Notes
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[1]
S’agissant des problèmes engendrés par la non-application de l’article 6 C., cf. l’étude, désormais classique, réalisée dans les années soixante-dix par le professeur Udina, « Sull’attuazione dell’art 6 C. per la tutela delle minoranze linguistiche », in Giur. Cost., 1974, p. 3602 et s.
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[2]
Cette loi a donc pour fonction d’établir les principes fondamentaux qui concernent cette matière, elle laisse la mise en œuvre effective de la loi à la charge des régions. Ainsi, selon le texte de l’article 13 de la loi n° 482 du 15 décembre 1999, « les régions à statut ordinaire, dans les matières de leur compétence, adaptent leur législation aux principes établis par la présente loi, exception faite des dispositions législatives régionales en vigueur qui prévoient des conditions plus favorables pour les minorités linguistiques ».
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[3]
Loi n° 482 du 15 décembre 1999, GU du 20 décembre 1999.
-
[4]
Le texte de loi a été, initialement, déposé auprès de la Chambre des députés le 9 mai 1996 à l’initiative principalement du parlementaire Francesco Corleone (Misto, Verdil’Ulivo). Cette proposition originaire sera, par la suite, l’objet de nouvelles et nombreuses modifications avant de pouvoir être présentée à l’Assemblée lors de la XIIIe législature en mai 1998 puis d’être enfin adoptée par la Chambre le 17 juin 1998 durant la séance n° 374. Ce texte (C. 169 bis) a dû, cependant, intégrer les propositions C. 300, C. 396, C. 918, C. 1867, C. 2086, C. 2973. Le projet de loi-cadre a ensuite été transmis au Sénat où il a fait l’objet de l’examen des commissions réunies : « Instruction publique et biens culturels » (rapporteur le sénateur Maria Grazia Pagano, Dem. Sin-Ulivo); « Affaires constitutionnelles » (rapporteur le sénateur Felice Carlo Besostri, Dem. Sin-Ulivo). Ces organes parlementaires ne vont débuter l’examen du texte qu’en novembre 1998. La proposition de loi (S.3366) sera définitivement adoptée le 25 novembre 1999 et intègre les propositions S. 424, S. 1207, S. 2082, S. 2332, S. 3037 et S. 3426.
-
[5]
Article 6 de la Constitution italienne : « La République protège par des normes spécifiques les minorités linguistiques ».
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[6]
Cf., sur cette question, les analyses du professeur A. Pizzorusso, Il pluralismo linguistico tra stato nazionale e autonomi regionali, Pisa, 1975; également, S. Bartole (a cura di), La tutela giuridica delle minoranze, Cedam, 1998; E. Palici di Suni Prat, Intorno alle minoranze, Giappichelli, Torino, 1999.
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[7]
Existent, en effet, des Occitans dans le Piémont et en Calabre; des Albanais en Sicile et dans les zones des Puglia, Basilicata et des Abruzzi; de même des Catalans résident en Sardaigne…
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[8]
La jurisprudence de la Cour, s’agissant de cette question, a été conduite à évoluer. Dans un premier temps, la Cour constitutionnelle a nié la compétence des régions en matière de protection des minorités conformément à l’existence d’une réserve de loi bénéficiant au législateur national : cf., l’arrêt n° 32 du 18 mai 1960. Ce n’est qu’avec l’arrêt n° 312 du 18 octobre 1983 que la situation va véritablement changer permettant d’accorder une compétence normative aux régions afin d’appliquer pleinement le principe constitutionnel énoncé par l’article 6 C.
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[9]
Cf. également sur cette thématique, les arrêts n° 62 de 1992 et n° 15 de 1996.
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[10]
Cf., Giur. Cost., 1982,1,248 et s. Sur cette décision, voir P. Carroza, « Il prudente atteggiamento della Corte in tema di garanzi linguistiche nel processo e le sue conseguenze sulla condizione giuridica della minoranza slovena », in Foro It, 1982,1,1815 et s.
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[11]
Les populations germaniques sont dispersées dans les Alpes, les Ladins dans les provinces de Belluno et de Trento, les Occitans dans le Piémont, les Albanais dans le Midi, les Grecs dans divers villages des Pouilles et de la Calabre, les Croates dans certains villages du Molise, les Franco-provençaux dans la province de Foggia, les Occitans en Calabre et les Sardes et certains Catalans dans la ville de Alghero en Sardaigne.
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[12]
On connaît, au-delà des tentatives classiques de définition énoncée par les experts, les délicates questions que peut engendrer la mise en place d’une définition de la minorité linguistique. Divers critères de classification et de définition ont été ainsi proposés sans véritable succès : un critère numérique – critère véritablement extrinsèque ; un critère historique ; un critère fondé sur la situation de pouvoir ; un critère anthropologique fondé sur l’analyse de l’intensité de la loyauté au regard de la langue parlée ; un critère de résidence prenant en compte la stabilité de celle-ci…
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[13]
Cf. C. 7433, « Riconoscimento e tutela delle minoranze rom, sinte e caminanti », texte présenté le 15 novembre 2000 à la Chambre sur l’initiative de Maria Celeste Nardini (Misto, Rifond. Com. Prog.) et Maria Lenti (Misto, Rifond. Com. Prog.).
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[14]
Cf., par exemple, F. Castro, « La minoranza islamica in Italia », in La tutela giuridica delle minoranze, op. cit., p. 171-187. Certains auteurs comme De Vergottini n’hésitent pas à affirmer que l’article 6 de la Charte fondamentale devrait être utilisé comme paramètre de protection s’agissant de ces populations immigrées. De Vergottini, « Verso una nuova definizione del concetto di minoranza », in Regione e governo locale, 1995, p. 9 et s.
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[15]
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Conseil de l’Europe, Traités européens, STE, n° 148, Strasbourg, 5 novembre 1992.
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[16]
A cette date, ce principe n’était présent que dans les « lois constitutionnelles » offrant des statuts régionaux au Trentin-Haut-Adige et à la vallée d’Aoste (Loi constitutionnelle n° 4 du 26 février 1948, cependant, ce dernier texte prévoit aux termes de l’article 38 une position de parité entre la langue italienne et la langue française hormis au regard des procédures juridictionnelles).
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[17]
Cf., sur cette question, l’analyse du professeur E. Palici di Suni Prat, Intorno alle minoranze, Giappichelli editore, Torino, 1999, p. 93.
