Notes
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[1]
En particulier les chroniques du professeur Patrice Gélard dans la RFDC, et plus récemment celles proposées par le professeur Jean-Pierre Massias dans la Revue du droit public, ainsi que son ouvrage, Droit constitutionnel des États d’Europe de l’Est, Paris, PUF, coll. « droit fondamental », 1re éd., 1999.
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[2]
Voir M. Mendras, « La préférence pour le flou. Pourquoi la construction d’un régime démocratique n’est pas la priorité des Russes », Le Débat, n° 107, nov.-déc. 1999, p. 35-50.
-
[3]
J.-P. Massias, Droit constitutionnel des États d’Europe de l’Est, op. cit., p. 323 s.
-
[4]
Au sens où Otto Pfersmann définit les « droits fondamentaux » comme « la convergence du libéralisme politique, de la démocratie et de l’État de droit » (« Esquisse d’une théorie des droits fondamentaux », in L. Favoreu et alii, Droit des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2e éd., 2002, p. 71).
-
[5]
Pour ne citer que les points les plus essentiels au regard de la composition de la population de la Fédération de Russie et de sa centaine de peuples et nationalités différents.
-
[6]
Voir J.-P. Massias, op. cit., p. 280-291.
-
[7]
Rappelons qu’en vertu de l’article 125 de la Constitution, la Cour, « pour les recours relatifs à la violation des droits et libertés des citoyens, et à la demande des tribunaux, vérifie la constitutionnalité de la loi appliquée ou applicable dans un cas concret selon la procédure fixée par la loi fédérale ». L’article 97 de la Loi constitutionnelle du 21 juillet 1994 ajoute que la requête doit porter sur des droits et libertés constitutionnels, et que la loi en vigueur, ou devant entrer en vigueur, doit être appliquée dans une affaire déterminée, dont l’examen est achevé ou a commencé devant un tribunal ou tout autre organe appliquant la loi. (C’est nous qui soulignons.)
-
[8]
C. Grewe, H. Ruiz-Fabri, Droits constitutionnels européens, Paris, PUF, coll. « Droit fondamental », 1re éd., 1995, p. 154. On peut ajouter que la protection des droits et libertés fondamentaux forme la matière principale de l’activité de la Cour dans les dernières années (cf. V. O. Lutschin, Konstitutsia Rossiskoi Federatsii. Problemy realizatsii, Moscou, 2002, p. 569).
-
[9]
On voudrait ajouter, avant d’entrer dans le vif du sujet, que cette présentation ne vise nullement à faire le « contrepoids » des jugements très négatifs (cf. l’article de Marie Mendras, précité) que suscite la situation politique actuelle en Russie. En adoptant une perspective de droit constitutionnel, on cherchera simplement à mettre en valeur le processus (lent) par lequel les normes protectrices des libertés et droits fondamentaux entrent progressivement en vigueur dans la réalité juridique de la Russie d’aujourd’hui. Sans doute, la qualification de « libérale » peut-elle apparaître outrée au regard d’un certain nombre de faits relatifs notamment au contrôle des moyens d’information et de communication par les organes de pouvoir ainsi que le rôle exorbitant qui revient à de toutes « puissantes administrations » où règnent une corruption « du quotidien » qui donne parfois l’impression d’un « décalage entre les libertés conquises dans les textes et la déficience de droit et démocratie dans la réalité vécue » (M. Mendras, op. cit., p. 47). Mais on veut croire que l’adoption d’un point de vue qui se concentre sur le point de vue de la Cour et de ses facultés d’agir peut offrir une vision un peu différente de celles qui sont communément reçues sur les questions qui sont abordées.
-
[10]
Voir les réactions qui ont fait suite aux attentats terroristes de la fin du mois d’août et du début du mois de septembre à Moscou et dans le Nord du Caucase. Immédiatement, les voix les plus diverses se sont faites entendre afin « d’aggraver le régime de l’enregistrement » (« Moskovskie deputaty khotiat uzhestotshit rezhim registratsii » [Les députés de Moscou veulent aggraver le régime de l’enregistrement], Kommersant, n° 3006,9 septembre 2004).
-
[11]
Sur les liens entre liberté individuelle et liberté d’aller et venir, voir l’ouvrage d’Annabelle Pena-Gaïa, Les rapports entre la liberté individuelle et la liberté d’aller et venir dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, thèse Droit public, Aix-Marseille, 1998.
-
[12]
Ce qu’affirme la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 2 février 1998 dans lequel celle-ci constate que « l’obligation de présenter des documents précis confirmant le droit subjectif du citoyen de résider dans un logement qu’il a choisi comme lieu de résidence agit en même temps comme une mesure garantissant le droit du citoyen de vivre dans ce logement » (c’est nous qui soulignons). [Nous citons à partir du texte des arrêts figurant sur le site internet de la Cour constitutionnelle de Russie où se trouvent répertorié l’ensemble des arrêts (postanovlenie) de celle-ci depuis le 1er janvier 1992 et des décisions (opredelenie) depuis le 1er janvier 1995 : http ://ks.rfnet.ru]. Dans le même sens, voir la décision de la Cour du 23 juin 2000, n° 147-O (point 3).
-
[13]
Voir la décision du Comité exécutif central de l’URSS n° 57/1917 du 27 décembre 1932 « sur l’établissement d’un système de passeport unique en Union Soviétique et sur l’enregistrement [propiska] obligatoire des passeports ».
-
[14]
En réalité, le contrôle de la population avait préexisté au système soviétique et on doit au moins le faire remonter à l’abolition du servage en 1861 par l’Empereur Alexandre II. L’administration tsariste adoptera alors des mesures afin de contenir le flot des paysans vers les centres urbains et suivre la trace du lieu de leur résidence, en apparence pour des raisons tenant à l’application de la loi.
-
[15]
L’alinéa 2 de l’article 3 de la loi de 1993 précise ainsi que « l’enregistrement ou son absence ne peuvent servir de fondement à une limitation ou à une condition pour l’accomplissement des droits et libertés des citoyens prévus par la Constitution de la Fédération, les lois fédérales et les lois des Républiques de la Fédération ».
-
[16]
Ces droits sont également en vigueur au sein de l’ordre juridique de la Fédération en vertu de l’article 12 du Pacte des Nations Unies de 1966 sur les droits civils et politiques et de l’article 2 du Protocole additionnel n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme, puisque la Constitution russe reconnaît une telle valeur aux normes de droit international régulièrement ratifiées (art. 15, al. 4).
-
[17]
E. I. Barkhatova, Grazhdanstvo i registratsii, Moscou, « Prospekt », 2004, p. 232.
-
[18]
K. Katanian, « Freedom of movement in the Russian Federation today. The propiska and the constitutional Court », East European Constitutional Review, vol. 7, n° 2, Spring 1998, p. 53. Ces droits d’enregistrement concernent également la possibilité pour certaines familles d’inviter leurs parents à vivre sous leur toit. En 1993, l’administration de la région de Moscou avait publié la procédure à suivre afin d’obtenir une telle invitation. Une licence pour inviter une famille de trois personnes dans les environs de Moscou coûtait ainsi 9 millions de roubles, c’est-à-dire une somme équivalente à 4550 dollars américains.
-
[19]
Comme l’écrit E. I. Barkhatova, « en réalité, le contrôle de l’observation du régime de l’enregistrement revêt un caractère sélectif : les personnes principalement soumises au contrôle de leurs documents d’identité le sont en fonction de leurs types ethniques. (…) De tels vérifications trouvent un véritable stimulant dans la possibilité d’extorsion ou de sous-traction d’argent aux personnes détenues » (op. cit., p. 233).
-
[20]
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 avril 1995, n° 3-P.
-
[21]
La Cour renvoie à cet égard à la décision rendue par l’assemblée plénière de la Cour suprême de l’URSS le 3 avril 1987 qui avait indiqué que « l’emménagement dans un lieu d’habitation doit respecter les dispositions relatives à la propiska » (op. cit.).
-
[22]
« Chacun a droit au logement. Nul ne peut être privé arbitrairement de son logement ».
-
[23]
Décret du Gouvernement de la Fédération de Russie du 17 juillet 1995, n° 713, « sur la sanction des règles de l’enregistrement des citoyens de la Fédération de Russie relativement à leur lieu de séjour et de résidence ».
-
[24]
On remarquera que la langue russe utilise trois expressions (propiska, registratsia et registratsionni utchiot) là où le français n’a recours qu’à un seul (« enregistrement »). En russe, le terme de registratsia désigne plus volontiers la norme dans son caractère légal et obligatoire alors que celui de registratsionni utchiot renvoie davantage à l’acte juridique qu’il revient au citoyen d’accomplir en vertu précisément de la norme posée par la loi. La propiska est, elle, véritablement marquée par l’époque soviétique, et a donc été reléguée aux rangs des « vieilleries » sur les bancs de l’histoire du droit russe. En revanche, le terme continue d’être fréquemment employé dans la langue courante pour désigner grossièrement l’enregistrement dans sa généralité.
-
[25]
Deux mécanismes de limitation vont ainsi jouer pour limiter la liberté constitutionnellement et légalement reconnue : le premier est l’intervention de circulaires administratives (notamment le décret du ministère de l’Intérieur du 23 octobre 1995, n° 393) précisant les conditions d’application et d’exécution de l’obligation de s’enregistrer pour les citoyens ; le second a trait à la politique menée par un certain nombre de sujets de la Fédération qui, en adoptant des actes juridiques visant à contrôler les mouvements de population (par l’introduction de conditions non prévues par la loi fédérale, la limitation de la durée du séjour, l’exigence d’une appartenance à un groupe socioprofessionnel déterminé, l’ajout de documents non prévus comme des billets de transport attestant de la date de départ, etc., cf. E. I. Barkhatova, op. cit., p. 233-234), vont porter une atteinte décisive à la liberté de circulation et au libre choix du lieu de résidence.
-
[26]
Résidant dans les régions de Stavropol, Voronezh et Moscou ainsi que dans la ville de Moscou elle-même.
-
[27]
Il s’agit de la République des Komis, une région du Nord de la Russie dont le Gouverneur déposa une requête auprès de la Cour en arguant des restrictions à la liberté de circulation qui portaient un préjudice important à l’économie de la République. De nombreux citoyens de la Fédération de Russie vivent et travaillent en effet temporairement sur ce territoire et aspirent ensuite à retourner dans leur région. Or, la décision de certaines administrations locales d’exiger des droits d’enregistrement parfois égaux au montant de plusieurs mois de salaire portait, selon le Gouverneur, atteinte à un certain nombre de droits constitutionnels de ces citoyens.
