Couverture de RFDC_070

Article de revue

La réforme du fédéralisme allemand de 2006

Pages 227 à 248

Notes

  • [1]
    Sur les révisions de la Loi fondamentale antérieures à 1978, voir M. Fromont, « L’évolution du fédéralisme depuis 1949 », Le pouvoir, Mélanges offerts à Georges Burdeau, LGDJ, 1977, p. 661; M. Fromont, « RFA, Les modifications apportées à la Loi fondamentale depuis 1949 », Pouvoirs, n° 7,1978, p. 131. Voir également C. Grewe, Le fédéralisme coopératif en République fédérale d’Allemagne, préface Michel Fromont, Paris, 1981; C. Grewe, Le système politique ouest-allemand, PUF, Paris 1986.
  • [2]
    M. Fromont, « Le fédéralisme allemand et les problèmes économiques et financiers », Revue du droit public, p. 535; M. Fromont, « La révision constitutionnelle du 20 décembre 1992 », in La jurisprudence constitutionnelle allemande en 1992 et 1993, Revue du droit public, 1995, p. 352. Voir aussi X. Volmerange, Le fédéralisme allemand face au droit communautaire, préface Marcou, L’Harmattan, Paris 2000.
  • [3]
    En outre, la révision de 1992 a associé les Länder à la politique européenne de la Fédération en prévoyant, d’une part, la participation du Bundesrat à certaines décisions de la Fédération en matière européenne et, d’autre part, la présence de délégués des Länder pour certaines négociations au Conseil de l’Union européenne.
  • [4]
    Bundesgesetzblatt, I, 2006, p. 2034. Le site du Journal officiel fédéral étant payant, si l’on veut faire un tirage papier, il est préférable d’utiliser le site du Bundestag, qui est moins mercantile. On trouvera un tableau synoptique de l’ancien texte et du texte des modifications apportées en 2006 à l’adresse suivante : wwww. bundestag. de/ bic/ analysen/ 2006// Foederalis musreform_2006.pdf.
  • [5]
    Föderalismusreform-Begleitgesetz, BGBl, I, p. 2098. Le site du Journal officiel fédéral étant payant, si l’on veut faire un tirage papier, il est préférable d’utiliser le site des Landtage qui est gratuit ; normalement il ne reproduit que le texte des lois des 16 Länder, mais exceptionnellement il a reproduit le texte de la loi fédérale d’accompagnement de la réforme : www. parlamentsspiegel. de/
  • [6]
    Quelques commentaires de la réforme ont déjà été publiés dans les revues allemandes : J. Ipsen, Die Kompetenzverteilung zwischen Bund und Ländern nach der Föderalismusnovelle, NJW, 2006, p. 2801; U. Häde, Zur Föderalismusreform in Deutschland, JZ, 2006, p. 930; H.-W. Rengeling, Föderalismusreform und Gesetzgebungskompetenzen, DVBl, 2006, p. 1537; G. Mulert, Der Bundesrat im Lichte der Föderalismusreform, DöV, 2007, p. 26.
  • [7]
    Avant de commencer l’étude de cette réforme, mentionnons les modifications que cette même loi constitutionnelle a apportées à l’article 22 de la Loi fondamentale. Celui-ci contenait jusqu’alors un seul alinéa ainsi rédigé : « Le drapeau fédéral est noir-rouge-or ». Il comporte désormais deux alinéas. Le premier alinéa dispose : « La capitale de la République fédérale d’Allemagne est Berlin. La représentation de l’ensemble de l’État dans la capitale incombe à la Fédération. Les modalités seront réglées par une loi fédérale ». Le second alinéa est l’ancien alinéa unique. C’est une simple consécration constitutionnelle des décisions prises en 1994 par le législateur et mises en œuvre en 1999.
  • [8]
    Analyse Fromont, Revue du droit public, 2004, p. 1147 : l’uniformité de la réglementation de la profession d’aide soignant pour personnes âgées n’est nullement nécessaire ; en conséquence, la Fédération ne peut pas légiférer sans violer l’article 72, al. 2 de la Loi fondamentale qui posait à cette époque la condition de nécessité pour l’exercice de toute compétence concurrente par la Fédération.
  • [9]
    Cour constitutionnelle fédérale 24 octobre 2002, analyse Fromont, Revue du droit public, 2004, p. 1147.
  • [10]
    Cour constitutionnelle fédérale 27 juillet 2004, analyse Fromont, Revue du droit public, 2005, p. 1698
  • [11]
    Cour constitutionnelle fédérale 26 janvier 2005, analyse Fromont, Revue du droit public, 2006, p. 1767
  • [12]
    De ce fait, le nombre des compétences de la Cour constitutionnelle fédérale prévues par la Constitution a été porté à 16. Le juriste français ne manquera pas d’observer que toutes les compétences de la Cour sont prévues par un texte constitutionnel et exceptionnellement par un texte législatif (sur les 16 cas, 15 sont effectivement prévus par la Constitution et un seul cas l’est par une loi, la loi sur les commissions d’enquête). On est loin de la pratique française, digne d’une République bananière, selon laquelle les compétences sont créées pêle-mêle par quelques textes constitutionnels, de nombreux textes législatifs et parfois même simplement par de simples règlements du gouvernement !
  • [13]
    Le nouvel article 93, alinéa 2, de la Loi fondamentale prévoit également la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle fédérale dans le cas où, selon les règles constitutionnelles en vigueur avant la révision constitutionnelle de 1994 ou celle de 2006, la Fédération pouvait librement exercer sa compétence concurrente, mais où elle ne peut plus depuis les modifications apportées à la Loi fondamentale en 1994 ou en 2006.
  • [14]
    Parmi les matières qui pouvaient faire l’objet de lois-cadres fédérales et qui ne rentrent pas dans les compétences concurrentes avec faculté de dérogation, figurent, d’une part, la presse, qui a été transférée implicitement dans le domaine de compétence exclusive des Länder, et, d’autre part, la déclaration de domicile, la carte d’identité et la protection contre le transfert à l’étranger de biens culturels, qui ont été transférées à la compétence exclusive de la Fédération.
  • [15]
    Signalons toutefois une retouche de détail : les Länder ont reçu le droit de fixer eux-mêmes le taux de l’impôt sur les mutations immobilières (art. 105, al. 2a).
  • [16]
    Les lois fédérales qui restent soumises à l’approbation du Bundesrat sont les suivantes : en matière administrative, l’extension des cas où la Fédération a sa propre administration (art. 87, al. 3), la loi fédérale sur l’énergie nucléaire (art. 87c), la détermination des tâches mixtes (art. 91a, al. 2; voir infra), et en matière fiscale et budgétaire, les lois fiscales (art. 105, al. 3), la répartition du produit de la TVA entre la Fédération et les Länder (art. 107) et la définition des principes du droit budgétaire (art. 109, al. 3). Pour être complet, il faut encore ajouter les cas suivants : le remaniement du découpage du territoire en Länder (art. 29, al. 7), la proclamation de l’état de nécessité législative (art. 81, al. 3) ou de l’état de défense (art. 115a).
  • [17]
    Voir M. Fromont, « L’évolution du fédéralisme depuis 1949 », Le pouvoir, Mélanges offerts à Georges Burdeau, LGDJ, 1977, p. 661. Voir également, C. Grewe, Le fédéralisme coopératif en République fédérale d’Allemagne, préface Michel Fromont, Paris 1981.
  • [18]
    Ce principe général était d’ailleurs conforté par les deux règles suivantes figurant respectivement aux alinéas 2 et 6 du même article 104a de la Loi fondamentale :« Lorsque les Länder agissent par délégation de la Fédération, celle-ci supporte les dépenses qui en résultent » (al. 2) ; « La Fédération et les Länder supportent les dépenses de fonctionnement de leurs services » (al. 5).

1Le fédéralisme allemand présente un caractère unitaire très marqué en ce sens que la Fédération est beaucoup plus forte que les États-membres. Certes ces derniers ont des compétences à la fois en matière constitutionnelle, législative, diplomatique, judiciaire, administrative et financière. Néanmoins l’exercice des compétences étatiques par les Länder est très étroitement encadré par les actes de la Fédération. Ainsi, la Constitution fédérale impose à la Constitution de chaque Land le respect des grands principes de la démocratie et de l’État de droit. Quant aux compétences législatives des Länder, elles sont peu nombreuses et doivent s’exercer dans le respect de la Constitution fédérale, notamment des droits fondamentaux qu’elle consacre, et des nombreuses lois fédérales. De même, la compétence diplomatique ne peut s’exercer que dans d’étroites limites (art. 32 de la Loi fondamentale). Enfin, les tribunaux des Länder sont organisés et fonctionnent exclusivement selon des lois fédérales et presque toutes leurs décisions sont susceptibles d’être cassées par les juridictions de cassation qui sont des juridictions fédérales (ainsi que par la Cour constitutionnelle fédérale en cas de violation d’un droit fondamental consacré par la Constitution fédérale). Seules les compétences administratives et financières des Länder sont relativement importantes dans la mesure où une partie du droit administratif appliqué n’est pas fédéral, où les lois fédérales sont normalement mises en œuvre librement par les administrations des Länder, et où les ressources financières des Länder sont assez importantes quoique insuffisantes. C’est pourquoi le fédéralisme allemand est avant tout un fédéralisme administratif et financier.

