu’à partir de 1995, la Cour constitutionnelle russe put de nouveau exercer ses fonctions).
  • [4]
    Comme le souligne Bruce Ackermann, « The question is whether it is prudent to make use of power that will lead to political catastrophe. Surely, it is well within the court’s capacity to construe its statutory jurisdiction narrowly », in The Future of the Liberal Revolution, New Haven, 1992, p. 109.
  • [5]
    A. Stone Sweet, « The Juridical Coup d’État and the Problem of Authority », German Law Journal, vol. 8, n° 10,2007, p. 916-928. Voir également les commentaires de N. Walker, W. Sadurski et G. Palombella, ibidem.
  • [6]
    Voir M. Verdussen (dir.), La justice constitutionnelle en Europe centrale, Bruylant, Bruxelles-Paris, 1997,257 p.; M. Granat, Sadowa kontrola konstytucyjnosci prawa w panswach Europy Srodkowej i Wschodniej (Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois dans les pays d’Europe centrale et orientale), Varsovie, 2003; W. Sadurski, op. cit., en particulier les chapitres 1 et 3; O. Luchterhandt, Ch. Starck, A. Weber (dir), Verfassungsgerichtsbarkeit in Mit-tel- und Osteuropa, Nomos, Baden-Baden, 2007,745 p.
  • [7]
    Les juges, en particulier les juges à la Cour suprême et à la Cour suprême administrative, sont des acteurs importants du débat, et leur soutien apparaît un préalable nécessaire pour renforcer le pouvoir de la Cour constitutionnelle.
  • [8]
    À la différence des Cours constitutionnelles qui n’existaient pas sous le régime communiste, l’expérience historique des autres Cours (en particulier les Cours suprêmes) limitait leur autorité morale à entrer immédiatement dans le processus de transformation démocratique. En outre, les nouvelles Cours constitutionnelles étaient le plus souvent composées de professeurs de droit, moins compromis et plus ouverts aux idées occidentales que les juges de la Cour suprême (voir H. Schwartz, The Struggle for Constitutional Justice in Post-Communist Europe, University of Chicago Press, Chicago-London, 2000, p. 241.
  • [9]
    En Pologne, entre 1989 et 1997, des dispositions constitutionnelles étaient contenues dans différents instruments normatifs : les « anciennes » dispositions de la Constitution de 1952, les amendements constitutionnels de 1989 et 1990, et la « petite Constitution » de 1992. La première Constitution « complète » fut adoptée en 1997. En Hongrie, la Constitution de 1949 est toujours en vigueur, même si elle a été amendée à maintes reprises depuis 1989, et qu’il ne reste pas grand-chose du texte original.
  • [10]
    Il y a de cela dix ans, Hermann Schwartz s’interrogeait : « L’activisme judiciaire se prolongera-t-il ? Est-ce souhaitable ? […] Dans certaines matières, l’activité [des Cours constitutionnelles] diminuera clairement… En clair, l’enjeu pour ces pays n’est pas de savoir si l’activisme judiciaire continuera mais plutôt de savoir comment le rendre le plus utile possible », in Hermann Schwartz, op. cit., p. 242.
  • [11]
    C’est pourquoi, selon moi, la légitimité des Cours constitutionnelles résulte plutôt de leur indépendance que de leurs liens avec le pouvoir législatif. Je ne suis pas disposé à accepter l’argument selon lequel les Cours, en raison de leurs pouvoirs, du mode de nomination de leurs juges, et du mandat limité de ceux-ci, peuvent être perçues comme des « chambres de réflexion » indirectement élues (voir W. Sadurski, op. cit., p. 37-38). Il est vrai que les nominations judiciaires ne sont pas dénuées de toutes considérations politiques. Toutefois, tant que les Parlements s’abstiendront de nommer des hommes politiques en activité à la Cour, celle-ci peut espérer agir en tant qu’organe judiciaire. Bien sûr, il y a toujours le risque de « Gleichschaltung » de la Cour par la majorité gouvernante, mais la Cour ne serait alors pas la seule victime, car la démocratie dans son ensemble serait atteinte.
  • [12]
    W. Sadurski, op. cit., p. 35.
  • [13]
    Il convient de mentionner le problème posé par les lois de « lustration », que la plupart des Cours constitutionnelles de la région ont eu à connaître. Voir H. Schwartz, op. cit., p. 234-235; L. Garlicki, « Politics and Political Independence of the Judiciary », in Judicial Integrity, A. Sajo, Leiden-Boston, 2004, p. 137-139; W. Sadurski, op. cit., p. 223 et s.; voir également l’arrêt récent rendu par la Cour constitutionnelle polonaise, le 11 mai 2007 (K 2/97).
  • [14]
    Voir la controverse hongroise sur les mesures gouvernementales de stabilisation économique en 1995. G. Halmai, « The Hungarian Approach to Constitutional Review », in Constitutional Justice - East and West, W. Sadurski (dir.), Kluwer, 2002, p. 198-199. Voir également les décisions constitutionnelles sur la restriction de l’avortement (voir W. Sadurski, op. cit., p. 128-135). Par ailleurs, dans plusieurs États (Hongrie, Lituanie, Ukraine), les Cours constitutionnelles ont pris les devants en bannissant la peine de mort.
  • [15]
    Il convient de rappeler que, dans chacun des trois processus de transition démocratique réussis après la Seconde Guerre mondiale, i.e. en Allemagne, en Italie et au Japon, le contrôle de constitutionnalité a joué un rôle très différent dans la réalité politico-juridique.
  • [16]
    Néanmoins, l’exemple de certains pays (Espagne, Portugal dans les années 1980, l’Afrique du Sud et le Chili dans les années 1990) atteste du rôle joué par la justice constitutionnelle dans la réussite des processus de transition.
  • [17]
    S. Gardbaum, « The New Commonwealth Model of Constitutionalism », American Journal of Comparative Law, vol. 49, n° 4,2001, p. 709.
  • [18]
    Font partie des droits indérogeables les « droits démocratiques » (section 3-5 de la Charte en particulier les droits liés au vote), ceux relatifs à « la liberté de circulation » (section 6), et les « droits liés à la langue » (sections 16-23).
  • [19]
    Comme l’ont souligné des auteurs autorisés, « la clause de dérogation était et demeure une disposition controversée de la Charte » (Canadian Constitutional Law, Toronto 1997, p. 646).
  • [20]
    S. Gardbaum, op. cit., p. 726.
  • [21]
    P. W. Hogg, A. A. Bushnell Thornton, W. K. Wright, « Charter Dialogue Revisited », Osgoode Hall Law Journal, vol. 45, n° 1,2007, p. 3- 4. Pour une présentation plus détaillée, voir : P. W. Hogg, A. A. Bushnell, « The Charter Dialogue between Courts and Legislatures », Osgoode Hall Law Journal, vol. 35, n° 1,1997, p. 82 et s.
  • [22]
    P. W. Hogg, A. A. Bushnell Thornton, and W. K. Wright, « Charter Dialogue Revisited… », op. cit., p. 51. Les auteurs font référence à la décision Vriend v. Alberta (1998), dans laquelle la Cour suprême affirma que l’omission des critères relatifs à l’orientation sexuelle de la loi était en contradiction avec la section 15 de la Charte. « Cette décision provoqua un vif débat politique en Alberta sur l’utilisation de la [clause de dérogation] et au final, le gouvernement d’Alberta décida de ne pas utiliser la section 33, et de ne pas modifier les termes que la Cour avait ajoutés à la loi » (ibidem, p. 9).
  • [23]
    Ibidem, p. 14-18.
  • [24]
    S. Gardbaum, op. cit., p. 728.
  • [25]
    Ibidem, p. 730.
  • [26]
    Voir S. Glazebrook, « The New Zealand Bill of Rights Act 1990 – Its operation and effectiveness », communication présentée lors d’un congrès (South Australian State Legal Convention), qui s’est tenu à partir du 22 juillet 2004 – voir wwww. courtsofnz. govt. nz/ from/ documents/Speech22-07-04.
  • [27]
    Dans la décision Moonen v. Film and Literature Board of Review (2000, par. 17-20), la Cour d’appel, sous la plume du juge Tipping, identifia les étapes à suivre « lorsqu’il est dit que les dispositions d’une autre loi abrogent ou restreignent les droits et libertés garantis par la Charte… La première consiste à recenser les différentes interprétations des termes de l’autre loi qui seraient ambigus… S’ils sont susceptibles d’être interprétés de plusieurs manières, la deuxième étape consiste à identifier l’interprétation au terme de laquelle le droit ou la liberté serait le moins restreint. Une fois l’interprétation retenue, la troisième étape consiste à identifier la mesure dans laquelle celle-ci affecte le droit en question… La quatrième étape consiste à déterminer si une telle restriction se trouve justifiée dans une société libre et démocratique… Si les restrictions ne le sont pas, alors il y a non-conformité avec la Charte ; mais, en vertu de la section 4, la disposition litigieuse reste toutefois en vigueur et doit être appliquée. La cinquième et dernière étape consiste pour la Cour à déterminer si la restriction est justifiée… Si elle ne l’est pas, elle déclare alors qu’il y a non-conformité avec la section 5 de la Charte, tout en étant obligée d’appliquer cette restriction en vertu de la section 4 ».
  • [28]
    C. Oven and R. White, Jacobs and White, The European Convention on Human Rights, Oxford, 2005, p. 37.
  • [29]
    « En termes de pouvoir et de culture judiciaire, le devoir d’interpréter la législation primaire en accord avec les droits de la Convention sera sûrement aussi important que le pouvoir de déclarer l’incompatibilité » (S. Gardbaum, op. cit., p. 738); « La réticence marquée mais prévisible des cours à établir des déclarations d’incompatibilité fait de l’obligation d’interprétation conforme prévue par la section 3 un élément central dans la protection des droits de la Convention contre les intrusions législatives » (D. Bonner, H. Fenwick, S. Harris-Short : « Judicial Approaches to the Human Rights Act », International and Comparative Law Quarterly, n° 3,2003, p. 554).
  • [30]
    C’est pourquoi la Cour européenne n’est pas prête à reconnaître que les déclarations d’incompatibilité constituent un recours au sens de l’article 35 de la Convention qui pose la règle de l’épuisement des voies de recours (voir l’arrêt du 29 avril 2008, Burden and Burden v. the U. K. [GCh], par. 40-44).
  • [31]
    S. Gardbaum, op. cit., p. 739.
  • [32]
    Review of the implementation of the Human Rights Act, Department of Constitutional Affairs, July 2006, p. 17. La déclaration la plus spectaculaire concernait la détention d’étrangers en vertu du Anti-terrorism, Crime and Security Act de 2001 (A and others v. Secretary of State for the Home Department, arrêt du 16 décembre 2004 (2004, UKHL 56)). La déclaration d’incompatibilité fut suivie par le législateur : les dispositions en question furent abrogée par le Prevention of Terrorism Act de 2005, qui institua un nouveau régime de contrôle des détentions.
  • [33]
    P. W. Hogg, A. A. Bushnell, W. K. Wright, op. cit., p. 29-30.
  • [34]
    Il convient de citer une récente proposition israélienne en vertu de laquelle la Cour suprême pourrait déclarer une loi nulle en raison de son inconstitutionnalité. La décision serait prise par un panel élargi de neuf juges, à la majorité des deux tiers. Il fut proposé que si la Cour suprême déclarait une loi inconstitutionnelle, la Knesset pourrait adopter une loi disposant que la disposition inconstitutionnelle continue de produire des effets juridiques, en dépit du décision de la Cour. Il fut également proposé que cinq après l’adoption d’une telle loi, la Cour puisse se saisir de la question de la constitutionnalité de la loi originelle. Voir The Design and Operation of Judicial Review, ed. R. Post, Yale Global Constitutionalism Seminar, 2007, p. III 6-8.
  • [35]
    C’est pourquoi les développements du contrôle de constitutionnalité dans les pays d’Europe centrale et orientale se sont centrés sur la création de Cours constitutionnelles puissantes. Si par le passé, les Parlements en Pologne et en Roumanie ont eu quelque pouvoir de rejeter une décision d’inconstitutionnalité prise par le juge constitutionnel, ceux-ci n’ont jamais fonctionné correctement et furent finalement abolis. En Pologne, en vertu de l’amendement constitutionnel de 1982, toutes les décisions de la Cour constitutionnelle relatives à l’inconstitutionnalité d’une loi devaient être soumises au Parlement et pouvaient être rejetées à la majorité des deux tiers. Ce système de censure parlementaire – bien que sévèrement critiqué en doctrine – a été maintenu jusqu’en 1997 (et dans une certaine mesure, même jusqu’à 1999) : « bien que le rejet des décisions du Tribunal n’ait pas joué un rôle politique essentiel, il a été néanmoins toujours présent dans la pratique de l’activité de la Diète ; rappelons que jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, le rejet a été appliqué à huit reprises (le nombre total des décisions sur l’inconstitutionnalité des lois a été à cette période de 80 environ) », L. Garlicki, Vingt ans du Tribunal constitutionnel polonais, in Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz, Paris, 2007, p. 196-197. En Roumanie, en vertu de l’ancien article 147 (1) de la Constitution de 1991, une des procédures du contrôle de constitutionnalité était un contrôle a priori, dans lequel la Cour examinait les lois déjà adoptées par le Parlement, mais pas encore promulguées par le Président de la République. Lorsque la Cour déclarait qu’une loi était inconstitutionnelle, l’affaire était renvoyée devant le Parlement pour réexamen. Si, au terme de cet examen, la loi était adoptée de nouveau à la majorité des deux tiers par chaque chambre, la question d’inconstitutionnalité était levée et la promulgation devenait obligatoire. Un éminent universitaire roumain remarqua que ce système « était contestable, et même anachronique, anormal et bizarre, pouvant conduire à ce qu’une loi soit reconnue inconstitutionnelle par la Cour, et constitutionnelle par le Parlement… ». Depuis la mise en place de la Cour constitutionnelle et jusqu’à l’année 2000, jamais le Parlement n’a rejeté une décision d’inconstitutionnalité (I.Deleanu, Institutii si proceduri constitutionale, Bucuresti, 2006, p. 839). L’amendement de 2001 supprima les pouvoirs du Parlement de renverser les décisions de la Cour constitutionnelle.
  • [36]
    Voir L. Favoreu, « Les Cours de Strasbourg et de Luxembourg ne sont pas des Cours constitutionnelles », Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Dalloz 2002, p. 35-45; voir aussi J.-P. Costa, « La Cour européenne des droits de l’homme est-elle une Cour constitutionnelle ? », Constitution et pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel, Montchrestien, Paris, 2008, p. 145-156.
  • [37]
    Pour une présentation plus détaillée, voir L. Garlicki, C. Westerdiek, « Rechtsfolgen von Normenkontrollen – Die Rechtsprechung des EGMR », 33 EuGRZ, 2006, H. 17-18, p. 517 et s.
  • [38]
    Dans l’arrêt Ireland v. the U. K., la Cour observa que : « le problème en l’espèce porte sur le point de savoir si un État contractant est autorisé à remettre en cause en vertu de la Convention une loi de manière abstraite. Alors qu’afin d’établir une plainte recevable, un individu doit, en vertu de l’article 34, être victime d’une violation de ses droits garantis par la Convention, l’article 33 autorise chaque État contractant à saisir la Cour de tout manquement aux dispositions de la Convention qu’il croira pouvoir être imputé à un autre État. Ce manquement peut résulter d’une simple loi qui introduit, impose ou autorise des mesures incompatibles avec la sauvegarde des droits et libertés », arrêt du 18 janvier 1975 A.25, par. 240, RJD, 1978.
  • [39]
    Klass and others v. Germany, arrêt du 18 novembre 1977, A. 28, par. 33, RJD, 1978.
  • [40]
    Dans l’arrêt Dudgeon v. the U. K. (arrêt du 22 octobre 1981, A. 45, RJD 1981), la Cour, affirmant que la législation incriminant les relations homosexuelles violait la Convention, observa que « l’existence même de cette législation a affecté de manière continue et directe la vie privée du demandeur » (par. 41).
  • [41]
    Voir un des exemples classiques : l’arrêt du 13 juin 1979, Marckx v. Belgium, ECHR A 31.
  • [42]
    Arrêt du 17 février 2004, Maestri v. Italy, ECHR 2004-I, § 47.
  • [43]
    E. g. arrêt du 13 juillet 2000, Scozziari and Others v. Italy [GC], ECHR 2000-VIII, § 249 et arrêt du 26 octobre 2000, Kudla v. Poland [GC], ECHR 2000-XI, § 150-160.
  • [44]
    Voir L. Garlicki, Broniowski and After, « On the Dual Nature of Pilot Judgments », in Human Rights - Strasbourg Views. Liber Amicorum Luzius Wildhaber, Kehl 2007, p. 177 et s.; V. Zagrebelsky, « Questions autour de Broniowski », ibid., p. 521 et s.; L. Caflish, « Die Technik der Pilot-Falle », EuGRZ 2006, H. 17-18, p. 521 et s.; R. Degener, P. Mahoney, « The Prospects for a Test Case Procedure in the European Court of Human Rights », Trente ans de droit européen des droits de l’homme. Études à la mémoire de Wolfgang Strasser, Bruylant, 2007, p. 173-207.
  • [45]
    Arrêt du 22 juin 2004, ECHR 2004-V.
  • [46]
    Hutten-Czapska v. Poland (arrêt du 19 juin 2006, ECHR 2006-IV). Cette décision représente un autre exemple d’un « arrêt-pilote complet » rendu par la Grande Chambre (Voir L. Garlicki, Broniowski…, p. 191).
  • [47]
    E. g. Arrêts de la Grande Chambre, in Sejdovic´ v. Italy (1er mars 2006) ; Cocchiarella v. Italy (29 mars 2006) ; Scordino v. Italy (29 mars 2006) et arrêts de la Chambre, Lukenda v. Slovenia (6 octobre 2005) ; Hassan and Eylem Zengin v. Turkey (9 octobre 2007); Driza v. Albania (13 november 2007).
  • [48]
    Voir L. Garlicki, « The methods of interpretation », in Interpretation constitutionnelle, F. Mélin-Soucramanien (dir.), Dalloz, Paris, 2005, p. 141.