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[18]
Cette logique semble devoir être rapprochée de celle qui a présidé à l’établissement de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui présente la langue comme l’expression d’un élément interculturel n’étant pas nécessairement nuisible à la langue officielle. Pour une analyse critique de cette perception, cf. B. Poche, Les langues minoritaires en Europe, PUG-Transeurope, 2000, p. 101 et s.
-
[19]
Conformément à l’article 3, alinéa 1, « la délimitation du domaine territorial et infracommunal dans lequel s’appliquent les dispositions protectrices des minorités linguistiques historiques prévues par la présente loi est adoptée par le Conseil provincial, après avis des communes intéressées, sur demande d’au moins quinze pour cent des citoyens inscrits sur les listes électorales et résidant dans ces communes, ou bien d’un tiers des conseillers municipaux de ces communes ». Article 3, alinéa 2, « dans l’hypothèse dans laquelle n’existe aucune des deux conditions énumérées à l’alinéa 1 et alors que sur le territoire demeure une minorité linguistique comprise dans la liste énumérée à l’article 2, la procédure débute lorsque la population résidante se prononce favorablement au moyen de consultations promues par des sujets ayant les titres pour agir et conformément aux modalités prévues par les statuts et les règlements communaux ». Article 3, alinéa 3, « lorsque les minorités linguistiques auxquelles se réfère l’article 2 se trouvent distribuées sur différents territoires provinciaux ou communaux, peuvent être constitués des organismes de coordination ou de proposition que les organes locaux intéressés ont la possibilité de reconnaître ». Ce dernier alinéa est d’un intérêt tout particulier, il est en effet susceptible de permettre la protection de minorités comme les Ladins, les Walsers et les Albanais dont la population est éclatée entre plusieurs provinces ou communes.
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[20]
Le problème des droits des minorités lato sensu découle de la difficulté de reconnaître et d’admettre « des droits fondamentaux additionnels » au profit des minoritaires. Cette question est généralement masquée par le problème de la définition des minorités, mais demeure, cependant, l’objet d’un débat qui doit être maintenu distinct du précédent. En ce sens, le droit des minorités prend le risque de mettre en place « des droits modulables selon que l’individu appartient à l’État au groupe majoritaire ou au groupe minoritaire… ce qui reviendrait à réduire l’autonomie (la liberté individuelle) de tous les citoyens ». En ce sens, « il serait contraire à la règle la plus fondamentale de l’État démocratique d’accorder à un ou plusieurs groupes minoritaires l’option de ne pas être soumis automatiquement à la règle majoritaire ». Cf. N. Levrat, « Solutions institutionnelles pour des sociétés plurielles », in Minorités et organisation de l’État : textes présentés au quatrième colloque international du Centre international de la common law en français, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 5.
-
[21]
Cf., sur cette question, les travaux du professeur G. Koubi, « La République française face aux minorités : silences et réticences », in Minorités et organisation de l’État : textes présentés au quatrième colloque international du Centre International de la Common Law en français, Bruylant, Bruxelles, 1998, en particulier p. 256 et s., « silences confus : minorités et administration du territoire ».
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[22]
Sur le caractère polysémique de la notion, cf. L. Favoreu (dir.), Droit constitutionnel, Précis Dalloz, Paris, 1998, p. 52.
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[23]
Cf. P. Richard, « Le principe pluraliste en Italie », in Civitas Europa, PUF de Nancy, septembre 1999, p. 65.
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[24]
Pour une appréciation très critique au regard de cette démarche dans un contexte différent, cf. F. Mélin-Soucramanien, « La République contre Babel », RDP, 1999, n° 4, p. 985 et s.
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[25]
Article 4, alinéa 1, « dans les écoles maternelles des communes auxquelles se réfère l’article 3, l’éducation linguistique prévoit à côté de l’usage de la langue italienne, l’usage de la langue de la minorité pour le déroulement de l’activité éducative. Dans les écoles élémentaires et dans les écoles secondaires de premier degré est prévu également l’usage de la langue de la minorité comme instrument d’enseignement ».
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[26]
Conformément à l’article 116, alinéa 4, de la Constitution : « les langues officielles de la Confédération sont l’allemand, le français et l’italien. Le romanche est langue officielle pour les rapports que la Confédération entretient avec les citoyens romanches ».
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[27]
Cf. Secolo d’Italia, « Minoranze linguistiche : gli italianisti insorgono contro la legge », 2 décembre 1999; Avvenire, « Andreotti : Ciampi non promulghi legge su dialetti », 2 décembre 1999; L’Unità, « No alla discrimazione dei dialetti : appello a Ciampi contro il testo sulle minoranze linguistiche », 2 décembre 1999; Adnkronos, « Legge minoranze linguistiche : monta la protesta, appelli a Ciampi linguisti, giuristi e politici chiedono di non firmare », 1er décembre 1999.
-
[28]
Il est également possible de percevoir cet article comme une illustration de l’égalité formelle énoncée à l’article 3, alinéa 1, étendue au moyen de l’usage de la ragionevolezza. Il doit être noté que cet article met également en œuvre un principe général d’interdiction de discriminations fondées sur le sexe, la race, la langue, la religion, les opinions politiques et les conditions personnelles et sociales. Ce principe manifeste ainsi l’application d’une égalité dans la règle de droit.
-
[29]
« Il ne suffit pas d’accepter que la norme en examen ne soit pas en opposition avec les préceptes indérogeables posés à l’article 3, alinéa 1. La jurisprudence de cette Cour est constante, le principe d’égalité est violé également lorsque la loi, sans un motif ragionevole, fait un traitement différent aux citoyens qui se trouvent dans des situations égales », arrêt n° 15 de 1960, point n° 3 du considérant en droit.
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[30]
Cf. Calogero, « La scuola, le scienze, le arti », in Commentario sistematico alla Costituzione italiana, Firenze, 1950, I, p. 315.
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[31]
La Cour constitutionnelle dans cet arrêt n° 409 (in Giur. Cost., 1999, p. 3143, note E. Palici di Suni Prat, p. 3152 et s.) traite de la question de l’utilisation de la langue maternelle minoritaire dans le procès pénal. Après avoir observé que le régime actuel de protection des minoritaires correspond à une logique fondée sur la reconnaissance d’un critère territorial, elle admet qu’il appartiendrait au législateur, éventuellement, et dans le cadre de sa liberté d’appréciation, d’opter pour un critère de protection basé non plus sur un fondement territorial mais sur un critère personnel. Cet exemple démontre les possibilités qui restent offertes au juge constitutionnel de développer le régime de protection ou bien de supprimer certaines incohérences présentes dans l’ordonnancement italien. Ainsi, le juge peut être conduit à s’interroger sur la possibilité pour le justiciable de s’exprimer dans la langue minoritaire en dehors du territoire d’implantation de la minorité dans l’hypothèse où le procès est renvoyé à une juridiction située en dehors de ce territoire pour des motifs tenant à la garantie de la sérénité des juges lorsque le procès concerne un magistrat.
