1Tous les pays industrialisés sont confrontés au même défi sur le plan humain: protéger les citoyens contre les difficultés financières. La plupart d’entre eux le relèvent en essayant d’offrir une forme de protection sociale qui ne dissuade pas les chefs de famille de se prendre en charge (Solow, 1998). Cette protection peut être fournie sous forme de prestations d’aide sociale destinées aux ménages ayant un revenu et un patrimoine très faibles. Lorsque ces prestations ne sont octroyées qu’aux familles dont aucun membre ne travaille, elles risquent d’éroder la motivation à trouver un emploi et à le conserver. Par conséquent, s’il ne fait guère de doute que ce type d’aide peut atténuer les difficultés financières des ménages à bas revenus dont aucun membre ne travaille, il risque également d’augmenter le nombre d’adultes d’âge actif qui n’exercent pas d’activité professionnelle. Il existe un autre type de système d’aide sociale, qui cible les ménages à bas revenus dont un membre occupe un emploi. L’aide peut alors prendre la forme de services de garde d’enfants gratuits ou à tarif préférentiel ou de prestations en espèces versées en complément du salaire.
2Entre 1986 et 1996, les pouvoirs publics, tant à l’échelon fédéral qu’au niveau des États fédérés, ont rompu avec le système qui reposait sur la distribution sans contrepartie d’aides financières et se sont résolument orientés vers un système fondé sur le versement de compléments de revenu. Les réformes ont essentiellement touché les ménages comportant un membre non invalide d’âge actif, et plus particulièrement ceux comptant au moins un enfant. La protection sociale des personnes âgées et invalides a en revanche peu évolué: ces catégories de la population n’étant pas censées travailler, il n’y avait pas lieu de chercher à améliorer les taux d’emploi en réformant les aides qui leur sont destinées. Ce sont les mères isolées, principales bénéficiaires jusqu’alors des prestations d’aide sociale servies aux familles en âge de travailler, qui ont été les plus touchées par les réformes.
3Lorsqu’ils ont réformé l’ancien système d’aide sociale, les pouvoirs publics poursuivaient deux grands objectifs: le premier était d’encourager les parents isolés non actifs à occuper un emploi rémunéré et le second d’améliorer le revenu net des parents, isolés ou non, qui travaillaient mais percevaient des salaires faibles. Au cours des cinq années qui ont suivi l’entrée en vigueur complète des réformes, ces objectifs ont été en grande partie atteints. En revanche, si certains décideurs comptaient aussi sur les réformes pour réduire les dépenses publiques consacrées aux programmes en faveur des familles d’âge actif à faibles revenus, leurs espoirs ont été déçus. L’augmentation des dépenses de prestations versées en complément du salaire ou pour aider les mères isolées à faire face aux frais de garde de leurs enfants a été beaucoup plus élevée que les économies réalisées au niveau des programmes d’aide sociale. La part des dépenses publiques consacrées aux ménages dont au moins un membre exerce une activité faiblement rémunérée a augmenté, tandis que celle des dépenses consacrées aux familles dont aucun membre ne travaille a diminué. Toutefois, globalement, le budget total consacré à ces deux types de programmes a augmenté par rapport à ce qu’il était avant la réforme.
La suite de cet article est divisée en quatre parties. La première partie décrit brièvement le contexte politique et économique dans lequel la réforme a été débattue et adoptée. La deuxième partie présente la stratégie et les principaux instruments de la réforme, tandis que la troisième analyse son impact sur les dépenses publiques, l’emploi, le revenu du travail et le revenu net des familles concernées par la nouvelle législation ainsi que sur le taux de pauvreté des enfants. L’article s’achève par une réflexion sur les résultats politiques de la réforme et sur son effet global sur les familles à bas revenus.
Contexte de la réforme
4La réforme de l’aide sociale engagée aux États-Unis visait principalement les familles monoparentales. Les États-Unis comptent de nombreux autres groupes à bas revenus, notamment les adultes handicapés, les chômeurs isolés ou mariés sans enfants et les personnes âgées à bas revenus, mais ces groupes n’ont été que peu concernés par la réforme. En outre, de nombreux couples mariés avec enfants ont également des revenus faibles. Ces familles ont été touchées par les changements législatifs, mais n’étaient pas la principale cible de la réforme de l’aide sociale. Elles ont en revanche bénéficié des modifications introduites dans la législation fiscale et dans les programmes publics d’assurance-maladie pour les ménages à bas revenus. Ce sont les familles monoparentales disposant de ressources faibles qui ont été au cœur de la réforme de la législation sur l’aide sociale et du débat public passionné auquel elle a donné lieu. Ce choix s’explique en grande partie par l’augmentation de la pauvreté des enfants observée aux États-Unis pendant les années 1980 et au début des années 1990 et par une concentration de plus en plus marquée de cette pauvreté parmi les enfants de familles monoparentales.
5Au cours des vingt-cinq années qui ont conduit à cette réforme, les électeurs et les pouvoirs publics américains ont progressivement changé d’opinion sur l’aide à apporter aux parents isolés. Trois grands facteurs concourent à expliquer le revirement de l’opinion publique. Entre 1970 et le milieu des années 1990, la proportion d’enfants élevés par un parent isolé, en général une mère célibataire ou divorcée, a augmenté. Une forte minorité de familles monoparentales étant pauvre, cette augmentation a sensiblement contribué à l’augmentation persistante du taux de pauvreté des enfants. L’autre facteur à l’origine du changement d’attitude des Américains à l’égard des mères isolées est la hausse durable du taux d’emploi des femmes mariées avec enfants. Ainsi, la part que représentent les revenus salariaux des mères dans le revenu des familles biparentales a augmenté, tandis que le taux d’emploi et le revenu du travail des mères isolées sont restés faibles. Enfin, les travailleurs américains qui ont un niveau d’instruction inférieur à la moyenne et une qualification faible ont vu leur salaire chuter fortement entre 1975 et 1995. Cette évolution a contribué à la hausse des taux de pauvreté observée dans les années 1980 et au début des années 1990. La plupart des électeurs ont pris conscience qu’en raison de cette baisse des salaires, il était plus difficile pour les parents ayant des enfants à charge de percevoir un revenu du travail susceptible de les sortir de la pauvreté.
