Notes
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[1]
Jean PRADEL, Histoire des doctrines pénales, Paris, Cujas, 1989, p. 35.
-
[2]
Sigmund FREUD, Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1983 [1929], p. 53-64.
-
[3]
Le mercredi 15 septembre 2021.
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[4]
John LOCKE, Traité sur le gouvernement civil, II, 16.
-
[5]
Arthur KOESTLER, Albert CAMUS, Réflexions sur la peine capitale, Paris, Gallimard, 2002 [1957].
-
[6]
Jean RENAUD, « Considérations sur la peine capitale », Égards. Revue de la résistance conservatrice, n° XLV, automne-hiver 2014, p. 9, 13.
-
[7]
Jean-Louis HAROUEL, Les droits de l’homme contre le peuple, Paris, Desclée de Brouwer, 2016.
-
[8]
Maurice ALLAIS, L’Europe face à son avenir…, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 153.
-
[9]
Hubert JUIN, « Introduction », dans Victor HUGO, Choses vues (1830-1846), Paris, Gallimard, 1972, p. 23.
-
[10]
Cesare BECCARIA, Des délits et des peines, traduction de Maurice Chevallier (1965), préface de Robert Badinter, Paris, Flammarion, 1991.
-
[11]
Victor HUGO, Le dernier jour d’un condamné, édition présentée, établie et annotée par Roger Borderie, préface de 1832, Paris, Gallimard, 2000.
-
[12]
Jean-Louis HAROUEL, « Hugo aimait les assassins », dans Études d’histoire du droit privé en souvenir de Maryse Carlin, Paris, La Mémoire du droit, 2008, p. 451-462. Texte repris dans : Jean-Louis HAROUEL, À la recherche du réel, Presses universitaires de Limoges (Pulim), 2019, p. 653-662.
-
[13]
Victor HUGO, Préface de 1832, Le dernier jour d’un condamné, op. cit., p. 144.
-
[14]
Sensible, cultivé, intelligent, délicat, bien élevé, plein de cœur, sachant le latin dont il dit quelques mots au concierge de la prison de Bicêtre qui ne les comprend pas, le condamné du roman est tout simplement Hugo à vingt-six ans, son âge en 1828, au moment où il écrit le livre. Ce prétendu « condamné quelconque » est tellement bien Hugo qu’il a les mêmes souvenirs d’enfance que lui au jardin des Feuillantines, et que sa fille a exactement le même âge que Léopoldine, la fille du romancier.
-
[15]
Robert BADINTER, L’exécution, Paris, Grasset, 1973, p. 111-112, 115-117.
-
[16]
Robert BADINTER, L’abolition, Paris, Fayard, 2000, p. 93-103.
-
[17]
Plein de mépris pour l’attachement des Français à la peine de mort, l’avocat Robert Badinter avait vainement appelé en 1972 le président Georges Pompidou à « braver le sentiment commun » en abolissant le châtiment suprême. L’exécution, op. cit., p. 171. Le triomphe socialiste de 1981 lui permettra d’être le grand metteur en scène de cette abolition, au mépris de l’opinion majoritaire des Français.
-
[18]
Exode, 20, 13.
-
[19]
« Mon royaume n’est pas de ce monde », Jean, 18, 36.
-
[20]
Matthieu, 22, 21.
-
[21]
Jean-Marie CARBASSE, La peine de mort, Paris, PUF, 2002, 2011 [2002], p. 14.
-
[22]
Ire Épître de saint Pierre, 2, 13-14.
-
[23]
Épître aux Romains, 13, 3-4.
-
[24]
Paul VEYNE, Quand notre monde est devenu chrétien, Paris, Albin Michel, 2007, p. 254.
-
[25]
« La considération de bien commun interdit normalement à l’État un pardon ou une indulgence qu’on pourrait louer (et d’ailleurs pas toujours) chez les individus » : Jean RENAUD, « Considérations sur la peine capitale », art. cité, p. 9.
-
[26]
Matthieu, 18, 12-13 ; Luc, 15, 3-7.
-
[27]
Marie-Yvonne CRÉPIN, « Crime, châtiment et repentir à Quimperlé en 1788 », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. XCV, 2017, p. 109-119.
-
[28]
Jean-Louis HAROUEL, « Brèves réflexions sur la phobie de la peine de mort », dans Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire. Mélanges offerts à Jean Pradel, Paris, Cujas, 2006, p. 369-379. Texte repris dans : Jean-Louis HAROUEL, À la recherche du réel, op. cit., p. 643-651.
-
[29]
Jean-Marie CARBASSE, La peine de mort, op. cit., p. 124.
-
[30]
Dominique JAMET, « Peine de mort : le retour », Valeurs actuelles, 16 septembre 2021, p. 14.
-
[31]
Raymond BOUDON, Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 73-74, 114-116.
-
[32]
Jean-Louis HAROUEL, Les droits de l’homme contre le peuple, op. cit.
-
[33]
Roland HUREAUX, Gnose et gnostiques. Des origines à nos jours, Paris, Desclée de Brouwer, 2015 ; Serge HUTIN, Les gnostiques, Paris, PUF, 1959 ; Jacques LACARRIÈRE, Les gnostiques, Paris, Albin Michel, 1994.
-
[34]
Norman COHN, The Pursuit of the Millenium, Londres, Pimlico, 2004 [1957].
-
[35]
Eric VOEGELIN, La nouvelle science du politique, Paris, Seuil, 2000 [1952], p. 234-241. L’auteur appelle gnostique tout ce qui vient de Joachim de Flore, mais la pensée de celui-ci mêlait les deux hérésies, si bien qu’il est préférable de parler de rêve gnostico-millénariste.
-
[36]
Philippe PONS, « Au Japon, il ne faut pas “troubler l’âme” des condamnés à mort », dans La peine de mort. Chronique d’un débat passionné, Paris, Librio, 2005, p. 114-115.
-
[37]
Daniel J. MAHONEY, « L’humanitarisme et la subversion du christianisme. Aurel Kolnai et Benoît XVI », dans La Charité et le bien commun, dir. Philippe Bénéton, La Roche-sur-Yon, Presses universitaires de l’ICES, 2019, p. 159.
-
[38]
Sigrid CHOFFÉE-HAROUEL, « Brèves réflexions sur la pérennité de la peine de mort aux États-Unis », dans Études offertes à Jean-Louis Harouel, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2015, p. 1023-1046.
-
[39]
Jean PRADEL, Histoire des doctrines pénales, op. cit., p. 93-100.
-
[40]
Xavier BÉBIN, Quand la justice crée l’insécurité, Paris, Fayard/Pluriel, 2016.
-
[41]
Jean DUCHESNE, Bernard GOULEY, L’affaire Jacques Fesch, Paris, Éditions de Fallois, 1994, p. 205.
-
[42]
Article 66-1 de la Constitution.
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[43]
A Pocket Full of Rye (Une poignée de seigle), 1953.
