Notes
-
[1]
Deux autres partis ont remporté des sièges à la Chambre des représentants, le Parti national qui a obtenu 10 sièges et les Indépendants 2 sièges.
-
[2]
En 1969, le Parti travailliste, dirigé par Gough Whitlam, avait obtenu un changement de majorité de 7,1 % et en 1975, la Coalition de Malcolm Fraser avait obtenu un changement de 7,4 %.
-
[3]
Cette défaite peut s’expliquer également par une modification du découpage électoral de la circonscription de Bennelong avant les élections.
-
[4]
La première loi qui a marqué le début de cette politique est le Work Choices Act 2005. Pour une analyse, cf., cette chronique, cette Revue, n° 68,2006, p. 871-873.
-
[5]
Le Native Title Act de 1993 a été adopté suite à l’arrêt Mabo v. Queensland (No 2) [1992] HCA 23. Cette loi a garanti les droits fonciers des aborigènes sur les terres dépourvues de propriétaires ou de locataires et sur celles auxquelles les demandeurs ont toujours été associés de fait.
-
[6]
L’article 51 (XXI) de la Constitution dispose que le Parlement pourra faire des lois pour l’« acquisition dans des conditions équitables de la propriété d’un État ou d’un particulier pour un objet à l’égard duquel le Parlement a le droit de faire des lois ».
-
[7]
Dans l’arrêt Western Australia v. Commonwealth [1995] HCA 47, la Haute Cour a notamment sanctionné le fait que la loi de l’État accordait moins de droits à un groupe ethnique que ce dont il devrait bénéficier en application du droit fédéral.
-
[8]
Les résidents permanents présents en Australie avant le 1er juillet 2007 restent soumis aux mêmes conditions existant avant l’entrée en vigueur de l’Australian Citizenship Act pour une demande faite jusqu’au 1er juillet 2010. Cela suppose qu’ils soient présents en tant que résidents permanents pour un total de deux ans dans les cinq ans qui précédent leur demande, ce qui inclut un total de douze mois dans les deux ans précédant leur demande.
-
[9]
Les enfants âgés de moins de seize ans pourront être associés à la demande de leurs parents, sans respecter les exigences de résidence.
-
[10]
La section 21 (7) de la loi autorise néanmoins certaines personnes nées avant l’indépendance de la Papouasie, à acquérir la nationalité australienne si l’un de leurs parents est né en Australie.
-
[11]
Roach v. Electoral Commissioner [2007] HCA 43.
-
[12]
Dans l’arrêt Lange v. Australian Broadcasting Corporation (1997) 189 CLR 520, la Haute Cour avait déjà jugé que le droit de vote faisait partie des droits constitutionnels implicites, en le rattachant au droit à un gouvernement représentatif.
-
[13]
Bodruddaza v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs [2007] HCA 14.
-
[14]
Thomas v. Mowbray [2007] HCA 33.
-
[15]
Cet ordre restreignait ses capacités d’utiliser diverses formes de télécommunication, son droit de communiquer avec une liste de personnes considérées comme terroristes et son droit de quitter l’Australie. De plus, il lui interdisait de quitter son domicile entre minuit et cinq heures du matin.
-
[16]
L’article 51 (VI) de la Constitution dispose pourtant que le Parlement pourra faire des lois pour la « défense navale et militaire de la Confédération des différents États, ainsi que le contrôle des forces destinées à exécuter et maintenir les lois de la Confédération ».
-
[17]
Australian Communist Party v. Commonwealth [1951] HCA 5.
-
[18]
Jabbour v. Hicks [2007] FMCA 2139.
AUSTRALIE
1Au cours de l’année 2007, l’Australie a connu trois évolutions. D’abord, des évolutions institutionnelles avec la nomination d’un nouveau Premier ministre et d’un nouveau juge à la Haute Cour. Ensuite, des changements législatifs qui ont modifié la répartition des compétences entre l’État fédéral et les États et Territoires, ainsi que les conditions d’attribution de la nationalité. Enfin, la reconnaissance de nouveaux droits par les juges, liés notamment au recours au concept de droits implicites contenus dans la Constitution.