La première de ces tendances s’est amorcée à la fin des années 1950 et a connu une accélération dans les années 1970 ( cf. graphique 1). Lorsque le débat sur la réforme de l’aide sociale a commencé aux États-Unis à la fin des années quatre-vingt, plus d’un quart des enfants américains vivaient dans des familles monoparentales ou ne résidaient avec aucun de leurs deux parents. En 1996, lorsque la réforme de la législation sur l’aide sociale a été adoptée, environ un tiers des enfants étaient dans cette situation. Les enfants élevés au sein de familles monoparentales ont beaucoup plus de risques de devenir pauvres et d’ouvrir droit à l’aide sociale que ceux dont les deux parents sont présents et mariés. Entre le début des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt-dix, l’augmentation de la proportion de familles monoparentales a été le principal facteur qui a contribué à la hausse du taux de pauvreté des enfants aux États-Unis (Lerman, 1996).
Pourcentage d’enfants de moins de 18 ans ne résidant pas au sein d’une famille biparentale (1960-1996)
Pourcentage d’enfants de moins de 18 ans ne résidant pas au sein d’une famille biparentale (1960-1996)
6Dans le cadre du système d’aide sociale en vigueur avant 1996, les enfants de familles monoparentales (et leurs parents) ouvraient droit à diverses aides coûteuses – prestations d’aide sociale en espèces, bons alimentaires, accès privilégié à des logements sociaux subventionnés et assurance-maladie gratuite –, tandis que les couples mariés avec enfants, même s’ils avaient de très faibles revenus, avaient beaucoup plus de difficultés à accéder à ces aides ou à certaines d’entre elles. L’ancien système d’aide sociale avait pour caractéristique de ne pas exiger de contrepartie de travail de la part des familles monoparentales bénéficiaires. En réalité, le versement des prestations d’aide sociale était même justifié par le fait que les mères devaient rester à domicile pour s’occuper de leurs enfants.
Cette conception est devenue plus difficile à accepter par l’électeur moyen dès lors qu’il est devenu habituel que les mères de famille mariées exercent une activité professionnelle. Comme le montre le graphique 2, le pourcentage de mères de famille mariées actives est passé de 15% en 1950 à 70% en 1996, année de la réforme de la loi sur l’aide sociale. Le taux d’activité des femmes mariées mères d’un enfant de moins de six ans est passé de 10% en 1950 à plus de 60% en 1996. En raison de cette évolution, il est devenu plus difficile aux électeurs américains d’accepter l’idée que les mères isolées devaient être dispensées d’avoir une activité professionnelle. Comme la grande majorité des femmes mariées travaillaient, il semblait logique d’attendre des parents isolés qu’ils fassent de même, au moins à temps partiel.
Taux d’activité des femmes mariées vivant avec leur conjoint et mères d’un ou plusieurs enfants de moins de 18 ans, 1950-2005 (pourcentage de la population)
Taux d’activité des femmes mariées vivant avec leur conjoint et mères d’un ou plusieurs enfants de moins de 18 ans, 1950-2005 (pourcentage de la population)
Note: la population regroupe les personnes âgées de 16 ans ou plus.7La hausse du taux de pauvreté des enfants au cours des décennies précédant la réforme de l’aide sociale s’explique, entre autres, par le fait que bon nombre de parents actifs ont vu leur salaire diminuer. Entre 1975 et 1995, les salaires réels des Américains situés en bas de l’échelle des revenus ont cessé de progresser. Les hommes jeunes ayant un niveau scolaire inférieur à la moyenne ont vu leur salaire réel chuter de manière substantielle. Le graphique 3 présente l’évolution du salaire horaire réel aux États-Unis, pour trois niveaux de l’échelle des salaires masculins. La courbe inférieure reflète l’évolution du salaire masculin dans le cinquième inférieur de l’échelle des salaires; celle du milieu concerne l’évolution du salaire masculin médian. La courbe supérieure, qui correspond aux 10% de salariés percevant la rémunération la plus élevée, est la seule à révéler une hausse rapide des salaires. Ces tendances ont eu un impact particulièrement négatif sur les jeunes travailleurs en début de carrière. Comme bon nombre de jeunes salariés – célibataires ou mariés – ont des enfants à charge, la diminution des salaires a fait basculer de nombreuses familles avec enfants dans la pauvreté. Ce phénomène a incité les pouvoirs publics américains à intervenir pour aider ces familles en difficulté.
Évolution du salaire horaire réel masculin, 1973-2005 (salaire réel en 1979 = 100)
Évolution du salaire horaire réel masculin, 1973-2005 (salaire réel en 1979 = 100)
Note : Le graphique représente l’évolution, mesurée en pourcentage du salaire horaire réel en 1979, du salaire réel au niveau des 20e, 50e et 90e centiles de la répartition du revenu d’activité horaire.Objectifs et stratégie de la réforme
8Lorsqu’ils ont élaboré les réformes décrites dans cette partie, les responsables politiques américains poursuivaient des objectifs clairs.
9Premièrement, ils voulaient augmenter le pourcentage de mères isolées travaillant pour subvenir aux besoins de leurs enfants.
10Deuxièmement, ils entendaient améliorer les gains et le revenu net des parents à bas revenus occupant des emplois mal rémunérés.
