Notes
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[1]
Mark Hennessy, « President insists she has electoral mandate », The Irish Times, 2 octobre 2004.
-
[2]
Pour une exception, cf. Jim Duffy, « Two seven-year presidential terms is too much », The Irish Times, 12 octobre 2004.
-
[3]
Martin Wall, « New legislation on nursing home refunds delayed », The Irish Times, 28 décembre 2005.
-
[4]
Le Conseil d’État est notamment composé du Premier ministre, M. Ahern, de la vice-Premier ministre, Mme Harney, du juge en chef, John Murray, du président de la High Court, Joseph Finnegan, du président de l’Assemblée nationale, Rory O’Hanlon, du président du Sénat, Rory Kiely et du ministre de la Justice, Michael McDowell. Deux anciens Présidents de la République, cinq anciens Premiers ministres ainsi que deux anciens juges en chef font également partie du Conseil d’État. Le Conseil peut en effet comprendre tout ancien Taoiseach, président ou juge en chef qui le souhaite Le président a également le droit de nommer jusqu’à sept membres de son choix.
-
[5]
Cf. de manière générale, G. W. Hogan & G. F. Whyte, J. M. Kelly, The Irish Constitution, 4e éd., Lexis Nexis-Butterworths, 2003, p. 398 et s.
-
[6]
Tout renvoi doit être fait au plus tard le septième jour à compter de la date à laquelle ledit projet aura été présenté par le Taoiseach au président pour sa signature.
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[7]
Re Article 26 of the Constitution and the Planning and Development Bill 1999 [2000] 2 IR 321; Illegal Immigrants (Trafficking) Bill 1999 [2000] 2 IR 260. Il importe de noter que toute disposition législative jugée conforme à la Constitution par la Cour suprême, sur saisine du président de la République, ne peut plus faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori. La Cour suprême a soixante jours pour rendre son jugement.
-
[8]
En 1994, certaines dispositions du Matrimonial Homes Bill 1993 furent jugées non conformes à la Constitution. Le même sort frappa, en 1997, l’Employment Equality Bill 1996.
-
[9]
En fait, en vertu de l’article 26.2.2°, « la décision prise à la majorité des juges de la Cour suprême sera, dans le cas du présent article, considérée comme la décision de la Cour, et sera prononcée par un des juges selon l’ordonnance de la Cour, et nulle autre opinion, ou concordante ou dissidente, ne pourra être prononcée ; l’existence d’une telle autre opinion ne pourra pas être énoncée ». La pratique du Conseil constitutionnel français n’est donc pas aussi inhabituelle que l’on veut habituellement le faire croire en France.
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[10]
In re Maud McInerney, A Ward of Court [1976-1977] I.R.L.M. 229.
-
[11]
Cf. la section 1 du Health (Miscellaneous Provisions) Act 2001.
-
[12]
Cf. In re the Criminal Law (Jurisdiction) Bill 1975 [1977] I.R. 129.
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[13]
Martin Wall, « New legislation on nursing home refunds delayed », The Irish Times, 28 décembre 2005.
INDE (2e SEMESTRE 2005)
LA CRISE POLITIQUE DU BIHAR
1Il a été indiqué dans la chronique précédente que les élections dans l’État du Bihar n’ont donné la majorité à aucun parti ni à une alliance de partis, et que les partis en présence n’avaient pas réussi à forger un gouvernement de coalition. Il a été aussi indiqué que l’État avait été placé sous l’administration directe du Président, c’est-à-dire en fait du gouvernement de l’Union le 7 mars 2005. Cette impasse était due à l’entêtement du chef du parti LJSP qui ne voulait se rallier à aucune des deux alliances et qui préférait le gouvernement présidentiel. L’assemblée élue n’avait jamais été convoquée, elle était maintenue en état de vie latente. Cet arrangement a été approuvé par le Parlement. Cela impliquait l’espoir qu’une majorité émergerait avec le temps.
2Au bout de deux mois environ, la majorité des membres du parti LJSP, mécontents de l’attitude adoptée par leur chef du parti qui leur ôtait l’occasion de goûter au pouvoir, a décidé de se rallier avec le JD ( U ) et un gouvernement d’une formation opposée à celle qui était au pouvoir au niveau de l’Union devenait possible. Cela n’était pas du goût du gouverneur de l’État. Il prépara un rapport au Président le 21 septembre indiquant que pendant deux mois aucune majorité ne s’était dégagée et qu’un parti se préparait à former le gouvernement en attirant à lui les députés d’autres partis par des appâts d’argent et de portefeuilles. Il concluait son rapport en disant qu’il fallait arrêter ce processus immédiatement. Il se rendit personnellement à Delhi muni de ce rapport qu’il soumit au gouvernement de l’Union le lendemain. Le cabinet se réunit le même jour à 22 heures 30, prit la décision de dissoudre l’assemblée et l’envoya pour approbation au Président, alors en visite officielle à Moscou le 23 à 1 heure 52 du matin. La décision a reçu l’approbation présidentielle à 3 heures 15 du matin, la même nuit.
3Cette décision a été attaquée devant la Cour suprême. Celle-ci, compte tenu de la hâte inexplicable manifestée pour prendre cette grave décision et du fait qu’un gouvernement était en vue ce qui méritait un examen attentif de la part du gouverneur, conclut qu’il y avait détournement de pouvoir et violation de la Constitution. Elle a en conséquence annulé la décision de dissolution de l’assemblée et assez curieusement au lieu de restaurer l’ancienne assemblée, a laissé continuer le processus électoral en cours pour de nouvelles élections.
4Ce déroulement des faits appelle des remarques sur le rôle joué par chacun des acteurs.
5En premier lieu, le gouverneur a failli à ses obligations. Il devait avoir à cœur d’avoir un gouvernement responsable devant l’assemblée de l’État le plus rapidement possible, donc de servir de catalyseur à cet effet, si nécessaire. Si malgré ses efforts sincères, aucune formation majoritaire ne se dégageait, il avait la possibilité d’investir la personne qui, à son avis, avait des chances de réunir une majorité autour de lui. Sinon, le chef de l’opposition avait la possibilité de déposer une motion de non confiance et si elle était adoptée, il endossait la responsabilité de former le nouveau gouvernement, et ceux qui avaient voté la motion avaient la responsabilité morale de soutenir ce gouvernement. En cas de nouvelle crise, le gouverneur était en droit de conclure à l’impossibilité d’une stabilité ministérielle et de dissoudre lui-même l’assemblée sans faire intervenir le gouvernement de l’Union. Malheureusement les gouverneurs n’ont pas un statut correspondant à leurs responsabilités ; ils peuvent être relevés de leurs fonctions à tout moment par le gouvernement de l’Union, qui les a choisis parmi les vétérans du parti. Leur ligne d’action est d’être plus royaliste que le roi et leur souci est de faire ce qui plairait à l’état-major du parti ; ils se conduisent davantage comme des représentants du parti au pouvoir au niveau de l’Union que comme gouverneurs des États. De plus, quand un État est soumis au régime présidentiel, tout le pouvoir du gouvernement de l’État qui passe théoriquement au gouvernement de l’Union est pratiquement délégué au gouverneur. Les gouverneurs ont donc une propension à saisir l’occasion ou même à la provoquer pour soumettre l’État au régime présidentiel.