-
[28]
Dont l’alinéa 4 prévoit que les différents sujets de la Fédération peuvent, en dehors des compétences appartenant exclusivement à la Fédération et de celles communes à la Fédération et aux sujets, « exercer leur propre réglementation juridique, y compris l’adoption de lois et d’autres actes juridiques normatifs ».
-
[29]
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 avril 1996, n° 9-P, relatif « au contrôle de la constitutionnalité de la série d’actes normatifs de la ville et de la région de Moscou, de la région de Stavropol, de la région et de la ville de Voronezh, réglementant l’enregistrement des citoyens qui arrivent pour résider de manière permanente dans les régions précitées » (point 4).
-
[30]
L’article 2 de la loi de la ville de Moscou du 14 septembre 1994 est ainsi déclaré inconstitutionnel en ce qu’il « ne prend pas en considération le potentiel financier des différents contribuables et établit de facto un système d’imposition qui, par l’effet d’un impôt excessivement élevé, signifie une sanction affectant essentiellement les biens des plus démunis des citoyens » (point 5).
-
[31]
Il existe deux types de passeport en Russie : l’un, intérieur, qui équivaut à la carte nationale d’identité française, et sur lequel figure précisément le sceau de l’enregistrement du citoyen dans le territoire où il réside; l’autre, extérieur (en russe, zagranitchni, qui signifie littéralement « hors des frontières ») qui permet aux citoyens russes de voyager à l’étranger.
-
[32]
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 janvier 1998, n° 2-P, relatif « à la vérification de la constitutionnalité des dispositions des parties 1 et 3 de l’article 8 de la loi fédérale du 15 août 1996 sur les modalités de sortie et d’entrée en Fédération de Russie en relation avec la requête du citoyen A. Y. Avanov » (point 1).
-
[33]
Ibid. (point 4).
-
[34]
Ibid. (point 5).
-
[35]
Dans une affaire précédente où un individu né en URSS, mais vivant hors de Russie lors de l’adoption de la loi sur la citoyenneté en 1992, se plaignait de l’application qui lui avait été faite des dispositions de la loi de 1992 relative à la citoyenneté en Fédération de Russie, la Cour a affirmé que « l’établissement pour une personne, possédant la citoyenneté russe par la naissance, de quelques différences dans le droit à la citoyenneté en lien avec le lieu de résidence n’est pas conforme à la Constitution de la Fédération de Russie » (Arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 mai 1996, n° 12-P, « sur la vérification de la constitutionnalité du point “g” de l’article 18 de la loi de la Fédération de Russie “sur la citoyenneté en Fédération de Russie” en liaison avec la requête de A. B. Smirnov »).
-
[36]
Cf. supra.
-
[37]
En l’espèce, la Cour constate que les limitations prévues à l’article 15 de la loi sur les modalités de sortie et d’entrée en Fédération de Russie « ont un effet indépendamment du lieu de résidence ou de séjour du citoyen et ne sont pas liées directement à l’existence ou l’absence d’un enregistrement confirmatoire », ibid. (point 6). Cette position est réaffirmée par la décision du 5 octobre 2000, n° 199-0, « sur le refus d’examen de la requête du citoyen Kushnarev pour la violation de ses droits constitutionnels par les dispositions de l’article 40.1 du code du travail de la Fédération de Russie » (point 3).
-
[38]
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 2 février 1998, n° 4-P, relatif « à la vérification de la constitutionnalité des points 10,12 et 21 des règlements sur l’enregistrement des citoyens de la Fédération russe sur le lieu de séjour et de résidence dans les frontières de la Fédération de Russie, confirmant la décision du Gouvernement de la Fédération russe du 17 juillet 1995, n° 713 » (point 2).
-
[39]
Il en ressort en retour que « la présentation par le citoyen des documents conformes engendre pour l’organe d’enregistrement non un droit, mais une obligation d’enregistrer le citoyen dans le logement d’habitation qu’il a choisi comme lieu de résidence » (ibid., point 4).
-
[40]
Ibid. (point 6).
-
[41]
Arrêt du 2 février 1998, n° 4-P (point 2).
-
[42]
Affirmation que l’on retrouve dans les arrêts du 4 avril 1996, n° 9-P (point 3), 2 juillet 1997, n° 11-P (point 2), 2 février 1998, n° 4-P (point 8).
-
[43]
M. Mendras, art. préc.
-
[44]
L. Favoreu, « La constitutionnalisation du droit », in L’unité du droit. Mélanges en hommage à Roland Drago, Paris, Economica, 1996, p. 25.
-
[45]
L’article 18 de la Constitution dispose ainsi que « les droits et libertés de l’homme ont un effet direct. Ils déterminent le sens, le contenu et l’application des lois, l’activité des pouvoirs législatif et exécutif, de l’autoadministration locale et sont garantis par la justice ».
-
[46]
Dont la rédaction est quasiment identique à l’alinéa 3 de l’article 2 du Protocole additionnel n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme en date du 16 septembre 1963.
-
[47]
Cf. arrêt du 4 avril 1996, n° 9-P, op. cit. (point 3).
-
[48]
Décision de la Cour constitutionnelle du 7 octobre 1998, n° 116-O, « sur la vérification de la constitutionnalité des dispositions des articles 14,15 et 35 de la loi du Territoire de Krasnodar du 23 juin 1995 “sur le régime d’enregistrement du séjour et de la résidence sur le territoire du Territoire de Krasnodar” » (point 3).
-
[49]
Décision de la Cour constitutionnelle du 23 juin 2000, n° 147-O, « sur la requête du citoyen Oganesovitch pour la violation de ses droits constitutionnels par l’article 36 de la loi du Territoire de Krasnodar “sur le régime de l’enregistrement du séjour et de la résidence sur le territoire du Territoire de Krasnodar” et par la décision de l’Assemblée législative du Territoire de Krasnodar qui introduit un régime temporaire d’enregistrement du lieu de résidence » (point 4).
-
[50]
Ibid. Cette référence à l’intérêt général comme moyen de contrôle de l’exercice du droit de circuler et de choisir librement sa résidence témoigne de la fonction d’interprète que la Cour est amenée à jouer dans la garantie des droits et libertés fondamentaux. Sur le rôle de l’intérêt général dans la limitation des droits fondamentaux, voir B. Mathieu, M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, Paris, LGDJ, 2002, p. 474 et s.
-
[51]
Arrêt du 4 avril 1996, n° 9-P, op. cit. (point 3).
-
[52]
Sur le sens à donner à cette notion, cf. B. Mathieu, « Pour une reconnaissance de principes matriciels en matière de protection constitutionnelle des droits de l’homme », D., 1995, chron., p. 211 et s.
-
[53]
X. Bioy, Le concept de personne humaine en droit public. Recherches sur le sujet des droits fondamentaux, Paris, Dalloz, « Nouvelle Bibliothèque de thèses », 2003, p. 785 sq.
-
[54]
B. Mathieu, « Droit constitutionnel civil », Jurisclasseur administratif, 1997, fascicule 1449, p. 15. Pour Thierry Renoux, la liberté personnelle « s’oppose à ce que toute personne (…) ne soit l’objet de mesures coercitives, tatillonnes ou vexatoires, qui sans entamer sa liberté individuelle et notamment sa liberté d’aller et venir n’en définissent pas moins sans nécessité une technique d’amenuisement progressif de sa liberté d’action, en particulier de l’autonomie de sa volonté » (Note sous la décision du Conseil constitutionnel n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, cette Revue, 1993, p. 381).
-
[55]
Arrêt du 4 avril 1996, n° 9-P, op. cit. (point 3).
-
[56]
Arrêt du 24 octobre 2000, n° 13-P, « sur la vérification de la constitutionnalité du point 13 de l’article 39 de la loi fédérale de la Fédération de Russie relative à la préservation du statut des organisations étatiques et municipales d’éducation et au moratoire sur leur privatisation, et au point 7 de l’article 27 de la loi fédérale relative à l’enseignement supérieur professionnel ».
-
[57]
E. I. Barkhatova, op. cit., p. 238-239.
-
[58]
Ibid.
-
[59]
Voir les observations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, CCPR/C/ 79/Add.54 (1995).
-
[60]
Commentant les dispositions du Protocole n° 4 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatives à la liberté de circulation des nationaux dans leur État ainsi que le principe du libre choix de la résidence, Jean-François Renucci constate que « ces dispositions ne donnent pas lieu cependant à un lourd contentieux » (Droit européen des droits de l’homme, Paris, LGDJ, 3e éd., 2002, p. 149). Cela ne signifie pas pour autant l’absence de normes consacrant cette liberté (voir l’article 19 de la Constitution espagnole ou l’article 11 de la Loi fondamentale allemande), mais seulement que celle-ci n’a plus guère à être défendue devant les tribunaux par les citoyens de l’État.
-
[61]
Ceci ne signifie pas que les textes normatifs qui leur sont applicables soient les mêmes (cf. La loi fédérale, n° 115- F3 du 25 juillet 2002 « sur la situation juridique des citoyens étrangers en Fédération de Russie »), mais citoyens et étrangers sont soumis également à l’enregistrement selon des modalités qui ne diffèrent guère.
-
[62]
Pour une vue globale de la question, cf. H. Donskoff, Les limites à l’action de la Cour constitutionnelle de Russie, thèse Droit public, Le Havre, 2004 (dir. P. Gélard).
-
[63]
R. Lirou, « La problématique constitutionnelle du fédéralisme : le cas en Russie », Civitas Europa, n° 3, septembre 1999, p. 165 sq.
-
[64]
« Les sujets de la Fédération de Russie ne peuvent eux-mêmes introduire des limites au droit constitutionnel du citoyen dans le choix du lieu de résidence, de même que prévoir que l’enregistrement ou l’absence de celui-ci soient le fondement de limites ou une condition de la réalisation des droits des citoyens prévus par la Constitution de Russie » (décision du 7 octobre 1998, n° 116-O, op. cit., point 2).
-
[65]
Sur cette résistance en général, cf. A. Trochev, « Implementing Russian constitutional Court décisions », East European Constitutional Review, vol. 11, n° 1/2, winter/spring 2002.
