Notes
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Rédacteur adjoint de la revue Health Affairs (États-Unis).
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Cet article est une version révisée et actualisée d’une communication préparée pour le colloque sur la protection sociale au Canada et aux États-Unis, organisé par la DREES, à Paris, les 7 et 8 février 2008. Il n’exprime pas le point de vue de la revue Health Affairs, ni de Project HOPE, éditeur de cette revue. Toute erreur dans les faits présentés ou leur interprétation engage la seule responsabilité de l’auteur. Je suis reconnaissant à mes relecteurs pour leurs suggestions et à mes collègues Don Metz et Rob Cunningham pour les sources qu’ils m’ont indiquées et pour avoir répondu à mes questions sur des sujets qu’ils maîtrisent mieux que moi.
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Instance indépendante des partis politiques qui fournit au Parlement des évaluations et avis sur les politiques mises en œuvre par le gouvernement de Californie. (Note de la traductrice).
Introduction
1Une récente et intéressante étude sur le système de santé des États-Unis le décrit comme « fragmenté et concurrentiel » (Cohu, Lequet-Slama, 2007) comparativement à celui d’autres pays à haut niveau de revenus. La première ligne de fragmentation suit les frontières des États fédérés, les ÉtatsUnis étant un pays fédéral dans lequel le pouvoir dévolu au gouvernement des États est important. Ainsi, ces derniers sont libres de consacrer leurs ressources à l’assurance-maladie ou directement à la fourniture de soins. Toutefois, contrairement au gouvernement fédéral, leur constitution les empêche de financer leur déficit par l’emprunt. Les États financent et administrent Medicaid, couverture maladie nationale destinée aux personnes à bas revenus et à certaines personnes handicapées, conjointement avec le gouvernement fédéral. Les Centers for Medicare and Medicaid Services (CMS) définissent les règles qui régissent Medicaid, soumis à la législation fédérale. Ces règles restreignent considérablement la latitude dont disposent les gouvernements des États pour modifier les conditions d’accès au dispositif, les niveaux de dépenses, les honoraires des praticiens et le panier de prestations auquel les bénéficiaires peuvent prétendre. Tout écart par rapport aux règles ordinaires nécessite une dérogation (waiver) de la part des CMS, étant entendu que les conditions fixées par ces dérogations peuvent varier d’un État à l’autre.
2Actuellement, de nombreux États fédérés engagent des réformes destinées à étendre la couverture de l’assurance-maladie ou envisagent de le faire. Toutes les initiatives mises en œuvre impliquent Medicaid dans une plus ou moins grande mesure puisque la population pauvre – les personnes qui ne peuvent pas prétendre à Medicaid et celles qui le peuvent mais ne font pas valoir leurs droits – représente une part importante des citoyens dépourvus de toute couverture, dont le nombre, en croissance constante, serait actuellement de 46 à 47 millions, soit près d’un sixième de la population. Le dernier programme d’assurance-maladie spécifiquement destiné aux enfants (SCHIP), qui date de 1997, repose également sur un partage des compétences entre l’échelon fédéral et celui des États; administré par les États, il est soumis aux règles des CMS et aux procédures de dérogation.
3Cet article [2] décrit brièvement certaines des initiatives envisagées ou en cours de mise en œuvre, analyse les principaux points communs des différentes réformes engagées par les États, examine les obstacles auxquels elles se heur-tent ainsi que leurs liens potentiels avec le processus de réforme du système de santé au niveau national. Medicare, l’autre grand programme fédéral, qui couvre automatiquement les personnes âgées à partir de 65 ans et certains invalides en deçà de cet âge, n’est pas évoqué parce qu’il s’agit d’un dispositif universel, dont les conditions d’accès varient peu d’un État à l’autre, même si les honoraires payés aux prestataires diffèrent selon les États en fonction des prix pratiqués sur le marché privé. Pour les mêmes raisons, le programme de santé de l’Administration des anciens combattants (Veterans Administration) n’est pas traité non plus. Cet article repose principalement sur des analyses publiées dans la revue Health Affairs, principale référence dans ce domaine. Pour les événements trop récents pour que la revue s’en fasse l’écho, la presse et autres supports d’actualité ont été utilisés.
4À l’évidence, il est permis de se demander pourquoi la vague de réformes engagées par les États survient maintenant, en d’autres termes de s’interroger sur son contexte. Les insuffisances du système de santé américain sont, en effet, connues depuis longtemps: il s’agit d’un système extrêmement coûteux et particulièrement inéquitable, qui – bien qu’à la pointe sur le plan technique – pâtit d’un nombre inquiétant d’erreurs médicales et autres défauts de qualité. Deux grands facteurs concourent à expliquer cette situation.
5Le premier est le recul progressif de l’assurance-maladie proposée par les employeurs à leurs salariés, en particulier au niveau des petites entreprises. Aux États-Unis, les employeurs ne sont pas légalement tenus d’offrir une couverture maladie à leur personnel; ils y sont simplement incités par le système fiscal fédéral, qui assimile le coût de la couverture à des charges pour les employeurs, mais pas à des revenus pour les salariés. Tant que le coût de la couverture est, pour l’employeur, compensé par la possibilité d’attirer des salariés d’un meilleur niveau ou de verser des salaires et avantages moins élevés, l’assurance-maladie liée à l’emploi présente autant d’intérêt pour l’entreprise que pour le salarié. En revanche, si le coût est supérieur aux avantages, l’employeur peut réduire ou supprimer la couverture ou faire assumer une plus forte proportion de son prix au salarié. Cette tendance est renforcée par la mondialisation, qui expose davantage d’entreprises à une concurrence provenant de pays où la plupart des employeurs ne prennent pas en charge les soins de santé de leur personnel, par le poids que représente, dans certains secteurs, la poursuite de la prise en charge de retraités de plus en plus nombreux et par la dégradation de la répartition des revenus aux États-Unis, certains travailleurs ne pouvant pas assumer une part plus importante du coût de l’assurance à l’heure où les primes augmentent plus vite que les salaires. Globalement, la hausse des dépenses de santé est le facteur qui menace le plus l’équilibre budgétaire de l’économie (Aaron, 2007).
6Deuxième facteur d’explication: l’échec retentissant du Plan Clinton pour le système de santé de 1993-1994. L’approche proposée était fort éloignée d’un système à payeur unique et aurait conforté la position dominante de l’assurance privée dans la prise en charge des soins de santé. Toutefois, elle renforçait aussi considérablement la réglementation fédérale du marché de l’assurance et créait une agence qui aurait assuré l’interface entre les assurés et les assureurs, et aurait eu le pouvoir de négocier les primes et de contrôler les coûts dans une certaine mesure. Il faut noter qu’au contraire, Medicare fixe les tarifs payés aux médecins et aux hôpitaux, mais que ces tarifs ne s’appliquent qu’aux prestataires qui acceptent de prendre en charge des bénéficiaires du programme. Rien ne les empêche de pratiquer des tarifs plus élevés, la différence étant réglée par une assurance complémentaire ou par le patient. Il est expressément interdit à Medicare de négocier les prix directement avec les prestataires ou les laboratoires pharmaceutiques ou d’utiliser son pouvoir de marché de quelque autre manière. De surcroît, la proposition Clinton était complexe, et insuffisamment expliquée puisqu’en cours d’élaboration, si bien que les acteurs de l’assurance privée n’ont eu aucune difficulté à inquiéter la population au sujet de ses conséquences (Skocpol, 1995). Suite à l’échec du Plan Clinton, il semble que l’ensemble des acteurs impliqués dans le débat sur le système de santé aient abandonné tout espoir de contrôler efficacement les coûts de l’assurance privée ou de lui substituer un système à payeur unique.
Dans son numéro de mai-juin 2008, Health Affairs a publié plusieurs articles sur l’éventuelle réforme du système de santé, pour donner aux lecteurs un avant-goût des débats à l’approche des élections prévues à l’automne. Il est remarquable que toutes les propositions présentées reposent sur l’hypothèse du maintien d’un système hybride public/privé et recherchent des solutions pour en améliorer l’efficience et/ou l’équité. Les chercheurs qui affirment que seul un modèle à payeur unique a une chance d’endiguer les coûts colossaux du système (estimés à 350 milliards de dollars) du fait qu’il est concurrentiel et axé sur la volonté de dégager des bénéfices, prêchent jusqu’à présent dans le désert (Himmelstein et Woolhandler, 2007).