I – LES ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES
2Deux événements d’importance différente ont marqué l’organisation des institutions australiennes en 2007 : d’une part, les élections législatives et d’autre part, la nomination d’un nouveau juge à la Haute Cour.
1 – Les élections législatives
3La durée du mandat de la Chambre des représentants est, selon la section 28 de la Constitution et le Commonwealth Electoral Act de 1918, de trois ans au maximum après la réunion de la première session. La première réunion du 41e Parlement, après les élections de 2004, fut le 16 novembre, donc la fin du mandat des députés devait intervenir le 15 novembre 2007. Toutefois, selon le Commonwealth Electoral Act, il doit y avoir trente trois jours au moins et soixante huit jours au plus entre la dissolution de la Chambre et le jour des élections. Par conséquent, le Premier ministre a demandé et obtenu l’accord du Gouverneur général, Michael Jeffery, de dissoudre la Chambre des représentants le 14 octobre 2007. Cette décision a été suivie par la convocation des électeurs le 17 octobre pour l’organisation d’élections générales à la Chambre des représentants et d’élections partielles au Sénat. Le Premier ministre a, de ce fait, choisi une durée de campagne de trente neuf jours.
4La campagne électorale opposant le Premier ministre, John Howard, candidat du Parti libéral à sa réélection, et Kevin Rudd, candidat représentant le Parti travailliste, s’est concentrée autour de six points principaux. Trois axes ont nonobstant émergé : la contestation de la réforme du droit du travail contenue dans le Work Choices Act de 2005 ; le respect des exigences environnementales et les problèmes économiques, en raison d’une augmentation croissante du taux d’inflation et du taux d’intérêt. Les autres points de débat ont porté sur la protection de la santé et de l’assistance médicale, le financement de l’éducation et la garantie de la sécurité nationale. Cependant, il est apparu que la réforme du droit du travail a été l’élément essentiel qui a conduit à la défaite du Parti libéral, au pouvoir depuis le 11 mars 1996.
5En effet, les élections organisées le 24 novembre 2007 ont donné lieu à un changement de majorité, permettant au Parti travailliste d’obtenir la majorité à la Chambre des représentants. Ce parti a remporté 83 des 150 sièges, soit 43,38 % des suffrages, ce qui représente 23 sièges de plus que lors des élections de 2004. Le Parti libéral a, quant à lui, obtenu 55 sièges, représentant 36,61 % des suffrages [1]. Ce changement de majorité à la Chambre basse représente l’un des troisièmes plus importants depuis les élections de 1949 [2]. Par ailleurs, l’ampleur de la défaite du Parti Libéral peut se mesurer par le fait que John Howard, qui siégeait depuis 1974 dans la circonscription de Bennelong, n’a pas été réélu [3], ainsi que quatre de ses ministres.
6Les résultats de l’élection de la moitié des 76 sièges de sénateurs ont été davantage équilibrés. Le Parti travailliste a remporté 18 sièges, ce qui lui donne, compte tenu des sénateurs déjà élus, 32 sièges. Il obtient, en conséquence, une majorité de 40,6% avec le soutien des Verts qui représentent 11,7 % à la Chambre haute. Le Parti libéral a obtenu 15 sièges, lui permettant de conserver une majorité de 41,5 % avec 37 sénateurs. Les autres partis représentés au Sénat ont remporté respectivement : 3 sièges pour les Verts, 2 sièges pour le Parti national, 1 siège pour le Parti Famille d’abord et 1 siège pour les Indépendants. En définitive, par rapport aux élections de 2004, le Parti travailliste a gagné 4 sièges, la Coalition en a perdu 2 et les Démocrates ont perdu la totalité de leurs 4 sièges. Néanmoins, aucun groupe ne dispose de la majorité, qui est de 39 sénateurs. Le nouveau Gouvernement devra, dès lors, constituer des alliances afin de faire adopter ses projets de loi par les deux Chambres.
