Notes
-
[1]
J. Caillosse, « Le droit administratif saisi par la concurrence ? », AJDA, 2000, p. 99 et s.
-
[2]
Loi 2002-1094 du 29 août 2002 d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure, JO 30 août 2002, p. 14398.
-
[3]
J.-E. Schoettl, « La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure devant le Conseil constitutionnel », Petites affiches, 11 septembre 2002, n° 182, p. 6.
-
[4]
Décision 2002-460 DC du 22 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, JO 30 août 2002, p. 14411.
-
[5]
Décision 81-132 DC du 16 janvier 1982, Nationalisations, RJC I-104.
-
[6]
J.-L. Mestre, « Le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et le droit de propriété », D., 1984, chron. p. 1. Voir également V. Delvolvé, La liberté d’entreprendre, thèse Paris II - Panthéon-Assas, 2002,516 p., spec. p. 126 et s.
-
[7]
J.-L. Mestre, préc.
-
[8]
Idem.
-
[9]
CE, 28 octobre 1960, Martial de Laboulaye, Rec. 570, AJDA 1961, p. 20, concl. Heumann; CE Ass., 16 décembre 1988, Association des pêcheurs aux filets et engins, Garonne, Isle et Dordogne, Rec. 448.
-
[10]
J.-Y. Chérot, Droit public économique, Economica, coll. « Corpus Droit public », Paris, 2002, p. 38.
-
[11]
CE 16 février 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, req. n° 208205 et 212449.
-
[12]
CE, 5 octobre 1998, Fédération française des pompes funèbres et Association Force ouvrière consommateurs, req. n° 193261 et 193359.
-
[13]
CE, 28 mars 2001, Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance, req. n° 155896.
-
[14]
V. Delvolvé, La liberté d’entreprendre, thèse Paris II - Panthéon-Assas, 2002, spec. p. 388 et s.
-
[15]
CE, ord. réf., 12 novembre 2001, Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840.
-
[16]
CE, ord. réf., 25 avril 2002, Société SARIA Industries, req. n° 245414.
-
[17]
P. Delvolvé, Droit public de l’économie, Dalloz, Paris, 1998, p. 109.
-
[18]
Décision 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999, RJC I-783.
-
[19]
Sur cette notion doctrinale, B. Mathieu et M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, LGDJ, Paris, 2002, p. 431 et s.
-
[20]
B. Mathieu et M. Verpeaux, Chronique de jurisprudence constitutionnelle, n° 28 (2e partie), Petites affiches, 17 septembre 2002, n° 186, p. 9.
-
[21]
P. Delvolvé, « Sécurité intérieure, justice et contrats publics : confirmations et infléchissements », Bulletin juridique des contrats publics, 2002, n° 25, p. 418.
-
[22]
Sur cette question, qu’il nous soit permis de renvoyer à nos commentaires précédents : « L’égalité dans tous ses états (note sous Conseil constitutionnel 2001-450 DC ) », cette Revue, 48-2001, p. 767-770 et « Le législateur, la protection sociale et la libre entreprise (à propos de la décision du Conseil constitutionnel 2001-451 DC du 27 novembre 2001) », cette Revue, 49-2002, p. 174 et s.
-
[23]
J.-Y. Chérot, J. Trémeau, « La commande publique et le partenariat public/privé à nouveau devant le Conseil constitutionnel », AJDA, 2002, n° 16, p. 1062.
-
[24]
T. Di Manno, Le juge constitutionnel et la technique des décisions « interprétatives » en France et en Italie, Economica- PUAM, coll. « Droit public positif », Paris - Aix-en-Provence, 1997.
-
[25]
À propos de l’attribution d’un marché public à un établissement public administratif, CE, Avis, 8 novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants, n° 2222080 (RFDA, 2001, p. 106, concl. C. Bergeal ; notes M. Guyomar et P. Collin, AJDA 2000, p. 987; M.Degoffe et J.-D. Dreyfus, CJEG 2001, p. 58) et la décision du TA de Dijon, 20 février 2003, n° 99245, dans la même affaire, selon laquelle les éléments du dossier « ne suffisent pas à établir que l’offre remise au district de l’agglomération dijonnaise aurait porté atteinte au principe de libre concurrence ». Dans le même sens, à propos de l’UGAP, CE, 27 juillet 2001, CAMIF, req. n° 218067.
-
[26]
Considérant 5.
-
[27]
Décision 93-335 DC du 21 janvier 1994, Urbanisme et construction, cons. 27, RJC I-576, à propos des ventes de terrains constructibles par les collectivités locales, leurs groupements et leurs établissements publics.
-
[28]
Décision n° 2001-452 DC du 6 décembre 2001, MURCEF, cette Revue, 49-2002, p. 181, note V. Bertile.
-
[29]
Décision 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Archéologie préventive, Rec. p. 42.
-
[30]
Décision 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, Rec. p. 145.
-
[31]
Avis 96-A-12 du 17 septembre 1996,97-A-10 du 15 février 1997 et 99-A-21 du 8 décembre 1999 cités par J.-Y. Chérot, J. Trémeau, art. cit., p. 1061-1062.
-
[32]
J.-Y. Chérot, Droit public économique, Economica, coll. « Corpus Droit Public », Paris, 2002, p. 47.
-
[33]
Conseil d’État, Rapport public 1991, Études et documents n° 43, La Documentation française, Paris, 1992, p. 20.
-
[34]
Décision 2002-460 DC du 22 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, JO 30 août 2002, p. 14411, confirmée par la décision 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, JO 10 septembre 2002, p. 14953.
-
[35]
Décision 2001-450 DC du 11 juillet 2001, DDOSEC, Rec. p. 82.
-
[36]
CE Ass. 5 mars 1999, Confédération nationale des groupes autonomes de l’enseignement public et CE, Ass., 5 mars 1999, M. Rouquette et autres, Rec. p. 37, concl. contraires C. Maugüé, RFDA, 1999, p. 357; D. de Bechillon et P. Terneyre, RFDA, 1999, p. 372, J.-P. Camby, RDP, 1999, p. 1223, J.-L. Matt, Petites affiches, 1er novembre 1999 (217), p. 9. Solution confirmée notamment par CE, 17 mars 1999, Union professionnelle artisanale, req. n° 194491 et 194545.
-
[37]
Décision 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, JO 18 janvier 2002, p. 1053.
-
[38]
J.-E. Schoettl, « La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure devant le Conseil constitutionnel », Petites affiches, 11 septembre 2002, n° 182, p. 5.
-
[39]
J.-Y. Chérot et J. Trémeau, « La commande publique et le partenariat public/privé à nouveau devant le Conseil constitutionnel », AJDA, 2002, n° 16, p. 1069.
-
[40]
Ainsi, l’objectif de valeur constitutionnelle relatif à la possibilité pour toute personne d’obtenir un logement décent ne saurait recevoir application, eu égard à son caractère programmatique, que dans les limites des lois adoptées par le Parlement en vue de pourvoir à sa mise en œuvre ( TA Versailles, 31 mai 1996, RJS 1996, n° 865).
-
[41]
Sur l’apparition de cette technique contentieuse, D. Broussolle, « Les lois déclarées inopérantes par le juge constitutionnel », RDP, 1985, p. 751.
-
[42]
Décision 2000-435 DC du 7 décembre 2000, Loi d’orientation pour l’outre-mer, cons. 11, Rec. p. 164.
-
[43]
Décision 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, précitée, cons. 55 à propos de l’article 40 de la loi invitant le Gouvernement à organiser, dès la publication de la loi déférée, « une concertation avec les organisations syndicales en ce qui concerne l’élection des représentants des salariés au sein des conseils d’administration des organismes du régime général de sécurité sociale et avec les organisations patronales en ce qui concerne l’élection des représentants des employeurs ».
-
[44]
Décision 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 90, JO 19 mars 2003, p. 4789.
-
[45]
Ainsi, le secrétaire général du Conseil constitutionnel souligne-t-il, à propos de la loi d’orientation et de programmation pour la justice, qu’ « eu égard au volume et à la complexité de la loi déférée, à la période de l’année à laquelle le Conseil a procédé au contrôle de sa conformité à la Constitution et en l’absence de disposition manifestement inconstitutionnelle parmi toutes celles qui n’étaient pas expressément contestées par les requérants, la décision ne statue pas d’office, sinon, par symétrie avec la d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, sur le rapport annexé à la loi déférée » (souligné par nous) (J.-E. Schoettl, « La loi d’orientation et de programmation pour la justice devant le Conseil constitutionnel », Petites affiches, 5 septembre 2002 (178), p. 30).
-
[46]
J.-P. Camby, « Deux points de vue sur les annexes législatives », avec S. Guy, RDP, 2002, n° 5, p. 1255.