6Dans le cas présent, le gouverneur a récolté les avantages du régime présidentiel pendant deux mois sans prendre aucune mesure positive pour avoir un gouvernement et quand un gouvernement était en vue, il s’est hâté de proposer la dissolution de l’assemblée, sans attendre que le projet de gouvernement prenne forme et examiner s’il était acceptable. Il s’est trahi en déclarant qu’il fallait agir vite pour contrecarrer cette mesure. Devant la cour, il a été soutenu que les actes du gouverneur n’étaient pas soumis au contrôle judiciaire. La cour n’a pas retenu cet argument car ce principe applicable pour tous les actes de bonne foi ne peut pas mettre à l’abri les actes motivés par le parti pris.
7Le gouvernement de l’Union n’est pas non plus sans reproche ; il a agi avec une hâte reprochable en se réunissant à une heure tardive et en envoyant nuitamment sa proposition au président alors qu’il était en tournée officielle à Moscou. D’autre part, le gouvernement de l’Union n’est pas tenu de suivre l’avis du gouverneur. La Constitution l’oblige à se satisfaire de la nécessité de la mesure sur la base du rapport du gouverneur ou de toute autre source d’information. Il n’avait pas dans ce cas d’autre source d’information que ce rapport dont les défauts ont été indiqués plus haut. Tout laisse croire qu’il y a eu collusion entre le gouverneur et le conseil des ministres de l’Union.
8Le Président aussi a failli à son devoir. Il a accepté d’agir précipitamment, tard dans la nuit, pour suivre le rythme imprimé à l’affaire par le gouverneur. Pour une mesure de cette importance, il devait se donner le temps de réfléchir, consulter ses conseillers, demander au besoin au conseil des ministres des renseignements complémentaires. Il avait aussi le droit de retourner le projet au conseil pour un nouvel examen, ce qui aurait eu pour effet de cristalliser la situation au niveau local dont le gouverneur aurait eu l’obligation d’informer le conseil.
9Bien que la Constitution dispose que le Président est tenu par l’avis de son conseil des ministres, cette disposition ne peut s’appliquer que pour les questions où seule l’opportunité politique est en jeu. Mais quand l’acte est entaché de fraude ou viole la Constitution de manière flagrante, il ne peut pas être partie à la décision. Il a fait le serment de préserver, protéger, et défendre la Constitution. S’il lui arrive de violer la Constitution, il pourrait être mis en accusation par le Parlement. Bien sûr, il ne peut pas passer outre le conseil des ministres à la légère, mais quand la fraude ou la violation de la Constitution est palpable, il a non seulement le droit mais aussi le devoir de l’empêcher.
10La Cour suprême a eu raison d’annuler la décision de dissolution de l’assemblée comme étant viciée pour cause de détournement de pouvoir. Mais elle a néanmoins refusé d’en tirer la conséquence logique, en l’occurrence de restaurer l’assemblée ; elle a ainsi permis aux coupables de récolter les fruits de leur manœuvre. Elle a permis aux nouvelles élections organisées sur la base d’une dissolution qu’elle avait annulée de se dérouler, ce qu’on n’a pas manqué de lui reprocher. La Cour suprême a justifié cette partie de sa décision par des considérations pratiques, comme le fait que les opérations électorales étaient déjà à un stade avancé, que le vote devait avoir lieu le 18 du mois, soit dans une dizaine de jours. Elle aurait pu éviter cet état de choses en suspendant la décision attaquée dès qu’elle avait été saisie. On a l’impression que les juges voulaient consolider leur pouvoir de décider sur une telle matière et en même temps éviter une situation politique frisant le désordre. Mais l’avertissement à la classe politique est clair : leurs actes officiels quels qu’ils soient doivent passer le test de bonne foi et de constitutionnalité.
11Cet épisode rappelle la nécessité de rectifier deux mauvaises dispositions de la Constitution qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre, comme l’ambiguïté du statut et du rôle des gouverneurs et le pouvoir accordé au gouvernement de l’Union (article 356) d’assumer l’administration directe des États et de dissoudre les assemblées élues des États.
RÉSULTATS DES NOUVELLES ÉLECTIONS AU BIHAR
12Les résultats s’établissent comme suit par rapport aux élections précédentes.
13Les nouvelles élections ont permis à l’alliance Parti hindouiste-Janata dal (U) d’obtenir la majorité. C’est à peu près cette combinaison qui s’apprêtait à former le gouvernement après les précédentes élections que le gouverneur a étouffées dans l’œuf. On constate également que le Parti LJSP dont le chef s’est montré intransigeant, empêchant toute émergence de majorité et dont la majorité des membres s’apprêtait à quitter le parti pour se rallier à l’alliance précitée, a perdu plus de la moitié de ses élus. En somme, on aurait pu faire l’économie des nouvelles élections.
14Quoi qu’il en soit, tout semble être rentré dans l’ordre. Au Bihar, on a maintenant un gouvernement correspondant aux normes apparentes de la démocratie, soit une majorité issue des élections investie du pouvoir. Mais on est loin d’une démocratie digne de ce nom. D’abord 53% d’abstention, soit plus de la moitié des électeurs inscrits. Avec le système de scrutin majoritaire à un seul tour et la multiplicité des partis, la majorité des élus a obtenu moins de 20 % de suffrages exprimés soit environ 8 % des voix des électeurs inscrits.
15Par ailleurs la grande inégalité sociale, le manque d’instruction et la misère de la masse, la soif excessive de pouvoir chez les hommes politiques, l’entrée en scène des criminels dans l’arène politique rendent impossibles des élections dans une atmosphère sereine. Les élections au suffrage universel pour une assemblée législative pendant 55 ans n’ont pas formé l’électorat au jeu démocratique façonné par l’occident. C’est plutôt une détérioration progressive que l’on constate. La Commission aux élections, pour pouvoir maîtriser la situation, a divisé l’État en quatre zones avec des jours différents pour les élections dans chaque zone, le tout s’étalant sur six semaines. Pour éviter les irrégularités, les fraudes, les intimidations, la violence, elle a pris des mesures drastiques : déploiement de forces, ordre de faire feu sur les fauteurs de troubles, défilé de troupes, état d’alerte aux frontières. Dans son ardeur d’avoir des élections parfaitement régulières, elle a été amenée à réagir vivement aux moindres infractions au code de conduite au point d’être taxée de dépassement de pouvoirs.
