Couverture de RFAS_141

Article de revue

Échec annoncé de la lutte contre le surendettement des particuliers en France ? Sociologie d'une forme d'assistance

Pages 78 à 99

Notes

  • [*]
    Maître de conférences en sociologie, UMR CNRS ESO 6590, université d’Angers.
  • [1]
    Avec plus de 800 000 dossiers déposés entre 1990-2012 et une progression moyenne annuelle de 250 000 dépôts, le chiffre de 1 million est probablement trop « optimiste ».
  • [2]
    Les rapports publics sur « l’endettement et le surendettement des particuliers » se succèdent depuis les années 1990 et les constats sont de plus en plus alarmants (www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics). Pour exemple en 2012 :
    • Assemblée nationale (novembre 2012), Rapport fait au nom de la Commission des affaires économiques sur la proposition de loi tendant à prévenir le surendettement, no 221.
    • Assemblée nationale (janvier 2012), Rapport fait au nom de la Commission des affaires économiques sur la proposition de loi tendant à prévenir le surendettement, no 4087.
    • Athling (septembre 2012), Impact de la loi entrée en vigueur le 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, rapport réalisé pour le Conseil consultatif du secteur financier.
    • Fraisse H., Froute P. (novembre 2012), « Households Debt Restructuring : Evidence from the French Experience », Document de travail, no 404, Direction générale des études et des relations internationales, Banque de France.
  • [3]
    Cour des comptes (février 2013), La lutte contre le surendettement des particuliers : des progrès encore trop limités, rapport public annuel ; Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale (28 mai 2013), Compte rendu, no 80.
  • [4]
    Les éléments présentés sont issus du programme de recherche pluridisciplinaire : « Argent des particuliers et médiations sociales », 2011-2013, UMR CNRS ESO 6590/université d’Angers, sous la direction de R. Gaillard, soutenu par la Région des Pays de la Loire.
  • [5]
    « Exclus, pauvres, inadaptés, handicapés, surendettés », l’épistémologie sociologique met en garde sur ces notions et catégories quand elles sont utilisées de manière descriptive ou explicative. Ces catégorisations peuvent rendre invisibles socialement des populations jusqu’au jour où des situations extrêmes (vagues de grands froids, ouragan) rappellent leur existence (Huret, 2010).
  • [6]
    La Banque de France et ses agences départementales sont en charge, depuis 1989, du soutien administratif des dispositifs de désendettement en créant des secrétariats dédiés. Son personnel et ses services organisent et font circuler l’ensemble des éléments administratifs permettant de constituer un dossier légitime à intégrer à une demande en procédure de lutte contre l’endettement. Retirés auprès de ses agences départementales, les dossiers nécessaires sont gratuits ainsi que l’ensemble de la procédure.
  • [7]
    Comme toute approche chiffrée, une prudence s’impose dans l’usage de ce type de descriptions quantitatives tant pour les enjeux sociaux de leur production (Desrosières, 2008) que les masquages qu’ils opèrent (Gaillard, 2014). Cependant, une comparaison des profils obtenus à partir des statistiques de la Banque de France avec d’autres issus d’enquêtes confirme les grandes caractéristiques de la population concernée.
  • [8]
    Publications Banque de France 2008 et 2010, Baromètres du surendettement décembre 2007, 2011, 2012, 2013 ; site : www.banquedefrance.fr
  • [9]
    Les dossiers ayant une capacité de remboursement négative (donc éligibles à la PRP) sont deux fois plus nombreux en 2010 qu’en 2001. Rapport Banque de France, 2010.
  • [10]
    Dans le groupe des salariés (30 %), les personnes en CDI sont majoritaires en 2010, mais les demandeurs d’emploi ou sans profession reste plus élevés de 10 % avec toutes situations cumulées, plus de 40 % de la population. Rapport Banque de France, 2010.
  • [11]
    Les prestations sociales sont équivalentes aux salaires en termes de ressources dans l’observation 2010. Rapport Banque de France, 2010.
  • [12]
    Compte rendu no 80 de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, op. cit.
  • [13]
    Selon l’article L331-1 du code de la consommation le « surendettement » concerne « des personnes physiques […] dont la situation est caractérisée par l’impossibilité manifeste […] de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir ».
  • [14]
    Loi no 89-1010 du 31 décembre 1989, JO no 1 du 2 janvier 1990.
  • [15]
    Article 4, loi no 89-1010, op. cit. : « Plan de report ou de rééchelonnement des paiements des dettes, de remise des dettes, de réduction ou de suppression du taux d’intérêt, de consolidation, de création ou de substitution de garantie. »
  • [16]
    Le juge peut alors intervenir sur la situation par différents leviers : faire réduire les dettes, imposer des échelonnements aux créanciers mais aussi contraindre la personne endettée à la vente de biens (mobiliers ou immobiliers), ou encore lui interdire l’utilisation de crédits aggravant sa situation.
  • [17]
    Loi Borloo, no 2003-710, JO du 2 août 2003.
  • [18]
    Si des expérimentations existaient exceptionnellement dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle, elles sont restées limitées jusqu’en 2003.
  • [19]
    Loi Borloo, op. cit.
  • [20]
    La faillite professionnelle comprend une sanction, ce qui n’est pas le cas dans la PRP.
  • [21]
    Par le biais des relevés de comptes bancaires ou toutes autres pièces administratives.
  • [22]
    Les observations réalisées sur les pratiques d’accompagnement social en matière de désendettement (Gaillard, 2013, programme de recherche Argent des particuliers et médiations sociales) indiquent systématiquement un démarrage trop tardif des procédures et une sollicitation dans l’urgence des services sociaux. De nombreux démarrages de dossiers ne vont pas jusqu’à leur terme et une population importante stoppe les démarches avant même l’étude de la recevabilité de leur situation par les commissions.
  • [23]
    Les résultats des enquêtes de terrain (Gaillard, 2013, programme de recherche, op. cit.) indiquent que les personnes ayant bénéficié de la procédure (moratoire ou PRP) sont soulagées au moins ponctuellement. Cet effet protecteur est confirmé par les travailleurs sociaux et les bénévoles associatifs accompagnant les personnes en difficulté (Gaillard, 2013).
  • [24]
    Si cette organisation juridique procure donc une forme de protection peu liberticide, le dépôt d’un dossier implique néanmoins une inscription automatique au fichier des incidents de paiements. Celle-ci n’interdit pas d’emprunter à nouveau, mais un crédit supplémentaire sans accord de la commission pourra être jugé comme une aggravation de l’endettement et entraîner une accusation de « mauvaise foi », qui annule alors la protection.
  • [25]
    Cette demande est faite depuis longtemps par certaines associations de défenses de consommateurs (CLCV) qui repèrent dans les situations collectées des stratégies commerciales généralisées source d’endettement et parfois illégales.
  • [26]
    Un rapport sur les familles monoparentales insiste sur ce point aveugle de la pauvreté (Eydoux et Letablier, 2007). De plus, notre étude sur le Maine et Loire indique logiquement qu’en termes de revenu, les hommes ou femmes seuls possèdent un revenu moyen de 800 à 1100 euros alors que les couples doublent ces revenus (Gaillard 2013, programme de recherche, op. cit.).
  • [27]
    En plus du type de ressources, le type de logement locatif ou l’absence d’épargne impliquent une absence de capitaux pouvant être utilisés dans le rééquilibrage financier de la situation.
  • [28]
    Les travaux sur la réorganisation de la justice montrent également que les procédures amiables servent à décharger les tribunaux d’instance d’une part importante des dossiers de surendettement dans une volonté de désengorgement. Rapport de l’Assemblée nationale du 25 juin 1998 fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (no 956) relatif à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits par Jacques Bruhnes.
  • [29]
    Certains juristes reprochent aux lois sur le surendettement de remettre en cause les principes fondamentaux du droit des contrats, ce qu’avait déjà regretté Georges Ripert en 1936 (Putman, 1994) à propos de l’assouplissement du délai de grâce accordé aux personnes débitrices malheureuses et de bonne foi.
  • [30]
    Ce « socle de ressources et de droits qui ont donné à la majorité des individus dans la société moderne (ceux qui n’étaient pas protégés et reconnus sur la base de la propriété privée) les moyens de leur indépendance et les ont ainsi pourvu d’une citoyenneté sociale pendant de la citoyenneté politique » (Castel, 2009).
  • [31]
    Chapitre II, loi no 95-125 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, JO no 34 du 9 février 1995.
  • [32]
    Les modifications ont impliqué la transmission du pouvoir du juge d’exécution, via la création des commissions de surendettement de la Banque de France, à un groupe sans qualité ni contrôle juridique. Cette transmission du pouvoir du juge vers des commissions fragilise le fait pour les personnes d’être entendues comme des sujets de droit rencontrant des difficultés sociales et pas seulement des usagers d’un outil monétaire. Outre la présence du préfet en tant que représentant de l’État, celles du trésorier payeur général, du directeur de la Banque de France et des représentants des banques et des sociétés de crédit impliquent des participants aux grilles de lecture monétaires plus que sociales et juridiques, malgré les voix des représentants des usagers, et les avis d’un travailleur social et d’un juriste.
  • [33]
    Danielle Salomon souligne en effet combien cette réalité s’explique par le fait que la loi Neiertz fut le fruit de conflits en interne entre ces acteurs centraux que sont la Banque de France et derrière elle les autorités de tutelles à travers le ministère de l’Économie et des Finances. La Banque de France, jouant avec cette loi, à l’occasion de détenir un pouvoir sur les opérateurs bancaires distributeurs de crédits en désaccord avec une autre lecture économique et politique protégeant les acteurs bancaires dans leur fonction de moteur de croissance. Le fonctionnement interne de la Banque de France (et les enjeux qui accompagnaient le traitement des dossiers en son sein) augmentant la valorisation d’un traitement financier et non social des situations (Salomon, 1997).
  • [34]
    Les populations « pauvres » représentent un marché et les publicités de nombreuses banques ne s’y trompent pas en proposant l’ouverture de crédit renouvelable (taux d’intérêt de 17 %) quand ces derniers sont confrontés à « des imprévus ». Il faut penser également aux sommes importantes obtenues par le paiement des pénalités bancaires et dont les apports participent au capital des sociétés financières et des banques.