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[32]
La Cour constitutionnelle dispose maintenant d’une jurisprudence étoffée sur cette question de la protection des minorités. Pour ne retenir que les arrêts les plus récents : arrêt n° 456 de 1999; arrêt n° 406 de 1999; arrêt n° 356 de 1998; arrêt n° 352 de 1998; arrêt n° 213 de 1998; arrêt n° 15 de 1996; arrêt n° 425 de 1995; arrêt n° 375 de 1995; arrêt n° 29 de 1995; arrêt n° 16 de 1995; arrêt n° 290 de 1994; arrêt n° 271 de 1994; arrêt n° 233 de 1994; arrêt n° 95 de 1994; arrêt n° 438 de 1993; arrêt n° 260 de 1993; arrêt n° 62 de 1992; arrêt n° 191 de 1991…
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[33]
Selon les termes de l’article 9, alinéa 2, pour rendre effective la faculté à laquelle se réfère l’alinéa 1, les administrations publiques entendent garantir la présence d’un personnel qui soit en mesure de répondre aux demandes du public en usant de la même langue. Dans ce but est institué, près la présidence du Conseil des ministres, Département pour les affaires régionales, un fonds national pour la protection des minorités linguistiques avec une dotation financière annuelle de 9 milliards huit cents millions lires à compter de 1999.
1Le 15 décembre 1999, à l’issue d’une attente de près de cinquante ans [1], la loi-cadre [2] n° 482 « sur la protection des minorités linguistiques historiques » [3] a été adoptée par le Parlement italien. L’exigence longtemps différée d’une protection générale des minorités linguistiques a ainsi suscité le vote d’un texte ayant fait l’objet d’un cheminement parlementaire erratique de près de trois ans. L’iter de ce texte de loi, se présente comme le reflet naturel des différentes contradictions qui ont traversé, depuis maintenant plus d’un demi-siècle, la question de la protection des minorités linguistiques en Italie [4].
2Cette loi-cadre n° 482 est l’aboutissement d’un processus suscité par l’article 6 de la Constitution [5]. En l’absence d’une loi générale, la protection des minorités linguistiques, au-delà des Alpes, était traditionnellement caractérisée par l’application du principe de spécialité. En ce sens, les minorités protégées tenaient leur statut non directement de l’article 6 de la Constitution – longtemps entendu au seul titre de norme programmatique – mais de dispositions spécifiques contenues dans des statuts spéciaux approuvés par des lois constitutionnelles (Vallée d’Aoste, Trentin-Haut-Adige, Frioul Vénétie Julienne [6] ). Pour les minorités implantées dans d’autres zones géographiques [7] de l’Italie la protection – lorsqu’elle existait – résultait, d’une part, de la possibilité reconnue récemment à certaines régions d’adopter, dans le cadre des compétences qui leur ont été attribuées, des lois régionales protectrices [8]; d’autre part, de l’action du juge constitutionnel qui à compter de l’arrêt n° 28 de 1982 [9], a cherché à mettre en place un statut minimal appliqué aux membres des minorités reconnues par l’ordonnancement italien [10]. La Cour a ainsi été conduite à considérer qu’en présence d’une « minorité reconnue » la République italienne devait assurer aux minoritaires un niveau minimal de protection afin de rendre effective l’assistance offerte par l’article 6 de la Charte républicaine. Au regard de cette évolution complexe, le rôle de la Haute juridiction constitutionnelle a été essentiel aussi bien s’agissant de l’abandon de la réserve de loi étatique qu’en matière d’élargissement des droits reconnus aux minoritaires. L’effectivité de l’application des dispositions contenues dans l’article 6 de la Charte républicaine a ainsi été laissée depuis cinquante ans à la garde quasi-exclusive du juge constitutionnel. Celui-ci, de facto, se trouvait hissé par la force des choses et par la grâce de l’impuissance du législateur au rang de garant et de promoteur du pluralisme idéologique et institutionnel en Italie.
3Sachant que l’on compte toujours les défauts de ce qui se fait attendre, cette loi doit être appréciée à l’aune des attentes, plus ou moins légitimes, que l’annonce de son adoption a fait naître. Ainsi, le régime de protection assuré par la loi ne répond que bien imparfaitement aux exigences de certains défenseurs de la cause des minorités. De fait, ce texte véhicule une idéologie minimaliste au regard de la protection des minorités linguistiques. Ce minimalisme s’exprime, de manière patente, au travers de la définition retenue de la notion de minorité linguistique (I). En outre, la loi n° 482 n’autorise qu’une protection statique des situations de bilinguisme déjà effectives sur le territoire de la République. Texte de compromis par nature, les critiques qui peuvent lui être adressées au titre de son champ matériel d’application sont donc nombreuses (II). Enfin, des réserves doivent être émises s’agissant de l’effectivité du texte au regard, soit de la conformité de la loi aux principes énoncés par la Charte fondamentale tels qu’ils ont été interprétés à la lumière de la jurisprudence de la Haute juridiction constitutionnelle sur cette thématique, soit de la pression financière que cette loi est à même de susciter sur le budget de l’État (III).
I – UNE DÉFINITION MINIMALISTE DES MINORITÉS LINGUISTIQUES
4Les minorités qui sont protégées sont exclusivement les minorités linguistiques historiques retenues comme telles par la loi-cadre. Dans cette perspective, la loi de décembre 1999 engendre une conception à la fois garantiste et statique des minorités. La possibilité d’une « appropriation ethnique » de la loi est donc volontairement gommée de même qu’une perception dynamique des droits des minorités et des droits des minoritaires au profit de garanties offertes à des minorités historiques expressément énumérées. En outre, celles-ci sont, d’emblée, appréhendées par le texte de loi comme des éléments insécables du patrimoine culturel de la République et sont, en ce sens, dotées d’une représentation politique et administrative intégrée au système de valeurs reconnu par la République italienne.