-
[66]
Ainsi, le maire de Moscou, Iouri Loujkov, a-t-il encore tout récemment lors de la manifestation du 7 septembre 2004 contre le terrorisme organisée sur la place du Kremlin, appelé le pouvoir central à « redonner aux Moscovites les moyens de contrôler les flux de populations dans la capitale ». Cet appel a été repris par une très grande majorité de la classe politique russe, en particulier par les députés de la chambre basse du Parlement appartenant au parti présidentiel « Russie Unie », dont le représentant et ancien ministre de l’Intérieur, Boris Gryzlov, a défendu l’idée d’un contrôle accru des étrangers et un renforcement des limitations à la liberté de circulation (Le Monde, 23 septembre 2004).
-
[67]
« Le Droit est de plus en plus un droit démocratique et pluraliste ; pourtant les comportements sont toujours autant éloignés de cette idée de pluralisme démocratique » (J.-P. Massias, op. cit., p. 257).
-
[68]
« Le véritable obstacle à la constitutionnalisation est celui qui résulte de l’ignorance dans laquelle se trouvent les praticiens du droit – magistrats et avocats – quant à l’existence d’un formidable arsenal ou réservoir de moyens constitutionnels à invoquer et à appliquer » (L. Favoreu, « La constitutionnalisation du droit », op. cit., p. 35).
-
[69]
Pour un exemple récent, cf. la décision du Collège des juges pour les Affaires civiles de la Cour suprême de la Fédération de Russie du 2 avril 2002, n° 59-g 02-5. Il s’agissait en l’espèce de l’introduction par l’assemblée législative de la région d’Amour d’une condition de résidence permanente pour l’exercice d’un mandat de députés. Les juges constatent que si la « Constitution n’interdit pas les sujets de la Fédération d’adopter une réglementation juridique sur un objet de compétence commune jusqu’à l’adoption d’une loi fédérale », celle-ci ne peut pas pour autant « annuler ou diminuer les droits et libertés du citoyen ».
-
[70]
M. Mendras, « Poutine II. La fin des apparences », Esprit, n° 305, juin 2004, p. 36.
-
[71]
Les dispositions sont peu ou prou les mêmes dans la législation applicable aux citoyens russes (Loi fédérale du 25 juin 1993 précitée) ou dans celle applicable aux étrangers (Loi fédérale n° 115-F3 du 25 juillet 2002 modifiée par les lois n° 86-F3 du 30 juin 2003 et n° 141-F3 du 11 novembre 2003) : il convient de s’enregistrer dans un délai de trois jours ouvrables après son arrivée dans le lieu de séjour, le citoyen bénéficiant de sept jours lorsqu’il souhaite établir sa résidence dans un autre lieu. Dans la pratique, le délai n’est jamais inférieur à trois semaines s’il s’agit d’un séjour excédent un mois. En outre, de très nombreuses « agences de tourisme » permettent d’accélérer les délais moyennant une rétribution forfaitaire proportionnelle à la réduction de la durée.
-
[72]
Cette réforme vise essentiellement à modifier le quorum des juges siégeant au « Haut-Collège de Qualification des Juges » ( VKKS ) – l’équivalent du Conseil supérieur de la magistrature –, en vue de renforcer la présence de « représentants de la société » au détriment des juges eux-mêmes. En outre, c’est au Conseil de la Fédération sur proposition du Président de la Fédération que reviendrait la compétence de désigner les membres de cet organe. C’est afin de lutter contre « la corruption » régnant au sein de la magistrature – qui serait selon les instigateurs du projet le résultat d’un réflexe corporatiste de la profession –, que ces changements auraient été engagés. (Voir en ce sens les déclarations de l’initiateur du projet, le sénateur Serguey Mironov, in Vlast, n° 40,11 octobre 2004, p. 26.) Elle risque d’aboutir en réalité à une soumission accrue du pouvoir judiciaire à un pouvoir exécutif resserré autour de l’administration présidentielle.
-
[73]
« La protection des droits constitutionnellement garantis (…) continue à rester l’axe fort de la jurisprudence » de la Cour constitutionnelle de Russie (J.-P. Massias, « Chronique constitutionnelle des États d’Europe de l’Est », RDP, n° 5-2003, p. 1351).
-
[74]
Voir les décisions du Conseil constitutionnel français dans lesquels il emploie cette formule. Par exemple, les décisions 84-181 DC du 11 octobre 1984 et 94-345 DC du 29 juillet 1994.
-
[75]
Selon l’expression de B. Mathieu et M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, op. cit., p. 497.
1Malgré les efforts de quelques spécialistes [1], la transition démocratique et l’installation d’un État de droit dans la Russie post-soviétique demeurent assez largement méconnus. Trop souvent, la situation politique (au sens large du terme) du plus « grand » pays du monde est appréciée au seul miroir de quelques uns des points noirs désignés par les médias occidentaux : corruption des élites politico-économiques, guerre en Tchétchénie, hypertrophie du pouvoir exécutif, persistance d’une bureaucratie inefficace et corrompue, absence de garanties réelles dans la défense des droits et libertés fondamentaux des citoyens, etc [2]. Si un séjour prolongé dans la Russie contemporaine est susceptible de confirmer la pertinence de quelques-uns de ces jugements, il convient néanmoins d’examiner d’un peu plus près de quoi il retourne afin de ne pas renvoyer l’image d’une société qui reviendrait sans cesse à ses tares ancestrales. L’adoption de nouvelles institutions consacrées par la Constitution de 1993 a montré la volonté des nouveaux dirigeants du pays de s’arrimer à un modèle démocratique fondé sur les principes de l’État de droit et de la démocratie libérale [3]. Plus encore, le constituant russe a pris un soin particulier pour définir les bases d’un régime répondant strictement aux canons du constitutionnalisme libéral [4]. L’un des points les plus
2remarquables, outre l’affirmation de la supériorité de la Constitution sur toutes les normes juridiques en vigueur sur le territoire de la Fédération et la mise en place d’un système juridictionnel qui ne laisse aucune instance politique hors de la faculté d’être jugée, est évidemment l’inscription au cœur du texte constitutionnel (chap. 2) d’un catalogue de droits et libertés fondamentaux que l’État garantit à tous les citoyens de manière égale indépendamment de leur sexe, de leur nationalité, de leur langue, de leur lieu de résidence, ou encore de leur religion [5] (art. 19, al. 2).
3En dehors de l’importance qualitative et quantitative des droits garantis (auxquels il est nécessaire d’ajouter l’ensemble des principes et normes du droit international en vigueur au sein de la Fédération, et qui possèdent, au même titre que les autres dispositions de la Constitution, une valeur constitutionnelle), il convient de souligner le rôle dévolu à la Cour constitutionnelle qui, malgré une mise en place quelque peu mouvementée [6], a grandement œuvré à la réalisation des dispositions ainsi prévues [7]. Les lignes qui suivent voudraient précisément s’attacher à appréhender la façon dont la Cour a contribué depuis sa création à la garantie et à la promotion des droits fondamentaux au sein de l’ordre juridique russe. Plus précisément, à travers l’étude de l’évolution d’une liberté fondamentale spécifique, on cherchera à mettre en valeur la contribution de la Cour à ce que certains auteurs ont pu appeler « le développement progressif des droits fondamentaux » [8] en vertu duquel le processus d’imprégnation de l’ordre juridique par les droits individuels passe par un travail d’interprétation revenant au juge constitutionnel [9].
4Outre « les droits-garanties » (droit à la sûreté, droit au recours, droit au procès équitable, etc.) et ceux ayant trait à la liberté de pensée et d’exprimer ses opinions, la question de la liberté d’aller et venir constitue l’un des points essentiels de l’affirmation par le juge constitutionnel de la prééminence des droits et libertés au sein du système juridicopolitique russe. Elle en est aussi l’un des plus symboliques au regard de l’histoire de ce pays et de la tentation toujours présente du pouvoir d’attenter à la faculté pour les individus de se déplacer et de vivre où ils l’entendent [10], liberté qui constitue pourtant l’un des fondements de la liberté individuelle dans un État de droit [11]. En Russie, le contrôle des déplacements des citoyens a toujours été l’un des moyens que le pouvoir estimait indispensable afin de maintenir la paix sociale et limiter les troubles à l’ordre public. Avec l’adoption de la Constitution de 1993 et des dispositions législatives qui la mettent en œuvre, la justification de ce contrôle a trouvé à s’incarner dans les normes qui garantissent et protègent les droits et libertés fondamentaux du citoyen [12].
5L’intérêt de l’étude qui va suivre tient donc essentiellement à la fonction « émancipatrice » que l’on entend faire jouer à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans la définition qu’elle a été amenée à donner de la liberté d’aller et venir. Pour ce faire, on examinera d’abord la nature de cette liberté en rapport avec les mesures de contrôle de la population qui ont continué à perdurer dans la période post-soviétique (I). Puis, il s’agira d’évaluer les conséquences juridiques que l’on peut tirer de cette définition, en particulier pour la protection et le développement d’un certain nombre d’autres droits et libertés fondamentaux (II).
I – LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR DANS L’ORDRE JURIDIQUE RUSSE
6En Russie, la question de la liberté d’aller et venir est un problème qui revêt plus que dans aucun autre pays une valeur hautement significative. On sait que le contrôle exercé en Union Soviétique par le pouvoir d’État sur ses citoyens s’appliquait d’abord et avant tout à la liberté de se déplacer au sein même des frontières de l’État. Avec l’effondrement de « l’Empire », l’appareil administratif qui assurait le fonctionnement de ce système répressif n’a pu disparaître immédiatement, pas plus d’ailleurs que les méthodes bureaucratiques en vigueur dans l’administration. L’appréhension de la liberté d’aller et venir par le juge constitutionnel (B) implique donc de se pencher rapidement sur la situation qui a prévalu dans la période de transition (A).
A – RAPIDE HISTORIQUE DE LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR EN RUSSIE
7L’intérêt de l’étude tient en grande partie au rôle spécifique joué par l’institution juridique de la propiska [13]. Ce permis de résidence obligatoire fut officiellement institué durant la période soviétique, lorsqu’en 1932 le passeport intérieur devint obligatoire pour tous les citoyens âgés de seize ans et plus [14]. Il visait à assigner chaque individu à un seul lieu de résidence et à restreindre la liberté de mouvement à l’intérieur des frontières de l’URSS. Sa détention était par ailleurs requise pour accéder à un emploi, s’inscrire dans une école ou un établissement d’enseignement supérieur, se marier ou accomplir un certain nombre d’autres formalités de caractère civil. La propiska était délivrée par les organes locaux du ministère de l’Intérieur et revêtait la forme d’un tampon sur le passeport intérieur attestant que la personne résidait dans un lieu déterminé, lui donnant le droit de se trouver sur le territoire de la ville ou du village qui le lui délivrait.