Introduction

1Fin 2013, les commissions départementales françaises créées en 1989 afin de réguler l’endettement des individus auront reçu plus d’un million [1] de dossiers alors que leur existence devait être éphémère. Si ces commissions issues d’une production législative conséquente témoignent d’une attention de l’État et de la société civile [2] à l’égard de cette situation, le nombre de personnes en difficulté dans leur gestion financière quotidienne ne cesse de croître. Les lois et dispositifs juridiques censés endiguer cette croissance entre 1989 et 2013 modifièrent les conditions d’emprunt d’argent et la réglementation en matière de crédit et de prévention de l’endettement, mais les dépôts annuels de nouveaux dossiers de demande de « désendettement » ne faiblissent pas. Les récents rapports et débats [3] sur le fonctionnement de cet ensemble juridique s’inquiètent de ce flux continu d’endettement et insistent sur la portée sociale très limitée de la réponse publique construite depuis vingt ans.

2Afin de contribuer à l’analyse sociologique (cf. encadré) de la réponse publique visant la réduction de l’endettement des familles et des individus, cet article [4] propose un bilan critique du traitement juridique et social construit pour y remédier. Distinct du point de vue juridique, le travail sociologique s’interroge sur ce qui advient du droit dans les rapports sociaux et sur les sources d’influence qui le détermine. Attentif à l’hypothèse d’une détermination de l’ordre juridique par l’ordre économique (Weber, 2003), notre analyse des droits liés aux situations d’endettement va suivre ce type de problématisation et c’est à partir des formes d’assistance à l’œuvre envers les personnes en difficulté que nous nous proposons de l’étudier.

3L’intérêt sociologique d’une observation des formes d’assistance est double. Il permet de saisir ce qui est concrètement mis en œuvre en direction des populations concernées, au-delà de l’abstraction de la règle juridique. Il éclaire ensuite les rapports sociaux sous-jacents et leur dynamique interne. Les formes d’assistance construites vers des populations catégorisées renseignent, en effet, sur les régulations sociales d’une société donnée. Les travaux sociologiques sur les relations d’assistance rappellent ainsi que, derrière toute volonté apparente de réduction des inégalités, se cache le maintien d’une structuration sociale fondée sur ces inégalités (Simmel, 2011 ; Castel, 1995 ; Paugam, 2005). L’affichage social et solidaire des lois et des pratiques d’assistance peut alors masquer la disparition d’un État social protecteur (Chauvière, 2011 ; Duvoux, 2013).

4Cet article est structuré en plusieurs temps. Tout d’abord, nous proposons une description des populations concernées par le surendettement et un rappel du traitement juridique construit pour répondre à cette « nouvelle urgence sociale » (Delevoye, 2013). L’adéquation entre les moyens juridiques utilisés et les finalités sociales poursuivies sera ensuite discutée pour appréhender les causalités externes ou internes d’un potentiel échec de ces procédures. Au final, la volonté publique affichée de protéger des individus et des familles gravement endettés va se révéler relative au regard d’une analyse critique des pratiques d’assistance. Les ambitions solidaires à l’égard des populations concernées vont s’avérer, en effet, cadrées par une tradition contractualiste du droit qui s’articule aux forts enjeux économiques des crédits.

Encadré : Travaux de recherche sur l’endettement financier

Un état des lieux des travaux de recherche sur l’endettement financier des individus permet d’identifier un intérêt inégal des sciences sociales à l’égard de cette question. Les angles d’approche entre disciplines sont variables et la place centrale des processus d’endettement au sein de la littérature juridique ne se retrouve pas en économie ou en sociologie où cette thématique est marginale. Un panorama des publications permet le repérage suivant.
• La littérature juridique sur l’endettement des personnes est importante. Elle suit le rythme des textes de lois et les modifications qui les accompagnent. L’apparition de la première loi de « lutte contre le surendettement » en 1989 (dite Loi Neiertz) et ses réformes successives (2003-2010) firent l’objet de publications ponctuant ses évolutions (Oppetit, 1991 ; Lagarde, 2003 ; Piedlièvre, 2004 ; Gjidara-Decaix, 2011). L’une des modifications importantes de la loi Neiertz, portant sur le rétablissement personnel et mise en œuvre en 2003, fut suivie de colloque récent (Henaff, 2008 ; 2013) et visait un bilan anniversaire.
• Les travaux en économie sont plus ponctuels et le crédit constitue le niveau d’entrée principal pour aborder à la périphérie les processus d’endettement des individus (Gaudin, 1993 ; Balaguy, 1996). Il faut cependant noter les travaux s’intéressant aux microcrédits où les processus d’endettement sont explicitement articulés (en France ou en Corée du Sud) aux usages de ce type particulier de crédits (Glémain et Bioteau, 2013 ; Bidet, 2013).
• Si les travaux sociologiques sur les usages sociaux de l’argent sont historiquement conséquents (Simmel, 1999 ; Bourdieu et al., 1963 ; Bouilloud et Guienne 1999 ; Zelizer 2005 ; De Blic et Lazarus, 2007, Lazuech, 2012), l’endettement résultant des pratiques monétaire est comme en économie l’objet d’un nombre de recherches plus réduit et souvent centrées sur les relations banques-usagers ou sur les pratiques de crédits (Cusin, 2005 ; Lacan et al., 2009 ; Lazzarato, 2011).
• Les dispositifs juridiques de régulation des dettes financières des individus ne sont que récemment étudiés (De La Houge, 2002 ; Perrin-Heredia, 2010 ; Billaudeau et al., 2013) alors que la législation sur l’endettement personnel date de 1989.