1 La mise hors la loi de la peine de mort par l’Europe occidentale au cours du second xxe siècle a pour conséquence que le sujet y est devenu tabou. On n’a plus le droit d’en parler. C’est une vérité de foi. Pourtant, jusqu’à Beccaria – lequel ne fut d’ailleurs pas un véritable abolitionniste puisqu’il admettait des exceptions au principe –, tous les grands auteurs de la pensée occidentale, de saint Augustin à Locke, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau et Kant, ont considéré la peine de mort comme normale et nécessaire. Une aussi haute figure de l’humanisme de la Renaissance que Montaigne n’a aucunement prôné son abolition [1]. Et, plus près de nous, bien d’autres penseurs majeurs ont été dans le même sens, à commencer par Freud [2].
2 La nécessité de rouvrir le débat sur la peine de mort est aujourd’hui chaque jour plus évidente. Quarante ans après la suppression de la peine de mort en France sous l’impulsion de l’avocat Robert Badinter, devenu garde des Sceaux du premier gouvernement formé à la suite du triomphe électoral de François Mitterrand le 10 mai 1981, la question de la peine de mort est désormais revenue à l’ordre du jour. Déjà, en septembre 2020, un sondage Ipsos-Le Monde avait révélé que 55 % des Français étaient favorables au retour de la peine de mort. Et, en septembre de cette année, Éric Zemmour vient de se déclarer publiquement, d’un point de vue philosophique, en faveur de son rétablissement [3].
3 Tout cela est à mettre en rapport avec une insécurité qui n’est pas, quoi que d’aucuns en disent, une simple impression, mais bel et bien une réalité. Conscients que le laxisme judiciaire fabrique de l’insécurité, de plus en plus de gens voient dans le rétablissement de la peine de mort le moyen de faire cesser ce laxisme. D’ailleurs, avant sa suppression en 1981, même si le rôle de la peine de mort était devenu largement symbolique, sa présence et son emploi, si limité fût-il, donnaient au citoyen confiance dans la justice de son pays, laquelle restait fondée sur l’idée de responsabilité avec ses deux volets : réparation et expiation. En dépit de l’intense propagande déployée depuis quarante ans pour forcer dans les esprits la croyance que l’abolition de la peine de mort a été un progrès majeur de civilisation et ne présente que des avantages, nombreux sont ceux qui ont compris ou senti que cela aboutissait à faire passer la vie des criminels avant la vie des innocents, et que la société en venait à trahir sa mission fondamentale, laquelle est – comme on ne le rappellera jamais assez à la suite de Locke – de donner la priorité à la sécurité de l’innocent [4].
4 Comme l’observe le philosophe québécois Jean Renaud, l’abolition de la peine de mort a été « une des causes de l’affaissement de notre civilisation occidentale », elle a « contribué à la dissolution progressive des autres institutions, de moins en moins respectées et comprises ». C’est que, contrairement à ce qu’ont pu écrire Arthur Koestler et Albert Camus [5], l’idée de vengeance n’est pas synonyme de barbarie. Aristote et saint Thomas ont d’ailleurs parlé de la vertu de vengeance. Si l’instinct de vengeance n’est pas en lui-même une vertu, « il le devient lorsque réglé et ordonné, c’est-à-dire ennobli, imprégné de raison et d’équité ». Sans la vertu de force, « et toutes les vertus attenantes parmi lesquelles la vertu de vengeance », il ne peut pas exister de justice [6].
5 À cela, les porte-parole et les chiens de garde de la pensée officielle rétorquent avec mépris que l’abolition de la peine de mort est irréversible car conforme au sens de l’histoire, et que ceux qui évoquent le projet de la rétablir sont de dangereux ennemis de la démocratie. Alors que c’est précisément leur attitude dogmatique et de nature religieuse – relevant d’une religion politique, bien sûr – qui est antidémocratique car faisant fi du droit des citoyens de déterminer les règles de droit devant s’appliquer dans la cité.
La prétendue irréversibilité de l’abolition : un dogme antidémocratique
6 En inscrivant l’abolition totale de la peine de mort dans la Convention européenne des droits de l’homme (2002) puis dans la Constitution française (2007), afin d’enlever la question de la peine de mort à la souveraineté des citoyens, on les a dépossédés et l’on a fait naître en même temps un étrange droit de l’homme. Pouvoir tuer sans risquer d’être tué par décision judiciaire en punition de son crime est aujourd’hui un droit de l’homme. C’est un droit de l’homme immoral qui détruit la confiance dans le pacte social et déshonore l’idée même de droit de l’homme.
7 Il est contraire à la liberté qu’on ne puisse plus débattre de la question de la peine de mort. On n’a plus le droit d’en parler de manière libre. On est soumis à une vérité officielle de nature religieuse : l’abolition est sainte et Badinter fut son prophète. Interdiction est aujourd’hui faite au peuple français de songer à rétablir un jour la peine de mort. En effet, le rejet de la peine de mort est – nous y reviendrons – l’un des dogmes de la religion des droits de l’homme, qui est aujourd’hui notre grande religion d’État. Toute contestation du bien-fondé des dogmes de cette religion séculière est prohibée par la police humanitaire de la pensée, d’où une disparition progressive de la liberté d’expression, la masse de la population se voyant peu à peu bâillonnée [7].
8 De fait, la transformation des droits de l’homme en une forme politique de religion a provoqué une profonde dénaturation de notre droit, qui a été envahi et colonisé par cette religion séculière, avec pour conséquence que le droit se retourne contre le peuple dans l’intérêt duquel il a été institué. En particulier, la critique des bienfaits de ce que l’on appelle de manière euphémique la « diversité » est devenue un blasphème puni par le droit pénal de la religion des droits de l’homme. Et, même si la contestation des bienfaits de l’abolition de la peine de mort n’est pas encore sanctionnée pénalement, elle fait l’objet d’une très forte réprobation qui stigmatise ceux osant s’aventurer sur ce terrain dangereux. Si bien que parler librement de la peine de mort contribue à soulever un peu la chape de plomb mortifère de la religion des droits de l’homme.
9 On nous affirme sans cesse que nous sommes en démocratie, or il est parfaitement antidémocratique qu’on ne puisse plus débattre de la question de la peine de mort, qui est aujourd’hui un sujet tabou. Il est antidémocratique qu’on nous interdise d’en parler sans a priori, en cherchant à se faire son opinion. Comme le résumait en une belle formule le Prix Nobel d’économie Maurice Allais, la démocratie, c’est « la libre concurrence des opinions [8] ».
10 Et non seulement il est antidémocratique d’interdire de rouvrir le débat sur la peine de mort, mais encore c’est une prime à l’obscurantisme, une invitation à ne pas réfléchir, à consommer des idées toutes faites. En particulier, la jeunesse française se voit inculquer depuis des décennies la fameuse idée reçue, pieusement enseignée dans tous les collèges et lycées de France, selon laquelle notre cher et sublime Victor Hugo aurait magistralement et irréfutablement démontré la totale illégitimité de la peine de mort. Alors qu’en réalité il n’a rien démontré du tout. D’ailleurs, s’il est un prodigieux poète, Hugo « n’est pas un penseur [9] ». Dans son combat littéraire contre la peine de mort, il a simplement mis son extraordinaire puissance littéraire au service d’une impudente manipulation de la sensibilité de ses lecteurs, se rendant ainsi coupable d’une véritable escroquerie intellectuelle, laquelle continuera ensuite à caractériser peu ou prou l’ensemble de la propagande abolitionniste.