11Enfin, ils souhaitaient décourager la formation de nouvelles familles monoparentales et favoriser la formation ou la pérennité de familles dont le noyau est un couple marié.
12L’importance relative accordée à ces trois objectifs a varié selon les responsables politiques. Alors que les conservateurs ont mis l’accent sur le premier et le troisième objectifs, la gauche a privilégié le deuxième. Quant aux lois qui ont finalement été adoptées par le Congrès, elles accordaient la priorité aux deux premiers. De petits budgets ont été alloués à des mesures visant à limiter les naissances hors mariage et à encourager les couples à se marier ou à rester mariés, mais la réforme a surtout été axée sur la progression des taux d’emploi et des revenus nets des parents occupant un emploi mal rémunéré.
13La stratégie de base de la réforme a consisté, d’une part, à limiter strictement les prestations auxquelles les parents sans activité pouvaient prétendre et, d’autre part, à augmenter le revenu net de ceux qui travaillaient mais étaient mal rémunérés. La majorité des législateurs s’est exprimée en faveur d’une limitation des revenus des parents ne vivant que de prestations sociales et d’une amélioration des revenus de ceux qui « jouaient le jeu » et travaillaient, fût-ce contre une faible rémunération. Pour limiter le revenu des parents inactifs, la durée de versement des prestations d’aide sociale en espèces a été strictement limitée. Ainsi, la loi de 1996 intitulée Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act (PRWORA) a limité à cinq ans la durée de versement des prestations donnant lieu à une subvention fédérale, tout en autorisant les États fédérés à prévoir une durée encore plus courte. Deux tiers des États environ ont utilisé cette possibilité. Dans beaucoup d’États, la plupart des familles pauvres sans activité peuvent percevoir des aides en espèces pendant moins de deux ans.
14De surcroît, la loi de 1996 a contraint les gouvernements des États fédérés à obliger une forte proportion de parents bénéficiaires de l’aide sociale à travailler ou à participer à des programmes d’insertion dans l’emploi et d’aide à la recherche d’emploi. Par conséquent, une mère bénéficiaire de l’aide sociale doit, dès les premiers mois qui suivent l’ouverture de ses droits, trouver un emploi ou participer à un programme d’insertion dans l’emploi si elle veut continuer à percevoir son allocation. Pour des raisons évidentes, cette obligation dissuade beaucoup de parents de solliciter des prestations ou de rester bénéficiaires de l’aide sociale. Comparativement, les familles monoparentales sont peu nombreuses à avoir quitté le dispositif d’aide sociale en raison de l’épuisement de leurs droits. Toutefois, de nombreuses mères isolées en sont sorties beaucoup plus tôt qu’elles ne l’auraient fait dans le cadre des règles en vigueur avant le milieu des années 1990. En outre, nombreuses sont celles qui n’ont pas sollicité de prestations alors qu’elles l’auraient fait dans le cadre de l’ancien système (Blank, 2001 et 2002; Grogger, 2003; Grogger, Karoly, et Klerman, 2002).
Enfin, les réformes ont fortement accru la protection de l’assurance-maladie, l’aide pour la garde des enfants et les compléments de ressources octroyés aux parents qui travaillent et qui reçoivent un salaire faible. Le crédit d’impôt dénommé Earned Income Tax Credit (EITC) complète les salaires par une aide en espèces versée par l’intermédiaire du système fiscal. Un autre crédit d’impôt, le Child Tax Credit, rend le système fiscal moins pénalisant pour les familles à revenus faibles ou moyens qui ont des enfants à charge. Des aides pour la garde des enfants plus généreuses peuvent désormais être attribuées aux familles disposant de faibles ressources et bon nombre des autres prestations s’adressent aux mères qui, peu de temps auparavant, bénéficiaient de prestations d’aide sociale en espèces. Enfin, la fin des années 1980 a vu l’entrée en vigueur d’une réforme coûteuse, qui a assoupli les règles permettant aux enfants à bas revenus et à leurs parents de bénéficier d’une assurance-maladie financée par des fonds publics. Elle a permis à des millions d’enfants dont les parents (isolés ou mariés) occupaient des emplois mal rémunérés de bénéficier d’une assurance-maladie gratuite ou bon marché.
Le graphique 4 représente le barème des aides au revenu versées dans le cadre du mécanisme de l’EITC en 2007. L’EITC complète les revenus d’activité des chefs de famille à bas revenus au moyen d’un crédit d’impôt remboursable. Ce mécanisme a été institué en 1975, pour compenser les cotisations sociales prélevées sur les salaires et inciter les travailleurs pauvres ayant des enfants à charge à conserver leur emploi (jusqu’aux années quatre-vingt-dix, seuls les chefs de famille qui avaient des enfants ou des personnes âgées à charge pouvaient solliciter le crédit et, aujourd’hui encore, il reste beaucoup plus avantageux pour les travailleurs qui ont des personnes à charge). Au lieu de diminuer à mesure que le revenu d’activité augmente, l’EITC croît avec le salaire jusqu’à un certain seuil de revenu. Au niveau de la tranche de salaire inférieure, il progresse de 0,34 ou 0,40 dollar – selon que le travailleur a un ou plusieurs enfants à charge – par dollar de revenu supplémentaire. Les parents qui ne perçoivent pas de salaire n’ouvrent pas droit au crédit, qui, de ce fait, constitue, pour les parents au chômage, une forte incitation à trouver un emploi.
