Couverture de RFAS_103

Article de revue

Organisation des soins primaires en Catalogne

Pages 49 à 59

Notes

  • [1]
    La santé communautaire est considérée comme une des stratégies possibles de mise en œuvre de la promotion de la santé telle que définie dans la charte d’Ottawa (OMS, 1986). La santé communautaire se caractérise par :
    • une base collective (un ensemble d’habitants, un groupe, réunis autour d’un problème, une situation ou un objectif communs) pour construire une action ;
    • une identification collective des problèmes, des besoins et des ressources (le diagnostic communautaire) ;
    • la participation ouverte à tous les acteurs concernés : usagers, spécialistes, professionnels (des champs les plus divers), administrations, politiques …, ce qui suppose : l’implication de la population ; le décloisonnement professionnel (pluridisciplinarité) ; le décloisonnement institutionnel (intersectorialité) ; le partenariat ; le partage de savoirs et de pouvoirs. (Sources : Institut Renaudot, site : http://www.documentation.institut-renaudot.fr/resources/)
  • [2]
    L’administration territoriale de l’Espagne est organisée en trois niveaux : 17 communautés autonomes ou régions (comunidad autonoma) ; 50 provinces (provincia) ; 8 112 municipalités (municipio).
  • [3]
    En 2002, après le transfert complet des compétences sanitaires aux communautés autonomes, l’Instituto Nacional de la Salud (INSALUD) est remplacé par un organisme de moindre dimension, l’Institut national de gestion sanitaire (Instituto Nacional de Gestión Sanitaria [INGESA]).
  • [4]
    Tableau ajouté par l’IRDES.
  • [5]
    F : The Shared Medical Record_ Projectes estrategics_ eSalut_ Generalitat de Catalunya. mht
English version

Un bref aperçu du système de santé espagnol

1L’Espagne offre un visage diversifié, fondé sur une organisation territoriale décentralisée [2] héritée de la nouvelle Constitution de 1978, qui marque la fin de la dictature franquiste. Des communautés autonomes (régions) sont alors établies. Il ne s’agit pas d’un système fédéral mais plutôt d’un système que l’on qualifie de quasi fédéral.

2Le tableau 1 présente une comparaison de quelques éléments caractéristiques de l’Espagne, de la Catalogne et de la France.

Tableau 1

Comparaison Espagne, Catalogne, France

Tableau 1
Espagne Catalogne France Nombre d’habitants au 1er janvier 2008 46 063 511 7 354 441 63 753 000 Espérance de vie en 2006 79,65 81,35 79,73 Taux de mortalité pour 1 000 habitants 8,4 8,2 9,14 PIB par habitant en 2007 (en parité de pouvoir d’achat) 32 088 US$ 42 291 US$ 33 187 US$

Comparaison Espagne, Catalogne, France

3Les communautés autonomes possèdent des niveaux de PIB très variés. La Catalogne apparaît de ce point de vue particulièrement riche, elle serait même plus riche que la France. Cela se traduit directement dans l’espérance de vie et le taux de mortalité de ses habitants, qui sont bien plus favorables que dans de nombreux pays européens. La seule difficulté réside dans la faiblesse de son taux de natalité, qui rend la Catalogne très dépendante de l’immigration.

D’un système bismarckien à un système national de santé

4L’histoire espagnole du dernier siècle a été très difficile, marquée par la guerre civile de 1936 à 1939, suivie du régime dictatorial du général Franco, qui a perduré quarante ans. Sous ce régime autoritaire, le système de protection sociale était fondé sur un modèle bismarckien classique financé par des cotisations sociales et reposant sur le travail et le corporatisme. Il concernait principalement les travailleurs, les militaires et les fonctionnaires, le reste de la population étant couvert par un système de mutualisme social. Le passage à la démocratie a offert une excellente opportunité de réviser notre système. Nous nous sommes alors interrogés : devons-nous opérer un changement radical ou continuer sur la voie du passé ? Des politiciens, des universitaires, des syndicalistes et des professionnels de santé furent impliqués dans cette réflexion. C’est le choix du changement qui a prévalu. En 1978, le système de santé espagnol opère, en effet, une transition d’un système d’assurance sociale centralisé vers un système national de santé décentralisé, beveridgien, sur le modèle du National Health Service (NHS) britannique. Quelques années plus tard, en 1986, la loi générale de santé crée effectivement le système national de santé, qui repose sur un accès universel et gratuit aux soins, financé par l’impôt ; son critère d’affiliation est la résidence. La même année, l’Espagne adopte un régime quasi fédéral autorisant la Catalogne à créer son propre ministère de la Santé.