L’augmentation du nombre de personnes dépourvues d’assurance-maladie, conjuguée à l’impasse politique dans laquelle se trouve la réforme du système de santé à l’échelon fédéral, a une double conséquence: elle offre aux États une chance d’agir et les soumet à une pression politique dans ce sens. Toutefois, cette chance et cette pression ne sont pas apparues soudainement; certaines des expériences actuellement tentées par les États découlent d’initiatives antérieures prises il y a parfois dix ans ou plus pour étendre la couverture de l’assurance, réduire les dépenses ou améliorer la qualité. Ainsi, on peut considérer que la réforme en cours depuis 2006 dans le Massachusetts s’inscrit dans le cadre de la « troisième vague » de réformes que connaît cet État depuis 1988 (McDonough et al., 2006). Bien que les objectifs d’amélioration du contrôle des coûts et de la qualité se retrouvent dans diverses propositions des États, la priorité est à l’évidence accordée à l’extension de la couverture; cet article porte uniquement sur cet objectif. En dépit de la hausse des coûts qu’elle implique, la mise en place d’une couverture plus universelle semble l’objectif le plus accessible sur le plan politique: elle peut, en effet, être facilement mise en place si un financement existe et constitue une solution très directe au problème du recul de l’assurance liée à l’emploi. On pourrait presque parler d’un système à « prière unique » dans lequel la prière à exaucer serait une protection plus importante et plus équitable contre le risque de maladie et les risques de paupérisation et de faillite qui en découlent.
Les États qui réforment: combien sont-ils et que font-ils (ou proposent-ils)?
7Dans un récent article, McDonough, Miller et Barber (2008) présentent une synthèse des lois adoptées ou des campagnes engagées par les États en 2006-2007 pour réformer un ou plusieurs aspects de l’assurance-maladie ou pour mettre en œuvre une réforme plus globale portant sur les coûts et/ou la qualité. Les chiffres présentés par les auteurs dans leur tableau 1 sont repris dans le tableau 1 du présent article. Ils tiennent compte des réformes qui viennent tout juste d’être mises en œuvre, plus nombreuses que celles engagées depuis plusieurs mois, ainsi que d’une initiative prise en Californie, qui a été rejetée par le Parlement de l’État en janvier 2008. Dans les États du Colorado, du Nouveau Mexique, de l’Oregon et de Pennsylvanie, la « réforme globale » n’en est qu’au stade de la proposition ou de l’engagement et dans l’Illinois, le gouvernement a commencé à affilier des bénéficiaires dans le cadre d’une extension de la couverture alors qu’il n’a pas obtenu l’aval du Parlement. Par ailleurs, plusieurs États auraient d’autres projets de réforme pour 2008.
Nombre d’États engageant ou proposant une réforme de la couverture maladie, 2006-2007
Nombre d’États engageant ou proposant une réforme de la couverture maladie, 2006-2007
- La mesure la plus répandue, mise en œuvre par exactement la moitié des États plus le District de Columbia, consiste à étendre l’accès à la couverture destinée aux enfants, généralement en relevant de 200% à 300% du seuil de pauvreté fédéral le plafond de ressources en deçà duquel il est possible d’accéder au SCHIP (l’accès des adultes à Medicaid est également lié au seuil de pauvreté fédéral). En 2007, une importante extension du SCHIP a été votée par le Congrès, mais le président Bush a opposé son veto; cette inertie du gouvernement fédéral est en partie compensée par des mesures d’extension décidées par certains États dans le cadre de waivers (qui ne peuvent pas faire l’objet d’un veto). Environ deux tiers des États qui ont étendu le SCHIP ont également étendu la couverture des adultes. La couverture des enfants est plus facile à élargir que celle des adultes, sur le plan financier comme politique: les coûts moyens sont moins élevés pour les enfants (d’environ 50% pour un panier de prestations de base); il y a plus de chances pour que les soins préventifs dispensés aux enfants portent leurs fruits et leur permet-tent d’être en meilleure santé et d’avoir moins de dépenses médicales par la suite; enfin, la population est plus encline à penser que les enfants méri-tent d’être couverts et, à l’évidence, que, contrairement aux adultes, ils ne peuvent pas être tenus pour responsables s’ils ne le sont pas.
- Certains États (un peu moins nombreux) ont entrepris des réformes plus ou moins ambitieuses du marché de l’assurance ou ont tenté d’engager une réforme plus globale. La réforme du marché de l’assurance comporte des mesures telles que le regroupement du marché des polices d’assurance individuelles, très chères, avec celui des polices d’assurance pour les petits groupes, l’interdiction de conclure des polices ou de fixer les primes en fonction de facteurs de risques individuels au lieu d’opter pour une tarification uniforme de type community rating, la réglementation des primes que les employeurs peuvent payer pour leurs salariés en fonction de leur échelon, etc.
- La mesure la plus novatrice est une obligation qui contraint les individus à souscrire une assurance (éventuellement à l’aide d’une subvention), ou les employeurs à offrir soit une assurance à leurs salariés soit à contribuer à son financement de toute autre manière. Seuls trois États – le Massachusetts, Rhode Island et le Vermont – ont intégré une de ces deux obligations à leurs réformes, voire les deux.
Conséquences pour les États, d’une extension de la couverture
9Même si l’on peut admettre que le gouvernement d’un État puisse se sentir responsable de ses citoyens et souhaite qu’ils soient assurés contre les risques de maladie, il est permis de s’interroger sur les facteurs qui l’incitent à augmenter le nombre de personnes affiliées aux programmes auxquels elles ont droit ou à créer de nouveaux dispositifs pour les non-assurés. De telles mesures ont, en effet, un coût non négligeable. Toutefois, trois facteurs sont susceptibles de compenser la hausse des dépenses.
- Premièrement, une proportion étonnamment forte des non-assurés – 25% d’après les estimations nationales – peut prétendre à Medicaid ou au SCHIP. Affilier cette fraction de la population, revient à obliger le gouvernement fédéral à payer une part des coûts, d’autant plus importante que la population de l’État est pauvre.
- Deuxièmement, les non-assurés, éligibles ou non à des programmes publics, ne peuvent pas se passer complètement de soins médicaux. Ils fréquentent donc des centres médicaux ou hôpitaux publics, souvent une fois que leurs problèmes de santé se sont aggravés, et le coût de ces « soins non pris en charge » doit être assumé d’une manière ou d’une autre. La transformation de tels coûts en primes d’assurance ne mobilise pas de ressources supplémentaires.
- Enfin, si l’assurance couvre les dépenses de soins préventifs et primaires, les patients sont davantage enclins à recourir à ce type de soins, évitant ainsi les complications qui risquent de les amener à fréquenter les services d’urgence à un stade ultérieur de leur maladie.
La réforme: les pièces maîtresses du puzzle
10Supposons que le gouvernement d’un État veuille parvenir à une couverture quasi universelle, tout en laissant globalement inchangé le système d’assurance lié à l’emploi – pour réduire le plus possible « l’effet d’éviction » des dépenses publiques – et en limitant les coûts supplémentaires, sans provoquer, avec le secteur de l’assurance privée, une bataille qu’il risquerait de perdre (comme ce fut le cas lors du Plan Clinton). Quelles sont les mesures nécessaires pour avancer simultanément sur tous ces fronts?
11La première mesure consiste, évidemment, à amener tous les non-assurés (ou presque) qui peuvent prétendre à Medicaid ou au SCHIP à s’affilier. Ces personnes seront naturellement plus nombreuses si l’État obtient des CMS un waiver qui l’autorise à élargir l’accès à ces programmes, par exemple en relevant le plafond de ressources. Le défaut d’affiliation peut s’expliquer par le fait que les intéressés ignorent leurs droits, font preuve de négligence (dans le cas des parents qui n’affilient pas leurs enfants au SCHIP alors qu’ils y ont droit) ou ont peur de la stigmatisation. Les dépenses à engager pour atteindre ces personnes et les convaincre de s’affilier, font partie des coûts que la réforme doit couvrir mais restent probablement modestes comparativement aux coûts récurrents que représente la fourniture de soins; en outre, ce travail pourrait en partie être effectué par des bénévoles. Les personnes sans domicile fixe, toxicomanes ou atteintes de troubles mentaux risquent d’être plus difficiles à affilier, mais, même s’il est peu probable que l’on parvienne à un respect total de l’obligation d’affiliation, on peut espérer s’en approcher.