16Dans ces conditions, on est amené à se poser deux questions fondamentales. Au prix de tant d’efforts, a-t-on abouti à un gouvernement qui représente le peuple ? Le processus électoral et le mode d’organisation politique adoptés ne sont-ils pas complètement inadaptés à la société à laquelle on a voulu les appliquer ? La réponse qui vient à l’esprit immédiatement est évidemment Non. Une nouvelle question se pose alors nécessairement : comment réaliser le gouvernement par le peuple autrement ? La question mérite réflexion et recherche.
EXPULSION DE ONZE MEMBRES DU PARLEMENT
17Le 12 décembre 2005, les spectateurs de la télévision indienne n’en croyaient pas leurs yeux quand ils ont vu défiler 11 membres du Parlement recevant de l’argent pour poser des questions au gouvernement. Des journalistes s’étaient présentés aux honorables représentants du peuple en tant qu’hommes d’affaires et les avaient persuadés de poser des questions qu’ils avaient préparées, moyennant rémunération, ce qui fut accepté. Le tout a été soigneusement filmé avec leur appareil miniature et transmis par plusieurs chaînes.
18Le président de la Chambre haute a immédiatement demandé au comité d’éthique de la Chambre d’enquêter. Le président de la Chambre basse a constitué au même effet un comité ad hoc comprenant les représentants de tous les partis.
19Les deux comités ont procédé à une enquête, ont visionné les films, interrogé leurs auteurs et ont demandé des explications aux membres incriminés. Ils ont été satisfaits de l’authenticité des séquences et ont trouvé les explications des inculpés non convaincantes. On ne les a pas invités à s’expliquer devant leurs assemblées respectives qui ont toutes les deux prononcé leur expulsion le 23 décembre soit une douzaine de jours après l’infraction. Jamais la roue de la justice n’avait tourné si rapidement.
20Un des membres expulsés a saisi la Cour suprême et demandé l’annulation de la décision prise à son encontre, motif pris du défaut de débat contradictoire à la Chambre et de l’absence de pouvoir de la Chambre pour expulser ses membres pour des motifs de ce genre. La Cour a fait signifier la requête au président de la Chambre concernée, au Gouvernement et à la Commission des élections. Il est à remarquer que la Cour n’a pas accédé à la demande de sursis de la décision. Donc des élections pourront avoir lieu pour remplacer les membres expulsés.
21L’affaire s’est compliquée du fait que le président de la Chambre basse a décidé de ne pas recevoir la communication de la Cour et de ne pas comparaître devant elle. En effet, depuis un certain temps, la classe politique ressent avec déplaisir ce qu’elle appelle l’ingérence de la Cour dans la vie parlementaire et voudrait que ses décisions relatives au fonctionnement des assemblées élues échappent totalement au contrôle judiciaire. La Cour aura à examiner au préalable ce point avant d’apprécier le mérite de la requête.
22Il est aussi à remarquer que les membres expulsés ont la possibilité de se représenter aux élections et de se faire réélire, auquel cas la décision des assemblées aura été futile. En effet, dans l’état actuel de la législation, l’expulsion n’entraîne pas ipso facto une disqualification de se représenter aux élections pour une certaine période. Seule une condamnation à l’emprisonnement de plus de 2 ans entraînerait une telle mesure.
23Quant au pouvoir des chambres d’expulser leurs membres, le requérant conteste l’existence d’un tel pouvoir pour des méfaits de ce genre en l’absence de disposition expresse dans la Constitution à cet égard.
24La version originale de l’article 105 (3) de la Constitution disposait que le Parlement indien aurait les mêmes pouvoirs et privilèges que le Parlement britannique jusqu’à ce que des dispositions expresses soient formulées en la matière. Cet article a été modifié en 1977 conférant au Parlement les mêmes pouvoirs que ceux qu’il possédait avant cette date. La Chambre des communes a eu à connaître trois cas de membres ayant reçu de l’argent pour poser des questions au gouvernement ; elle a enquêté sur l’accusation, mais s’est contenté d’une admonestation ou d’une suspension. Comme l’exercice du pouvoir disciplinaire n’a donné lieu à aucune contestation, le pouvoir d’expulsion s’est trouvé par cela même reconnu. En Inde, la Chambre haute a expulsé un de ses membres en 1976. La Chambre basse avait expulsé Indira Gandhi en 1978. Après de nouvelles élections, la Chambre a rapporté cette décision et déclaré que la décision d’expulsion qui avait été prise ne devait pas servir de précédent. La Commission des élections a accepté que le Parlement ait le pouvoir d’expulser ses membres. Les décisions des cours supérieures sont divergentes. La décision de la Cour suprême d’intervenir doit mettre fin à la controverse.
25La population a applaudi à la célérité de la sanction qui contraste avec la procédure suivie devant les cours dans les cas de corruption des barons politiques. On souhaiterait que tous les corps constitués s’épurent de la même manière.
DÉCISIONS DE LA COUR SUPRÊME
• Sanjeev Bhatnagar v. Union of India (2005) 5 SCC 330
26Un citoyen indien a présenté une requête sous forme de litige d’intérêt public sollicitant une injonction au gouvernement de l’Inde de supprimer le mot « Sindh » de l’hymne national, du moment que cette province ne faisait pas partie de l’Union indienne après la partition. Pour comprendre la portée de la demande et la décision intervenue, il est nécessaire d’avoir une idée de l’hymne et de son histoire.
27Un hymne pour attirer la grâce de Dieu sur l’Inde, commençant par les mots Jana-gana-mana, et connu depuis sous ce nom, a été composé en langue bengalie par le poète Rabindranath Tagore, bien avant que l’idée de partition ait germé dans les esprits. Il commence par : « Tu es le seigneur des esprits de tout le monde, le dispensateur de la destinée de l’Inde. Ton nom fait vibrer les coeurs du Punjab, du Sindh, ect. Il résonne dans les Vindhyas et les Himalayas. Il se mèle à la musique du Yamouna et du Gange. Il est chanté par les vagues de l’Océan indien ».
28Sans être une énumération rigoureuse des diverses parties de l’Inde, c’est une évocation poétique de l’ensemble de l’Inde. Ce poème a été traduit en anglais par Tagore lui-même sous le nom de « Chanson de l’aube de l’Inde ». Il a été chanté lors d’une session du Congrès national indien pour la première fois à Calcutta en 1911. Il a été jusqu’à l’indépendance-partition considéré comme l’hymne national futur de l’Inde indépendante.