Barème de l’Earned Income Tax Credit (EITC) en 2007
Barème de l’Earned Income Tax Credit (EITC) en 2007
15L’EITC, dont les règles ont été assouplies en 1986, 1990 et 1993, permet de redistribuer aux familles à revenus faibles des sommes beaucoup plus élevées que le programme de prestations d’aide sociale en espèces en faveur des enfants pauvres. Le montant maximum du crédit est désormais supérieur à 4700 dollars par an pour les familles comptant deux enfants au moins (à titre de comparaison, le salaire annuel d’un travailleur à temps plein percevant le salaire minimum était de 11700 dollars en 2007). Le montant maximum est versé lorsque le salaire annuel atteint 11700 dollars environ. Lorsque le salaire annuel atteint un niveau moyen (environ 15400 dollars), le crédit diminue progressivement. Il disparaît totalement au-delà de 37800 dollars de revenu par an environ. Depuis son introduction, au milieu des années soixante-dix, l’EITC est devenu de plus en plus populaire parmi les législateurs et les travailleurs pauvres. Les mesures d’assouplissement adoptées en 1986 et 1993 ont été tellement généreuses que, pour bon nombre de chargés de famille faiblement rémunérés, la hausse du crédit d’impôt a intégralement compensé la baisse des salaires intervenue sur le marché du travail après le milieu des années 1970. Les chercheurs américains ont également découvert de nombreux éléments qui prouvent que la croissance de l’aide au revenu destinée aux travailleurs faiblement rémunérés a contribué à une hausse de l’emploi, du nombre d’heures travaillées et des ressources des parents disposant de faibles revenus (Ellwood, 2000; Meyer et Rosenbaum, 2001; Blank, 2002).
L’expansion de l’EITC a entraîné une forte hausse des dépenses fédérales au titre des travailleurs faiblement rémunérés. Le graphique 5 retrace le coût de l’EITC pour le budget fédéral depuis 1976. Les dépenses au titre de l’EITC, mesurées en dollars constants de 2005, sont passées d’environ 3 milliards de dollars en 1987 à 35 milliards de dollars en 1999 et à 39 milliards de dollars ces dernières années. Beaucoup d’États fédérés ont créé leur propre programme de complément de ressources, et offrent aux travailleurs faiblement rémunérés des aides qui s’ajoutent à celles accordées dans le cadre de l’EITC.
Dépenses au titre des compléments de revenu en faveur des parents actifs à bas revenus: EITC (1976-2005) (en milliards de dollars de 2005)
Dépenses au titre des compléments de revenu en faveur des parents actifs à bas revenus: EITC (1976-2005) (en milliards de dollars de 2005)
16Le développement des compléments de ressources ne constitue qu’un aspect de la stratégie visant à améliorer les conditions de vie des parents actifs à bas revenus à travers un nouveau dispositif de soutien de l’emploi. Le graphique 6 présente des estimations du montant total des dépenses fédérales engagées pour les parents à bas revenus qui travaillent mais ne touchent pas de prestations d’aide sociale en espèces. Dans le contexte législatif de 1984, ces dépenses (calculées sur la base des prix de 2005) s’élevaient au total à 6,6 milliards de dollars environ. Dans celui de 1999, elles avaient été multipliées par 9, pour atteindre près de 61 milliards de dollars. Si ces dépenses supplémentaires s’expliquent en partie par l’augmentation des compléments de ressources versés dans le cadre de l’EITC, elles correspondent pour près de moitié à l’amélioration des prestations publiques d’assurance-maladie destinées aux travailleurs faiblement rémunérés, à la hausse des crédits d’impôt au titre des enfants et des aides versées pour la garde des enfants pauvres.
Dépenses fédérales au titre des familles avec enfants non bénéficiaires de prestations d’aide sociale en espèces, 1984 et 1999 (en milliards de dollars de 2005)
Dépenses fédérales au titre des familles avec enfants non bénéficiaires de prestations d’aide sociale en espèces, 1984 et 1999 (en milliards de dollars de 2005)
17L’extension de l’assurance-maladie a été particulièrement importante pour les parents qui bénéficient de prestations d’aide sociale. Jusqu’à la fin des années quatre-vingt, les parents à revenus faibles et leurs enfants avaient automatiquement droit à une assurance-maladie publique gratuite s’ils bénéficiaient de prestations d’aide sociale en espèces. Toutefois, lorsqu’un des parents trouvait un emploi, la famille perdait généralement ses droits à l’aide sociale et à l’assurance-maladie gratuite. La perte de la couverture maladie ne constituait pas un problème majeur si l’emploi trouvé était assorti d’une assurance. Or, aux États-Unis, beaucoup d’emplois mal rémunérés ne sont pas assortis d’une assurance-maladie, de sorte qu’en devenant salariés, bon nombre des parents radiés de l’aide sociale perdaient également le bénéfice d’une assurance-maladie abordable. Pour des raisons évidentes, ce système incitait certaines mères isolées à refuser un emploi s’il était synonyme de perte de leurs droits aux prestations d’aide sociale. Une série de réformes engagées à partir de la fin des années quatre-vingt a permis aux enfants de familles à bas revenus d’accéder à un dispositif public d’assurance-maladie, même si leurs parents travaillaient et ne bénéficiaient d’aucune prestation d’aide sociale. Dans le même temps, le Congrès et les parlements des États fédérés ont fortement augmenté les budgets consacrés aux aides pour la garde des enfants destinées aux familles à revenus faibles (Besharov et Higney, 2006). En 1997, une réforme de la fiscalité fédérale a introduit des crédits d’impôt partiellement remboursables au titre des enfants. En 2002, le Congrès a amendé le programme de bons alimentaires pour le rendre plus accessible aux familles occupant un emploi. En outre, beaucoup d’États fédérés, emboîtant le pas au gouvernement fédéral, ont accru les prestations qu’ils finançaient en faveur des familles actives à faibles ressources, y compris les aides pour la garde des enfants.
18Ces réformes marquent un tournant dans la politique sociale américaine. Avant les années quatre-vingt, la plupart des programmes soumis à conditions de ressources servaient des prestations aux familles dont aucun membre ne travaillait. Depuis, un changement de cap a été opéré afin de limiter les prestations attribuées aux parents inactifs à faibles revenus et d’augmenter celles en faveur des familles à faibles revenus dont un membre travaille.