La malhonnêteté intellectuelle de l’idéologie abolitionniste : la preuve par Hugo
11 Même si le premier auteur à réclamer la suppression de la peine capitale fut Beccaria, dans son Dei delitti e delle pene, publié à Livourne en 1764 [10], le grand mouvement qui a abouti à la suppression de la peine de mort en France commence vraiment avec Victor Hugo et son célèbre roman Le dernier jour d’un condamné, publié en 1829 [11]. Or, dans ce livre dont il admet lui-même qu’il s’agit d’un roman détourné en outil de propagande, Victor Hugo se montre un manipulateur redoutable et sans scrupule. Son roman véhicule en effet une idéologie humanitaire qui ne s’intéresse qu’aux criminels et délinquants et veut seulement voir en eux les victimes innocentes de la société. Hugo, dans ce livre, manifeste un amour préférentiel pour le criminel qui s’accompagne d’une totale désinvolture à l’égard du crime et d’une parfaite insensibilité envers la victime [12].
12 En réalité, Hugo ne s’intéresse qu’au seul criminel. Rien n’est dit de l’assassinat ni de l’assassiné, et seul celui qui a tué est offert à la commisération du lecteur. Oubliant délibérément la victime de l’assassinat, Hugo prétend faire de l’assassin la seule vraie victime, qu’il s’agit de sauver à tout prix. Le procédé est d’autant plus malhonnête que tout est fait par l’auteur pour rendre attachant le condamné à mort, en faveur duquel il veut susciter une empathie que ne ternit aucune répulsion, tant son crime et sa victime sont abstraits, irréels. Seul l’assassin est réel : il vole à l’assassiné, complètement expulsé hors du livre, son statut de victime.
13 Or Hugo prétendait avoir construit dans son livre une démonstration rigoureuse de l’illégitimité de la peine de mort en toute circonstance. Au lieu de cela, il manipule ses lecteurs en focalisant leur compassion sur un criminel exceptionnellement attachant. Alors qu’Hugo affirmait avoir mis en scène « un condamné quelconque [13] », il présente au lecteur un jeune homme anormalement sympathique, qui n’est autre qu’un double de lui- même [14]. Littérairement parlant, c’est chose courante, mais cela invalide complètement la prétendue démonstration annoncée par Hugo. Alors que le lecteur se voit refuser toute information sur le crime, lequel aurait pu l’indigner, et sur la victime, qui aurait pu susciter sa compassion, son intérêt et sa sensibilité se trouvent exclusivement dirigés vers l’assassin. Ce livre tant célébré par les dévots de la phobie de la peine de mort constitue une extraordinaire et impudente duperie intellectuelle.
De Hugo à Badinter : la préférence pour l’assassin
14 Victor Hugo apparaît comme le précurseur d’un type d’homme bien particulier : l’intellectuel de gauche abolitionniste, dont Robert Badinter a certainement été la figure la plus achevée. Lui-même a écrit que, en 1972, aux assises de Troyes, tout en mesurant « l’immensité de la peine » du mari de l’infirmière et de la femme du gardien assassinés à la prison de Clairvaux, il ne se sentait pas « au fond » du côté « des honnêtes gens, des victimes ». Ce qui revient à dire qu’il se plaçait du côté des assassins, qui, « devenus accusés », étaient à ses yeux « aussi pitoyables » que les proches des assassinés. Quant à ceux-ci, ils sont morts, un point c’est tout. C’est un « malheur », mais c’est « acquis ». Robert Badinter n’exprime de « compassion » que pour les vivants, pour les proches des victimes et les assassins, mais non pour les victimes elles-mêmes [15]. Elles ont sans doute le tort d’être mortes. Les assassinés sont les grands oubliés de sa compassion, comme s’ils étaient de trop dans le procès.
15 Tout comme Hugo dans son livre, Robert Badinter aurait voulu dans ses procès que le crime et la victime fussent totalement abstraits, afin que l’émotion et la compassion n’aillent pas vers l’assassiné, qu’elle puissent être entièrement mobilisées en faveur de l’assassin, lequel est pour l’idéologie abolitionniste la seule et vraie victime, dont seul le salut importe. Aux assises de Troyes de 1972, il s’indignait que l’on ait montré au jury des photographies de l’infirmière égorgée, ce qui empêchait l’escamotage de la victime, sa privation de réalité, comme le veut l’idéologie abolitionniste. Et, toujours à Troyes, mais en 1977, il avait consacré ses efforts à rendre aussi irréelle que possible la mort du petit garçon assassiné par Patrick Henry. Déplorant les moments où « la mort de l’enfant avait repris possession de la salle », l’avocat Robert Badinter était notamment parvenu à faire quasiment oublier cette mort en faisant intervenir un professeur de droit réputé qui prononça un exposé contestant l’effet dissuasif de la peine capitale. Les jurés prenaient des notes comme des étudiants dans une salle de cours, et Robert Badinter se souvient avec délectation : « Pour un temps, nous étions loin du studio au-dessus du bar et du corps du petit Bertrand dissimulé sous le lit [16]. » Tout allait bien, dès lors que personne ne pensait plus à l’enfant assassiné. Il dérangeait trop dans ce procès. Il fallait qu’il meure deux fois, il fallait que son ombre même soit chassée, afin qu’elle ne risque pas de nuire à son assassin.
16 Certes, cette mobilisation exclusive de la compassion au profit de l’assassin est légitime chez l’avocat dans l’exercice de ses fonctions. En revanche, elle cesse de l’être quand elle se transforme en idéologie, en revendication politique. Le système d’élision de l’assassiné et de préférence pour l’assassin est devenu générateur d’injustice lorsque Robert Badinter a construit sa carrière politique sur un combat acharné contre la peine de mort, dont il a provoqué la suppression en 1981 en bafouant délibérément le « sentiment général des Français [17] ».
La compatibilité entre peine de mort et christianisme
17 Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, il n’y a pas d’incompatibilité entre la peine de mort et le christianisme. Le Tu ne tueras pas du Décalogue [18] ne visait pas à préserver les criminels de la peine de mort, mais à empêcher meurtres et assassinats. Quant à l’Évangile, du fait qu’il pose le principe de la distinction des deux royaumes – celui des cieux et celui de la terre [19] –, il ne prive nullement l’autorité publique du pouvoir et du devoir de punir les criminels. De la même façon qu’il invite à respecter les prérogatives fiscales de l’État romain – « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu [20] » –, Jésus s’abstient de critiquer ses prérogatives judiciaires et pénales. On cherchera vainement dans l’Évangile une condamnation de la peine de mort [21]. Quant aux écrits apostoliques, ils approuvent sans réserve le châtiment terrestre des criminels. Pierre invite les chrétiens à se soumettre aux agents publics chargés de « punir ceux qui font mal [22] ». Et saint Paul insiste sur le fait que, si l’on n’a rien à redouter des magistrats quand on fait le bien, ceux qui font le mal ont en revanche toute raison de craindre l’autorité, car ce n’est pas sans motif qu’elle porte l’épée [23].