2Les rédacteurs de la Loi fondamentale s’étaient efforcés d’instituer un fédéralisme équilibré, tant en réaction contre les tendances centralisatrices de la République de Weimar que sous la pression amicale, mais ferme, des Puissances alliées de l’Ouest. Mais la base sociologique du fédéralisme manque en réalité en Allemagne du fait que les Länder formés après la guerre ont pour la plupart des frontières artificielles et que le formidable afflux de personnes déplacées ou réfugiées en provenance de l’Est (près de quinze millions) a rendu assez homogène la population de tout le territoire fédéral. En outre, le développement de politiques nouvelles, telles que la défense du territoire, l’aménagement du territoire et l’aide aux différentes catégories défavorisées, a contribué à accentuer le déséquilibre déjà latent dans le texte constitutionnel entre la Fédération et les Länder. Cette évolution résulta principalement de la pratique : les lois fédérales contenant des dispositions relatives à l’organisation et à la procédure des administrations des Länder se multiplièrent, portant ainsi une atteinte à ce qui fait le noyau dur de l’autonomie administrative de ceux-ci. De plus, la Fédération accorda de plus en plus souvent des aides financières aux Länder en échange de la création d’un certain droit de regard sur la gestion des Länder.

3Cette évolution enchevêtrement fut également consacrée par d’assez nombreux amendements apportés à la Loi fondamentale [1]. Si l’on écarte les révisions dues au réarmement (1954), puis à la réunification de l’Allemagne (1990), les révisions constitutionnelles ont consisté, principalement, à accompagner et légitimer cette évolution. D’une part, diverses révisions constitutionnelles ont conféré à la Fédération des compétences législatives nouvelles dans les matières suivantes : défense nationale (27octobre 1954), énergie nucléaire (23 décembre 1959), protection civile (24 juin 1968), aides aux étudiants, tarifs hospitaliers et taxes sur l’utilisation des routes (12 mai 1968), environnement (18 mars 1971 et 12avril 1972), armes et explosifs (28 juillet 1972 et 23 août 1976), responsabilité des personnes de droit public et bioéthique (27 octobre 1994). En outre, deux révisions du 12 mai 1969 ont apporté de profondes modifications au système fédéral en créant des possibilités de partage des responsabilités entre la Fédération et les Länder[2]. La première révision créa au profit de la Fédération de nouvelles compétences pour édicter des lois-cadres dans deux domaines sensibles, l’enseignement supérieur et la rémunération des fonctionnaires des Länder (12 mai 1969). La seconde révision constitutionnelle a organisé une véritable coopération financière entre la Fédération et les Länder : d’une part, elle a autorisé le législateur fédéral à prévoir des aides financières de la Fédération dans certains domaines (Finanzhilfen), d’autre part elle a instauré une planification financière commune à la Fédération et aux Länder pour réaliser certains investissements publics (Gemeinschaftsaufgaben) [3]. Il en est résulté un enchevêtrement des compétences législatives qui a souvent abouti à une véritable dilution des responsabilités.

4C’est pourquoi les hommes politiques se sont préoccupés d’y remédier en modifiant un certain nombre de dispositions de la Loi fondamentale. Sous le Gouvernement Schröder, le Bundestag et le Bundesrat décidèrent en octobre 2003 de constituer une commission dite « Modernisation du fédéralisme » (gemeinsame Kommission zur Modernisierung der bundesstaatlichen Ordnung). Présidée par les chefs respectifs des deux grands groupes parlementaires du Bundestag, Franz Müntefering ( CDU ) et Edmund Stoiber ( CSU ), cette commission parvint en décembre 2004 à un accord entre les deux grands partis sur tous les points, sauf un, celui de l’enseignement et de ce fait, la réforme tant attendue ne put avoir lieu. Deux conceptions majeures se sont alors opposées. L’une prônait le « fédéralisme concurrentiel », c’est-à-dire le fédéralisme qui donne suffisamment d’autonomie aux Länder pour que ceux qui mènent la meilleure politique bénéficient pleinement des résultats de leur politique : cette conception peut se résumer dans le slogan « Que le meilleur gagne ! ». L’autre tendance prônait au contraire le « fédéralisme solidaire » : les Länder les plus riches doivent aider les plus pauvres ; cette conception peut se résumer dans le slogan « Tous solidaires ! ».

5La constitution d’une grande coalition entre les deux grands partis à la suite des élections du 18 septembre 2005 permit de relancer le processus de révision. Le contrat de coalition du 11 novembre 2005 conclu entre les deux grands partis reprit l’essentiel des résultats des travaux de la commission commune. Puis, en mars 2006, un projet de loi de révision constitutionnelle fut déposé par les groupes parlementaires de la coalition et par quatre Länder (Rhénanie du nord - Westphalie, Bavière, Berlin et Brême). Les débats furent rapides, ce qui explique que la loi de révision fut promulguée par le président de la Fédération dès le 28 août 2006 et qu’elle est entrée en vigueur le 1er septembre 2006 [4]. La loi dite d’accompagnement de la réforme du fédéralisme a été promulguée le 5 septembre 2006 [5].

6La réforme effectuée a modifié 25 articles de la Loi fondamentale et constitue ainsi, au moins du point de vue quantitatif, la révision constitutionnelle la plus importante depuis 1949. On peut dire que pratiquement toutes les dispositions de la Loi fondamentale relatives aux rapports entre la Fédération et les Länder ont été modifiées. De ce fait, l’exposé de cette réforme n’est pas aisé si l’on veut ne pas trop entrer dans les détails [6].

7Nous regrouperons les modifications constitutionnelles sous deux grandes rubriques. Dans une première partie, nous analyserons les règles nouvelles relatives aux compétences législatives de la Fédération et, par voie de conséquence, à celles des Länder. Dans la seconde partie, nous présenterons toutes les modifications qui ont pour objet de mieux séparer les responsabilités respectives de la Fédération et des Länder dans le domaine de l’administration et des finances [7].

I – LA NOUVELLE RÉPARTITION GÉNÉRALE DES COMPÉTENCES LÉGISLATIVES ENTRE LA FÉDÉRATION ET LES LÄNDER

8L’un des objectifs majeurs de la réforme consistait à séparer plus nettement les compétences législatives respectives de la Fédération et des Länder afin que les cas d’enchevêtrement ou de superposition de compétences deviennent exceptionnels. Comme les Länder disposent depuis toujours de toutes les compétences qui ne sont pas attribuées expressément à la Fédération, l’étude de la répartition des compétences législatives entre la Fédération et les Länder se ramène à celle des compétences législatives de la Fédération.

9L’autre objectif majeur de la réforme était d’augmenter les prérogatives des Länder dans ce vaste domaine de matières pour lesquelles la Fédération dispose de ce que l’on appelle traditionnellement des compétences concurrentes. On les appelle ainsi parce que les Länder peuvent exercer ces compétences aussi longtemps que la Fédération ne les exerce pas. À vrai dire, il serait préférable de parler de compétences législatives pouvant être retirées aux Länder par une loi fédérale ou encore de compétences pouvant être revendiquées par la Fédération. En ce domaine, qui est très vaste, même s’il a été légèrement réduit, le pouvoir constituant dérivé a cherché à accroître les prérogatives des Länder, mais seulement dans les matières pour lesquelles cela semblait réaliste et dans les autres cas, il a, au contraire, réduit les droits des Länder. Si bien qu’il faut plus parler d’un réaménagement des prérogatives respectives de la Fédération et des Länder dans ce vaste domaine dit des compétences dites concurrentes.