7A l’issue de ces élections, le Caucus du Parti travailliste s’est réuni, le 29 novembre, pour confirmer la désignation aux fonctions de Premier ministre de Kevin Rudd. Ce dernier a prêté serment le 3 décembre 2007. Concernant la formation de son Gouvernement, le nouveau Premier ministre s’est démarqué de la tradition de son Parti qui était qu’il soit choisi par le Caucus. Il a donc désigné lui-même les ministres formant son cabinet et a nommé, pour la première fois, une femme aux fonctions de vice-Premier ministre, Julia Gillard. Le Parti libéral, pour sa part, est à la recherche d’un nouveau dirigeant suite à la démission de John Howard.
2 – La nouvelle composition de la Haute Cour
8Le 1er septembre 2007, Ian Callinan a démissionné de ses fonctions de juge à la Haute Cour, car il avait atteint l’âge de la retraite. Dès le 3 septembre, le Gouverneur général a nommé, pour lui succéder, Susan Mary Kiefel. Cette nomination comporte quelques particularités. D’abord, c’est la première fois que deux femmes vont siéger concomitamment à la Haute Cour, suite à la nomination en 2005 de Susan Crennan. Ensuite, le juge Kiefel est une des plus jeunes juges nommée à la Haute Cour, ce qui va lui permettre de rester en fonction jusqu’en 2024. Enfin, cet ancien juge de la Cour fédérale et de la Cour suprême des îles de Norfolk ne devrait pas conduire à des changements de majorité au sein de la Cour, car elle est connue pour ses positions conservatrices. Les nominations, en août 2008 pour remplacer le juge Gleeson et en mars 2009 pour remplacer le juge Kirby, pourraient en revanche entraîner de nouveaux changements au sein de la majorité de la Haute Cour.
9Hormis ces renouvellements institutionnels, en 2007, le droit australien a connu des changements législatifs et jurisprudentiels dans la protection des droits et libertés.
II – LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS
10La protection des droits et libertés sera analysée du point de vue des lois adoptées par le Parlement fédéral et de la jurisprudence rendue par la Haute Cour.
1 – La protection législative des droits et libertés
11Parmi les lois adoptées en 2007, deux lois se démarquent car elles reflètent d’une part, l’ingérence du Parlement dans la protection des droits et libertés au niveau des États et Territoires et, d’autre part, l’équilibre entre les droits liés à la nationalité et la protection de la souveraineté de l’État.
a) Le Northern Territory National Emergency Response Act 2007
12Durant l’année 2007, le Gouvernement de John Howard a renforcé l’intervention de la Fédération dans la protection des droits et libertés au niveau des Etats [4]. La principale illustration, qui a soulevé de nombreuses controverses, est le Northern Territory National Emergency Response. Il s’agit d’un programme comportant onze mesures mis en place, très rapidement, et sans consultation dans le Territoire du Nord. Il a fait suite au rapport Little Children are Sacred qui démontrait un nombre important de mauvais traitements et, plus particulièrement, d’abus sexuels sur les enfants indigènes dans ce Territoire. Ce rapport a conduit à l’adoption d’une série de lois, ayant un lien plus ou moins proche avec l’objectif poursuivi, et concernant exclusivement la population indigène. Le Northern Territory Act a été voté par le Parlement fédéral en août 2007, à la majorité des deux Chambres, par les principaux partis.
13Les principales mesures adoptées dans ce programme sont : le déploiement supplémentaire de forces de police ; l’interdiction de l’alcool dans certaines parties du Territoire; la mise en place de nouvelles règles qui autorisent le Gouvernement à mettre en quarantaine une partie des prestations sociales d’une communauté désignée, majoritairement des personnes aborigènes, et de toute prestation pour ceux qui négligent leurs enfants ; autoriser le Gouvernement à avoir un bail de cinq ans sur les terres des aborigènes ; augmenter l’application des lois fédérales sur les crimes affectant les enfants indigènes et réviser le système des peines, pour interdire toute dispense spéciale pour les indigènes en prenant en compte le droit coutumier ; retirer le droit coutumier et les pratiques culturelles pour l’examen des demandes de libération; la mise en place de filtres contre la pornographie sur les ordinateurs publics et enfin, l’abolition partielle du « système de permis » sur les terres avec une remise en cause des droits fonciers accordés aux aborigènes.