-
[47]
En ce sens, J.-E. Schoettl, précité, p. 15 et M. Verpeaux, Chronique de jurisprudence constitutionnelle, n° 29, Petites affiches, 6 janvier 2003, n° 4, p. 9.
-
[48]
J.-P. Camby, S. Guy, art. cit.
-
[49]
J.-Y. Chérot et J. Trémeau, art. cit., p. 1069.
-
[50]
Pour la 14e fois (sur un total de 29), une résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale à été adoptée à l’unanimité.
-
[51]
Le recours à des règles non écrites s’explique notamment par le besoin de souplesse nécessaire au bon fonctionnement interne des assemblées et, parfois, par la volonté d’échapper au contrôle du Conseil constitutionnel. Pour de plus amples développements, voir S.de Cacqueray, Le Conseil constitutionnel et les règlements des assemblées, Paris/Aix-en-Provence, Eco-nomica- PUAM, 2001, p. 306-323.
1I – Décision n° 2002-460 DC du 22 août 2002 (Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure).
2– Décision n° 2002-462 DC du 10 octobre 2002 (Résolution modifiant l’article 36 du Règlement de l’Assemblée nationale).
3– Décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002 (Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003).
4– Décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 (Loi de finances pour 2003).
5II – Décision n° 2002-192 L du 10 octobre 2002 (Nature juridique d’une disposition de l’article 443-3-1 du code du travail).
6– Décision n° 2002-193 L du 21 novembre 2002 (Nature juridique de certaines dispositions du code du service national relatives aux volontaires civils).
7III – Contentieux des élections législatives.
8IV – Décision du 7 novembre 2002 observations du Conseil constitutionnel sur l’élection présidentielle des 21 avril et 5 mai 2002.
9V – Autres décisions.
10La chronique est assurée par le Groupe d’études et de recherches sur la justice constitutionnelle (CNRS UMR 6055) et coordonnée par André Roux. Les sommaires des décisions sont préparés par Didier Ribes.
I – CONTRÔLE DES LOIS ORDINAIRES
11— Décision n° 2002-460 DC du 22 août 2002. Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, JO 30 août 2002, p. 14411.
- Saisine de plus de 60 députés (art. 61, al. 2 C.). Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.
- Principe d’égalité.
- Principe d’égalité d’accès à la commande publique.
- Principe de libre concurrence.
- Art. 14 DDHC.
- Domaine de la loi et du règlement en matière de marchés publics. Incompétence négative (non).
- Sauvegarde de la propriété publique.
- Exigences du service public.
- Conditions essentielles d’exercice des libertés publiques sur l’ensemble du territoire national. Garantie de l’ordre public.
- Domaines respectifs de la loi organique, de la loi de finances et de la loi ordinaire en ce qui concerne les règles de présentation des lois de finances.
- Loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Règles de présentation.
- Rapport annexé à la loi. Absence de portée normative. Déclaration d’inopérance.
- Notion de loi de programme. Art. 1er Ordonnance organique du 2 janvier 1959.
13LA CONCURRENCE SAISIE PAR LE DROIT CONSTITUTIONNEL FRANÇAIS ?
14(note sous Conseil constitutionnel 2002-460 DC)
15Les connexions entre les matières et champs juridiques se multiplient ces dernières années. Et les « relations de voisinage » laissent place petit à petit à des rapports plus « communautaires ». S’établit ainsi depuis peu une relation, nouvelle et originale, entre droit constitutionnel et droit de la concurrence. On s’est interrogé sur l’investissement récent par le droit de la concurrence d’un espace traditionnellement soumis à la logique du droit public, et plus spécialement du droit administratif [1]. Retournant la figure, il convient également de se demander dans quelle mesure le droit constitutionnel français peut se saisir des problématiques de concurrence.
16A ce titre, l’examen par le Conseil constitutionnel de la loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure [2] donne l’occasion de revenir sur une question qui n’est pas encore aujourd’hui clairement tranchée : celle de l’incorporation dans le corpus des normes constitutionnelles du principe de libre concurrence.
17Le texte qui était soumis au juge constitutionnel apporte des assouplissements aux principes posés par le Code des marchés publics en permettant la passation d’un marché unique pour la construction, l’aménagement et la maintenance de constructions nouvelles affectées à la police et à la gendarmerie. Les parlementaires requérants voyaient dans ces dispositions de globalisation de la commande publique une atteinte aux « principes d’égalité, de transparence, de libre concurrence et [au] principe de la liberté du commerce et de l’industrie, qui garantissent, in fine, le bon emploi des deniers publics tel que l’article 14 de la Déclaration de 1789 l’exige ».
18Le secrétaire général du Conseil constitutionnel a souligné que « les requérants exagéraient, ce faisant, la portée que le Conseil constitutionnel a donnée au principe de libre concurrence (tandis que le Gouvernement, dans ses observations, avait au contraire tendance à la minorer quelque peu…) » [3]. Mais en ne disant mot sur ce point, la décision du Conseil constitutionnel [4] ne contribue pas à la résolution du débat. Il reste que l’échange d’arguments lors de la procédure d’examen de la loi traduit bien l’incertitude qui pèse aujourd’hui sur la valeur et la portée de la liberté de concurrence.
I – LA VALEUR CONSTITUTIONNELLE DU PRINCIPE DE LIBRE CONCURRENCE
19En raison de ses liens matériels avec certaines normes constitutionnelles, la libre concurrence peut trouver un rattachement implicite dans le bloc de constitutionnalité. Mais au-delà, elle s’affirme comme un principe constitutionnel émergent.
A – Un principe constitutionnel implicite
20En 1982, le Conseil constitutionnel, s’appuyant sur l’affirmation générale de la liberté dans la Déclaration des droits de 1789, a consacré la valeur constitutionnelle de la liberté d’entreprendre [5]. Ce rattachement à l’article 4 de la DDHC paraît pouvoir être étendu à la liberté de concurrence. En effet, celle-ci peut être reliée à la liberté d’entreprendre comme au principe d’égalité protégé par l’article 6 du texte révolutionnaire. Se livre-t-on, ce faisant, à une interprétation par trop audacieuse des textes constitutionnels ?
21Comme l’a montré le professeur Jean-Louis Mestre, le défaut de reconnaissance expresse de ces deux libertés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen témoigne simplement de la volonté de ses auteurs de retenir une proclamation synthétique des droits de l’homme [6]. Mais la liberté d’entreprendre, au premier chef, se trouvait affirmée dans l’ensemble des projets de déclaration et ne fit l’objet d’aucune remise en cause au cours des discussions. Plus largement, la liberté économique constituait indiscutablement, aux yeux des auteurs de la Déclaration de 1789, un des aspects de la liberté générale des citoyens. « Ils se prononçaient même en faveur de la liberté du commerce et de l’industrie, sans oser condamner formellement le système corporatif » [7].
22Ces principes se trouvaient confirmés et explicités par la loi des 2-17 mars 1791 dite « décret d’Allarde », la loi Le Chapelier des 14-17 juin 1791 ainsi que par le Préambule de la Constitution du 3 septembre 1791. Toutes ces « dispositions favorables à la liberté des activités économiques n’avaient pas seulement pour objet de condamner les monopoles privés que constituaient les diverses corporations. Elles avaient également pour effet de remettre en cause les monopoles publics, ceux des compagnies privilégiées par l’État qui jouissaient d’exclusivités commerciales considérables et ceux des municipalités qui avaient hérité des anciens seigneurs le pouvoir d’établir des banalités » [8]. Ce faisant, se trouvaient tout à la fois promues la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté d’exercice professionnel et la libre concurrence.
23Historiquement, la libre concurrence est donc intimement liée à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre.
24Par ailleurs, la liberté du commerce et de l’industrie, reconnue par le juge administratif comme une liberté publique et un principe général du droit [9], a été conçue comme « une première, ancienne et rudimentaire expression d’un principe de libre concurrence. En effet, pour justifier la jurisprudence administrative, on invoque la nécessité de protéger la libre concurrence, les personnes publiques disposant de prérogatives dont l’usage fausserait nécessairement leur compétition sur le marché avec les personnes privées » [10].
25Aujourd’hui, le Conseil d’État protège, en les liant, la liberté du commerce et de l’industrie et son prolongement, la liberté de la concurrence [11]. Il évoque également cette dernière de manière autonome, comme découlant de l’ordonnance du 1er décembre 1986 [12] mais aussi sans référence [13].
26Si l’on peut tenter de dissocier ces libertés [14], elles forment avec la liberté professionnelle, les différents aspects d’une liberté plus large, la liberté d’entreprendre.