5L’on sait que chacun a son défaut, où toujours il revient… Le défaut récurrent des régimes de protection offerts aux minorités tient, bien évidemment, à la définition initiale du concept. S’agissant de cette épineuse question les auteurs du texte ont cherché à circonscrire le sujet de la protection afin de ne pas s’embarrasser de polémiques stériles. L’article 2 de la loi n° 482 de 1999 détermine ainsi nettement le champ d’application de la protection allouée par la loi aux minorités linguistiques concernées. En ce sens, il affirme « en application de l’article 6 de la Constitution et en harmonie avec les principes généraux établis par les organismes européens et internationaux, la République protège la langue et la culture des populations albanaises, catalanes, germaniques, grecques, slovènes et croates et de celles parlant le français, le franco-provençal, le frioul, le ladin, l’occitan et le sarde » [11]. Ce texte s’attache donc à résoudre concrètement la question complexe de la délimitation du concept de minorités linguistiques [12]. Devant l’impossibilité de mettre en place un concept opératoire permettant cette délimitation, la seule voie réellement praticable consistait dans l’établissement d’une liste exhaustive. Bien évidemment, la mise en place de cette liste n’avait rien d’évident et a été l’objet de discussions délicates démontrant ainsi que la mise en place d’une liste ne fait que déplacer la question posée par l’absence d’une définition.
6Sur cette base, le texte semble se fonder sur un élément de référence qui n’est objectif qu’en apparence. La loi permet d’assurer la protection des « minorités historiques ». Il s’agit donc de prendre en considération principalement la date d’implantation des minorités linguistiques sur le territoire national. Cependant, il est évident que la nature objective de ce critère est doublement critiquable. D’une part, ce pseudo-critère n’assure pas la mise en place d’un seuil temporel fiable et pertinent au-delà duquel une communauté n’est plus seulement une minorité mais devient une « minorité historique ». D’autre part, le texte de loi occulte volontairement certaines des minorités historiques. Ainsi, par exemple, la référence à la minorité tzigane, qui doit être naturellement entendue comme une « minorité historique » du fait de l’ancienneté de son implantation, en Italie, a disparu du texte de loi définitif en raison d’un risque d’obstruction parlementaire induit par la résistance et les menaces des formations de droite. Dans un premier temps, le traitement accordé à cette minorité avait été uniquement dissocié du régime de protection octroyé aux autres minorités et faisait donc l’objet d’un alinéa distinct. Dans un second temps, les parlementaires ont fait disparaître toute référence à cette minorité du texte de loi et ont jugé plus opportun d’appréhender cette question dans un projet ultérieur. In fine, cette lacune semble devoir être comblée par l’adoption d’un projet de loi actuellement en discussion devant les Chambres [13]. Nonobstant, la question des nouvelles minorités reste posée. Quel doit être le traitement à apporter, par exemple, aux « nuove minoranze » engendrées par l’afflux des populations immigrées [14] … ?
7La volonté patente d’écarter les minorités tziganes de la protection offerte par la loi démontre également l’usage implicite d’un second critère, en quelque sorte, géo-démocratique. Celui-ci peut s’apprécier en référence à la nature sédentaire ou nomade d’une minorité. De facto, il résulte de l’examen du texte que seules les minorités ayant une relation stable avec le territoire d’une zone territoriale déterminée ont été considérées comme des minorités dignes de protection. Il y a là, de manière évidente, une référence à un impensé politique : la protection existe, en effet, au profit des minorités qui, dès maintenant, disposent d’une protection ou tout au moins d’une certaine représentation administrative ou politique [ainsi, le Piémontais de même que le Vénitien, le Napolitain, ou le Sicilien ne sont absolument pas pris en compte dans le texte de la loi].
8Les minorités les plus diffuses sont donc écartées des bénéfices du texte. Cette démarche semble démontrer la présence dans ce texte de deux thématiques. D’une part, il existe une volonté de démontrer que l’objet de la loi, son fondement, réside dans la préservation et la promotion des cultures présentes sur le territoire de l’État au titre du patrimoine culturel de la République – et donc un refus d’une appropriation ethnique du régime de protection. D’autre part, se manifeste une protection de l’existence des « minorités historiques » et donc une appropriation politique par les organes de représentation des minorités de la protection offerte.
II – DES CRITIQUES SUR LE CONTENU
9La loi du 15 décembre exprime une conception garantiste et statique de la protection accordée aux minorités linguistiques historiques. Celle-ci se révèle, à la fois, dans la mise en place d’une appropriation politique du régime de protection (A) ainsi qu’au travers de l’examen des matières et des mécanismes susceptibles d’assurer cette protection (B).
A – UN CHOIX QUI PRIVILÉGIE LA PROTECTION DE L’EXISTENCE AU DÉTRIMENT DU DÉVELOPPEMENT DE L’IDENTITÉ CULTURELLE
10Le texte de la loi n° 482 se réfère, expressément, à la logique de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires [15]. Aujourd’hui, il est devenu commun d’affirmer que ce texte est tout entier innervé par le souhait de présenter les langues régionales ou minoritaires comme l’expression des traditions et de la richesse culturelle de l’Europe. Ainsi, se conformant à une logique en apparence identique, l’article 1, alinéa 1, affirme que la langue officielle de la République italienne est l’italien [16]. Par ailleurs, la loi prend soin de signaler que le texte tend à permettre une prise en compte des langues comme patrimoine culturel devant être valorisé par la République italienne [17] (article 1, alinéa 2, « la République, qui valorise le patrimoine linguistique et culturel de la langue italienne, assure par ailleurs la promotion et la valorisation des langues et des cultures protégées par la présente loi ») [18]. Le texte démontre donc que le patrimoine linguistique des minorités appartient à la République italienne tout entière et refuse, de la sorte, d’avaliser l’hypothèse d’une appropriation ethnique du patrimoine linguistique.
11En substance ce texte démontre, certes, la volonté exprimée par le législateur national de préserver une certaine identité minoritaire locale, mais uniquement au moyen d’une intégration de cette exigence dans un cadre politique et administratif préexistant. L’article 3 du texte permet, en effet, de conférer la délimitation du domaine territorial dans lequel va s’appliquer le régime de la protection des minorités historiques prévu par la loi n° 482 de 1999 à des organes administratifs et/ou politiques provinciaux ou communaux [19]. Ce « bornage territorial » de la protection engendre deux effets principaux. D’une part, il officialise une reconnaissance de la minorité sur la scène politique et administrative de l’État, sur la base d’une représentation instituée. D’autre part, il engendre des effets pernicieux qui occultent les questions relatives aux droits dynamiques des minorités [20] et aux droits spéciaux des membres des minorités en raison de l’immersion de la minorité dans le discours politique de l’État. Cette dernière conséquence supprime, en partie, l’aspect subversif engendré par les exigences en matière de droits des minoritaires [21].