Le Congrès a également fait de timides tentatives pour favoriser le mariage parmi les couples non mariés à bas revenus et décourager les naissances hors mariage. Les pouvoirs publics n’ayant que peu d’idées sur les moyens d’atteindre ces objectifs, l’essentiel des ressources consacrées à la promotion du mariage et à la prévention des naissances hors mariage a été investi dans des programmes d’éducation et des manifestations diverses, bénéficiant généralement du soutien du gouvernement des États fédérés, des autorités locales et d’organisations à but non lucratif (Gardiner et al., 2002; Ooms, 2007; Devaney et al., 2002). La loi PRWORA adoptée en 1996 incite explicitement les États fédérés à consacrer une partie de l’enveloppe budgétaire allouée par le gouvernement fédéral au titre du programme d’aide sociale Temporary Aid for Needy Families (TANF) à des mesures destinées à favoriser le mariage et la formation de familles biparentales. Toutefois, seuls 7 États sur 50 ont affecté une part notable de leur enveloppe budgétaire à cet objectif. Les organismes gouvernementaux et les organisations à but non lucratif ont encouragé les mariages dits « sains » (healthy marriages) à travers des campagnes publiques, des programmes de préparation au mariage et de timides amendements de la législation relative aux autorisations de mariage, destinés à inciter les couples à recourir à des séances de conseil conjugal avant de se marier. Quelques États ont également introduit de modestes mécanismes d’incitation financière dans les modalités de calcul de leurs prestations d’aide sociale afin de promouvoir le mariage auprès des bénéficiaires non mariés (Ooms, Bouchet et Park, 2004). Le gouvernement fédéral a alloué des fonds pour que des travaux scientifiquement rigoureux soient conduits afin d’évaluer l’impact des campagnes de promotion de l’abstinence sexuelle menées auprès des adolescents et celui des programmes d’éducation et de conseil destinés à favoriser les « mariages sains » (Scher, Maynard et Stagner, 2006; Dion, 2005). Toutefois, le budget total consacré à ces initiatives représente moins de 1% des sommes dépensées sous forme de prestations d’aide sociale en espèces, d’aides pour la garde des enfants et autres composantes du nouveau système de soutien de l’emploi.
Effets de la réforme
19Poser la question des effets de la réforme revient à s’interroger sur son impact sur les finances publiques et les familles à bas revenus. Si les dépenses consacrées aux programmes d’aides en espèces en faveur des parents inactifs ont indiscutablement baissé, les dépenses affectées aux programmes destinés aux parents actifs ont augmenté dans des proportions beaucoup plus grandes (Blank, 2002; Burtless et Haskins, 2008). Il s’ensuit que globalement, la réforme a entraîné une hausse, et non une baisse, du coût de l’aide aux enfants dont les parents disposent de revenus faibles. Après l’entrée en vigueur complète des réformes, le nombre d’enfants bénéficiaires de prestations d’aide sociale en espèces a fortement chuté. Le taux d’emploi des mères isolées a augmenté, de même que la part des revenus du travail dans leur revenu total.
Le graphique 7 fait apparaître le pourcentage de familles avec enfants qui perçoivent des prestations d’aide sociale en espèces dans le cadre des principaux programmes servant ce type de prestations, en l’occurrence le programme Aid to Families with Dependent Children (AFDC), principal dispositif attribuant des aides en espèces avant 1997, et le Temporary Assistance for Needy Families (TANF), principal dispositif en vigueur actuellement. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, le nombre de bénéficiaires a connu une hausse exponentielle en raison de l’assouplissement des règles d’accès à l’AFDC. Après une période de stabilité entre 1973 et 1989, il s’est de nouveau envolé au début des années 1990, 7,4% des familles avec enfants percevant des prestations dans le cadre de l’AFDC. Après l’adoption de la réforme, en 1996, ce pourcentage est passé à 3,1% de l’ensemble des familles avec enfants en 2000 et à 2,3% en 2006. Le graphique 8 montre que les tendances sont les mêmes lorsque la dépendance à l’aide sociale est mesurée d’après le pourcentage d’enfants américains bénéficiant de prestations d’aide sociale en espèces. Après avoir atteint un pic de 14,3% en 1994, ce pourcentage a chuté pour atteindre 4,4% des enfants en 2006. La quasitotalité de cette baisse s’est produite durant et immédiatement après la mise en œuvre de la réforme de l’aide sociale, au milieu des années 1990, et a eu des retombées sur d’autres programmes, qui subordonnent les prestations au droit à l’aide sociale en espèces. Ainsi, on observe également, après 1996, un recul du recours aux bons alimentaires que la modification des règles d’accès à ce dispositif ne suffit pas à expliquer (Currie et Grogger, 2001).
Pourcentage de familles avec enfants bénéficiaires de l’AFDC ou du TANF (aide sociale en espèces)
Pourcentage de familles avec enfants bénéficiaires de l’AFDC ou du TANF (aide sociale en espèces)
Pourcentage d’enfants bénéficiant de l’AFDC ou du TANF (aide sociale en espèces), 1975-2006
Pourcentage d’enfants bénéficiant de l’AFDC ou du TANF (aide sociale en espèces), 1975-2006
20Le nouveau système d’aide sociale a favorisé une forte hausse du taux d’emploi des mères vivant seules avec leurs propres enfants de moins de 18 ans. Le graphique 9 fait apparaître l’évolution du pourcentage de mères actives au cours de la période 1978-2006. La courbe supérieure correspond au pourcentage de femmes mariées avec enfants occupant un emploi. Comme indiqué ci-dessus, ce chiffre a été orienté à la hausse à partir de 1950, mais semble avoir atteint un plateau élevé en 1997. En revanche après être resté très faible au début des années quatre-vingt-dix, le pourcentage de mères célibataires, nombreuses à bénéficier de prestations d’aide sociale en espèces, occupant un emploi a connu une forte hausse après la réforme de l’aide sociale intervenue en 1996. Ainsi, le pourcentage de mères isolées au travail au cours d’une semaine ordinaire est passé de moins de 50% à plus de 65% en l’espace d’environ six ans.