Personnes endettées et enjeux de leur identification

5La connaissance précise du profil des personnes concernées est très fragile alors que de nombreux chiffres sont utilisés pour les décrire au sein de la population française. Malgré l’existence depuis une dizaine d’années de statistiques sur les « surendettés », le dénombrement de la population exacte est impossible. Les chiffres avancés suivant les critères choisis varient entre 500 000 et 4 millions de personnes (Rebière, 2006, 2013). Si les « surendettés » échappent à un décompte homogène alors qu’un grand nombre de travaux et de rapports publics énonce des chiffres croissants à leur sujet, l’usage de cette catégorie [5] pose également problème. Elle crée une confusion entre sa fonction cognitivo-administrative et sa capacité explicative au risque de l’utiliser comme une notion « éponge » (Thomas, 2008).

6Même si la Banque de France [6] lance depuis peu des investigations qualitatives à la suite d’enquêtes typologiques, il est impossible de connaître précisément le profil des personnes « surendettées ». Les réponses fournies dans les dossiers déposés auprès des commissions de désendettement contiennent cependant un certain nombre d’informations. La population retenue dans nos travaux est identifiée à partir des dossiers administratifs utilisés au sein des procédures et les chiffres présentés [7] sont extraits des rapports [8] de la Banque de France. Que contiennent ces rapports et que peut-on déduire sur la population qu’ils révèlent ?

7Ces chiffres décrivent tout d’abord, depuis 2007, un accroissement massif et régulier du nombre de dépôts de dossiers auprès des commissions en charge des procédures de désendettement. Avec une progression annuelle de 250 000 dépôts et plus d’un million de demandes entre 1989 et 2013, cette croissance irréversible et continue s’impose dans les observations quantitatives. Si le nombre de personnes est en réalité plus faible que le nombre de dossiers, certaines familles faisant des dépôts successifs, cette succession présage de difficultés récurrentes impossibles à résorber. L’importance des dépôts successifs est telle que, depuis quelques années, les rapports de la Banque de France (2011, 2012 et 2013) y accordent une attention toute particulière. Plus de 85 % des dépôts successifs semblent en effet s’expliquer par une aggravation des situations observées et non un irrespect des procédures par les personnes concernées. Ces dépôts signent une mise en échec potentielle de la régulation actuelle des dettes. Ce constat inquiétant sera repris plus loin au cours de notre analyse qualitative du cadre juridique de désendettement, on peut considérer dès à présent qu’il souligne la forme irréversible de l’endettement financier au-delà du nombre croissant de dossiers déposés.

8La connaissance des flux de dossiers auprès des commissions de surendettement peut être complétée par une présentation des caractéristiques sociales et économiques des personnes. L’analyse des dossiers montre que les personnes sont en moyenne âgées de 35 à 54 ans (cf. graphique 1) avec une répartition égale entre les hommes et les femmes. La population de cette classe d’âge concentre les plus grandes difficultés financières au regard du nombre de dépôts et des procédures de rétablissement personnel (PRP) utilisées pour les situations les plus graves [9]. Les situations d’isolement et de monoparentalité (célibat, divorce et veuvage cumulés) sont massives en comparaison des situations de vie en couple (cf. graphique 2). La moitié de la population vivant seule a au moins un enfant à charge.

Graphique 1

Âge des surrendettés en 2011 selon l’orientation du dossier (en % du nombre de personnes)

Graphique 1

Âge des surrendettés en 2011 selon l’orientation du dossier (en % du nombre de personnes)

SOURCES • Banque de France.
Graphique 2

Évolution du statut matrimonial des surrendettés (en % du nombre de dossiers)

Graphique 2

Évolution du statut matrimonial des surrendettés (en % du nombre de dossiers)

SOURCES • Banque de France.

9Les activités salariales quand elles existent (cf. tableau 1) sont peu ou pas qualifiées et peu rémunératrices (contrat à durée indéterminée [10], déterminée ou missions intérimaires).

Tableau 1

Situation au regard de l’emploi (en % du nombre de personnes surrendettées)

Tableau 1
2010 2011 Total Débiteurs Co-débiteurs Total Salarié en CDI 30,2 33,6 25,3 31,8 Salarié en CDD 4,8 5,0 5,8 5,2 Salarié intérimaire 1,7 2,3 1,4 2,1 Congé maternité 0,3 0,2 0,6 0,3 Artisan/ Commerçant 0,1 0,1 0,1 0,1 Chômeur 26,0 27,5 18,7 25,6 Sans profession 13,0 7,8 25,7 11,7 Retraité 13,0 13,9 10,2 13,1 Étudiant 0,2 0,2 0,2 0,2 Congé maladie longue durée 3,7 3,9 2,5 3,6 Congé parental 2,0 1,0 5,4 2,0 Invalide 5,0 4,6 4,0 4,5 Total 100,0 100,0 100,0 100,0

Situation au regard de l’emploi (en % du nombre de personnes surrendettées)

LECTURE • En 2011, 25,6 % de l’ensemble des surendettés sont au chômage.
SOURCES • Banque de France.

10Quand la source de revenus n’est pas salariale, ce qui est très souvent le cas [11], il s’agit principalement d’allocations sociales (allocations demandeurs d’emploi, allocations logement, allocations familiales). Ce sont les personnes bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou dont les ressources ne franchissent pas le seuil du salaire minimum qui sont les plus nombreuses dans la population totale et dans la plupart des situations de dépôts successifs de dossiers ou de rétablissement personnel.

Graphique 3

Répartition des dossiers par tranche de ressources et nature du dossier en 2011 (en %, en euros)

Graphique 3

Répartition des dossiers par tranche de ressources et nature du dossier en 2011 (en %, en euros)

LECTURE • En 2011, 10,7 % des ménages surendettés disposent de ressources inférieures ou égales au RSA.
SOURCES • Banque de France.

11Les situations financières des personnes révèlent l’existence d’un très fort déséquilibre financier entre les charges et les ressources (cf. graphique 3). Pour un revenu moyen de 1000 euros identifié pour l’ensemble de la population ayant déposé un dossier, la moyenne des dettes s’élève à plus de 40 000 euros. Même si de récentes observations indiquent une légère baisse de l’endettement, la moyenne des dettes reste au-dessus de 25 000 euros [12], ce qui obère le budget de façon massive. Les capacités de résorption de l’endettement sont majoritairement faibles et une forte progression des familles ou des individus dans l’incapacité totale de rembourser est constatée depuis 2010 (cf. tableau 2 et graphique 4).

Tableau 2

Évolution de la répartition des dossiers selon la capacité de remboursement et la nature des dossiers (population totale en % du nombre de dossiers)

Tableau 2
2011 Population totale PRP Redépôts < 0 52,5 92,8 53,1 ? 0 et < 450 euros 28,7 6,9 30,7 ? 450 euros et < 800 euros 10,0 0,2 9,5 ? 800 eurs et < 1500 euros 6,7 0,1 5,5 ? 1 500 euros 2,0 0,0 1,2 Total 100,0 100,0 100,0

Évolution de la répartition des dossiers selon la capacité de remboursement et la nature des dossiers (population totale en % du nombre de dossiers)

LECTURE • En 2011, 5,5 % des dossiers se caractérisent par une capacité de remboursement comprise entre 800 et 1500 euros.
SOURCES • Banque de France.
Graphique 4

Répartition des dossiers selon la capacité de remboursement et la nature des dossiers (en 2011) (en %, en euros)

Graphique 4

Répartition des dossiers selon la capacité de remboursement et la nature des dossiers (en 2011) (en %, en euros)

LECTURE • En 2011, 28,7 % des dossiers recevables disposent d’une capacité de remboursement comprise entre 0 et 450 euros.
SOURCES • Banque de France.

12Les dettes identifiées dans les dossiers sont pour leur majorité liées à des outils financiers (crédits à la consommation et crédits immobiliers) avec une part importante de crédits à la consommation (cf. tableau 3).