12En ce qui concerne les non-assurés qui ne relèvent d’aucun dispositif public, la plupart des chercheurs estiment qu’il est essentiel de les obliger à souscrire une assurance. Une telle obligation présente l’intérêt, non seulement d’améliorer la couverture, mais aussi d’empêcher que certaines personnes ne souscrivent pas d’assurance alors qu’elles le pourraient et aient recours aux soins non pris en charge ou attendent d’être âgées et exposées à davantage de risques pour souscrire une couverture. Comme les personnes qui choisissent de ne pas s’assurer alors qu’elles le pourraient, sont vraisemblablement en bonne santé, leur donner la possibilité de rester à l’extérieur du système a pour effet d’augmenter la prime moyenne. Essayer de les attirer en subventionnant les primes aurait non seulement un caractère régressif, mais serait aussi beaucoup trop coûteux. Il serait à la fois plus simple et plus équitable de tenter d’appliquer l’obligation d’assurance en imposant une pénalité à ceux qui choisissent de ne pas s’assurer alors qu’ils le pour-raient et en utilisant les recettes ainsi collectées pour financer l’assurance de ceux qui n’ont pas les moyens de souscrire une couverture.
13Du fait qu’elle marque une rupture totale avec les pratiques antérieures dans le domaine de la santé, une telle obligation d’assurance est politiquement controversée, en particulier si son non-respect est sanctionné par une pénalité. Jusqu’à présent, un tel mécanisme n’existait que dans l’État de Hawaï, en Suisse et aux Pays-Bas et il est difficile de tirer des conclusions générales de ces expériences (dont les résultats sont en demi-teinte). Il est encore plus difficile d’effectuer des comparaisons avec d’autres types d’obligation. Par exemple, dans 47 États et le District de Columbia, les propriétaires de véhicules doivent être titulaires d’une assurance responsabilité civile; cette obligation n’est sans doute pas respectée à 100%, mais améliore probablement la couverture. Il est difficile de tirer des conclusions autres qu’intuitives (l’obligation est d’autant mieux observée qu’elle est facile à respecter et que son non-respect coûte cher) sur l’efficacité d’obligations d’assurance dans le domaine de la santé (Glied, Hartz et Giorgi, 2007). Sans doute vaut-il mieux considérer l’assurance-maladie comme un domaine sui generis.
14Si l’on oblige la population pauvre à s’assurer alors qu’elle n’a accès ni à Medicaid, ni au SCHIP, il faut subventionner ses primes d’assurance. Une telle mesure suppose de définir ce qui est considéré comme « abordable », afin de décider qui a droit à la subvention, et de déterminer comment cette subvention doit varier en fonction des ressources et du montant de la prime, ce qui suppose également de définir un panier de prestations minimum « crédible », de nature à satisfaire l’obligation. Cette démarche est indispensable pour éviter que les personnes qui ne s’assureraient pas si l’obligation n’existait pas, n’achètent un panier de prestations peu coûteux et symbolique. Le contenu du panier, le coût de l’assurance et le montant de la subvention doivent être déterminés simultanément. Pour limiter les coûts, il est essentiel de ne subventionner que les individus qui remplissent les deux conditions à la fois: ne pas avoir accès à un programme public existant et disposer de ressources insuffisantes pour souscrire une assurance digne de ce nom dans le secteur privé.
15Choisir une police d’assurance n’est pas une tâche aisée, même avec de l’instruction et des ressources suffisantes. Le marché offre un choix impressionnant, en termes de primes, de franchises, de tickets modérateurs et de plafonnement des prestations sur l’année ou sur toute une vie; le coût dépend des services effectivement utilisés, utilisation qui dépend elle-même de la survenue ou non de problèmes de santé imprévus. Le choix des prestations à inclure dans le panier est tout aussi difficile, en particulier en ce qui concerne l’équilibre entre les soins peu complexes et plus prévisibles et la prévention de problèmes de santé exceptionnels (comme indiqué précédemment, les considérations d’économies potentielles plaident en faveur de la première catégorie de soins, mais les risques auxquels est exposé l’assuré en faveur de la deuxième). Compte tenu de cette complexité, il serait bon, sans que cela soit obligatoire, que les gouvernements ne se contentent pas d’obliger la souscription d’une assurance, mais rendent aussi cette démarche plus facile pour les non-assurés. Ils pourraient par exemple diffuser des informations et des conseils sur les différentes polices, mais surtout définir des paniers de prestations et passer des contrats avec des assureurs pour leur fourniture. Cette approche est particulièrement pertinente lorsque l’État verse une subvention, car simplifier le choix des citoyens facilite aussi les décisions du gouvernement et lui permet de mieux contrôler les coûts. Toutefois, elle reste valable en l’absence de subvention.
16La nécessité de définir ce qui est « abordable », de déterminer les conditions d’accès ainsi que le budget à consacrer à la subvention et de faciliter le choix entre diverses polices d’assurance plaide en faveur de la création d’une agence spécialisée, qui « relierait » les acheteurs, les bénéficiaires de la subvention, les vendeurs et l’État. En d’autres termes, certaines interventions publiques indispensables – par exemple l’obligation d’assurance et l’octroi d’une subvention pour que les plus pauvres puissent s’y conformer – supposent d’autres interventions, sans lesquelles la réforme a peu de chances d’atteindre ses objectifs. Contraindre chacun à s’assurer et subventionner une partie de la population tout en préservant le secteur de l’assurance privée tel qu’il est, risque d’être coûteux et, probablement, d’aboutir à un résultat insatisfaisant en termes de couverture.
17Les entreprises n’ont pas l’obligation légale d’offrir une assurance à leurs salariés. Par conséquent, si l’État exige que chacun soit assuré, les employeurs qui fournissent actuellement une couverture risquent de cesser ou de réduire leur contribution à son financement. Reporter une partie du coût sur les salariés tout en augmentant les salaires du même montant resterait pénalisant pour les salariés du fait de la différence de traitement fiscal entre le salaire et les avantages sous forme de prestations de santé. Le dernier élément clé de la réforme consiste donc à déterminer comment éviter un recul supplémentaire du système d’assurance lié à l’emploi et son corollaire, à savoir le transfert des coûts vers les salariés ou (lorsqu’une subvention est versée) vers l’État. La solution consiste à associer à l’obligation d’assurance faite aux individus une autre forme d’obligation, visant les employeurs. Les entreprises qui proposent une assurance à leurs salariés peuvent soit acheter des polices commerciales, soit assurer leur personnel sur leurs fonds propres et assumer l’intégralité des risques financiers. Cette dernière possibilité est souvent choisie par les grandes entreprises. Cette distinction est importante, parce que la loi fédérale Employee Retirement Income Security Act (ERISA) empêche l’État fédéré de réglementer les plans de santé autofinancés par les entreprises. Par conséquent, ces plans doivent être acceptés comme remplissant, de manière crédible, les exigences qu’est susceptible d’imposer le gouvernement d’un État.