14Parmi ces mesures, une loi, l’Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Amendment (Township Leasing) Act de 2007, appelle deux remarques. En premier lieu, des interrogations se posent sur la validité de cette loi par rapport au droit australien. En effet, elle prévoit l’acquisition obligatoire de communes régies par le Native Title Act de 1993 [5], avec un bail de cinq ans accordé au Gouvernement et une compensation sur des bases autres que « des conditions équitables » comme cela est prévu par la Constitution [6]. La loi impose également la mise en place, dans certaines parties du Territoire, d’un Executive Director of Township Leasing pour assurer la gestion des terres détenues par les aborigènes. Ces dispositions sont contraires à la fois au droit en vigueur et à la jurisprudence de la Haute Cour. Cette dernière avait jugé à propos du Land (Titles and Traditional Usage) Act 1993, d’Australie occidentale, que le fait que cette loi soit moins protectrice que les droits accordés en vertu de la loi du Commonwealth, entraînait une violation de la section 10 du Race Discrimination Act de 1975 [7]. Le problème est que l’application du programme dans le Territoire du Nord a été accompagnée par une suspension des dispositions du Race Discrimination Act, qui ne peuvent donc pas être invoquées. En second lieu, cette politique serait aussi, plus généralement, contraire à la Convention sur l’élimination des discriminations raciales, bien qu’il y ait peu de chance qu’un recours aboutisse à court terme, sur ce fondement. Quelques ajustements ont été apportés à ce programme, suite à l’entrée en fonction du nouveau Gouvernement.
b) L’Australian Citizenship Act 2007
15Depuis l’adoption du Nationality and Citizenship Act en 1948, la loi sur la citoyenneté australienne n’avait connu que quelques amendements. Le Parlement a ainsi décidé de son remplacement par l’adoption de l’Australian Citizenship Act, qui a reçu l’assentiment royal le 15 mars 2007 et est entrée en vigueur le 1er juillet. Cette loi a profondément modifié les conditions d’attribution et de perte de la nationalité.
16D’abord, concernant les conditions d’attribution de la nationalité, de nouvelles exigences générales ont été posées, à compter du mois d’août 2007 [8]. Le demandeur devra : disposer du statut de résident permanent ; être présent en Australie depuis au moins trois ans, dans les quatre ans précédent sa demande ; être présent en Australie en tant que résident permanent depuis au moins neuf mois, au cours des douze mois précédent sa demande ; ne pas avoir été en situation irrégulière au cours des quatre années précédent sa demande ; comprendre les responsabilités et les privilèges de la citoyenneté australienne, sauf pour les personnes âgées de soixante ans ou plus ; pouvoir parler et comprendre un anglais basique, sauf pour les personnes âgées de soixante ans ou plus ; comprendre la nature de sa demande et avoir l’intention de résider en Australie ou de maintenir un lien étroit et continu avec l’Australie. Les enfants âgés de seize ou dix-sept ans seront tenus, sauf exception, de respecter les mêmes exigences que les adultes [9]. La loi a également assoupli les conditions pour retrouver la nationalité australienne. En effet, depuis le 1er juillet 2007, d’anciens nationaux qui ont perdu leur nationalité du fait de leur résidence hors de l’Australie peuvent la demander à nouveau, la seule condition étant qu’ils soient de « bon caractère ». Pour ceux qui ont renoncé à leur nationalité, ils devront démontrer que la renonciation a été faite pour acquérir ou conserver une autre nationalité ou pour éviter notamment un désavantage. Leurs enfants pourront aussi demander l’octroi de la nationalité, y compris pour ceux qui ont plus de dix huit ans.
17Ensuite, depuis le 1er octobre 2007, les personnes âgées de seize à soixante ans demandant leur naturalisation auront l’obligation de passer un Australian Citizenship test. Cet examen inclut le contrôle des valeurs, de l’histoire, des traditions et des symboles nationaux de l’Australie. A l’issue de l’admission de leur demande, sera organisée une cérémonie de citoyenneté au cours de laquelle les futurs citoyens devront faire une promesse d’engagement envers l’Australie.