A – La suppression des lois-cadres fédérales et ses conséquences

10Dans le but de répartir plus clairement les compétences législatives, il fut d’abord décidé de supprimer la technique des lois-cadres qui aboutit à partager le pouvoir législatif pour une seule et même matière entre la Fédération et les Länder en fonction de l’importance respective des règles à édicter. Cette suppression a entraîné un remaniement des listes de compétences des deux autres types, les compétences exclusives et les compétences concurrentes.

a) La suppression des lois-cadres fédérales

11Dans sa version initiale, l’article 75 de la Loi fondamentale était ainsi rédigé : « Sous réserve des dispositions de l’article 72, la Fédération a le droit d’édicter des dispositions-cadres portant sur :

  1. le statut des personnes au service des Länder, des communes et des autres collectivités de droit public ;
  2. le statut général de la presse et du cinéma ;
  3. la chasse, la protection de la nature et la conservation des sites ;
  4. l’affectation des sols, l’aménagement du territoire et le régime des eaux ;
  5. les déclarations de domicile et les cartes d’identité ».

12L’article 72 exigeait que la Fédération n’exerce sa compétence législative que si des règles communes apparaissaient utiles.

13Dans la version qui s’appliquait avant 2006, la liste des matières avait été allongée : la matière très sensible politiquement de l’enseignement supérieur y avait été ajoutée ainsi, d’ailleurs que la protection des biens culturels allemands contre leur départ à l’étranger ; en revanche, la matière du cinéma avait été supprimée en 1994 afin d’affirmer plus nettement la compétence des Länder en matière culturelle. En revanche, les conditions d’édiction des lois-cadres devinrent plus restrictives : la Fédération ne pouvait plus édicter une loi-cadre que lorsque cela était nécessaire et non plus seulement utile (voir infra à propos de l’exercice de certaines compétences concurrentes dans le système résultant de la réforme de 2006).

14La réforme de 2006 a complètement supprimé ce titre de compétence de la Fédération pour deux raisons. La première est que la Fédération avait tendance à prendre toutes les décisions importantes. La seconde était que ce procédé obligeait les Länder à apporter aux lois-cadres fédérales des compléments sous la forme de dispositions précisant les conditions d’application. Cette obligation avait pour effet d’alourdir considérablement le processus législatif, spécialement dans le cas de la transposition de directives communautaires.

15À vrai dire, la réforme n’a pas pleinement clarifié la situation pour deux groupes de matières qui pouvaient faire l’objet de lois-cadres fédérales jusqu’en 2006. Tout d’abord, le statut des fonctionnaires et employés des Länder et des personnes de droit public qui leur sont subordonnées n’a pas été transféré complètement aux Länder puisque la Fédération a désormais une compétence législative concurrente avec celle des Länder à l’exception toutefois de l’aménagement des carrières, de la rémunération et des pensions de retraite (art. 74, al. 1, n° 27). Le progrès n’est donc pas considérable. De même, en matière d’environnement, les matières relevant avant la réforme des lois-cadres fédérales sont désormais le siège d’une compétence concurrente du législateur fédéral (art. 74, al. 1, n° 28 à 32). Il est vrai que le législateur fédéré a désormais la possibilité de déroger aux lois fédérales en matière d’environnement comme nous l’expliquerons plus loin (sous B).

b) Les nouvelles listes de compétences exclusives et de compétences concurrentes

16En premier lieu, la liste des compétences exclusives de la Fédération est légèrement allongée du fait que certaines matières relevant soit de la loi-cadre fédérale soit de la compétence concurrente de la Fédération font désormais partie du domaine des compétences exclusives de la Fédération. Ainsi, selon le nouvel article 73, al. 1, n° 3,5a, 9a, 12,13 et 14 de la Loi fondamentale, le domaine des compétences exclusives de la Fédération s’est accru de diverses matières qui jusqu’alors relevaient de la loicadre fédérale (déclarations de domicile et cartes d’identité, protection des biens culturels allemands contre leur départ à l’étranger). En outre, le constituant a attribué à la Fédération au moins une matière nouvelle, à savoir « la défense contre les menaces du terrorisme international par l’Office fédéral de police criminelle, lorsque la menace est présente dans plusieurs Länder, que la compétence d’une autorité de police d’un Land n’est pas apparente ou lorsque l’autorité suprême de police d’un Land le demande » (art. 73, al. 1, n° 9a). Bien sûr il s’agit de simples rectifications de frontières, l’essentiel des compétences exclusives de la Fédération portant comme par le passé sur les relations extérieures (armée et diplomatie, nationalité et passeports) ainsi que sur les impôts fédéraux, les transports et la coordination de la politique criminelle.

17En second lieu, la compétence exclusive des Länder a été légèrement accrue du fait que certaines compétences ont été retirées expressément au domaine de compétence de la Fédération (exclusive, concurrente ou loicadre) pour légiférer dans les matières nouvelles : exécution des peines, réunions et manifestations, hospices, une partie des activités commerciales (horaires de fermeture des magasins, restaurants et hôtels, maisons de jeux, marchés et foires), le remembrement et les redevances dues par les aménageurs urbains et surtout, ce qui a d’ailleurs fait l’objet d’âpres discussions, une grande partie du droit de l’enseignement supérieur et de la fonction publique des Länder (qui est beaucoup plus nombreuse que celle de la Fédération).

18En troisième lieu, la liste des compétences dites concurrentes de la Fédération a été remaniée et globalement, elle a plutôt fait l’objet d’extensions, principalement du fait qu’une grande partie des matières pouvant faire l’objet de lois-cadres dans l’ancien système ont été transférées au domaine des compétences concurrentes. Elle n’a fait l’objet de réductions que pour les matières pour lesquelles la compétence concurrente de la Fédération a été transformée en compétence exclusive de la Fédération (armes et explosifs, pensions des mutilés et victimes de guerre, utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques) ou, au contraire, parce que certaines matières sont expressément retirées à la Fédération et que la compétence exclusive de la Fédération lui a été expressément retirée et donc attribuée implicitement aux Länder (détention provisoire, hospices, horaires des magasins, restaurants, maisons de jeu, spectacles vivants, foires, expositions et marchés, remembrement, mutations de biens ruraux, presse). Mais dans l’ensemble, la liste des compétences concurrentes a été sensiblement allongée : outre le fait que certains titres de compétence traditionnels ont fait l’objet d’une plus large définition (par exemple, l’urbanisme, l’environnement ou la bioéthique), la majeure partie des matières qui pouvaient jusqu’alors faire l’objet de lois-cadres fédérales appartient désormais au domaine des compétences concurrentes. Il s’agit des matières suivantes : droits et obligations des fonctionnaires des Länder, collectivités locales et autres collectivités publiques (à l’exception toutefois de la carrière, de la rémunération et des pensions de ceux-ci), chasse, protection de la nature et des sites, affectation des sols et aménagement du territoire, régime des eaux, admission aux établissements d’enseignement supérieur et examens terminaux de ceux-ci (art.74, al. 1, n° 27 à 33). La liste des compétences concurrentes de la Fédération était déjà longue puisqu’elle comportait 26 rubriques. Les retouches apportées en 2006 ne sont pas considérables même si la liste des compétences concurrentes comporte désormais 33 rubriques. Dans la pratique, on peut considérer que le domaine des compétences concurrentes concerne tout le droit privé, tout le droit pénal, tout le droit de la procédure, tout le droit fiscal ainsi que de larges pans du droit administratif. C’est dire l’importance des modifications qui ont été apportées en 2006 aux conditions d’exercice des compétences concurrentes.

B – Le réaménagement de l’exercice des compétences législatives concurrentes

19Alors que, précédemment, il y avait un seul régime applicable aux compétences concurrentes, il y en a désormais trois. Il y a, en premier lieu, les compétences qui peuvent être exercées par la Fédération dès qu’elle le souhaite et les Länder perdent alors le droit de légiférer ; elles sont appelées par certains auteurs compétences centrales (Kernkompetenzen) et peuvent être qualifiées plus simplement de compétences à la libre disposition de la Fédération. Il y a, en second lieu, les compétences dont l’exercice par la Fédération est la nécessité de règles uniformes ; les mêmes auteurs les appellent compétences pouvant être exercées en cas de besoin (Bedarfskompetenzen). Il y a, en troisième lieu, et c’est là une innovation majeure, les compétences qui peuvent être exercées par la Fédération dès qu’elle le souhaite, mais pour lesquelles les Länder ne sont pas définitivement dessaisis, car ils peuvent alors édicter des lois qui contre-disent la législation fédérale ; ces compétences sont parfois appelées compétences avec possibilité de dérogations (Abweichungskompetenzen).

a) Les compétences à la libre disposition de la Fédération

20Pour toute une série de matières, la Fédération peut exercer sa compétence concurrente sans remplir aucune condition. Ce nouveau régime ne correspond pas, du moins en théorie, à la règle constitutionnelle posée avant 1994 qui exigeait seulement qu’une législation fédérale intervenant dans le domaine des compétences concurrentes soit utile, car, dans la pratique, la Cour admettait très facilement que la mesure fût utile. Il ne correspond pas non plus à la règle posée après 1994 qui subordonnait l’exercice de la compétence fédérale concurrente à une nécessité absolue, condition dont le respect est contrôlé très sévèrement par la Cour constitutionnelle fédérale depuis une décision du 22 octobre 2002 [8]. Depuis la réforme de 2006, ce régime ne s’applique plus qu’aux compétences concurrentes limitativement énumérées par l’article 72, al. 2, de la Loi fondamentale (comme nous le verrons ci-dessous en b).