18S’il n’est pas possible d’obliger les employeurs à offrir une assurance à leurs salariés, il pourrait en revanche être envisagé de leur donner le choix entre « participer ou payer » (« play or pay ») – en d’autres termes, les obliger à payer une partie de l’assurance ou à la rendre plus abordable pour leur personnel de toute autre manière, s’ils n’offrent pas directement les prestations. Il s’agit là d’un moyen terme a priori séduisant, entre une absence d’intervention du gouvernement et un système universel dans lequel les soins seraient fournis ou financés par des fonds publics. Toutefois, la loi ERISA a été invoquée pour invalider les taxes imposées aux employeurs dans le cadre de ce mécanisme dans le Maryland et dans le comté du Suffolk, État de New York (McDonough, Miller et Barber, 2008); jusqu’à présent, elle n’a été invoquée contre aucune des réformes présentées dans cet article. L’une des stratégies adoptées consiste à obliger les entreprises à payer un forfait par salarié équivalent temps plein à l’agence de « liaison », qui a ainsi les moyens de vendre des polices aux salariés et de subventionner certains d’entre eux. En outre, si l’agence offre des prestations intéressantes, les employeurs peuvent également lui acheter directement des polices au lieu de se tourner vers des assureurs qui ne sont pas liés à elle. Une autre approche consiste à supprimer le différentiel fiscal en donnant aux employeurs la possibilité d’offrir à leurs salariés un « cafeteria plan », régi par le paragraphe 125 du Code fiscal, dans le cadre duquel les salariés peuvent acheter une assurance et déduire les primes de leur revenu imposable, exactement comme ils le font lorsque leur employeur fournit la police et contribue à son financement, éventuellement moyennant un salaire moins élevé (la législation fiscale autorise une telle solution, qu’une obligation d’assurance rendrait peut-être plus attrayante pour les employeurs et/ou les salariés). Intervenir du côté des employeurs est sans doute moins indispensable qu’imposer une obligation d’assurance aux individus et serait peut-être injustifié en l’absence de risque d’éviction. Il n’en reste pas moins qu’une politique non interventionniste n’empêcherait pas l’érosion de l’assurance liée à l’emploi et n’aurait aucun effet sur les inégalités, inhérentes au système, qui existent entre entreprises de taille et de rentabilité différentes.
Avant que le Massachusetts n’institue, dans le cadre de sa réforme, un dispositif reposant sur le principe « participer ou payer », ce type d’obligation n’avait jamais été mis en place à l’échelle d’un État, sauf dans celui de Hawaï, où il avait été instauré par une loi de 1974. L’analyse de la loi sur l’assurance-maladie (California Health Insurance Act) adoptée en Californie en 2003 mais jamais entrée en vigueur, révèle que l’obligation imposée aux employeurs avait été mal conçue: elle aurait eu un coût inutilement élevé parce que les deux tiers des dépenses des entreprises auraient concerné des salariés déjà assurés (or, la loi ne leur permettait pas de renoncer à bénéficier du dispositif). Elle aurait laissé sans couverture au moins 40% de non-assurés n’ayant que peu de liens avec le marché du travail; enfin, si la hausse des coûts incombant à l’employeur avait été répercutée sur les salariés sous forme de baisses de salaire, elle aurait entraîné la perte d’environ 70 000 emplois à bas salaire (Yelowitz, 2007). L’un des problèmes que posent les obligations visant les employeurs, réside dans le fait que, bien que n’exigeant pas davantage de recettes fiscales pour étendre la couverture, elles risquent de réduire les recettes de l’État de deux manières: d’une part, une baisse des salaires va de pair avec une diminution des recettes fiscales; d’autre part, le passage des salariés à bas salaire de Medicaid à une assurance offerte par l’employeur entraîne une baisse des paiements fédéraux au titre de Medicaid.
Pour rendre l’assurance accessible aux personnes qui ne sont pas couvertes par l’intermédiaire de leur entreprise et ne peuvent prétendre ni à un programme public, ni à une subvention, l’État peut prendre une autre mesure, en plus d’imposer une obligation aux employeurs. Il peut regrouper le marché des polices d’assurance individuelles, qui sont systématiquement les plus coûteuses, avec celui des polices collectives couvrant les petits groupes (en principe moins chères, quoique plus onéreuses que celles qui couvrent les grands groupes). Une telle mesure aurait pour effet d’augmenter légèrement les primes des polices pour les petits groupes, y compris celles achetées par de petites entreprises, mais de réduire le prix des polices individuelles, puisque la population couverte dans le cadre de petits groupes est beaucoup plus nombreuse que celle assurée individuellement. Si certaines petites entreprises renoncent à proposer une couverture en raison de la hausse des primes, elles pourraient se tourner vers l’une ou l’autre des solutions décrites ci-dessus.
Pour résumer, toute réforme visant à instaurer une couverture quasi universelle nécessite de nombreuses composantes, en interrelation les unes avec les autres. Les approches parcellaires semblent vouées à l’échec. La figure 1 présente les liens qualitatifs entre les diverses composantes d’un modèle complet, comportant des obligations. Les employeurs peuvent, soit assurer leurs salariés sur leurs propres ressources, soit acheter des polices auprès d’assureurs privés ou, le cas échéant, de l’agence de liaison ou encore verser une taxe à l’agence de liaison au lieu de fournir une assurance à leur personnel. La population non assurée peut être affiliée à Medicaid ou au SCHIP si elle y ouvre droit. Dans le cas contraire, elle peut prétendre à une assurance subventionnée par l’agence de liaison ou, si elle ne peut pas bénéficier de la subvention, elle peut souscrire une assurance auprès de l’agence de liaison ou d’assureurs privés (les relations quantitatives, en argent ou en nombre de personnes, varieraient d’un État à l’autre, même si les États adoptaient le même dispositif général).
Composantes des réformes de la couverture maladie engagées par les États fédérés
Composantes des réformes de la couverture maladie engagées par les États fédérés
19Pour toutes les parties impliquées dans un processus de réforme – le gouvernement, les employeurs et les bénéficiaires – la question de l’accessibilité économique constitue l’enjeu majeur. Il est important de savoir ce qui est accessible et pour qui, les non-assurés ne constituant pas un groupe uniforme. Certains d’entre eux (dont on estime le nombre total à 24,7% dans l’ensemble du pays) peuvent prétendre à un programme d’assurance public; 19,6% peuvent se permettre de souscrire une assurance mais ne l’ont pas fait, ni par l’intermédiaire de leur entreprise, ni directement. Le groupe qui importe le plus en termes de coût de la réforme visant à étendre la couverture, se situe entre les deux premiers: il est constitué des quelque 55,7% non-assurés qui disposent de ressources trop élevées pour bénéficier de Medicaid ou du SCHIP, mais qui jugent une assurance digne de ce nom trop coûteuse par rapport à leur revenu (Dubay, Holahan et Cook, 2006). L’importance relative de ces groupes varie d’un État à l’autre, ce qui a une incidence sur la possibilité, ou non, de parvenir à les assurer intégralement à un coût raisonnable. Elle varie également considérablement selon les groupes démographiques: ainsi, les enfants non assurés ont généralement accès à des programmes publics (74,1%), ce qui est beaucoup moins souvent le cas des parents (27,8%) et très rarement le cas des adultes sans enfants (7,7%). De surcroît, outre le fait qu’il est plus coûteux d’assurer convenablement les adultes que les enfants, il est également beaucoup plus facile d’étendre la couverture des enfants du fait qu’il existe déjà des programmes pour la plupart d’entre eux.
Massachusetts: le seul exemple grandeur nature en fonctionnement
20À ce jour, le Massachusetts est le seul État à avoir mis en place l’intégralité du modèle décrit précédemment. Cette ambitieuse réforme ayant été adoptée en 2006, on ne dispose que de deux années de recul et de quelques résultats préliminaires. Cette réforme a suscité beaucoup d’intérêt, non seulement parce qu’elle comportait des éléments relativement radicaux – les obligations – mais aussi parce qu’elle représente « le triomphe d’une conception ambitieuse » (Turnbull, 2006) sur des approches plus timides et plus parcellaires. La loi relative à l’accès à des soins abordables, de qualité et fiables (Act Providing Access to Affordable, Quality, Accountable Health Care), également connue sous le nom de « Chapitre 58 », a créé une nouvelle structure, la Commonwealth Health Insurance Connector Authority (le « Connector »), pour administrer les principaux volets de la réforme. Cette structure est, entre autres, chargée de gérer le Commonwealth Care Health Insurance Program (CCHIP, depuis lors rebaptisé CommCare), qui offre une assurance subventionnée aux adultes non assurés disposant de ressources inférieures à 300% du seuil de pauvreté fédéral. La subvention est intégrale pour les personnes dont les ressources sont inférieures à 100% du seuil de pauvreté, les primes augmentant ensuite sur une échelle glissante jusqu’au seuil de 300%. Cette assurance prévoit des tickets modérateurs peu élevés et des primes abordables, mais pas de franchise, afin de promouvoir les soins préventifs et primaires. Les employeurs qui n’offrent pas d’assurance doivent verser une « contribution équitable » qui peut atteindre 295 dollars par équivalent temps plein; dans le cas des salariés à temps partiel occupant des emplois multiples, les contributions versées par les divers employeurs peuvent être cumulées.