18Puis, la loi a modifié les conditions de perte de la nationalité. En premier lieu, la section 35 de la loi prévoit l’hypothèse où une personne disposant de la nationalité ou de la citoyenneté d’un autre pays, sert dans les forces armées d’un pays ennemi à l’Australie. En deuxième lieu, la section 34 s’applique dans deux situations. D’une part, lors de la condamnation pour un délit, prévu dans l’Australian Citizenship Act de 1948 ou du Migration Act de 1958, pour fraude dans une demande de nationalité ou d’immigration. D’autre part, pour une personne condamnée à douze mois de prison ou plus avant que sa demande de nationalité ne soit approuvée, sauf si la personne est apatride. Enfin, la section 21 (6) de la loi permet à un enfant de demander la nationalité par descendance, lorsque l’un des ses parents a perdu automatiquement la citoyenneté australienne suite à une naturalisation par un autre pays, avant le 4 avril 2002. La demande sera rejetée dans tous les autres cas [10]. La loi ne fixe cependant pas de limite d’âge pour faire cette demande. Par ailleurs, un enfant ne perdra plus automatiquement sa nationalité en fonction des actes commis par ses parents. Toutefois, le ministre de l’Immigration pourra priver un enfant de sa nationalité en fonction de ces actes, sur décision discrétionnaire.
19Enfin, la loi a mis en place une procédure simplifiée pour les enfants adoptés à l’étranger conformément à la Convention de La Haye.
20La fin du mandat de John Howard a été marquée par l’entrée en vigueur de deux lois qui ont restreint les droits et libertés des nationaux et des non-natio-naux. La jurisprudence rendue par la Haute Cour sur cette période a, en partie, tenté de trouver un équilibre entre la protection des droits et libertés et le respect de la souveraineté parlementaire.
2 – La protection jurisprudentielle des droits et libertés
21La jurisprudence analysée sera celle rendue par la Haute Cour en matière de droits et libertés protégés, explicitement ou implicitement, dans la Constitution australienne.
a) La reconnaissance du droit de vote aux détenus
22Le droit de vote des détenus est régi par le Commonwealth Electoral Act de 1918. Or, cette loi a été amendée, en 2006, notamment par la section 93 (8AA) de l’Electoral and Referendum Amendment (Electoral Integrity and Other Measures) Act qui dispose qu’une personne qui purge une peine de prison pour un délit commis contre une loi du Commonwealth ou d’un État ou Territoire ne possède pas le droit de vote pour toute élection du Sénat ou de la Chambre des représentants. La Haute Cour a été saisie pour apprécier la constitutionnalité de ces amendements, en particulier par rapport aux articles 7 et 24 de la Constitution dans l’arrêt Roach [11].
23En premier lieu, devant la Cour, le Commonwealth a soutenu qu’historiquement, au moment de la Fédération, le retrait du droit de vote aux prisonniers était la norme. Dès lors, les juges devaient être déférents à l’égard de la souveraineté parlementaire et reconnaître que le Parlement dispose d’une grande marge de manœuvre pour fixer les règles électorales. En second lieu, la requérante a invoqué plusieurs arguments. D’abord, cet amendement serait contraire aux articles 7 et 24 de la Constitution qui exigent que le Sénat et la Chambre des représentants soient directement choisis par le peuple. Ensuite, elle a soulevé que cette nouvelle règle dépassait les pouvoirs législatifs du Commonwealth. De ce fait, elle serait contraire au droit implicite de liberté de participation et de communication politique et ne serait pas raisonnablement appropriée ou adaptée à cette fin. Enfin, l’amendement serait incompatible avec le chapitre III de la Constitution, car il reviendrait à infliger une punition.
