Notes
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[1]
Communautés de personnes désorientées.
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[2]
Apparues en 1995 à Berlin, sous la forme de colocations autogérées par un collectif d’aidants accompagnés par un service de soins à domicile. Conçues pour répondre spécifiquement « au besoin des personnes désorientées, de par leur petite taille et la possibilité d’un accompagnement intensif, elles sont appréciées parce qu’elles concilient normalité et familiarité d’un lieu de vie comme au domicile, avec les avantages de la vie sociale d’une petite communauté et la possibilité de bénéficier de soins et d’un accompagnement adapté. Elles ne sont pas considérées comme une solution transitoire et intermédiaire, mais comme un nouveau domicile » (extrait, Documents Cleirppa, cahier no 49, février 2013. [En ligne] http://halage.info/wp-content/uploads/2015/02/H%C3%A9l%C3%A8ne-Leenhardt.-D%C3%A9j%C3%A0-la-cinqui%C3%A8me-g%C3%A9n%C3%A9rationd%C3%A9tablissements-en-Allemagne.pdf
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[3]
C’est à dire, avec une dépendance faible ou moyenne. Le GIR (groupe iso-ressource) désigne le niveau d’autonomie des personnes âgées, évalué par la grille AGGIR (ndlr).
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[4]
Parole d’une aidante.
Contexte de l’initiative
1 Des familles touchées par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée ont sollicité Les petits frères des Pauvres en 2008. Enfants ou conjoints vivaient des expériences difficiles, soit pour permettre à leur parent malade de rester à domicile, soit pour accompagner son entrée en établissement lorsque celle-ci est inévitable. Leurs situations familiales les ont amenées à réfléchir à des alternatives, ce qui a conduit l’association à mener une réflexion sur la façon de répondre à cette demande. Un groupe de travail – associant les familles, France Alzheimer Oise, le réseau Aloïse et l’association Monsieur Vincent – a été mis en place pour repérer diverses formes d’alternative au maintien à domicile individuel ou à l’entrée en établissement spécialisé. Il a fallu huit années de maturation au projet pour créer une solution d’habitat expérimentale et innovante : la colocation à responsabilité partagée.
2 Issue ainsi d’une initiative citoyenne et soutenue par un réseau associatif composé des petits frères des Pauvres, de la fondation Bersabée, du réseau Aloïse, de France Alzheimer Oise et de l’association Monsieur Vincent, la colocation à responsabilité partagée a ouvert ses portes à Beauvais le 4 janvier 2016. Il s’agit d’une grande maison pouvant accueillir sept locataires partageant un salon, une salle à manger, une cuisine et un jardin clos. La responsabilité est dite « partagée » entre les différentes parties prenantes (les familles et le réseau associatif), afin de créer un lieu de vie permettant un équilibre entre la protection de personnes extrêmement fragiles, la garantie des soins et le respect des libertés et des espaces individuels.
3 Cette forme d’habitat trouve son origine dans l’expérience de « Demenz Wohngemeinschaften [1] » menée à Berlin par les petits frères des Pauvres [2]. Elle est largement inspirée du développement des domiciles partagés par le Comité de liaison des associations des retraités et personnes âgées (CLARPA) dans le Morbihan et de l’approche Carpe Diem au Québec. Devant la difficulté à organiser le répit de l’aidant sans le déposséder de l’accompagnement qu’il dispense à son parent malade, la colocation à responsabilité partagée propose une réponse à la problématique du bouleversement des relations au sein de la famille par l’apparition de la maladie d’Alzheimer. Il s’agit de permettre au couple parent/aidant de reprendre des relations sur un autre plan que celui où les amène la maladie et de préserver à chacun une posture d’acteur citoyen dans un projet de co-construction solidaire.
Les objectifs de l’action et le public accueilli
4 L’objectif général vise à mettre en commun des moyens pour garantir une présence continue auprès des personnes souffrant de troubles neurodégénératifs, à savoir :
- vieillir à domicile, au sein d’un quartier, ouvert à un réseau social ;
- bénéficier d’une attention personnalisée ;
- favoriser l’autonomie de chacun le plus longtemps possible ;
- permettre l’engagement des aidants familiers.
5 Ce lieu de vie développe un accompagnement à dimension familiale afin de permettre de mieux vivre en favorisant spécifiquement :
- l’implication de l’aidant familier dans la prise en charge, et son changement de posture à l’égard de son parent ;
- la préservation de l’intimité des personnes (colocataires, aidants, visiteurs…) ;
- le respect des rythmes de vie de chacun ;
- la participation aux actes de la vie quotidienne ;
- le « prendre soin » de la personne malade ;
- le choix entre des temps de vie collective et des temps de vie personnelle.
6 Les publics ciblés sont les malades ne pouvant plus vivre au domicile d’origine et également ceux qui ne trouvent pas leur place dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Ils présentent, à l’entrée, des aptitudes à vivre dans une petite collectivité, un minimum de mobilité conservée et une capacité à communiquer (verbalement ou non), sans pathologie lourde associée (GIR 4 et GIR 3 [3]).