5La loi de 1986 affirme également plusieurs grands principes, dont la nécessité de promouvoir une approche globale de la santé, de favoriser la promotion de la santé et la prévention et, surtout, de développer une nouvelle approche des soins primaires. Ainsi, depuis 1986, les soins primaires sont précisément définis par des textes. Cette réforme a été notamment annoncée par la mise en place en 1979, un an après la déclaration d’Alma-Ata, d’une spécialité dite de « médecine de famille », acquise par six années de formation commune et trois années de spécialisation. Cette mesure a favorisé une véritable reconnaissance de la médecine générale en Espagne. Le médecin généraliste joue d’ailleurs un rôle de gate-keeper dans le système : toujours consulté en premier recours, c’est lui qui contrôle l’accès au spécialiste.

Une organisation centralisée

6La mise en place du service national de santé en 1986 est allée de pair avec la décentralisation amorcée en Espagne dès 1978. Ce processus a eu lieu de façon progressive, la Constitution de 1978 a mis en place un régime politique de devolution en statuant que les régions pouvaient exercer de larges responsabilités dans de nombreux domaines des politiques publiques. L’Espagne est donc passée progressivement d’une gestion assez centralisée à un système de santé géré par des communautés autonomes. En 1986, la gestion du système de soins a été transférée à sept régions sur les dix-sept que compte l’Espagne ; le système de santé des dix autres régions était sous l’administration générale de l’État et assuré par l’Institut national de la santé (INSALUD). La première des régions à bénéficier de l’autonomie a été la Catalogne en 1981. Depuis 2002, toutes les communautés autonomes sont responsables de l’organisation et de la gestion du système de santé. C’est l’État qui reverse à chacune d’entre elles une part du financement collecté par l’impôt, en leur accordant une enveloppe annuelle fondée notamment sur la taille de la population. Chaque communauté autonome est divisée en zones de santé primaire qui prennent en charge une population dont le nombre varie selon la communauté autonome.

Une offre de soins essentiellement publique

7Dans le système de santé espagnol, l’offre de soins est essentiellement publique, l’accès aux soins est gratuit et il n’y a pas d’avance de frais. Les soins médicaux sont totalement pris en charge par l’Institut national de gestion sanitaire, nouvelle entité qui remplace l’INSALUD [3], qui a la même fonction de gestion que la Sécurité sociale. Il a également pour fonction l’élaboration et l’évaluation de l’organisation des soins primaires et spécialisés, ainsi que la gestion des budgets.

8La seule exception au principe de gratuité concerne la pharmacie : une partie du prix des médicaments (environ 40 %) reste à la charge du patient. Toutefois, les retraités et les malades atteints de certaines pathologies chroniques sont totalement pris en charge. Quant aux soins dentaires et optiques, ils ne sont pas remboursés par l’Institut national de gestion sanitaire et sont couverts par des assurances privées.

9Si la législation de base de la Sécurité sociale relève de l’État national, l’exécution des services est transférée aux communautés autonomes.

Le système de santé catalan

10L’assurance santé en Catalogne est obligatoire, financée par les contribuables, et couvre 100 % de la population. 25 % bénéficient d’une assurance complémentaire, qui permet notamment d’avoir recours à des centres de soins privés appartenant parfois à des compagnies d’assurances privées ; ils peuvent recourir à des prestataires de santé à la fois publics et privés.

11Toute la population s’adresse à l’Institut catalan de la santé (ICS). Cet institut, créé en 1983, est le principal pourvoyeur de l’offre de soins en Catalogne. À côté de l’ICS, le Service catalan de santé (SCS) prend en charge la planification et le financement du système de santé. Depuis la loi d’organisation sanitaire de la Catalogne (LOSC) de 1990, le système catalan est caractérisé par une séparation claire entre les fonctions de financeur (SCS) et de fournisseur de soins (ICS). C’est le SCS qui finance les structures sanitaires fournissant les soins gratuitement à tous les citoyens.