21Selon la nouvelle règle constitutionnelle posée implicitement, la Fédération peut exercer sa compétence législative chaque fois qu’elle le juge bon et son appréciation ne peut pas être contrôlée par le juge constitutionnel ; en outre, la loi fédérale une fois édictée, les lois des Länder contraires cessent d’être applicables et les Länder perdent évidemment le droit de légiférer dans la matière que la Fédération vient de « préempter » pour reprendre une expression couramment employée en droit américain. La compétence apparaît ainsi comme appartenant « principalement » à la Fédération, les Länder ne pouvant légiférer qu’en cas d’abstention du législateur fédéral. La différence avec la compétence exclusive de la Fédération est en fait mineure.

22Ce régime est ce que l’on peut appeler le régime général : il s’applique à toutes les matières relevant de la compétence législative concurrente de la Fédération à l’exception de celles qui sont expressément sous-traites à ce régime, c’est-à-dire des matières pour lesquelles l’unité de législation est nécessaire (art. 72, al. 2) ou de celles pour lesquelles les Länder ont le droit d’édicter des lois dérogatoires à la législation fédérale (art. 72, al. 3 de la Loi fondamentale).

b) Les compétences fédérales dont l’exercice est subordonné à la nécessité de règles uniformes

23Selon le nouvel article 72, al. 2, de la Loi fondamentale, « dans les domaines de l’article 74, alinéa 1, nos 4,7,11,13,15,19a, 20,22,25 et 26, la Fédération a le droit de légiférer lorsque et pour autant que l’établissement de conditions de vie équivalentes sur le territoire fédéral ou la sauvegarde de l’unité juridique ou économique dans l’intérêt de l’ensemble de l’État rendent nécessaires une réglementation législative fédérale ».

24Les matières relevant de ce régime sont énumérées par l’article 72, al. 2. Elles concernent les domaines suivants : le droit de séjour et d’établissement de l’étranger, les principales branches du droit économique (mines, industrie, énergie, artisanat, professions industrielles et commerciales, banques, bourse et assurances), les aides aux étudiants et à la recherche scientifique, le transfert à la collectivité de la propriété ou de la gestion du sol, des ressources naturelles ou des moyens de production, le financement des hôpitaux et la tarification des soins hospitaliers, le droit de l’alimentation humaine et animale et des biens de consommation courante, la protection des plantes contre les maladies et les parasites ainsi que la protection des animaux, la responsabilité publique et enfin la procréation médicalement assistée, les informations génétiques et la transplantation d’organes et de cellules. Comme on le relèvera, il s’agit soit de matières qui peuvent avoir une importance politique, économique ou financière de premier plan pour l’ensemble de l’Allemagne, mais qui peuvent présenter aussi un caractère régional ou local marqué. Par exemple, la réglementation des mines ou l’aide aux étudiants ou encore le fonctionnement des hôpitaux ou la responsabilité des personnes de droit public intéressent également les Länder.

25Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale qui a été inaugurée en 2002 [9] et devrait continuer de s’appliquer, c’est à la Fédération de prouver que l’unité de législation est indispensable. Ainsi, dans son arrêt du 27 juillet 2004, la Cour a jugé que l’institution par la Fédération d’un grade universitaire nouveau sur tout le territoire fédéral, celui de « professeur junior », titre pouvant être obtenu sans la procédure traditionnelle de l’habilitation, n’était nullement nécessaire à l’unité des conditions de vie ou de la législation [10]. De même, le 26 janvier 2005, elle jugea que la Fédération ne pouvait pas poser elle-même le principe de l’interdiction de faire payer aux étudiants des frais de scolarité, car la nécessité d’une règle uniforme n’était pas prouvée [11]. La doctrine appelle parfois ces compétences, les compétences en cas de besoin (Bedarfskompetenzen).

26Que se passe-t-il lorsque l’uniformité de la législation apparaissait nécessaire lors de l’édiction de la loi fédérale actuellement en vigueur et qu’elle ne semble plus nécessaire aujourd’hui ? La première réponse à cette question se trouve dans l’article 72, alinéa 4, de la Loi fondamentale : « Une loi fédérale peut décider qu’une réglementation législative pour laquelle il n’existe plus de nécessité au sens de l’alinéa 2 peut être remplacée par du droit du Land ». Cette disposition, qui existe depuis la révision de 1994, n’a jamais été mise en œuvre. C’est pourquoi la réforme de 2006 a créé un nouveau titre de compétences au profit de la Cour constitutionnelle fédérale afin de permettre au Land de revendiquer en justice le droit de légiférer [12]. En effet, selon le nouvel article 93, alinéa 2, de la Loi fondamentale, « la Cour constitutionnelle fédérale statue en outre à la demande du Bundesrat, d’un gouvernement de Land ou de l’assemblée représentative d’un Land si, dans le cas de l’article 72, al. 4, la nécessité d’une réglementation législative fédérale selon l’article 72, al. 2 n’existe plus… » [13].

c) La compétence de la Fédération d’édicter des lois susceptibles de dérogations de la part des Länder

27L’innovation la plus remarquable est sans conteste la disposition qui se trouve désormais à l’article 72, alinéa 3. Selon celle-ci, lorsque la Fédération a fait usage de sa compétence législative concurrente dans l’une des matières énumérées par cet alinéa, les Länder peuvent adopter des dispositions législatives qui s’écartent de la loi fédérale qui vient d’être adoptée. Pour laisser aux Länder le temps d’élaborer une telle loi dérogatoire, la nouvelle loi fédérale ne peut entrer en vigueur que plus de six mois après sa promulgation. Bien évidemment cette faculté de dérogation constitue une exception au principe posé par l’article 31 de la Loi fondamentale selon lequel, en cas de conflit, le droit fédéral l’emporte sur le droit fédéré. La règle désormais applicable est donc la règle de la priorité donnée à la loi la plus récente. De ce fait, quelques experts en droit constitutionnel ont émis la crainte qu’une véritable partie de ping-pong s’instaure entre la Fédération et les Länder. On peut, en effet, imaginer que la Fédération légifère, puis qu’un Land contredise la loi fédérale et que la Fédération réplique alors en édictant une nouvelle loi fédérale. Il est vrai que, dans cette hypothèse, la seconde loi fédérale n’entrerait en vigueur que six mois après sa promulgation, ce qui permettrait au Land d’adopter durant ce laps de temps une nouvelle loi dérogatoire. Les parlementaires ont plutôt imaginé un scénario plus consensuel : la Fédération adopterait une loi qui serait acceptable par tous les Länder et ceux-ci ne légiféreraient que pour lui apporter des compléments ou des dérogations de détail. On serait alors plus proche du schéma, qui a pourtant été abandonné par le constituant de 2006, celui de la loi-cadre fédérale accompagnée de lois des Länder procédant à sa mise en œuvre. La seule différence tiendrait au fait que le législateur du Land peut désormais y apporter des dérogations de détail. Seule la pratique permettra de savoir quel usage sera fait de cette faculté de dérogation.

28L’intention d’assouplir seulement la technique de la loi-cadre fédérale explique que la liste des matières pouvant faire l’objet de lois fédérées dérogatoires comprend toutes les matières qui pouvaient autrefois faire l’objet d’une loi-cadre fédérale à quelques exceptions près [14]. En conséquence, les matières pouvant faire l’objet de lois des Länder dérogatoires à la loi fédérale sont les suivantes : « la chasse (sauf le permis de chasse), la protection de la nature et la conservation des sites (sauf les principes généraux de protection de la nature, la protection des espèces ou celle des espaces naturels marins), l’affectation des sols, l’aménagement du territoire, le régime des eaux (sauf les dispositions relatives aux sub-stances et aux installations), l’accès aux établissements d’enseignement supérieur et les diplômes terminaux de l’enseignement supérieur (art. 72, al. 3, phrase 1, de la Loi fondamentale). Sans constituer un domaine très vaste, il s’agit là de matières relativement importantes, notamment les questions relatives à l’enseignement supérieur qui sont politiquement très sensibles.