7 Les colocataires présents ont entre 52 ans et 91 ans et comptent un couple. Un des colocataires atteint de démence vasculaire grave, avec perte partielle de la communication vocale, était auparavant hospitalisé en EHPAD.
L’organisation de l’action
8 Ce lieu de vie fonctionne sur une triple contractualisation. Un contrat de colocation, un contrat de service de maintien à domicile ainsi qu’une adhésion des colocataires et de leurs aidants familiers au projet de « vivre ensemble » dans le cadre d’une convention d’engagements réciproques dont le contenu est détaillé ci-dessous. Le partage de responsabilités entre les différentes parties prenantes s’organise de la manière suivante :
- la fondation des petits frères des Pauvres (fondation Bersabée) est propriétaire de la maison et la loue aux sept colocataires – bail classique de colocation. L’association Les petits frères des Pauvres assure l’ingénierie de projet et l’accompagnement des colocataires grâce à une équipe de vingt bénévoles soutenus par une salariée. Cette dernière est par ailleurs mise à disposition par l’association à mi-temps pour un an afin d’assurer la médiation nécessaire au démarrage ;
- de leur côté, les familles s’engagent à assurer une présence régulière et à participer à la vie et au fonctionnement de la maison auprès du colocataire aidé ;
- dans le cadre de prestations, l’ADHAP (service d’aide à domicile agréé) garantit la présence 24 heures sur 24 d’une aide à domicile au sein de la colocation. Il planifie, coordonne, forme et soutient les salariés intervenant dans la colocation, afin d’assurer la cohérence et la continuité de la prise en charge des colocataires ;
- France Alzheimer Oise informe et forme les aidants familiers et est porteur de la communication de l’expérimentation auprès du grand public ;
- le réseau Aloïse forme et soutient les professionnels intervenant dans la colocation ;
- enfin, l’association Monsieur Vincent contribue à l’ingénierie de projet et favorise un éventuel accueil de toute personne participant à la colocation au sein de l’un de ses établissements ayant des services adaptés, lorsque la situation de celle-ci demande une réorientation du fait de la perte de ses capacités, liée à sa maladie neuro-dégénérative.
Les caractéristiques de l’action de colocation
9 La pertinence de cette expérimentation s’appuie sur différents paramètres. D’abord, la diversification des modalités de réponses aux personnes atteintes de maladies neurodégénératives permet d’aller au-delà de la dualité établissement/logement autonome. Le cadre de vie familial est maintenu dans un espace domiciliaire (notamment, chaque locataire aménage sa chambre avec ses propres meubles pour être « comme chez soi »), accompagné d’un soutien des aidants familiers. Un travail en réseau est actif avec diverses associations locales. L’offre d’un espace stimulant permet de lutter contre les effets de la maladie. Enfin, un tarif abordable est proposé, plus cher qu’à domicile mais moins cher qu’en établissement. Il est à noter que les locataires perçoivent l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et l’aide personnalisée au logement selon leurs ressources.
10 Des principes fondamentaux humainement remarquables distinguent l’action, à savoir :
- la collégialité ;
- l’égalité des membres (un homme, une voix) ;
- la mutualisation des moyens : mise en commun des heures de maintien à domicile, de l’APA, partage de la maison et des frais de la vie quotidienne ;
- l’entraide et la solidarité entre tous.
11 Cette action fonctionne selon un mode de gouvernance innovant. Un conseil de colocation et un comité de suivi qui, par leur composition et par leurs modalités de fonctionnement, favorisent l’autogestion et une forme d’organisation coopérative.
Le conseil de colocation
12 Le conseil de colocation est composé de chaque colocataire et de son aidant familier, de deux représentants des petits frères des Pauvres (un salarié coordinateur et un bénévole) et d’un représentant de l’ADHAP (avec voix consultative). Les partenaires peuvent participer sur invitation. Ses missions sont les suivantes :
- le groupe de colocataires prend des décisions relatives aux différents aspects de la vie collective : utilisation et agencement des parties communes, acquisitions communes, argent du ménage, gestion des excédents des comptes du ménage, animaux de compagnie par exemple… ;
- il s’engage à veiller au bon fonctionnement de la vie quotidienne ;
- il instruit les demandes d’attribution des chambres ;
- il joue un rôle de régulation et dispose de la possibilité d’ajustement des règles de la colocation en fonction des besoins.
Le comité de suivi
13 Le comité de suivi est composé des petits frères des Pauvres (un salarié référent et un bénévole), du réseau Aloïse, de France Alzheimer Oise, de l’association Monsieur Vincent, de l’ADHAP, de la fondation Bersabée, d’un représentant des colocataires et de leurs aidants. L’invitation de tous représentants des partenaires, associatifs et institutionnels se fait selon la demande et les besoins. Ses missions sont :
- d’accompagner et de soutenir la mise en œuvre du projet ;
- d’assurer une aide à la prise de décision des colocataires et de leurs aidants au sein du lieu de vie ;
- d’assurer le suivi de la viabilité économique et sociale du projet et d’effectuer les ajustements éventuels, car il est le garant de l’esprit de la colocation ;
- pour chaque membre, d’assurer l’interface avec son institution d’origine ;
- d’organiser l’évaluation du projet.