Tableau 3

Ventilation de l’endettement financier – dossiers recevables (part en %, endettement en euros et nombre moyen de dettes en unités)

Tableau 3
Part dans l’endette-ment global Endettement moyen Part des dossiers concernés Nombre moyen de dettes par dossier 2010 2011 2010* 2011 2010 2011 2010 2011 Dettes financières 83,2 82,9 30171 32345 95,0 94,4 5,8 5,5 Dettes immobilières 18,8 22,6 89142 95252 7,2 8,7 1,8 1,8 Prêts immobiliers 18,5 21,6 89926 98318 7,1 8,1 1,8 1,7 Arriérés 0,3 0,3 11395 11779 0,8 0,8 1,3 1,3 Solde après vente résidence principale NC 0,7 NC 42304 NC 0,6 NC 1,2 Dettes à la consommation 62,3 58,2 23670 23927 90,6 89,5 5,1 4,8 Crédits renouvelables 40,1 34,6 16879 16330 82,0 77,9 4,2 4,1 Prêts personnels 20,8 22,7 14543 17721 49,4 47,1 2,3 2,4 Crédits affectés/LOA 1,3 1,0 9 440 10985 4,7 3,2 1,3 1,4 Microcrédits et prêts sur gage NC 0,1 NC 5 420 NC 0,4 NC 1,5 Autres dettes bancaires (découverts et dépassements) 2,2 2,1 1 304 1 363 57,5 55,9 1,3 1,3

Ventilation de l’endettement financier – dossiers recevables (part en %, endettement en euros et nombre moyen de dettes en unités)

NOTE • * L’endettement moyen porte sur les dossiers recevables du 1er janvier au 31 octobre 2010, soit une période de référence de dix mois.
SOURCES • Banque de France.

13Les chiffres présentés contiennent un certain nombre d’informations et font apparaître des situations contrastées que nous reprendrons par la suite. L’image d’un endettement lié à un usage inconsidéré des crédits par exemple est interrogée par le profil précaire de la population. Les caractéristiques des personnes endettées, telles qu’elles semblent apparaître dans ces premiers éléments, impliquent des problématiques sociales de pauvreté et des enjeux de solidarité.

Lois, droits et administrations de lutte contre l’endettement

14Si l’origine juridique du terme surendettement se trouve dans le droit de la consommation [13], un retour sur l’ensemble du corpus des textes juridiques cadrant les procédures de lutte contre l’endettement financier des personnes est nécessaire pour saisir l’organisation de l’assistance mise en œuvre.

15La loi Scrivener du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs dans certains domaines du crédit peut être considérée comme fondatrice d’un début de législation sur les effets désastreux des crédits. Cependant, le premier texte de lois spécifique contre l’endettement et témoignant de la volonté publique de sa résorption n’est apparu en France qu’à la fin des années 1980. La loi Neiertz du 31 décembre 1989 [14] vise « la prévention et le réglement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles ». Avec ce texte, les premiers éléments d’un cadre juridique cherchant à prévenir et à réduire l’endettement des personnes sont posés, avec deux innovations principales :

  • une procédure collective amiable, non judiciaire du réglement de la situation financière des personnes ;
  • la création d’instances dédiées au traitement de ce réglement : les commissions de surendettement.

16La mise en place de la procédure de réglement collectif amiable des dettes constitue une priorité pour cette loi de 1989 car elle valorise le réglement de la situation d’endettement des personnes en évitant un jugement et en rassemblant l’ensemble des dettes à échoir. L’absence de remboursement de dettes ou de crédits constituant la principale cause des litiges entre les personnes et les banques, les organismes financiers ou tout autre créancier (bailleur de logement, agence de téléphonie, etc.), le texte organise la conciliation par l’établissement d’un plan d’aménagement des remboursements [15]. En cas d’échec de cette procédure amiable (en raison de désaccord entre les parties), un redressement judiciaire civil [16] classique s’impose alors et le juge de l’exécution arbitre les rapports entre les parties.

17Au service de ce réglement amiable, la création d’instances administratives et juridiques dédiées est le second point innovant de cette loi. Ces commissions ont pour mission d’examiner les situations financières des personnes (à partir d’un dépôt du dossier type) dans une perspective de conciliation amiable ou de redressement personnel.

18Organisées par département, les commissions dites de « surendettement » sont composées de différents protagonistes. Généralement, le préfet, le trésorier payeur général, le directeur de la Banque de France, le directeur des impôts, ou leurs représentants siègent au sein de ces commissions. Un interlocuteur des banques et des sociétés de crédit et un usager, souvent membre d’association de consommateurs ou d’associations familiales, s’ajoutent aux autres commissaires. Depuis 2003, un travailleur social et un juriste viennent compléter ces commissions et ces derniers ont le droit de vote depuis 2010. Précédemment, ils n’avaient qu’une voix consultative.

19Si des réformes du premier texte de 1989 apparaissent en 1995 ou en 1998 (transmission du pouvoir du juge aux commissions de surendettement ou modification de la composition des commissions), c’est en 2003 qu’une évolution notable de la loi voit le jour avec le texte dit loi Borloo ou « loi de la seconde chance » [17]. Ce nouveau texte remet sur le devant de la scène la « faillite personnelle » qui semblait réserver au monde des entreprises et au droit commercial [18]. Précisément, c’est sous la forme d’une PRP que ce nouveau levier de traitement des dettes se met en place. À partir de cette date, les personnes en difficulté financière vont pouvoir faire la demande d’un effacement de certaines de leurs dettes mais exclusivement si leur situation ne trouve aucune autre solution. Une procédure de rétablissement personnel est possible, dit le texte, « à la condition d’être considéré dans une situation irrémédiablement compromise » [19]. Dans ce cas, le dossier est transmis au juge pour une procédure proche [20] de la faillite professionnelle et des procédures collectives ou de liquidation.

20Pièce maîtresse des procédures amiables de désendettement, le dossier fourni par la Banque de France doit suivre plusieurs étapes pour être validé et examiné par une commission. Il doit tout d’abord être complété et signé par la personne faisant la demande. Il n’existe pas d’habilitation ou d’agréments pour compléter et déposer ces documents contrairement aux dossiers de demande de revenu de solidarité active ou de Fonds solidarité pour le logement. Un calendrier détermine la validité du dépôt et tout délai non respecté annule le dossier.

21Un dossier exige obligatoirement un état des lieux attesté de l’ensemble des revenus et des charges incompressibles. Cet état des lieux doit être complété par la liste des dettes (impayés, découverts, crédits, amendes, impôts, etc.). À partir de ce bilan, contrôlé par les secrétariats de la Banque de France [21], une évaluation de la situation financière est réalisée. Cette évaluation cherche d’abord à identifier l’équilibre ou le déséquilibre du budget. L’état reconnu d’endettement selon ces procédures dépend en grande partie de cette évaluation. Ainsi, avant d’envisager le remboursement des dettes (de charges ou de crédits), on regarde s’il y a un déséquilibre entre des revenus réduits et des charges incompressibles qui est la base de l’« endettement légitime » ouvrant droit à une assistance et donc à l’introduction du dossier dans la procédure. Suivant le rapport entre les ressources et les charges, un remboursement des dettes peut être décalé, échelonné ou annulé comme dans le cadre d’une procédure de rétablissement personnel.

22À la suite de cette évaluation, la commission prend une décision sur la recevabilité du dossier lors de sa réunion régulière. Cette recevabilité ouvre le traitement du dossier en vue d’un plan conventionnel amiable. Ce plan, accepté par l’ensemble des parties concernées (personne et créanciers), n’est valide qu’après sa signature conjointe par la personne et le préfet. La durée maximale d’un plan amiable (échelonnement des remboursements) est actuellement de huit ans depuis la réforme de la loi Lagarde de juillet 2010. Les dettes restantes à la fin d’un plan impliquent un nouveau dépôt de dossier. La recevabilité de la demande est suivie d’un courrier attestant de la procédure en Banque de France et fait autorité envers les démarches des créanciers. Cette recevabilité suspend les saisies directes sur salaire, les expulsions locatives, les coupures de gaz et électricité, etc.