29Au moment de l’indépendance-partition, la province du Sind a été allouée au Pakistan; le Punjab et le Bengale ont été tous les deux scindés en deux avec une partie revenant à l’Inde et l’autre au Pakistan. Au sein du comité constitué par l’assemblée constituante indienne pour recommander un hymne national, il semble qu’il n’y ait pas eu unanimité. Alors, au lieu de procéder par voie de résolution qui aurait donné lieu à discussion, on a décidé que le président de l’assemblée annoncerait l’hymne national. Il a annoncé que le Jana-gana-mana serait l’hymne national et qu’il serait sujet à telle modification que le gouvernement pourrait autoriser, le cas échéant, ce qui a été agréé par l’assemblée constituante.
30Depuis, il n’est venu à l’idée de personne de soulever une objection quelconque quant au contenu de l’hymne national, lequel d’ailleurs est joué par la fanfare militaire donc sans paroles dans les occasions officielles. Le requérant avait présenté à la Cour suprême une requête qualifiée de litige d’intérêt public et demandant la suppression du mot « Sindh », en 2004, laquelle avait été rejetée in limine avec la remarque qu’il pouvait s’adresser au gouvernement. N’ayant pas obtenu satisfaction de ce côté, il a introduit cette présente instance.
31Le gouvernement s’est opposé à la demande en disant qu’elle ne répondait à aucun objectif d’utilité générale, que c’était une question chargée d’émotions et que tout changement générerait des controverses
32Beaucoup d’associations des anciens habitants du Sindh qui avaient quitté leur pays natal pour s’installer dans l’Union indienne après la partition se sont opposés avec véhémence, disant qu’ils sont attachés à la langue et à la culture sindhie. Ils ont contesté le droit du requérant de formuler une telle demande en tant que litige d’intérêt public au nom du peuple de l’Inde. Ils ont fait valoir que, dans les articles de presse qui sont parus à la suite de la requête, il n’y en a eu aucun soutien de la demande et qu’au contraire il y en a eu plusieurs à l’encontre de la requête. Ils s’interrogeaient pour savoir si le requérant plaidait pour les citoyens de l’Inde ou pour ceux du Pakistan.
33La Cour a rejeté la requête comme mal fondée, l’a qualifiée de litige d’intérêt publicitaire (pour le requérant) et lui a infligé une amende de 10 000 roupies.
34Les motifs de la décision sont principalement les suivants. L’hymne national est un chant exprimant des sentiments patriotiques, ce n’est pas un répertoire des régions constituant un pays. Pendant des décennies, il a inspiré les sentiments patriotiques des millions de citoyens. Il exprime l’éthique de la nation de la diversité dans l’unité. L’hymne national ne peut pas changer toutes les fois qu’il y a des modifications territoriales. On ne peut pas y apporter des modifications sans mutiler le poème, sans nuire à son rythme et sans froisser la mémoire du poète dont on a emprunté l’œuvre.
35La cour aurait pu rejeter la demande tout simplement en faisant remarquer qu’elle ne correspondait à aucun intérêt public. Elle s’est piquée au jeu et a abondamment motivé sa décision en invoquant même des raisons sentimentales. Il n’en reste pas moins qu’un hymne national n’est pas immuable mais il ne se modifie pas sauf cas de changements politiques fondamentaux.
• Harmohinder Singh Pradhan v. Rajit Singh Talwandi (2005) 5 SCC 46
36Un candidat évincé d’une élection a présenté une requête en vue de l’annulation de l’élection de son adversaire pour la raison que des chefs religieux avaient lancé des appels écrits et oraux aux électeurs en faveur de ce dernier. La requête a été rejetée in limine par la Cour supérieure de l’État, d’où appel devant la Cour suprême.
37L’action se basait sur l’article 123 (3) de la loi électorale de 1951. D’après cet article, l’appel par un candidat ou son agent ou toute personne avec son consentement, à voter ou à ne pas voter pour une personne en considération de sa religion, de sa race, de sa caste, de sa communauté ou de sa langue serait une pratique répréhensible entraînant l’annulation de l’élection et l’interdiction de se présenter aux élections pour un certain temps. La Cour a bien trouvé que des chefs religieux avaient fait des appels pressants aux électeurs en faveur du candidat élu, mais a rejeté la requête de son rival malheureux, car la loi exigeait que l’appel soit fait en considération de la religion du candidat et que dans les appels qui ont lancés en faveur du candidat, il n’y avait nulle mention de sa religion.
38Il est vrai que le libellé de la loi ne permettait pas à la Cour de décider autrement. A moins de décider que l’appartenance du candidat et des chefs religieux à la même religion constituait implicitement un appel en faveur de la religion du candidat. Ce serait peut-être aller trop loin quand il s’agit d’annuler une élection. On est obligé néanmoins de constater que la loi ne semble pas avoir atteint son but, soit éviter que les considérations religieuses décident du choix des électeurs et que les batailles électorales dégénèrent en batailles religieuses. Il est certes difficile d’exiger des chefs religieux qu’ils restent muets quand la campagne électorale bat son plein. Quant à l’électeur, il sera naturellement sensible à la religion ou à la caste du candidat; l’appel du chef religieux correspondant renforcera cette tendance. C’est quand même à éviter dans la mesure du possible. L’essentiel est que, dans l’accomplissement de son devoir civique, l’électeur ne soit pas détourné des considérations de la chose publique par une influence extérieure. La question est d’importance, à une époque où les chefs de toutes les religions rivalisent pour influencer l’électorat au point de miner la laïcité de l’État. Elle mérite une réglementation minutieuse et délicate.
• Madhya Pradesh Special Police Establishment v. State of Madhya Pradesh (2005) 6 SCC 454
39L’État de Madhya Pradesh avait acquis un vaste terrain pour cause d’utilité publique. Deux des ministres de cet État ont illégalement soustrait de l’acquisition une partie du terrain. Le ministère public a trouvé que les ministres étaient clairement coupables de corruption et a sollicité l’autorisation du gouvernement pour les poursuivre. En effet, cette autorisation est exigée par la loi pour toute poursuite contre un agent de l’État en cas de faute commise dans l’exercice de ses fonctions. C’est dans le but de le protéger contre des plaintes futiles ou vindicatives. Le conseil des ministres a refusé l’autorisation. Le gouverneur auquel le dossier a été soumis a passé outre et accordé l’autorisation. Les ministres inculpés ont saisi la Cour supérieure de l’État qui a annulé la décision du gouverneur au motif que le gouverneur devait se conformer à l’avis du conseil des ministres. L’affaire a ainsi abouti à la Cour suprême sur appel du ministère public.
40La question qui s’est posée devant la Cour était de savoir si le gouverneur possédait un pouvoir indépendant en la matière ou s’il était tenu par l’avis donné par le conseil des ministres.