Impact des réformes: taux d’emploi des mères mariées et des mères célibataires, 1978-2006 Rapport emploi/population (en% de la population)
Impact des réformes: taux d’emploi des mères mariées et des mères célibataires, 1978-2006 Rapport emploi/population (en% de la population)
Note: les mères comptabilisées sont âgées de 16 ans au moins et vivent avec leurs propres enfants de moins de 18 ans.21D’après d’autres recherches, le taux d’emploi des femmes bénéficiaires de prestations d’aide sociale en espèces a augmenté, notamment parce que les règles d’accès aux droits ont été durcies, les adultes devant dorénavant travailler ou participer à un programme d’insertion dans l’emploi. En outre, de nombreux États fédérés ont modifié les modalités de calcul des prestations servies dans le cadre du TANF pour permettre aux parents ayant des salaires plus élevés de percevoir des prestations. Une forte majorité des parents actifs qui bénéficient de l’aide sociale ou en bénéficiaient au cours de l’année précédente travaillent désormais à plein temps. Entre 55 et 65% de ceux qui sont sortis du dispositif d’aide sociale ont trouvé un emploi dans les mois qui ont suivi leur sortie et l’ont conservé (d’autres parents sortent du dispositif à la suite d’un mariage ou d’un changement dans la composition de leur famille ou encore parce qu’ils ne respectent pas les règles du programme). Le taux d’emploi des femmes avec enfants sorties du dispositif d’aide sociale a légèrement chuté après 2001, dans un contexte marqué par un moindre dynamisme du marché du travail (Acs et Loprest, 2007). Néanmoins, le taux d’emploi des mères isolées, y compris de celles qui ont bénéficié ou bénéficient encore de l’aide sociale, reste nettement plus élevé qu’avant 1996.
22La réforme de l’aide sociale ne suffit évidemment pas à expliquer la hausse du taux d’emploi. Le marché du travail américain a connu une embellie au cours de la deuxième moitié des années 1990, si bien qu’il est devenu plus facile aux travailleurs non qualifiés de trouver un emploi (Blank, 2002; Fang et Keane, 2004; Klerman et Haider, 2004). Néanmoins, la forte dégradation de la situation de l’emploi intervenue après 2000 n’a pas entraîné de baisse marquée du taux d’emploi des mères isolées, qui s’est apparemment amélioré durablement sous l’effet conjugué du durcissement des règles de l’aide sociale et de la majoration des compléments de revenu.
23Comme on pouvait s’y attendre, l’amélioration du taux d’emploi et le durcissement des règles de l’aide sociale ont entraîné une augmentation de la part des revenus du travail et un recul de la part des prestations d’aide sociale dans le revenu total des familles monoparentales. Le graphique 10 fait apparaître l’évolution, après 1990, du revenu net – et de ses composantes – des ménages dont le chef de famille est une mère isolée. Une partie de chaque barre verticale représente le revenu correspondant à des prestations (d’aide sociale) soumises à conditions de ressources, tandis que la partie la plus foncée représente les revenus d’activité et que la partie blanche correspond aux compléments de revenu perçus dans le cadre de l’EITC. Chaque barre représente le revenu net total perçu, au cours de l’année indiquée, par un ménage moyen dont le chef de famille est une mère isolée. Un intervalle d’un an sépare l’année 1994 de l’entrée en vigueur des principales réformes de l’aide sociale, même si bon nombre des mesures qui ont majoré les compléments de revenu étaient déjà en application. 2000 correspond au point haut du dernier cycle économique et à la quatrième année suivant l’entrée en vigueur des réformes. Le graphique montre clairement que, depuis l’entrée en vigueur des principales réformes, les revenus d’activité constituent une part plus importante du revenu, tandis que les prestations d’aide sociale en sont une composante plus faible.
Impact des réformes: revenu net des mères isolées (1990-2004) (en dollars, prix de 2005)
Impact des réformes: revenu net des mères isolées (1990-2004) (en dollars, prix de 2005)
24Le principal enseignement qui peut être tiré du graphique 10 est que les mères isolées ont vu leur revenu réel net total progresser depuis l’entrée en vigueur des réformes, puisqu’il a augmenté en moyenne d’environ un cinquième entre 1994 et 2000. Leurs revenus du travail ont progressé d’un peu plus d’un tiers et les compléments de revenu versés dans le cadre de l’EITC d’environ 40%. Cumulées, ces hausses ont été supérieures à la progression du revenu net total des mères isolées. Le montant des prestations (d’aide sociale) soumises à conditions de ressources constitue une différence importante entre 1994 et 2000, puisqu’il a chuté de 46%. Par conséquent, malgré la forte baisse des prestations d’aide sociale, le revenu total des mères isolées a augmenté en raison de la hausse des revenus d’activité et des compléments de revenu. À l’évidence, la stratégie qui consiste à majorer les compléments de revenu est avantageuse pour les familles dans lesquelles un adulte au moins peut occuper un emploi. Toutefois, le durcissement des conditions d’octroi des prestations d’aide sociale pourrait pénaliser les familles dans lesquelles les parents ne sont pas en mesure de travailler.