1I – Le droit constitutionnel a toujours réussi à soulever des problématiques pour lesquelles aucune solution universellement acceptée ne peut être trouvée. Leur nature peut être différente mais, dans chaque cas, se révèle un conflit (pour ne pas dire une collision) entre des principes et des valeurs contradictoires. De tels conflits apparaissent, en particulier, lorsque différentes branches du droit et/ou de la théorie politique se chevauchent.

2Un des exemples les plus connus est le débat actuel sur la légitimité du contrôle de constitutionnalité. La controverse principale provient des perspectives différentes retenues par les « positivistes constitutionnels », qui envisagent la Constitution comme la « Grundnorm » (la loi fondamentale), et les « démocrates parlementaires », qui sont plus enclins à accepter la prédominance des majorités démocratiquement élues. Si l’idée selon laquelle les majorités – nonobstant leur légitimité démocratique – doivent être assujetties au respect des règles fondamentales inscrites dans la Constitution est convaincante, sa faiblesse réside toutefois dans sa dimension institutionnelle : le contrôle effectif des actes législatifs ne saurait être exercé que par le pouvoir judiciaire, c’est-à-dire un pouvoir dépourvu de légitimité démocratique directe. Comme l’a justement souligné Wojciech Sadurski, il s’agit là du « dilemme fondamental relatif à la légitimité de ces quasi-gardiens, les cours constitutionnelles, lorsqu’elles invalident des lois élaborées de manière démocratique, sur la base de leur interprétation des droits constitutionnels » [1].