41L’article 163 de la Constitution dispose qu’il y aura un conseil des ministres dans chaque État fédéré pour aider et conseiller le gouverneur dans l’exercice de ses fonctions sauf dans les cas où il doit les exercer d’après sa propre discrétion. Donc il ne fait pas de doute que le gouverneur possède un pouvoir indépendant. Quant aux circonstances de l’exercice d’un tel pouvoir, la Constitution est muette, mais indique que c’est au gouverneur seul de décider si une matière rentre dans la limite de son pouvoir discrétionnaire. La Cour suprême dans une composition élargie de sept juges avait indiqué certains des cas où le gouverneur peut agir seul et précisé que cette liste n’était pas exhaustive. Dans la présente affaire, la Cour a opiné que le conseil des ministres ne pouvait pas donner un avis objectif du moment que deux membres du conseil étaient inculpés. Si dans un tel cas de risque inhérent de partialité de la part du conseil des ministres, le gouverneur n’intervenait pas, il y aurait danger pour l’État car l’absence de poursuites pousserait ceux qui sont au pouvoir à croire qu’ils peuvent impunément violer la loi. En conséquence, la Cour a reconnu l’existence d’un pouvoir indépendant du gouverneur dans ce cas et a annulé la décision de la Cour supérieure et restauré l’autorisation accordée par le gouverneur.
42Il a été précisé dans une autre décision que même s’il arrive au gouverneur de consulter le conseil dans une matière où il peut agir selon sa discrétion, il n’est pas tenu par l’avis reçu (Pu Myllai Hlychho v. State of Mizoram-2005 (1) Scale 239).
• State of Gujerat v. Mirzapur Moti Kureshi Kassab Jamat (2005) 8 SCC 534
43La philosophie de la vie indienne est en faveur de la protection de la vie sous toutes ses formes. Le parti hindouiste veut promouvoir vigoureusement cette philosophie et l’une des mesures qu’il a prise dans l’État du Gujerat quand il est parvenu au pouvoir fut d’interdire l’abattage des veaux. Il y a eu quelques protestations, mais aucun consommateur n’a songé à attaquer la loi devant les tribunaux. Une association de bouchers est montée au créneau et a demandé à la Cour supérieure de l’État d’annuler la loi comme violant le droit d’exercer leur profession garanti par le paragraphe 1er de l’article 19 de la Constitution. Le gouvernement du Gujerat a défendu sa décision en soutenant que, d’après le paragraphe 6 du même article, il était permis à l’État d’apporter des restrictions raisonnables à ce droit dans l’intérêt général. La cour supérieure a rejeté le moyen mis en avant par le gouvernement et a fait droit à la demande de l’association.
44L’État de Gujerat a interjeté appel devant la Cour suprême. Celle-ci avait à apprécier si la mesure prise par le gouvernement constituait une restriction raisonnable ou non.
45Le dossier révélait que la consommation de la viande bovine y compris les veaux ne représentait que 1,3% de la consommation totale de la viande en Inde. La prohibition protégeant les veaux n’empêchait pas les bouchers d’abattre les autres catégories de bovins et autres animaux et n’affectait donc qu’une faible partie de leur activité. Même si cela doit leur causer un préjudice, il est mineur et ne peut pas être considéré comme une restriction déraisonnable à leur métier. La déclaration du gouvernement selon laquelle la mesure a été édictée dans l’intérêt général n’étant pas contestée par le requérant, la restriction apportée par l’État est protégée par le paragraphe 6 de l’article 19. En considération de ces motifs, la Cour a annulé le jugement de la cour supérieure et déclaré valide la loi.
• Meera Kanwaria v. Sunita & Ors 2005 (10) Scale 39
46Sunita, personne appartenant à une caste supérieure, s’est portée candidate dans une circonscription réservée aux castes répertoriées (anciens intouchables) en prétendant qu’elle appartenait à une telle caste du fait de son mariage avec une personne de cette caste. Elle a gagné l’élection. Sa rivale a contesté son élection au motif que Sunita n’était pas membre d’une caste répertoriée.
47La Cour de district a fait droit à la demande. La Cour supérieure a cassé le jugement de la Cour de district. Elle a passé en revue les jugements de la Cour suprême et a opiné que la réservation pour les postes administratifs était différente de la réservation en vue d’autres avantages, et que les critères rigoureux élaborés pour l’accès aux emplois publics ne devaient pas s’appliquer aux autres cas.
48Saisie d’un appel, la Cour suprême a cassé le jugement de la Cour supérieure et annulé l’élection de Sunita. Elle a fait remarquer qu’une personne pourrait devenir membre d’une caste inférieure si elle se marie avec une personne de cette caste, selon les rites de cette caste et si elle est acceptée par la famille et aussi par la communauté de cette caste et que cette dernière condition manquait dans le cas de Sunita. Cette approche diffère de la position que la Cour avait prise dans l’affaire Valsamma Paul (AIR 1996 SC 1011) où elle avait décidé qu’une personne qui n’a pas subi dans son enfance les désavantages inhérents à l’appartenance à une basse caste ne peut par voie de mariage ou d’adoption réclamer les avantages prévus par la Constitution en faveur des personnes de basse caste pour l’accès aux postes publics. Cette différence de motifs entre ces deux décisions suggère que la Cour est portée à distinguer entre le droit aux postes administratifs réservés (articles 15-4 et 16-4) et le droit de se porter candidat aux élections (articles 330 et 332) dans une circonscription réservée aux castes et tribus répertoriées. Mais la Cour n’a pas explicité la distinction; c’est ce qui rend sa jurisprudence floue, donnant lieu à des décisions divergentes par les autres juridictions. Cette distinction est parfaitement légitime et rationnelle. Le premier accorde une faveur dans le but d’effacer un désavantage du à la naissance dans une caste défavorisée, donc c’est le statut à la naissance qui doit compter. On ne peut pas usurper ce droit par le biais du mariage, qui peut d’ailleurs prendre fin par le divorce ou qui pourrait même être un mariage de complaisance. Le second donne le droit de représenter une communauté répertoriée comme arriérée ; ce qui compte dans ce cas, c’est l’appartenance à cette communauté quelle qu’en soit le mode d’accès, cette appartenance étant décidée par la communauté elle-même. Le premier accorde un avantage pour la vie tandis que le second procure un avantage tout au plus pour 5 ans. Celui qui bénéficie du premier droit doit servir toute la société de façon égale tandis que celui qui bénéficie du second droit a la responsabilité de veiller aux intérêts de sa communauté. Donc on serait en droit de conclure que seule la naissance doit servir de critère pour l’accès aux emplois publics et que la reconnaissance par la communauté est essentielle pour se porter candidat aux élections dans une circonscription réservée. La loi ou la Cour suprême pourrait établir clairement la distinction pour éviter un contentieux récurrent.