12Ces principaux fournisseurs de soins sont, d’une part, les structures publiques, gérées directement par l’ICS : les centres de soins primaires, organisations médico-sociales et réseaux de soins tournés vers des prises en charges spécifiques, tels les soins palliatifs ; d’autre part, le RHUP (Red Hospitalaria de Utilización Publica), qui est le réseau d’hospitalisation publique (constitué de structures publiques ou privées) accessible gratuitement à tout citoyen ; enfin, les structures de soins privées, qui dépendent principalement d’organismes religieux et caritatifs, et occupent une place importante dans la fourniture des soins hospitaliers. À noter que parallèlement au système national universel de santé subsiste encore en Catalogne une offre de soins privée de type mutualiste et commercial, issue de l’ancien système, qui représente environ 20 % de la totalité.

13L’organisation du système de santé se définit véritablement au niveau régional et s’impose à toutes les structures, tant hospitalières que de premiers recours. C’est le Parlement catalan qui vote les budgets et définit les grandes orientations de santé publique. L’État fédéral à Madrid se limite à déterminer les grands axes et à attribuer une enveloppe budgétaire pour la santé. Le Parlement valide le budget du ministère de la Santé catalan qui finance directement l’ICS.

Tableau 2

Organisation de l’offre de soins en Catalogne[4]

Tableau 2
Sources : Salines E., Bréchat P.-H., Schaetzel F., Danzon A. (2001), « Régionalisation. L’expérience de la Catalogne », Haut Conseil de la santé publique, Actualité et dossier en santé publique, n° 37, décembre.

Organisation de l’offre de soins en Catalogne[4]

L’organisation des soins primaires en Catalogne

Accès aux soins primaires

14Les soins primaires en Catalogne peuvent être fournis au sein de différentes entités qui relèvent de systèmes variés. Différentes structures coexistent : les consortiums (10 %), regroupant des hôpitaux et des centres de soins primaires, qui sont des structures de droit public composées de représentants des municipalités et des provinces, et auxquelles peuvent également participer des organismes privés non lucratifs tels que les mutuelles ; des organismes regroupant tous les services dans une « intégration verticale » (7 %) proposant l’ensemble des niveaux de soins ; les fournisseurs de soins dans le cadre de l’Institut catalan de la santé (75 %) qui représentent la forme majoritaire de délivrance de soins primaires ; les hôpitaux privés, à but non lucratif, qui fournissent des soins sur la base d’un financement public (5 %) ; et, enfin, les coopératives de soins de santé (3 %), introduites à titre expérimental en Catalogne pour favoriser la délivrance des soins primaires, et qui sont souvent gérées par des médecins dans certaines villes. Au cours des cinq dernières années toutefois, aucune nouvelle coopérative de médecins généralistes n’a été mise en place en Catalogne.

15En matière d’accès aux services de santé, trois possibilités s’offrent à l’usager : il peut soit s’adresser à un centre de soins primaires, soit au service des urgences d’un hôpital, ou, le cas échéant, appeler un numéro de téléphone d’urgence (le 061), qui jouera un rôle d’aiguilleur dans le système de soins.

Les centres de soins primaires : organisation et fonctionnement

Points d’entrée du système de santé

16Le centre de soins primaires (CSP) constitue, en tant que structure de proximité, la base du système. Lors de la réforme de 1986, qui inscrit les soins primaires au cœur du système, de nombreux centres de santé ont été construits, pris en charge par l’assurance de santé publique. Pour le patient, le point d’entrée est le CSP. L’une des spécificités du système catalan est, en effet, que l’accès aux soins a lieu au niveau du centre de soins primaires. C’est le médecin généraliste exerçant dans les CSP qui est toujours consulté en première intention, il a un rôle de gate-keeper, orientant le cas échéant les patients vers des services de soins spécialisés comme les hôpitaux, les structures médico-sociales, psychiatriques ou les réseaux permettant des prises en charge spécifiques. Dernièrement, un nouvel aspect a été expérimenté en matière de coordination des soins : le partage des dossiers cliniques informatisés entre les CSP et les hôpitaux. Il s’agit d’une spécificité de notre système. Les autres systèmes de santé présentent rarement un tel dispositif.