3Cet article n’entend pas entrer dans la dimension doctrinale du débat : les opinions classiques sont connues (et semblent parfois bien arrêtées), et offrent une multitude d’arguments, soutenant ou condamnant le principe du contrôle de constitutionnalité [2]. Toutefois, il semble clair que le droit constitutionnel est en constant développement : le nombre de pays ayant accepté d’introduire l’une ou l’autre des formes du contrôle de constitutionnalité croit de décennies en décennies. Il est également patent que l’exercice même du contrôle de constitutionnalité n’entraîne que très rarement des conflits pouvant détruire la nature démocratique de l’État [3]. S’il est devenu normal que les hommes politiques (moins cultivés) réclament l’abolition du contrôle de constitutionnalité à chaque fois que les Cours se prononcent « à l’encontre » de leurs projets, ces opinions sont rarement prises au sérieux, et disparaissent – après les élections – lorsque leurs auteurs rejoignent le banc de l’opposition. Différents facteurs contribuent à la « capacité de survie » de la justice constitutionnelle, la sagesse et la prudence des juges comptant sûrement parmi les plus importants d’entre eux [4]. Ainsi, les juges constitutionnels n’entreprennent que très rarement de réaliser des « coup d’état juridiques » [5], et même en de tels cas, leurs actions trouvent de solides fondements dans le contexte juridique et politique.

4La conclusion de ces remarques introductives est que si le débat doctrinal sur la légitimité du contrôle de constitutionnalité se poursuivra vraisemblablement dans les prochaines années, ce débat n’a jamais été mené dans l’abstrait. Il reflète plutôt le contexte existant des développements constitutionnels et jurisprudentiels, et les changements de ce contexte influent sans doute sur l’évolution des opinions doctrinales quant au contrôle de constitutionnalité. Il n’est pas nécessaire de rappeler le profond changement qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, a eu lieu en Europe de l’Ouest et le succès des juridictions constitutionnelles dans des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, le Portugal ou l’Espagne. Ce processus revêt un caractère dynamique. Une importance particulière devrait être accordée à la récente révision constitutionnelle en France. C’est plus qu’une réforme institutionnelle. Il s’agit plutôt d’une mesure révolutionnaire, car elle signifie que la France a abandonné sa position traditionnelle, soutenue depuis l’époque de Jean-Jacques Rousseau, quant à la légitimité du contrôle juridictionnel des lois.

5Sans revenir sur ses éléments, mon propos se fonde sur trois évolutions qui sont intervenues au cours des trois dernières décennies. La première est l’expansion rapide des cours constitutionnelles dans les « nouvelles démocraties » d’Europe centrale et occidentale. La seconde peut être décrite comme l’émergence de systèmes « modérés » de justice constitutionnelle. La troisième soulève la question de la mesure dans laquelle des éléments du contrôle de constitutionnalité se retrouvent dans les actions des cours européennes supranationales.

6II – Depuis 1986, et les premières décisions de la Cour constitutionnelle polonaise, le contrôle de constitutionnalité s’est implanté dans la plupart des États d’Europe centrale et orientale, ainsi que dans les pays de l’ancienne Union soviétique. En termes généraux, ces évolutions peuvent être synthétisées en trois observations [6] :

  • Dans la plupart des États, le contrôle de constitutionnalité a été confié à une cour constitutionnelle, séparée de l’appareil juridictionnel ordinaire, et créée à cet effet. Seulement dans des cas exceptionnels (Estonie), il a été confié à une cour suprême traditionnelle. En d’autres termes, les « nouvelles démocraties » ont adopté le modèle kelsénien du contrôle concentré.
  • La compétence et les pouvoirs de la plupart de ces nouvelles cours tendent à imiter celles des institutions occidentales, la Cour constitutionnelle allemande étant la principale source d’inspiration. Ces cours ont ainsi pleine compétence pour contrôler les lois adoptées par le Parlement et ont le « dernier mot » quant à l’élimination d’une loi inconstitutionnelle du système juridique.
  • Les juges constitutionnels sont généralement nommés pour une durée fixe, par le Parlement, ou au terme d’une procédure associant le Parlement. Autrement dit, à la différence des juges ordinaires (et comme la plupart des juges constitutionnels en Europe de l’Ouest), ils demeurent plus étroitement liés aux branches politiques de l’État.

7Il n’y a pas de modèle uniforme quant au rôle de la Cour dans l’État. Dans certains pays, les Cours ont réussi à faire reconnaître leur indépendance, et à assumer un rôle visible dans leurs relations avec les autres branches du pouvoir. Dans d’autres, les Cours sont apparues plus prudentes (ou moins chanceuses), et ont eu moins d’occasions d’agir comme un frein aux aspirations politiques des majorités parlementaires. Enfin, dans d’autres États, même si les Cours constitutionnelles existent de manière formelle, elles ne sont pas encore intervenues dans la réalité politique. Le rôle et l’importance des cours constitutionnelles sont toujours le produit du niveau général de la démocratie et de l’État de droit et, à cet égard, les anciens pays communistes présentent une large diversité.

8Il y a toutefois un certain nombre de pays, dans lesquels le contrôle de constitutionnalité peut être considéré comme une réussite. Et bien que les élites politiques et intellectuelles aient accepté l’existence de la Cour constitutionnelle, en tant que caractéristique permanente du système, cela ne signifie pas que la légitimité de cette Cour ne soit pas remise en cause. Ce débat se développe à deux niveaux, parfois séparés : celui des hommes politiques, dont les critiques ou soutiens à la justice constitutionnelle dépendent, en grande partie, de leurs récentes « victoires » ou « défaites » devant la Cour, et celui de la doctrine et des juges [7], dont les discussions portent, dans une plus large mesure, sur des principes et valeurs abstraits. Leurs opinions sont loin d’être concordantes, et l’argument « contre-majoritaire » est régulièrement invoqué par chacun.

9Il semble toutefois que les enseignements de ces « nouvelles démocraties européennes » (ou du moins, celles qui le sont effectivement), apportent des arguments supplémentaires en faveur de l’existence de cours constitutionnelles puissantes, c’est-à-dire totalement séparées du pouvoir politique, et ayant le dernier mot dans l’invalidation de lois inconstitutionnelles.

10Premièrement, l’histoire constitutionnelle récente de ces nouvelles démocraties est relativement courte, datant, pour la plupart, du début des années 1990. En un peu moins de vingt ans, ces États ont dû abolir leurs Constitutions d’inspiration soviétique pour les remplacer par des Constitutions basées sur le modèle occidental, et en faire des instruments effectifs. Les Cours constitutionnelles sont apparues être particulièrement aptes à assurer ce dernier point.

11Aucune Constitution ne peut exister sans être continuellement appliquée, et le seul pouvoir qui puisse l’appliquer en tant qu’instrument juridique (et non pas politique) est le pouvoir judiciaire. Ceci peut être facilité lorsqu’une Constitution repose sur une longue tradition, lui donnant un cadre – substantiel et aussi procédural – pour déterminer le sens des termes généraux de son texte. Mais bien peu de ces « nouvelles démocraties » ne pouvaient recourir à une telle tradition. Les nouvelles Constitutions sont arrivées alors que régnait un vide juridique et conceptuel. Et leur sens véritable devait être établi à travers leur application concrète. Même si, dans certains États, la pratique constitutionnelle pouvait s’en remettre à la tradition juridique nationale, restait à traduire ces propositions théoriques en termes de précédents constitutionnels contraignants. Le pouvoir législatif était trop faible et trop inexpérimenté pour s’en assurer. Dès lors, la création de véritables Constitutions (vivantes) devait être entreprise par le pouvoir judicaire, et plus particulièrement, par les cours constitutionnelles, en raison de leur histoire politique et leur composition [8]. En d’autres termes, les Cours constitutionnelles n’avaient d’autre choix que d’élaborer une « constitution juridique », qui puisse apporter des solutions aux cas concrets. Ceci demanda qu’elles fassent preuve d’un activisme judiciaire conséquent.

12La situation devint particulièrement complexe lorsque – comme en Hongrie et en Pologne –, la transition démocratique avait débuté bien avant l’adoption de la nouvelle Constitution [9]. Dans ces pays, les anciennes dispositions constitutionnelles durent être adaptées à une réalité totalement différente – il est inutile de préciser que l’intention originale des rédacteurs était ici inopérante en matière d’interprétation. Le choix qui s’offrait alors aux Cours constitutionnelles n’était pas celui entre l’activisme (c’est-à-dire la révision des interprétations constitutionnelles existantes) et la réserve judiciaire (c’est-à-dire la confirmation des interprétations constitutionnelles existantes) mais bien celui entre l’activisme (entendu comme la création de nouveaux précédents), et le nihilisme (c’est-à-dire une situation où les précédents ne sauraient jamais exister). Assurément, aucune Constitution ne peut survivre à un activisme judiciaire maintenu sur une longue période et – une fois la période de formation révolue (c’est-à-dire une fois qu’une série de précédents ont été créés, et la Constitution mise en place) – le temps fut venu d’une approche plus modérée de l’interprétation constitutionnelle, effectuée par une nouvelle génération de juges constitutionnels [10].