49David Annoussamy
IRLANDE
L’AFFAIRE DES « CONTRIBUTIONS ILLÉGALES » OU L’HISTOIRE D’UN JUGEMENT D’INCONSTITUTIONNALITÉ À UN MILLIARD D’EUROS
50Les bienfaits de la croissance économique en Irlande expliquent sans nul doute une vie politique relativement monotone depuis la fin de la présidence irlandaise de l’Union européenne le 1er juillet 2004. Depuis, le seul événement marquant de la vie politique irlandaise apparaît être la réélection de Mary McAleese à la présidence de l’Irlande le 1er octobre 2004. Symbolique de cette relative monotonie est le fait que cette « réélection » n’en est en fait pas une dans la mesure où, seule candidate, elle a été reconduite à son poste pour un nouveau (et dernier) mandat de sept ans sans élections. En vertu de l’article 12.4.5° de la Constitution de 1937, en effet, lorsqu’un seul candidat est désigné pour l’élection présidentielle, il n’est pas nécessaire de procéder à un scrutin pour son élection. On peut noter, de manière incidente, que le père fondateur de la Constitution de 1937, Eamon de Valera, s’est inspiré de la pratique française quant à la durée du mandat présidentiel.
51La reconduite au pouvoir de Mary McAleese ne fut pas toutefois sans mélodrame dans la mesure où un ancien membre du Parlement européen, Mme Dana Rosemary Scallon, par ailleurs ancienne lauréate de l’Eurovision, a plaidé jusqu’à la dernière minute son droit à contester l’élection à la présidence. Son recours devant la Haute Cour puis son appel devant la Cour suprême furent toutefois rejetés [1]. Cependant, peu de commentateurs avisés ont fait part de la nécessité de réformer les règles qui encadrent le droit de participer à l’élection présidentielle [2] :
52Article 12.4.2° : « Tout candidat, exception faite des anciens présidents ou de celui dont les pouvoirs arrivent à expiration, doit être proposé :
- soit par vingt personnes, au moins, obligatoirement membres en exercice d’une des chambres de l’Oireachtas,
- soit par les conseils d’au moins quatre comtés administratifs, y compris les conseils municipaux (Country-boroughs), tels qu’ils sont définis par la loi ».
53Il paraît utile de rappeler que le Taoiseach, plutôt que le Président, est l’acteur politique le plus influent dans le système politique irlandais. En effet, le président ne dispose d’aucun pouvoir exécutif et ne peut agir que sur le conseil du gouvernement et en vertu de son autorité (cf. article 13 de la Constitution). Le Président remplit toutefois un rôle important de garant de l’ordre constitutionnel. À ce titre, le Président peut, après consultation avec le « Conseil d’État », renvoyer tout projet de loi (excepté ceux touchant aux finances ou Money Bill) à la Cour suprême en cas de doute quant à leur constitutionnalité. Ce pouvoir présidentiel a été largement débattu dans le contexte de l’affaire des « contributions illégales » qui a défrayé la chronique depuis fin 2004 et qui a abouti à un jugement de non conformité à la Constitution aux conséquences financières non négligeables.
I – LE CONTEXTE
54Dans un jugement rendu le 16 février 2005, In the matter of Article 26 of the Constitution and the Health (Amendment) (n° 2) Bill 2004, la Cour suprême a déclaré non conforme à la Constitution le projet de loi qui proposait de valider, de manière rétroactive, les contributions et autres charges en matière de succession que les personnes atteintes d’une infirmité mentale ou physique devaient régler à l’État en contrepartie d’une prise en charge médicale complète et de long terme dans un hôpital, une résidence spécialisée ou tout autre établissement approprié. Selon la Cour suprême, près de 275 000 personnes ont payé pour cette prise en charge depuis une loi de 1970, the Health Act. Le plus surprenant dans cette affaire est que cette même loi de 1970 énonce clairement qu’aucune contribution financière ne peut cependant être exigée par l’État en contrepartie de cette prise en charge médicale, en particulier si la personne concernée est éligible à l’équivalent irlandais du régime français de couverture médicale universelle. Conscient de cette pratique contra legem, le gouvernement de Bertie Ahern, le Premier ministre ou Taoiseach, a proposé en décembre 2004 de « légaliser » rétroactivement cette pratique en votant une loi – le Health Amendment (n° 2) Bill 2004 – autorisant l’État à percevoir jusqu’à 80 % des retraites perçues par les personnes qui se trouvent dans des résidences de soins spécialisés aux frais de l’État. Selon la première section de ce projet de loi qui portait amendement à la loi sur la santé de 1970, les contributions et autres charges imposées par l’État « sont, et ont toujours été, légales ». Il était également prévu que toute demande de remboursement sera jugée irrecevable à moins qu’une procédure judiciaire ait été entamée avant le passage de la loi. Le jugement de la Cour suprême était attendu. Il n’a pas déçu. En jugeant inconstitutionnelles les dispositions qui poursuivaient le but de valider rétroactivement les contributions litigieuses, la Cour suprême amène nécessairement l’État à faire face à une avalanche de demandes de remboursement qui pourrait dépasser le milliard d’euros [3]. Mais il convient d’expliquer tout d’abord la procédure suivie avant d’examiner sur le fond, le jugement de la Cour suprême.
II – LA PROCÉDURE
55Le caractère éminemment sensible de cette affaire se démontre par le rôle joué par la Présidente, Mary McAleese. Il était traditionnellement rare pour le chef de l’État, en Irlande, de saisir la Cour suprême – après consultation du « Conseil d’État » [4] – afin que la Cour statue sur la constitutionnalité d’un projet de loi [5]. Ce pouvoir de saisir la Cour suprême est prévu par l’article 26.1.1° de la Constitution :
56« Le Président d’Irlande pourra, après avoir consulté le Conseil d’État, renvoyer tout projet auquel cet article est applicable devant la Cour suprême afin qu’elle décide si ledit projet ou une ou plusieurs de ses dispositions spécifiées sont contraires à la présente Constitution ou à quelqu’une de ses dispositions » [6].
57Au total, cette procédure n’a été mise en œuvre que quatorze fois (quinze si l’on inclut ce dernier épisode) depuis 1940 et le président reste toujours maître de ne pas saisir la Cour suprême même après avoir consulté le Conseil d’État. Il convient de noter une témérité croissante à la présidence car six saisines ont été entreprises depuis 1993. Dans la présente affaire, autre caractéristique originale, c’était la première fois que Madame McAleese saisissait la Cour suprême d’un projet de loi en sa totalité. Par deux fois auparavant, en juin 2000, Mary McAleese avait certes demandé à la Cour suprême d’intervenir, mais elle avait limité sa requête à l’examen de la constitutionnalité d’une section d’un projet de loi sur l’aménagement du territoire (Planning and Development Bill 1999) et deux sections d’un projet de loi sur l’immigration illégale (Illegal Trafficking Bill 1999) [7]. En ces deux occasions, la Cour suprême avait jugé conformes à la Constitution les sections soumises à son attention. Cela n’a pas été le cas dans l’affaire qui nous intéresse ici. En jugeant non conforme à la Constitution le Health Amendment (n° 2) Bill 2004, c’est la troisième fois que la Cour suprême déclare un projet de loi inconstitutionnel sur saisine du Président de la République [8]. Ce jugement, salué par les médias, était attendu.