24Dans cet arrêt, à une majorité de quatre contre deux, les juges ont repris leur jurisprudence qui consiste à donner un effet aux « droits » constitutionnels qui ne sont pas expressément dans le texte de la Constitution, mais qui y sont « implicites » [12]. Sur ce fondement, les juges ont déclaré contraires à la Constitution les amendements du Commonwealth Electoral Act qui retiraient le droit de vote aux prisonniers qui purgent une peine de prison. Selon la majorité, composée des juges Gleeson, Gummow, Crennan et Kirby, ces amendements sont contraires au principe de gouvernement représentatif contenu dans l’article 24 de la Constitution, qui exige que les parlementaires soient « directement choisis par le peuple ». Par ailleurs, bien que la Cour fut unanime pour reconnaître que l’article 24 n’implique pas l’existence du suffrage universel, la majorité a ajouté que la signification de cet article a changé dans les circonstances contemporaines. Cela implique que toute limitation du droit de vote doit désormais être justifiée par des « raisons substantielles » ou « raisonnablement appropriées et adaptées » au système de gouvernement représentatif dont dispose la Constitution. Les juges en ont conclu qu’il n’existe pas de lien suffisant entre le retrait du droit de vote et une peine de prison, puisque les peines de prison sont de manière disproportionnée imposées à ceux qui souffrent de troubles mentaux, qui sont sans abri ou simplement pauvres, parce que l’imposition de sanctions financières n’est, le plus souvent, pas possible. Toutefois, selon l’opinion majoritaire, les dispositions précédentes de la loi qui ne retiraient le droit de vote qu’aux prisonniers condamnés à trois ans de prison ou plus seraient constitutionnelles.
25L’opinion dissidente a reflété la réticence à accepter que le sens de la Constitution ait changé à travers le temps. Ainsi, l’accent a été mis sur le sens « originel » de la Constitution. Plus précisément, le juge Heydon a été particulièrement critique sur le fait que le Parlement ne peut être empêché de revenir sur les extensions du droit de vote sur lesquelles il a légiféré, et qui n’existaient pas au moment où la Constitution a été adoptée. Le juge Hayne a, pour sa part, souligné que le principe de souveraineté parlementaire peut signifier que le « Parlement peut déterminer lui-même le droit de vote de ceux qui doivent l’élire », en l’absence de limitation explicite dans le texte de la Constitution.
26En définitive, cet arrêt représente une victoire limitée dans la garantie des droits politiques des prisonniers. Elle constituera cependant un précédent, car les termes « directement choisi par le peuple » impliquent désormais le droit de vote de tous les citoyens résidents membres de la communauté politique, ce qui interdit toute restriction arbitraire.
b) Le droit au judicial review de la Haute Cour
27La Haute Cour s’est également prononcée sur l’étendue des droits protégés par l’article 75 (V) de la Constitution, dans l’arrêt Bodruddaza [13]. Cet article confère à la Haute Cour la compétence d’entendre toutes les affaires « dans lesquelles une citation à comparaître, une défense ou une injonction, est dirigée contre un fonctionnaire de la Confédération », ce qui inclus le droit au judicial review en cas d’erreur judiciaire.
28En l’espèce, M. Bodruddaza, un citoyen du Bangladesh, est arrivé en Australie en 2003 avec un visa d’étudiant. Le 25 juillet 2005, il a demandé un « independant oversea student visa » qui lui a été refusé, le 5 janvier 2006. Il a ensuite demandé à son agent d’immigration de présenter un recours devant le Migration Review Tribunal (MRT). Cependant, selon le Migration Act de 1958, il avait vingt et un jours pour déposer son recours, qui a été présenté le 7 février. Le MRT a, de ce fait, rejeté sa demande. Il a alors fait un recours devant la Haute Cour, le 11 juillet 2006. Or, la section 486 A du Migration Act dispose que la demande doit être présentée dans les quatre vingt quatre jours suivant la décision définitive. De plus, cette disposition n’autorise pas la Haute Cour à étendre ce délai pour examiner la décision, contrairement au High Court Rules qui accordent à la Haute Cour une compétence discrétionnaire pour étendre la période fixée dans les règles. En conséquence, les juges ont unanimement déclaré la section 486 A inconstitutionnelle, car elle limitait la possibilité pour le requérant de demander un contrôle de la Cour suivant sa compétence originelle. Les juges ont précisé qu’en adoptant cette disposition le législateur a dépassé ses compétences, parce que cette section constitue une interdiction pour la Cour d’exercer ses pouvoirs judiciaires. Ils ont ajouté que la « ouster clause » ne peut limiter la période pendant laquelle le judicial review peut être demandé, du moins quand les effets de la limitation de temps sont « contraires avec la place de la section 75 (V) dans la structure constitutionnelle ».