17Chaque zone de santé primaire, qui comporte de 5 000 à 25 000 habitants, et jusqu’à 40 000 habitants pour les grandes villes, comprend au moins un CSP. La taille des centres dépend de l’importance de la population à prendre en charge. En termes de conditions d’accès, un certain nombre de critères doivent être remplis : par exemple, la distance d’accès à un centre de radiologie ne doit pas excéder quinze minutes en transport public ; de même, l’hôpital le plus proche ne doit pas se situer à plus de 30 kilomètres de distance.

Composition des équipes de soins primaires et éventail des soins fournis

18Le nombre de professionnels exerçant dans les centres de soins primaires est variable selon la taille de la zone desservie. À titre d’exemple, un centre situé dans une zone rurale de 4 000 habitants comprendra deux médecins généralistes et trois infirmières. En revanche, dans une zone urbaine peuplée, un centre de santé peut faire intervenir jusqu’à vingt médecins généralistes et vingt infirmières. Le nombre de professionnels de santé est fixé sur la base de ratios par habitant. Le taux de médecins généralistes est de un pour 1 750 à 2 500 habitants de plus de 14 ans, et celui des infirmières de un par médecin. Dans un CSP, l’équipe de professionnels de santé est pluridisciplinaire et ne se limite pas aux médecins généralistes et aux infirmières. Elle comporte également des pédiatres (1 pour 1 250 à 1 500 habitants de moins de 15 ans), des dentistes (1 pour 10 000 habitants), des assistantes sociales (1 pour 25 000 habitants) et une ou plusieurs infirmières chargées de la coopération avec les hôpitaux. D’autres professionnels évoluent autour de ce noyau dur. On trouve notamment au sein des équipes des physiothérapeutes, des praticiens de la santé mentale et des consultants, des groupes de patients et des représentants de différentes activités communautaires. Les soins maternels sont également dispensés sur le même lieu par une équipe indépendante. Dans ces CSP, on peut parler d’approche globale, qui inscrit le patient au centre du processus et lui permet de participer à la prise de décision.

19Au début de la réforme, il a fallu s’interroger sur les lieux où mobiliser ces équipes. Le modèle de bâtiment a fait l’objet d’un concours d’architecture. Le projet retenu s’est focalisé sur le patient et privilégie l’intégration de la population. Le lancement du programme s’est donc accompagné d’un grand plan immobilier.

20Dans les centres de santé, l’éventail de services fournis par les équipes est large. Le patient a le libre choix du centre, du médecin généraliste, du pédiatre et de l’infirmière. En Catalogne, en effet, tout individu est libre de choisir son médecin traitant, indépendamment des questions géographiques. Les services proposés sont les suivants :

21Pour le patient :

  • soins communautaires (toute l’équipe – plans communautaires auprès de la population, hors de la structure) ;
  • soins à domicile (travailleur social, médecin généraliste/pédiatre, infirmière, dentiste) ;
  • médecine d’urgence (généraliste/pédiatre, infirmière, dentiste) ;
  • prévention (généraliste/pédiatre, infirmière, dentiste) ;
  • promotion des soins (généraliste/pédiatre, infirmière, dentiste) ;
  • chirurgie mineure (généraliste) ;
  • autres techniques : contrôle et traitement anticoagulant, spirométrie, ultrasons, etc. (généraliste, infirmière).
Pour l’équipe :
  • formation (généraliste, infirmière, administratif, travail social) ;
  • formation médicale continue (toute l’équipe) ;
  • recherche (toute l’équipe).
Les centres privilégient réellement le travail d’équipe. Les responsables de cette équipe sont toujours un médecin généraliste et une infirmière, qui forment l’« unité de base ». Deux équipes travaillent en alternance, le matin et l’après-midi. Chaque jour, une heure est consacrée à l’autoformation : les médecins et les infirmières se rencontrent et échangent afin d’améliorer leurs compétences. C’est l’occasion à la fois de mettre à jour les connaissances des praticiens et de motiver les équipes. Cette formation médicale continue est en outre reconnue et peut être valorisée dans la rémunération. Elle suit un calendrier précis et permet aux professionnels de se faire accréditer, ce qui peut être utilisé dans la suite de la carrière professionnelle. L’accréditation des médecins participe d’un dispositif global d’amélioration des pratiques et de la qualité des soins. Les médecins peuvent également réaliser des travaux de recherche, dont les résultats peuvent être associés aux travaux de planification sanitaire.

