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Cette nouvelle chronique est destinée à accueillir toutes les opinions, lesquelles n’engagent aucunement les responsables de la Revue.
Vlad Constantinesco et Stéphane Pierré-Caps, Droit constitutionnel, Collections Thémis, Presses universitaires de France, 2004,1re édition, 586 pages.
1La couleur rouge carmin de la couverture donne le ton : elle est symboliquement en harmonie avec les intentions d’agitation intellectuelle qui animent les co-auteurs de l’ouvrage soucieux de rompre avec une pensée constitutionnelle dominante jugée trop unique. D’ailleurs, au-delà des précautions d’usage, fatalement distillées en pareille circonstance, les professeurs Constantinesco et Pierré-Caps ne dissimulent guère leur volonté de faire entendre leur différence : halte à une vision purement stato-nationale du constitutionnalisme et haro sur un droit constitutionnel qui s’épuise dans la justice constitutionnelle. En la forme et au fond, l’ouvrage reflète fidèlement les options intellectuelles communes aux deux co-auteurs. Fédéralistes fervents, chacun à sa manière, mais néanmoins tous deux convaincus de l’importance des nationalités, ils éclairent avec beaucoup d’à-propos des réalités et des théories constitutionnelles trop souvent occultées dans les manuels. Curieusement pourtant, ils passent pratiquement sous silence la dimension du constitutionnalisme fédéré. L’attachement culturel de nos deux collègues à l’idée de Mitteleuropa confère à de nombreux passages une tonalité inhabituelle mais néanmoins fort séduisante. Cette considération explique aussi, entre autres, les fréquents renvois à des sources en langue allemande. Plus généralement, les références bibliographiques traduisent une volonté bien arrêtée de renouvellement de l’appareil scientifique standardisé en usage dans la plupart des manuels.
2A cette fin, ils recensent, à juste titre, des études politiques et historiques très largement ignorées des constitutionnalistes. Parallèlement, ils prêtent une attention sympathique à des mémoires inédits rédigés par des étudiants d’instituts d’études politiques de province. La découverte ou la redécouverte de sources inédites ou oubliées ravit le lecteur. Pour autant était-il nécessaire de survaloriser une jeune revue d’études constitutionnelles et politiques, au point de l’ériger, à tout le moins par la fréquence des citations, en publication périodique phare ? De même, la réhabilitation de l’œuvre constitutionnelle d’un éminent universitaire, bien connu des politistes mais trop méconnu des juristes, constitue sans conteste une œuvre de salut public. Mais là encore convenait-il, par l’accumulation des renvois, de donner l’impression qu’il existait une école nancéenne de droit constitutionnel ? En versant de la sorte dans le nationalisme facultaire, les deux co-auteurs ne succombent-ils pas paradoxalement à la dérive dogmatique qu’ils souhaitaient précisément combattre ? Leur patriotisme géographique, qui les conduit à accorder une attention soutenue au particularisme constitutionnel des trois départements d’Alsace-Moselle ou encore à évoquer de façon plus anecdotique le rattachement tardif à la France de la principauté de Salm, prêtera certainement moins sujet à controverse.
3Les développements consacrés à l’européanisation et à l’internationalisation du droit constitutionnel en général, à la fonction constituante en particulier, sont parmi les plus illustratifs de l’aggiornamento auquel se livrent les deux co-auteurs. L’importance accordée à l’influence du droit de la Convention européenne des droits de l’homme – spécialement sur l’évolution constitutionnelle récente de la Grande-Bretagne – ainsi qu’à l’incidence de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg – notamment via le contrôle international qu’elle exerce sur les juridictions constitutionnelles – s’inscrit dans une perspective d’actualisation de l’enseignement du droit constitutionnel. A l’instar d’une approche fréquemment suivie dans les manuels et traités de droit constitutionnel édités dans les pays européens voisins, l’ouvrage réserve une place de choix, non seulement à la citoyenneté, mais surtout à la nationalité c’est-à-dire à une question dont le traitement académique a été depuis fort longtemps abandonné à la doctrine privatiste. Or qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou non, le droit de la nationalité est avant tout une matière constitutionnelle, même lorsque formellement elle n’a qu’un statut législatif. Il est opportun que cette vérité première soit rappelée à des gouvernants et à des groupes de pression qui, en France, depuis des lustres, au nom du politiquement correct, se sont évertués à dépolitiser le droit de la nationalité. Bien que fort attachés au rôle prégnant du démos dans un système constitutionnel démocratique, les deux co-auteurs semblent beaucoup moins convaincus de l’importance, dans un tel cadre, de la démocratie référendaire. Ceci explique sans doute que les développements relatifs aux pratiques de démocratie directe soient réduits à la portion congrue, de sorte que même le pays paradigme en la matière ne bénéficie que de deux courtes annotations… Un tel parti pris est certes défendable à bien des égards, mais il présente l’inconvénient, entre autres, de négliger l’essor des consultations référendaires en relation avec l’européanisation des constitutions. Cette réserve ponctuelle, tout comme celles précédemment formulées, ne doit cependant pas masquer l’essentiel.
4Le livre des professeurs Constantinesco et Pierre-Caps mérite incontestablement le qualificatif de beau manuel : la densité de sa substance et la stimulation qu’elle exerce sur le lecteur sont telles que celui-ci ne saurait rester indifférent. D’ailleurs, il n’est pas interdit de penser que les deux co-auteurs ont été parfaitement conscients du caractère provocateur de certains de leurs propos. En fin de compte, le manuel commenté se singularise surtout par sa valeur ajoutée : elle dépasse d’assez loin celle qu’offre la plupart des ouvrages concurrents. Sur un plan strictement technique, sa présentation est quasi-ment irréprochable. Tout au plus pourrait-on regretter que la seconde partie intitulée, de manière originale, « le droit constitutionnel civique et démotique » ne comporte pas de chapeau introductif : pour un lecteur non suffisamment initié les deux épithètes employées s’avéreront, au premier abord, énigmatiques.