29Ainsi, du moins sur le plan théorique, le régime des compétences concurrentes a été complètement remanié. À un régime uniforme ont été substitués trois régimes bien différents, le plus original et le plus novateur étant celui des compétences concurrentes avec possibilité pour les Länder de déroger aux lois fédérales. Le bouleversement est-il aussi important dans la pratique ? Cela est loin d’être certain. Tout d’abord, la distinction entre les deux premières catégories de compétences concurrentes est, en définitive, conforme à la nature des choses : c’est seulement pour certaines matières que la nécessité d’une législation uniforme peut être posée comme condition à l’intervention du législateur fédéral. Quant à la troisième catégorie de compétences concurrentes, elle a été pensée comme un simple assouplissement de la technique de la loi-cadre et surtout, l’on peut s’interroger sur l’étendue du pouvoir de dérogation obtenu par les Länder, car la plupart des matières soumises à ce régime ne présentent qu’une importance assez réduite sauf évidemment le domaine politiquement très sensible de l’enseignement supérieur.

30De façon plus générale, la réforme s’est efforcée, non pas de supprimer, mais seulement d’atténuer l’enchevêtrement des compétences législatives qui caractérise le système fédéral allemand. L’idée directrice est que les responsabilités de la Fédération et des Länder doivent être distinctes dans toute la mesure du possible. C’est d’ailleurs dans ce contexte que s’inscrit la nouvelle définition des compétences législatives en matière administrative et financière.

II – LA NOUVELLE RÉPARTITION DES RESPONSABILITÉS DE LA FÉDÉRATION ET DES LÄNDER EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE ET FINANCIÈRE

31Comme le disent souvent les juristes italiens, le fédéralisme allemand est avant tout un fédéralisme administratif en ce sens que si la Fédération édicte à elle seule plus des trois quarts de la législation, les Länder assurent eux-mêmes l’exécution de toutes les lois fédérales. Seules la diplomatie, l’armée, la perception des impôts fédéraux et des douanes relèvent d’administrations propres à la Fédération (si l’on fait abstraction de la Poste et des Chemins de fer fédéraux en cours de privatisation) et occupent à peine un cinquième des agents publics allemands. Toutes les autres administrations appartiennent soit aux Länder eux-mêmes, soit aux collectivités locales (communes et arrondissements).

32De ce fait les lois fédérales sont en principe appliquées et mises en œuvre par les administrations des Länder en toute autonomie, c’est-à-dire que la Fédération ne peut intervenir qu’en cas de carence grave, après mise en demeure et après avoir obtenu l’approbation du Bundesrat (art. 84 de la Loi fondamentale). C’est seulement dans des cas limitativement énumérés par la Constitution que les Länder doivent exécuter les lois fédérales « par délégation de la Fédération » (im Auftrag des Bundes), c’est-à-dire pratiquement sous son autorité (art. 85 de la Loi fondamentale). Ces cas ne sont pas très nombreux : le plus important est la perception de certains impôts dont le produit est partagé entre la Fédération et les Länder (impôts sur le revenu et sur le chiffre d’affaires), les autres cas étant la gestion des routes et voies navigables fédérales, la police de la navigation aérienne, certains aspects de la défense ainsi que les questions d’énergie nucléaire. Ainsi, les matières relevant de la compétence législative exclusive de la Fédération et les matières gérées par les administrations propres à la Fédération sont loin de coïncider. Pour obtenir une coïncidence approximative, il faut y ajouter au moins les cas où les Länder exécutent les lois fédérales par délégation de la Fédération.

33Ce fédéralisme administratif est d’autant plus fort que les Länder disposent traditionnellement de ressources relativement abondantes même si la Fédération a la compétence législative, exclusive ou concurrente selon les cas, pour tous les impôts dont tout ou partie du produit lui revient ou encore pour ceux pour lesquels l’adoption de règles uniformes est nécessaire (art. 105, al. 1 et 2). De même, la répartition des recettes fiscales entre la Fédération et les Länder reste inchangée : seul le produit de quelques impôts bénéficie exclusivement à la Fédération (douanes, impôts sur les produits pétroliers, les transports routiers et le tabac), le produit de la plus grande partie des impôts est partagé entre la Fédération et les Länder (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, impôts sur le chiffre d’affaires), et seul le produit de quelques impôts bénéficie exclusivement aux Länder (impôts sur le capital, les successions, les automobiles, la bière et les maisons de jeux). Quant aux règles régissant le partage des impôts communs à la Fédération et aux Länder, elles sont soit fixées par la Constitution (ainsi les impôts sur le revenu ou sur les sociétés sont partagés par moitié entre la Fédération et les Länder), soit fixées par une loi fédérale requérant l’approbation du Bundesrat (art.106).

34Les grandes lignes de ce système n’ont pas été affectées par la réforme de 2006 [15]. Toutefois, la volonté de mieux séparer les domaines de responsabilité de la Fédération a conduit le constituant à modifier l’exercice des compétences législatives de la Fédération en matière administrative et à supprimer quelques cas de financement assuré conjointement par la Fédération et les Länder.

A – Les restrictions apportées aux compétences législatives de la Fédération en matière administrative

35La réforme a apporté au système antérieur deux modifications qui ne sont pas négligeables. D’une part, le constituant a entendu protéger le pouvoir des Länder de définir eux-mêmes les règles générales de fonctionnement de leur administration même lorsque celle-ci exécute la législation fédérale et empêcher la Fédération d’utiliser son pouvoir législatif pour imposer aux collectivités locales des responsabilités nouvelles.

a) Le pouvoir des Länder de déroger aux dispositions des lois fédérales relatives à l’organisation et à la procédure de leur administration

36Dans le système instauré par la Loi fondamentale, les lois sont le plus souvent des lois fédérales ; en revanche, elles sont en principe exécutées par les Länder selon leurs règles administratives propres. En vertu du principe de la « souveraineté » des Länder pour organiser leurs administrations et la procédure suivie par elles, ce sont normalement les Länder qui ont en principe la compétence exclusive de définir l’organisation et la procédure de leurs administrations. Il n’est fait exception à la règle que dans les cas d’exécution d’une loi fédérale « par délégation de la Fédération » (qui sont tout à fait exceptionnels).

37Or, dans le système antérieur à la réforme de 2006, une loi fédérale pouvait contenir des dispositions relatives à l’organisation et à la procédure des administrations des Länder, et cette loi l’emportait en cas de conflit, sur toute disposition contraire contenue dans une loi de Land.

38Par la réforme de 2006, les Länder ont obtenu le pouvoir d’adopter des dispositions dérogatoires à de telles lois. Certes, comme dans le cas des compétences concurrentes avec possibilité de dérogation (voir supra), la Fédération peut alors adopter ultérieurement une loi fédérale contre-disant les dispositions législatives adoptées par les Länder, mais les dispositions relatives à celles-ci n’entreront en vigueur que six mois après leur promulgation. Il est vrai que, dans des cas exceptionnels, c’est-à-dire lorsqu’il existe un besoin particulier de règles uniformes, la Fédération peut imposer des règles uniformes de procédure administrative (mais non d’organisation administrative) à tous les Länder, mais cette loi requiert alors l’approbation expresse du Bundesrat. Comme pour la faculté de déroger reconnue aux Länder dans les cas de compétences concurrentes, la question est également ici celle de savoir si les Länder useront effectivement de leur pouvoir d’adopter des lois modifiant l’organisation et la procédure administrative résultant des lois fédérales.

39Jusqu’à la réforme de 2006, ces lois fédérales comportant des dispositions relatives à l’organisation et à la procédure des administrations des Länder devaient être soumises à l’accord du Bundesrat (formé de délégations des gouvernements des Länder). Or, au cours des dernières décennies, le Bundesrat fut souvent entre les mains de partis qui n’avaient pas la majorité au Bundestag et n’étaient donc pas au pouvoir au niveau de la Fédération. Dans ce cas, l’exigence de l’accord du Bundesrat avait un effet désastreux, car soit elle entraînait la paralysie du pouvoir législatif de la Fédération, soit elle contraignait la majorité du Bundestag à composer avec la majorité du Bundesrat, ce qui aboutissait à des lois de compromis soutenues par une sorte de « grande coalition » occulte.