12Cette conception qui met en place un régime de protection « qui ne prête aide et protection qu’aux minorités riches » s’explique dès lors que l’on cherche à situer cette problématique dans la perception pluraliste italienne. L’objet de la loi est ainsi de développer le pluralisme institutionnel et idéologique de la République sans pour autant mettre la cohésion de celle-ci en péril. La notion de République revêt, en Italie, une signification spécifique largement teintée de pluralisme et clairement orientée vers la traduction du concept d’Etat-communauté. Si, selon une appréhension maintenant partagée, l’État est l’organisation politique d’un peuple sur un territoire; cette terminologie peut être entendue d’une manière large et extensive. En ce sens, elle est susceptible de comprendre diverses formes de sociabilité [22]. Le pluralisme valeur essentielle des démocraties libérales connaît, en Italie, une évolution particulière. Le principe est, à la fois, idéologique mais également institutionnel ; il fait donc intervenir entre l’État et l’individu, des « formations sociales » qui respectent la personne tout en matérialisant ses multiples rattachements sociaux. Cette évolution permet d’associer les deux faces de l’État : l’Etat-personne et l’Etat-communauté. Ce particularisme du droit public italien s’enracine dans un terreau constitutionnel qui a vocation à assurer la promotion d’un État complexe articulé sur le respect du pluralisme et de la personne humaine et qui se traduit juridiquement au moyen de la notion de République [23].
13Ce phénomène d’appropriation politique du régime offert par la loi aux minorités qualifiées d’historiques est naturellement renforcé par le choix des matières objet de la protection législative.
B – UN CHOIX CENTRÉ SUR DES MATIÈRES ASSURANT ESSENTIELLEMENT UN BILINGUISME CONSERVATOIRE
14Si le législateur a pris soin d’énumérer les minorités linguistiques historiques, il a été tout aussi consciencieux dans l’énumération des matières qui font l’objet de la protection.
15Les matières qui sont expressément énumérées par la loi-cadre concernent l’enseignement de la langue minoritaire ainsi que l’usage oral et écrit de la langue de la minorité linguistique dans le cadre des relations avec diverses institutions publiques [24].
16Ces droits sont analysés dans les articles 4,7 et 9 du texte. Les articles 10 et 11 du texte s’attachent, quant à eux, d’une part, à l’adoption de règles de toponymie conformes aux traditions locales et, d’autre part, à l’acceptation des noms et des prénoms issus de la langue minoritaire.
17Il est désormais classique d’affirmer, compte tenu des expériences menées au sein des diverses sciences sociales, que l’enseignement de la langue minoritaire constitue l’une des conditions essentielles permettant la préservation de l’identité d’une minorité. En ce sens, l’article 4 permet de répondre à une exigence classique des minorités [25]. Au-delà de la garantie de l’enseignement de la langue minoritaire affirmée à l’alinéa 1 de l’article 4, les institutions scolaires élémentaires et secondaires de premier degré peuvent au regard de l’autonomie qui leur est reconnue en matière d’organisation pédagogique, et dans le respect du cadre général établi au niveau national, prévoir, sur la base des demandes formulées par les parents d’élèves, de concrétiser diverses initiatives tendant à l’approfondissement de la langue de la minorité et au développement des activités d’enseignement de la langue minoritaire et des traditions culturelles des communautés locales. L’article 6 de la loi accorde le droit de bénéficier de cours qui concernent la langue et la culture minoritaire, mais également de développer des activités de recherche spécifiques à cette culture minoritaire. Cependant, certaines lacunes demeurent et limitent le droit de profiter, à tous les niveaux de l’enseignement, de la langue minoritaire. Ainsi, dans l’hypothèse où une minorité ne bénéficie pas sur son territoire (cf. article 3 de la loi) de l’implantation d’une université, elle ne peut jouir des avantages de l’article 6 de la loi.
18Au-delà de l’enseignement de la langue minoritaire le droit d’user de cette langue est également rendu possible au sein des municipalités, des « communautés de montagne » des provinces et des régions dès lors que ces territoires comportent des communes dans lesquelles est reconnue la langue protégée et que celles-ci représentent au moins quinze pour cent de la population globale intéressée (article 7). Lorsque l’un des membres des organes collégiaux ne connaît pas la langue protégée, une traduction immédiate en langue italienne doit être garantie.
19Rappelons, cependant, qu’alors que la loi n’offre qu’une faculté dans l’usage de la langue minoritaire, la langue italienne, langue officielle de la République fait, quant à elle, l’objet d’une véritable garantie (article 7, alinéa 3). Enfin, l’usage de la langue minoritaire est exclu s’agissant des relations entre le citoyen et les forces armées et les forces de maintien de l’ordre (article 9). La loi s’est ainsi refusée à pousser sa logique aussi loin que la loi suisse où les forces armées sont tenues d’utiliser les quatre langues fédérales [26].
20Ce texte de loi se présente comme un compromis entre les aspirations de ceux qui souhaitent un développement des identités locales et ceux qui cherchent à préserver la cohérence de la République italienne. La timidité du législateur paraît de la sorte légitime mais conduit à s’interroger sur l’opportunité de la loi du 15 décembre 1999.
III – DES RÉSERVES SUR L’OPPORTUNITÉ
21Un chœur unanime de réserves, associant pêle-mêle politiques, juristes et linguistes, s’est exprimé dès l’annonce de l’adoption de la loi. Les réserves qui ont été formulées envers ce texte semblent se concentrer, d’une part, sur le caractère « déraisonnable et discriminatoire » du texte et, d’autre part, sur l’aspect irréaliste d’une loi qui impose à l’État une charge financière qu’il est pour l’heure difficile de quantifier et qui semble avoir été sous-évaluée par le texte de loi.
22Ainsi, Giovanni Nencioni (président de l’Académie de la Crusca) estime qu’il serait nécessaire de mieux protéger la langue italienne au lieu de la menacer ; Claudio Marazzini (professeur à l’Université de Trieste) parle quant à lui d’une loi grotesque susceptible d’engendrer des effets complexes et ridicules sur la vie sociale ; Vincenzo Caianiello (ancien ministre de la Justice et président émérite de la Cour constitutionnelle) considère ce texte comme « déraisonnable et discriminatoire » [27]. Il en appelle même à l’arbitrage du chef de l’État afin que celui-ci prenne conscience des dangers que comporte un texte qui va audelà de ce qu’était l’intention des pères de la Charte constitutionnelle. Dans le même sens, Giulio Andreotti (sénateur à vie) a ouvertement souhaité que le chef de l’État refuse de promulguer la loi. Pour l’ancien président du Conseil, cette loi étend la protection à des dialectes comme le friulin ou le sarde alors qu’elle n’avait, initialement, comme unique vocation que d’assurer la préservation des langues frontalières. Pour le professeur Vincenzo Cappelletti (vice-président de l’institut Treccani) ce texte apparaît comme peu réfléchi et peu rationnel.