18 Par le « Rendez à César », le Christ a reconnu la licéité de l’obéissance à l’État, créant ainsi une disjonction du politique et du religieux d’où résulte la légitimité d’un ordre temporel autonome chargé de l’organisation de la société au moyen d’un droit laïc. Le christianisme n’est pas un projet politique et social pour ce bas monde, mais une religion du salut dans l’au-delà [24]. Son projet ne saurait être de changer la société, dès lors qu’il vise à changer les âmes. Et, durant le millénaire où le pape fut le chef d’un État important, il eut des tribunaux criminels séculiers qui prononcèrent des sentences de mort.
19 Malgré son idéal d’amour du prochain, le christianisme a su conserver la notion d’ennemi de la société. Tant que la foi chrétienne a été forte en Europe, la juste punition des criminels n’a jamais été contestée. Au temps où il y avait des crucifix et des tableaux religieux dans les palais de justice, la justice n’était pas pur amour et les juges prononçaient les peines, y compris la peine capitale, avec la conviction de siéger sous le regard de Dieu et avec la certitude de son approbation.
20 Ceux qui affirment que la peine de mort va à l’encontre de toute miséricorde et de toute rédemption chrétienne oublient que Jésus a tracé une morale individuelle pour une recherche personnelle du salut éternel, et non pas des règles de droit devant s’imposer à l’État et à la société. Quand le Christ conseille de pardonner sans fin et de tendre l’autre joue quand on est frappé, cela ne concerne assurément pas la justice publique. Or, à travers celle-ci, la société pardonne et tend l’autre joue bien trop facilement [25], ce qui est générateur d’injustices et de souffrances. Ainsi, la prédilection pour la brebis égarée, à elle seule plus précieuse que tout le troupeau [26], ne vaut que dans la problématique du salut céleste. Transposée dans le domaine judiciaire, cette parabole de la brebis égarée se traduit par un amour préférentiel pour le criminel, dont la réinsertion est devenue la grande affaire de la justice pénale, ce qui suscite un enfer pour bien des innocents. Coupées de la religion chrétienne et laïcisées, les valeurs évangéliques sont socialement catastrophiques.
La justification chrétienne de la peine de mort
21 Cette justification résidait dans la notion de la responsabilité telle qu’elle s’est imposée depuis le Moyen Âge sous l’influence de l’Église et des canonistes : une conception de la responsabilité qui combine d’une part l’idée de réparation du dommage causé à autrui, et d’autre part l’idée d’expiation de la faute dont ce dommage est la conséquence. Dans la perspective chrétienne, la souffrance infligée par la justice au coupable et acceptée par lui comme une juste expiation a été pendant très longtemps chargée d’un sens positif : elle contribuait au rachat du mal accompli et aidait à préparer l’obtention du pardon divin, condition du salut. Le supplice du condamné pouvait être compris et vécu comme une identification au Christ dans sa Passion, ce qui le rapprochait de Dieu et de sa miséricorde.
22 Tant que la foi a été grande dans la société, l’objectif suprême de beaucoup de criminels était de ne pas se damner, d’essayer de ne pas rendre impossible leur salut éternel. Bien des condamnés à mort, avant de monter au supplice, ne songeaient qu’à paraître devant Dieu en s’étant au maximum lavé l’âme. Ayant étudié les condamnés à mort de la fin de l’Ancien Régime en Bretagne, le professeur Marie-Yvonne Crépin, de la faculté de droit de Rennes, a découvert que ceux-là même à qui la torture n’avait pu arracher le moindre aveu avaient la volonté, avant de périr sur l’échafaud, de faire connaître à la justice l’intégralité de leurs crimes, y compris ceux qu’on ne songeait même pas à leur attribuer. Ce qui a permis la libération d’innocents condamnés par erreur [27].
L’hypocrisie du refus de toute peine de mort [28]
23 Cette hypocrisie éclate dans le fait que l’Occident fonde sa conception de l’État de droit à la fois sur le rejet de la peine de mort et sur l’affirmation que l’avortement est un droit fondamental. Il y a une totale contradiction morale entre le refus de la peine de mort et la valorisation de l’avortement. D’un côté, on se refuse à faire mourir de grands criminels ayant accompli des actions atroces, d’un autre côté on autorise la mise à mort d’êtres innocents en train de se former dans le ventre maternel. La position morale des États d’Europe occidentale qui s’interdisent la peine de mort en encourageant et facilitant l’avortement est d’une incohérence ahurissante. Le pays qui rejette la peine de mort se doit de rejeter aussi l’avortement et l’euthanasie. Si la vie humaine est posée en valeur absolue, le respect de la vie ne peut pas être divisé [29].
24 D’ailleurs, il est tout aussi hypocrite et incohérent de refuser toute peine de mort à l’égard des criminels tout en sachant très bien – et le président Hollande l’a reconnu devant des journalistes – que les chefs d’État font couramment tuer des personnes estimées très dangereuses pour la sécurité du pays. Sans compter les nombreux islamistes auteurs de massacres et d’assassinats individuels, qui furent au cours de ces dernières années abattus « comme des chiens enragés » par les forces de l’ordre, « avec le feu vert et l’assentiment, préalable ou postérieur, tacite ou avoué, des plus hautes autorités de l’État, l’accord unanime de l’opinion et l’aval silencieux de la justice ». C’est bien la peine de mort qui a été appliquée, mais « honteusement, à la sauvette, dans l’ombre et le non-dit [30] ». Même s’il est moralement justifié – car tous ces atroces assassins méritaient mille fois la mort –, cet emploi systématique du procédé des exécutions extrajudiciaires n’est pas digne d’un État civilisé, respectueux du droit. Il apporte la preuve que le choix d’une renonciation totale à la peine de mort est impraticable, que ce n’est pas autre chose qu’une néfaste utopie.
25 La phobie de la peine de mort apparaît donc à beaucoup d’égards comme une confortable dérobade face à une réalité sociale et institutionnelle nécessaire, mais qui dérange par son caractère tragique. C’est alors tout simplement une forme d’égoïsme et de lâcheté.
Le faux argument d’une explication causaliste de la criminalité
26 La propagande abolitionniste a fait grand usage d’une idéologie affirmant que l’on devient criminel selon un processus mécanique, en raison d’un déterminisme social. Commettre des crimes serait la conséquence automatique de l’appartenance à un milieu social défavorisé ou d’une carence de la famille. Selon cette vision déterministe, dont Victor Hugo a été l’un des pionniers, la responsabilité du crime n’est pas imputable au criminel, mais seulement au contexte sociologique ou psychologique dans lequel il a vécu. C’est la conviction que le mal ne provient pas du criminel, mais qu’il lui est imposé de l’extérieur par des forces sociales, lesquelles l’ont obligé à commettre le crime qui lui est reproché.