22Les centres ouvrent le samedi jusqu’à 20 heures. En dehors de ces horaires, un centre d’appel est disponible. Ses personnels établissent un premier diagnostic et orientent le patient vers le lieu de traitement approprié. Un système d’astreintes permet de gérer l’ensemble des territoires, y compris les zones rurales. Par ailleurs, les prélèvements récoltés par les centres de soins primaires sont envoyés à un laboratoire d’analyses centralisé ouvert en permanence.

Dossier du patient et protocoles de soins

23La Catalogne se caractérise par la diversité des prestataires de soins. Les hôpitaux et les centres de soins partagent un dossier commun. Désormais, si un hôpital souhaite recevoir un soutien public, il doit mettre en place ce dossier. Celui-ci est la garantie de la continuité des soins entre l’hôpital et les centres, mais également avec le secteur social.

24Le dossier du patient est individualisé et informatisé (le taux d’informatisation des dossiers médicaux en Catalogne est de près de 100 % [5]). Les dossiers électroniques sont partagés par l’ensemble de l’équipe. Depuis quelque temps, les médecins des CSP contractualisent avec l’Institut national de gestion sanitaire des accords de gestion fondés sur des indicateurs de résultats en soins primaires, assez similaires aux indicateurs de performance utilisés en Grande-Bretagne. Les systèmes d’information permettent au médecin du centre de comparer les performances des indicateurs relatifs à ses patients avec celles des autres médecins, à la fois du CSP et des autres CAP, ainsi qu’avec la moyenne des centres. À terme, ce tableau de bord devrait constituer un outil de valorisation des centres et des professionnels performant.

25Il existe également un système de « filtrage » des soins primaires vers l’ hôpital, qui s’appuie sur un ensemble de protocoles basés sur des directives cliniques. Il permet la mise en œuvre rapide et efficace de protocoles de soins très encadrés. En moins de quinze jours, un patient présentant les signes d’une pathologie sera pris en charge par le processus. Il existe des procédures, par exemple, pour le cancer du colon, pour des situations de vagues de chaleur – très fréquentes en Espagne – ou encore en cas d’épidémies. Le suivi thérapeutique, consigné dans le dossier du patient, s’appuie sur l’evidence based medicine (c’est-à-dire les données de la médecine fondée sur les preuves) et les guides de bonnes pratiques cliniques. L’application des protocoles de soins proposés par le système reste à la discrétion des médecins et des infirmières de l’équipe de soins. Ils peuvent choisir ou non de les suivre, selon la situation du patient.

Rémunération des professionnels

26Les membres des équipes de soins des centres sont tous fonctionnaires et salariés. Ces personnels sont parfois peu motivés, ce qui peut se traduire par des taux d’absentéisme au travail important. Des incitations ont été introduites, telles que des dispositifs de rémunération indexés sur la performance ou des programmes de développement professionnel. Ces mécanismes ont vocation à dynamiser et à responsabiliser les équipes. Ils se veulent incitatifs, tant à l’échelle de l’individu que des équipes. Le système mêle donc des indicateurs élaborés à ces différents niveaux. En pratique, l’ensemble de l’équipe du centre, des médecins aux réceptionnistes, peut bénéficier d’une augmentation qui peut aller jusqu’à 20 % des rémunérations si l’ensemble des objectifs est atteint. Les objectifs sont pour 25 % des objectifs de gestion du budget du centre (optimisation de l’usage des examens complémentaires, optimisation de la récupération des impayés auprès des assureurs pour les soins relatifs aux accidents du travail, respect des objectifs de dépenses …). Les autres objectifs de performance concernent l’optimisation des prescriptions en termes de coûts, de maîtrise de la multiprescription et, en termes d’objectifs cliniques, de processus ou de résultats à l’image de ce qui est développé dans le cadre anglais (taux de vaccination, arrêt du tabac, baisse de la tension artérielle, contrôle glycémique et lipidique chez les patients diabétiques, etc.). Les médecins et les infirmières du centre peuvent accéder aux indicateurs relatifs à leurs patients et comparer leur performance entre eux, avec le centre, entre centres et à la moyenne des centres. Pour chaque indicateur sont définis des objectifs à atteindre. Chaque indicateur reçoit une pondération qui permet ensuite de calculer les bonus attribués aux centres qui sont ensuite redistribués entre les salariés.