21En septembre 2006, Health Affairs a consacré au « Chapitre 58 » plusieurs articles et des communications plus courtes publiées dans sa rubrique « Perspectives ». L’un de ces articles (Holahan et Blumberg, 2006) décrit les principaux défis que doit relever la réforme. D’autres analyses décrivent le compromis politique complexe qui a abouti à l’adoption de la loi et émet-tent l’idée que le projet du Massachusetts pourrait servir d’exemple pour la mise en place d’un système couvrant l’ensemble du pays, à condition d’y associer des crédits d’impôt pour acheter l’assurance; d’autres encore font un éloge prudent de la réforme ou lui reprochent de ne pas réellement remettre en cause la structure actuelle des dépenses de santé.
Le tableau 2 (essentiellement établi à partir de McDonough et al., 2006) présente le calendrier des diverses mesures à prendre, jusqu’à début 2009, date à laquelle toutes les composantes du projet élaboré par le Massachusetts devraient être en place, et indique quel organisme public est chargé de chacune de ces mesures. Long (2008, tableau 1) présente une description plus précise des seize composantes clés de la réforme et met notamment en évidence l’incidence de chaque composante sur la situation des enfants et sur celles des adultes pour trois tranches de revenu. Toutefois, il ne précise ni le calendrier, ni les institutions compétentes. Certaines de ces composantes concernent, non pas l’extension de la couverture, mais la hausse des tarifs payés aux prestataires de soins et l’introduction de règles de paiement à la performance. Le Connector a notamment été chargé de fixer le montant des primes et des tickets modérateurs de CommCare, de définir une échelle d’accessibilité financière pour les personnes seules, les couples sans personnes à charge et les familles avec enfants, ainsi que d’établir le barème des primes pour les polices vendues par son intermédiaire. En septembre 2007, tous ces barèmes avaient été établis. Les primes sont gratuites jusqu’à 150% du seuil de pauvreté fédéral et augmentent avec les revenus des ménages jusqu’à un montant compris entre 127 et 131 dollars par mois pour les ménages qui disposent de ressources proches de trois fois le seuil de pauvreté. Le montant des tickets modérateurs commence à zéro et augmente avec le revenu jusqu’à une somme comprise entre 5 et 10 dollars pour une consultation au cabinet ou une prescription de médicaments et jusqu’à 50 dollars pour une hospitalisation. Les tickets modérateurs sont plus élevés lorsque les primes sont plus faibles mais les différences sont modestes (McDonough et al., 2008, tableau 1).
Calendrier de la mise en œuvre de la réforme du système de santé dans le Massachusetts
Calendrier de la mise en œuvre de la réforme du système de santé dans le Massachusetts
22En septembre 2007, 115 000 non-assurés avaient été affiliés à CommCare. Autre bonne nouvelle: un an après l’adoption de la loi, le programme semble globalement bien accueilli par les employeurs et « peu de signes d’effet d’éviction » sont observés (Gabel, Whitmore et Pickreign, 2007). Toutefois, il ressort de cette étude qu’à la même époque, bon nombre d’employeurs n’étaient pas encore certains des implications que la loi aurait pour eux, en particulier eu égard aux opérations réalisées par le Connector; il est donc naturel qu’ils attendent de mieux comprendre cette nouvelle donne avant d’envisager des changements importants concernant la fourniture, ou non, d’une assurance et la nature de ladite assurance. En avril 2008, quelque 340 000 personnes étaient nouvellement assurées dans le cadre d’une disposition quelconque de la loi (Connector, 2008). Sur ces 340 000 personnes, 176 000 étaient affiliées à CommCare; la moitié d’entre elles appartenaient à des ménages plus spécifiquement ciblés par la réforme puisqu’elles disposaient de ressources inférieures au seuil de pauvreté fédéral (McDonough et al., 2008, tableau 1).
23L’analyse la plus complète de l’incidence de la réforme engagée par le Massachusetts, sur les adultes n’appartenant pas à la population âgée, est fournie par les enquêtes conduites auprès des ménages à l’automne 2006 et 2007 (Long, 2008). Le tableau 3 synthétise certaines des conclusions et présente, non pas les chiffres absolus, mais les variations annuelles en faisant appel à des régressions Probit pour neutraliser les légères disparités entre les caractéristiques des personnes interrogées et de leurs comtés de résidence. Il semble justifié de supposer que les variations observées sont imputables à la réforme et non à d’autres facteurs, compte tenu de la courte durée de l’intervalle et de la relative stabilité des facteurs économiques qui auraient pu avoir une incidence sur la situation des ménages en matière d’assurance et d’accès aux soins. Parmi l’ensemble des adultes âgés de 18 à 64 ans, l’absence d’assurance à un moment précis ou à un moment quelconque de l’année, a reculé de manière significative. Le nombre de personnes qui ont un prestataire attitré pour les soins préventifs et primaires et pour les soins dentaires a, lui aussi, nettement augmenté. Ces deux améliorations, dans la situation au regard de l’assurance d’une part et dans l’accès aux soins d’autre part, sont nettement plus marquées parmi les ménages pauvres qu’au sein de la population générale. La réforme a également réduit de manière significative le risque financier, qu’on le mesure d’après le montant des sommes restant à la charge des patients (hors primes d’assurance), d’après la probabilité de ne pas recevoir de soins pour des raisons de coût, ou d’après le nombre de ménages qui ont des difficultés pour acquitter leurs factures médicales ou doivent en étaler le paiement dans le temps. Là aussi, c’est pour les ménages les plus pauvres que l’impact est le plus grand.
Impact de la réforme de la santé engagée par le Massachusetts sur les adultes âgés de 18 à 64 ans (variations en points de pourcentage entre l’automne 2006 et l’automne 2007, corrigées pour tenir compte des caractéristiques des répondants et de leurs comtés de résidence)
Impact de la réforme de la santé engagée par le Massachusetts sur les adultes âgés de 18 à 64 ans (variations en points de pourcentage entre l’automne 2006 et l’automne 2007, corrigées pour tenir compte des caractéristiques des répondants et de leurs comtés de résidence)
24À ce stade, l’expérience menée par le Massachusetts semble être une véritable réussite, même s’il faudra des années pour connaître l’impact d’une de ses dispositions entrée en vigueur début 2008 seulement: la pénalité imposée aux individus qui ne respectent pas l’obligation d’assurance. Cette pénalité va de zéro, pour les ménages qui disposent de ressources inférieures à 150% du seuil de pauvreté, à 76 dollars par mois pour ceux dont les revenus sont supérieurs à trois fois le seuil de pauvreté et sont âgés de 27 ans au moins (McDonoughet al., 2008, tableau 2). Des pénalités plus faibles sont appliquées entre 18 et 26 ans, ce qui correspond à la tranche d’âge pour laquelle la réforme a prolongé la couverture en tant qu’ayant droit. Le seul groupe qui semble ne pas avoir apporté un soutien inconditionnel à la réforme, en l’occurrence les hommes jeunes à bas revenus, est celui qui était plus particulièrement ciblé par l’obligation, ce qui porte à croire que son application pourrait avoir des conséquences politiques autant qu’économiques.
25Parallèlement, la réforme est confrontée à deux autres problèmes, qui sont, l’un comme l’autre, en partie dus à sa réussite en termes d’extension de la couverture.