27 Pour l’intellectuel de gauche abolitionniste, le criminel est en réalité innocent du mal qu’il a fait, puisqu’il n’est que la victime de la société. C’est cette explication causaliste de la délinquance, se réduisant à l’invocation d’un déterminisme social, qui a triomphé durant la seconde moitié du xxe siècle dans bien des pays et qui y a entraîné la suppression de la peine de mort. Or tout cela repose sur une idée fausse. La criminalité n’est pas le résultat mécanique d’un déterminisme social. Certes, il existe des milieux criminogènes, et ceux qui en sont issus ont plus de chances que la moyenne de la population de commettre des délits ou des crimes. Pour autant, la plupart des gens issus de ces milieux ne commettent jamais d’infraction. Cela veut dire que la théorie selon laquelle « le milieu produirait le crime “comme le foie sécrète de la bile” » est radicalement fausse. Cela disqualifie l’explication causaliste de la délinquance [31]. Il est impossible de justifier le rejet de la peine de mort par une explication déterministe de la criminalité, par une idéologie mécaniste.
Idéologie abolitionniste et religion des droits de l’homme
28 L’idéologie abolitionniste est – on l’a déjà dit – l’une des facettes d’une religion séculière qui a pris le relais du communisme comme projet universel de salut terrestre : la religion des droits de l’homme, ou religion humanitaire [32]. Avec celle-ci, l’ancienne conception des droits de l’homme, pour l’essentiel identifiés aux libertés publiques des citoyens dans les sociétés démocratiques, fait place à une nouvelle conception, marquée par l’obsession de traquer tout ce qui peut être perçu comme une discrimination, ainsi que par l’utilisation des droits subjectifs au service d’une expansion illimitée des revendications individuelles.
29 La religion des droits de l’homme est aujourd’hui la forme la plus répandue de la religion de l’humanité, où si l’on préfère de l’idéologie progressiste, laquelle dérive de deux grandes hérésies falsificatrices du christianisme : la gnose et le millénarisme. Reposant sur la divinisation de l’individualisme et la haine du réel (matière, enfantement, famille, société, etc.), la gnose était porteuse d’une immense charge subversive qui s’est répercutée jusqu’à nous [33]. Quant au millénarisme, croyance en la venue sur terre d’un royaume de Dieu garantissant mille ans de bonheur, il nous a transmis la promesse d’un avenir radieux auquel on accède par la révolution [34]. Or ces deux hérésies avaient en commun le refus d’admettre que le mal puisse résider en l’homme. Elles professaient que le mal est extérieur à l’homme, que celui qui commet un crime est la victime de forces mauvaises extérieures à lui (un monde mal fait, une société inégalitaire, etc.), et qu’il est donc en réalité innocent. C’est de la gnose et du millénarisme que viennent les deux principaux ressorts de la phobie de la peine de mort : d’une part l’amour préférentiel pour le criminel – prétendue victime innocente dont il faut sauver la vie à tout prix –, et d’autre part l’oubli délibéré de la vraie victime.
Une idéologie interdisant de voir la réalité
30 Inspirant la religion des droits de l’homme en général et l’idéologie abolitionniste en particulier, la pensée gnostico-millénariste entraîne la substitution d’un monde imaginaire au monde réel. Dans ce monde rêvé, la méconnaissance de la réalité constitue le premier principe, ainsi que l’a montré le grand philosophe politique Eric Voegelin. De sorte que des actions qui seraient considérées dans le monde réel comme « moralement insensées, compte tenu de leurs effets concrets », seront considérées comme vertueuses dans le monde imaginaire de l’idéologie, « car elles visaient à des effets tout à fait différents ». Le décalage entre l’intention et le résultat obtenu ne sera pas imputé à sa véritable cause, qui est une ignorance volontaire de « la structure de la réalité », mais au mauvais comportement de la société concernée. La pensée gnostico- millénariste est caractérisée par l’interprétation de sa propre « démence morale comme morale, et des vertus de sophia et de prudentia comme immorales ». De sorte que le bien et le mal ne sont pas définis à partir de la saine compréhension de la réalité, mais par rapport aux idéaux de ce monde rêvé. Est bon tout ce qui se réclame de lui et va dans le sens de son avènement. Est mauvais tout ce qui contredit l’image fantasmée de ce monde imaginaire et s’oppose à ceux qui font de lui leur credo.
31 Dès les années 1950, Eric Voegelin se demandait si « la substitution du monde imaginaire au monde réel » n’aurait pas « si profondément corrompu la société occidentale que toute politique rationnelle serait devenue impossible ». Il observait que, même si le monde occidental percevait les dangers menaçant son existence, il ne les affrontait pas au moyen « d’actions adaptées au monde de la réalité », mais plutôt « à l’aide d’opérations magiques dans le monde imaginaire ». Le tout produisant une « atmosphère étrange et fantomatique d’asile de fous [35] ».
32 L’abolition de la peine de mort fut l’une de ces actions magiques, dans un monde imaginaire où l’homme serait toujours naturellement bon et où tous les criminels seraient toujours amendables. Si bien que, à partir de 1981, le refus de la peine de mort a contraint la justice pénale française à se transformer pour une bonne part en asile de fous.
Le refus de la peine de mort : une obsession du progressisme occidental
33 Même si la religion des droits de l’homme a fait de l’abolition de la peine de mort une cause mondiale, son emprise ne s’exerce vraiment que sur les législations occidentales, les autres grands groupes humains restant très en retrait.
34 L’idéologie antipénale qui inspire les revendications abolitionnistes est, on l’a vu, l’un des visages de cette religion séculière qui a pris le relais du communisme comme projet universel de salut terrestre : la religion des droits de l’homme, caractérisée par son intérêt prioritaire apporté à l’autre, c’est-à-dire en l’espèce aux délinquants et aux criminels. Or les nations dont la civilisation est héritière de la chrétienté occidentale sont les seules à prendre réellement au sérieux le culte des droits de l’homme, ce qui est logique puisque celui-ci provient de deux grandes hérésies chrétiennes, aujourd’hui sécularisées, et auxquelles l’Occident postchrétien revient sans en avoir pleinement conscience. C’est d’ailleurs dans les pays occidentaux où la pratique religieuse s’est le plus effondrée – c’est-à-dire en Europe occidentale – que la phobie de la peine de mort s’est le plus développée.
35 En revanche, le reste du monde n’adhère le plus souvent que de façon très superficielle, voire purement théorique, à la religion des droits de l’homme. Et, par voie de conséquence, la peine de mort y demeure considérée comme légitime. La civilisation musulmane et plus encore les civilisations de l’Extrême-Orient manifestent une forte résistance à l’égard de la propagande abolitionniste et restent dans l’ensemble attachées à la peine de mort, et cela indépendamment du régime politique – qu’il soit autoritaire ou démocratique. On sait notamment qu’au Japon, qui est une démocratie, la population est à 80 % favorable au maintien de la peine capitale [36].