27Dans le cadre du contentieux du référé-liberté, le Conseil d’État a pu ainsi affirmer que la liberté du commerce et de l’industrie constitue « une composante de la liberté fondamentale d’entreprendre » [15], laquelle s’entend, de manière générale, comme « la liberté d’exercer une activité économique dans le respect de la législation et de la réglementation en vigueur » [16].
28« Ainsi, à l’image des poupées russes, on est en présence d’une série de libertés qui s’emboîtent les unes les autres, de la liberté d’entreprendre jusqu’à la liberté de concurrence » [17]. En toute logique, la liaison de ces différentes libertés rejaillit sur leur valeur. Et le rang constitutionnel de la liberté d’entreprendre emporte celui de la libre concurrence.
B – Un principe constitutionnel émergent
29L’émergence très progressive d’une liberté contractuelle de valeur constitutionnelle témoigne de la précaution du juge constitutionnel dans la consécration de nouvelles libertés fondamentales. Il en va ainsi tout particulièrement de la liberté de concurrence. Si l’environnement juridique ne rendrait pas sa consécration explicite incongrue, celle-ci ne saurait être que l’aboutissement d’un plus ou moins long processus de constitutionnalisation.
30Pendant longtemps, la méconnaissance par le législateur de la libre concurrence a été invoquée et examinée par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’analyse que constitue le principe d’égalité. Il a pu juger, par exemple, que « les effets éventuels des dispositions contestées sur les conditions de la concurrence dans un secteur déterminé ne sont pas constitutifs d’une rupture d’égalité » [18]. L’incidence de la loi sur le jeu de la concurrence constituait un baromètre, un indicateur de la violation du principe d’égalité.
31La liberté de concurrence pourrait alors se voir attribuer la qualité de « principe sentinelle » [19]. De manière générale, il est difficile de concevoir l’existence de principes qui, tout en demeurant législatifs, ne peuvent souffrir d’atteintes, comme les normes constitutionnelles, que justifiées par des impératifs constitutionnels ou des objectifs d’intérêt général.
32Mais au-delà, le principe de libre concurrence tend progressivement à prendre une autre dimension. La doctrine analysant la jurisprudence constitutionnelle voit déjà dans la libre concurrence un principe constitutionnel [20] constituant au moins un corollaire du principe d’égalité, sinon de celui de liberté d’entreprendre [21]. Les décisions récentes du Conseil constitutionnel montrent, en effet, l’amorce d’une consécration constitutionnelle [22].
33Dans sa décision 2001-450 DC du 11 juillet 2001, le Conseil a ainsi établi que la liberté de concurrence pouvait être conçue comme un principe constitutionnel dérivé du principe d’égalité. Pour éviter les risques de favoritisme dans le cadre de l’appel d’offres lancé par la Caisse des dépôts pour la gestion du fonds de réserve pour les retraites, il a, en effet, renvoyé aux autorités de contrôle le soin de veiller au respect du « principe d’égalité qui, en l’espèce, implique la libre concurrence ».
34Pourrait sans doute être accréditée l’interprétation selon laquelle le Conseil constitutionnel se borne à constater que la loi « a institué un mécanisme qui, dans l’intérêt général, fait confiance à la seule concurrence entre entreprises d’investissement pour assurer la meilleure gestion du fonds de réserve pour les retraites » Ainsi, « si le respect du principe d’égalité implique « en l’espèce » la libre concurrence, c’est parce que la loi elle-même l’a prévu » [23].
35Mais dans sa décision du 27 novembre 2001 Couverture sociale des exploitants agricoles, le Conseil émet une réserve d’interprétation similaire dont l’objet est, faut-il le rappeler, d’assurer le respect de principes constitutionnels [24]. Plus clairement, le juge de la loi fait référence, cette fois, « au principe d’égalité et à la libre concurrence ».
36Sans pouvoir en tirer de conclusion certaine, il semble bien que le Conseil constitutionnel entende ainsi promouvoir la liberté de concurrence en tant que liberté constitutionnelle à part entière.
37Il faut souligner que celle-ci n’en devient pas pour autant générale et absolue et doit être appréhendée en fonction des évolutions juridiques et économiques qui l’ont affectée. En effet, il ne fait pas de doute que la question d’une consécration explicite ne se dissocie pas, dans l’esprit du juge constitutionnel, de la détermination de ses implications.
II – LA PORTÉE DU PRINCIPE CONSTITUTIONNEL DE LIBRE CONCURRENCE
38La prudence du Conseil constitutionnel, s’agissant de la reconnaissance d’une liberté constitutionnelle de la concurrence est liée à la nécessité, pour lui, de préciser concomitamment le champ opératoire et les implications de cette liberté. Il semble bien, en effet, que le juge de la loi se refuse à réaliser une affirmation de principe dont il ne maîtriserait pas toutes les conséquences.
A – Le champ opératoire du principe
39Le Conseil d’État a pu souligner que l’attribution d’un marché public ou d’une délégation de service public doit respecter « tant les exigences de l’égal accès aux marchés publics que le principe de la liberté de concurrence qui découle notamment de l’ordonnance du 1er décembre 1986 » [25].
40Pour autant, la commande publique constitue un contexte particulier. Au regard de la concurrence, le Conseil constitutionnel ne fait pas la même analyse des rapports entre un acheteur public et un opérateur économique que de ceux entre deux opérateurs sur un marché. Il entend notamment tenir compte des impératifs spécifiques qui guident l’acheteur public et lui assurer, ce faisant, une certaine marge de manœuvre.
41La mise en concurrence favorise un emploi satisfaisant des deniers publics par le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse. La concurrence apparaît donc comme un principe fonctionnel, de rang réglementaire sinon législatif, assurant l’efficacité de la commande publique. Sa portée est différente lorsque la libre concurrence est appréhendée comme un principe relationnel assurant l’effectivité de la liberté économique de tous les acteurs sur un marché.
42La décision 2002-460 DC établit qu’ « aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n’impose de confier à des personnes distinctes la conception, la réalisation, l’aménagement, la maintenance et l’entretien d’un ouvrage public ; qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n’interdit non plus qu’en cas d’allotissement, les offres portant simultanément sur plusieurs lots fassent l’objet d’un jugement commun, en vue de déterminer l’offre la plus satisfaisante du point de vue de son équilibre global » [26].
43Le Conseil constitutionnel refuse assez logiquement de constitutionnaliser les principes généraux posés par l’article 1er du Code des marchés publics, notamment les règles de concurrence. De manière comparable, il avait déjà jugé que « la transparence des activités publiques ou exercées pour le compte des personnes publiques ne constitue pas en elle-même un principe général à valeur constitutionnelle » [27].
44La décision du 22 août 2002 ne remet pas en cause le mouvement de constitutionnalisation du principe général de concurrence. Elle intervient dans un domaine particulier, le droit des marchés publics. En la matière, le juge de la loi dispose et fait application d’une norme constitutionnelle spécifique, le principe d’égalité d’accès à la commande publique [28].
B – Les implications du principe
45En l’état de la jurisprudence constitutionnelle, il est peu aisé de dégager une théorie constitutionnelle structurée.
46Il est assez clair, cependant, que le Conseil constitutionnel ne peut exercer qu’un contrôle restreint sur la question de la soumission d’un marché à la concurrence. Il ne saurait, sans substituer son appréciation à celle du législateur, décider que telle activité doit nécessairement être exercée, ou non, dans un cadre concurrentiel. Le législateur a donc pu librement doter un établissement public administratif de droits exclusifs s’agissant de l’exécution des opérations de diagnostic et de fouilles d’archéologie préventive [29]. De la même manière, il a pu supprimer un secteur concurrentiel pour créer un nouveau régime de sécurité sociale [30]. Seule une disposition restreignant de façon manifeste et injustifiée la concurrence existant dans un secteur pourrait appeler une sanction du juge constitutionnel.
47De manière plus certaine, l’atteinte à la libre concurrence se réaliserait dans l’hypothèse où la loi placerait un des acteurs économiques, ou lui donnerait potentiellement les moyens d’être, dans une position faussant le libre jeu de la concurrence.
48Lorsqu’il est saisi pour avis sur les questions de concurrence que peuvent poser des projets de textes législatifs ou réglementaires, le Conseil de la concurrence semble considérer, dans une analyse nuancée, que toute différence de traitement et même toute mesure qui apparaîtrait discriminatoire au regard du principe d’égalité n’est pas nécessairement considérée comme anticoncurrentielle : « dans l’hypothèse d’opérateurs bénéficiant de statuts différenciés sur un même marché, le bon fonctionnement de la concurrence n’implique pas nécessairement que tous les opérateurs se trouvent dans des conditions d’exploitation identiques » mais il « suppose qu’aucun opérateur ne bénéficie pour son développement de facilités que les autres ne pourraient obtenir et d’une ampleur telle qu’elles permettent de fausser le jeu de la concurrence » [31]. Un tel raisonnement pourrait conduire le juge constitutionnel à sanctionner, indépendamment du principe d’égalité, l’atteinte au principe relationnel de concurrence entre opérateurs, soit sur un même marché, soit sur des marchés connexes.