27Signalons que le budget accordé au système de santé, et notamment le salaire des fonctionnaires, a été gelé à l’automne 2009 : il n’évoluera pas dans les années à venir. En effet, les salaires ont représenté à un moment donné 75 % des dépenses de santé. Il était donc urgent de mieux encadrer l’accroissement de la masse salariale. Il faut néanmoins craindre que de plus en plus de généralistes et d’infirmières ne quittent l’Espagne à la recherche de meilleures conditions financières.

Développement des programmes de prise en charge de pathologies chroniques

28Un certain nombre de programmes de prise en charge de pathologies chroniques, ou disease management programs, ont également été mis en œuvre au niveau des soins primaires. Les programmes consacrés aux maladies cardiaques ont bien fonctionné. Cependant, certains programmes ont été réduits dans leurs ambitions et leur ampleur en raison d’un manque de leadership professionnel mais également en raison de questionnements sur l’efficience de tels programmes. Ces programmes fonctionnent grâce à des centres d’appels gérés par des infirmières. Ces interventions sont orientées par des directives cliniques et des recommandations de bonne pratique, et s’appuient sur des logiciels adaptés.

29Par ailleurs, d’autres programmes, orientés vers la santé scolaire et communautaire, ont été introduits. À noter qu’il n’existe pas en Catalogne de services spécifiques de médecine scolaire, laquelle est prise en charge au sein des centres de santé.

Perspectives pour les soins primaires en Catalogne

30Le système des soins primaires est encore loin d’être parfait et reste perfectible à de nombreux égards. Nombre d’aspects pourraient être améliorés. En premier lieu, on peut déplorer un manque de mobilité des professionnels, dû pour une grande part au statut de fonctionnaire de la majeure partie du personnel de santé. Le système de bonus lié à la performance doit être renforcé, notamment pour motiver les jeunes professionnels à entrer dans le secteur. Par ailleurs, nous avons hérité de certaines mauvaises habitudes dont nous peinons à nous détacher. Par exemple, le nombre de consultations dans les centres de soins primaires en Espagne est particulièrement élevé, de l’ordre de dix à quinze visites par an, et peut notamment s’expliquer par la réglementation relative aux congés maladie qui impose une consultation hebdomadaire aux patients pour prolonger le congé. Ces contrôles occupent 10 % du temps d’un médecin généraliste. En moyenne, chaque individu consulte un médecin plus de douze fois par an.

31Autre problème important : le recours trop élevé aux services d’urgence hospitaliers. L’urgence est en effet la seule voie d’accès directe et rapide à l’hôpital, et les services doivent régulièrement faire face à un trop-plein d’admissions. Même si l’attente peut être relativement longue à l’hôpital, de l’ordre de trois à quatre heures, les urgences offrent, gratuitement, un large éventail de soins : radiographies, analyses sanguines, etc.

32Par ailleurs, s’agissant de la question des programmes de disease management, il est dommage que certaines décisions politiques aient freiné leur développement. D’autres dispositifs visant à renforcer la coordination des soins sont expérimentés, tels que l’introduction d’un logiciel compatible soins primaires/hôpital. En outre, un système similaire à celui du NHS Direct au Royaume-Uni a été introduit, Sanitat Respon. Il s’agit d’un service de garde téléphonique permanent pour toute la Catalogne, qui oriente le patient vers le service sanitaire approprié ou l’aide, si besoin, à résoudre un problème de santé.

33De manière générale, les évolutions démographiques, économiques et sociologiques entraînent dans tous les pays développés des mutations importantes, qui nécessitent de répondre aux besoins de la population : vieillissement, dépression, obésité traduisent ainsi quelques-uns des changements en cours auxquels il importe de faire face. En Catalogne, en 2050, 45 % de la population aura en effet plus de 60 ans, contre 37 % pour les autres pays européens. Dans ce contexte, le développement d’une approche plus intégrée des soins apparaît plus que nécessaire. Celle-ci doit permettre à la fois une meilleure prise en charge des patients et l’amélioration de la performance du système de santé. L’idée générale étant de passer d’un système centré sur les soins à une prise en charge globale de la santé et de réduire la frontière existant notamment entre santé individuelle et santé communautaire, et entre soins préventifs et curatifs.