23Deux exemples peuvent permettre de comprendre la logique des commissions et le mode de calcul de ces ratios.

24• Imaginons un couple avec deux enfants ayant 1 200 euros de revenus (salaires, prestations sociales, pensions, etc.) et 380 euros de charges incompressibles (loyer de 350 euros et taxe d’habitation de 30 euros). Ce couple se verra appliquer, en plus de ces charges, un forfait concernant la vie courante (autres charges : gaz, électricité, etc.) de 678 euros. Basé sur le calcul du quotient familial de la Caisse d’allocations familiales, s’ajoutent à ce premier forfait 218 euros par personne à charge. Les charges reconnues dans cet exemple seront donc de 1 712 euros (380 + 678 + 654 euros). Rapporté aux 1 200 euros de revenus mensuels, le calcul des commissions aboutit au constat d’un endettement chronique de 512 euros par mois. Cette somme manque chaque mois à ce couple, sans compter d’éventuelles mensualités de crédits ou d’autres dettes. Une procédure de rétablissement personnel impliquant l’annulation de certaines dettes est probable.

25• Imaginons à présent le même couple avec deux enfants, mais dont les revenus seraient cette fois de 3 000 euros pour un loyer de 500 euros. La commission considère alors une capacité de remboursement de 1 168 euros. Le ratio est positif et un échelonnement des remboursements est envisageable. Si ce type de situation semble pouvoir trouver plus facilement une solution à moyen terme, elle s’avère néanmoins très fragile, malgré les revenus, car la somme moyenne de remboursement de crédits divers peut s’élever couramment à plus de 2 000 euros par mois.

Échec de la lutte contre le surendettement : causes externes ou internes

26Une première analyse du cadre juridique français des réponses aux situations d’endettement permet de mettre en évidence deux aspects contradictoires :

27• Une inefficacité globale des lois en matière de désendettement. Les dispositions actuelles et passées ne produisent pas les effets visiblement attendus. Au regard de la croissance permanente du nombre de dossiers, même pondérés, l’accroissement et la récurrence des dossiers depuis vingt ans interrogent l’adéquation des dispositifs face au problème à résoudre. Les lois Neiertz, Borloo, Lagarde peinent à endiguer une population toujours plus nombreuse qui ne parvient plus à une sérénité budgétaire minimum. Le rétablissement personnel se banalise alors que son origine venait de l’absence de réussites suffisantes des autres procédures. Les modifications de la loi Lagarde n’entraînent pas d’améliorations. Elles permettent tout au plus de réduire les délais et le nombre de dossiers d’endettement s’amplifie irrémédiablement sans rencontrer de véritable barrière. Ce constat d’échec se traduit également par la faible appropriation des procédures par les personnes pourtant bénéficiaires. En effet, les personnes concernées déposent leur dossier auprès de la Banque de France [22] excessivement tardivement et de façon hésitante en ayant une représentation très floue des droits et obligations qui s’y rattachent. Une grande culpabilité marque visiblement cette démarche, ce qui laisse présager qu’une population beaucoup plus importante pourrait entrer dans les procédures. En restant prudent sur l’hypothèse d’une population financièrement endettée qui n’userait pas de ses droits et d’un éventuel non-recours (Roupnel, 2013), on peut toutefois considérer que l’hésitation des personnes concernées à exercer ces droits est un autre signe de l’échec des procédures de désendettement françaises.

28• Une volonté de protection de personnes rencontrant des difficultés financières. Il serait partial de considérer les modes curatifs de l’endettement totalement inutiles malgré les chiffres présentés plus haut. L’ensemble du dispositif propose un cadre juridique protecteur des personnes en difficulté. Un dossier recevable par une commission de surendettement fait écran à la pression des créanciers (courrier attestant de la procédure en Banque de France – suspension des saisies et des expulsions, etc.). Ces dispositifs permettent de préserver des ressources et un budget minimum pour se nourrir. La gratuité de la procédure, l’échelonnement ou l’annulation des dettes soulagent le quotidien des personnes [23]. Ce cadre juridique de protection est peu liberticide [24] et les procédures françaises de réglement de dettes ne sont pas contraignantes à la différence d’autres jugements civils comme les mesures de tutelle aux personnes majeures (Gaillard, 2004a). De plus, les personnes peuvent sortir de la procédure si un désaccord advient et un refus du plan est possible à tout moment. Enfin, le traitement collectif des dettes est une grande avancée de la loi de 1989 qui perdure encore en 2013. Il offre la possibilité de traiter les dettes dans leur ensemble et non dettes par dettes. Avant 1989 (ou en dehors de cette procédure collective), chaque dette appelait un jugement et une concurrence éventuelle entre les sources de dettes. L’apurement des situations financières était très long et les dettes non traitées s’aggravaient. Ce traitement collectif permet un gain de temps et un traitement global des situations même si un traitement de groupe (rassemblant des personnes endettées face à un créancier) pourrait être encore plus efficace [25].

29Ces deux faces du dispositif juridique sur le désendettement attestent de droits bénéfiques mais insuffisants. Les reproches faits à ces textes concernent ainsi plus souvent leur inefficacité que leur existence. Leur remise en cause ne fut jamais envisagée au contraire de leur amélioration. Si un constat d’inefficacité est partagé, il est imputé à un contexte économique et social dégradé depuis 2008. La législation en matière de dette ne peut résoudre les problèmes sociaux et les faibles effets de ces procédures s’expliquent par des éléments externes.

30Notre problématique de recherche suppose une soumission historique du droit aux enjeux économiques. Elle implique d’avoir une analyse plus structurelle qu’événementielle (Weber, précité). L’ampleur de la crise économique débutée en 2008 explique en partie l’inefficacité des lois Neiertz, Borloo ou Lagarde, un retour sur le cadre curatif de l’endettement et le type d’assistance proposé est nécessaire.

Un traitement juridique et temporel décalé d’une problématique sociale

31Il faut tout d’abord rappeler d’un point de vue factuel qu’à l’exception des procédures entraînant l’annulation de certaines dettes (procédure de rétablissement personnel), les dispositifs de lutte contre l’endettement des particuliers permettent seulement aux personnes en difficulté d’obtenir du temps. Les droits produits en la matière fournissent des délais précieux pour payer progressivement des dettes, pour améliorer une situation fragile, pour rester dans son logement, mais ils ne sont pas sources d’aides financières tels les droits de créance. Ils ne sont pas à l’origine de revenus sociaux complémentaires à la différence d’autres formes d’assistance. Les enjeux de temporalité ne sont pas neutres dans la réponse à la question sociale (Gaillard, 2013) mais ce mode de régulation ne fait que temporiser au final des situations de vulnérabilité.

32Les personnes en difficulté ayant recours à ces dispositifs, tel qu’il est possible de les identifier, sont pourtant dans des situations de forts déséquilibres budgétaires avec des dettes et des charges largement supérieures à leurs capacités de remboursement. La rationalité des commissions pour désigner et juger des dossiers recevables désigne des situations de grande difficulté financière. La suspension des dettes pour un temps donné allège ces difficultés mais ne les annule pas. Les dépôts successifs de dossier que craignait la loi Borloo et l’importance du nombre de dépôts de dossiers auprès des commissions le montrent cruellement.

33L’utilité du levier temporel et de l’annulation des dettes est fragile et éphémère au regard des processus socio-économiques dans lesquels sont inscrites les personnes endettées. Au-delà d’une disproportion entre les ressources et les dettes, régulée par un échelonnement, ce phénomène d’endettement des individus et des familles est à resituer dans une problématique plus large de solidarité et de protection sociale. Le profil des personnes endettées correspond à des situations de « précariat » et de désaffiliation sociale (Castel, 1995).