13Le second argument en faveur du contrôle de constitutionnalité tient à la faiblesse du pouvoir législatif. L’ère communiste avait fait des Parlements de simples chambres d’enregistrement. Au manque d’expérience de la pratique parlementaire s’ajoutait l’absence de règles organisant la coexistence de la majorité et de l’opposition dans la vie politique. C’est pourquoi, dans beaucoup d’anciens pays socialistes, les Parlements ne sont pas parvenus à bénéficier d’une légitimité et d’un respect comparable à ceux dont jouissent leurs homologues occidentaux. Les sondages d’opinion placent souvent les Parlements en queue de peloton concernant la confiance que leur témoignent les citoyens, parfois clairement derrière le pouvoir judiciaire, et plus particulièrement, les Cours constitutionnelles. Celles-ci sont perçues comme étant détachées des pressions politiques et leur séparation des pouvoirs politiques semble être la principale source de l’estime dont elles jouissent. Il n’est pas nécessaire, ici, d’entrer dans des considérations relevant de la sociologie politique. Mais tant que l’opinion publique témoignera d’une attitude réservée à l’égard du Parlement, (et en particulier, le rôle des partis politiques), toute institution indépendante qui limiterait les excès des activités parlementaires aura de grandes chances d’être acceptée par le corps social [11]. La légitimité (accrue) du contrôle de constitutionnalité découlerait ainsi de la légitimité limitée des assemblées parlementaires. En d’autres termes, l’exemple des États d’Europe centrale et orientale, révèle que « de la même manière qu’il n’y a pas de lien nécessaire entre la procédure démocratique de mise en place d’une institution et la nature démocratique de celle-ci, il n’y a pas de lien nécessaire entre la nature non démocratique d’une institution et son illégitimité » [12]. Au stade des premiers développements de la culture démocratique, la mise en place d’un garde-fou importe plus que la limitation des pouvoirs de ce garde-fou.

14Troisièmement, la légitimité du contrôle de constitutionnalité se voit confirmée par les actions tant des Cours, que du Parlement. L’expérience des différents pays d’Europe centrale ou orientale montre qu’à différentes occasions, les majorités parlementaires ont tenté d’imposer des mesures qui n’étaient compatibles ni avec les standards européens en matière de droits de l’homme, ni avec la décence politique. L’idée selon laquelle « le vainqueur l’emporte entièrement » demeure ancrée parmi les partis politiques, et une victoire aux élections est souvent interprétée comme un « chèque en blanc », pour réclamer le contrôle des médias, des magistrats, des services secrets, des archives historiques, etc. À maintes reprises, les Cours constitutionnelles ont invalidé ces tentatives; à différentes occasions, les Cours ont rappelé à la majorité dominante que même la poursuite d’une « noble cause » ne dispense pas du devoir de respecter la dignité humaine et les droits individuels [13]. Les hypothèses dans lesquelles des Cours seraient intervenues pour restreindre les libertés fondamentales, ou pour imposer leurs conceptions socio-économiques aux Parlements [14] sont plus rares. Ainsi, le bilan des erreurs du Parlement et de celles des Cours démontre que ces dernières ont fait preuve de plus de bienveillance à l’égard des droits de l’homme et des valeurs démocratiques.

15En conclusion, il est possible d’affirmer – dans le cadre de ces pays – qu’il existe des arguments additionnels légitimant l’existence de cours constitutionnelles fortes et indépendantes. Ces arguments demeurent toutefois conditionnés historiquement [15], et géographiquement [16], et ne sont valides qu’au cours de la première période de la transition démocratique. Tôt ou tard, ils risquent de devenir inappropriés, à mesure que certains de ces pays réussissent leur transition démocratique. Il ne faut cependant pas oublier que ces pays ne sont pas tous capables de suivre ce chemin. Il y a un processus de diversification politique, et déjà aujourd’hui, il serait difficile de classer tous les pays de la région dans la même catégorie.

16III – L’argument de la suprématie du Parlement a traditionnellement revêtu une certaine importance au Royaume-Uni comme dans les autres pays attachés au modèle du parlementarisme propre au Commonwealth. De nouveaux problèmes sont toutefois apparus lorsque plusieurs de ces pays ont décidé d’adopter une Déclaration des droits distincte. Comme l’a observé S. Gardbaum, « entre 1982 et 1998, les pays du Commonwealth tels que le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni – pays qui comptaient auparavant parmi les derniers bastions démocratiques de la traditionnelle suprématie du pouvoir législatif – ont adopté une Déclaration de droits consciemment différente du modèle américain, en cherchant à concilier et équilibrer les finalités opposées que sont la suprématie du pouvoir législatif et la protection effective des droits individuels, afin de trouver un juste milieu plutôt qu’opérer un transfert radical de l’un vers l’autre [17].

17A – Le Canada a offert le premier exemple, lorsque – dans sa Charte des droits et libertés fondamentaux de 1982 – il a introduit la clause dite de « dérogation ». L’article 33 de la Charte prévoit que « le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte ». Une telle déclaration conserve sa validité pendant cinq ans, toutefois, le Parlement ou une législature de la province peut la prolonger pour des périodes successives de cinq ans. Ainsi, alors même que la promulgation de la Charte investit la Cour suprême du pouvoir d’invalider tous les actes législatifs incompatibles avec les droits et libertés proclamés par la Charte, le corps législatif conservait une possibilité de réduire la portée du contrôle de constitutionnalité. Le pouvoir de dérogation n’était limité dans son application que par l’exclusion de certains droits et libertés prévus dans la Charte [18]. La dérogation doit être effectuée de manière préventive, c’est-à-dire avant que toute déclaration d’inconstitutionnalité ait été adoptée. Par ailleurs, il n’est pas interdit de remplacer une loi invalidée par une nouvelle loi, d’un contenu identique mais protégée par la clause dérogatoire.

18L’article 33 de la Charte représente une tentative d’adopter un compromis entre des valeurs en conflit. Néanmoins, puisque la décision finale quant à l’utilisation de la clause dérogatoire revenait au corps législatif, le nouveau système entraînait une érosion largement étendue du contrôle de constitutionnalité [19]. Déjà, dès la première utilisation pratique de la clause, le Parlement du Québec adopta une loi omnibus immunisant la majeure partie de la législation de la province contre le contrôle de constitutionnalité. Quand la Cour suprême fédérale, dans l’arrêt Ford c. Quebec (1988), confirma un tel usage de la clause dérogatoire, elle laissa à penser qu’il ne subsistait qu’une possibilité limitée de garantie effective de la Charte. Toutefois, le retentissement politique de « l’affaire provoqua l’effet inverse. Loin d’enclencher un retour à la souveraineté parlementaire, il apparut qu’une convention “constitutionnelle” était née, au moins entre les autres provinces canadiennes et le Parlement fédéral, en vertu de laquelle la clause dérogatoire ne devrait pas être utilisée. En fait, elle ne fut utilisée que par une seule autre province que le Québec, et c’était juste avant la décision Ford » [20]. Parallèlement, les cours canadiennes n’hésitèrent pas à exercer le contrôle de constitutionnalité. Jusqu’en 1997, on dénombre 66 arrêts dans lesquels une loi a été annulée pour atteinte à la Charte. Bien que le pouvoir législatif n’ait recouru, qu’une fois seulement, à l’utilisation de la clause dérogatoire, cela ne signifie pas que dans tous les cas, le « dernier mot » reste au domaine juridique. « Sur ces 66 décisions, toutes sauf 13 ont suscité une réponse du corps législatif compétent. Dans sept cas, la réponse fut simplement d’abroger la loi en cause. Dans les 46 autres cas, une nouvelle loi fut substituée à l’ancienne. Dans deux affaires, les décisions furent contournées, car la nouvelle loi rétablissait la loi qui avait été reconnue invalide – une fois par le biais de l’utilisation de l’article 33 et une fois par celui de l’article 1. Néanmoins, dans les autres cas, le corps législatif respecta la décision juridique en ajoutant, dans la nouvelle version de la loi, des garanties concernant les libertés tout en maintenant l’objectif de la loi… Ces chiffres témoignent, dans une large mesure, plus importante encore que celle qui était prévisible, que le contrôle de constitutionnalité n’était pas le “dernier mot” quant à une législation qui avait été censurée sur le fondement de la Charte. Dans la plupart des affaires, la décision juridique n’écartait pas la législation qui continua à suivre les objectifs de la loi d’origine » [21].

19Au cours de la décennie suivante, les choses ne changèrent guère. Entre 1997 et 2006, « dans 23 cas, une loi a été reconnue non conforme à la Charte. Sur ces 23 décisions, 14 ont entraîné une réponse du corps législatif compétent. Dans un cas, la réponse fut simplement d’abroger la loi en cause. Dans les 13 autres cas, une nouvelle loi a été substituée à la loi en cause. En aucune manière et dans aucun cas, la réponse du législatif fut de contourner la décision par le biais de l’article 1 ou de l’article 33 » [22].

20L’utilisation directe de la clause de dérogation demeure une exception. Mais l’invalidation juridictionnelle de la législation n’a pas toujours signifié que la question était close. Souvent, elle n’a fait qu’ouvrir un dialogue entre les cours et le corps législatif, dans lequel ce dernier a encore la possibilité de revenir à son objectif initial. Les cours ne furent pas fermées à un tel dialogue, en témoigne l’usage des « déclarations suspensives de nullité ». Dans une telle déclaration, (connue de la pratique juridique bien avant que la Charte n’existe), la loi est reconnue inconstitutionnelle, mais reste néanmoins applicable jusqu’à ce que le corps législatif adopte une nouvelle loi [23].

21B – En Nouvelle-Zélande, le Bill of Rights de 1990 établit les droits et libertés individuels, son but étant « d’affirmer, de protéger et de promouvoir les droits humains et les libertés fondamentales en Nouvelle-Zélande et d’affirmer l’attachement de la Nouvelle-Zélande au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».