40C’est pour cette raison que la réforme de 2006 a supprimé l’obligation de l’accord du Bundesrat lorsqu’une loi fédérale contient quelques dispositions relatives à l’organisation et à la procédure des administrations des Länder. Avant cette réforme, on estimait que 60% des lois fédérales environ étaient soumises obligatoirement à l’approbation du Bundesrat. La réforme ne réduit pas à zéro le nombre de ces lois fédérales, car la réforme n’a pas abrogé les autres dispositions de la Loi fondamentale imposant l’approbation du Bundesrat ; elle en a même ajouté une, celle qui impose l’accord du Bundesrat pour les lois fédérales relatives à la responsabilité publique (art. 74, al. 3, al. 2) [16]. Du fait de cette réforme, la proportion des lois fédérales pour lesquelles le vote positif du Bundesrat est requis devrait tomber à moins de 25%.

b) L’interdiction faite au législateur fédéral d’imposer des tâches nouvelles aux communes

41Dans le passé, il est arrivé fréquemment que le législateur imposât l’obligation d’assumer des tâches nouvelles aux communes et aux groupements de communes (c’est-à-dire également, selon la terminologie allemande usuelle, aux arrondissements, qui ne sont pourtant pas de véritables groupements de communes au sens français du terme). Le constituant de 2006 a entendu mettre fin à cette pratique. Selon les articles 84, al. 2, phrase 7 et 85, al. 2, phrase 2, de la Loi fondamentale « la loi fédérale ne peut pas transférer de tâches nouvelles à des communes ou groupements de communes ».

42Ainsi, aucune loi fédérale ne pourra plus s’immiscer à l’avenir dans les relations entre les Länder et leurs collectivités locales. En revanche, les lois fédérales anciennes ayant procédé à de tels transferts de charges, ont beaucoup de chances de ne pas être abrogées par les Länder bien que l’article 125a, al. 1, phrase 2, leur en donne la possibilité. En effet, il est peu probable que les Länder le fassent, car ils devraient alors prendre totalement en charge le financement de dépenses qui sont aujourd’hui assumées au moins partiellement par la Fédération.

B – La diminution des financements mixtes

43La révision constitutionnelle a entendu sinon supprimer, du moins restreindre les cas de financements mixtes, c’est-à-dire les cas où une action administrative des Länder bénéficie de l’aide ou de la participation financière de la Fédération. Ces cas s’étaient multipliés à la suite de la révision constitutionnelle de 1969 [17]. Certes, l’article 104a, qui fut inséré dans la Constitution à cette occasion, avait posé le principe général suivant : « la Fédération et les Länder supportent chacun pour leur part les dépenses résultant de l’accomplissement respectif de leurs tâches respectives » (al. 1) [18]. Mais ce premier principe général de correspondance entre les tâches et les dépenses qui incombent à chacun ne fut proclamé qu’à titre subsidiaire puisque plusieurs exceptions furent expressément admises par le nouveau texte constitutionnel ; de fait, les financements mixtes se multiplièrent et, tout en étant heureux de bénéficier de financements de la part de la Fédération, les Länder se plaignirent de plus en plus d’être trop dépendants des décisions financières de la Fédération.

44La réforme de 2006 n’a nullement fait disparaître ces financements mixtes qui sont les suivants : d’une part, le financement par la Fédération de l’exécution de certaines lois fédérales et l’attribution d’aides financières aux Länder et, d’autre part, les « tâches communes » ou « planifications communes ». Ces diverses techniques de financement mixte admises en 1969 continuent d’exister, mais leurs conditions de fonctionnement ont été définies de façon plus restrictive. En outre, le constituant a défini pour la première fois les responsabilités financières respectives de la Fédération et des Länder en cas de violation du droit européen ou international.

a) Le financement par la Fédération de l’exécution de certaines lois fédérales par les Länder et les aides financières de la Fédération

45La réforme de 1969 avait inséré dans la Loi fondamentale un nouvel article 104a contenant deux alinéas qui dérogeaient au principe général de correspondance entre compétences pour effectuer les tâches administratives d’exécution des lois et la charge financière des dépenses que celles-ci engendrent. Le premier, l’alinéa 3, autorisait le législateur fédéral à mettre à la charge de la Fédération tout ou partie des dépenses que les Länder doivent normalement supporter pour l’exécution d’une loi fédérale. Le second, l’alinéa 4, autorisait expressément le législateur fédéral à adopter des lois accordant aux Länder des aides pour qu’ils puissent effectuer certains investissements leur incombant. Ces deux alinéas ont fait l’objet en 2006 d’une nouvelle rédaction légèrement plus restrictive, respectivement dans l’article 104a, alinéa 3, et dans un nouvel article, l’article 104 b de la Loi fondamentale.

46Selon l’alinéa 3 nouveau de l’article 104a, la loi qui impose aux Länder l’obligation de fournir des prestations à des tiers en argent ou en nature peut décider que les dépenses en résultant seront supportées en tout ou en partie par la Fédération et, dans la mesure où au moins une partie de ces dépenses reste à la charge des Länder, la loi ne peut être adoptée qu’avec l’accord du Bundesrat. Cette règle avait d’ailleurs été déjà posée en 1969 par la Loi fondamentale et la seule modification notable qui lui est apportée tient à ce que ce régime ne s’applique plus seulement aux lois qui imposaient l’obligation de verser des prestations pécuniaires, mais également aux lois qui imposent aux Länder l’obligation de fournir à des tiers soit des « prestations en nature ayant une valeur monétaire », soit « des prestations de services comparables ». À notre avis, cette disposition de la Loi fondamentale continue de ne pas être très protectrice des finances des Länder puisque la Fédération n’est pas tenue de supporter la totalité des dépenses résultant de la loi fédérale et qu’en conséquence, une partie des dépenses peut être mise à la charge des Länder avec l’accord du Bundesrat. Or cet organe représente certes les gouvernements des Länder, mais il peut être mû par le souci d’aider un gouvernement de même couleur politique que lui.

47Les modifications apportées à l’ancien alinéa 4 de l’article 104a, devenu l’actuel article 104b, de la Loi fondamentale sont plus importantes. Certes, la Fédération conserve le droit d’accorder des aides financières aux Länder, mais sous des conditions beaucoup plus strictes. Plusieurs règles posées en 1969 sont maintenues. Ainsi, les objectifs admis restent les mêmes : il faut que les aides soient « nécessaires à des investissements visant à parer à une perturbation de l’équilibre de l’ensemble de l’économie, à compenser les inégalités de potentiel économique à l’intérieur du territoire fédéral ou à promouvoir la croissance économique ». De même, les modalités d’application doivent toujours être fixées « soit par une loi fédérale ayant l’accord du Bundesrat, soit par un accord administratif conclu en application d’une loi fédérale de finances ». Ce qui change, c’est que désormais le législateur fédéral doit prévoir que ces aides financières seront limitées dans le temps et que chaque année elles diminueront progressivement pour tomber à zéro à l’expiration de la période fixée. En outre, la disposition transitoire inscrite à l’article 143c de la Loi fondamentale décide d’ores et déjà la suppression des aides financières à l’amélioration des infrastructures de transport des communes et au logement social dès le 1er janvier 2007 alors que celles-ci avaient été expressément autorisées par la réforme de 1969. En contre-partie, les Länder bénéficieront d’une prolongation des versements actuels de la Fédération jusqu’au 31 décembre 2019. Dans ces deux domaines, les Länder seront libres de dépenser l’argent reçu comme ils l’entendent à compter du 1er janvier 2014. Les sommes versées jusqu’au 31 décembre 2013 ont été fixées par la loi d’accompagnement de la réforme du 5 septembre 2006.

b) Les lois fédérales relatives aux tâches communes à la Fédération et aux Länder

48En 1969, le constituant avait entendu organiser ce qui fut appelé « tâches communes (Gemeinsame Aufgaben) et qui était en fait des planifications financières puisqu’une « planification-cadre » (Rahmenplanung) devait être établie. Comme pour les aides financières de la Fédération, il avait prévu deux modes différents, l’un reposant sur la technique de la loi fédérale ayant l’accord du Bundesrat et l’accord du Land sur le territoire duquel le projet devait être réalisé (art. 91a), l’autre reposant sur le procédé de la convention conclue entre la Fédération et les Länder concernés (art. 91b). Cette distinction est conservée, mais le nouveau texte constitutionnel est plus précis et volontairement plus restrictif.

49Selon le nouvel article 91a de la Loi fondamentale, la planification commune organisée par une loi fédérale continue d’être subordonnée à l’accord du Bundesrat et des Länder concernés. Mais la liste des objets possibles d’une telle planification fait l’objet d’une amputation importante : elle ne comprend plus l’extension et la construction de bâtiments pour l’enseignement supérieur (y compris les centres hospitaliers universitaires), mais seulement l’amélioration de la structure économique d’une région, l’amélioration des structures de l’agriculture et celle de la protection des côtes. Selon une disposition transitoire figurant à l’article 143c de la Loi fondamentale, la Fédération est tenue de continuer à mettre les mêmes sommes à la disposition des Länder jusqu’en 2019; la loi d’accompagnement de la réforme en précise les modalités et a notamment fixé le montant annuel des versements de la Fédération jusqu’en 2013 pour les « extensions et constructions nouvelles de bâtiments pour l’enseignement supérieur », soit 695 millions pour les projets propres à un Land et 298 millions d’euros pour les projets d’importance suprarégionale.