8En 1991, le Comité de surveillance constitutionnelle de l’Union soviétique adopta une recommandation dans le sens d’une libéralisation du système de la propiska et de la nécessité d’assurer la liberté de circulation pour tous les citoyens de l’Union. Mais la désagrégation de « l’Empire » à la fin de l’année 1991 empêcha que furent mises en œuvre ces dispositions. Après une période de flou institutionnel, le Parlement adopta le 25 juin 1993 la loi sur « le droit des citoyens de la Fédération de Russie à la liberté de circulation, du choix de leur lieu de résidence et de séjour dans les frontières de la Fédération de Russie ». Si la loi maintenait l’obligation d’être enregistré auprès des autorités locales pour tous les citoyens qu’ils résident de manière permanente ou qu’ils séjournent temporairement dans un lieu d’habitation particulier, l’objet de l’enregistrement était clairement tourné vers la réalisation des droits et libertés des citoyens (art. 3, al. 1). En d’autres termes, si la propiska requérait auparavant des citoyens qu’ils obtiennent la permission des autorités locales pour résider ou séjourner dans un lieu donné, désormais l’enregistrement devait seulement signifier l’obligation de signifier à ces mêmes autorités leur présence sur ledit lieu [15]. La loi (art. 3, al. 3) prévoyait par ailleurs le paiement d’une taxe qui devait être conforme à la loi sur les droits fiscaux.
9Avec l’adoption d’une nouvelle Constitution le 12 décembre 1993, la liberté d’aller et venir acquiert une valeur constitutionnelle indiscutable. L’alinéa premier de l’article 27 dispose en effet que « quiconque se trouve légalement sur le territoire de la Fédération de Russie, a le droit de se déplacer librement, de choisir son lieu de séjour et de résidence », tandis que l’alinéa second prévoit que « chacun peut sortir librement des frontières de la Fédération de Russie » et que « le citoyen (…) a le droit de rentrer sans entrave dans la Fédération » [16]. Pour autant, ceci ne signifie pas que la liberté de circulation ait acquis une consécration effective. Plusieurs facteurs, de diverse nature, contribuent au contraire à perpétuer les anciens défauts de la législation soviétique [17], voire à en faire apparaître de nouveaux. On trouve en tout premier lieu l’attitude d’un certain nombre de sujets de la Fédération qui vont s’opposer aux nouvelles normes juridiques et poursuivre une politique de contrôle des mouvements de population telle qu’elle fonctionnait lors de la période précédente. Ce sera notamment le cas de la ville de Moscou et de sa région dont les organes exécutifs, faisant fi des nouvelles dispositions fédérales, continueront d’exiger de tous les citoyens qui souhaitent séjourner temporairement dans la capitale russe et ses environs un permis de résidence délivré dans des délais laissés à l’appréciation des organes compétents. En outre, la fixation de droits d’enregistrement exorbitants [18], pouvant excéder l’équivalent d’un mois du salaire moyen, a conduit à une corruption d’autant plus forte que les organes de la police chargés de l’accomplissement des procédures étaient peu enclins à faire respecter les dispositions juridiques en vigueur [19]. Enfin, la propiska a été utilisée afin de limiter l’accès à un certain nombre de droits légalement prévus par la loi. C’est d’ailleurs ce qui a suscité la première intervention du juge constitutionnel en la matière.
10Dans son arrêt du 25 avril 1995, la Cour constitutionnelle a, en effet, été saisie de la constitutionnalité d’une disposition du code du logement prévoyant que le locataire d’un appartement pouvait accueillir d’autres individus dans le logement loué en fonction de « l’ordre prescrit » [20]. La Cour va souligner que l’absence de précisions quant au type d’acte qui doit déterminer la manière d’appliquer la loi « autorise les organes du pouvoir étatique des différents sujets de la Fédération à l’indiquer eux-mêmes, selon leur propre appréciation ». Or, la Cour constate que « l’interprétation judiciaire du Code du logement de la Fédération de Russie a favorisé la réalisation des droits au logement en lien direct avec la propiska » [21], c’est-à-dire la mise en œuvre conditionnelle du droit à la libre circulation, au choix de son lieu de séjour et de résidence. Une telle limitation constitue dès lors une violation non seulement de l’article 27 mais également de l’article 40 alinéa 1er de la Constitution [22].
11C’est cette carence de la loi que le décret du gouvernement du 17juillet 1995 prétend combler. Il détermine que « l’enregistrement établit la garantie des conditions nécessaires pour la réalisation des droits et libertés par les citoyens ainsi que l’exécution de leurs obligations devant les autres citoyens, l’État et la société » [23]. Ce décret prévoit en outre que les citoyens sont tenus de s’enregistrer sur leur lieu de séjour et de résidence auprès des organes des affaires intérieures. Enfin, il est le premier acte juridique à entériner le changement de dénomination, en délaissant le terme de propiska pour celui d’enregistrement (registratsionni utshiot) [24] du lieu de séjour (mesto prebyvania) et du lieu de résidence (mesto zhitelstva). Pour autant, ceci ne fit pas disparaître les problèmes générés par l’institution [25]. C’est d’ailleurs ce qui va provoquer la seconde intervention du juge constitutionnel à partir de 1996. Celui-ci va être conduit à préciser le cadre et les limites de la liberté constitutionnelle d’aller et venir au sein de l’ordre juridique russe.
B – LA DÉTERMINATION DE LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR PAR LE JUGE CONSTITUTIONNEL
12C’est à l’occasion de diverses plaintes émanant de citoyens [26] ainsi que de l’une des Républiques [27] de la Fédération que la Cour va examiner la constitutionnalité du régime de l’enregistrement. Les requérants se référaient à différentes législations locales qui compromettaient gravement les droits que l’article 27 de la Constitution est censé garantir à chaque citoyen. A Moscou, une loi budgétaire fixait les droits d’enregistrement à 500 fois le salaire minimum uniquement pour les nouveaux résidents, alors que ceux ayant été détenteurs d’une propiska en étaient dispensés. Dans la région de Stavropol, les autorités locales avaient imposé un quota des enregistrements pouvant être délivrés dans la capitale de la région afin de limiter le nombre de personnes venant du Caucase en qualité de réfugiés. L’argument central des représentants du pouvoir exécutif des régions, agissant en tant que défendeurs, fut de plaider en faveur de l’impossibilité pour les budgets de ces collectivités de pourvoir aux très importants flux migratoires auxquels ils étaient soumis. En conséquence, s’appuyant sur l’article 76 de la Constitution [28], ils revendiquaient la possibilité de fixer et de collecter des taxes et droits d’enregistrement pour répondre à la demande budgétaire suscitée par ces mouvements de population.
13La Cour va rejeter l’argumentation en estimant que « la Constitution de la Fédération de Russie exclut la possibilité d’établir des impôts et les moyens de leurs perceptions par les organes d’exécution du pouvoir » [29]. Une telle compétence ne peut être du ressort que de la loi. Ainsi lorsque les sujets de la Fédération entendent établir leurs propres taxations, ils sont tenus de le faire dans les limites de leurs compétences sans « intervenir dans la sphère d’activités du législateur » (point 4) et dans le respect des dispositions constitutionnelles telles que « le principe d’égalité (art. 19, al. 1) et le principe constitutionnel de limitations proportionnelles des droits et libertés par des moyens appropriés (art. 55, al. 3) ». Or, lorsque la taxation aboutit à paralyser la réalisation par les citoyens de leurs droits constitutionnels (en particulier celui de circuler librement et d’établir leur lieu de résidence où ils le souhaitent), celle-ci ne peut être reconnue comme proportionnelle et en conséquence conforme à la Constitution [30]. En tout état de cause, la Cour constate que la réalisation du droit constitutionnel de choisir librement son lieu de résidence ne peut être rendue dépendante du paiement ou du non paiement d’un quelconque impôt « dans la mesure où les droits fondamentaux des citoyens de la Fédération de Russie sont garantis par la Constitution (…) sans aucune condition de caractère fiscal ». En dehors des conditions fixées par la loi et dans la mesure où celles-ci sont conformes à la Constitution, il n’est donc pas possible de restreindre la liberté de se déplacer sur le territoire de la Fédération.
14La Cour va être amenée à affermir sa position à l’occasion d’une affaire relative à la délivrance d’un passeport extérieur [31] à un citoyen russe qui souhaitait se rendre à l’étranger alors qu’il n’était pas enregistré sur le territoire russe, mais à Tbilissi en Géorgie. Les organes du Ministère de l’Intérieur lui ont alors opposé un refus, fondé sur l’article 8 de la loi sur l’entrée et la sortie du territoire de la Fédération de Russie, en raison de l’absence d’un lieu d’habitation « qui lui aurait permis de recevoir dans la ville de Moscou l’enregistrement sur son lieu de séjour ou sur son lieu de résidence » [32]. Dans son arrêt, la Cour souligne que hormis certaines situations exceptionnelles (situations d’urgence extrême, de maladie sérieuse ou de mort d’un parent proche), « il est pratiquement impossible d’obtenir un passeport extérieur en Russie » [33] pour le citoyen qui a son lieu de résidence à l’étranger, ou plus généralement, pour celui qui « ne possède pas de logement d’habitation ayant un statut de lieu de résidence (mesto zhitelstva) ou de lieu de séjour (mesto prebyvania) qui peut être confirmé par l’enregistrement », voire qui ne possède pas de logement d’habitation du tout.
15Or, ainsi que le rappelle le juge, « les droits et libertés constitutionnels sont garantis aux citoyens indépendamment du lieu de résidence ». Par conséquent, « la réalisation par le citoyen de son droit constitutionnel de sortir librement des frontières de la Fédération de Russie et sub-séquemment la délivrance et l’obtention d’un passeport extérieur ne doivent pas (…) dépendre de l’existence ou de l’absence pour le citoyen d’un logement d’habitation déterminé » [34]. Le dispositif législatif relatif à la délivrance des passeports extérieurs constitue aux yeux de la Cour « un signe de discrimination » qui « contredit clairement l’article 19 alinéas 1 et 2 de la Constitution de la Fédération de Russie qui garantit l’égalité des droits et libertés de l’homme et du citoyen (…) indépendamment du lieu de résidence », et a fortiori, de l’existence ou non de son enregistrement [35]. Là encore, le système de l’enregistrement est déclaré non-conforme aux prescriptions constitutionnelles et les limitations légales à la liberté d’aller et venir étroitement circonscrites aux situations prévues à l’article 55 alinéa 3 [36] de la Constitution [37].