22Le Bill of Rights de 1990 fut adopté en tant que loi ordinaire et, donc, en cas de conflit, ses dispositions ne pouvaient prévaloir sur les autres textes législatifs. La section 4 de la Déclaration dispose qu’« aucune cour ne peut, concernant tout texte promulgué (avant ou après la promulgation du Bill) : a) considérer qu’une disposition d’un texte promulgué peut être immédiatement abrogée ou révoquée, ou être d’une autre façon invalide ou inefficace ; ou b) refuser d’appliquer une disposition d’un texte promulgué pour la seule raison que cette disposition est en contradiction avec une disposition du Bill of Rights ». Le rôle du Bill of Rights est centré sur son autorité interprétative. La section 6 prévoit en effet que « toutes les fois qu’une loi peut être interprétée conformément aux droits et libertés garantis dans le Bill of Rights, cette interprétation devra être préférée à toute autre ». En vertu de la section 7, l’Attorney General a le devoir d’examiner tout texte soumis au Parlement et de porter à son attention les dispositions qui lui paraissent en contradiction avec les droits et libertés affirmés dans le Bill of Rights.

23Ainsi que remarqué en doctrine, le Bill of Rights néo-zélandais a été conçu comme un document interprétatif, alors que la Charte canadienne l’a été comme un instrument constitutionnel [24]. En cas de conflit, le Bill néo-zélandais a seulement une valeur persuasive et n’autorise pas les cours à invalider une législation qu’elles trouveraient incompatibles avec les droits individuels. Dès lors, il n’est pas nécessaire d’instituer un pouvoir de dérogation au profit du législatif.

24L’essentiel de la solution néo-zélandaise repose sur l’interprétation et la persuasion (juridico-politique). Ses auteurs, ne voulant pas abandonner l’approche traditionnelle de la suprématie parlementaire, considérèrent apparemment que, dans beaucoup d’affaires, les cours parviennent par l’interprétation, au même résultat que dans un système de contrôle de constitutionnalité « classique », par l’invalidation. Les premières décisions de la Cour d’appel témoignent d’une « approche centrée sur les droits contenus dans le Bill of Rights » [25]. Il y a plusieurs exemples de l’utilisation par les juges du Bill of Rights à la fois dans l’interprétation de la législation et dans le développement de la Common Law. Différents auteurs estiment que, si les cours n’ont pas le droit de refuser d’appliquer la législation non conforme au Bill of Rights, elles ont néanmoins le droit de déclarer l’existence d’une incompatibilité. Aucune déclaration de ce genre n’a été faite durant les 15 premières années d’application du Bill of Rights[26], mais des opinions juridiques en reconnaissent la possibilité [27].

25C – Au Royaume-Uni, le Human Rights Act de 1998 incorpore les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme à la loi nationale. Le HRA reprend tous les droits et libertés garantis par la Convention et ses protocoles, la seule exception étant l’article 13 de la Convention (droit à un recours effectif). La section 2 du HRA prévoit l’obligation pour tous les cours et tribunaux, de « prendre en compte » tous jugements, décisions ou avis de la Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’ils ont à juger une question qui concerne un droit protégé par la Convention, autant que, selon l’opinion de la cour ou du tribunal, cela est pertinent avec les procès dans lesquels cette question a été posée.

26L’incorporation des droits de la Convention signifie, en premier lieu, que « autant qu’il est possible de le faire; on doit interpréter et appliquer les législations primaire et secondaire d’une manière compatible avec les droits protégés par la Convention » (section 3 (1)). Toutefois, les Cours n’ont pas été investies du pouvoir d’annulation. La section 4 (2) prévoit que « si l’une des hautes cours du Royaume-Uni considère que la disposition est incompatible avec un droit protégé par la Convention, elle peut déclarer cette incompatibilité ». Une telle déclaration « n’a pas d’effet sur la validité, la continuité ou l’application de la disposition, et ne lie pas les parties au procès dans lequel elle est faite. Elle a pour effet d’inciter le législateur à envisager de remédier à cette incompatibilité (c’est-à-dire de lancer) une procédure législative accélérée afin de retirer l’incompatibilité au cœur de la déclaration de la cour » [28]. Le législateur n’a cependant aucune obligation légale d’amender la disposition en question.

27Le HRA de 1998 a introduit un « procédé modéré » conçu en premier lieu pour obliger tous les cours et tribunaux à appliquer les droits protégés par la Convention (comme développés dans les arrêts de la Cour de Strasbourg) dans le processus d’interprétation de la loi nationale [29]. Si aucune interprétation conforme n’est possible, la seconde étape consiste alors en une déclaration d’incompatibilité qui – dans sa substance – peut être considérée comme une décision sui generis d’inconstitutionnalité. À cet égard, la solution britannique va plus loin que le Bill of Rights néo-zélandais. Cependant, la solution britannique confère aux cours moins de pouvoirs que la Charte canadienne – la déclaration d’incompatibilité constitue seulement un « encouragement » à l’égard du pouvoir législatif et n’a pas d’effet contraignant direct [30].

28Ainsi, l’effectivité du HRA dépend, d’une part, de la volonté des hautes cours de « prendre en compte les droits protégés par la Convention » et d’adopter – si nécessaire – des déclarations d’incompatibilité, et, d’autre part, de l’empressement du Parlement à retirer les dispositions incompatibles du système juridique national. Comme l’observait S.Gardbaum : « Le HRA met en jeu un mélange ainsi qu’une division intéressantes des pouvoirs, entre les cours et le législateur dans la protection des droits conventionnels. C’est moins direct que la clause de dérogation canadienne en ce que le législateur n’est pas simplement confronté à l’option de renverser ou d’anticiper une décision de cour » [31].

29La mise en application du HRA témoigne de cas d’utilisation des déclarations d’incompatibilité. Jusqu’à juin 2006, il y a eu 13 déclarations concernant le respect des dispositions de législation primaire, qui n’ont pas été renversées en appel. Deux autres déclarations demeurent pendantes en appel, tandis que cinq autres ont été renversées ultérieurement par la Chambre des Lords ou par la Cour d’appel. Sur les 13 déclarations « finales », onze ont entraîné des changements législatifs et à l’égard de deux déclarations, le choix d’une solution appropriée est resté à l’étude [32].

30D – Les trois systèmes parlementaires du Commonwealth ont établi de nouvelles procédures fondées sur la protection des droits fondamentaux contre les empiétements du pouvoir législatif. Alors que les solutions adoptées dans chacun d’entre eux varient considérablement, chacun d’eux laisse le « dernier mot » au pouvoir législatif.

31Cela signifie-t-il – comme le suggèrent certains auteurs – qu’un « nouveau modèle de contrôle de constitutionnalité » émerge dans ces pays ? Il est trop tôt pour tirer des conclusions générales, mais trois observations peuvent être faites.

32Tout d’abord, dans ces trois pays, les Cours n’ont pas le pouvoir d’imposer leurs interprétations des droits fondamentaux au pouvoir législatif (au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande, ces droits ne se sont pas vus conférer une valeur juridique supérieure). Ceci déplace le débat sur la légitimité sur un autre terrain : « il est évidemment beaucoup plus facile de justifier un contrôle juridictionnel modéré qu’un contrôle poussé, car l’influence des Cours, non élues, sur les mesures publique est moindre lorsque les pouvoirs de celles-ci de contrôler les lois votées par les corps législatifs élus sont de […] nature plus modérés » [33].

33Deuxièmement, l’effectivité du mécanisme dépend de la volonté des parlementaires d’accepter les décisions judiciaires et – en tout cas – d’ouvrir un dialogue avec le pouvoir judiciaire. Les expériences canadienne et britannique montrent qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse irréaliste ; la « dérogation » canadienne a peu été utilisée, et la plupart des déclarations d’incompatibilité britanniques ont conduit à des changements législatifs. Manifestement, la culture politique et constitutionnelle de ces trois pays s’est élevée à tel point que les décisions de justice peuvent être respectées même sans utiliser des moyens contraignants. Mais une telle association de « souplesse » et d’« effectivité » du contrôle de constitutionnalité ne peut être mise en œuvre que dans quelques pays du monde.

34C’est pourquoi – troisièmement – « le modèle Commonwealth » n’est pas aussi attractif selon les perspectives géographiques. Il convient certainement plus à un pays dans lequel il n’existe aucun contrôle de constitutionnalité que pour un pays qui a déjà adopté un « véritable » modèle de contrôle de constitutionnalité – kelsénien ou américain. Pour les pays dans lesquels existe un système de contrôle de constitutionnalité traditionnel, son remplacement par le modèle Commonwealth pourrait signifier un affaiblissement du contrôle de constitutionnalité [34]. Mais le critère décisif est le niveau réel de la culture constitutionnelle. Il serait plutôt risqué de recommander l’introduction du « modèle Commonwealth » à des pays dans lesquels cette culture est encore en développement, et dans lesquels les élites politiques n’ont pas encore intégré le degré nécessaire de respect à témoigner envers le pouvoir judiciaire, gardien des libertés [35].

35IV – Le développement rapide des juridictions supranationales constitue un autre trait nouveau du constitutionnalisme contemporain. Au moins en Europe, les deux cours supranationales, la Cour de justice des Communautés européennes et la Cour européenne des droits de l’homme, occupent une place importante quant à la définition du sens et de la valeur des droits individuels.

36La mission principale de la Cour de Strasbourg est de veiller à la bonne application par les États membres des droits protégés par la Convention. Ainsi, une décision « caractéristique » de la Cour européenne des droits de l’homme se limite à déterminer si une mesure ou une décision particulière est compatible avec la Convention. La Cour européenne des droits de l’homme n’a pas été conçue comme une cour constitutionnelle [36] – ses jugements restent concentrés sur des affaires individuelles et non sur le contrôle de « conventionnalité » – abstrait ou incident – d’une législation nationale. Cependant, des situations se sont présentées dans lesquelles la Cour de Strasbourg n’a eu d’autre alternative que d’entrer dans le champ d’un tel contrôle [37].