36 Quant à l’Église catholique, qui avait pratiquement toujours considéré la peine de mort comme une prérogative licite de l’État, elle s’est récemment mise à la remorque de la religion des droits de l’homme, en dernier lieu avec la décision pontificale de faire inscrire dans le catéchisme la condamnation explicite de la peine capitale. Or, d’évidence, ce rejet de la peine de mort par l’Église ne vient pas du christianisme mais de l’idéologie progressiste ambiante. Ce diagnostic est rejoint par l’universitaire américain Daniel J. Mahoney, qui, s’appuyant sur le philosophe d’origine hongroise Aurel Kolnai, se demande si « l’opposition des chrétiens d’aujourd’hui à la peine capitale ne doit pas davantage aux attitudes et principes de l’humanitarisme séculier qu’aux Évangiles et à la tradition chrétienne [37] ».
37 D’ailleurs, aujourd’hui, si la peine de mort reste très présente dans le droit pénal des États-Unis, c’est parce que les Américains demeurent une nation majoritairement très religieuse, encore largement attachée à la foi chrétienne. Importance de la pratique religieuse et acquiescement à la peine de mort vont de pair. Certes, le socle religieux qui fonde la légitimité de la peine de mort aux yeux de la majorité des Américains subit une réelle érosion sous l’effet des progrès de la religion humanitaire. Pour autant, la peine de mort ne semble pas près d’être abolie aux États-Unis [38]. En tout cas, une chose est certaine : si cette abolition devait y intervenir un jour, ce serait parce que la foi chrétienne aurait fini par s’effondrer. En effet, ce n’est pas sous l’influence du christianisme que les Européens ont aboli la peine de mort. C’est au contraire parce qu’ils ont dans leur grande majorité abandonné la religion chrétienne au profit de la religion des droits de l’homme.
Amour préférentiel du criminel et perversion de la justice
38 De plus en plus transformée, comme on l’a vu, en asile de fous, la justice se trouve pervertie par l’amour des criminels en général, et des assassins en particulier. Cet amour inspire une idéologie antipénale qui va bien au-delà du refus de la peine de mort. Dès lors que le criminel n’est qu’une victime innocente de la société, celle-ci perd son droit de le châtier. Elle n’a plus que le devoir de soigner en lui un être blessé par elle. Réclamant de la part de la société un désarmement face au crime, cette idéologie antipénale est inspirée par la religion séculière des droits de l’homme et par son intérêt prioritaire apporté à l’autre, c’est-à-dire en l’espèce aux délinquants et aux criminels. L’idéologie humanitaire antipénale ne s’intéresse qu’à eux et à leur réadaptation sociale, qui est devenue l’objectif central du système pénal.
39 On reconnaît évidemment dans tout cela la mise en œuvre du programme de la défense sociale nouvelle de Marc Ancel, qui refuse l’idée même d’une neutralisation des individus dangereux pour la société, ce qui non seulement exclut la peine de mort mais encore entraîne une forte résistance à l’égard de l’emprisonnement. Pour cette doctrine, qui s’inscrit dans la ligne de ce qu’avait déjà prôné Victor Hugo, la peine devient un « traitement » pénal conçu sur le modèle d’un traitement médical, censé favoriser au maximum la resocialisation du condamné [39]. Avec bien évidemment pour conséquence l’impossibilité d’un emprisonnement véritablement perpétuel.
Du refus de la peine de mort au refus d’une vraie perpétuité
40 L’abolition de la peine de mort s’est accompagnée d’un grand mouvement de raccourcissement des peines effectuées par rapport aux peines prononcées, avec pour conséquence la disparition d’une réelle perpétuité. C’est que cette peine suprême terrible qu’était la peine de mort légitimait les autres peines, qui paraissaient douces par comparaison. Elle était la clé de voûte de la justice pénale. En enlevant à celle-ci sa clé de voûte, l’abolition de la peine de mort a délégitimé toutes les autres peines. Il en est résulté une dislocation du système des peines, avec en premier lieu la suppression de fait de l’emprisonnement perpétuel. Pourtant, les idéologues de l’abolitionnisme, et Hugo le premier, avaient plus ou moins promis une perpétuité réelle pour protéger la société contre les criminels dangereux. Mais il n’en a rien été. Devenue la plus haute peine du fait de la suppression de la peine de mort, la réclusion à perpétuité est apparue à son tour inadmissible aux yeux des tenants de l’humanitarisme pénal (en réalité antipénal), qui ont obtenu dans la pratique sa disparition.
41 C’est ainsi qu’en France la durée moyenne d’enfermement effectif des condamnés à perpétuité est actuellement de l’ordre de vingt ans, et un condamné à la perpétuité dite réelle peut demander au bout de trente ans une libération conditionnelle. Avec pour résultat la possible remise en liberté, au nom du principe d’humanité, d’assassins atroces ayant fait preuve de la plus totale inhumanité, dont rien ne garantit vraiment qu’ils ont cessé de constituer un péril mortel pour la vie des autres. Et le même phénomène de raccourcissement des peines accomplies s’est reproduit à tous les niveaux. Entre remises de peine et libérations anticipées, la justice semble avoir pour obsession de remettre en liberté les criminels.
42 C’est que – comme il est nécessaire de le rappeler – la revendication de l’abolition de la peine de mort a été le fer de lance d’une idéologie qui conteste en réalité l’idée même de peine et considère les criminels comme des victimes innocentes d’une société mauvaise, des êtres malades par la faute de la société et que l’on n’a donc pas le droit de punir mais le devoir de soigner. Se rattachant à la religion des droits de l’homme, cette idéologie antipénale ne s’intéresse vraiment qu’aux délinquants et criminels, dont la réadaptation sociale est devenue l’objectif majeur du système pénal. Fondée sur l’idée de l’irresponsabilité des criminels, l’idéologie humanitaire antipénale unit dans la même réprobation toutes les peines, et elle prohibe non seulement la peine de mort mais encore la perpétuité réelle.
43 C’est aujourd’hui un droit de l’homme que de pouvoir tuer non seulement sans risquer d’être tué en vertu d’une sentence pénale, mais encore sans risquer d’être condamné à une détention perpétuelle non révisable. Après avoir provoqué l’interdiction de la peine de mort, la religion des droits de l’homme a obtenu l’interdiction d’une véritable perpétuité. On mesure la nécessité du rétablissement de la peine de mort pour espérer accomplir la restauration d’une justice digne de ce nom, garante de la sécurité de la population. On ne peut y parvenir sans rompre avec l’humanitarisme antipénal de la religion des droits de l’homme, qui pervertit la justice et fait qu’elle en arrive à produire ce qu’elle a pour mission de combattre : la barbarie.