- Le premier problème réside dans le fait que les personnes nouvellement assurées ont souvent des difficultés à trouver un prestataire attitré, les médecins qui ont une grosse clientèle ne pouvant ou ne voulant pas accepter de patients supplémentaires (Sack, 2008). D’après l’enquête conduite auprès des ménages à l’automne 2007, les personnes à bas revenus interrogées, déclaraient déjà avoir davantage de difficultés à recevoir des soins du fait qu’ils ne trouvaient pas de prestataires prêts à les accepter ou ne pouvaient pas obtenir de rendez-vous. Si l’on considérait les adultes dans leur ensemble, cet aspect ne constituait pas un problème, ce qui est cohérent avec le fait que les ménages à revenus élevés étaient plus susceptibles d’avoir un prestataire attitré avant la réforme. Ces difficultés accrues peuvent en partie s’expliquer par l’existence d’une demande de soins non exprimée jusque-là, les patients ayant différé les soins ou ayant renoncé à se faire soigner pour des raisons de coût. Elles signifient cependant qu’à long terme, la réduction des obstacles financiers à l’accès aux soins transforme le problème en difficultés liées à l’insuffisance des capacités du système de soins.
- L’autre problème auquel est confronté le Massachusetts, est celui de la hausse des dépenses, qui, d’après les estimations, devraient augmenter d’un peu plus d’un milliard de dollars entre l’exercice 2007 et l’exercice 2009 (McDonough et al., 2008, tableau 3). Plus de 700 millions de dollars de dépenses supplémentaires seraient imputables à l’extension de CommCare. Il était évidemment prévu que la réforme entraîne une forte hausse des dépenses de l’État; au cours de cette période, 48% des dépenses supplémentaires devraient être financées par le budget général de l’État, et 51% par une augmentation des remboursements effectués par le gouvernement fédéral au titre de Medicaid.
L’expérience californienne
26La Californie était censée tester le modèle élaboré par le Massachusetts sur une échelle beaucoup plus grande et dans un contexte moins favorable – une pauvreté plus grande et une proportion de non-assurés plus forte. Entre 2003 et 2006, la couverture, mesurée par la somme des primes et tickets modérateurs par rapport au revenu, s’est nettement érodée, en particulier sur les marchés des polices qui couvrent les petits groupes et les individus (Gabel et al., 2007, tableau 5). En 2003, l’État de Californie avait mis en place l’une des composantes du modèle de réforme décrit ci-dessus, en l’occurrence une disposition qui faisait obligation aux employeurs soit d’offrir une assurance à leurs salariés, soit de contribuer à un fonds pour que l’État s’en charge. Cette loi, qui devait entrer en vigueur en 2006, n’a jamais été appliquée parce qu’un référendum organisé en 2004 l’a invalidée à une courte majorité (Yelowitz, 2007). Après cet échec, imputable à un seul élément de la réforme, une proposition plus complète de couverture des non-assurés a été présentée en décembre 2006 (Halvorson, Crosson et Zatkin, 2006). Elle prévoyait la création d’une agence de liaison et l’introduction d’une obligation d’assurance visant les individus, mais se distinguait de la réforme du Massachusetts par le fait qu’elle offrait à la fois un plan d’assurance de base subventionné, sans franchise, pour les résidents à faibles revenus qui ne pouvaient pas prétendre aux programmes existants (CalPrime), et un plan administré par l’État, autofinancé, assorti d’une franchise élevée, pour la prise en charge des risques graves (CalCAT), que les citoyens disposant de revenus moyens à élevés (plus de 300% du seuil de pauvreté fédéral) auraient été contraints de souscrire à défaut d’être titulaires d’une autre assurance, plus complète. Le montant des primes et des subventions pour quatre plans différents avait été estimé, tout comme le budget nécessaire au programme d’assurance subventionnée. La proposition prévoyait également une obligation pour les employeurs, à savoir qu’une cotisation supplémentaire sur les salaires aurait été imposée aux entreprises qui ne fournissaient pas d’assurance à leurs salariés ou proposaient des polices non conformes aux critères fixés par l’État.
27Le gouverneur Schwarzenegger a soutenu un projet de réforme ambitieux, qui a donné lieu à des travaux législatifs tout au long de l’année 2007; l’Assemblée (chambre basse du Parlement de Californie) a voté en faveur d’un projet de loi qui représentait un compromis et qui, s’il avait obtenu l’aval du Sénat, aurait dû être soumis à référendum. Mais le 29 janvier 2008, la commission de la santé du Sénat l’a rejeté excluant ainsi, du moins provisoirement, toute chance d’adoption. Ce rejet a fait suite à un rapport du Legislative Analyst’s Office [3] qui prévoyait que les dépenses annuelles totales se seraient élevées à 14 milliards de dollars dans un premier temps – par coïncidence, presque exactement le montant que risque d’atteindre le déficit budgétaire de l’État – et auraient augmenté par la suite. Reste à savoir si une révision pourrait encore sauver le projet; le gouverneur et divers partisans de la réforme se sont engagés à faire une nouvelle tentative.
On serait tenté de croire que si une réforme du système de santé comme celle engagée par le Massachusetts a des chances de réussir quelque part, c’est précisément dans cet État, compte tenu du contexte favorable décrit précédemment. À l’autre extrémité du spectre des États, on peut considérer que si un tel projet était mis en œuvre avec succès en Californie, il pourrait l’être partout. En d’autres termes, l’échec de l’initiative californienne ne prouve rien, si ce n’est que ce type de réforme pourrait être exporté dans certains États, mais pas dans tous. Selon certains analystes, cet échec conduit à se tourner à nouveau vers l’échelon fédéral pour réformer le système de santé (Lee, 2008). Le blog de Health Affairs a publié un long débat sur l’intérêt de la proposition californienne et sur les raisons qui ont fait obstacle à l’adoption de la loi (Curtis et Neuschler, 2008; Lynch, 2008; Kronick, 2008; Wulsin, 2008). Ces contributions insistent sur le soin apporté pour rendre les différentes composantes de la réforme compatibles, sur le fait que la réforme avait le potentiel de couvrir environ 87% de la population non assurée de l’État, sur les limites imposées par la crise économique, sur la complexité du processus politique – comprenant un référendum – censé mener à l’adoption de la loi. Dans une autre analyse de l’échec du projet, Sheila Kuehl (Kuehl, 2008), sénatrice de Californie et membre de la commission de la santé qui a désapprouvé le projet, explique que ce dernier a échoué parce qu’il ne contenait aucune mesure destinée à limiter la possibilité, pour les assureurs, d’augmenter les primes, ce qui signifiait que les prix n’auraient pas été « abordables » sauf pour la population aisée ou sauf si l’État versait une subvention aux plus pauvres.
Initiatives de quelques autres États
28Une enquête réalisée fin 2006 auprès des organismes dépendant des gouvernements des États brosse un panorama des initiatives de réforme prises par les États dans l’ensemble du pays; elle indique combien d’États déclarent chacun avoir mis en place différents types de politiques, notamment celles destinées à étendre la couverture (Hess et al., 2008).
29L’État qui a mis en place la réforme la plus proche de celle du Massachusetts est le Vermont. Il a adopté son projet, le Catamount Health, à la même période que le Massachusetts (au printemps 2006), après avoir renoncé à un projet antérieur, le Green Mountain Health, en 2005. Les deux principales composantes de la réforme, à savoir le versement de subventions pour la couverture des salariés par leur entreprise et l’instauration d’une police d’assurance subventionnée pour les familles non éligibles à Medicaid disposant de ressources inférieures à 300% du seuil de pauvreté fédéral, ne sont entrées en vigueur qu’en octobre 2007 (Maxwell, 2007). Les employeurs doivent s’acquitter d’une taxe au titre de leurs salariés non assurés, ce qui a pour but de les inciter à profiter de la subvention pour les assurer s’ils remplissent les conditions requises. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le succès de ces mesures; un bilan est prévu pour 2009.