37Des évaluations générales de législations nationales peuvent avoir lieu dans le cadre de la procédure des affaires interétatiques (article 33 de la Convention) [38]. Cependant, puisque les affaires interétatiques ne parviennent que très rarement devant la Cour de Strasbourg, c’est la procédure de recours individuel qui détermine la pratique juridictionnelle.

38La Cour est traditionnellement peu disposée à entrer dans les évaluations générales de la législation nationale. L’article 34 prévoit que toute personne physique peut saisir la Cour en raison d’une violation des droits reconnus dans la Convention dont il aurait été victime. Dans la plupart des affaires, une telle violation résulte d’une mesure individuelle et ne peut être rattachée qu’indirectement aux textes législatifs d’un État. De là, l’article 34 « n’institue pas une sorte d’actio popularis accessible aux individus…; il ne permet pas aux individus de mettre en cause une loi in abstracto au seul motif qu’ils pensent qu’elle enfreint la Convention » [39]. Toutefois, comme la Cour l’a confirmé dans l’arrêt Klass, il est des situations dans lesquelles « une loi peut par elle-même violer les droits d’un individu, si celui-ci est directement affecté par la loi en l’absence de toute mesure spécifique d’exécution ». Cela permit à la Cour de contrôler (et de confirmer) les dispositions de la législation allemande relative aux écoutes téléphoniques secrète et d’assurer, dans d’autres cas, le contrôle (quasi-abstrait) des lois auto-exécutoires [40].

39Ainsi, la possibilité d’évaluer, au moins de manière indirecte, si la législation de l’État est compatible avec la Convention, n’a jamais été écartée dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Il y a de nombreuses situations dans lesquelles les violations de la Convention résultaient de la législation de l’État et non « uniquement » de l’application incorrecte qui en était faite par les cours ou autorités administratives. Dans de telles situations, la Cour n’a jamais hésité à identifier la source réelle des violations des droits individuels [41]; entreprenant, parfois, d’assurer un contrôle quasi abstrait de l’application des textes législatifs aux cas individuels. Comme l’a souligné la Cour en plusieurs occasions, les États contractants « en ratifiant la Convention, s’engagent à faire en sorte que leur droit national soit compatible avec la Convention » [42]. L’identification de « violations législatives » apparaît particulièrement importante quand des actions/omissions législatives confrontent la Cour de Strasbourg aux saisines répétées des individus.

40Toutefois, l’origine législative de la violation des droits individuels n’a pas affecté la manière dont le dispositif des jugements est habituellement rédigé. C’est seulement dans les motifs que les défauts des législations nationales sont discutés et – parfois – que des suggestions pour l’avenir sont proposées [43]. Le contrôle de la mise en œuvre appropriée de ces suggestions revient au Comité des ministres du Conseil de l’Europe ; leur force contraignante est cependant plus visible dans sa dimension politique que juridique. Il y a eu plusieurs cas de réactions lentes ou réticentes des gouvernements nationaux et, en conséquence, les affaires ont continué à s’accumuler devant la Cour de Strasbourg.

41La Cour a réagi en élaborant la procédure dite « des arrêts-pilotes » [44]. Dans l’arrêt Broniowski c. Pologne[45], la Cour, dans le dispositif du jugement, déclare que la violation des droits individuels du requérant « a pour origine un problème systémique lié aux dysfonctionnements de la législation et de la pratique nationales ».

42C’est pourquoi « l’État défendeur doit, par des dispositions légales, et des mesures administratives appropriées, assurer la mise en œuvre [des droits en question] ». Puisque, en vertu de l’article 46 de la Convention, tous les États-membres « s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels [ils] sont parties », la Pologne a été obligée de modifier sa législation.

43La Cour a eu recours à la technique des « arrêts-pilotes » dans plusieurs autres occasions [46], avec, toutefois, une nette préférence pour une rédaction moins impérative. L’identification de l’existence d’une « situation systémique » et de la nécessité de modifier la législation a lieu dans les motifs, mais n’est que rarement incluse dans le dispositif du jugement [47]. Bien que cela ait réduit l’effet obligatoire de ceux-ci, la critique de la législation nationale était exprimée d’une manière claire.

44Les évaluations des dispositions législatives nationales menées par la Cour européenne des droits de l’homme, même si elles se présentent sous la forme d’un « arrêt-pilote complet » ne peuvent être assimilées aux éléments caractéristiques du contrôle de constitutionnalité.

45Tout d’abord, les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme n’ont aucun effet d’annulation : même si la Cour déclare une disposition législative incompatible avec la Convention, une telle disposition demeure valide jusqu’à son abrogation par la législation nationale ou jusqu’à qu’elle soit mise de côté par les juridictions nationales.

46Deuxièmement, la Cour européenne des droits de l’homme cible le plus souvent ses jugements sur l’identification des lacunes dans la législation nationale, et non sur l’identification des dispositions particulières qui doivent être abrogées. Enfin, la technique des « arrêts-pilotes » de même que les autres techniques utilisées par la Cour pour étendre ses évaluations de la législation nationale n’ont pas été encore totalement établies dans la jurisprudence. Si la Cour (au moins en certaines occasions) agit d’une manière proche de celle d’un juge opérant un contrôle de constitutionnalité, ses jugements et décisions représentent une forme très « modérée » de contrôle et, se situant en droit international, leur autorité est des plus indirecte.

47C’est pourquoi il est possible d’affirmer que les évaluations de la Cour européenne des droits de l’homme de la législation nationale sont trop différentes du contrôle de constitutionnalité traditionnel pour être incluses dans les récents développements de ce contrôle. Mais au moins trois arguments montrent qu’une autre approche – plus « intégrative » – peut ne pas être totalement infondée.

48Premièrement, la méthode de contrôle de la Cour de Strasbourg n’est pas très différente des méthodes caractéristiques du contrôle de constitutionnalité. Dans les deux systèmes, un organe juridictionnel contrôle si une norme inférieure (c’est-à-dire la loi nationale) est compatible avec une norme supérieure (c’est-à-dire la Constitution nationale ou la Convention européenne). Ces normes supérieures traitent du même sujet – les droits et libertés individuels. Leur contenu, leur rédaction et les méthodes de leur interprétation sont semblables. Ainsi, à maints égards, la Convention (et – en particulier – le processus de son interprétation) se rapproche plus d’une Constitution nationale que d’un traité international « classique » [48].

49Deuxièmement, le contrôle de « conventionnalité » de la législation est exercé non seulement par la Cour de Strasbourg mais aussi, et peut-être – en premier lieu – par les cours nationales des 47 États-membres. Presque tous les États ont incorporé la Convention (telle qu’interprétée dans la jurisprudence de la Cour) dans leur législation nationale. Si la valeur juridique de la Convention varie selon les pays, presque partout les cours nationales ont le pouvoir d’appliquer directement la Convention. Dans beaucoup de pays, les Cours (constitutionnelles) ont aussi le pouvoir de contrôler la compatibilité des dispositions législatives ordinaires avec la Convention et d’annuler ou de refuser d’appliquer la loi nationale qui contredit la Convention. Ce processus est presque identique au processus du contrôle de constitutionnalité.

50Troisièmement, dans les pays où les Cours ont le pouvoir de contrôler la « conventionnalité » de la législation, ce pouvoir s’exerce soit en combinaison avec le contrôle de constitutionnalité, soit – comme en France ou au Royaume-Uni – en tant que substitut au contrôle de constitutionnalité. Les juges constitutionnels se réfèrent souvent à la Constitution nationale et à la Convention européenne pour justifier leur décision d’annulation. Particulièrement dans les « nouvelles démocraties », les arguments tirés de la Convention (c’est-à-dire de la jurisprudence même de la Cour européenne des droits de l’homme) constituent parfois un facteur de légitimation du rejet des mesures adoptées par un parlement démocratiquement élu. Ainsi, l’existence du mécanisme de contrôle européen joue un rôle important dans le renforcement de la légitimité des cours constitutionnelles nationales et du contrôle constitutionnel/conventionnel national.

51En outre, le « contrôle de conventionnalité » est, dans les pays de l’Union européenne, accompagné du contrôle de conformité de la législation nationale par rapport aux instruments communautaires. En conséquence, il apparaît clair que dans la plupart des pays membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, les Parlements ne sont plus totalement souverains dans l’exercice de leurs pouvoirs législatifs, et que leurs lois sont soumises à un contrôle juridictionnel tant au niveau national que supranational. Mais dès lors que les lois parlementaires ont perdu leur immunité face au contrôle européen, il devient plus difficile de justifier qu’elles puissent échapper au contrôle national (de constitutionnalité).

52V – Les développements constitutionnels et jurisprudentiels des trente dernières années témoignent d’un changement significatif du contexte dans lequel le débat autour de la légitimité du contrôle de constitutionnalité se poursuit.

53Les évolutions intervenues dans les « nouvelles démocraties » d’Europe centrale et orientale apportent des arguments supplémentaires en faveur de l’existence de cours constitutionnelles puissantes et indépendantes.

54Les évolutions dans certains pays du Commonwealth démontrent qu’il peut y avoir un certain terrain d’entente entre les positions polarisées des « positivistes constitutionnels » et de « démocrates parlementaires ».

55Les évolutions au niveau du Conseil de l’Europe attestent de l’émergence d’un système parallèle de « contrôle de conventionnalité ». En outre, le système est basé sur un rejet des positions des « démocrates parlementaires » et a contribué à la destruction du concept traditionnel de l’intouchabilité des lois parlementaires.