49Le professeur Chérot a souligné que « le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de dire si la liberté d’entreprendre devait comporter, au-delà des obligations d’abstentions de l’État, une obligation d’intervention pour protéger la concurrence sur le marché » [32]. Néanmoins, il apparaît aujourd’hui avec l’émergence de cette norme constitutionnelle de concurrence que le législateur ne saurait moins qu’auparavant négliger les incidences de son action sur le jeu de la concurrence.
50Pour sa part, le Conseil constitutionnel devient, avec mesure, un nouveau juge de la concurrence. Il doit procéder à l’analyse économique des marchés indispensable pour se prononcer sur l’atteinte à la concurrence. La référence à la règle spécifique de concurrence peut conduire le juge de la loi à mettre en œuvre des notions et mécanismes fondés sur l’analyse économique. Cette démarche est assurément favorisée par la concrétisation récente du contrôle de constitutionnalité.
51Didier Ribes
52QUAND LE DROIT BAVARDE… SUR LA VALEUR JURIDIQUE DES ANNEXES LÉGISLATIVES (note sous Conseil constitutionnel 2002-460 DC )
53« Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite » [33]. Cette mise en garde du Conseil d’État pourrait d’une certaine manière être étendue au Conseil constitutionnel. En tout cas, ce dernier a entendu marquer dans sa décision 2002-460 DC du 22 août 2002 sa volonté de ne pas prêter attention à des éléments de la loi dépourvus de portée impérative, les annexes législatives [34].
54D’usage réservé à la sanction d’une inconstitutionnalité, le recours aux moyens et conclusions soulevés d’office a récemment été étendu à l’émission de réserves d’interprétation [35]. Innovant à nouveau, le Conseil constitutionnel soulève d’office, cette fois, la question de la portée normative de certains éléments de la loi. De juge de la constitutionnalité, il devient juge de la normativité.
55Le Conseil a donc tenu à prendre position sur le rapport d’orientations annexé à la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et approuvé par son article 1er. Ce document, représentant sept pages de Journal officiel, établit un constat de la situation en matière de sécurité intérieure, avant de présenter un exposé programmatique des mesures envisagées.
56Confronté à cette question tant à propos du rapport annexé à la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 qu’à propos du rapport présentant les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale annexé à la loi du 19décembre 1997 de financement de la sécurité sociale, le Conseil d’État a jugé que les orientations et les objectifs présentés par ces rapports n’ont pas la valeur normative qui s’attache aux dispositions de la loi elle-même [36]. Cette solution a été confirmée par le Conseil constitutionnel à propos des annexes au projet de loi de financement de la sécurité sociale [37].
57Le secrétaire général du Conseil constitutionnel a pu souligner à propos des arrêts rendus par l’Assemblée du contentieux le 5 mars 1999 que « le Conseil d’État a adopté une position simple, générale et opportune du point de vue de la sécurité juridique » [38]. En déniant toute portée normative à l’annexe I de la loi déférée, le Conseil constitutionnel paraît à nouveau faire sienne l’analyse du juge administratif.
58Cependant, la motivation traduit une approche du problème qui n’est pas si comparable. Le juge du pavillon Montpensier précise que « si la programmation des moyens de la sécurité intérieure pour les années 2002 à 2007 figurant à l’annexe II de la loi et approuvée par son article 2 a la valeur normative qui s’attache aux lois de programme prévues à l’article 1er de l’ordonnance susvisée du 2 janvier 1959, les “orientations” présentées dans le rapport figurant à l’annexe I de la loi déférée ne relèvent en revanche d’aucune des catégories de textes législatifs prévues par la Constitution et ne sont dès lors pas revêtues de la valeur normative qui s’attache à la loi ».
59S’agissant de l’annexe I, le Conseil constitutionnel semble donc, comme le Conseil d’État, utiliser un critère formel. A priori, les dispositions en cause n’ont aucune valeur normative parce qu’elles se trouvent dans une annexe, laquelle ne constitue pas une catégorie normative constitutionnellement prévue. Mais se dissimule derrière cette argumentation excessivement et rigoureusement formelle, un raisonnement axé en réalité sur un critère matériel.
60Le Conseil précise, en effet, que les mesures législatives ou réglementaires devront appliquer ces orientations afin de leur attacher des effets juridiques. Comme le soulignent les professeurs Chérot et Trémeau, « le caractère programmatique de l’annexe à la loi paraît donc avoir été prépondérant dans l’exclusion de toute portée juridique » [39].
61Le juge constitutionnel entend en fait dénier valeur normative à toutes les dispositions programmatiques, à l’exception de celles expressément prévues par la Constitution, à savoir les lois de programme. En l’espèce, il opère une globalisation en faisant bloc de toutes les dispositions contenues dans l’annexe I pour leur refuser la qualité de loi.
62En soi, la « faible » normativité des normes programmatiques ne devrait avoir d’incidence que sur leur invocabilité [40] et non sur leur justiciabilité. Mais cette solution se place dans la logique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux dispositions inopérantes [41]. Il considère, en effet, que ne peuvent être arguées d’inconstitutionnalité les dispositions introductives [42], les textes d’annonce [43] et plus généralement toutes les dispositions qui ne créent aucun droit au profit des personnes, ne les soumettent à aucune obligation nouvelle et ne confèrent pas non plus à l’autorité administrative des pouvoirs dont elle ne disposerait pas déjà [44].
63Si la solution retenue peut naturellement être discutée, on entrevoit la motivation du juge constitutionnel. La décision paraît traduire la volonté du Conseil constitutionnel de prévenir d’éventuelles difficultés contentieuses. En effet, elle cantonne le champ de la contestation contentieuse devant le juge administratif. Mais peut-être et surtout exprime-t-elle le mécontentement du juge constitutionnel face à la complication de sa mission [45]. Ne peut être niée, en effet, la difficulté de distinguer « le bon grain législatif et l’ivraie » [46], autrement dit de faire précisément le départ entre les éléments du rapport qui peuvent avoir une portée normative et ceux qui demeurent purement déclaratoires. La disproportion, en l’espèce, entre le non-normatif et le normatif vient justifier, dans une analyse pragmatique, la solution retenue.
64En revanche, nous ne partageons pas l’idée selon laquelle, si le rapport avait eu une valeur normative donnée par la loi, il aurait été malgré tout déclaré inconstitutionnel sur le fondement de la violation de l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi et de l’exigence de clarté de la loi [47]. Le caractère programmatique de l’annexe n’est pas générateur d’une complexité inconstitutionnelle, non plus que d’une confusion ou contradiction condamnable. En tout état de cause, la déclaration d’inopérance ne saurait constituer un mode de sanction parallèle du défaut de qualité de la loi, de la violation de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi.
65La solution posée par le Conseil constitutionnel a pu être critiquée en raison des difficultés qu’elle pourrait générer dans le cadre de la procédure législative, s’agissant notamment de l’application de l’article 40 de la Constitution aux seuls articles de la loi [48]. La lecture retenue de la décision paraît a priori exclure cette difficulté. En tout état de cause, il apparaît bien que « même si une annexe à la loi est susceptible d’être discutée ou amendée de la même manière qu’un article de cette loi, il n’en demeure pas moins que la procédure législative et, partant, l’exercice des droits de la minorité, s’appliquera plus difficilement à un texte long, rédigé sous forme peu impérative, et qui fera l’objet d’une adoption « en bloc », à travers le vote d’un article de la loi. Le risque est d’ailleurs que ce vote ne permette pas aux parlementaires de se prononcer en toute connaissance de cause et de façon éclairée sur le contenu précis du rapport, au sein duquel il est difficile de distinguer la portée des différentes dispositions » [49].
66Sans aucun doute condamnable, ce droit mou, au-delà de sa fonction symbolique et de sa fonction informative, peut peut-être avoir une fonction interprétative. Et en définitive, il faut bien considérer que ce type de texte juridique, s’il s’est répandu, ne constitue pas, fort heureusement, la loi du genre.
67Didier Ribes — Décision n° 2002-462 DC du 10 octobre 2002, Résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale, JO, 13 octobre 2002, p. 16985.
- Saisine du président de l’Assemblée nationale, art. 61 al. 1 C.
- Modification de la dénomination et de la compétence de la commission de la production et des échanges.
- Conformité à la Constitution.