III – LE FOND
58Dans un jugement de près de quatre-vingt dix pages, les sept juges de la Cour suprême ont « unanimement » [9] jugé non conforme à la Constitution la section de la loi qui déclarait valide, de manière rétroactive, la pratique administrative qui consistait à exiger des patients bénéficiant d’une prise en charge médicale complète dans un établissement spécialisé, une contribution financière, même si ceux-ci étaient par ailleurs couverts par l’équivalent irlandais de la couverture maladie universelle française. Cette pratique, bien que clairement contraire à la lettre de la loi sur la santé de 1970, a perduré sans que personne ne s’en émeuve jusqu’au début de 2004 quand le ministre de la Justice informa officiellement le gouvernement de l’absence de base légale relativement à cette pratique. En 1976, la Haute Cour avait pourtant déjà indiqué, sur la base de la loi sur la santé de 1970, que les personnes souffrant d’une infirmité mentale ou physique devaient bénéficier d’une prise en charge médicale gratuite dans un hôpital ou tout autre établissement spécialisé lorsque leurs revenus les rendaient éligibles au programme de couverture de maladie universelle [10]. Dans une circulaire faisant suite à ce jugement, le ministère de la Santé indiqua cependant que cette interprétation n’était pas applicable pour ceux qui faisaient l’objet d’une prise en charge médicale dans une institution plutôt qu’à leur propre domicile pour des motifs spécieux que nous ne détaillerons pas. Ce qu’il importe de retenir, toutefois, c’est qu’il ne fut pas mis fin, en conséquence, à la pratique de demander à l’ensemble des patients de contribuer financièrement au coût de leur prise en charge médicale lorsque leur condition nécessite un séjour de longue durée à l’hôpital. L’illégalité de cette pratique n’a toutefois véritablement émergé que lorsque le gouvernement, en 2001, a étendu la couverture maladie universelle à toute personne de plus de soixante dix ans [11]. En augmentant le nombre de personnes pouvant prétendre de manière automatique à une prise en charge médicale complète et gratuite en vertu de la loi de 1970, l’État prenait évidemment le risque de multiplier les chances qu’un patient finisse par s’apercevoir de l’absence de toute base légale en ce qui concerne la pratique administrative consistant à exiger une contribution financière de la part des patients qui, de par leurs maigres revenus ou le fait qu’ils aient atteint l’âge de soixante-dix ans, devraient manifestement bénéficier d’une prise en charge médicale totalement gratuite. C’est donc la générosité apparente – ironie de l’histoire – du gouvernement de Bertie Ahern en 2001 qui va conduire à cette affaire plutôt humiliante pour ce même gouvernement en 2004.
59La Cour suprême débute son jugement, délivré par le juge en chef John Murray, en rappelant que toute loi déférée en vertu de l’article 26 doit bénéficier, en principe, d’une présomption de constitutionnalité [12]. Elle distingue ensuite les dispositions de la loi de 2004 qui ne valent que pour le futur de celles qui, de manière rétroactive, ont pour but de légaliser la pratique administrative litigieuse qui a perduré depuis au moins l’arrêt de 1976 de la Haute Cour précédemment cité. La Cour suprême va ensuite évacuer un certain nombre d’arguments soulevés à l’encontre de la loi pour se concentrer sur les dispositions rétroactives, le « cœur du problème » dans cette affaire selon les propres termes de la Cour. L’existence manifeste d’un droit législatif à bénéficier d’une prise en charge médicale gratuite pour les personnes aux revenus faibles implique, selon la Cour, l’existence d’un droit de propriété pour les personnes qui ont été illégalement mises à contribution. Il s’ensuit que ces personnes ainsi que leurs descendants ont le droit de recouvrir les sommes illégalement perçues (the right to recover the monies). Ce droit au recours devant un tribunal (right of action) s’apparente à un droit de propriété au sens de l’article 43 de la Constitution :
60« 1.1° L’État reconnaît que l’homme, du fait qu’il est un être raisonnable, a un droit naturel, antérieur à la loi positive, à la propriété privée des biens extérieurs.
612° Par conséquent, l’État garantit qu’il n’adoptera pas de loi qui tenterait d’abolir le droit à la propriété privée ou le droit général de transférer sa propriété, d’en disposer par testament et d’hériter.
622.1° Toutefois, l’État reconnaît que l’exercice des droits indiqués dans les dispositions ci-dessus du présent article doit être régi dans une société civilisée par les principes de la justice sociale.
632° Par conséquent, si les événements l’exigent, l’État peut délimiter par une loi l’exercice desdits droits en vue de concilier leur exercice avec les exigences du bien commun ».
64On notera donc que la Constitution prévoit que « l’exercice » des droits de propriété peut être limité par le respect dû aux principes de la justice sociale ainsi qu’aux exigences du bien commun. Un autre article de la Constitution vient néanmoins compliquer l’interprétation de ces dispositions. En effet, les droits de propriété des citoyens sont supposés devoir être protégés de toute « attaque injuste » de la part de l’État en vertu de l’article 40.3.2° : « En particulier, l’État protégera de son mieux contre les attaques injustes, la vie, la personne, l’honneur et les droits de propriété de tout citoyen et, en cas d’injustice, il les défendra ».
65Au vu de ces deux articles, la Cour suprême pose le principe suivant : tout acte législatif qui abolit, et non pas régule l’exercice d’un droit de propriété, s’il ne prévoit pas de compensation, sera considéré comme une « attaque injuste » sur ce droit. La Cour ajoute que la Constitution protège les droits de propriété non seulement lorsqu’ils sont d’une grande mais aussi d’une modeste valeur, ce qui est le cas en l’espèce car les personnes concernées appartiennent aux groupes les « plus vulnérables » de la société. Le jugement souligne les risques accrus d’une intervention législative disproportionnée dès lors que l’objectif est de porter atteinte aux droits de propriété des personnes aux moyens modestes. Le jugement précise toutefois que l’État, en des circonstances exceptionnelles, peut se prévaloir de l’intérêt public à préserver les finances publiques afin de porter atteinte aux droits de propriété.