Date de mise en ligne : 03/07/2009

https://doi.org/10.3917/rfdc.078.0227

Notes

  • (*)
    Cet article est tiré d’une intervention prononcée lors de la Table ronde de l’Association internationale de Droit constitutionnel, qui s’est tenue à Yokohama en novembre 2007. Traduit de l’anglais par Isabelle Besson, ingénieur de recherches et Idris Fassassi, allocataire de recherches-moniteur, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III - GERJC - ILF CNRS UMR 6201.
  • [1]
    W. Sadurski, Rights Before Courts, Dordrecht, 2005, p. 27 (citant aussi R. A Dahl, « The broader the scope of rights and interests subject to final decision by the quasi guardians, the narrower must be the scope of the democratic process »).
  • [2]
    Voir M. Verdussen, Les douze juges. La légitimité de la Cour constitutionnelle, Labor, Bruxelles, 2004, p.95.
  • [3]
    De tels dangers existent, en particulier, durant les premières phases de la transition démocratique. Beaucoup de cours constitutionnelles en Europe centrale et orientale ont ainsi fait l’objet de critiques. Ce n’est que dans des cas exceptionnels que ces attaques ont conduit à la suppression du contrôle de constitutionnalité (les événements de 1993 en Russie étant l’un des exemples les plus spectaculaires. Il convient toutefois de rappeler qu’à partir de 1995, la Cour constitutionnelle russe put de nouveau exercer ses fonctions).
  • [4]
    Comme le souligne Bruce Ackermann, « The question is whether it is prudent to make use of power that will lead to political catastrophe. Surely, it is well within the court’s capacity to construe its statutory jurisdiction narrowly », in The Future of the Liberal Revolution, New Haven, 1992, p. 109.
  • [5]
    A. Stone Sweet, « The Juridical Coup d’État and the Problem of Authority », German Law Journal, vol. 8, n° 10,2007, p. 916-928. Voir également les commentaires de N. Walker, W. Sadurski et G. Palombella, ibidem.
  • [6]
    Voir M. Verdussen (dir.), La justice constitutionnelle en Europe centrale, Bruylant, Bruxelles-Paris, 1997,257 p.; M. Granat, Sadowa kontrola konstytucyjnosci prawa w panswach Europy Srodkowej i Wschodniej (Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois dans les pays d’Europe centrale et orientale), Varsovie, 2003; W. Sadurski, op. cit., en particulier les chapitres 1 et 3; O. Luchterhandt, Ch. Starck, A. Weber (dir), Verfassungsgerichtsbarkeit in Mit-tel- und Osteuropa, Nomos, Baden-Baden, 2007,745 p.
  • [7]
    Les juges, en particulier les juges à la Cour suprême et à la Cour suprême administrative, sont des acteurs importants du débat, et leur soutien apparaît un préalable nécessaire pour renforcer le pouvoir de la Cour constitutionnelle.
  • [8]
    À la différence des Cours constitutionnelles qui n’existaient pas sous le régime communiste, l’expérience historique des autres Cours (en particulier les Cours suprêmes) limitait leur autorité morale à entrer immédiatement dans le processus de transformation démocratique. En outre, les nouvelles Cours constitutionnelles étaient le plus souvent composées de professeurs de droit, moins compromis et plus ouverts aux idées occidentales que les juges de la Cour suprême (voir H. Schwartz, The Struggle for Constitutional Justice in Post-Communist Europe, University of Chicago Press, Chicago-London, 2000, p. 241.
  • [9]
    En Pologne, entre 1989 et 1997, des dispositions constitutionnelles étaient contenues dans différents instruments normatifs : les « anciennes » dispositions de la Constitution de 1952, les amendements constitutionnels de 1989 et 1990, et la « petite Constitution » de 1992. La première Constitution « complète » fut adoptée en 1997. En Hongrie, la Constitution de 1949 est toujours en vigueur, même si elle a été amendée à maintes reprises depuis 1989, et qu’il ne reste pas grand-chose du texte original.
  • [10]
    Il y a de cela dix ans, Hermann Schwartz s’interrogeait : « L’activisme judiciaire se prolongera-t-il ? Est-ce souhaitable ? […] Dans certaines matières, l’activité [des Cours constitutionnelles] diminuera clairement… En clair, l’enjeu pour ces pays n’est pas de savoir si l’activisme judiciaire continuera mais plutôt de savoir comment le rendre le plus utile possible », in Hermann Schwartz, op. cit., p. 242.
  • [11]
    C’est pourquoi, selon moi, la légitimité des Cours constitutionnelles résulte plutôt de leur indépendance que de leurs liens avec le pouvoir législatif. Je ne suis pas disposé à accepter l’argument selon lequel les Cours, en raison de leurs pouvoirs, du mode de nomination de leurs juges, et du mandat limité de ceux-ci, peuvent être perçues comme des « chambres de réflexion » indirectement élues (voir W. Sadurski, op. cit., p. 37-38). Il est vrai que les nominations judiciaires ne sont pas dénuées de toutes considérations politiques. Toutefois, tant que les Parlements s’abstiendront de nommer des hommes politiques en activité à la Cour, celle-ci peut espérer agir en tant qu’organe judiciaire. Bien sûr, il y a toujours le risque de « Gleichschaltung » de la Cour par la majorité gouvernante, mais la Cour ne serait alors pas la seule victime, car la démocratie dans son ensemble serait atteinte.
  • [12]
    W. Sadurski, op. cit., p. 35.
  • [13]
    Il convient de mentionner le problème posé par les lois de « lustration », que la plupart des Cours constitutionnelles de la région ont eu à connaître. Voir H. Schwartz, op. cit., p. 234-235; L. Garlicki, « Politics and Political Independence of the Judiciary », in Judicial Integrity, A. Sajo, Leiden-Boston, 2004, p. 137-139; W. Sadurski, op. cit., p. 223 et s.; voir également l’arrêt récent rendu par la Cour constitutionnelle polonaise, le 11 mai 2007 (K 2/97).
  • [14]
    Voir la controverse hongroise sur les mesures gouvernementales de stabilisation économique en 1995. G. Halmai, « The Hungarian Approach to Constitutional Review », in Constitutional Justice - East and West, W. Sadurski (dir.), Kluwer, 2002, p. 198-199. Voir également les décisions constitutionnelles sur la restriction de l’avortement (voir W. Sadurski, op. cit., p. 128-135). Par ailleurs, dans plusieurs États (Hongrie, Lituanie, Ukraine), les Cours constitutionnelles ont pris les devants en bannissant la peine de mort.
  • [15]
    Il convient de rappeler que, dans chacun des trois processus de transition démocratique réussis après la Seconde Guerre mondiale, i.e. en Allemagne, en Italie et au Japon, le contrôle de constitutionnalité a joué un rôle très différent dans la réalité politico-juridique.
  • [16]
    Néanmoins, l’exemple de certains pays (Espagne, Portugal dans les années 1980, l’Afrique du Sud et le Chili dans les années 1990) atteste du rôle joué par la justice constitutionnelle dans la réussite des processus de transition.
  • [17]
    S. Gardbaum, « The New Commonwealth Model of Constitutionalism », American Journal of Comparative Law, vol. 49, n° 4,2001, p. 709.
  • [18]
    Font partie des droits indérogeables les « droits démocratiques » (section 3-5 de la Charte en particulier les droits liés au vote), ceux relatifs à « la liberté de circulation » (section 6), et les « droits liés à la langue » (sections 16-23).
  • [19]
    Comme l’ont souligné des auteurs autorisés, « la clause de dérogation était et demeure une disposition controversée de la Charte » (Canadian Constitutional Law, Toronto 1997, p. 646).
  • [20]
    S. Gardbaum, op. cit., p. 726.
  • [21]
    P. W. Hogg, A. A. Bushnell Thornton, W. K. Wright, « Charter Dialogue Revisited », Osgoode Hall Law Journal, vol. 45, n° 1,2007, p. 3- 4. Pour une présentation plus détaillée, voir : P. W. Hogg, A. A. Bushnell, « The Charter Dialogue between Courts and Legislatures », Osgoode Hall Law Journal, vol. 35, n° 1,1997, p. 82 et s.
  • [22]
    P. W. Hogg, A. A. Bushnell Thornton, and W. K. Wright, « Charter Dialogue Revisited… », op. cit., p. 51. Les auteurs font référence à la décision Vriend v. Alberta (1998), dans laquelle la Cour suprême affirma que l’omission des critères relatifs à l’orientation sexuelle de la loi était en contradiction avec la section 15 de la Charte. « Cette décision provoqua un vif débat politique en Alberta sur l’utilisation de la [clause de dérogation] et au final, le gouvernement d’Alberta décida de ne pas utiliser la section 33, et de ne pas modifier les termes que la Cour avait ajoutés à la loi » (ibidem, p. 9).
  • [23]
    Ibidem, p. 14-18.
  • [24]
    S. Gardbaum, op. cit., p. 728.
  • [25]
    Ibidem, p. 730.
  • [26]
    Voir S. Glazebrook, « The New Zealand Bill of Rights Act 1990 – Its operation and effectiveness », communication présentée lors d’un congrès (South Australian State Legal Convention), qui s’est tenu à partir du 22 juillet 2004 – voir wwww. courtsofnz. govt. nz/ from/ documents/Speech22-07-04.
  • [27]