La justice devenue créatrice d’insécurité [40]
44 On ne saurait trop y insister, l’abolition de la peine de mort a enlevé à la justice pénale sa clé de voûte, car elle a délégitimé par contrecoup toutes les autres peines. Agissant comme une onde de choc, l’abolition a été génératrice à tous les niveaux d’une impunité toujours plus grande des criminels, mais aussi des délinquants. Avec pour conséquence que la justice se trouve pervertie et crée l’insécurité. N’osant plus ou ne voulant plus punir, une justice laxiste laisse en liberté des délinquants inquiétants et remet en liberté des criminels dangereux qui ne tardent souvent pas à passer de nouveau à l’acte. Le fameux principe de précaution, qui obsède tant notre société dans tous les autres domaines, se trouve totalement bafoué. Se réclamant des droits de l’homme, la création indéfinie de droits subjectifs en faveur des criminels, ainsi que la multiplication des mesures bienveillantes à leur profit, fonctionne comme une machine à fabriquer de l’insécurité. Telle est la conséquence de l’ébranlement de l’édifice de la justice criminelle produit par l’abolition de la peine de mort.
45 Celle-ci était un important facteur de sécurité pour la société. On a beaucoup contesté son effet dissuasif global, mais elle avait assurément un pouvoir d’intimidation catégoriel. Ainsi, du fait qu’un tueur de policier était automatiquement condamné à mort et exécuté, il en résultait un grand respect pour la vie des agents de la force publique. Au lieu de quoi, aujourd’hui, ils sont couramment l’objet d’une violence extrême et décomplexée. L’abolition de la peine de mort met grandement en danger la vie des policiers et des gendarmes.
La peine de mort, protectrice de la vie des policiers
46 Très longtemps, la vie des policiers s’est trouvée efficacement protégée par l’existence de la peine de mort. Traditionnellement, en France, celui qui tuait un agent de la force publique était condamné à mort et guillotiné. Aucune grâce n’était à espérer. Cela ne résultait pas d’une disposition du Code pénal, c’était une règle non écrite et non dite, mais très réelle. Elle était bien connue dans le monde de la criminalité, où l’on avait par la force des choses le plus grand respect pour la vie des policiers, les truands évitant au maximum de s’exposer à les tuer.
47 C’est au nom de cette règle implicite que le président René Coty avait refusé en 1957 de gracier un fils de famille ayant mal tourné du nom de Jacques Fesch qui, en s’enfuyant après un cambriolage, avait tué un agent de police. Pourtant, Jacques Fesch se repentit ensuite de manière édifiante. Emprisonné à la Santé avec pour terrible perspective la quasi-certitude de la guillotine dès lors qu’il avait tué un policier, il fut brusquement illuminé par la foi. Empli de remords pour le meurtre qu’il avait commis, et plus généralement pour tout le mal qu’il avait causé par sa vie désordonnée, il ne se révolta pas après le rejet de son recours en grâce, acceptant sereinement la perspective de mourir. Reprenant la démarche du bon larron de l’Évangile, Jacques Fesch accepta la mort comme la juste expiation pouvant l’aider à mériter le pardon divin [41]. Aussi l’archevêché de Paris organisa-t-il en 1987 son procès en béatification. Et, son fils ayant désiré pour lui une réhabilitation posthume, le Conseil constitutionnel invita le législateur à créer une procédure permettant aux ayants droit d’un condamné à mort ayant été exécuté de demander en justice le « rétablissement de son honneur » en raison des « gages d’amendement » donnés par son comportement.
48 Pour autant, gracier Jacques Fesch aurait envoyé aux bandits un message les informant que la vie d’un policier n’était finalement pas si précieuse que cela. L’agent de police tué par lui venait de perdre sa femme et avait une fillette de deux ans, rendue ainsi orpheline de mère et de père. L’exécution de Jacques Fesch, en réaffirmant la norme selon laquelle le meurtrier d’un policier était sûr d’être puni de mort, a empêché d’autres enfants de policiers de devenir orphelins.
49 Depuis la suppression de la peine de mort, il n’y a plus de message dissuasif protégeant les membres des forces de l’ordre, lesquels sont couramment l’objet de violences pouvant entraîner la mort, voire visant à la donner. Il existe clairement parmi les délinquants le sentiment que la vie d’un policier ou d’un gendarme ne vaut pas grand-chose.
50 On mesure combien l’abolition de la peine de mort fut une mauvaise action, qui a désarmé la justice, déconsidéré l’État, et mis gravement en danger la vie des agents de la force publique. Il est urgent de rétablir la peine de mort, au premier chef pour protéger la vie de ceux qui la risquent pour notre sécurité.
Comment rétablir la peine de mort en France
51 Certes, on l’a dit, les autorités françaises ont tout fait pour rendre impossible le rétablissement de la peine de mort. De fait, l’abolition votée en 1981 n’avait rien de définitif car le peuple souverain peut changer d’avis au gré des changements de majorité. Cela s’appelle même la démocratie.
52 Or, pour empêcher cela, le refus de la peine de mort a été placé au-dessus de la souveraineté des citoyens. La France a ratifié le protocole additionnel 13 (de mai 2002) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui décide que nul ne peut être condamné à mort même en temps de guerre, ainsi que le 2e protocole facultatif au Pacte international de l’ONU relatif aux droits civils et politiques (de 1989). Et, afin qu’il lui soit possible d’opérer ces ratifications, la France a introduit en février 2007 dans sa Constitution la règle que « nul ne peut être condamné à la peine de mort [42] ».
53 Tout cela traduit une perversion de la démocratie. La démocratie libérale est abandonnée au profit d’une démocratie droits-de-l’hommiste où ce ne sont plus les citoyens qui sont souverains, mais les dogmes de la religion humanitaire et les juges qui les imposent aux gouvernants comme aux gouvernés. C’est une criante violation de l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel proclame, on le sait, que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation ».
54 Il sera assurément difficile de passer outre au verrouillage politico-juridique destiné à interdire le rétablissement de la peine de mort, qui traduit un parfait mépris envers le peuple. Mais ce n’est pas impossible, surtout en utilisant l’outil du référendum.
Aimer non pas la peine de mort, mais la justice
55 Il n’est pas question pour un être normalement sensible d’aimer la peine de mort. En revanche, il est normal et socialement bon d’aimer la justice, laquelle exige parfois l’usage de la peine de mort. Ce qui fait que, sans aimer la peine de mort, on peut légitimement souhaiter et trouver indispensable qu’elle existe et soit appliquée.
56 Dans un des romans d’Agatha Christie [43], Miss Marple, la gentille vieille dame dont elle a fait un détective amateur de génie, est profondément satisfaite à l’idée que l’assassin machiavélique et impitoyable qu’elle vient de démasquer sera pendu. Elle trouverait injuste et inacceptable qu’il ne le fût pas. Pleine de « la sainte fureur que l’on est en droit d’éprouver à l’encontre d’un assassin dépourvu d’entrailles », elle estime qu’un tel degré d’inhumanité chez un tueur calculateur et froid doit nécessairement être puni de mort. Il n’y a pas chez Miss Marple d’états d’âme concernant la peine de mort. C’est une femme pleine de droiture et d’esprit de justice : a righteous woman.