14 La reproductibilité de l’action repose sur la volonté d’acteurs de terrain et sur le soutien des partenaires médico-sociaux et des collectivités, à savoir :
- les associations porteuses de projet qui assurent l’ingénierie, la solvabilisation des familles par le biais de fonds d’aide à la personne, la solvabilisation du projet grâce à une aide au démarrage pour compléter le manque à gagner dû à l’occupation progressive de la maison ;
- un groupe de personnes (aidants ou bénévoles) investies dans la construction de ce projet de vivre ensemble ;
- le conseil départemental acceptant de mener une politique audacieuse, soutenant le projet en s’engageant à accorder les plafonds APA ;
- un bailleur socialement engagé, acceptant de louer à sept personnes malades.
15 L’action est bien intégrée dans le tissu local : les colocataires proviennent de Beauvais ou des environs, de même que les bénévoles, l’ADHAP et l’infirmière sont de Beauvais, ainsi que le réseau Aloïse et France Alzheimer Oise.
Premiers résultats et perspectives
16 La colocation compte actuellement six locataires, une septième personne va prochainement être accueillie selon l’avis des colocataires et familles présentes.
17 En cours depuis six mois, l’expérimentation est encore jeune. N’ayant pas encore assez de recul pour tirer les enseignements des bienfaits de ce lieu de vie, nous escomptons néanmoins voir diminuer la prise de médicaments ou encore retarder l’arrivée de la perte d’autonomie. Le conseil départemental assure d’ailleurs un suivi afin d’évaluer l’impact sur la santé de ce mode de vie.
18 Cependant nous pouvons relater l’expérience de certains colocataires et aidants familiers :
19 « Mon père ne parlait plus et ne souriait plus ; au bout de quelques jours au sein de la colocation, il reparle et sourit [4]. » Les familles se sont investies au sein du conseil de colocation auprès de leurs parents, certaines exprimant leur désir de se poser après une période particulièrement épuisante.
20 L’aidant voit son rôle (et sa place) se transformer auprès de son parent : soulagé des tâches et contraintes matérielles, il a un autre mode de présence auprès de lui, il peut passer davantage de temps à stimuler les ressources de l’aidé.
21 Une première évaluation du projet par un cabinet extérieur est prévue au début de l’année 2017. L’année 2016 est consacrée à la construction commune du cadre évaluatif (concernant l’action, le fonctionnement et l’organisation ainsi que le partenariat et l’environnement) et la construction du protocole évaluatif. Le premier trimestre 2017 sera consacré au recueil des informations évaluatives et à la rédaction du rapport final d’évaluation.
22 Il s’agit d’un projet expérimental prévu sur deux ans. À l’issue de son évaluation, il sera envisagé de dupliquer cette expérience sur un autre site, si le constat positif est partagé par l’ensemble des parties prenantes et notamment par le conseil départemental. Nous en ferons la promotion si d’autres porteurs de projet sont intéressés par cette démarche.
23 Ce type d’accueil est représentatif de l’attente des personnes âgées et de leurs proches aidants pour que des formes nouvelles d’habitat voient le jour et qu’un réel choix soit possible en fonction des projets de vie.
24 L’importance laissée à la co-construction – tant dans la phase projet que dans le fonctionnement au quotidien – des parties prenantes en fait la richesse et aussi toute la complexité. Sa reproduction en est impossible telle quelle, mais imaginable sous des formes variées s’il existe une réelle volonté, tant des partenaires professionnels que des collectivités, qui sont appelés à se saisir de ces initiatives (et donc à sortir des schémas classiques) pour inventer l’habitat de demain.
Notes
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[1]
Communautés de personnes désorientées.
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[2]
Apparues en 1995 à Berlin, sous la forme de colocations autogérées par un collectif d’aidants accompagnés par un service de soins à domicile. Conçues pour répondre spécifiquement « au besoin des personnes désorientées, de par leur petite taille et la possibilité d’un accompagnement intensif, elles sont appréciées parce qu’elles concilient normalité et familiarité d’un lieu de vie comme au domicile, avec les avantages de la vie sociale d’une petite communauté et la possibilité de bénéficier de soins et d’un accompagnement adapté. Elles ne sont pas considérées comme une solution transitoire et intermédiaire, mais comme un nouveau domicile » (extrait, Documents Cleirppa, cahier no 49, février 2013. [En ligne] http://halage.info/wp-content/uploads/2015/02/H%C3%A9l%C3%A8ne-Leenhardt.-D%C3%A9j%C3%A0-la-cinqui%C3%A8me-g%C3%A9n%C3%A9rationd%C3%A9tablissements-en-Allemagne.pdf
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C’est à dire, avec une dépendance faible ou moyenne. Le GIR (groupe iso-ressource) désigne le niveau d’autonomie des personnes âgées, évalué par la grille AGGIR (ndlr).
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Parole d’une aidante.