23La loi n° 482 a été critiquée et peut apparaître, en effet, comme critiquable, d’une part, en raison d’une discrimination qu’elle peut engendrer entre ce que les opposants au texte considèrent comme des dialectes et des langues véritables. Mais aussi, d’autre part, en ce qu’elle remet en question, selon certains, les prises de positions antérieures du juge constitutionnel en Italie.
24Il est nettement établi que l’article 6 de la Constitution, qui fonde le régime de protection des minorités linguistiques, doit être analysé comme un développement du principe d’égalité substantielle posé à l’article 3, alinéa 2, de la Charte fondamentale italienne [28] et comme présentant un lien fort avec l’article 2 de la Constitution qui protège les droits des individus au sein des formations sociales. Sur cette base le juge constitutionnel estime être en présence d’une discrimination irragionevole lorsque des situations semblables sont réglées de façon différente [29] ou que des situations différentes sont appréhendées comme étant des situations semblables. En l’espèce, le caractère discriminatoire de la loi ne peut résulter que d’une appréciation contingente et subjective de la nature des minorités protégées. Selon le choix effectué d’accepter ou non la légitimité de la langue et d’appréhender celle-ci comme langue ou dialecte le texte peut être entendu comme discriminatoire. Cependant, ce choix ne doit appartenir qu’au législateur lui-même dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire.
25S’agissant d’une éventuelle incompatibilité avec les décisions antérieures du juge constitutionnel sur cette thématique, le président Baldassere se réfère à l’arrêt n° 290 de 1994 pour argumenter en faveur de l’inconstitutionnalité du texte dès lors que celui-ci prend en compte la langue sarde. Cette décision du juge constitutionnel avait pour objet l’examen d’une loi régionale concernant la protection et la valorisation de la langue et de la culture sarde. En l’espèce, les juges du palais de la Consulta se sont attachés à l’examen du texte régional au regard de sa compatibilité avec le principe selon lequel en matière d’instruction publique la détermination des normes générales doit être confiée à l’État [30]. Ce principe est suscité par le souci de disposer d’un système scolaire uniforme permettant le respect de l’égalité de traitement entre les élèves et nécessite de la sorte l’intervention du législateur national. Ce n’est donc pas l’acceptation de la langue sarde comme objet de la protection, mais la compétence régionale elle-même qui était l’objet du litige. Au regard de ces analyses, les réserves adressées au texte de loi semblent plus politiques que juridiquement fondées. Cependant, rien ne permet d’écarter dans le futur une intervention correctrice de la Cour s’agissant de certains points spécifiques comme semble le suggérer l’ultime décision (arrêt n° 406 de 1999 rédigée par Gustavo Zagrebelsky [31] ) rendue par le juge constitutionnel sur la protection des minorités linguistiques avant l’adoption de ce texte [32] …
26Sur un registre plus pratique une dernière réserve peut être émise s’agissant de ce texte. Elle concerne l’impact financier de la loi.
27La loi n° 482 devrait entraîner des dépenses importantes à la charge de l’État. Dès lors que les habitants des zones concernées par la loi doivent bénéficier d’un personnel qui puisse les comprendre et leur répondre dans la langue minoritaire et que ces dépenses sont, conformément au texte de la loi, à la charge de l’État, il est légitime de se demander qu’elle est l’effectivité réelle de ces mesures [33].
28En outre, conformément à l’article 5 de la loi le ministre de l’Instruction publique indique les critères généraux permettant l’application de l’article 4. Il peut également susciter et réaliser des projets nationaux ou locaux permettant la promotion ou l’étude des langues et des cultures minoritaires appartenant aux minorités reconnues par les articles 2 et 3. Dans ce cadre, deux milliards de lires sont affectés à ces projets.
29Il est pour l’instant particulièrement difficile de chiffrer le coût réel pour l’État de la mise en œuvre de la loi. Nous nous bornerons donc à constater que les associations de défense des minorités estiment ces dotations financières dérisoires…
30Au total, entre l’attente idéalisée et nourrie d’espoir et la réalité du texte – et au-delà même de son caractère symbolique – la loi démontre, au minimum, la volonté du législateur de ne plus pratiquer la politique de l’autruche en matière de minorités linguistiques. L’adoption de cette loi est un point positif pour les minorités. Mais, cependant, elle demeure loin de répondre à toutes leurs exigences… Enfin, certaines minorités nouvelles se trouvent, en quelque sorte, en grossissant à la fois le trait et nos ficelles rhétoriques, dans la situation du chameau de la fable d’Esope qui, ayant demandé des cornes, se trouve privé d’oreilles.
Notes
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[1]
S’agissant des problèmes engendrés par la non-application de l’article 6 C., cf. l’étude, désormais classique, réalisée dans les années soixante-dix par le professeur Udina, « Sull’attuazione dell’art 6 C. per la tutela delle minoranze linguistiche », in Giur. Cost., 1974, p. 3602 et s.
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[2]
Cette loi a donc pour fonction d’établir les principes fondamentaux qui concernent cette matière, elle laisse la mise en œuvre effective de la loi à la charge des régions. Ainsi, selon le texte de l’article 13 de la loi n° 482 du 15 décembre 1999, « les régions à statut ordinaire, dans les matières de leur compétence, adaptent leur législation aux principes établis par la présente loi, exception faite des dispositions législatives régionales en vigueur qui prévoient des conditions plus favorables pour les minorités linguistiques ».
-
[3]
Loi n° 482 du 15 décembre 1999, GU du 20 décembre 1999.
-
[4]
Le texte de loi a été, initialement, déposé auprès de la Chambre des députés le 9 mai 1996 à l’initiative principalement du parlementaire Francesco Corleone (Misto, Verdil’Ulivo). Cette proposition originaire sera, par la suite, l’objet de nouvelles et nombreuses modifications avant de pouvoir être présentée à l’Assemblée lors de la XIIIe législature en mai 1998 puis d’être enfin adoptée par la Chambre le 17 juin 1998 durant la séance n° 374. Ce texte (C. 169 bis) a dû, cependant, intégrer les propositions C. 300, C. 396, C. 918, C. 1867, C. 2086, C. 2973. Le projet de loi-cadre a ensuite été transmis au Sénat où il a fait l’objet de l’examen des commissions réunies : « Instruction publique et biens culturels » (rapporteur le sénateur Maria Grazia Pagano, Dem. Sin-Ulivo); « Affaires constitutionnelles » (rapporteur le sénateur Felice Carlo Besostri, Dem. Sin-Ulivo). Ces organes parlementaires ne vont débuter l’examen du texte qu’en novembre 1998. La proposition de loi (S.3366) sera définitivement adoptée le 25 novembre 1999 et intègre les propositions S. 424, S. 1207, S. 2082, S. 2332, S. 3037 et S. 3426.