Le tableau 1 montre les effets de la réforme sur les mères isolées qui sont au bas de l’échelle des revenus des mères isolées et sur celles qui en sont proches. Une forte proportion des femmes proches du bas de l’échelle ne travaillaient peut-être pas lors de l’adoption des réformes, en 1996, mais bon nombre d’entre elles étaient en mesure de trouver et de conserver un emploi. La partie supérieure du tableau 1 retrace, pour la période 1992-2004, l’évolution du revenu des mères isolées qui se situaient entre le 20e et le 40e centile de l’échelle des revenus des mères isolées. Les femmes appartenant à ce groupe ont vu leur revenu moyen croître fortement, en l’occurrence de 23%, au cours de cette période. L’essentiel de cette croissance est imputable à la hausse des revenus du travail, qui ont progressé de plus de 80%, et des compléments de revenu versés dans le cadre de l’EITC, qui ont crû de plus de 140%. Au contraire, les prestations d’aide sociale ont reculé de 46%. En 1992, soit avant la réforme de l’aide sociale, ces prestations représentaient 46% du revenu total de ces familles. En 2004, elles n’en représentaient plus que 20%.
Sources de revenu des ménages avec enfants dont le chef de famille est une femme, situés près du bas de l’échelle des revenus, 1992-2004
Sources de revenu des ménages avec enfants dont le chef de famille est une femme, situés près du bas de l’échelle des revenus, 1992-2004
25À l’extrémité inférieure de l’échelle (le cinquième inférieur), la situation est nettement moins favorable pour les familles monoparentales ( cf. partie inférieure du tableau 1). Entre 1992 et 2004, les prestations d’aide sociale soumises à conditions de ressources ont connu une baisse, que la croissance des revenus d’activité et des compléments versés dans le cadre de l’EITC n’a pas suffi à compenser. Le revenu total de ces familles n’a que faiblement progressé entre 1992 et 2004 et la totalité de la hausse est imputable à une évolution des revenus autres que les revenus du travail, les compléments versés dans le cadre de l’EITC et les prestations d’aide sociale. Beaucoup de mères isolées situées au bas de l’échelle des revenus sont trop peu qualifiées ou trop fragiles sur le plan psychologique pour trouver un emploi ou, si elles en trouvent un, le conserver. Par conséquent, la baisse des prestations d’aide sociale entraîne une baisse de leur revenu, tandis que la revalorisation des compléments de revenu n’est guère avantageuse pour elles.
26Le graphique 11 fait ressortir la différence entre la situation financière des mères isolées qui se situent en bas de l’échelle des revenus et la situation de celles qui sont seulement proches du bas de l’échelle. La courbe inférieure représente l’évolution du revenu net au niveau du 10e centile (10% des mères isolées ont un revenu inférieur à ce niveau et 90% un revenu supérieur). La courbe supérieure reflète le revenu net au niveau du 20e centile. À ce niveau, le revenu net réel a progressé d’environ 1 900 dollars (20%) entre 1990 et 2004, tandis qu’il n’a augmenté que de 200 dollars (3%) au niveau du 10e centile.
Revenu net des mères isolées proches du bas de l’échelle des revenus, 1990-2004 (en dollars de 2005)
Revenu net des mères isolées proches du bas de l’échelle des revenus, 1990-2004 (en dollars de 2005)
27Concernant l’impact de la réforme sur les enfants, compte tenu des tendances qui viennent d’être décrites, il n’est pas étonnant que les taux de pauvreté parmi les enfants aient reculé après la pleine entrée en vigueur des réformes. Le taux de pauvreté des enfants de familles monoparentales afroaméricaines et hispaniques a atteint un niveau historiquement bas dans les années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la nouvelle législation. Suite à la dégradation du marché du travail intervenue après 2001, les taux de pauvreté sont repassés au-dessus du faible niveau atteint en 2000, mais sont restés bien inférieurs à ce qu’ils étaient avant la réforme de l’aide sociale. Ce recul des taux de pauvreté a été particulièrement marqué au sein des groupes les plus touchés par la réforme, en l’occurrence les familles monoparentales ayant des enfants de moins de 18 ans.
Le graphique 12 retrace l’évolution de la pauvreté modérée et extrême des enfants entre 1980 et 2005. Comme on pouvait s’y attendre, le recul le plus net a concerné la pauvreté modérée, mesurée sur la base du nombre d’enfants vivant dans des familles dont les revenus sont compris entre 50 et 100% du seuil de pauvreté. À noter qu’aux États-Unis, le seuil de pauvreté officiel est un seuil absolu corrigé annuellement en fonction de l’évolution des prix et non pas de celle du revenu moyen ou médian. En 1998, le seuil de pauvreté pour un ménage de quatre personnes était égal à environ 42% du revenu médian des ménages. C’est au cours de la cinquième ou sixième année suivant l’adoption de l’importante réforme de 1996 que la pauvreté modérée a accusé la baisse la plus marquée. Depuis 2001, le taux de pauvreté modérée des enfants a connu une hausse, dont l’ampleur reste toutefois très inférieure à celle de la chute enregistrée entre 1995 et 2001. En revanche, le pourcentage d’enfants vivant dans des familles disposant de ressources inférieures à 50% du seuil de pauvreté n’a guère évolué par rapport au début des années 1980. Le taux de pauvreté extrême des enfants a sans nul doute fortement chuté après l’adoption de la réforme de l’aide sociale et a peu augmenté après 2000. Toutefois, la réforme de l’aide sociale n’est pas réellement parvenue à améliorer de manière substantielle la situation des enfants vivant dans les familles les plus pauvres, à savoir celles dans lesquelles les parents travaillent irrégulièrement ou n’exercent pas d’activité.