69Pour la première fois depuis l’adoption de son règlement en 1959, l’Assemblée nationale a modifié la dénomination de la commission de la production et des échanges qui, désormais, se nomme « commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire ». En outre, la présente résolution a ajouté l’environnement à la liste des compétences de cette commission. Obligatoirement saisi de la résolution adoptée par l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel a rendu une décision de conformité qui confirme la jurisprudence antérieure. À cet égard, plusieurs remarques peuvent être faites tant sur la décision rendue par le juge constitutionnel que sur le contexte dans lequel la résolution a été votée.
70Tout d’abord, cette résolution a été adoptée à l’unanimité ce qui montre que les députés peuvent dépasser les clivages politiques pour améliorer l’efficacité du travail parlementaire [50].
71Ensuite, en confiant officiellement à la commission de la production et des échanges des compétences en matière d’environnement, la résolution ne constitue, en fait, que la codification d’une pratique parlementaire. Ce procédé est couramment employé dans les assemblées parlementaires qui, pour diverses raisons, ont souvent recours à des règles qui ne figurent pas dans leur règlement intérieur [51]. Lorsque l’efficacité de la pratique parlementaire a été prouvée, les assemblées décident parfois de l’intégrer à leur règlement. En l’espèce, la codification pouvait être opérée par l’Assemblée nationale sans risque de censure puisque la Constitution est muette sur les compétences dévolues aux commissions permanentes. Dès lors, le Conseil constitutionnel se contente d’entériner le choix des députés qui disposent, en cette matière, d’une compétence très étendue.
72Enfin, cette codification met en évidence les limites du contrôle obligatoire des règlements des assemblées institué par l’article 61, alinéa 1, de la Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que d’une résolution votée par une assemblée. Si tel n’est pas le cas, des pratiques contraires à la Constitution peuvent exister dans les deux assemblées sans que le juge constitutionnel puisse intervenir. Il s’agit là d’un frein à la diminution des règles parlementaires non écrites et une possibilité de contourner le contrôle obligatoire prévu par la Constitution.
73En définitive, cette brève décision vient confirmer la position des assemblées et du Conseil constitutionnel à l’égard du contrôle des règlements parlementaires. Sophie de Cacqueray — Décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002. Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, JO 24 décembre 2002, p. 21500.
74Le commentaire de cette décision est reporté au prochain numéro.
75— Décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002, Loi de finances pour 2003, JO 31 décembre 2002, p. 22103.
- Sincérité budgétaire, conformité sous réserve.
- Procédure d’adoption de la loi de finances : article 39 de la Constitution, droit de priorité de l’Assemblée nationale en matière financière, libre droit d’amendement des sénateurs, amendement gouvernemental, mesure financière entièrement nouvelle; article 40 de la Constitution, nécessité de soulever préalablement l’irrecevabilité de l’amendement.
- Égalité devant l’impôt : différence de traitement sans rapport direct avec l’objectif que le législateur s’est assigné; mesure d’incitation au développement d’activités économiques et financières, critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés; principe d’égalité devant les charges publiques, absence de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques; principe d’égalité et objectif d’intérêt général, absence de charges hors de proportion avec l’effet incitatif attendu de la mesure d’incitation fiscale.
- Incompétence négative, précision suffisante.
- Principe de proportionnalité des peines, contrôle de la conformité à la Constitution des termes d’une loi promulguée, conditions non réunies.
- Principe de libre administration des collectivités territoriales, faible montant des sommes en cause.
- Principe de l’universalité budgétaire, compensation entre recettes.
- Respect de l’économie de contrats antérieurement conclus.
- Exigence de clarté découlant de l’article 34 de la Constitution.
- Cavaliers budgétaires : règles de transfert de licence des débits de boissons; dispositions relatives à la répartition de la dotation globale de fonctionnement ou au fonds national de péréquation.
77La décision relative à la loi de finances pour 2003 n’apporte guère d’innovation à la jurisprudence constitutionnelle financière : elle censure un article pour méconnaissance du principe de l’égalité devant l’impôt et sept autres dont les dispositions n’avaient pas leur place dans une loi de finances.
78Cependant cette année, en raison de l’entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2002 de l’article 32 de la nouvelle loi organique consacrant le principe de sincérité budgétaire, les requérants, aussi bien députés que sénateurs, ont concentré l’essentiel de leur argumentation sur la méconnaissance de ce principe, dont la signification demandait à être précisée.
79La décision soulève aussi quelques interrogations quant à la portée et aux effets du contrôle de constitutionnalité en matière d’égalité fiscale.
A – Le respect de la sincérité budgétaire
80Selon l’article 32 de la nouvelle loi organique de 2001, les lois de finances doivent présenter de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État et cette sincérité doit s’apprécier : « compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ».
81Dans sa décision 448 DC du 25 juillet 2001 relative à la LOLF, le Conseil avait déjà souligné que ce principe n’avait pas la même portée s’agissant de la loi de règlement et des autres lois de finances. La sincérité de la loi de règlement doit s’entendre comme imposant l’exactitude des comptes ; celle de la loi de finances de l’année se traduit simplement par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre qui ont été arrêtées. En d’autres termes, elle repose sur la bonne foi du gouvernement dans l’établissement de ses prévisions. 1) Selon les requérants, la consécration de la sincérité budgétaire par la nouvelle loi organique doit se traduire par un renforcement de ce principe, lequel constitue désormais un élément fondamental du droit budgétaire. Or, la présentation des ressources et des charges de l’État et de l’équilibre qui en résulte ne correspondait manifestement pas aux informations dont disposait le gouvernement lors de la discussion budgétaire. Par suite, les prévisions figurant dans le projet ne peuvent être considérées comme étant sincères et ayant été faites de bonne foi.
82Les députés développaient leur argumentation en trois temps. Ils soulignaient, en premier lieu, l’absence de sincérité dans l’évaluation des recettes. En effet, la loi de finances, définitivement adoptée le 19 décembre, ne tient compte ni des informations économiques disponibles au moment de l’adoption du projet par le Conseil des ministres ni de celles émises au cours de la discussion budgétaire. Ces informations confirmaient que les hypothèses de croissance de 1,2% pour 2002 et 2,5 % pour 2003 étaient beaucoup trop optimistes. Il y a donc eu, de la part du gouvernement, une erreur manifeste d’appréciation. En second lieu, l’absence de sincérité caractérise aussi les charges. Leur évaluation n’est pas réaliste puisque, d’une part, les ministres responsables ont admis que des mesures de régulation budgétaire seraient indispensables et que, d’autre part, le projet sous-estime le montant des dépenses dans de nombreux secteurs. Enfin, en troisième lieu, l’insincérité est volontaire car le gouvernement a délibérément cherché à fausser la présentation de l’équilibre budgétaire dans le but de dissimuler l’ampleur du déficit. Celui-ci serait proche de 3 % du PIB et pourrait même dépasser ce chiffre, ce qui explique le refus de l’actualisation.
83Pour respecter le principe de sincérité, le gouvernement aurait dû prendre les mesures suivantes : ramener la prévision de croissance de 2,5% à 2% (au moins); réduire les dépenses au niveau des mesures de régulation budgétaires annoncées par les responsables de Bercy; enfin, rectifier l’article d’équilibre afin de tenir compte de ces deux modifications. En conséquence, le Conseil constitutionnel devait constater l’insincérité et prononcer l’inconstitutionnalité de la loi de finances dans son ensemble. A tout le moins, il devait en tirer les conséquences sur l’article d’équilibre. A défaut, il devrait résulter de la décision portant sur l’insincérité, l’élaboration par le gouvernement d’une loi de finances rectificative.
84De leur côté, les sénateurs faisaient preuve de plus de réserve. Ils reconnaissaient que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12 décembre sur la loi de financement de la sécurité sociale, rendue quelques jours auparavant, avait confirmé que son contrôle ne pouvait porter que sur l’erreur manifeste d’appréciation. Mais ils considéraient que dans le cas de la loi de finances il y avait bien eu erreur manifeste puisque le projet reposait sur des prévisions économiques notoirement irréalistes. Ils ajoutaient un argument procédural qui, habituellement, est plutôt mis en avant par les députés : la méconnaissance de l’article 39 de la Constitution. Cette disposition reconnaît un droit de priorité à l’Assemblée nationale en matière financière, or ils observaient que le gouvernement avait déposé, en premier lieu devant le Sénat, un amendement tendant à réduire de 700 millions d’euros les prévisions de recettes.
852) Dans ses observations, le gouvernement rappelle que la prévision économique relève d’une appréciation d’ordre politique (gouverner c’est prévoir). Sur le plan juridique, seule une surévaluation manifeste et volontaire des recettes ou une sous-estimation importante des dépenses pourrait donner prise à un contrôle de constitutionnalité. Ce n’est que si les termes du débat parlementaire avaient été faussés par des prévisions manifestement et sciemment inexactes, dénaturant la signification du contrôle parlementaire, que la conformité à la Constitution aurait pu être mise en cause. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel s’en tient à un contrôle de la seule erreur manifeste d’appréciation, laquelle ne peut être établie en l’espèce.