66Il est intéressant de noter, à ce stade, les nombreuses références faites à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme par les avocats chargés de plaider l’inconstitutionnalité de la loi tout autant d’ailleurs que par ceux du gouvernement. Les trois arrêts mentionnés sont les suivants : Pressos Compania SA c/Belgique (1995) ; National Provincial Building Society c/Royaume-Uni (1997) ; Zielinski c/France (2001). La Cour suprême n’examine toutefois en détails que le premier arrêt pour en retenir essentiellement ce qui est dit au paragraphe 38 : « Une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un “juste équilibre” entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ». (...) En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur un requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne. À cet égard, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive, et un manque total d’indemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 (P1-1) que dans des circonstances exceptionnelles.
67La Cour suprême note avec intérêt les principes énoncés par la Cour européenne des droits de l’homme, et en particulier la référence faite par la Cour européenne à la situation où existe un manque total d’indemnisation, puis elle s’efforce de caractériser la nature de la législation déférée : celle-ci « régule »-t-elle, au sens de l’article 43.2.1° de la Constitution, l’exercice des droits de propriété afin de concilier différents intérêts privés ou publics ou abolit-elle un droit de propriété sans contrepartie pour le seul bénéfice financier de l’État plutôt qu’au nom des exigences de justice sociale ou du bien public ? Pour la Cour, la réponse est évidente. La loi abolit un droit de propriété sans compensation. Elle ne s’apparente donc pas à une loi qui s’efforce de peser les intérêts en présence (a type of balancing legislation) mais à une loi d’expropriation dans le but unique de préserver les intérêts financiers de l’État. Certes, la Cour est prête à admettre qu’une loi de ce type peut néanmoins être justifiée, mais elle ne peut l’être que dans des circonstances exceptionnelles – logique en tout point identique à celle développée par la Cour européenne des droits de l’homme – lorsqu’il s’agit d’éviter à l’État une crise financière extrême ou un déséquilibre fondamental des finances publiques. Ce n’est pas toutefois le cas en l’espèce dans la mesure où l’État ne démontre pas, selon la Cour suprême, de telles circonstances ou l’existence d’une « crise financière extrême » pour justifier une loi qui interdit à des personnes âgées et vulnérables le droit de recouvrir les contributions et autres charges que l’État a illégalement exigées d’eux pendant plus de trente ans. Cette conclusion est renforcée par le fait que les organes de l’État et en particulier les organismes de santé en charge de recouvrir ces contributions ont eu manifestement conscience de l’illégalité de leurs actions au regard de la loi de 1970 sans que cela ait jamais suscité un changement de pratique. La Cour suprême ne nie pas toutefois que l’État soit désormais obligé de faire face à des dépenses supplémentaires substantielles mais pour le juge en chef, l’État dispose certainement des moyens budgétaires pour rembourser les contributions illégalement perçues.
68Près de douze mois après ce jugement, le gouvernement tarde encore à introduire au Parlement le projet de loi – the Health (Repayment Scheme) Bill – détaillant le processus de remboursement des contributions illégalement perçues depuis 1976. Le gouvernement estime à 20 000 le nombre de personnes qui pourraient bénéficier de cette loi. Il convient toutefois également d’ajouter à ce nombre 40 000 à 50 000 descendants de personnes ayant fait l’objet d’une prise en charge médicale de longue durée pour laquelle ils n’auraient pas du être mis à contribution [13]. Pour son budget 2006, le gouvernement a d’ores et déjà mis de côté 400 millions d’euros. Cela représente certes une somme considérable pour un pays où le budget général de l’État représente près de 51 milliards d’euros, mais à l’ère du « tigre celtique », le gouvernement n’aura aucun mal, du moins financièrement, à gérer les conséquences du jugement de la Cour suprême.
69Laurent Pech
Notes
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[1]
Mark Hennessy, « President insists she has electoral mandate », The Irish Times, 2 octobre 2004.
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[2]
Pour une exception, cf. Jim Duffy, « Two seven-year presidential terms is too much », The Irish Times, 12 octobre 2004.
-
[3]
Martin Wall, « New legislation on nursing home refunds delayed », The Irish Times, 28 décembre 2005.
-
[4]
Le Conseil d’État est notamment composé du Premier ministre, M. Ahern, de la vice-Premier ministre, Mme Harney, du juge en chef, John Murray, du président de la High Court, Joseph Finnegan, du président de l’Assemblée nationale, Rory O’Hanlon, du président du Sénat, Rory Kiely et du ministre de la Justice, Michael McDowell. Deux anciens Présidents de la République, cinq anciens Premiers ministres ainsi que deux anciens juges en chef font également partie du Conseil d’État. Le Conseil peut en effet comprendre tout ancien Taoiseach, président ou juge en chef qui le souhaite Le président a également le droit de nommer jusqu’à sept membres de son choix.
-
[5]
Cf. de manière générale, G. W. Hogan & G. F. Whyte, J. M. Kelly, The Irish Constitution, 4e éd., Lexis Nexis-Butterworths, 2003, p. 398 et s.
-
[6]
Tout renvoi doit être fait au plus tard le septième jour à compter de la date à laquelle ledit projet aura été présenté par le Taoiseach au président pour sa signature.
-
[7]
Re Article 26 of the Constitution and the Planning and Development Bill 1999 [2000] 2 IR 321; Illegal Immigrants (Trafficking) Bill 1999 [2000] 2 IR 260. Il importe de noter que toute disposition législative jugée conforme à la Constitution par la Cour suprême, sur saisine du président de la République, ne peut plus faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori. La Cour suprême a soixante jours pour rendre son jugement.
-
[8]
En 1994, certaines dispositions du Matrimonial Homes Bill 1993 furent jugées non conformes à la Constitution. Le même sort frappa, en 1997, l’Employment Equality Bill 1996.
-
[9]
En fait, en vertu de l’article 26.2.2°, « la décision prise à la majorité des juges de la Cour suprême sera, dans le cas du présent article, considérée comme la décision de la Cour, et sera prononcée par un des juges selon l’ordonnance de la Cour, et nulle autre opinion, ou concordante ou dissidente, ne pourra être prononcée ; l’existence d’une telle autre opinion ne pourra pas être énoncée ». La pratique du Conseil constitutionnel français n’est donc pas aussi inhabituelle que l’on veut habituellement le faire croire en France.
-
[10]
In re Maud McInerney, A Ward of Court [1976-1977] I.R.L.M. 229.
-
[11]
Cf. la section 1 du Health (Miscellaneous Provisions) Act 2001.
-
[12]
Cf. In re the Criminal Law (Jurisdiction) Bill 1975 [1977] I.R. 129.
-
[13]
Martin Wall, « New legislation on nursing home refunds delayed », The Irish Times, 28 décembre 2005.