16Mais c’est surtout dans son arrêt du 2 février 1998 que la Cour va être conduite à préciser les conditions dans lesquelles la liberté d’aller et venir peut s’exercer en Fédération de Russie en examinant directement la constitutionnalité d’un certain nombre de dispositions réglementaires issues du décret du 17 juillet 1995. Le gouverneur de la région de Nijni-Novgorod avait saisi le juge constitutionnel en s’interrogeant sur la conformité à la Constitution des points 10,12 et 21 du décret de 1995 qui établissait notamment les possibilités de refus d’enregistrer un individu sur son lieu de séjour ou de résidence. Selon le Gouverneur, les dispositions contestées limitaient le droit des citoyens de circuler librement prévu à l’article 27 de la Constitution tout en ne respectant pas les conditions posées par l’article 55, alinéa 3 organisant précisément les possibilités de telles limitations. En particulier, était contestée la compétence conférée aux autorités locales d’enregistrer (et par conséquent de pouvoir refuser d’enregistrer) les citoyens.
17La Cour constate que la loi du 25 juin 1993 institue l’obligation pour le citoyen d’informer les organes du pouvoir de son lieu de séjour ou de résidence. Pour autant, elle affirme que « le fait de l’enregistrement ou son absence n’engendre pour le citoyen aucun droit ou obligation et conformément à l’article 3 [de la loi du 25 juin 1993] ne peut servir de fondement à la limitation ou à l’établissement d’une condition pour la réalisation des droits et libertés des citoyens prévus par la Constitution » [38]. En ce sens, il conviendrait selon la Cour d’interpréter l’activité des organes d’enregistrement comme une confirmation de l’expression de la volonté des citoyens par laquelle ceux-ci choisissent leur lieu de séjour ou de résidence [39]. Dans le cas inverse, il y aurait violation du droit constitutionnel de choisir librement son lieu de séjour ou de résidence. De la même façon, lorsque le décret contesté établit « un délai à l’expiration duquel le citoyen est obligé de quitter son lieu de séjour », ceci constitue une intervention illégitime des organes exécutifs du pouvoir dans un domaine qui devrait relever de la seule décision du citoyen [40].
18Le droit de choisir librement sa résidence appartient donc au citoyen à partir de la naissance, il est « inaliénable ». Ce droit ne revêt pas de caractère absolu car sa réalisation peut conduire à des violations des droits et libertés des autres personnes. Pour autant, les limitations qu’il est possible de lui apporter doivent l’être conformément aux prescriptions constitutionnelles, en particulier celles de l’article 55 alinéa 3 qui énoncent que « les droits et libertés des citoyens ne peuvent être limités par la loi fédérale que dans la mesure nécessaire pour protéger les fondements de l’ordre constitutionnel, de la moralité, de la santé, des droits et des intérêts légaux d’autrui, de la garantie de la défense et de la sécurité de l’État ». Les organes du pouvoir étatique ne sont compétents pour enregistrer les citoyens que dans la mesure où ils sont le relais de l’expression de la libre volonté du citoyen de choisir librement sa résidence. C’est la raison pour laquelle l’enregistrement ne peut revêtir qu’un « caractère indicatif et qui exprime le fait que le citoyen se trouve sur un lieu de séjour ou de résidence » [41].
19Au total, l’interprétation de la Cour fait prévaloir une vue libérale de la liberté d’aller et venir en considérant que le système de l’enregistrement ne saurait « revêtir un caractère d’autorisation » [42]. Les limitations que celui-ci est susceptible d’imposer à celle-là ne sauraient excéder ce que prévoient les textes législatifs et réglementaires dans la mesure où ces derniers se conforment à la Constitution, et n’imposent aucune condition supplémentaire à la liberté telle que définie par la norme juridique suprême. Pourtant, le statut de la liberté de circulation a continué d’être problématique après cette série d’interventions de la Cour. Et c’est peut-être encore davantage à ce titre qu’elle illustre la situation des droits et libertés fondamentaux en Russie aujourd’hui.
II – LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE LA CONSÉCRATION DE LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR POUR L’ORDRE JURIDIQUE RUSSE
20Avec son affirmation de la liberté de circulation comme droit constitutionnel inaliénable du citoyen, la Cour a pu fournir l’exemple d’un volontarisme juridique qui irait à l’encontre des inclinations d’une société considérée par de nombreux spécialistes comme foncièrement anti-juridique [43]. Si l’on doit constater la persistance de résistances profondes à la pénétration des principes de liberté au cœur du système politique et social russe (B), l’idée de constitutionnalisation de l’ordre juridique par la diffusion des droits et libertés fondamentaux pourrait toutefois fournir une ouverture à laquelle la jurisprudence de la Cour relative à la liberté de circuler aurait alors contribué de façon importante (A).
A – LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR COMME VECTEUR DE LA CONSTITUTIONNALISATION DE L’ORDRE JURIDIQUE RUSSE
21Comme le soulignait le doyen Favoreu dans une étude célèbre [44], la constitutionnalisation du droit est un phénomène récent qui est à la source d’un certain nombre de confusions en ce qu’il mêle l’idée de la diffusion des normes constitutionnelles au sein de l’ordre juridique (à travers le développement croissant de la justice constitutionnelle) à celle de l’existence de bases constitutionnelles nécessaires à la formation d’un certain régime politique. On cherchera ici à identifier les raisons qui conduisent à voir dans l’activité de la Cour constitutionnelle russe en matière de protection de la liberté d’aller et venir la mise en œuvre d’un processus dont les effets échappent en partie à ceux qui sont en charge de leur production.
22On doit tout d’abord souligner que l’architecture institutionnelle établie par la Constitution de 1993 favorise la pénétration des normes constitutionnelles au sein de l’ordre juridique puisque le contrôle de constitutionnalité organisé par la Constitution est un contrôle concret et que les droits et libertés fondamentaux sont inscrits au cœur du texte constitutionnel, bénéficiant d’une prééminence à l’égard de tous les pouvoirs institués [45]. On a vu comment la Cour entendait faire respecter les droits et libertés des citoyens en faisant une application stricte de l’article 55 alinéa 3 de la Constitution qui organise les limites possibles à l’exercice de ceux-ci [46]. En particulier, elle a insisté sur la nature fédérale des lois pouvant mettre en œuvre une limitation du droit à la liberté de se déplacer [47], plaçant ainsi les droits et libertés hors de portée des autorités et organes des sujets de la Fédération. Surtout, la Cour a pris soin de définir avec suffisamment de précision sa position en utilisant pleinement les moyens que la Constitution et la loi constitutionnelle du 21 juillet 1994 mettaient à sa disposition, pour rendre « inévitable » le contenu de celle-ci. Ainsi, a-t-elle déterminé dans un certain nombre de décisions que les dispositions reconnues inconstitutionnelles, par elle, à l’occasion d’une précédente affaire devaient servir « de fondement à l’annulation des dispositions d’autres actes normatifs contenant les mêmes dispositions que celles ayant été l’objet de la requête », et qu’en tout état de cause, ces dispositions « ne peuvent être appliquées par les tribunaux, les autres organes [du pouvoir] et les fonctionnaires » [48]. Le rejet de requêtes dont l’objet avait été antérieurement traité par la Cour a pu lui servir pour renforcer sa jurisprudence, puisque l’occasion lui était alors donnée d’affirmer la nullité des actes se rapportant à celle-ci, et d’enjoindre tous les pouvoirs à respecter l’autorité de la chose jugée [49].
23En outre, en établissant que « la limitation des droits des citoyens à la liberté de circuler, de choisir librement leur lieu de séjour et de résidence » devait être liée à « la recherche nécessaire d’un équilibre entre les intérêts généraux et privés » [50], la Cour a inscrit sa démarche dans celle des autres juridictions constitutionnelles européennes qui envisagent l’ensemble des droits liés à la liberté comme des droits subjectifs auxquels le pouvoir ne peut déroger que dans un cadre strictement défini. On peut même considérer que la référence faite par la Cour à la liberté de la personnalité [51] agit, dans le contexte russe, à la manière d’une contrainte interprétative qui rassemble les éléments « matriciels » [52] des droits et libertés fondamentaux où la liberté d’aller et venir aura joué un rôle fédérateur très puissant. On sait en effet que le droit à la personnalité constitue aujourd’hui un élément essentiel de la protection de la personne humaine par les juridictions constitutionnelles [53], et si la liberté d’aller et venir ne fait pas partie de ces droits indérogeables ou intangibles qu’on a pu vouloir dégager en doctrine pour désigner ceux qui possèdent une valeur supérieure incontestable, elle est une composante indéniable de la liberté personnelle au sens où elle « vise à assurer la sauvegarde de l’individu vis-à-vis de la collectivité. C’est le droit de ne pas subir de contraintes excessives » [54].
24Le processus de constitutionnalisation peut être observé à travers les liens que la Cour constitutionnelle s’est attachée à établir entre les différents droits et libertés, en prenant soin de souligner combien le respect de l’un est indispensable pour la garantie de l’autre. Dans son arrêt du 25 avril 1995, la sanction de la violation de la Constitution par une disposition du code du logement a été réalisée par la Cour sur la base d’une application combinée des articles 19 alinéa 1,27,40, et 55 alinéa 3 du texte constitutionnel. De même, l’arrêt du 4 avril 1996 a souligné combien les normes réglementaires contraires à la liberté de circuler « empêchaient la réalisation d’une série de droits et libertés fondamentaux reconnus et garantis par la Constitution de Russie, en particulier le droit de choisir et d’être librement choisi dans les organes du pouvoir d’État (…), de participer à un référendum, du droit d’utiliser librement ses capacités et ses biens pour l’activité économique (…), du droit d’utiliser et de disposer pleinement de ses biens (…), du droit à la sécurité sociale, à recevoir l’assistance médicale, une éducation préscolaire et scolaire » [55]. Dans un arrêt du 24 octobre 2000, la Cour, a considéré que « le droit à la privatisation des logements d’habitation (…) est établi par le législateur pour des objectifs de valeur constitutionnelle, dans la mesure où il est lié à la réalisation par le citoyen de ses droits au logement, à la liberté de mouvement et également au droit de propriété » [56].