34Les ressources décrites dans les dossiers sont réduites, irrégulières et incertaines parce qu’elles sont issues de contrats ponctuels et de minima sociaux. Elles empêchent de régler des charges régulières puisque les salaires précaires et les prestations sociales ne le permettent pas. Ce précariat n’est pas un moment ponctuel. C’est un état permanent en rupture avec le salariat classique qui comprenait des droits sociaux et une indépendance économique et sociale (Castel et Haroche, 2001). Cette forme d’endettement est donc la traduction d’un précariat pour une part croissante de la population. Les fragilités financières s’expliquent par l’infra-salariat qui caractérise une part importante des personnes identifiées. Il s’agit d’une nouvelle forme d’activités en sous-emploi qui renvoie à une sortie par le bas de la société salariale (avec ces CDI et SMIC et sa protection sociale). Sous cet angle, le surendettement ne peut que croître au même titre que les conditions sociales qui le déterminent.

35Ce précariat est accentué par des situations familiales [26] et financières [27] trop fragiles pour être résorbées par un échelonnement et une annulation ponctuelle des dettes. Les personnes déposant un ou plusieurs dossiers auprès de commissions de surendettement rencontrent une fragilité financière dont les origines ne sont donc pas une incapacité ponctuelle à bien gérer un budget dans le temps (Perrin-Heredia, 2010), mais une fragilité sociale structurelle actant une mise en défaut des systèmes actuels de protection sociale et de solidarité collective. Les déséquilibres entre les ressources et les charges financières des personnes sont donc des effets plutôt que des causes.

Les procédures amiables de désendettement : une liberté contractuelle déjudiciarisée

36Si un décalage et une inadéquation apparaissent entre la précarité sociale des personnes déposant un dossier de surendettement et la régulation temporelle utilisée à défaut de droits de créance, les modalités amiables des procédures posent également problème. Souvent [28] considérées comme une innovation positive du texte de loi de 1989, en plus du traitement collectif des dettes, la dédramatisation qui justifiait ce type de procédures voilà vingt ans et la volonté de justice de proximité ne doivent pas masquer les risques de contractualisme et de déjudiciarisation qu’elles impliquent.

37Le droit du contrat est une pierre angulaire de toute construction juridique. Dans un certain nombre d’analyses historiques (Supiot, 2005), le contrat est la base universelle et centrale du droit contemporain. Innover en matière de législation s’articule avec cette valeur historique et juridique du contrat. Ce type de rapport social et la liberté qu’il défend dans la culture civile française (Salomon, 1997) déterminent toutes les évolutions à son égard. La norme contractuelle borde toute initiative de droit civil, dont les droits du surendettement font partie, attestant pour certains [29] leur impertinence juridique.

38Cet idéal type du droit contemporain pose pourtant problème par le contractualisme qui l’accompagne (Supiot, 2005). Le lien contractuel, pièce d’une idéologie économique libérale, suppose des individus rationnels et calculateurs dont les rapports de force s’équilibrent pour le bien final de tous. Cette croyance civilisatrice du contrat, qui met le libre-échange au centre des rapports sociaux, situe alors le droit au service du marché qui devient un principe social organisateur (Supiot, précité ; Polanyi, 1983).

39En encadrant les situations d’endettement pourtant symptomatiques d’une précarité sociale croissante, l’idéalisation libérale du pouvoir de dénonciation des contrats, qui est consubstantielle de la liberté contractuelle, nie les inégalités sociales et les rapports sociaux de domination (Bourdieu et Boltanski, 1976). Les groupes sociaux, et notamment les plus fragiles au contraire des plus aisés (Pinçon-Charlot, 2013), ne sont pas dotés de la même légitimité dans l’usage de ce pouvoir contractuel. La résolution amiable des procédures de désendettement qui suspend les contrats, sans les annuler, est problématique dans le type de rapports sociaux égalitaires qu’elle suppose. Les rapports de force entre une personne ou une famille souffrant de précarité sociale et une société de crédit, une banque, un bailleur de logement ou un fournisseur d’énergie et leurs services contentieux sont évidemment déséquilibrés même si c’est un contrat qui les lie.

40Cette innovation des procédures amiables apparaît d’autant plus décalée au regard de l’histoire des réponses publiques construites pour faire face à la question sociale et progressivement organiser les formes de solidarités que nous connaissons (Castel, 1995 ; Paugam, 2005). Les politiques sont le fruit d’une conflictualité sociale et l’histoire des solidarités n’est pas celle de négociations amiables dans un cadre contractuel entre des individus sans lien et libres de leur choix (Chobeaux, 2009). Au contraire, les propriétés sociales [30] réduisant la grande pauvreté et source d’affiliation sociale de groupes fragiles sont issues de rapports de force collectifs dont les acquis se sont traduits en droits et en institutions (Chauvière, 2011).

41Qu’ils s’agissent des droits sociaux touchant la famille ou le salariat, la justice sociale (Supiot, 2010) qui les accompagne participe d’équilibrages ayant réduit des disparités sociales, économiques et politiques en opposition aux intérêts de groupes sociaux dominants. Des négociations amiables suivant un imaginaire d’un gagnant-gagnant n’auraient jamais pu produire de telles réponses à la question sociale, même si les théories économiques néolibérales veulent persuader du contraire (Hayek, 1973). La généralisation du contrat à tous les niveaux des politiques publiques est une trace de la fragilisation du social réalisé en cours (Chauvière, précité) et plus globalement d’une société où la fonction instituante du droit s’effondre (Supiot, 2005).

42La rationalité juridique des lois luttant contre le surendettement n’est donc pas sociale. Les dettes financières présentent dans les dossiers de surendettement sont rattachées à un contrat et elles sont régulées dans cet ordre juridique. L’endettement massif des familles et des individus échappe ainsi à devenir une problématique sociale pourtant identifiée par le profil des personnes déposant un dossier en Banque de France.

43Articulée au contrat, la pratique amiable des procédures s’accompagne également d’une mise en dehors du champ juridique des négociations entre les protagonistes. Si les personnes ont la possibilité de faire appel de la décision de la commission de surendettement, ce qui implique alors le retour d’un juge, les risques sociaux des procédures amiables sont accentués par les différentes évolutions touchant la composition [31] des commissions. La présence progressivement réduite du juge, puis totalement annulée par les lois les plus récentes [32] multiplie les risques d’une perte d’indépendance et d’impartialité dans le jugement des situations, au profit d’autres enjeux potentiels (Farago, 2002). La distance avec des logiques d’intérêts autres que ceux du droit, quand elle se réduit, représente un risque pour le droit effectif des personnes concernées (Farago, précité). Le retrait symbolique du droit, par l’absence du juge, laisse la place aux représentants d’une autre rationalité. Celle-ci est désormais plus économique et financière étant donné les membres de la commission, même si les professionnels du social ont désormais autorité dans les évaluations.

44Au final, cet esprit contractuel et libéral des dispositifs curatifs du surendettement contraint des individus, désencastrés d’une protection sociale et soumis à des rapports de domination, à faire valoir, malgré tout, des droits auprès d’une instance non juridique au pouvoir judiciaire. Le non-recours dont on fait l’hypothèse ou la culpabilité perçue qui entraîne le dépôt tardif d’un dossier pourrait trouver une explication dans ce décalage entre l’esprit contractuel des lois et les véritables capacités des personnes à en user.

Enjeux économiques du crédit au mépris du traitement social du surendettement

45Avec cette centralité de l’ordre contractuel dans le traitement juridique amiable des dettes des familles ou des individus, les finalités sociales et solidaires apparaissent donc en interne nécessairement réduites. Si ce qui précède relativise l’impact de la crise économique et sociale de 2008 comme facteur explicatif de l’échec des procédures juridiques françaises de résorption des dettes non professionnelles, un retour sur les contextes économiques de naissance et d’évolution de cette production juridique ouvre une autre perspective d’analyse.