30La principale différence entre le Catamount Health et le projet du Massachusetts, est l’absence d’obligation d’assurance visant les individus. Une telle obligation a été jugée politiquement inenvisageable parce que les « habitants du Vermont sont prêts à faire tout ce qu’on leur demande de faire et rien, ou presque, de ce qu’on leur ordonne de faire » (Maxwell 2007, citant Richard Snelling, ancien gouverneur du Vermont). Par conséquent, la réforme vise à étendre la couverture, sans avoir l’ambition de parvenir à une couverture quasi universelle. Elle est, en revanche, plus ambitieuse en ce qui concerne la promotion de la santé et la prévention des maladies; les dispositions visant à promouvoir l’assurance étant complétées par Blueprint for Health, un dispositif qui a pour principal objectif d’améliorer le traitement des maladies chroniques, y compris à travers des améliorations de la qualité et des programmes de bien-être. Selon un commentateur, « le projet du Vermont a été adopté du fait de et non en dépit de son approche globale » (Thorpe, 2007a). Cette caractéristique l’a rendu attrayant pour les résidents qui ne pouvaient pas espérer bénéficier de la subvention et qui n’auraient peut-être pas soutenu une proposition exclusivement destinée à améliorer la couverture maladie des pauvres.
31L’expérience du Tennessee est assez proche de celle du Vermont. TennCare, version locale de Medicare, a fonctionné pendant une dizaine d’années, durant lesquelles son coût a augmenté jusqu’à un niveau insupportable, et a fini par être perçu comme inéquitable et inefficient. En 2005, l’État a diminué le budget consacré au programme de 1,6 milliard de dollars, a radié 170 000 bénéficiaires et a plafonné les prestations servies aux 400 000 bénéficiaires restants (McDonough, Miller et Barber, 2008). Selon le gouverneur Bredesen, bon nombre des personnes affiliées à TennCare avaient en réalité accès à d’autres formes d’assurance; en outre, le programme ne protégeait pas très efficacement les enfants, si bien que les radiations n’ont pas entraîné de diminution de la couverture de cette catégorie de la population (Weil, 2007). Un nouveau programme, CoverTennessee, offre une couverture à une partie des non-assurés et encadre plus étroitement les prestations. L’État a fixé à 150 dollars par mois le budget à consacrer à chaque bénéficiaire et a lancé des appels d’offres auprès des assureurs pour trouver des polices à ce prix; c’est Blue Cross qui a remporté le premier contrat. Le financement étant partagé de manière égale entre le gouvernement, les employeurs et les individus, les bénéficiaires devront régler une prime de 50 dollars seulement – sauf s’ils sont fumeurs ou présentent une surcharge pondérale importante, leur prime étant alors majorée (cette disposition est équivalente à la réduction pour bonne hygiène de vie parfois consentie par les assureurs privés et les employeurs).
32De la même manière qu’elles ont entraîné l’effondrement de TennCare, les difficultés financières ont contribué à une « remise à plat » du plan de santé de l’Oregon (Oregon Health Plan, OHP). Ce plan, qui se distinguait de tous ceux mis en place dans d’autres États par le fait qu’il tentait de définir un panier de prestations Medicaid sur la base d’un critère coût-efficacité et négociait officiellement un panier de soins réduit pour offrir une couverture universelle à tous les habitants disposant de ressources inférieures au seuil de pauvreté fédéral, a fait l’objet d’une dérogation des CMS en 1993 et est entré en vigueur en 1994 (Oberlander, 2006). En 2002, le gouvernement de l’Oregon a relevé le seuil d’accès au dispositif pour le porter à 185% du seuil de pauvreté, mais a dû, pour cela, scinder le panier de prestations en deux: un plan « OHP-Plus », dont les prestations étaient inchangées, pour les personnes appartenant à une des catégories relevant de Medicaid et un plan « ordinaire » ou réduit pour les autres, appliquant des primes plus élevées, des règles d’affiliation plus strictes et un ticket modérateur de 250 dollars pour une hospitalisation. Ces mesures restrictives, qui étaient destinées à éviter que l’extension de la couverture ait une incidence sur les coûts, ont en réalité eu pour effet d’exclure de nombreux bénéficiaires du système. Le taux d’affiliation a chuté de 53% en 2003, et la proportion de non-assurés a retrouvé un niveau de 17%. L’expérience de l’Oregon a également révélé à quel point les initiatives de réforme des États étaient exposées aux risques de retournement de la conjoncture économique – la période 2001-2003 a mis les recettes des États à rude épreuve – et étaient tributaires des fonds versés par l’État fédéral.
33L’Indiana a suivi une approche différente des autres États pour couvrir la population pauvre non assurée (les personnes de 18 à 64 ans, disposant de ressources inférieures à 200% du seuil de pauvreté fédéral et n’ouvrant pas droit à Medicaid). Dans le cadre du Healthy Indiana Plan (HIP), toute personne remplissant les conditions requises se voit attribuer un compte d’épargne santé (Health Saving Account, HSA) de 1 100 dollars, qui correspond en réalité à une franchise, à utiliser avant toute autre source de financement. Ce compte permet à son titulaire de déposer des sommes déductibles fiscalement (qui échappent donc à l’impôt sur le revenu), uniquement utilisables pour régler des frais médicaux. Ce mécanisme incite les individus à épargner en prévision de dépenses médicales, chaque dollar épargné ayant en réalité une valeur plus élevée que s’il provenait du revenu après impôt. Les bénéficiaires sont tenus de contribuer à cette franchise à raison de 2 à 5% de leur revenu, sur une échelle glissante, l’État versant le complément chaque année. Lorsqu’un ménage cotise déjà au SCHIP pour la couverture de ses enfants, ses cotisations sont déduites de sa contribution au HSA et le seuil d’accès au SCHIP est simultanément porté de 200 à 300% du seuil de pauvreté fédéral. Dans un premier temps, les participants au programme ont le choix entre des plans proposés par deux assureurs privés. Pour favoriser le recours aux soins préventifs, l’équivalent de 500 dollars de soins préventifs est alloué à chaque participant chaque année; dans le même but, les sommes déposées sur le HSA inutilisées en fin d’année, le cas échéant, ne peuvent être reportées sur l’année suivante (et venir en déduction de la contribution à verser au titre de l’année en question) que si les soins préventifs ont été consommés dans leur intégralité (le HSA a été baptisé POWER, pour Personal Wellness and Responsibility account ou « compte pour la responsabilité et le bien-être de la personne », l’idée étant de le rendre plus attrayant et de mettre en avant la couverture des soins préventifs). Les employeurs ont la possibilité, mais pas l’obligation, d’abonder le HSA à concurrence de 50% des contributions de leurs salariés. Une fois la franchise épuisée, le participant peut bénéficier d’un maximum de 300000 dollars de soins par an, à concurrence d’un plafond d’un million de dollars sur la vie entière. Les soins couverts sont relativement nombreux, mais ne comprennent pas les soins en rapport avec la grossesse, ni les soins ophtalmologiques et dentaires; il est toutefois possible d’acheter une couverture supplémentaire en versant 50% de la prime. La couverture permet d’accéder gratuitement aux soins pris en charge, sauf en ce qui concerne les consultations dans les services d’urgence, qui donnent lieu à des tickets modérateurs peu élevés. Les ménages disposant de ressources supérieures à 200% du seuil de pauvreté peuvent acheter la même couverture en acquittant l’intégralité de son coût (Families USA, 2007; IN.gov, 2008).
L’approche de l’Indiana se distingue des autres modèles évoqués dans cet article en ce qu’elle commence par instaurer une franchise, en contrepartie de contributions annuelles qui peuvent atteindre 5% du revenu du participant. Pour réduire le plus possible l’obstacle que peut constituer une franchise, le plan plafonne la contribution, permet d’en diminuer le montant soit par une participation de l’employeur, soit par la déduction de la cotisation versée au SCHIP et exonère de la franchise les 500 dollars de soins préventifs. Pour simplifier l’utilisation de la franchise, les participants reçoivent une carte de débit prépayée qu’ils doivent utiliser pour dépenser les sommes figurant au crédit de leur compte. Il est prévu que le financement provienne d’une hausse des taxes sur les cigarettes (ce qui est également une des caractéristiques du projet californien) et d’une augmentation des sommes versées par le gouvernement fédéral au titre de Medicaid. Outre la franchise, l’Indiana a prévu plusieurs mesures destinées à limiter les dépenses, en particulier en permettant à l’administration chargée des affaires familiales et sociales (Family and Social Services Administration) de disposer d’une certaine latitude pour déterminer la fréquence à laquelle certains des soins couverts peuvent être dispensés; en outre, les personnes souffrant d’une ou plusieurs affections définies comme à « haut risque » ne peuvent pas prétendre au programme et doivent adhérer à un autre plan. Il n’a pas été prévu d’obligation d’assurance, ni pour les individus, ni pour les employeurs – le HIP vise uniquement à couvrir une plus grande proportion de pauvres dépourvus d’assurance, non à parvenir à une couverture universelle. En février 2008, 16 000 résidents avaient demandé à bénéficier du HIP. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le coût du plan et sur son incidence sur la couverture et l’utilisation du système de santé.