50Selon le nouvel article 91b de la Loi fondamentale, le régime des planifications organisées par des conventions conclues entre la Fédération et les Länder est assez profondément modifié en ce sens que le champ d’application de ces conventions subit une amputation importante. En effet, désormais, la planification de l’enseignement (Bildungsplanung) ne peut plus faire l’objet d’une convention de planification commune ; la seule « tâche commune » qui demeure possible dans le domaine scolaire est la coopération « en vue de mesurer dans le cadre de comparaisons internationales l’efficacité du système d’enseignement et de rédiger des rapports et des recommandations à ce sujet » (ce qui vise notamment les études PISA de l’OCDE qui firent tant de bruit en Allemagne ces dernières années).

51De ce fait, la recherche scientifique est désormais le seul objet possible d’une convention de financement en commun. Encore faut-il remarquer que son domaine a été défini de façon assez méticuleuse ; il comprend les trois matières suivantes : 1) « les centres et projets de recherche scientifique placés en dehors des établissements d’enseignement supérieur » (par exemple, les instituts Max-Planck) ; 2) « les projets scientifiques et de recherche des établissements d’enseignement supérieur » (donc à l’exclusion des centres de recherche); 3) « les constructions destinées à la recherche dans les établissements d’enseignement supérieur ». Cette liste exclut implicitement, mais nécessairement, les bâtiments destinés à l’enseignement dans les établissements d’enseignement supérieur qui pouvaient bénéficier jusqu’à présent de financements mixtes. Toutefois, le constituant a admis la possibilité de conventions de financement commun portant sur les « projets scientifiques ». Cette formulation un peu contournée semble désigner les activités d’enseignement des établissements d’enseignement supérieur, pour autant qu’un caractère « scientifique » puisse leur être reconnu, ce qui est la règle au moins pour les enseignements dispensés dans les universités, mais non pour ceux dispensés dans les écoles techniques supérieures. Encore faut-il noter qu’en raison de vives discussions sur cette possibilité, il fut précisé que le financement commun des « projets scientifiques des établissements d’enseignement supérieur » devrait faire l’objet de conventions requérant l’approbation de tous les Länder.

52Comme pour la suppression des bâtiments d’enseignement supérieur de la liste des lois de planification commune, la suppression de la planification de l’enseignement du domaine des conventions de planification commune est accompagnée de mesures transitoires : de 2007 à 2013, la Fédération devra encore verser des participations financières aux Länder pour financer cette activité ; la loi d’accompagnement a fixé cette dotation à 19,9 millions d’euros.

c) La répartition des charges découlant d’obligations supranationales ou internationales

53Jusqu’à la réforme de 2006, la Loi fondamentale était muette sur la question de la répartition des charges découlant d’obligations internationales et surtout européennes. Par conséquent, le principe général de répartition des charges financières posé principalement par l’article 104, al. 1, s’appliquait : ainsi les charges résultant de la politique agricole commune ou de la politique régionale de la Communauté incombaient principalement aux Länder et le paiement des sanctions résultant de l’indiscipline budgétaire de la Fédération devait en principe incomber à la Fédération et aux Länder en proportion de leur participation au déficit public d’ensemble.

54La réforme de 2006 a voulu régler le problème de façon explicite afin qu’il n’y ait pas de discussion portant sur l’état du droit constitutionnel. Mais, à l’occasion de cette réforme, les Länder ont tellement invoqué leur faiblesse financière que la réforme a débouché sur un partage qui défavorise plutôt les finances fédérales. Deux règles ont été posées : l’une est la règle générale (art. 104, al. 6), l’autre est une règle qui s’applique au cas particulier où l’Allemagne serait sanctionnée pour des déficits publics excessifs (art. 109, al. 5).

55Posé par l’article 104, al. 6, le principe général est une simple transposition du principe général de répartition des charges : « La Fédération et les Länder supportent conformément à la répartition interne des compétences et des tâches les charges découlant d’une violation d’obligations supranationales ou internationales ». Mais une règle dérogatoire est immédiatement posée lorsqu’il s’agit de corrections financières émanant de l’Union européenne et concernant plusieurs Länder. Dans ce cas, la Fédération supporte 15% des dépenses et tous les Länder supportent les 85% restants, de façon solidaire à raison de 35% et au prorata des moyens reçus de l’Union européenne pour le reste.

56De même, selon l’article 109, al. 5, les sanctions pour non-respect des règles budgétaires ne sont plus supportées par la Fédération ou les Länder en proportion de leurs propres déficits budgétaires. Leur charge est dorénavant répartie d’une façon forfaitaire : 65% sont de toutes façons à la charge de la Fédération (peut-être parce quelle dispose de quelques moyens de pression sur les Länder pour les remettre sur le droit chemin), les 35 % restants sont à la charge des Länder, cette charge étant répartie de la façon suivante, : 12,25 % en proportion du nombre d’habitants et 22,75 % en proportion de leur contribution au déficit global.

57La réforme est quantitativement importante puisque 25 articles ont été modifiés, ajoutés ou supprimés. Mais qualitativement, elle est à la fois très modeste et critiquable.

58La réforme est modeste dans la mesure où l’imbrication des responsabilités entre les Länder et la Fédération demeure considérable et où les capacités financières des Länder n’ont pas été augmentées. Les seules matières qui ont fait l’objet de transferts importants au profit des Länder ont été l’enseignement, y compris une grande partie de l’enseignement supérieur (seule la recherche reste clairement un domaine d’intervention de la Fédération), l’environnement et la fonction publique des Länder au sens large de ce terme. Mais l’autonomie des Länder continue d’être limitée du fait qu’en général, les Länder manquent de moyens financiers pour adopter des lois ambitieuses. En outre, le système de péréquation des ressources est tel que les Länder ne sont pas incités à mener une politique économique et financière plus rigoureuse ou plus efficace puisque les mécanismes de péréquation effacent pratiquement les conséquences de politiques hasardeuses. Or les règles de la péréquation sont restées les mêmes.

59La réforme est critiquable en ce sens que la solidarité entre les Länder sort affaiblie et qu’un premier pas est fait vers l’établissement d’une véritable concurrence entre les Länder (Wettbewerbsföderalismus). Par exemple, beaucoup redoutent que le transfert de l’exécution des peines aux Länder ait pour effet de mettre à mal tous les efforts faits ces dernières années pour humaniser les prisons et améliorer les chances de réinsertion de ceux qui en sortent. De même, beaucoup craignent que le transfert aux Länder d’une grande partie du droit de l’environnement ait pour conséquence l’abandon de beaucoup d’efforts pour construire un droit protecteur de l’environnement, l’alignement se faisant sur le droit le moins exigeant. Enfin, et surtout, le transfert aux Länder de l’enseignement est souvent présenté comme l’abandon de politiques novatrices comme celle menée par le dernier gouvernement fédéral en faveur du passage à un enseignement qui dure toute la journée et ne soit plus limité à la matinée. Souvent ces critiques sont renforcées par la dénonciation de l’inégalité croissante existant entre les Länder : les plus pauvres pratiqueront de plus en plus une politique de seconde classe, alors que les Länder disposant de finances fortes comme la Bavière, le Bade-Wurtemberg, la Hesse et la Rhénanie du nord-Westphalie, pourront développer un enseignement secondaire et universitaire de qualité ou réaliser les investissements nécessaires à la croissance. Bref une Allemagne à deux vitesses se mettrait en place. Ces critiques sont certes excessives. Elles expliquent néanmoins pourquoi les rapports financiers entre la Fédération et les Länder n’ont fait en 2006 l’objet d’aucune retouche, à l’exception précisément de l’interdiction faite à la Fédération d’aider les plus pauvres dans certains domaines traditionnels, notamment l’enseignement. En particulier, la péréquation qui est faite entre les ressources fiscales des Länder se fonde exclusivement sur des critères portant sur l’état des finances publiques alors qu’il serait plus juste qu’elle soit fondée sur des critères indépendants de la politique menée par chaque Land, c’est-à-dire sur des critères démographiques et économiques. D’autres problèmes restent encore à résoudre, par exemple l’endettement chronique de Berlin, de Brême et à un moindre degré de la Sarre, problème qui ne peut être résolu probablement que par un profond remaniement du découpage du territoire fédéral entre Länder.