46Il faut tout d’abord rappeler que l’origine de cette législation relève du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie et non de celui historiquement en charge des affaires sociales, de la santé ou des solidarités. Dans cette logique, la volonté en matière de lutte contre l’endettement apparaît proportionnelle aux origines politiques du cadre juridique. Cet ancrage marque fondamentalement le mode curatif choisi et permet de saisir pourquoi les dettes financières non professionnelles ne peuvent être appréhendées comme une trace de la « question sociale » avec le traitement historique qu’elle impliquerait. L’ambition sociale des lois Neiertz, Borloo et Lagarde adoptées depuis vingt ans semble s’arrêter là où commencent les enjeux économiques et financiers liés aux crédits.

47Quelques années après le premier texte de 1989, bien avant 2008, un certain nombre de travaux faisaient déjà un bilan très mitigé des apports sociaux de cette loi (Salomon, 1997). Issue d’un consensus fragile obtenu lors de son écriture, la loi de 1989 s’est transformée sensiblement entre les intentions de départ et sa finalisation. Si les représentants du ministère de l’Économie, de la Banque de France, des associations de consommateurs, des travailleurs sociaux et des élus locaux s’accordaient sur la nécessité de résoudre le problème du surendettement, cet accord était de surface et les moyens à mettre en œuvre ne faisaient pas consensus (Salomon, précité). Des divergences de fond persistaient, notamment autour de la faillite civile, et le poids des sociétés de crédits (levier perçu de relance de la consommation) fit basculer cette loi dans un volet financier [33] servant des ambitions économiques à la défaveur d’ambitions plus sociales.

48Les observations sur les premiers dispositifs curatifs soulignaient cette forme de loupé de la loi Neiertz. Si elle fournissait une réponse aux personnes et familles endettées, c’est au niveau des situations les moins graves (Salomon, précité). L’objectif consensuel poursuivi par cette loi était aussi de permettre aux personnes les plus solvables d’emprunter de l’argent à nouveau, une fois leur situation assainie. La loi de « la seconde chance de M. Borloo » en 2003 peut être appréhendée dans la même perspective, ainsi que les dernières modifications (loi Lagarde 2010) en réduisant la durée des plans d’apurement des dettes. Le consensus obtenu dessert des enjeux de solidarité car il ne faut pas que le traitement de l’endettement financier immobilise trop longtemps, en dehors du champ économique du crédit, des personnes, familles ou individus qui pourraient de nouveau emprunter et contribuer en cela à la dynamique économique nationale.

49L’enjeu économique et politique du crédit est en effet considérable. En Europe, 500 millions de clients potentiels sont identifiés pour un encours de 1 140 milliards d’euros de crédit (Athling, 2012). En France, ce sont plus de 147 milliards qui sont liés à cet outil financier non professionnel et si une baisse de l’encours national est constatée (Athling, précité), le nombre de contrats de crédits est en moyenne supérieur à quatre par individu majeur. Le crédit, sous toutes ses formes et notamment les plus rentables mais aussi les plus coûteuses pour les personnes (crédit renouvelable au taux d’intérêt à plus de 17 %), représente un moyen d’enrichissement important pour les structures financières et d’un certain point de vue pour l’économie française.

50D’ailleurs dans une lecture libérale de la dynamique économique sociale des pays européens, mesurée par le calcul du produit intérieur brut, l’endettement des personnes via le crédit n’est pas problématique. Les Français sont insuffisamment endettés et c’est plutôt la chute des encours qui inquiète une part des analystes économiques (Lazzarato, 2011). Il faut vendre du crédit, élément structurel de la dynamique économique nationale, et les personnes qui sont en difficulté ne doivent pas l’enrayer (Gréau, 2008). En réponse à la sémantique du « surendettement », un néologisme de « surcrédit » pourrait être intéressant. Si une population utilise le crédit pour payer ses charges courantes sans pouvoir assurer son remboursement en raison de situations économiques sociales incertaines, ils ne peuvent le faire sans l’existence de propositions commerciales quotidiennes. Ajouter à la notion de surendettement celle de « surcrédit » bascule les causalités de l’endettement des débiteurs vers les créanciers et implique d’interroger des priorités économiques et financières plus larges.

Conclusion

51La lutte contre l’endettement financier des Français et la réduction du nombre de personnes en difficulté ne visent pas des objectifs de protection sociale et de solidarité envers les populations les plus fragiles. Sous cet angle, son échec peut être annoncé malheureusement sans marge d’erreur. Jusqu’alors, face à cet endettement massif, les enjeux de solidarité impliqués par le profil de la population concernée sont restés périphériques au regard des choix publiques qui sont faits. Le type d’assistance proposé s’en tient, malgré une volonté déclarée d’accompagnement social et de solidarité, à une intervention temporelle et contractuelle loin de modifier les rapports sociaux d’iniquité dans la distribution des richesses et les violences qui les accompagnent (Pinçon-Charlot, 2013).

52Cet endettement financier massif d’un plus grand nombre de personnes signe une évolution des supports de solidarité au sein des sociétés où il se développe. Au diptyque articulant les solidarités familiales ou communautaires et les solidarités publiques (Godbout, 2000), il faut ajouter une solidarité « marchande » et un marché de la solidarité [34] dont les finalités ne sont évidemment pas identiques aux deux autres. La probabilité de voir se résorber le nombre de dossiers déposés auprès de commissions ne peut donc qu’être très faible. Alors que les situations sociales observables en matière d’endettement impliqueraient des droits plus protecteurs des populations fragiles, l’hypothèse wébérienne d’une détermination des productions juridiques par l’ordre économique semble s’appliquer au traitement de ces situations de grandes fragilités.