Les nombreuses initiatives tentées ou envisagées dans d’autres États n’ont pas encore donné lieu à la publication d’analyses, n’ont pas commencé à affilier des bénéficiaires ou n’ont pas encore été à l’origine de dépenses importantes. Certaines des réformes prévues ne verront peut-être même jamais le jour si les perspectives économiques se dégradent. La suite de cet article est consacrée à la question qui vient spontanément à l’esprit après ces développements: ces expériences peuvent-elles être étendues à d’autres États?
Massachusetts (ou Californie): un modèle applicable à l’échelle de la nation ou un exemple non reproductible?
34Tous les experts qui ont analysé le projet du Massachusetts, y compris certains de ses détracteurs, insistent sur le fait que cet État est dans une situation plus favorable que les autres États envisageant une réforme comparable. Le Massachusetts a déjà fait deux tentatives de réformes depuis 1988, et en a tiré les enseignements (y compris sur le fait qu’une obligation ne s’appliquant qu’aux employeurs pouvait être annulée et ne jamais s’appliquer). Par ailleurs, il se caractérise par une culture politique fortement démocrate (même si c’est un républicain, en la personne du gouverneur Romney, qui a contribué à l’adoption de la réforme) et sa population est moins attachée au marché et plus réceptive à l’idée d’une intervention de l’État dans le système de santé que la population du reste du pays. Il était également doté d’un budget substantiel pour couvrir les soins non indemnisés, dont on pouvait s’attendre à ce qu’une partie puisse être consacrée à financer l’assurance subventionnée. Le nombre de non-assurés était faible – environ 365 000, soit 6% d’une population de 6,4 millions d’habitants –, si bien que le coût de leur couverture semblait gérable. Le gouvernement de l’État était sur le point de perdre 385 millions de fonds versés par le Center for Medicare and Medicaid services (CMS), sauf s’il acceptait de ne pas verser cet argent aux institutions prestataires de soins, mais de l’affecter au paiement de subventions individuelles pour que « l’argent suive le patient ».
35Bien que le gouvernement fédéral n’ait pas réussi à étendre le programme national SCHIP, ni à entreprendre d’autres réformes destinées à élargir la couverture, il a autorisé et favorisé des changements dans la manière dont les États pouvaient dépenser les fonds alloués au titre de Medicaid. En 1996-1997, il avait également permis au Massachusetts (et à d’autres États) de bénéficier d’une dérogation pour porter le seuil d’accès au SCHIP de 200 à 300% du seuil de pauvreté fédéral. Enfin, une alliance atypique, constituée d’un gouverneur républicain et des deux démocrates à la tête de chacune des chambres du Parlement, a mis au point une solution de compromis qui, au lieu d’édulcorer la réforme ou de n’en appliquer que quelques éléments de manière parcellaire, en préservait les aspects radicaux. C’est la raison pour laquelle certains auteurs estiment que l’on devrait considérer « l’expérience du Massachusetts comme un modèle, plus en matière politique qu’en matière d’action publique » (McDonough et al., 2006).
36Du fait de ce contexte favorable, il est peu probable que le Massachusetts ait donné le coup d’envoi d’une vague de réformes semblables à la sienne. La pérennité du succès de la réforme pourrait même être remise en cause, puisque son budget risque d’accuser un déficit de 147 millions de dollars et qu’une récession économique nationale, qui semble de plus en plus vraisemblable, ne ferait qu’ajouter aux difficultés de financement du programme. Le tableau 1 (cf. supra), dont il ressort que nombre des réformes conduites par les États reprennent certains des éléments de la réforme du Massachusetts, surestime la mesure dans laquelle les autres États suivent la même voie que le Massachusetts. Il convient de noter, en particulier, que seuls deux autres États (Rhode Island et le Vermont) ont prévu des obligations d’assurance. Selon certains des chercheurs qui ont étudié la réforme mise en œuvre dans le Massachusetts, « pour parvenir à une couverture universelle, où que ce soit, il est, à l’évidence, indispensable d’imposer une obligation d’assurance aux individus, même si l’État impose également une obligation aux employeurs. C’est l’alliance de ces deux éléments qui fait la force de la réforme engagée dans le Massachusetts » (Holahan et Blumberg, 2006). S’ils voient juste, il faut en conclure que les réformes qui n’imposent pas d’obligation d’assurance peuvent, certes, aboutir à une extension de la couverture, en particulier pour les enfants, mais seront loin de couvrir tous les résidents.
Même si aucun État ne peut la reproduire à l’identique, l’expérience du Massachusetts a attiré l’attention sur divers éléments de réforme, en particulier sur les initiatives visant à étendre la couverture des enfants et/ou des adultes. Ces initiatives elles-mêmes inciteront probablement les États à prendre des mesures pour réformer le marché de l’assurance – en interdisant les pratiques de sélection des risques, en permettant à tout employeur d’acheter une police d’assurance non subventionnée par l’intermédiaire d’un programme public moins onéreux, en autorisant les enfants à rester plus longtemps ayants droit de leurs parents, etc. Il arrive qu’une réforme mette en évidence la nécessité d’adopter des mesures complémentaires, même lorsque le problème auquel elle s’attaque existait depuis longtemps. Si elle était entrée en vigueur, la réforme proposée par la Californie aurait eu davantage encore valeur de modèle pour le reste des États-Unis (Lynch, 2008).
Enfin, il importe de souligner que par le passé, il est déjà arrivé que des initiatives prises par les États influencent les politiques fédérales. Celles qui ont conduit à la création du SCHIP en 1997 et à l’intégration, pour la première fois, de la prise en charge des médicaments parmi les prestations servies par Medicare, en 2003, en constituent des exemples (McDonough, Miller et Barber, 2008). L’un des problèmes inhérents à un système fédéral est que la mise en œuvre de changements majeurs nécessite parfois, au niveau infranational, un consensus politique auquel il est difficile de parvenir. Cet inconvénient est compensé par le fait que les États sont en partie libres de tester des politiques sociales sans avoir à attendre que le gouvernement fédéral intervienne. Pour reprendre les propos de James H. Douglas, gouverneur du Vermont, « comme beaucoup d’autres Américains, les habitants du Vermont sont las d’attendre que Washington reprenne en mains la réforme du système de santé » (Maxwell, 2007). Les arguments qui, dans le Vermont, ont plaidé en faveur d’une approche globale axée à la fois sur la couverture, la qualité et les coûts, pourraient être déterminants pour toute réforme engagée à l’échelle fédérale (Thorpe, 2007b) et pourraient être complétés par certains des éléments actuellement testés dans le Massachusetts et dans d’autres États. Reste qu’il subsiste encore trop d’inconnues pour prédire avec certitude ce qui va advenir ensuite et à quelle échéance.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Rédacteur adjoint de la revue Health Affairs (États-Unis).
-
[2]
Cet article est une version révisée et actualisée d’une communication préparée pour le colloque sur la protection sociale au Canada et aux États-Unis, organisé par la DREES, à Paris, les 7 et 8 février 2008. Il n’exprime pas le point de vue de la revue Health Affairs, ni de Project HOPE, éditeur de cette revue. Toute erreur dans les faits présentés ou leur interprétation engage la seule responsabilité de l’auteur. Je suis reconnaissant à mes relecteurs pour leurs suggestions et à mes collègues Don Metz et Rob Cunningham pour les sources qu’ils m’ont indiquées et pour avoir répondu à mes questions sur des sujets qu’ils maîtrisent mieux que moi.
-
[3]
Instance indépendante des partis politiques qui fournit au Parlement des évaluations et avis sur les politiques mises en œuvre par le gouvernement de Californie. (Note de la traductrice).