5Plus généralement, la richesse sémantique et le cosmopolitisme culturel qui imprègnent l’ouvrage risquent fort de désarçonner le public auquel il s’adresse pourtant en priorité : habitués à des produits de grande consommation, les étudiants de première année pourraient malheureusement être déroutés par le côté « haute couture » du manuel. En effet, contrairement à ce que soutiennent les deux co-auteurs dans leur avant-propos, avec une apparente fausse modestie à peine feinte, leur livre s’adresse surtout à des lecteurs déjà passablement éclairés. Cette circonstance ne devrait toutefois pas empêcher la communauté scientifique de reconnaître à terme, au-delà des susceptibilités de personnes ou/et d’écoles, le « droit constitutionnel » de Constantineso et Pierré-Caps comme le manuel de référence du début du XXIe siècle.
Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, Droit constitutionnel, Collection Droit fondamental, Presses universitaires de France, 1re édition, 2004,874 pages.
6Intitulé, sans doute par commodité, « Droit constitutionnel », le livre des professeurs Mathieu et Verpeaux traite du droit constitutionnel français, à la fois dans sa dimension historique et positive ; les développements consacrés au droit constitutionnel de la cinquième République sont toutefois largement prédominants.
7Puisant largement dans les écrits antérieurs des deux auteurs, fins connaisseurs en particulier du contentieux constitutionnel, ce manuel, fort volumineux au demeurant, apporte des éclairages circonstanciés, et souvent avec beaucoup de relief, sur la protection constitutionnelle des droits fondamentaux, du droit constitutionnel répressif, du droit constitutionnel des collectivités territoriales, de la justice constitutionnelle. Sur toutes ces questions, B. Mathieu et M. Verpeaux ont le mérite, à défaut de pouvoir renouveler de fond en comble la matière, d’apporter des éclairages très stimulants et même fort rafraîchissants. A l’évidence les deux co-auteurs sont sur leur terrain de prédilection et le lecteur tire profit de leur science et de leur enthousiasme.
8L’objectif affiché par les auteurs n’est pas, du moins en apparence, de publier le trente-cinquième manuel de droit constitutionnel et partant de prendre date… Leur ambition est toute autre comme en atteste, sans ambiguïté, le point de vue exprimé dans l’avant-propos : il s’agit de faire entrer le droit institutionnel de l’Union européenne dans le champ du droit constitutionnel français. En d’autres termes, l’évolution de l’intégration communautaire impose la prise en compte de l’existence d’un droit constitutionnel européen.
9Répondant à l’air du temps, l’acclimatation de cette nouvelle composante du droit constitutionnel – loin d’être unanimement reconnue par ailleurs – se présentait néanmoins comme un exercice périlleux. Il convenait en effet d’évaluer, avec précision, les incidences et les influences du droit constitutionnel européen sur le droit constitutionnel français. Or à cet égard, la conception même de l’ouvrage est déficiente et sa mise en forme se révèle calamiteuse. En particulier, la dimension constitutionnelle du droit institutionnel de l’Union européenne se révèle décevante. Elle se contente en effet de décrire les principaux aspects du système institutionnel de l’Union européenne. La méthode d’exposition retenue – la juxtaposition – n’apporte aucune valeur ajoutée. A cet égard, on se reportera notamment au titre second de la première partie qui aborde sous forme de deux miniatures, l’histoire de la construction européenne et la formation historique du droit constitutionnel français. Plus gênante encore est la pratique du trompe-l’œil : ainsi en est-il des développements concernant la participation de la France aux institutions de l’Union.
10Au surplus, le recours à une démarche purement linéaire ne convainc pas, même si le manuel est a priori destiné à un public étudiant débutant. Comment, entre autres, admettre et faire admettre que, en tant que telles, les analyses descriptives relatives à la Cour européenne des droits de l’homme et à la Cour de justice des Communautés européennes intéressent le droit constitutionnel. A tout le moins une explication motivée aurait été nécessaire. Un constat d’évidence s’impose : la greffe n’a pas pris. Le défi qu’entendaient relever les auteurs était séduisant, mais hélas l’intendance n’a pas suivi. Sans doute aurait-il fallu laisser davantage de temps au temps…
11Cette dernière considération vaut également plus prosaïquement pour la présentation formelle de l’ouvrage ; visiblement le manuscrit n’a pas fait l’objet d’une relecture suffisamment attentive. Le mode de citation des ouvrages et des articles est relativement fantaisiste et, en tout état de cause, il n’est pas unifié. Les coquilles typographiques sont légion. Les références sont parfois incontrôlées (Gérard Cohen-Jonathan n’est pas le co-auteur du manuel de libertés publiques publié en 1989 par le doyen Colliard). Certaines approximations deviennent franchement coupables (ainsi la qualification d’organe attribuée au Conseil de l’Europe et à l’Union européenne).
12En fin de compte, le jugement d’ensemble pour sévère qu’il puisse paraître n’est aucunement animé par un quelconque esprit de dénigrement. Bien au contraire. Il traduit simplement une déception passagère à la mesure de l’estime et de l’amitié portées à nos deux collègues.
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Cette nouvelle chronique est destinée à accueillir toutes les opinions, lesquelles n’engagent aucunement les responsables de la Revue.