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Notes

  • [*]
    Maître de conférences en sociologie, UMR CNRS ESO 6590, université d’Angers.
  • [1]
    Avec plus de 800 000 dossiers déposés entre 1990-2012 et une progression moyenne annuelle de 250 000 dépôts, le chiffre de 1 million est probablement trop « optimiste ».
  • [2]
    Les rapports publics sur « l’endettement et le surendettement des particuliers » se succèdent depuis les années 1990 et les constats sont de plus en plus alarmants (www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics). Pour exemple en 2012 :
    • Assemblée nationale (novembre 2012), Rapport fait au nom de la Commission des affaires économiques sur la proposition de loi tendant à prévenir le surendettement, no 221.
    • Assemblée nationale (janvier 2012), Rapport fait au nom de la Commission des affaires économiques sur la proposition de loi tendant à prévenir le surendettement, no 4087.
    • Athling (septembre 2012), Impact de la loi entrée en vigueur le 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, rapport réalisé pour le Conseil consultatif du secteur financier.
    • Fraisse H., Froute P. (novembre 2012), « Households Debt Restructuring : Evidence from the French Experience », Document de travail, no 404, Direction générale des études et des relations internationales, Banque de France.
  • [3]
    Cour des comptes (février 2013), La lutte contre le surendettement des particuliers : des progrès encore trop limités, rapport public annuel ; Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale (28 mai 2013), Compte rendu, no 80.
  • [4]
    Les éléments présentés sont issus du programme de recherche pluridisciplinaire : « Argent des particuliers et médiations sociales », 2011-2013, UMR CNRS ESO 6590/université d’Angers, sous la direction de R. Gaillard, soutenu par la Région des Pays de la Loire.
  • [5]
    « Exclus, pauvres, inadaptés, handicapés, surendettés », l’épistémologie sociologique met en garde sur ces notions et catégories quand elles sont utilisées de manière descriptive ou explicative. Ces catégorisations peuvent rendre invisibles socialement des populations jusqu’au jour où des situations extrêmes (vagues de grands froids, ouragan) rappellent leur existence (Huret, 2010).
  • [6]
    La Banque de France et ses agences départementales sont en charge, depuis 1989, du soutien administratif des dispositifs de désendettement en créant des secrétariats dédiés. Son personnel et ses services organisent et font circuler l’ensemble des éléments administratifs permettant de constituer un dossier légitime à intégrer à une demande en procédure de lutte contre l’endettement. Retirés auprès de ses agences départementales, les dossiers nécessaires sont gratuits ainsi que l’ensemble de la procédure.
  • [7]
    Comme toute approche chiffrée, une prudence s’impose dans l’usage de ce type de descriptions quantitatives tant pour les enjeux sociaux de leur production (Desrosières, 2008) que les masquages qu’ils opèrent (Gaillard, 2014). Cependant, une comparaison des profils obtenus à partir des statistiques de la Banque de France avec d’autres issus d’enquêtes confirme les grandes caractéristiques de la population concernée.
  • [8]
    Publications Banque de France 2008 et 2010, Baromètres du surendettement décembre 2007, 2011, 2012, 2013 ; site : www.banquedefrance.fr
  • [9]
    Les dossiers ayant une capacité de remboursement négative (donc éligibles à la PRP) sont deux fois plus nombreux en 2010 qu’en 2001. Rapport Banque de France, 2010.
  • [10]
    Dans le groupe des salariés (30 %), les personnes en CDI sont majoritaires en 2010, mais les demandeurs d’emploi ou sans profession reste plus élevés de 10 % avec toutes situations cumulées, plus de 40 % de la population. Rapport Banque de France, 2010.
  • [11]
    Les prestations sociales sont équivalentes aux salaires en termes de ressources dans l’observation 2010. Rapport Banque de France, 2010.
  • [12]
    Compte rendu no 80 de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, op. cit.
  • [13]
    Selon l’article L331-1 du code de la consommation le « surendettement » concerne « des personnes physiques […] dont la situation est caractérisée par l’impossibilité manifeste […] de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir ».
  • [14]
    Loi no 89-1010 du 31 décembre 1989, JO no 1 du 2 janvier 1990.
  • [15]
    Article 4, loi no 89-1010, op. cit. : « Plan de report ou de rééchelonnement des paiements des dettes, de remise des dettes, de réduction ou de suppression du taux d’intérêt, de consolidation, de création ou de substitution de garantie. »
  • [16]
    Le juge peut alors intervenir sur la situation par différents leviers : faire réduire les dettes, imposer des échelonnements aux créanciers mais aussi contraindre la personne endettée à la vente de biens (mobiliers ou immobiliers), ou encore lui interdire l’utilisation de crédits aggravant sa situation.
  • [17]
    Loi Borloo, no 2003-710, JO du 2 août 2003.
  • [18]
    Si des expérimentations existaient exceptionnellement dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle, elles sont restées limitées jusqu’en 2003.
  • [19]
    Loi Borloo, op. cit.
  • [20]
    La faillite professionnelle comprend une sanction, ce qui n’est pas le cas dans la PRP.
  • [21]
    Par le biais des relevés de comptes bancaires ou toutes autres pièces administratives.
  • [22]
    Les observations réalisées sur les pratiques d’accompagnement social en matière de désendettement (Gaillard, 2013, programme de recherche Argent des particuliers et médiations sociales) indiquent systématiquement un démarrage trop tardif des procédures et une sollicitation dans l’urgence des services sociaux. De nombreux démarrages de dossiers ne vont pas jusqu’à leur terme et une population importante stoppe les démarches avant même l’étude de la recevabilité de leur situation par les commissions.
  • [23]
    Les résultats des enquêtes de terrain (Gaillard, 2013, programme de recherche, op. cit.) indiquent que les personnes ayant bénéficié de la procédure (moratoire ou PRP) sont soulagées au moins ponctuellement. Cet effet protecteur est confirmé par les travailleurs sociaux et les bénévoles associatifs accompagnant les personnes en difficulté (Gaillard, 2013).
  • [24]
    Si cette organisation juridique procure donc une forme de protection peu liberticide, le dépôt d’un dossier implique néanmoins une inscription automatique au fichier des incidents de paiements. Celle-ci n’interdit pas d’emprunter à nouveau, mais un crédit supplémentaire sans accord de la commission pourra être jugé comme une aggravation de l’endettement et entraîner une accusation de « mauvaise foi », qui annule alors la protection.
  • [25]
    Cette demande est faite depuis longtemps par certaines associations de défenses de consommateurs (CLCV) qui repèrent dans les situations collectées des stratégies commerciales généralisées source d’endettement et parfois illégales.
  • [26]
    Un rapport sur les familles monoparentales insiste sur ce point aveugle de la pauvreté (Eydoux et Letablier, 2007). De plus, notre étude sur le Maine et Loire indique logiquement qu’en termes de revenu, les hommes ou femmes seuls possèdent un revenu moyen de 800 à 1100 euros alors que les couples doublent ces revenus (Gaillard 2013, programme de recherche, op. cit.).
  • [27]
    En plus du type de ressources, le type de logement locatif ou l’absence d’épargne impliquent une absence de capitaux pouvant être utilisés dans le rééquilibrage financier de la situation.
  • [28]
    Les travaux sur la réorganisation de la justice montrent également que les procédures amiables servent à décharger les tribunaux d’instance d’une part importante des dossiers de surendettement dans une volonté de désengorgement. Rapport de l’Assemblée nationale du 25 juin 1998 fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (no 956) relatif à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits par Jacques Bruhnes.
  • [29]
    Certains juristes reprochent aux lois sur le surendettement de remettre en cause les principes fondamentaux du droit des contrats, ce qu’avait déjà regretté Georges Ripert en 1936 (Putman, 1994) à propos de l’assouplissement du délai de grâce accordé aux personnes débitrices malheureuses et de bonne foi.
  • [30]
    Ce « socle de ressources et de droits qui ont donné à la majorité des individus dans la société moderne (ceux qui n’étaient pas protégés et reconnus sur la base de la propriété privée) les moyens de leur indépendance et les ont ainsi pourvu d’une citoyenneté sociale pendant de la citoyenneté politique » (Castel, 2009).
  • [31]
    Chapitre II, loi no 95-125 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, JO no 34 du 9 février 1995.
  • [32]
    Les modifications ont impliqué la transmission du pouvoir du juge d’exécution, via la création des commissions de surendettement de la Banque de France, à un groupe sans qualité ni contrôle juridique. Cette transmission du pouvoir du juge vers des commissions fragilise le fait pour les personnes d’être entendues comme des sujets de droit rencontrant des difficultés sociales et pas seulement des usagers d’un outil monétaire. Outre la présence du préfet en tant que représentant de l’État, celles du trésorier payeur général, du directeur de la Banque de France et des représentants des banques et des sociétés de crédit impliquent des participants aux grilles de lecture monétaires plus que sociales et juridiques, malgré les voix des représentants des usagers, et les avis d’un travailleur social et d’un juriste.
  • [33]
    Danielle Salomon souligne en effet combien cette réalité s’explique par le fait que la loi Neiertz fut le fruit de conflits en interne entre ces acteurs centraux que sont la Banque de France et derrière elle les autorités de tutelles à travers le ministère de l’Économie et des Finances. La Banque de France, jouant avec cette loi, à l’occasion de détenir un pouvoir sur les opérateurs bancaires distributeurs de crédits en désaccord avec une autre lecture économique et politique protégeant les acteurs bancaires dans leur fonction de moteur de croissance. Le fonctionnement interne de la Banque de France (et les enjeux qui accompagnaient le traitement des dossiers en son sein) augmentant la valorisation d’un traitement financier et non social des situations (Salomon, 1997).
  • [34]
    Les populations « pauvres » représentent un marché et les publicités de nombreuses banques ne s’y trompent pas en proposant l’ouverture de crédit renouvelable (taux d’intérêt de 17 %) quand ces derniers sont confrontés à « des imprévus ». Il faut penser également aux sommes importantes obtenues par le paiement des pénalités bancaires et dont les apports participent au capital des sociétés financières et des banques.
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