863) Le Conseil constitutionnel confirme purement et simplement sa jurisprudence antérieure en ce domaine. Selon lui, il ne ressort pas des éléments qui lui ont été soumis que les évaluations de recettes soient entachées d’une erreur manifeste, compte tenu des aléas inhérent à leur évaluation et des incertitudes relatives à l’évolution de l’économie en 2003. Il ajoute que l’erreur alléguée dans le choix des hypothèses économiques ne conduirait qu’à une surestimation des recettes fiscales de faible ampleur au regard des masses budgétaires. L’erreur d’évaluation, selon les requérants, serait de l’ordre de 3 milliards d’euros sur un total de recettes de plus de 300 milliards, soit une variation d’environ 1 %. S’agissant des plafonds afférents aux grandes catégories de dépenses, il rappelle que la mise à disposition des crédits n’emporte pas, pour les ministres, obligation de dépenser la totalité de ceux-ci. En outre, les autorisations de dépenses accordées ne font pas obstacle aux prérogatives du Premier ministre en matière de gel ou d’annulation de crédits en cours d’exercice. Et il ajoute que le gouvernement, en informant le Parlement de ses intentions, a, au contraire, respecté le principe de sincérité.
87Les recours des parlementaires sont donc rejetés sur le fond. En ce qui concerne l’argument de procédure soulevé par les sénateurs, le Conseil curieusement n’y répond pas. Cependant sur la question de la sincérité, il émet deux réserves.
88La première dispose que si, au cours de l’exercice 2003, les grandes lignes de l’équilibre de la loi de finances s’écartaient sensiblement des prévisions, il appartiendrait au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative. La deuxième indique que le Parlement devra être informé, en temps utile, des mesures de régulation budgétaire mises en œuvre au cours de l’exercice budgétaire.
894) A priori, on aurait pu s’attendre à ce que la consécration de la sincérité budgétaire par la nouvelle loi organique se traduise par un plus strict respect du principe. Cela n’a pas été le cas, on n’observe aucune inflexion de la jurisprudence. On peut s’en étonner car il était flagrant que les prévisions de la loi de finances ne reposaient plus sur les informations disponibles au moment de son examen par le Parlement. Après réflexion, on voit mal comment le Conseil pourrait se montrer plus exigent. Certes, on pourrait imaginer que le gouvernement soit tenu d’aligner ses prévisions économiques sur celles des instituts de conjoncture, celles de l’INSEE par exemple. Mais cela ne serait guère réaliste car, en pratique, on constate que ces prévisions sont très souvent erronées. On pourrait alors se trouver dans une situation où le Conseil constitutionnel aurait déclaré inconstitutionnelle la loi de finances parce que celle-ci a été élaborée sur l’hypothèse d’une croissance de 2,5 % au lieu de 2 % et, qu’un an plus tard, on constate que, contre toute attente, celle-ci s’avère être supérieure à 2,5 %. Par ailleurs, peut-on exiger du gouvernement qu’il modifie substantiellement son projet, lequel a demandé plusieurs mois de préparation, en tenant compte des dernières informations disponibles en fin d’année ? Enfin, les prévisions des instituts de conjoncture ne tiennent pas compte, évidemment, des effets de la politique volontariste du gouvernement en ce domaine. La prévision de croissance à un moment donné peut être objectivement de 2 %, mais être portée à 2,5 % en raison d’une action de relance décidée par les pouvoirs publics. Or, le Conseil constitutionnel ne peut se faire juge de l’efficacité ou de l’inefficacité d’une politique économique.
90S’agissant de la loi de finances de l’année, la sincérité budgétaire demeure donc, malgré sa consécration, un principe sans grande portée pratique et il est illusoire de penser, sauf circonstances exceptionnelles, qu’une inconstitutionnalité puisse un jour être prononcée pour ce motif.
91En revanche, la réserve selon laquelle il appartiendrait au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative si, au cours de l’exercice 2003, les grandes lignes de l’équilibre s’écartaient sensiblement des prévisions, mérite attention dans la mesure où elle va au-delà des obligations énoncées dans les textes organiques. En effet, ni l’ordonnance de 1959 ni la loi de 2001 ne prévoient une telle obligation. Mais on voit mal quelle en est la portée. Si on prend la réserve au pied de la lettre, elle n’a aucun sens puisqu’un projet de loi de finances rectificative est toujours présenté en fin d’exercice. Si elle signifie, ce qui paraît plus logique, qu’un projet devra être déposé dès qu’il s’avère que l’équilibre prévisionnel s’écarte sensiblement (mais comment quantifier cet adverbe ?) des prévisions, elle est plus audacieuse puisqu’elle impose au gouvernement une nouvelle obligation qui ne découle d’aucun texte. Le ministre des Finances ayant reconnu, fin février, que la prévision d’une croissance de 2,5% n’était plus atteignable (on escompte, dans le meilleur des cas, 1,5 à 1,7%), il devrait logiquement en résulter le dépôt d’un projet de loi de finances rectificative dès le printemps 2003.
92Mais alors se pose la question du respect des réserves émises par le juge constitutionnel. La même recommandation figurait déjà dans la loi de finances pour 2002 (à propos du montant des recouvrements de recettes considéré comme surévalué : décision 456 DC du 27 décembre 2001, cons. 4). En l’occurrence, elle a été suivie d’effet puisque le Parlement a adopté une loi rectificative en juillet 2002. Mais cela n’est pas très significatif car c’est presque toujours le cas lorsqu’il y a un changement de majorité. Le vote de la loi de finances rectificative découle de la situation politique du moment plus que de la réserve émise dans la décision. En revanche, dans sa décision 437 DC du 19 décembre 2000 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le Conseil avait déclaré, qu’en cas de baisse significative du rendement attendu de la taxe générale sur les activités polluantes, il appartiendrait à une loi de financement ultérieure d’en tenir compte et de modifier en conséquence les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale. Or, bien que cette baisse se soit réalisée, le gouvernement n’a pas déposé de loi de financement rectificative ; la recommandation n’a donc pas eu d’effet.
93La deuxième réserve est relative à l’information du Parlement : les mesures de régulation budgétaire devront lui être communiquées. Elle est moins innovante car elle ne fait que confirmer les obligations découlant de l’article 14 de la loi organique, lequel est en vigueur depuis le 1er janvier 2002. Et elle a été respectée puisque, dès le 4 février, le ministre délégué au Budget a annoncé devant la commission des finances de l’Assemblée nationale le gel de près de quatre milliards d’euros de crédits sur l’exercice 2003.
94Contrairement à sa pratique, le Conseil ne reprend pas ces réserves dans son dispositif, comme il l’a fait de nouveau dans sa décision du 20 février 2003 relative à la loi organique concernant les juges de proximité (466 DC ). Celles-ci ne figurent que dans les motifs (considérant 9). On peut regretter cette attitude car elle est de nature à amoindrir la force de ces réserves, alors que l’on peut craindre que les pouvoirs publics ne s’y soumettent pas toujours volontiers. Ceci d’autant plus qu’il ne s’agit pas ici de réserves d’interprétation, dont les juridictions peuvent et doivent imposer le respect, mais de simples obligations futures d’agir. Est-ce parce que le Conseil craint qu’elles ne soient pas respectées qu’il ne les a pas reprises dans son dispositif ?
B – Les problèmes posés par le principe de l’égalité devant l’impôt
95Comme de coutume, de nombreux articles de la loi de finances étaient contestés pour méconnaissance du principe de l’égalité fiscale. Seul un article a été censuré pour ce motif, mais dans l’un des articles jugés non contraires à la Constitution on trouve un considérant dont la portée pourrait s’avérer considérable.
961) Pour la deuxième fois, une éco-taxe est jugée inconstitutionnelle pour atteinte à l’égalité fiscale. Déjà, en 2000, l’extension de la taxe générale sur les activités polluantes à l’électricité et aux produits énergétiques fossiles, dont l’objet était de lutter contre l’effet de serre, avait été censurée parce que les différences de traitement qui résultaient de l’application de la loi n’étaient pas en rapport avec les objectifs que s’était assigné le législateur (décision 441 DC du 28 décembre 2000, cons. 38). Cette fois-ci, la nouvelle taxe, destinée à protéger l’environnement, frappait les distributeurs d’imprimés publicitaires ou de journaux gratuits. Elle a aussi été jugée contraire au principe d’égalité parce que le législateur, en prévoyant d’exclure de son champ d’application un grand nombre d’imprimés susceptibles d’accroître le volume des déchets, avait institué une différence de traitement sans rapport direct avec l’objectif qu’il s’était assigné. Il s’agit là d’une application classique de la jurisprudence selon laquelle des traitements différents ne peuvent être institués que s’ils sont justifiés par un intérêt général, ce qui était le cas, et s’ils sont en rapport avec l’objectif poursuivi par le législateur, condition qui n’était pas remplie.