-
[5]
Article 6 de la Constitution italienne : « La République protège par des normes spécifiques les minorités linguistiques ».
-
[6]
Cf., sur cette question, les analyses du professeur A. Pizzorusso, Il pluralismo linguistico tra stato nazionale e autonomi regionali, Pisa, 1975; également, S. Bartole (a cura di), La tutela giuridica delle minoranze, Cedam, 1998; E. Palici di Suni Prat, Intorno alle minoranze, Giappichelli, Torino, 1999.
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[7]
Existent, en effet, des Occitans dans le Piémont et en Calabre; des Albanais en Sicile et dans les zones des Puglia, Basilicata et des Abruzzi; de même des Catalans résident en Sardaigne…
-
[8]
La jurisprudence de la Cour, s’agissant de cette question, a été conduite à évoluer. Dans un premier temps, la Cour constitutionnelle a nié la compétence des régions en matière de protection des minorités conformément à l’existence d’une réserve de loi bénéficiant au législateur national : cf., l’arrêt n° 32 du 18 mai 1960. Ce n’est qu’avec l’arrêt n° 312 du 18 octobre 1983 que la situation va véritablement changer permettant d’accorder une compétence normative aux régions afin d’appliquer pleinement le principe constitutionnel énoncé par l’article 6 C.
-
[9]
Cf. également sur cette thématique, les arrêts n° 62 de 1992 et n° 15 de 1996.
-
[10]
Cf., Giur. Cost., 1982,1,248 et s. Sur cette décision, voir P. Carroza, « Il prudente atteggiamento della Corte in tema di garanzi linguistiche nel processo e le sue conseguenze sulla condizione giuridica della minoranza slovena », in Foro It, 1982,1,1815 et s.
-
[11]
Les populations germaniques sont dispersées dans les Alpes, les Ladins dans les provinces de Belluno et de Trento, les Occitans dans le Piémont, les Albanais dans le Midi, les Grecs dans divers villages des Pouilles et de la Calabre, les Croates dans certains villages du Molise, les Franco-provençaux dans la province de Foggia, les Occitans en Calabre et les Sardes et certains Catalans dans la ville de Alghero en Sardaigne.
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[12]
On connaît, au-delà des tentatives classiques de définition énoncée par les experts, les délicates questions que peut engendrer la mise en place d’une définition de la minorité linguistique. Divers critères de classification et de définition ont été ainsi proposés sans véritable succès : un critère numérique – critère véritablement extrinsèque ; un critère historique ; un critère fondé sur la situation de pouvoir ; un critère anthropologique fondé sur l’analyse de l’intensité de la loyauté au regard de la langue parlée ; un critère de résidence prenant en compte la stabilité de celle-ci…
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[13]
Cf. C. 7433, « Riconoscimento e tutela delle minoranze rom, sinte e caminanti », texte présenté le 15 novembre 2000 à la Chambre sur l’initiative de Maria Celeste Nardini (Misto, Rifond. Com. Prog.) et Maria Lenti (Misto, Rifond. Com. Prog.).
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[14]
Cf., par exemple, F. Castro, « La minoranza islamica in Italia », in La tutela giuridica delle minoranze, op. cit., p. 171-187. Certains auteurs comme De Vergottini n’hésitent pas à affirmer que l’article 6 de la Charte fondamentale devrait être utilisé comme paramètre de protection s’agissant de ces populations immigrées. De Vergottini, « Verso una nuova definizione del concetto di minoranza », in Regione e governo locale, 1995, p. 9 et s.
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[15]
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Conseil de l’Europe, Traités européens, STE, n° 148, Strasbourg, 5 novembre 1992.
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[16]
A cette date, ce principe n’était présent que dans les « lois constitutionnelles » offrant des statuts régionaux au Trentin-Haut-Adige et à la vallée d’Aoste (Loi constitutionnelle n° 4 du 26 février 1948, cependant, ce dernier texte prévoit aux termes de l’article 38 une position de parité entre la langue italienne et la langue française hormis au regard des procédures juridictionnelles).
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[17]
Cf., sur cette question, l’analyse du professeur E. Palici di Suni Prat, Intorno alle minoranze, Giappichelli editore, Torino, 1999, p. 93.
-
[18]
Cette logique semble devoir être rapprochée de celle qui a présidé à l’établissement de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui présente la langue comme l’expression d’un élément interculturel n’étant pas nécessairement nuisible à la langue officielle. Pour une analyse critique de cette perception, cf. B. Poche, Les langues minoritaires en Europe, PUG-Transeurope, 2000, p. 101 et s.
-
[19]
Conformément à l’article 3, alinéa 1, « la délimitation du domaine territorial et infracommunal dans lequel s’appliquent les dispositions protectrices des minorités linguistiques historiques prévues par la présente loi est adoptée par le Conseil provincial, après avis des communes intéressées, sur demande d’au moins quinze pour cent des citoyens inscrits sur les listes électorales et résidant dans ces communes, ou bien d’un tiers des conseillers municipaux de ces communes ». Article 3, alinéa 2, « dans l’hypothèse dans laquelle n’existe aucune des deux conditions énumérées à l’alinéa 1 et alors que sur le territoire demeure une minorité linguistique comprise dans la liste énumérée à l’article 2, la procédure débute lorsque la population résidante se prononce favorablement au moyen de consultations promues par des sujets ayant les titres pour agir et conformément aux modalités prévues par les statuts et les règlements communaux ». Article 3, alinéa 3, « lorsque les minorités linguistiques auxquelles se réfère l’article 2 se trouvent distribuées sur différents territoires provinciaux ou communaux, peuvent être constitués des organismes de coordination ou de proposition que les organes locaux intéressés ont la possibilité de reconnaître ». Ce dernier alinéa est d’un intérêt tout particulier, il est en effet susceptible de permettre la protection de minorités comme les Ladins, les Walsers et les Albanais dont la population est éclatée entre plusieurs provinces ou communes.