Mots-clés éditeurs : droits de l’Homme, Peine de mort, abolition, religion
Notes
-
[1]
Jean PRADEL, Histoire des doctrines pénales, Paris, Cujas, 1989, p. 35.
-
[2]
Sigmund FREUD, Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1983 [1929], p. 53-64.
-
[3]
Le mercredi 15 septembre 2021.
-
[4]
John LOCKE, Traité sur le gouvernement civil, II, 16.
-
[5]
Arthur KOESTLER, Albert CAMUS, Réflexions sur la peine capitale, Paris, Gallimard, 2002 [1957].
-
[6]
Jean RENAUD, « Considérations sur la peine capitale », Égards. Revue de la résistance conservatrice, n° XLV, automne-hiver 2014, p. 9, 13.
-
[7]
Jean-Louis HAROUEL, Les droits de l’homme contre le peuple, Paris, Desclée de Brouwer, 2016.
-
[8]
Maurice ALLAIS, L’Europe face à son avenir…, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 153.
-
[9]
Hubert JUIN, « Introduction », dans Victor HUGO, Choses vues (1830-1846), Paris, Gallimard, 1972, p. 23.
-
[10]
Cesare BECCARIA, Des délits et des peines, traduction de Maurice Chevallier (1965), préface de Robert Badinter, Paris, Flammarion, 1991.
-
[11]
Victor HUGO, Le dernier jour d’un condamné, édition présentée, établie et annotée par Roger Borderie, préface de 1832, Paris, Gallimard, 2000.
-
[12]
Jean-Louis HAROUEL, « Hugo aimait les assassins », dans Études d’histoire du droit privé en souvenir de Maryse Carlin, Paris, La Mémoire du droit, 2008, p. 451-462. Texte repris dans : Jean-Louis HAROUEL, À la recherche du réel, Presses universitaires de Limoges (Pulim), 2019, p. 653-662.
-
[13]
Victor HUGO, Préface de 1832, Le dernier jour d’un condamné, op. cit., p. 144.
-
[14]
Sensible, cultivé, intelligent, délicat, bien élevé, plein de cœur, sachant le latin dont il dit quelques mots au concierge de la prison de Bicêtre qui ne les comprend pas, le condamné du roman est tout simplement Hugo à vingt-six ans, son âge en 1828, au moment où il écrit le livre. Ce prétendu « condamné quelconque » est tellement bien Hugo qu’il a les mêmes souvenirs d’enfance que lui au jardin des Feuillantines, et que sa fille a exactement le même âge que Léopoldine, la fille du romancier.
-
[15]
Robert BADINTER, L’exécution, Paris, Grasset, 1973, p. 111-112, 115-117.
-
[16]
Robert BADINTER, L’abolition, Paris, Fayard, 2000, p. 93-103.
-
[17]
Plein de mépris pour l’attachement des Français à la peine de mort, l’avocat Robert Badinter avait vainement appelé en 1972 le président Georges Pompidou à « braver le sentiment commun » en abolissant le châtiment suprême. L’exécution, op. cit., p. 171. Le triomphe socialiste de 1981 lui permettra d’être le grand metteur en scène de cette abolition, au mépris de l’opinion majoritaire des Français.
-
[18]
Exode, 20, 13.
-
[19]
« Mon royaume n’est pas de ce monde », Jean, 18, 36.
-
[20]
Matthieu, 22, 21.
-
[21]
Jean-Marie CARBASSE, La peine de mort, Paris, PUF, 2002, 2011 [2002], p. 14.
-
[22]
Ire Épître de saint Pierre, 2, 13-14.
-
[23]
Épître aux Romains, 13, 3-4.
-
[24]
Paul VEYNE, Quand notre monde est devenu chrétien, Paris, Albin Michel, 2007, p. 254.
-
[25]
« La considération de bien commun interdit normalement à l’État un pardon ou une indulgence qu’on pourrait louer (et d’ailleurs pas toujours) chez les individus » : Jean RENAUD, « Considérations sur la peine capitale », art. cité, p. 9.
-
[26]
Matthieu, 18, 12-13 ; Luc, 15, 3-7.
-
[27]
Marie-Yvonne CRÉPIN, « Crime, châtiment et repentir à Quimperlé en 1788 », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. XCV, 2017, p. 109-119.
-
[28]
Jean-Louis HAROUEL, « Brèves réflexions sur la phobie de la peine de mort », dans Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire. Mélanges offerts à Jean Pradel, Paris, Cujas, 2006, p. 369-379. Texte repris dans : Jean-Louis HAROUEL, À la recherche du réel, op. cit., p. 643-651.
-
[29]
Jean-Marie CARBASSE, La peine de mort, op. cit., p. 124.
-
[30]
Dominique JAMET, « Peine de mort : le retour », Valeurs actuelles, 16 septembre 2021, p. 14.
-
[31]
Raymond BOUDON, Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 73-74, 114-116.
-
[32]
Jean-Louis HAROUEL, Les droits de l’homme contre le peuple, op. cit.
-
[33]
Roland HUREAUX, Gnose et gnostiques. Des origines à nos jours, Paris, Desclée de Brouwer, 2015 ; Serge HUTIN, Les gnostiques, Paris, PUF, 1959 ; Jacques LACARRIÈRE, Les gnostiques, Paris, Albin Michel, 1994.
-
[34]
Norman COHN, The Pursuit of the Millenium, Londres, Pimlico, 2004 [1957].
-
[35]
Eric VOEGELIN, La nouvelle science du politique, Paris, Seuil, 2000 [1952], p. 234-241. L’auteur appelle gnostique tout ce qui vient de Joachim de Flore, mais la pensée de celui-ci mêlait les deux hérésies, si bien qu’il est préférable de parler de rêve gnostico-millénariste.
-
[36]
Philippe PONS, « Au Japon, il ne faut pas “troubler l’âme” des condamnés à mort », dans La peine de mort. Chronique d’un débat passionné, Paris, Librio, 2005, p. 114-115.
-
[37]
Daniel J. MAHONEY, « L’humanitarisme et la subversion du christianisme. Aurel Kolnai et Benoît XVI », dans La Charité et le bien commun, dir. Philippe Bénéton, La Roche-sur-Yon, Presses universitaires de l’ICES, 2019, p. 159.
-
[38]
Sigrid CHOFFÉE-HAROUEL, « Brèves réflexions sur la pérennité de la peine de mort aux États-Unis », dans Études offertes à Jean-Louis Harouel, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2015, p. 1023-1046.
-
[39]
Jean PRADEL, Histoire des doctrines pénales, op. cit., p. 93-100.
-
[40]
Xavier BÉBIN, Quand la justice crée l’insécurité, Paris, Fayard/Pluriel, 2016.
-
[41]
Jean DUCHESNE, Bernard GOULEY, L’affaire Jacques Fesch, Paris, Éditions de Fallois, 1994, p. 205.
-
[42]
Article 66-1 de la Constitution.
-
[43]
A Pocket Full of Rye (Une poignée de seigle), 1953.