60La Grande coalition, formée des partis chrétien-démocrate et socialdémocrate, qui est actuellement au pouvoir au niveau fédéral, est d’ailleurs bien consciente de l’insuffisance de la réforme de 2006. C’est pourquoi le 15 décembre 2006, le Bundestag et le Bundesrat ont décidé de constituer une commission de 32 membres en vue de « moderniser les relations financières entre la Fédération et les Länder ». Cette commission sera définitivement constituée le 8 mars 2007 et elle aura pour mission de réaliser ce qui est souvent appelé la deuxième phase de la réforme du fédéralisme allemand. Elle consistera essentiellement à modifier les relations financières entre la Fédération et les Länder pour que les exigences de solidarité et d’autonomie soient satisfaites pour autant qu’une conciliation entre préoccupations contradictoires est réalisable.

Notes

  • [1]
    Sur les révisions de la Loi fondamentale antérieures à 1978, voir M. Fromont, « L’évolution du fédéralisme depuis 1949 », Le pouvoir, Mélanges offerts à Georges Burdeau, LGDJ, 1977, p. 661; M. Fromont, « RFA, Les modifications apportées à la Loi fondamentale depuis 1949 », Pouvoirs, n° 7,1978, p. 131. Voir également C. Grewe, Le fédéralisme coopératif en République fédérale d’Allemagne, préface Michel Fromont, Paris, 1981; C. Grewe, Le système politique ouest-allemand, PUF, Paris 1986.
  • [2]
    M. Fromont, « Le fédéralisme allemand et les problèmes économiques et financiers », Revue du droit public, p. 535; M. Fromont, « La révision constitutionnelle du 20 décembre 1992 », in La jurisprudence constitutionnelle allemande en 1992 et 1993, Revue du droit public, 1995, p. 352. Voir aussi X. Volmerange, Le fédéralisme allemand face au droit communautaire, préface Marcou, L’Harmattan, Paris 2000.
  • [3]
    En outre, la révision de 1992 a associé les Länder à la politique européenne de la Fédération en prévoyant, d’une part, la participation du Bundesrat à certaines décisions de la Fédération en matière européenne et, d’autre part, la présence de délégués des Länder pour certaines négociations au Conseil de l’Union européenne.
  • [4]
    Bundesgesetzblatt, I, 2006, p. 2034. Le site du Journal officiel fédéral étant payant, si l’on veut faire un tirage papier, il est préférable d’utiliser le site du Bundestag, qui est moins mercantile. On trouvera un tableau synoptique de l’ancien texte et du texte des modifications apportées en 2006 à l’adresse suivante : wwww. bundestag. de/ bic/ analysen/ 2006// Foederalis musreform_2006.pdf.
  • [5]
    Föderalismusreform-Begleitgesetz, BGBl, I, p. 2098. Le site du Journal officiel fédéral étant payant, si l’on veut faire un tirage papier, il est préférable d’utiliser le site des Landtage qui est gratuit ; normalement il ne reproduit que le texte des lois des 16 Länder, mais exceptionnellement il a reproduit le texte de la loi fédérale d’accompagnement de la réforme : www. parlamentsspiegel. de/
  • [6]
    Quelques commentaires de la réforme ont déjà été publiés dans les revues allemandes : J. Ipsen, Die Kompetenzverteilung zwischen Bund und Ländern nach der Föderalismusnovelle, NJW, 2006, p. 2801; U. Häde, Zur Föderalismusreform in Deutschland, JZ, 2006, p. 930; H.-W. Rengeling, Föderalismusreform und Gesetzgebungskompetenzen, DVBl, 2006, p. 1537; G. Mulert, Der Bundesrat im Lichte der Föderalismusreform, DöV, 2007, p. 26.
  • [7]
    Avant de commencer l’étude de cette réforme, mentionnons les modifications que cette même loi constitutionnelle a apportées à l’article 22 de la Loi fondamentale. Celui-ci contenait jusqu’alors un seul alinéa ainsi rédigé : « Le drapeau fédéral est noir-rouge-or ». Il comporte désormais deux alinéas. Le premier alinéa dispose : « La capitale de la République fédérale d’Allemagne est Berlin. La représentation de l’ensemble de l’État dans la capitale incombe à la Fédération. Les modalités seront réglées par une loi fédérale ». Le second alinéa est l’ancien alinéa unique. C’est une simple consécration constitutionnelle des décisions prises en 1994 par le législateur et mises en œuvre en 1999.
  • [8]
    Analyse Fromont, Revue du droit public, 2004, p. 1147 : l’uniformité de la réglementation de la profession d’aide soignant pour personnes âgées n’est nullement nécessaire ; en conséquence, la Fédération ne peut pas légiférer sans violer l’article 72, al. 2 de la Loi fondamentale qui posait à cette époque la condition de nécessité pour l’exercice de toute compétence concurrente par la Fédération.
  • [9]
    Cour constitutionnelle fédérale 24 octobre 2002, analyse Fromont, Revue du droit public, 2004, p. 1147.
  • [10]
    Cour constitutionnelle fédérale 27 juillet 2004, analyse Fromont, Revue du droit public, 2005, p. 1698
  • [11]
    Cour constitutionnelle fédérale 26 janvier 2005, analyse Fromont, Revue du droit public, 2006, p. 1767
  • [12]
    De ce fait, le nombre des compétences de la Cour constitutionnelle fédérale prévues par la Constitution a été porté à 16. Le juriste français ne manquera pas d’observer que toutes les compétences de la Cour sont prévues par un texte constitutionnel et exceptionnellement par un texte législatif (sur les 16 cas, 15 sont effectivement prévus par la Constitution et un seul cas l’est par une loi, la loi sur les commissions d’enquête). On est loin de la pratique française, digne d’une République bananière, selon laquelle les compétences sont créées pêle-mêle par quelques textes constitutionnels, de nombreux textes législatifs et parfois même simplement par de simples règlements du gouvernement !
  • [13]
    Le nouvel article 93, alinéa 2, de la Loi fondamentale prévoit également la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle fédérale dans le cas où, selon les règles constitutionnelles en vigueur avant la révision constitutionnelle de 1994 ou celle de 2006, la Fédération pouvait librement exercer sa compétence concurrente, mais où elle ne peut plus depuis les modifications apportées à la Loi fondamentale en 1994 ou en 2006.
  • [14]
    Parmi les matières qui pouvaient faire l’objet de lois-cadres fédérales et qui ne rentrent pas dans les compétences concurrentes avec faculté de dérogation, figurent, d’une part, la presse, qui a été transférée implicitement dans le domaine de compétence exclusive des Länder, et, d’autre part, la déclaration de domicile, la carte d’identité et la protection contre le transfert à l’étranger de biens culturels, qui ont été transférées à la compétence exclusive de la Fédération.
  • [15]
    Signalons toutefois une retouche de détail : les Länder ont reçu le droit de fixer eux-mêmes le taux de l’impôt sur les mutations immobilières (art. 105, al. 2a).
  • [16]
    Les lois fédérales qui restent soumises à l’approbation du Bundesrat sont les suivantes : en matière administrative, l’extension des cas où la Fédération a sa propre administration (art. 87, al. 3), la loi fédérale sur l’énergie nucléaire (art. 87c), la détermination des tâches mixtes (art. 91a, al. 2; voir infra), et en matière fiscale et budgétaire, les lois fiscales (art. 105, al. 3), la répartition du produit de la TVA entre la Fédération et les Länder (art. 107) et la définition des principes du droit budgétaire (art. 109, al. 3). Pour être complet, il faut encore ajouter les cas suivants : le remaniement du découpage du territoire en Länder (art. 29, al. 7), la proclamation de l’état de nécessité législative (art. 81, al. 3) ou de l’état de défense (art. 115a).
  • [17]
    Voir M. Fromont, « L’évolution du fédéralisme depuis 1949 », Le pouvoir, Mélanges offerts à Georges Burdeau, LGDJ, 1977, p. 661. Voir également, C. Grewe, Le fédéralisme coopératif en République fédérale d’Allemagne, préface Michel Fromont, Paris 1981.
  • [18]
    Ce principe général était d’ailleurs conforté par les deux règles suivantes figurant respectivement aux alinéas 2 et 6 du même article 104a de la Loi fondamentale :« Lorsque les Länder agissent par délégation de la Fédération, celle-ci supporte les dépenses qui en résultent » (al. 2) ; « La Fédération et les Länder supportent les dépenses de fonctionnement de leurs services » (al. 5).
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