97Cependant, dans une telle situation, on peut se demander si le juge constitutionnel n’aurait pas pu adopter une autre solution qui aurait consisté, au lieu d’annuler l’ensemble de l’article créant la nouvelle taxe, à ne censurer que la disposition relative aux exonérations à l’origine de l’inégalité. L’argument selon lequel la disposition en cause serait inséparable du reste du texte ne nous paraît pas convaincant. Une exception est toujours séparable du principe auquel elle est rattachée ; c’est le principe qui n’est pas séparable de l’exception. Ce ne serait pas davantage aller à l’encontre de la volonté du législateur car, en supprimant une exception à une taxe qu’il a instituée, on le censure moins qu’en annulant l’imposition elle-même.
98Enfin, dans cette affaire, on ne peut considérer que les requérants ont obtenu satisfaction, bien que leur grief ait été retenu. En effet, ils ne critiquaient pas l’instauration de la nouvelle taxe mais, au contraire, contestaient le nombre trop élevé des exonérations. On peut ainsi regretter qu’une application trop mécanique du principe de l’égalité fiscale aille une nouvelle fois à l’encontre de la protection de l’environnement et que la décision conduise à une solution contraire aux aspirations des requérants, ce qui peut paraître paradoxal.
992) Vers un contrôle de l’efficacité des incitations fiscales ?
100Les cinq autres articles contestés, parce que contraires au principe d’égalité, ont été jugés conformes à la Constitution, les différents régimes créés par le législateur étant justifiés.
101Le considérant relatif au régime fiscal de l’investissement immobilier locatif mérite quelques explications. Les requérants critiquaient la différence de régime applicable à certaines sociétés et dénonçaient les conditions trop avantageuses accordées aux sociétés immobilières cotées lors de leur entrée dans le nouveau régime. Le Conseil répond qu’il était loisible au législateur de définir comme il l’a fait les modalités fiscales de l’exercice de l’option, lesquelles, ajoute-t-il, ne font nullement supporter à l’État des charges hors de proportion avec l’effet incitatif attendu. A contrario, peut-on en conclure qu’un avantage fiscal dont l’efficacité serait jugée insuffisante pourrait être déclaré inconstitutionnel ? A première vue, cela peut paraître surprenant. Cela impliquerait que la haute juridiction s’autorise à exercer un contrôle sur l’opportunité de la politique fiscale, ce qui irait à l’encontre de sa jurisprudence selon laquelle l’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement. Mais on peut aussi considérer que l’octroi d’avantages fiscaux, à l’efficacité douteuse, se heurte à des principes de valeur constitutionnelle : le principe d’égalité devant l’impôt, l’objectif d’une bonne intelligibilité de la loi fiscale et l’exigence d’une saine gestion des finances publiques. Sur ce fondement, une jurisprudence plus audacieuse et constructive tendant à sanctionner la multiplication des dérogations fiscales inefficaces économiquement ou socialement pourrait se justifier.
102Malgré cette perspective, incertaine, la décision du 27 décembre 2002 laisse une impression d’insatisfaction sur le plan du fonctionnement du contrôle de la constitutionnalité des lois de finances. En effet, on constate : que la majorité des griefs soulevés par les requérants ont été rejetés ; que celui qui a été retenu a conduit le Conseil à annuler une disposition dont les requérants souhaitaient renforcer la portée ; enfin, que huit articles de la loi ont été déclarés contraires à la Constitution mais, pour six d’entre eux, à l’initiative du Conseil lui-même, ces dispositions n’ayant pas été contestées par les requérants.
103La censure des cavaliers budgétaires est certes positive. Déjà, la Constitution de 1946 elle-même (art. 16) stipulait que la loi de finances ne pouvait comprendre que des dispositions strictement financières. La règle a été ramenée en 1959 au niveau organique, mais elle est essentielle. On aimerait toutefois que le Conseil impose, avec autant de rigueur, le respect des dispositions énoncées par la Constitution de 1958. On pense, en particulier, à l’article 40 qui limite l’initiative parlementaire afin de protéger les finances publiques et dont le respect est bien mal assuré. Plus personne ne semble surpris, ainsi, d’entendre le Premier ministre déclarer devant le Sénat, le 27 janvier 2003, au sujet du projet de loi sur l’initiative économique : « qu’il pourra y avoir dans la discussion parlementaire, aussi bien à l’initiative du gouvernement que du Parlement, des allégements sur toutes les mesures de fiscalité ». En d’autres termes, on admet désormais que les parlementaires puissent proposer de diminuer les recettes publiques. Et la jurisprudence constitutionnelle en ce domaine est particulièrement indulgente puisqu’elle considère que l’inconstitutionnalité au titre de l’article 40 ne peut plus être invoquée devant le Conseil si l’irrecevabilité n’a pas été soulevée au cours des débats.
104Mais cette jurisprudence restrictive ne peut, évidemment, interdire au Conseil de soulever lui-même d’office l’inconstitutionnalité de certaines dispositions adoptées en violation de l’article 40. Cela aurait pu être le cas, par exemple, de l’article 107 de la loi de finances pour 2003, issu d’un amendement parlementaire et qui élargit le privilège des bouilleurs de cru. Si l’on souhaite donner à la jurisprudence financière une plus grande cohérence et une meilleure efficacité, il faudrait que le Conseil fasse preuve d’un peu plus d’audace et d’imagination dans la construction de sa politique jurisprudentielle.
105Loïc Philip
II – DÉLÉGALISATION
106— Décision n° 2002-192 L du 10 octobre 2002 (Nature juridique d’une disposition de l’article 443-3-1 du code du travail), JO 26 décembre 2001, p. 20582.
107— Décision n° 2002-193 L du 21 novembre 2002 (Nature juridique de certaines dispositions du code du service national relatives aux volontaires civils), JO 26 décembre 2001, p. 20582.
III – CONTENTIEUX DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
108Par neuf décisions, rendues les 10,17,24,31 octobre, 7,14,21,28 novembre et 19 décembre 2002, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur 57 réclamations. Il a annulé les opérations électorales dans la 23e circonscription du Nord (distribution de tracts le vendredi précédant l’élection), dans la 17e circonscription de Paris (affiches posées sur les panneaux électoraux d’un candidat le vendredi précédant l’élection et le mettant en cause), dans la 5e circonscription du Val-d’Oise (affiche électorale posée sur les panneaux officiels d’information d’un office public HLM ) et dans la circonscription des îles de Wallis et Futuna (nombre de suffrages irrégulièrement exprimés supérieur à l’avance du candidat vainqueur). Par ailleurs, trente-sept candidats ont été déclarés inéligibles pour défaut de présentation des comptes de campagne par un membre de l’ordre des experts-comptables et comptables, soixante-et-un candidats pour non-respect du délai de présentation des comptes, et dix candidats pour rejet des comptes par la commission nationale des comptes de campagne.
IV – OBSERVATIONS SUR L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE
109— Décision du 7 novembre 2002 portant observations du Conseil constitutionnel sur l’élection présidentielle des 21 avril et 5 mai 2002, JO 26 décembre 2001, p. 20582.
V – AUTRES DÉCISIONS
110— Décision du 17 octobre 2002 portant nomination des rapporteurs adjoints au Conseil constitutionnel, JO 20 octobre 2002, p. 17448, rectificatif JO 3 novembre 2002, p. 18311.
111— Décision du 31 octobre 2002 portant nomination d’un rapporteur adjoint auprès du Conseil constitutionnel, JO 3 novembre 2002, p. 18211.
Notes
-
[1]
J. Caillosse, « Le droit administratif saisi par la concurrence ? », AJDA, 2000, p. 99 et s.
-
[2]
Loi 2002-1094 du 29 août 2002 d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure, JO 30 août 2002, p. 14398.
-
[3]
J.-E. Schoettl, « La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure devant le Conseil constitutionnel », Petites affiches, 11 septembre 2002, n° 182, p. 6.
-
[4]
Décision 2002-460 DC du 22 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, JO 30 août 2002, p. 14411.
-
[5]
Décision 81-132 DC du 16 janvier 1982, Nationalisations, RJC I-104.
-
[6]
J.-L. Mestre, « Le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et le droit de propriété », D., 1984, chron. p. 1. Voir également V. Delvolvé, La liberté d’entreprendre, thèse Paris II - Panthéon-Assas, 2002,516 p., spec. p. 126 et s.
-
[7]
J.-L. Mestre, préc.