25Mais les éléments qui parlent le plus clairement en faveur de la constitutionnalisation tiennent d’abord aux jugements rendus par les juridictions judiciaires de rang inférieur qui, d’une certaine façon, se voient chargées de propager la jurisprudence développée par le juge constitutionnel au sein de l’ordre juridique. Si l’on s’attache aux jugements rendus par les juridictions russes en matière de protection de la liberté de mouvement, on peut considérer que le bilan est assez mitigé. Ainsi, alors que les organes des administrations de la ville et de la région de Moscou avaient opté pour une stratégie de résistance aux interprétations de la Cour en adoptant des dispositions réglementaires contraires aux arrêts de la juridiction suprême, les tribunaux de première instance vont annuler un certain nombre de ces dispositions, en particulier celles issues du règlement n° 241-28 du 30 mars 1998 et de « l’instruction » du 21 mai 1999 des autorités exécutives de la ville et de la région de Moscou. L’interdiction de références à l’enregistrement dans les relations entre locataire et propriétaire (droit au logement), ou pour l’inscription des enfants dans une école (droit à l’éducation), ou encore la proscription des dispositions qui permettent aux personnes résidant à Moscou de n’enregistrer à leur domicile que les réfugiés et personnes dans le besoin qui ont un lien de famille avec eux, se sont appuyées sur l’argumentation de la Cour constitutionnelle relative à l’impossibilité de conférer « un caractère d’autorisation » à l’enregistrement [57]. En revanche, les tribunaux n’ont pas censuré le règlement qui faisait dépendre la délivrance de certains soins médicaux de l’enregistrement à un domicile permanent, de même qu’a été autorisée la possibilité de maintenir l’obligation d’enregistrer des catégories spécifiques de population comme les militaires sans que celle-ci soit justifiée par des circonstances particulières qui pourraient être rattachées aux cas prévus par la loi [58].
B – LES LIMITES DES POUVOIRS DE LA COUR
26Malgré une évidente progression du respect des droits et libertés individuelles [59], la Russie demeure une terre relativement rétive à la régulation de la société par le droit et au règlement judiciaire des conflits. Là encore, la liberté de circulation constitue un exemple assez probant de la situation à laquelle se trouve confronté aujourd’hui le respect des droits fondamentaux. Il est par exemple hautement significatif que, au contraire des États d’Europe occidentale pour lesquels la liberté d’aller et venir est aujourd’hui d’abord une question liée au droit des étrangers [60], en Russie la liberté de se déplacer comporte des restrictions qui affectent indistinctement citoyens et non-ressortissants [61]. En outre, les limites au « pouvoir d’influence » de la Cour dans le développement des droits fondamentaux ne doivent pas être sous-estimées [62].
27L’une des principales est la composante fédérale de l’État russe qui oblige à une constante « transaction » entre le pouvoir central et les entités fédérées [63], et ne favorise pas nécessairement la pénétration des principes constitutionnels relatifs aux droits et libertés au sein de la société. Pourtant la Cour, usant des moyens que la Constitution de 1993 puis la loi constitutionnelle de 1994 avaient mis à sa disposition, a nettement affirmé l’impossibilité qui était celle des sujets de la Fédération de limiter par eux-mêmes les droits et libertés protégés constitutionnellement, en particulier par l’introduction de conditions non prévues par la loi fédérale [64]. Cela n’a pas empêché un certain nombre d’autorités locales, dont la plus importante est la ville de Moscou, de s’opposer à de multiples reprises à la jurisprudence de la Cour [65] et de réclamer le rétablissement du système de la propiska [66].
28Mais ce qui importe sans doute encore davantage tient à la persistance au sein du corps social de comportements profondément rétifs à l’égard d’une régulation des rapports sociaux par le droit, perçu le plus souvent comme un instrument au service du plus fort [67]. Malgré les efforts soulignés de quelques juridictions, la soumission et la corruption régnant au sein des tribunaux de première instance, le plus souvent dociles aux pouvoirs locaux, constituent un frein considérable au progrès de la juridicisation de la société civile russe. « Le véritable obstacle à la constitutionnalisation » [68] n’est alors pas tant la méconnaissance par les praticiens du droit des dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés que l’impossibilité pratique qu’ils rencontrent quotidiennement pour en faire surgir tous les effets. Alors que la Cour constitutionnelle et à sa suite les plus importantes juridictions de l’ordre civil [69] n’ont cessé de répéter que la liberté d’aller et venir ne saurait connaître d’autres limitations que celles nécessaires à la garantie de la liberté d’autrui ou à des considérations inhérentes aux intérêts supérieurs de l’État, les attitudes des autorités locales et de leurs administrations persistent à entraver l’application de la loi en mettant en œuvre des stratégies de « contournement des règles » qui apparaissent comme autant de résidus de la période totalitaire [70].
29Ceci se manifeste notamment par le prolongement des délais établis par la loi pour procéder à l’enregistrement [71], ou plus insidieusement par l’exigence de documents divers dont les formes peuvent varier au gré des humeurs des fonctionnaires en charge de transmettre ceux-ci à l’organe d’enregistrement. Ces différentes manières de détourner le sens de la législation, afin de faire de l’enregistrement un instrument de contrôle de la liberté et de ses usages, peuvent très difficilement être combattues en l’absence d’une réelle indépendance des juridictions de premier degré qui seules sont à même de permettre la pénétration des normes garantissant les libertés civiles les plus élémentaires. Or, cette indépendance ne sera conquise qu’à partir du moment où les juges seront désignés selon des procédures qui ne les attachent pas au pouvoir exécutif et où l’État consentira à adopter des mesures budgétaires qui placent la justice à la hauteur des attentes qu’une société démocratique peut espérer de ceux qui sont en charge d’appliquer le droit. En ce sens, la réforme actuellement initiée par la chambre haute du Parlement, le Conseil de la Fédération, si elle témoigne de la prise de conscience des problèmes actuels par la classe politique russe, ne constitue pas nécessairement une réponse adéquate aux enjeux que ces questions suscitent [72].
30La question est par conséquent de savoir si la Cour poursuivra la ligne qui a été la sienne dans l’élaboration de la défense des droits fondamentaux comme ce fut le cas ces dernières années [73]. On sait que les Cours constitutionnelles européennes dans le développement progressif de la protection des droits et libertés fondamentales ont élaboré le principe selon lequel le législateur ne peut édicter de règles concernant l’exercice d’une liberté fondamentale qu’en vue de rendre cet « exercice plus effectif ou de le concilier avec d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » [74]. Cette « exigence du “toujours mieux” » [75] sera-t-elle tenue au moment où la vague d’attentats terroristes que la Russie a connue ces derniers mois a incité l’ensemble des pouvoirs publics, et en particulier le pouvoir exécutif central, à vouloir renforcer les mesures qui limitent la liberté de se déplacer ?
Notes
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[1]
En particulier les chroniques du professeur Patrice Gélard dans la RFDC, et plus récemment celles proposées par le professeur Jean-Pierre Massias dans la Revue du droit public, ainsi que son ouvrage, Droit constitutionnel des États d’Europe de l’Est, Paris, PUF, coll. « droit fondamental », 1re éd., 1999.
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[2]
Voir M. Mendras, « La préférence pour le flou. Pourquoi la construction d’un régime démocratique n’est pas la priorité des Russes », Le Débat, n° 107, nov.-déc. 1999, p. 35-50.
-
[3]
J.-P. Massias, Droit constitutionnel des États d’Europe de l’Est, op. cit., p. 323 s.
-
[4]
Au sens où Otto Pfersmann définit les « droits fondamentaux » comme « la convergence du libéralisme politique, de la démocratie et de l’État de droit » (« Esquisse d’une théorie des droits fondamentaux », in L. Favoreu et alii, Droit des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2e éd., 2002, p. 71).
-
[5]
Pour ne citer que les points les plus essentiels au regard de la composition de la population de la Fédération de Russie et de sa centaine de peuples et nationalités différents.
-
[6]
Voir J.-P. Massias, op. cit., p. 280-291.
-
[7]
Rappelons qu’en vertu de l’article 125 de la Constitution, la Cour, « pour les recours relatifs à la violation des droits et libertés des citoyens, et à la demande des tribunaux, vérifie la constitutionnalité de la loi appliquée ou applicable dans un cas concret selon la procédure fixée par la loi fédérale ». L’article 97 de la Loi constitutionnelle du 21 juillet 1994 ajoute que la requête doit porter sur des droits et libertés constitutionnels, et que la loi en vigueur, ou devant entrer en vigueur, doit être appliquée dans une affaire déterminée, dont l’examen est achevé ou a commencé devant un tribunal ou tout autre organe appliquant la loi. (C’est nous qui soulignons.)
-
[8]
C. Grewe, H. Ruiz-Fabri, Droits constitutionnels européens, Paris, PUF, coll. « Droit fondamental », 1re éd., 1995, p. 154. On peut ajouter que la protection des droits et libertés fondamentaux forme la matière principale de l’activité de la Cour dans les dernières années (cf. V. O. Lutschin, Konstitutsia Rossiskoi Federatsii. Problemy realizatsii, Moscou, 2002, p. 569).
-
[9]
On voudrait ajouter, avant d’entrer dans le vif du sujet, que cette présentation ne vise nullement à faire le « contrepoids » des jugements très négatifs (cf. l’article de Marie Mendras, précité) que suscite la situation politique actuelle en Russie. En adoptant une perspective de droit constitutionnel, on cherchera simplement à mettre en valeur le processus (lent) par lequel les normes protectrices des libertés et droits fondamentaux entrent progressivement en vigueur dans la réalité juridique de la Russie d’aujourd’hui. Sans doute, la qualification de « libérale » peut-elle apparaître outrée au regard d’un certain nombre de faits relatifs notamment au contrôle des moyens d’information et de communication par les organes de pouvoir ainsi que le rôle exorbitant qui revient à de toutes « puissantes administrations » où règnent une corruption « du quotidien » qui donne parfois l’impression d’un « décalage entre les libertés conquises dans les textes et la déficience de droit et démocratie dans la réalité vécue » (M. Mendras, op. cit., p. 47). Mais on veut croire que l’adoption d’un point de vue qui se concentre sur le point de vue de la Cour et de ses facultés d’agir peut offrir une vision un peu différente de celles qui sont communément reçues sur les questions qui sont abordées.
-
[10]
Voir les réactions qui ont fait suite aux attentats terroristes de la fin du mois d’août et du début du mois de septembre à Moscou et dans le Nord du Caucase. Immédiatement, les voix les plus diverses se sont faites entendre afin « d’aggraver le régime de l’enregistrement » (« Moskovskie deputaty khotiat uzhestotshit rezhim registratsii » [Les députés de Moscou veulent aggraver le régime de l’enregistrement], Kommersant, n° 3006,9 septembre 2004).