-
[20]
Le problème des droits des minorités lato sensu découle de la difficulté de reconnaître et d’admettre « des droits fondamentaux additionnels » au profit des minoritaires. Cette question est généralement masquée par le problème de la définition des minorités, mais demeure, cependant, l’objet d’un débat qui doit être maintenu distinct du précédent. En ce sens, le droit des minorités prend le risque de mettre en place « des droits modulables selon que l’individu appartient à l’État au groupe majoritaire ou au groupe minoritaire… ce qui reviendrait à réduire l’autonomie (la liberté individuelle) de tous les citoyens ». En ce sens, « il serait contraire à la règle la plus fondamentale de l’État démocratique d’accorder à un ou plusieurs groupes minoritaires l’option de ne pas être soumis automatiquement à la règle majoritaire ». Cf. N. Levrat, « Solutions institutionnelles pour des sociétés plurielles », in Minorités et organisation de l’État : textes présentés au quatrième colloque international du Centre international de la common law en français, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 5.
-
[21]
Cf., sur cette question, les travaux du professeur G. Koubi, « La République française face aux minorités : silences et réticences », in Minorités et organisation de l’État : textes présentés au quatrième colloque international du Centre International de la Common Law en français, Bruylant, Bruxelles, 1998, en particulier p. 256 et s., « silences confus : minorités et administration du territoire ».
-
[22]
Sur le caractère polysémique de la notion, cf. L. Favoreu (dir.), Droit constitutionnel, Précis Dalloz, Paris, 1998, p. 52.
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[23]
Cf. P. Richard, « Le principe pluraliste en Italie », in Civitas Europa, PUF de Nancy, septembre 1999, p. 65.
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[24]
Pour une appréciation très critique au regard de cette démarche dans un contexte différent, cf. F. Mélin-Soucramanien, « La République contre Babel », RDP, 1999, n° 4, p. 985 et s.
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[25]
Article 4, alinéa 1, « dans les écoles maternelles des communes auxquelles se réfère l’article 3, l’éducation linguistique prévoit à côté de l’usage de la langue italienne, l’usage de la langue de la minorité pour le déroulement de l’activité éducative. Dans les écoles élémentaires et dans les écoles secondaires de premier degré est prévu également l’usage de la langue de la minorité comme instrument d’enseignement ».
-
[26]
Conformément à l’article 116, alinéa 4, de la Constitution : « les langues officielles de la Confédération sont l’allemand, le français et l’italien. Le romanche est langue officielle pour les rapports que la Confédération entretient avec les citoyens romanches ».
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[27]
Cf. Secolo d’Italia, « Minoranze linguistiche : gli italianisti insorgono contro la legge », 2 décembre 1999; Avvenire, « Andreotti : Ciampi non promulghi legge su dialetti », 2 décembre 1999; L’Unità, « No alla discrimazione dei dialetti : appello a Ciampi contro il testo sulle minoranze linguistiche », 2 décembre 1999; Adnkronos, « Legge minoranze linguistiche : monta la protesta, appelli a Ciampi linguisti, giuristi e politici chiedono di non firmare », 1er décembre 1999.
-
[28]
Il est également possible de percevoir cet article comme une illustration de l’égalité formelle énoncée à l’article 3, alinéa 1, étendue au moyen de l’usage de la ragionevolezza. Il doit être noté que cet article met également en œuvre un principe général d’interdiction de discriminations fondées sur le sexe, la race, la langue, la religion, les opinions politiques et les conditions personnelles et sociales. Ce principe manifeste ainsi l’application d’une égalité dans la règle de droit.
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[29]
« Il ne suffit pas d’accepter que la norme en examen ne soit pas en opposition avec les préceptes indérogeables posés à l’article 3, alinéa 1. La jurisprudence de cette Cour est constante, le principe d’égalité est violé également lorsque la loi, sans un motif ragionevole, fait un traitement différent aux citoyens qui se trouvent dans des situations égales », arrêt n° 15 de 1960, point n° 3 du considérant en droit.
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[30]
Cf. Calogero, « La scuola, le scienze, le arti », in Commentario sistematico alla Costituzione italiana, Firenze, 1950, I, p. 315.
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[31]
La Cour constitutionnelle dans cet arrêt n° 409 (in Giur. Cost., 1999, p. 3143, note E. Palici di Suni Prat, p. 3152 et s.) traite de la question de l’utilisation de la langue maternelle minoritaire dans le procès pénal. Après avoir observé que le régime actuel de protection des minoritaires correspond à une logique fondée sur la reconnaissance d’un critère territorial, elle admet qu’il appartiendrait au législateur, éventuellement, et dans le cadre de sa liberté d’appréciation, d’opter pour un critère de protection basé non plus sur un fondement territorial mais sur un critère personnel. Cet exemple démontre les possibilités qui restent offertes au juge constitutionnel de développer le régime de protection ou bien de supprimer certaines incohérences présentes dans l’ordonnancement italien. Ainsi, le juge peut être conduit à s’interroger sur la possibilité pour le justiciable de s’exprimer dans la langue minoritaire en dehors du territoire d’implantation de la minorité dans l’hypothèse où le procès est renvoyé à une juridiction située en dehors de ce territoire pour des motifs tenant à la garantie de la sérénité des juges lorsque le procès concerne un magistrat.
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[32]
La Cour constitutionnelle dispose maintenant d’une jurisprudence étoffée sur cette question de la protection des minorités. Pour ne retenir que les arrêts les plus récents : arrêt n° 456 de 1999; arrêt n° 406 de 1999; arrêt n° 356 de 1998; arrêt n° 352 de 1998; arrêt n° 213 de 1998; arrêt n° 15 de 1996; arrêt n° 425 de 1995; arrêt n° 375 de 1995; arrêt n° 29 de 1995; arrêt n° 16 de 1995; arrêt n° 290 de 1994; arrêt n° 271 de 1994; arrêt n° 233 de 1994; arrêt n° 95 de 1994; arrêt n° 438 de 1993; arrêt n° 260 de 1993; arrêt n° 62 de 1992; arrêt n° 191 de 1991…
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[33]
Selon les termes de l’article 9, alinéa 2, pour rendre effective la faculté à laquelle se réfère l’alinéa 1, les administrations publiques entendent garantir la présence d’un personnel qui soit en mesure de répondre aux demandes du public en usant de la même langue. Dans ce but est institué, près la présidence du Conseil des ministres, Département pour les affaires régionales, un fonds national pour la protection des minorités linguistiques avec une dotation financière annuelle de 9 milliards huit cents millions lires à compter de 1999.