Passer d’une organisation centrée sur le patient à une organisation fondée sur la communauté

34Jusqu’à maintenant, le système était centré principalement sur le patient à titre individuel, et non sur la communauté. Récemment, des objectifs ont été définis dans le cadre de l’adoption d’un plan d’innovation pour les soins primaires en Catalogne. Outre le développement des soins communautaires, il préconise de favoriser la promotion de la santé en général, prenant en compte les besoins de la population. Le patient est ainsi impliqué de manière globale dans la prise en charge de son état de santé, depuis la prévention jusqu’au suivi du traitement. Du côté des professionnels de santé, un meilleur suivi des patients va de pair avec le développement de démarches plus « proactives », qui s’appuient notamment sur l’identification des patients atteints de pathologies chroniques afin de les intégrer dans des programmes de prise en charge spécifiques.

35Il s’agit plus généralement de privilégier une approche globale de la santé, à l’image de ce qui se développe au Royaume-Uni. Un nouvel équilibre du système de soins, plus décloisonné, doit être redéfini. Cette réorganisation implique une meilleure coordination des professionnels de santé, en particulier entre les soins ambulatoires et hospitaliers. Pour se développer efficacement, la gestion intégrée des soins implique notamment d’installer des systèmes d’information unifiés et coordonnés. La mise en place de systèmes d’alerte interconnectés entre les différents niveaux de soins et les professionnels pourrait être privilégiée. Plus généralement, la coordination des acteurs doit reposer sur le développement de divers outils de communication (dossiers patients, systèmes d’information des réseaux de soins, etc.).

36Une meilleure intégration entre le système de santé et les services sociaux doit également être favorisée. La réforme de la santé publique, qui a été votée très récemment, prévoit à ce titre une amélioration de la coordination entre les soins communautaires, la santé publique et les soins primaires.

37S’agissant des professionnels de santé, ce nouvel équilibre exige une plus grande responsabilité en termes de qualité des soins, qui va de pair avec le développement de mesures d’évaluation de leurs performances. Les professionnels de santé devront ainsi développer des compétences nouvelles en matière de données médicales et administratives.

Bibliographie

Pour en savoir plus

  • SALINES E., BRÉCHAT P.-H., SCHAETZEL F., DANZON A. (2001), « Régionalisation. L’expérience de la Catalogne », Haut Conseil de la santé publique, Actualité et dossier en santé publique, n° 37, décembre.

Notes

  • [1]
    La santé communautaire est considérée comme une des stratégies possibles de mise en œuvre de la promotion de la santé telle que définie dans la charte d’Ottawa (OMS, 1986). La santé communautaire se caractérise par :
    • une base collective (un ensemble d’habitants, un groupe, réunis autour d’un problème, une situation ou un objectif communs) pour construire une action ;
    • une identification collective des problèmes, des besoins et des ressources (le diagnostic communautaire) ;
    • la participation ouverte à tous les acteurs concernés : usagers, spécialistes, professionnels (des champs les plus divers), administrations, politiques …, ce qui suppose : l’implication de la population ; le décloisonnement professionnel (pluridisciplinarité) ; le décloisonnement institutionnel (intersectorialité) ; le partenariat ; le partage de savoirs et de pouvoirs. (Sources : Institut Renaudot, site : http://www.documentation.institut-renaudot.fr/resources/)
  • [2]
    L’administration territoriale de l’Espagne est organisée en trois niveaux : 17 communautés autonomes ou régions (comunidad autonoma) ; 50 provinces (provincia) ; 8 112 municipalités (municipio).
  • [3]
    En 2002, après le transfert complet des compétences sanitaires aux communautés autonomes, l’Instituto Nacional de la Salud (INSALUD) est remplacé par un organisme de moindre dimension, l’Institut national de gestion sanitaire (Instituto Nacional de Gestión Sanitaria [INGESA]).
  • [4]
    Tableau ajouté par l’IRDES.
  • [5]
    F : The Shared Medical Record_ Projectes estrategics_ eSalut_ Generalitat de Catalunya. mht
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