Pourcentage d’enfants vivant dans des familles modérément et extrêmement pauvres (1980-2005)
Pourcentage d’enfants vivant dans des familles modérément et extrêmement pauvres (1980-2005)
Note : « l’extrême pauvreté » correspond à des revenus inférieurs à 50% du seuil de pauvreté officiel et la « pauvreté modérée » à des revenus compris entre 50 et 100% du seuil de pauvreté. Le seuil de pauvreté officiel est indexé sur les prix et non sur le salaire médian. Par conséquent, le rapport entre ce seuil et le revenu médian a évolué au fil du temps. En 1998, le seuil de pauvreté était égal à environ 35% du revenu médian aux États-Unis.28La plupart des enfants américains ne sont pas pauvres, bien sûr, et il y a peu de signes que la réforme ait eu une incidence négative sur les revenus des familles à la limite de la pauvreté (cf. graphique 13). Le pourcentage d’enfants vivant dans des familles disposant de revenus compris entre une et deux fois le seuil de pauvreté est représenté par la courbe inférieure du graphique 13. Les statistiques sur la répartition des revenus révèlent une baisse durable du pourcentage d’enfants proches du seuil de pauvreté. L’évolution à long terme la plus remarquable est la hausse notable du nombre d’enfants vivant au sein de familles à revenus élevés, en d’autres termes disposant de revenus supérieurs à quatre fois le seuil de pauvreté officiel. Toutefois, cette tendance s’explique, non pas par la réforme de l’aide sociale, mais par une progression durable des revenus d’activité des femmes mariées, d’une part, et des salaires des pères mariés ayant un niveau d’études élevé, d’autre part.
Pourcentage d’enfants vivant dans des familles proches de la pauvreté, dans des familles à revenu moyen ou dans des familles aisées, 1980-2005
Pourcentage d’enfants vivant dans des familles proches de la pauvreté, dans des familles à revenu moyen ou dans des familles aisées, 1980-2005
Note : une famille est « proche de la pauvreté » si son revenu est compris entre le seuil officiel de pauvreté et deux fois ce seuil officiel; une famille à « revenu moyen » dispose de revenus compris entre deux et quatre fois le seuil de pauvreté officiel et une famille aisée a des revenus supérieurs à quatre fois le seuil de pauvreté officiel.Quelques ré?exions en guise de conclusion
29La réforme de l’aide sociale engagée aux États-Unis a incontestablement été un succès politique, à savoir qu’elle a été très populaire aussi bien parmi les électeurs que parmi les responsables politiques. Beaucoup d’observateurs extérieurs au pays sont peut-être enclins à expliquer ce succès par le fait que les réformes ont permis d’économiser l’argent des contribuables. Or, c’est le contraire qui est vrai. Le budget que les États-Unis consacrent aujourd’hui aux compléments de ressources et à l’assurance-maladie des travailleurs faiblement rémunérés est supérieur aux économies résultant de la baisse des prestations d’aide sociale en espèces en faveur des parents sans activité. Le pays dépense plus, mais il affecte ces dépenses à des objectifs qui rendent la politique sociale plus conforme aux attentes de la plupart des électeurs américains. Dans leur grande majorité, les Américains estiment qu’il faut exiger des personnes capables de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille qu’elles le fassent. Ils acceptent l’idée que les salaires puissent être complétés par des aides publiques – EITC, bons alimentaires, aides pour la garde des enfants et assurance-maladie fournie ou subventionnée par l’État – si les salaires que versent les employeurs sont insuffisants pour subvenir correctement aux besoins des enfants. En revanche, la plupart d’entre eux refusent l’idée que l’on puisse aider, sans contrepartie, des personnes en âge de travailler à travers des aides ou des indemnités de chômage versées sans limitation de durée. Parce qu’elle a aligné la politique sociale sur les conceptions largement admises par la société, la réforme de l’aide sociale a été un succès politique considérable.
Sur le plan économique, la réforme de l’aide sociale aux USA été une réussite à deux égards. Tout d’abord, en moyenne, elle a entraîné une hausse du taux d’emploi des mères isolées, de leur revenu d’activité et de leur revenu net. Il s’agit là d’une réussite aussi bien pour la droite, que pour le centre et la gauche. Ensuite, l’augmentation des compléments versés dans le cadre de l’EITC et l’assouplissement des règles d’accès à l’assurance-maladie gratuite ou subventionnée ont contribué à améliorer les conditions de vie des couples mariés avec enfants. Bon nombre de familles à bas revenus appartenant à ce groupe ont perçu des compléments de revenu plus élevés dans le cadre de l’EITC et ont vu la couverture maladie de leurs enfants s’améliorer du fait de l’extension de Medicaid et de la création d’un nouveau programme d’assurance-maladie fédéral en faveur des enfants. Il n’existe pas d’éléments prouvant que cette extension de la protection sociale en faveur des parents mariés à revenus faibles ou moyens ait eu un impact négatif sur les taux d’emploi ou les revenus d’activité.
Toutefois, sur le plan humain, la réforme n’a pas été une réussite totale. Du fait que les pouvoirs publics, à l’échelon fédéral et à celui des États, ont revu à la baisse les prestations versées aux parents sans emploi, les réformes ont eu des incidences négatives sur la situation de certains des ménages et enfants les plus fragiles du pays. Cependant, malgré les craintes de nombreux adversaires de la réforme, situés du côté gauche de l’échiquier politique, peu de signes portent à croire que les réformes ont entraîné une envolée du nombre de sans-abri ou d’enfants menacés par la faim. En revanche, nombre des familles américaines les plus pauvres ont vu leur revenu net diminuer et fluctuer d’un mois sur l’autre de manière plus importante qu’avant la réforme. Cette dernière a sans doute eu des effets négatifs pour certaines familles monoparentales situées au bas de l’échelle des revenus, mais a aidé un nombre beaucoup plus grand de ménages, percevant des revenus un peu supérieurs. Ces derniers ont vu leur nombre d’heures de travail et leur revenu net augmenter. Pour la plupart des électeurs américains, ce résultat est synonyme de succès.
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