    Dans la décision Moonen v. Film and Literature Board of Review (2000, par. 17-20), la Cour d’appel, sous la plume du juge Tipping, identifia les étapes à suivre « lorsqu’il est dit que les dispositions d’une autre loi abrogent ou restreignent les droits et libertés garantis par la Charte… La première consiste à recenser les différentes interprétations des termes de l’autre loi qui seraient ambigus… S’ils sont susceptibles d’être interprétés de plusieurs manières, la deuxième étape consiste à identifier l’interprétation au terme de laquelle le droit ou la liberté serait le moins restreint. Une fois l’interprétation retenue, la troisième étape consiste à identifier la mesure dans laquelle celle-ci affecte le droit en question… La quatrième étape consiste à déterminer si une telle restriction se trouve justifiée dans une société libre et démocratique… Si les restrictions ne le sont pas, alors il y a non-conformité avec la Charte ; mais, en vertu de la section 4, la disposition litigieuse reste toutefois en vigueur et doit être appliquée. La cinquième et dernière étape consiste pour la Cour à déterminer si la restriction est justifiée… Si elle ne l’est pas, elle déclare alors qu’il y a non-conformité avec la section 5 de la Charte, tout en étant obligée d’appliquer cette restriction en vertu de la section 4 ».
  • [28]
    C. Oven and R. White, Jacobs and White, The European Convention on Human Rights, Oxford, 2005, p. 37.
  • [29]
    « En termes de pouvoir et de culture judiciaire, le devoir d’interpréter la législation primaire en accord avec les droits de la Convention sera sûrement aussi important que le pouvoir de déclarer l’incompatibilité » (S. Gardbaum, op. cit., p. 738); « La réticence marquée mais prévisible des cours à établir des déclarations d’incompatibilité fait de l’obligation d’interprétation conforme prévue par la section 3 un élément central dans la protection des droits de la Convention contre les intrusions législatives » (D. Bonner, H. Fenwick, S. Harris-Short : « Judicial Approaches to the Human Rights Act », International and Comparative Law Quarterly, n° 3,2003, p. 554).
  • [30]
    C’est pourquoi la Cour européenne n’est pas prête à reconnaître que les déclarations d’incompatibilité constituent un recours au sens de l’article 35 de la Convention qui pose la règle de l’épuisement des voies de recours (voir l’arrêt du 29 avril 2008, Burden and Burden v. the U. K. [GCh], par. 40-44).
  • [31]
    S. Gardbaum, op. cit., p. 739.
  • [32]
    Review of the implementation of the Human Rights Act, Department of Constitutional Affairs, July 2006, p. 17. La déclaration la plus spectaculaire concernait la détention d’étrangers en vertu du Anti-terrorism, Crime and Security Act de 2001 (A and others v. Secretary of State for the Home Department, arrêt du 16 décembre 2004 (2004, UKHL 56)). La déclaration d’incompatibilité fut suivie par le législateur : les dispositions en question furent abrogée par le Prevention of Terrorism Act de 2005, qui institua un nouveau régime de contrôle des détentions.
  • [33]
    P. W. Hogg, A. A. Bushnell, W. K. Wright, op. cit., p. 29-30.
  • [34]
    Il convient de citer une récente proposition israélienne en vertu de laquelle la Cour suprême pourrait déclarer une loi nulle en raison de son inconstitutionnalité. La décision serait prise par un panel élargi de neuf juges, à la majorité des deux tiers. Il fut proposé que si la Cour suprême déclarait une loi inconstitutionnelle, la Knesset pourrait adopter une loi disposant que la disposition inconstitutionnelle continue de produire des effets juridiques, en dépit du décision de la Cour. Il fut également proposé que cinq après l’adoption d’une telle loi, la Cour puisse se saisir de la question de la constitutionnalité de la loi originelle. Voir The Design and Operation of Judicial Review, ed. R. Post, Yale Global Constitutionalism Seminar, 2007, p. III 6-8.
  • [35]
    C’est pourquoi les développements du contrôle de constitutionnalité dans les pays d’Europe centrale et orientale se sont centrés sur la création de Cours constitutionnelles puissantes. Si par le passé, les Parlements en Pologne et en Roumanie ont eu quelque pouvoir de rejeter une décision d’inconstitutionnalité prise par le juge constitutionnel, ceux-ci n’ont jamais fonctionné correctement et furent finalement abolis. En Pologne, en vertu de l’amendement constitutionnel de 1982, toutes les décisions de la Cour constitutionnelle relatives à l’inconstitutionnalité d’une loi devaient être soumises au Parlement et pouvaient être rejetées à la majorité des deux tiers. Ce système de censure parlementaire – bien que sévèrement critiqué en doctrine – a été maintenu jusqu’en 1997 (et dans une certaine mesure, même jusqu’à 1999) : « bien que le rejet des décisions du Tribunal n’ait pas joué un rôle politique essentiel, il a été néanmoins toujours présent dans la pratique de l’activité de la Diète ; rappelons que jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, le rejet a été appliqué à huit reprises (le nombre total des décisions sur l’inconstitutionnalité des lois a été à cette période de 80 environ) », L. Garlicki, Vingt ans du Tribunal constitutionnel polonais, in Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz, Paris, 2007, p. 196-197. En Roumanie, en vertu de l’ancien article 147 (1) de la Constitution de 1991, une des procédures du contrôle de constitutionnalité était un contrôle a priori, dans lequel la Cour examinait les lois déjà adoptées par le Parlement, mais pas encore promulguées par le Président de la République. Lorsque la Cour déclarait qu’une loi était inconstitutionnelle, l’affaire était renvoyée devant le Parlement pour réexamen. Si, au terme de cet examen, la loi était adoptée de nouveau à la majorité des deux tiers par chaque chambre, la question d’inconstitutionnalité était levée et la promulgation devenait obligatoire. Un éminent universitaire roumain remarqua que ce système « était contestable, et même anachronique, anormal et bizarre, pouvant conduire à ce qu’une loi soit reconnue inconstitutionnelle par la Cour, et constitutionnelle par le Parlement… ». Depuis la mise en place de la Cour constitutionnelle et jusqu’à l’année 2000, jamais le Parlement n’a rejeté une décision d’inconstitutionnalité (I.Deleanu, Institutii si proceduri constitutionale, Bucuresti, 2006, p. 839). L’amendement de 2001 supprima les pouvoirs du Parlement de renverser les décisions de la Cour constitutionnelle.
  • [36]
    Voir L. Favoreu, « Les Cours de Strasbourg et de Luxembourg ne sont pas des Cours constitutionnelles », Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Dalloz 2002, p. 35-45; voir aussi J.-P. Costa, « La Cour européenne des droits de l’homme est-elle une Cour constitutionnelle ? », Constitution et pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel, Montchrestien, Paris, 2008, p. 145-156.
  • [37]
    Pour une présentation plus détaillée, voir L. Garlicki, C. Westerdiek, « Rechtsfolgen von Normenkontrollen – Die Rechtsprechung des EGMR », 33 EuGRZ, 2006, H. 17-18, p. 517 et s.
  • [38]
    Dans l’arrêt Ireland v. the U. K., la Cour observa que : « le problème en l’espèce porte sur le point de savoir si un État contractant est autorisé à remettre en cause en vertu de la Convention une loi de manière abstraite. Alors qu’afin d’établir une plainte recevable, un individu doit, en vertu de l’article 34, être victime d’une violation de ses droits garantis par la Convention, l’article 33 autorise chaque État contractant à saisir la Cour de tout manquement aux dispositions de la Convention qu’il croira pouvoir être imputé à un autre État. Ce manquement peut résulter d’une simple loi qui introduit, impose ou autorise des mesures incompatibles avec la sauvegarde des droits et libertés », arrêt du 18 janvier 1975 A.25, par. 240, RJD, 1978.
  • [39]
    Klass and others v. Germany, arrêt du 18 novembre 1977, A. 28, par. 33, RJD, 1978.
  • [40]
    Dans l’arrêt Dudgeon v. the U. K. (arrêt du 22 octobre 1981, A. 45, RJD 1981), la Cour, affirmant que la législation incriminant les relations homosexuelles violait la Convention, observa que « l’existence même de cette législation a affecté de manière continue et directe la vie privée du demandeur » (par. 41).
  • [41]
    Voir un des exemples classiques : l’arrêt du 13 juin 1979, Marckx v. Belgium, ECHR A 31.
  • [42]
    Arrêt du 17 février 2004, Maestri v. Italy, ECHR 2004-I, § 47.
  • [43]
    E. g. arrêt du 13 juillet 2000, Scozziari and Others v. Italy [GC], ECHR 2000-VIII, § 249 et arrêt du 26 octobre 2000, Kudla v. Poland [GC], ECHR 2000-XI, § 150-160.
  • [44]
    Voir L. Garlicki, Broniowski and After, « On the Dual Nature of Pilot Judgments », in Human Rights - Strasbourg Views. Liber Amicorum Luzius Wildhaber, Kehl 2007, p. 177 et s.; V. Zagrebelsky, « Questions autour de Broniowski », ibid., p. 521 et s.; L. Caflish, « Die Technik der Pilot-Falle », EuGRZ 2006, H. 17-18, p. 521 et s.; R. Degener, P. Mahoney, « The Prospects for a Test Case Procedure in the European Court of Human Rights », Trente ans de droit européen des droits de l’homme. Études à la mémoire de Wolfgang Strasser, Bruylant, 2007, p. 173-207.
  • [45]
    Arrêt du 22 juin 2004, ECHR 2004-V.
  • [46]
    Hutten-Czapska v. Poland (arrêt du 19 juin 2006, ECHR 2006-IV). Cette décision représente un autre exemple d’un « arrêt-pilote complet » rendu par la Grande Chambre (Voir L. Garlicki, Broniowski…, p. 191).
  • [47]
    E. g. Arrêts de la Grande Chambre, in Sejdovic´ v. Italy (1er mars 2006) ; Cocchiarella v. Italy (29 mars 2006) ; Scordino v. Italy (29 mars 2006) et arrêts de la Chambre, Lukenda v. Slovenia (6 octobre 2005) ; Hassan and Eylem Zengin v. Turkey (9 octobre 2007); Driza v. Albania (13 november 2007).
  • [48]
    Voir L. Garlicki, « The methods of interpretation », in Interpretation constitutionnelle, F. Mélin-Soucramanien (dir.), Dalloz, Paris, 2005, p. 141.

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