29Cet arrêt a, dès lors, permis de préciser l’étendue de la compétence originelle de la Haute Cour pour contrôler les actions des agents du Commonwealth et d’encadrer la compétence du Parlement pour limiter le droit au judicial review.
c) Le contrôle des mesures de lutte contre le terrorisme
30Dans l’arrêt Thomas v. Mowbray [14], la Haute Cour s’est prononcée pour la première fois, depuis l’adoption en 2002 des premières lois relatives à la lutte contre le terrorisme, sur le pouvoir législatif du Commonwealth d’adopter ces mesures et plus précisément sur l’Anti-Terrorism Act (n° 2) de 2005. Dans cet arrêt, M. Thomas contestait l’ordre de contrôle adopté contre lui par une Federal Magistrates Court, le 27 août 2006 [15], alors qu’il avait été acquitté par le jury de la Cour suprême de Victoria d’avoir aidé une organisation terroriste. Le requérant a, ainsi, exercé un recours devant la Haute Cour pour contester la constitutionnalité de la Division 104 du Code criminel qui autorise l’adoption d’ordres de contrôle, notamment par rapport à l’article 51 (VI) de la Constitution. La Haute Cour a, à une majorité de cinq juges, reconnu la constitutionnalité des ordres de contrôle avec une opinion dissidente des juges Kirby et Hayne.
31L’opinion majoritaire a présenté un raisonnement en trois temps. D’abord, la Division 104 ne confère pas aux cours fédérales un pouvoir non-judiciaire contraire au chapitre III de la Constitution. De fait, le pouvoir de restreindre ou d’interférer avec la liberté d’une personne au motif de ce que cette personne pourrait faire dans le futur, au lieu de la détermination de ce que la personne a fait, n’est pas un pouvoir qui ne peut être exercé que législativement ou administrativement. Ensuite, la Division 104 n’autorise pas l’utilisation d’un pouvoir judiciaire qui soit contraire au chapitre III de la Constitution. En particulier, la détermination de ce qui est « raisonnablement nécessaire » et « raisonnablement approprié et adapté » pour protéger la population, n’est pas trop vague pour être utilisé dans la prise d’une décision judiciaire. A ce propos, la Cour a précisé que les cours fédérales ne pourront adopter un ordre de contrôle que sous deux conditions. D’une part, si l’adoption de cet ordre peut substantiellement aider à prévenir un acte terroriste, ou si cette personne a fourni ou reçu un entraînement d’organisations terroristes définies. D’autre part, chacune des obligations, interdictions ou restrictions imposées par cet ordre doit être raisonnablement nécessaire, approprié et adapté à l’objectif de protéger la population contre les attaques terroristes. Enfin, la référence au pouvoir de défense, contenu dans l’article 51 (VI) de la Constitution, a été à elle seule suffisante pour que la section 104 soit constitutionnelle.
32La principale portée de cet arrêt est d’avoir, pour la première fois, autorisé une extension du pouvoir de défense du Gouvernement fédéral, mentionné dans l’article 51 (VI) de la Constitution, au-delà de la guerre et des menaces extérieures [16]. Désormais, l’exercice de ce pouvoir pourra être invoqué non seulement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme mais aussi pour des « troubles » internes. Les juges ont ainsi reconnu la possibilité d’utiliser « les forces militaires et la marine du Commonwealth » pour des problèmes internes, revenant en partie sur les principes posés dans l’arrêt Communist Party Case [17].
33Sur ce fondement, un second ordre de contrôle a été adopté contre David Hicks, un citoyen australien anciennement détenu sur la base de Guantanamo [18]. M. Hicks a plaidé coupable aux charges d’aide au terrorisme, devant une commission militaire américaine en mars 2007, après avoir passé plus de cinq ans à Guantanamo suite à sa capture en Afghanistan. Il a été transféré en Australie en mai 2007 pour achever ses neuf mois de prison, suite à sa condamnation par une c ommission militaire. A compter de sa remise en liberté le 29 décembre2007, un ordre de contrôle lui a imposé de ne pas quitter le pays, de se signaler à la police trois fois par semaine et de se soumettre à un couvre-feu de minuit à six heures du matin. Cet ordre est valable pendant un an, avec un contrôle intermédiaire effectué le 18 février 2008.