-
[8]
Idem.
-
[9]
CE, 28 octobre 1960, Martial de Laboulaye, Rec. 570, AJDA 1961, p. 20, concl. Heumann; CE Ass., 16 décembre 1988, Association des pêcheurs aux filets et engins, Garonne, Isle et Dordogne, Rec. 448.
-
[10]
J.-Y. Chérot, Droit public économique, Economica, coll. « Corpus Droit public », Paris, 2002, p. 38.
-
[11]
CE 16 février 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, req. n° 208205 et 212449.
-
[12]
CE, 5 octobre 1998, Fédération française des pompes funèbres et Association Force ouvrière consommateurs, req. n° 193261 et 193359.
-
[13]
CE, 28 mars 2001, Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance, req. n° 155896.
-
[14]
V. Delvolvé, La liberté d’entreprendre, thèse Paris II - Panthéon-Assas, 2002, spec. p. 388 et s.
-
[15]
CE, ord. réf., 12 novembre 2001, Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840.
-
[16]
CE, ord. réf., 25 avril 2002, Société SARIA Industries, req. n° 245414.
-
[17]
P. Delvolvé, Droit public de l’économie, Dalloz, Paris, 1998, p. 109.
-
[18]
Décision 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999, RJC I-783.
-
[19]
Sur cette notion doctrinale, B. Mathieu et M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, LGDJ, Paris, 2002, p. 431 et s.
-
[20]
B. Mathieu et M. Verpeaux, Chronique de jurisprudence constitutionnelle, n° 28 (2e partie), Petites affiches, 17 septembre 2002, n° 186, p. 9.
-
[21]
P. Delvolvé, « Sécurité intérieure, justice et contrats publics : confirmations et infléchissements », Bulletin juridique des contrats publics, 2002, n° 25, p. 418.
-
[22]
Sur cette question, qu’il nous soit permis de renvoyer à nos commentaires précédents : « L’égalité dans tous ses états (note sous Conseil constitutionnel 2001-450 DC ) », cette Revue, 48-2001, p. 767-770 et « Le législateur, la protection sociale et la libre entreprise (à propos de la décision du Conseil constitutionnel 2001-451 DC du 27 novembre 2001) », cette Revue, 49-2002, p. 174 et s.
-
[23]
J.-Y. Chérot, J. Trémeau, « La commande publique et le partenariat public/privé à nouveau devant le Conseil constitutionnel », AJDA, 2002, n° 16, p. 1062.
-
[24]
T. Di Manno, Le juge constitutionnel et la technique des décisions « interprétatives » en France et en Italie, Economica- PUAM, coll. « Droit public positif », Paris - Aix-en-Provence, 1997.
-
[25]
À propos de l’attribution d’un marché public à un établissement public administratif, CE, Avis, 8 novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants, n° 2222080 (RFDA, 2001, p. 106, concl. C. Bergeal ; notes M. Guyomar et P. Collin, AJDA 2000, p. 987; M.Degoffe et J.-D. Dreyfus, CJEG 2001, p. 58) et la décision du TA de Dijon, 20 février 2003, n° 99245, dans la même affaire, selon laquelle les éléments du dossier « ne suffisent pas à établir que l’offre remise au district de l’agglomération dijonnaise aurait porté atteinte au principe de libre concurrence ». Dans le même sens, à propos de l’UGAP, CE, 27 juillet 2001, CAMIF, req. n° 218067.
-
[26]
Considérant 5.
-
[27]
Décision 93-335 DC du 21 janvier 1994, Urbanisme et construction, cons. 27, RJC I-576, à propos des ventes de terrains constructibles par les collectivités locales, leurs groupements et leurs établissements publics.
-
[28]
Décision n° 2001-452 DC du 6 décembre 2001, MURCEF, cette Revue, 49-2002, p. 181, note V. Bertile.
-
[29]
Décision 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Archéologie préventive, Rec. p. 42.
-
[30]
Décision 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, Rec. p. 145.
-
[31]
Avis 96-A-12 du 17 septembre 1996,97-A-10 du 15 février 1997 et 99-A-21 du 8 décembre 1999 cités par J.-Y. Chérot, J. Trémeau, art. cit., p. 1061-1062.
-
[32]
J.-Y. Chérot, Droit public économique, Economica, coll. « Corpus Droit Public », Paris, 2002, p. 47.
-
[33]
Conseil d’État, Rapport public 1991, Études et documents n° 43, La Documentation française, Paris, 1992, p. 20.
-
[34]
Décision 2002-460 DC du 22 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, JO 30 août 2002, p. 14411, confirmée par la décision 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, JO 10 septembre 2002, p. 14953.
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[35]
Décision 2001-450 DC du 11 juillet 2001, DDOSEC, Rec. p. 82.
-
[36]
CE Ass. 5 mars 1999, Confédération nationale des groupes autonomes de l’enseignement public et CE, Ass., 5 mars 1999, M. Rouquette et autres, Rec. p. 37, concl. contraires C. Maugüé, RFDA, 1999, p. 357; D. de Bechillon et P. Terneyre, RFDA, 1999, p. 372, J.-P. Camby, RDP, 1999, p. 1223, J.-L. Matt, Petites affiches, 1er novembre 1999 (217), p. 9. Solution confirmée notamment par CE, 17 mars 1999, Union professionnelle artisanale, req. n° 194491 et 194545.
-
[37]
Décision 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, JO 18 janvier 2002, p. 1053.
-
[38]
J.-E. Schoettl, « La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure devant le Conseil constitutionnel », Petites affiches, 11 septembre 2002, n° 182, p. 5.
-
[39]
J.-Y. Chérot et J. Trémeau, « La commande publique et le partenariat public/privé à nouveau devant le Conseil constitutionnel », AJDA, 2002, n° 16, p. 1069.
-
[40]
Ainsi, l’objectif de valeur constitutionnelle relatif à la possibilité pour toute personne d’obtenir un logement décent ne saurait recevoir application, eu égard à son caractère programmatique, que dans les limites des lois adoptées par le Parlement en vue de pourvoir à sa mise en œuvre ( TA Versailles, 31 mai 1996, RJS 1996, n° 865).
-
[41]
Sur l’apparition de cette technique contentieuse, D. Broussolle, « Les lois déclarées inopérantes par le juge constitutionnel », RDP, 1985, p. 751.
-
[42]
Décision 2000-435 DC du 7 décembre 2000, Loi d’orientation pour l’outre-mer, cons. 11, Rec. p. 164.
-
[43]
Décision 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, précitée, cons. 55 à propos de l’article 40 de la loi invitant le Gouvernement à organiser, dès la publication de la loi déférée, « une concertation avec les organisations syndicales en ce qui concerne l’élection des représentants des salariés au sein des conseils d’administration des organismes du régime général de sécurité sociale et avec les organisations patronales en ce qui concerne l’élection des représentants des employeurs ».
-
[44]
Décision 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 90, JO 19 mars 2003, p. 4789.
-
[45]
Ainsi, le secrétaire général du Conseil constitutionnel souligne-t-il, à propos de la loi d’orientation et de programmation pour la justice, qu’ « eu égard au volume et à la complexité de la loi déférée, à la période de l’année à laquelle le Conseil a procédé au contrôle de sa conformité à la Constitution et en l’absence de disposition manifestement inconstitutionnelle parmi toutes celles qui n’étaient pas expressément contestées par les requérants, la décision ne statue pas d’office, sinon, par symétrie avec la d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, sur le rapport annexé à la loi déférée » (souligné par nous) (J.-E. Schoettl, « La loi d’orientation et de programmation pour la justice devant le Conseil constitutionnel », Petites affiches, 5 septembre 2002 (178), p. 30).
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[46]
J.-P. Camby, « Deux points de vue sur les annexes législatives », avec S. Guy, RDP, 2002, n° 5, p. 1255.
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[47]
En ce sens, J.-E. Schoettl, précité, p. 15 et M. Verpeaux, Chronique de jurisprudence constitutionnelle, n° 29, Petites affiches, 6 janvier 2003, n° 4, p. 9.
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[48]
J.-P. Camby, S. Guy, art. cit.
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[49]
J.-Y. Chérot et J. Trémeau, art. cit., p. 1069.
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[50]
Pour la 14e fois (sur un total de 29), une résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale à été adoptée à l’unanimité.
-
[51]
Le recours à des règles non écrites s’explique notamment par le besoin de souplesse nécessaire au bon fonctionnement interne des assemblées et, parfois, par la volonté d’échapper au contrôle du Conseil constitutionnel. Pour de plus amples développements, voir S.de Cacqueray, Le Conseil constitutionnel et les règlements des assemblées, Paris/Aix-en-Provence, Eco-nomica- PUAM, 2001, p. 306-323.