-
[11]
Sur les liens entre liberté individuelle et liberté d’aller et venir, voir l’ouvrage d’Annabelle Pena-Gaïa, Les rapports entre la liberté individuelle et la liberté d’aller et venir dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, thèse Droit public, Aix-Marseille, 1998.
-
[12]
Ce qu’affirme la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 2 février 1998 dans lequel celle-ci constate que « l’obligation de présenter des documents précis confirmant le droit subjectif du citoyen de résider dans un logement qu’il a choisi comme lieu de résidence agit en même temps comme une mesure garantissant le droit du citoyen de vivre dans ce logement » (c’est nous qui soulignons). [Nous citons à partir du texte des arrêts figurant sur le site internet de la Cour constitutionnelle de Russie où se trouvent répertorié l’ensemble des arrêts (postanovlenie) de celle-ci depuis le 1er janvier 1992 et des décisions (opredelenie) depuis le 1er janvier 1995 : http ://ks.rfnet.ru]. Dans le même sens, voir la décision de la Cour du 23 juin 2000, n° 147-O (point 3).
-
[13]
Voir la décision du Comité exécutif central de l’URSS n° 57/1917 du 27 décembre 1932 « sur l’établissement d’un système de passeport unique en Union Soviétique et sur l’enregistrement [propiska] obligatoire des passeports ».
-
[14]
En réalité, le contrôle de la population avait préexisté au système soviétique et on doit au moins le faire remonter à l’abolition du servage en 1861 par l’Empereur Alexandre II. L’administration tsariste adoptera alors des mesures afin de contenir le flot des paysans vers les centres urbains et suivre la trace du lieu de leur résidence, en apparence pour des raisons tenant à l’application de la loi.
-
[15]
L’alinéa 2 de l’article 3 de la loi de 1993 précise ainsi que « l’enregistrement ou son absence ne peuvent servir de fondement à une limitation ou à une condition pour l’accomplissement des droits et libertés des citoyens prévus par la Constitution de la Fédération, les lois fédérales et les lois des Républiques de la Fédération ».
-
[16]
Ces droits sont également en vigueur au sein de l’ordre juridique de la Fédération en vertu de l’article 12 du Pacte des Nations Unies de 1966 sur les droits civils et politiques et de l’article 2 du Protocole additionnel n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme, puisque la Constitution russe reconnaît une telle valeur aux normes de droit international régulièrement ratifiées (art. 15, al. 4).
-
[17]
E. I. Barkhatova, Grazhdanstvo i registratsii, Moscou, « Prospekt », 2004, p. 232.
-
[18]
K. Katanian, « Freedom of movement in the Russian Federation today. The propiska and the constitutional Court », East European Constitutional Review, vol. 7, n° 2, Spring 1998, p. 53. Ces droits d’enregistrement concernent également la possibilité pour certaines familles d’inviter leurs parents à vivre sous leur toit. En 1993, l’administration de la région de Moscou avait publié la procédure à suivre afin d’obtenir une telle invitation. Une licence pour inviter une famille de trois personnes dans les environs de Moscou coûtait ainsi 9 millions de roubles, c’est-à-dire une somme équivalente à 4550 dollars américains.
-
[19]
Comme l’écrit E. I. Barkhatova, « en réalité, le contrôle de l’observation du régime de l’enregistrement revêt un caractère sélectif : les personnes principalement soumises au contrôle de leurs documents d’identité le sont en fonction de leurs types ethniques. (…) De tels vérifications trouvent un véritable stimulant dans la possibilité d’extorsion ou de sous-traction d’argent aux personnes détenues » (op. cit., p. 233).
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[20]
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 avril 1995, n° 3-P.
-
[21]
La Cour renvoie à cet égard à la décision rendue par l’assemblée plénière de la Cour suprême de l’URSS le 3 avril 1987 qui avait indiqué que « l’emménagement dans un lieu d’habitation doit respecter les dispositions relatives à la propiska » (op. cit.).
-
[22]
« Chacun a droit au logement. Nul ne peut être privé arbitrairement de son logement ».
-
[23]
Décret du Gouvernement de la Fédération de Russie du 17 juillet 1995, n° 713, « sur la sanction des règles de l’enregistrement des citoyens de la Fédération de Russie relativement à leur lieu de séjour et de résidence ».
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[24]
On remarquera que la langue russe utilise trois expressions (propiska, registratsia et registratsionni utchiot) là où le français n’a recours qu’à un seul (« enregistrement »). En russe, le terme de registratsia désigne plus volontiers la norme dans son caractère légal et obligatoire alors que celui de registratsionni utchiot renvoie davantage à l’acte juridique qu’il revient au citoyen d’accomplir en vertu précisément de la norme posée par la loi. La propiska est, elle, véritablement marquée par l’époque soviétique, et a donc été reléguée aux rangs des « vieilleries » sur les bancs de l’histoire du droit russe. En revanche, le terme continue d’être fréquemment employé dans la langue courante pour désigner grossièrement l’enregistrement dans sa généralité.
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[25]
Deux mécanismes de limitation vont ainsi jouer pour limiter la liberté constitutionnellement et légalement reconnue : le premier est l’intervention de circulaires administratives (notamment le décret du ministère de l’Intérieur du 23 octobre 1995, n° 393) précisant les conditions d’application et d’exécution de l’obligation de s’enregistrer pour les citoyens ; le second a trait à la politique menée par un certain nombre de sujets de la Fédération qui, en adoptant des actes juridiques visant à contrôler les mouvements de population (par l’introduction de conditions non prévues par la loi fédérale, la limitation de la durée du séjour, l’exigence d’une appartenance à un groupe socioprofessionnel déterminé, l’ajout de documents non prévus comme des billets de transport attestant de la date de départ, etc., cf. E. I. Barkhatova, op. cit., p. 233-234), vont porter une atteinte décisive à la liberté de circulation et au libre choix du lieu de résidence.
-
[26]
Résidant dans les régions de Stavropol, Voronezh et Moscou ainsi que dans la ville de Moscou elle-même.
-
[27]
Il s’agit de la République des Komis, une région du Nord de la Russie dont le Gouverneur déposa une requête auprès de la Cour en arguant des restrictions à la liberté de circulation qui portaient un préjudice important à l’économie de la République. De nombreux citoyens de la Fédération de Russie vivent et travaillent en effet temporairement sur ce territoire et aspirent ensuite à retourner dans leur région. Or, la décision de certaines administrations locales d’exiger des droits d’enregistrement parfois égaux au montant de plusieurs mois de salaire portait, selon le Gouverneur, atteinte à un certain nombre de droits constitutionnels de ces citoyens.
-
[28]
Dont l’alinéa 4 prévoit que les différents sujets de la Fédération peuvent, en dehors des compétences appartenant exclusivement à la Fédération et de celles communes à la Fédération et aux sujets, « exercer leur propre réglementation juridique, y compris l’adoption de lois et d’autres actes juridiques normatifs ».
-
[29]
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 avril 1996, n° 9-P, relatif « au contrôle de la constitutionnalité de la série d’actes normatifs de la ville et de la région de Moscou, de la région de Stavropol, de la région et de la ville de Voronezh, réglementant l’enregistrement des citoyens qui arrivent pour résider de manière permanente dans les régions précitées » (point 4).
-
[30]
L’article 2 de la loi de la ville de Moscou du 14 septembre 1994 est ainsi déclaré inconstitutionnel en ce qu’il « ne prend pas en considération le potentiel financier des différents contribuables et établit de facto un système d’imposition qui, par l’effet d’un impôt excessivement élevé, signifie une sanction affectant essentiellement les biens des plus démunis des citoyens » (point 5).
-
[31]
Il existe deux types de passeport en Russie : l’un, intérieur, qui équivaut à la carte nationale d’identité française, et sur lequel figure précisément le sceau de l’enregistrement du citoyen dans le territoire où il réside; l’autre, extérieur (en russe, zagranitchni, qui signifie littéralement « hors des frontières ») qui permet aux citoyens russes de voyager à l’étranger.
-
[32]
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 janvier 1998, n° 2-P, relatif « à la vérification de la constitutionnalité des dispositions des parties 1 et 3 de l’article 8 de la loi fédérale du 15 août 1996 sur les modalités de sortie et d’entrée en Fédération de Russie en relation avec la requête du citoyen A. Y. Avanov » (point 1).
-
[33]
Ibid. (point 4).
-
[34]
Ibid. (point 5).
-
[35]
Dans une affaire précédente où un individu né en URSS, mais vivant hors de Russie lors de l’adoption de la loi sur la citoyenneté en 1992, se plaignait de l’application qui lui avait été faite des dispositions de la loi de 1992 relative à la citoyenneté en Fédération de Russie, la Cour a affirmé que « l’établissement pour une personne, possédant la citoyenneté russe par la naissance, de quelques différences dans le droit à la citoyenneté en lien avec le lieu de résidence n’est pas conforme à la Constitution de la Fédération de Russie » (Arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 mai 1996, n° 12-P, « sur la vérification de la constitutionnalité du point “g” de l’article 18 de la loi de la Fédération de Russie “sur la citoyenneté en Fédération de Russie” en liaison avec la requête de A. B. Smirnov »).
-
[36]
Cf. supra.
-
[37]
En l’espèce, la Cour constate que les limitations prévues à l’article 15 de la loi sur les modalités de sortie et d’entrée en Fédération de Russie « ont un effet indépendamment du lieu de résidence ou de séjour du citoyen et ne sont pas liées directement à l’existence ou l’absence d’un enregistrement confirmatoire », ibid. (point 6). Cette position est réaffirmée par la décision du 5 octobre 2000, n° 199-0, « sur le refus d’examen de la requête du citoyen Kushnarev pour la violation de ses droits constitutionnels par les dispositions de l’article 40.1 du code du travail de la Fédération de Russie » (point 3).
-
[38]
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 2 février 1998, n° 4-P, relatif « à la vérification de la constitutionnalité des points 10,12 et 21 des règlements sur l’enregistrement des citoyens de la Fédération russe sur le lieu de séjour et de résidence dans les frontières de la Fédération de Russie, confirmant la décision du Gouvernement de la Fédération russe du 17 juillet 1995, n° 713 » (point 2).
-
[39]
Il en ressort en retour que « la présentation par le citoyen des documents conformes engendre pour l’organe d’enregistrement non un droit, mais une obligation d’enregistrer le citoyen dans le logement d’habitation qu’il a choisi comme lieu de résidence » (ibid., point 4).
-
[40]
Ibid. (point 6).
-
[41]
Arrêt du 2 février 1998, n° 4-P (point 2).