34En conclusion, l’année 2007 a été à la fois une année d’évolution et de changement. Les évolutions ont consisté, en matière de droits et libertés, en un renforcement des principes précédemment appliqués, que ce soit au niveau législatif ou jurisprudentiel. Le principal changement a été l’arrivée au pouvoir du Parti travailliste. Pour marquer sa nouvelle politique, le Premier ministre, Kevin Rudd, a dès le jour de son entrée en fonction, le 3 décembre 2007, choisi de signer le protocole de Kyoto, cet acte représentant un des derniers événements marquant en Australie, en 2007.
Notes
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[1]
Deux autres partis ont remporté des sièges à la Chambre des représentants, le Parti national qui a obtenu 10 sièges et les Indépendants 2 sièges.
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[2]
En 1969, le Parti travailliste, dirigé par Gough Whitlam, avait obtenu un changement de majorité de 7,1 % et en 1975, la Coalition de Malcolm Fraser avait obtenu un changement de 7,4 %.
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[3]
Cette défaite peut s’expliquer également par une modification du découpage électoral de la circonscription de Bennelong avant les élections.
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[4]
La première loi qui a marqué le début de cette politique est le Work Choices Act 2005. Pour une analyse, cf., cette chronique, cette Revue, n° 68,2006, p. 871-873.
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[5]
Le Native Title Act de 1993 a été adopté suite à l’arrêt Mabo v. Queensland (No 2) [1992] HCA 23. Cette loi a garanti les droits fonciers des aborigènes sur les terres dépourvues de propriétaires ou de locataires et sur celles auxquelles les demandeurs ont toujours été associés de fait.
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[6]
L’article 51 (XXI) de la Constitution dispose que le Parlement pourra faire des lois pour l’« acquisition dans des conditions équitables de la propriété d’un État ou d’un particulier pour un objet à l’égard duquel le Parlement a le droit de faire des lois ».
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[7]
Dans l’arrêt Western Australia v. Commonwealth [1995] HCA 47, la Haute Cour a notamment sanctionné le fait que la loi de l’État accordait moins de droits à un groupe ethnique que ce dont il devrait bénéficier en application du droit fédéral.
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[8]
Les résidents permanents présents en Australie avant le 1er juillet 2007 restent soumis aux mêmes conditions existant avant l’entrée en vigueur de l’Australian Citizenship Act pour une demande faite jusqu’au 1er juillet 2010. Cela suppose qu’ils soient présents en tant que résidents permanents pour un total de deux ans dans les cinq ans qui précédent leur demande, ce qui inclut un total de douze mois dans les deux ans précédant leur demande.
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[9]
Les enfants âgés de moins de seize ans pourront être associés à la demande de leurs parents, sans respecter les exigences de résidence.
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[10]
La section 21 (7) de la loi autorise néanmoins certaines personnes nées avant l’indépendance de la Papouasie, à acquérir la nationalité australienne si l’un de leurs parents est né en Australie.
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[11]
Roach v. Electoral Commissioner [2007] HCA 43.
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[12]
Dans l’arrêt Lange v. Australian Broadcasting Corporation (1997) 189 CLR 520, la Haute Cour avait déjà jugé que le droit de vote faisait partie des droits constitutionnels implicites, en le rattachant au droit à un gouvernement représentatif.
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[13]
Bodruddaza v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs [2007] HCA 14.
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[14]
Thomas v. Mowbray [2007] HCA 33.
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[15]
Cet ordre restreignait ses capacités d’utiliser diverses formes de télécommunication, son droit de communiquer avec une liste de personnes considérées comme terroristes et son droit de quitter l’Australie. De plus, il lui interdisait de quitter son domicile entre minuit et cinq heures du matin.
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[16]
L’article 51 (VI) de la Constitution dispose pourtant que le Parlement pourra faire des lois pour la « défense navale et militaire de la Confédération des différents États, ainsi que le contrôle des forces destinées à exécuter et maintenir les lois de la Confédération ».
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[17]
Australian Communist Party v. Commonwealth [1951] HCA 5.
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[18]
Jabbour v. Hicks [2007] FMCA 2139.