-
[42]
Affirmation que l’on retrouve dans les arrêts du 4 avril 1996, n° 9-P (point 3), 2 juillet 1997, n° 11-P (point 2), 2 février 1998, n° 4-P (point 8).
-
[43]
M. Mendras, art. préc.
-
[44]
L. Favoreu, « La constitutionnalisation du droit », in L’unité du droit. Mélanges en hommage à Roland Drago, Paris, Economica, 1996, p. 25.
-
[45]
L’article 18 de la Constitution dispose ainsi que « les droits et libertés de l’homme ont un effet direct. Ils déterminent le sens, le contenu et l’application des lois, l’activité des pouvoirs législatif et exécutif, de l’autoadministration locale et sont garantis par la justice ».
-
[46]
Dont la rédaction est quasiment identique à l’alinéa 3 de l’article 2 du Protocole additionnel n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme en date du 16 septembre 1963.
-
[47]
Cf. arrêt du 4 avril 1996, n° 9-P, op. cit. (point 3).
-
[48]
Décision de la Cour constitutionnelle du 7 octobre 1998, n° 116-O, « sur la vérification de la constitutionnalité des dispositions des articles 14,15 et 35 de la loi du Territoire de Krasnodar du 23 juin 1995 “sur le régime d’enregistrement du séjour et de la résidence sur le territoire du Territoire de Krasnodar” » (point 3).
-
[49]
Décision de la Cour constitutionnelle du 23 juin 2000, n° 147-O, « sur la requête du citoyen Oganesovitch pour la violation de ses droits constitutionnels par l’article 36 de la loi du Territoire de Krasnodar “sur le régime de l’enregistrement du séjour et de la résidence sur le territoire du Territoire de Krasnodar” et par la décision de l’Assemblée législative du Territoire de Krasnodar qui introduit un régime temporaire d’enregistrement du lieu de résidence » (point 4).
-
[50]
Ibid. Cette référence à l’intérêt général comme moyen de contrôle de l’exercice du droit de circuler et de choisir librement sa résidence témoigne de la fonction d’interprète que la Cour est amenée à jouer dans la garantie des droits et libertés fondamentaux. Sur le rôle de l’intérêt général dans la limitation des droits fondamentaux, voir B. Mathieu, M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, Paris, LGDJ, 2002, p. 474 et s.
-
[51]
Arrêt du 4 avril 1996, n° 9-P, op. cit. (point 3).
-
[52]
Sur le sens à donner à cette notion, cf. B. Mathieu, « Pour une reconnaissance de principes matriciels en matière de protection constitutionnelle des droits de l’homme », D., 1995, chron., p. 211 et s.
-
[53]
X. Bioy, Le concept de personne humaine en droit public. Recherches sur le sujet des droits fondamentaux, Paris, Dalloz, « Nouvelle Bibliothèque de thèses », 2003, p. 785 sq.
-
[54]
B. Mathieu, « Droit constitutionnel civil », Jurisclasseur administratif, 1997, fascicule 1449, p. 15. Pour Thierry Renoux, la liberté personnelle « s’oppose à ce que toute personne (…) ne soit l’objet de mesures coercitives, tatillonnes ou vexatoires, qui sans entamer sa liberté individuelle et notamment sa liberté d’aller et venir n’en définissent pas moins sans nécessité une technique d’amenuisement progressif de sa liberté d’action, en particulier de l’autonomie de sa volonté » (Note sous la décision du Conseil constitutionnel n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, cette Revue, 1993, p. 381).
-
[55]
Arrêt du 4 avril 1996, n° 9-P, op. cit. (point 3).
-
[56]
Arrêt du 24 octobre 2000, n° 13-P, « sur la vérification de la constitutionnalité du point 13 de l’article 39 de la loi fédérale de la Fédération de Russie relative à la préservation du statut des organisations étatiques et municipales d’éducation et au moratoire sur leur privatisation, et au point 7 de l’article 27 de la loi fédérale relative à l’enseignement supérieur professionnel ».
-
[57]
E. I. Barkhatova, op. cit., p. 238-239.
-
[58]
Ibid.
-
[59]
Voir les observations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, CCPR/C/ 79/Add.54 (1995).
-
[60]
Commentant les dispositions du Protocole n° 4 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatives à la liberté de circulation des nationaux dans leur État ainsi que le principe du libre choix de la résidence, Jean-François Renucci constate que « ces dispositions ne donnent pas lieu cependant à un lourd contentieux » (Droit européen des droits de l’homme, Paris, LGDJ, 3e éd., 2002, p. 149). Cela ne signifie pas pour autant l’absence de normes consacrant cette liberté (voir l’article 19 de la Constitution espagnole ou l’article 11 de la Loi fondamentale allemande), mais seulement que celle-ci n’a plus guère à être défendue devant les tribunaux par les citoyens de l’État.
-
[61]
Ceci ne signifie pas que les textes normatifs qui leur sont applicables soient les mêmes (cf. La loi fédérale, n° 115- F3 du 25 juillet 2002 « sur la situation juridique des citoyens étrangers en Fédération de Russie »), mais citoyens et étrangers sont soumis également à l’enregistrement selon des modalités qui ne diffèrent guère.
-
[62]
Pour une vue globale de la question, cf. H. Donskoff, Les limites à l’action de la Cour constitutionnelle de Russie, thèse Droit public, Le Havre, 2004 (dir. P. Gélard).
-
[63]
R. Lirou, « La problématique constitutionnelle du fédéralisme : le cas en Russie », Civitas Europa, n° 3, septembre 1999, p. 165 sq.
-
[64]
« Les sujets de la Fédération de Russie ne peuvent eux-mêmes introduire des limites au droit constitutionnel du citoyen dans le choix du lieu de résidence, de même que prévoir que l’enregistrement ou l’absence de celui-ci soient le fondement de limites ou une condition de la réalisation des droits des citoyens prévus par la Constitution de Russie » (décision du 7 octobre 1998, n° 116-O, op. cit., point 2).
-
[65]
Sur cette résistance en général, cf. A. Trochev, « Implementing Russian constitutional Court décisions », East European Constitutional Review, vol. 11, n° 1/2, winter/spring 2002.
-
[66]
Ainsi, le maire de Moscou, Iouri Loujkov, a-t-il encore tout récemment lors de la manifestation du 7 septembre 2004 contre le terrorisme organisée sur la place du Kremlin, appelé le pouvoir central à « redonner aux Moscovites les moyens de contrôler les flux de populations dans la capitale ». Cet appel a été repris par une très grande majorité de la classe politique russe, en particulier par les députés de la chambre basse du Parlement appartenant au parti présidentiel « Russie Unie », dont le représentant et ancien ministre de l’Intérieur, Boris Gryzlov, a défendu l’idée d’un contrôle accru des étrangers et un renforcement des limitations à la liberté de circulation (Le Monde, 23 septembre 2004).
-
[67]
« Le Droit est de plus en plus un droit démocratique et pluraliste ; pourtant les comportements sont toujours autant éloignés de cette idée de pluralisme démocratique » (J.-P. Massias, op. cit., p. 257).
-
[68]
« Le véritable obstacle à la constitutionnalisation est celui qui résulte de l’ignorance dans laquelle se trouvent les praticiens du droit – magistrats et avocats – quant à l’existence d’un formidable arsenal ou réservoir de moyens constitutionnels à invoquer et à appliquer » (L. Favoreu, « La constitutionnalisation du droit », op. cit., p. 35).
-
[69]
Pour un exemple récent, cf. la décision du Collège des juges pour les Affaires civiles de la Cour suprême de la Fédération de Russie du 2 avril 2002, n° 59-g 02-5. Il s’agissait en l’espèce de l’introduction par l’assemblée législative de la région d’Amour d’une condition de résidence permanente pour l’exercice d’un mandat de députés. Les juges constatent que si la « Constitution n’interdit pas les sujets de la Fédération d’adopter une réglementation juridique sur un objet de compétence commune jusqu’à l’adoption d’une loi fédérale », celle-ci ne peut pas pour autant « annuler ou diminuer les droits et libertés du citoyen ».
-
[70]
M. Mendras, « Poutine II. La fin des apparences », Esprit, n° 305, juin 2004, p. 36.
-
[71]
Les dispositions sont peu ou prou les mêmes dans la législation applicable aux citoyens russes (Loi fédérale du 25 juin 1993 précitée) ou dans celle applicable aux étrangers (Loi fédérale n° 115-F3 du 25 juillet 2002 modifiée par les lois n° 86-F3 du 30 juin 2003 et n° 141-F3 du 11 novembre 2003) : il convient de s’enregistrer dans un délai de trois jours ouvrables après son arrivée dans le lieu de séjour, le citoyen bénéficiant de sept jours lorsqu’il souhaite établir sa résidence dans un autre lieu. Dans la pratique, le délai n’est jamais inférieur à trois semaines s’il s’agit d’un séjour excédent un mois. En outre, de très nombreuses « agences de tourisme » permettent d’accélérer les délais moyennant une rétribution forfaitaire proportionnelle à la réduction de la durée.
-
[72]
Cette réforme vise essentiellement à modifier le quorum des juges siégeant au « Haut-Collège de Qualification des Juges » ( VKKS ) – l’équivalent du Conseil supérieur de la magistrature –, en vue de renforcer la présence de « représentants de la société » au détriment des juges eux-mêmes. En outre, c’est au Conseil de la Fédération sur proposition du Président de la Fédération que reviendrait la compétence de désigner les membres de cet organe. C’est afin de lutter contre « la corruption » régnant au sein de la magistrature – qui serait selon les instigateurs du projet le résultat d’un réflexe corporatiste de la profession –, que ces changements auraient été engagés. (Voir en ce sens les déclarations de l’initiateur du projet, le sénateur Serguey Mironov, in Vlast, n° 40,11 octobre 2004, p. 26.) Elle risque d’aboutir en réalité à une soumission accrue du pouvoir judiciaire à un pouvoir exécutif resserré autour de l’administration présidentielle.
-
[73]
« La protection des droits constitutionnellement garantis (…) continue à rester l’axe fort de la jurisprudence » de la Cour constitutionnelle de Russie (J.-P. Massias, « Chronique constitutionnelle des États d’Europe de l’Est », RDP, n° 5-2003, p. 1351).
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[74]
Voir les décisions du Conseil constitutionnel français dans lesquels il emploie cette formule. Par exemple, les décisions 84-181 DC du 11 octobre 1984 et 94-345 DC du 29 juillet 1994.
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[75]
Selon l’expression de B. Mathieu et M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, op. cit., p. 497.